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LE DÉBAT DU DÉBATpalimpsestes.fr/textes_philo/castoriadis/sur-urss.pdf · LE DÉBAT DU DÉBAT ... (Soljenitsyne l’avait déjà vu, même pour les opposants du Premier Cercle.)

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  • LE DBAT DU DBAT

    Plusieurs articles parus rcemment dans Le Dbat ont suscit des ractions quau demeurant ilsappelaient. Ainsi larticle de Jean Clair sur le destin des arts davant-garde (n 21), ainsi les prises deposition sur ldition (nos19 et 22), ainsi la discussion du rapport Godelier (n 22).

    Nous avions eu dj souvent loccasion de regretter de ne pouvoir faire place des interventions quiauraient enrichi les dossiers que nous ouvrions, ou de ne pouvoir nous-mme faire cho des dbatsvenus dailleurs.

    Cest pourquoi nous avons pris le parti de regrouper ici les plus significatives des ractions qui noussont parvenues. Nous joignons ces brves contributions une tude plus substantielle de Grard Duchnequi rpond aux thses soutenues par C. Castoriadis dans son livre Devant la guerre (Fayard, 1981).

    Que les dpenses militaires de la Russie absorbent une part norme (et inconnue ailleurs en temps depaix) des ressources du pays, de lordre de 15 %, tait certes connu depuis longtemps (autre chose si onen parlait peu au grand public, sans doute par un souci louable de ne pas troubler sa digestion). La seule nouveaut quapporte Devant la guerre cet gard, cest la confirmation des estimations parmi les plusleves par lutilisation dune mthode nouvelle la mthode primitive , pp. 133-138 et 166-190 etdune autre, vidente dans son principe mais ma connaissance non utilise auparavant, la reconstruc-tion des comptes nationaux russes qui aboutit des rsidus inexpliqus (Annexe V, pp. 181-212).

    La nouveaut vritable, aussi incroyable que cela puisse paratre, a t de vouloir tirer de ceschiffres une signification sociologique. Nombre de critiques nont pas pu lassimiler. Quun rgimeconsacre 15 % du produit national la production darmements (alors quil est incapable de nourrir,dhabiller et de loger dcemment sa population) ne dirait, ne signifierait, ne traduirait, ne trahirait,semble-t-il, rien quant son orientation, ses options, sa dynamique immanente, son articulation interne.Tout au plus, cela concernerait son conomie . Voil o nous en sommes, aprs cinq (et vingt-cinq)sicles de rflexion sur les socits.

    Jai sans doute eu tort en crivant Devant la guerre, de ne pas rappeler au lecteur inattentif que 15 %= 60 ou 75 %. Aucun gouvernement, et aucun rgime, ne joue librement avec 100 % de la productionnationale. Une certaine consommation, prive et collective, est plus ou moins incompressible ; les couchesdominantes tiennent fort leurs privilges ; tout cela entrane des investissements lis . Le surplus libre , manipulable est, peut-tre, de 20 ou 25 % du produit national (cf. D.G. I, tableau H, p. 206).15/20 ou 15/25, cela fait trois quarts ou trois cinquimes de ce dont on dispose vraiment. Voil ce quesignifie 15 % du P.N.B. .

    Les commentaires constructifs de G. Duchne corroborent au total, comme ordres de grandeur, et lesestimations habituelles, et les miennes. Pour illustrer, simplement, les variations considrables des rsul-tats des mthodes usuelles qui mont incit les contrler par lapplication dautres mthodes , je

    Cet article est paru en mars 1983 dans le n 24 du Dbat (pp. 190 192).

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  • note que G. Duchne aboutit pour 1980 des dpenses militaires de 59-69 milliards de roubles cepen-dant que le pre de la procdure quil utilise, W.T. Lee, les estime 108-126 milliards de roubles1.Une nouvelle estimation de la D.I.A. implique, pour 1980, des dpenses de 73-91 milliards de roubles2.La moyenne de mes estimations rsiduelles est de 84 milliards de roubles.

    Lautre fait dont partent les analyses de Devant la guerre, tout autant connu et presque tout autantmconnu dans sa signification, est lcart considrable de qualit entre les produits militaires russes etles produits non militaires. Brivement parlant, la production militaire russe soutient qualitativement lacomparaison avec la production occidentale correspondante, cependant que la production non militairene la soutient pas. Cela soulve aussitt la question de la nature et de lorganisation interne des botesnoires qui produisent des outputs tellement diffrents.

    Les pnuries chroniques et rcurrentes et la qualit infra-mdiocre des produits non militaires enRussie sont amplement connues et documentes3. Ce qui est parfois contest, cest la qualit des mat-riels militaires. On peut certes en discuter perte de vue surtout si lon oublie le sens et le vritable objetde la discussion. Mais je comprends difficilement que G. Duchne laisse croire que la comparaison quali-tative des matriels militaires russe et amricain rappelle trangement les comparaisons de bienscivils. Personne ne peut exhiber, dans la production non militaire russe, un quivalent, mme fortloign, des fuses qui atteignent Vnus aprs un immense parcours o les quarts de seconde comptent,y procdent aux mesures les plus difficiles et les plus fines actuellement effectuables et retransmettentles rsultats la Terre ; des centaines de satellites artificiels lancs avec succs ; de plus de mille fusesde la sophistication des SS-18, SS-19 et SS-20 ; de sous-marins nuclaires comme le Typhon pour nepas parler, tout simplement, de la Kalashnikov. Pour abrger, je me borne citer lapprciation sobre etpondre de lInternational Institute for Strategic Studies de Londres, dans son dernier rapport annuelqui vient de paratre4 :

