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Le développement de l'éducation pour la santé en France : aperçu

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Page 1: Le développement de l'éducation pour la santé en France : aperçu

actualité et dossier en santé publique n° 16 septembre 1996 page III

A

Le développement del’éducation pour la santé enFrance : aperçu historique

die émergent. La première est centrée surl’objectivation de la maladie dans le corps. Laseconde appréhende la santé et la maladiecomme un mode de relation de l’homme avecson milieu où interviennent les facteurs hu-mains, les conditions écologiques, économiqueset sociales. Cette dichotomie n’est pas sans rap-peler la distinction traditionnellement faite en-tre les thèses « organicistes » qui privilégient lecorps en tant que tel, et les thèses « environ-nementalistes » qui soulignent les inter-relations entre l’individu et le milieu qu’il oc-cupe. Ces deux approches se sont confusémentmêlées au cours des siècles, pourtant leurcoexistence n’implique pas qu’elles aient jouidu même développement et de la même impor-tance dans la société. En effet, à certainespériodes, des formes d’organisation vont favo-riser l’émergence puis l’institutionnalisation del’approche organiciste. L’évolution de l’éduca-tion pour la santé illustre ce mouvement de« balancier » entre le dispositif curatif et pré-

ventif dans l’histoire des politiques sanitaireset, par conséquent, met en exergue une prise deconscience hésitante et tardive de l’importancede l’éducation pour la santé dans les politiquesde santé publique.

Les précurseurs

Le XIXe siècle est avant tout marqué par le dé-veloppement de la clinique. Le corps que l’oninterroge, et qui renferme le mystère de la ma-ladie, occupe une place de plus en plus impor-tante dans la médecine officielle ; même si parailleurs, responsables sanitaires et médecinscontinuent de s’interroger sur les liens entre lesmaladies et les conditions sociales. À l’issue deces réflexions, de nombreuses campagnes se-ront lancées pour l’amélioration des conditionsde vie et d’hygiène sur la base d’une causalitésociale à la santé et à la maladie.

Mais ces amorces de politiques sociales seheurtent à un problème culturel majeur enFrance puisque la doctrine dominante considère

L’éducation pour la santé a bénéficié du passage de l’action hygiéniste progressive

à la constitution ponctuelle d’un système préventif qui s’est développé sur

l’ensemble du pays. La mission donnée au Comité français d’éducation pour la

santé de mettre en place les grandes campagnes nationales de prévention, l’aide

financière attribuée aux comités régionaux et départementaux sont des exemples

de développements institutionnels récents de l’éducation pour la santé.

u regard de l’histoire médicale, deux gran-des conceptions de la santé et de la mala-

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que la diffusion des normes d’hygiène et l’as-sistance sont de la responsabilité du médecin etdes personnes « éclairées ». Aussi « toute inter-vention publique massive est rejetée jusqu’en1871 au nom du libéralisme et du maintien del’ordre social ». Comme le montre OlivierFaure, l’évolution du contexte sociopolitique del’époque va faire prendre conscience que lapopulation est un « capital source de richesse,qu’il faut entretenir et renouveler », et que lesinitiatives privées, si nombreuses soient-elles,sont insuffisantes et surtout non coordonnées.Ainsi dans ce contexte, est né le « courant hy-giéniste » : formé par groupe de spécialistes enhygiène et santé publique qui parvient à s’in-troduire dans les instances de décision et à in-vestir le Comité consultatif d’hygiène publique.Ceux-ci inspirent alors les premières politiquesd’hygiène et s’organisent comme groupe d’in-térêt public.

Par ailleurs nombre de médecins, sympathi-sants du courant hygiéniste, se retrouvent à latête de mairies après la loi de 1884, dont l’arti-cle 97 a étendu les pouvoirs municipaux, ce quiexplique la multiplication des bureaux d’hy-giène dans les grandes villes entre 1885 et 1895.

Les ambitions des hygiénistes

Mais l’hygiénisme officiel a également une vi-sée d’encadrement de la vie sociale comme l’il-lustre la lutte contre la tuberculose vers 1880.En effet, il est officiellement admis que la tu-berculose, nouveau fléau social, se propage parcontamination d’individu à individu. De ce fait,la lutte contre la tuberculose se matérialise parle dépistage des porteurs de germe et leur iso-lement. C’est alors un véritable dispositif delutte contre cette maladie qui est mis en placepar l’établissement d’un vaste réseau d’établis-sements spécialisés, distincts des structuresclassiques de la médecine praticienne, et char-gés tout à la fois du dépistage, de la préventionet des soins. L’accent est mis sur la responsa-bilité individuelle. Mais il s’agit également decombattre les foyers de contagion que représen-tent certaines concentrations ouvrières commeles quartiers