    Il est impossible de rpondre la question de la supriorit technologique sans le test du combat.En gnral, cependant, on pense que lquipement sovitique est robuste (rugged), relativement immuneaux fausses manuvres et apparemment fiable (reliable). Quant lvolution dans le temps : LOccidentsest fi jusquici sa technologie suprieure et bien quil y ait des faits (evidence) montrant que lEsta t rattrapant (has been catching up) lOccident et, dans certains cas, la effectivement dpass uncertain (some) avantage occidental subsiste encore, bien quil soit maintenant beaucoup plus petit quilne ltait. La balance quantitative pendant les vingt dernires annes sest lentement mais constammentmodifie en faveur de lEst. En mme temps, lOccident a perdu dans une large mesure (largely) lavan-tage technologique qui permettait lO.T.A.N. de croire que la qualit pouvait remplacer le nombre.

    La diffrence qualitative des rsultats du secteur militaire et du secteur non militaire ne peut pas treexplique par la quantit des ressources que lun et lautre absorbent. Je lai montr dans Devant laguerre I, et lon peut en fournir immdiatement une illustration clatante : lagriculture, qui engouffredes investissements normes, ne cesse daller dchec en chec.

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    Le dbat du DbatUnion sovitique

    1. Voir, en dernier lieu, International Institute for Stratgie Studies, The Military Balance 1982-1983 (I.I.S.S., Londres,1982), p. 12.

    2. International Herald Tribune, 22.7.82.3. Voir, en dernier lieu, Herv Guicquiau, Mythes et mystres des biens de consommation sovitique , in LU.R.S.S.

    et lEurope de lEst en 1981-1982, Notes et tudes documentaires, La Documentation franaise, n 4673-4674, 22 juin 1982,pp. 55-56.

    4. Loc. cit., pp. 129-131.

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  • Mais les priorits, dont bnficie incontestablement la production militaire, ne suffisent pas non plus,contrairement ce que pense G. Duchne. Elles suppriment un facteur ngatif qui ajoute lourdement ladsorganisation de la production non militaire ; elles pourraient expliquer une productivit (quantitative)plus grande, non pas une diffrence de qualit. On mentionne souvent un autre facteur : la production mili-taire est le seul secteur en Russie o rgne la souverainet du consommateur , o lacheteur refusera deprendre livraison du produit sil ne correspond pas aux standards quil a fixs. Mais la mme question sur-git, une fois encore : pourquoi donc lacheteur se comporte, dans ce cas-ci et dans ce cas seulement, cor-rectement (comme une bureaucratie rationnelle ), pourquoi ny a-t-il pas ici la mme corruption, lamme incurie quailleurs, en juger par les rsultats ? Sur le papier, la souverainet du consommateurmonopsoniste existe en Russie partout o l acheteur est la bureaucratie : les organisations de com-merce de gros, par exemple, pourraient (et sont mme sous lobligation de) refuser la camelote proposepar les usines. Cas encore plus clair, les achats concernant la consommation publique ou collective(hpitaux, par exemple) : leur qualit est comparable celle des biens de consommation privs . Bref :il ny a quune seule fraction de la bureaucratie suffisamment intresse par ce qu elle est suppose fairepour le faire peu prs correctement, cest la bureaucratie militaire.

    Si lon possde la moindre familiarit avec les questions du travail industriel moderne, il est im-possible de ne pas relier cette diffrence de qualit des diffrences des attitudes des personnels, tousles niveaux. Les privilges matriels entrent certes ici en ligne de compte ; je ne crois pas quils suffi-sent, et certainement pas pour les personnels qualifis. Le pouvoir travailler normalement deG. Duchne a certes une grande importance mais il ne faut pas le prendre dans un sens simplementmcanique. Il sagit de pouvoir travailler avec les meilleures machines du pays, pour fabriquer desproduits qui marchent ; que cela nous plaise ou non, les entreprises fermes sont les seules o le travail,en tant que travail, ait un sens. (Soljenitsyne lavait dj vu, mme pour les opposants du Premier Cercle.)

    La conclusion centrale est que le dveloppement du secteur militaire, aux dpens de tout le reste,reprsente une caractristique structurale du rgime russe depuis une vingtaine dannes. Il ne rsultepas dune dcision conjoncturelle et modifiable, mais possde sa propre dynamique autonome, irrver-sible sauf explosion ou implosion du systme.

    Cest ce que G. Duchne exprime dune autre faon, lorsquil crit : Lobjectif de lconomie plani-fie est de mettre une partie de lconomie et de la socit au service dune autre partie, et ce but-l est belet bien atteint. Cest aussi ce que Mihly Vajda formule, en disant que le rgime russe napparat commefonctionnant mal que si on lui impute des objectifs qui ne sont pas les siens (le dveloppement au sensoccidental) mais quil fonctionne trs bien par rapport ses objectifs propres et sa logique intrinsque5.

    Bien videmment, cette thse est intimement lie celle de limpossibilit dune autorforme durgime (D.G. I, pp. 153-162). Elle implique le rejet de toutes les thories de la convergence commeaussi des illusions que lon propage activement de nouveau, propos de la succession de Brejnev et dela relve des gnrations .

    8 novembre 1982Cornelius Castoriadis.

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    Le dbat du DbatUnion sovitique

    5. Mihly Vajda, La stratocratie aux yeux dun Europen du Centre-Est , Esprit, fvrier 1983.

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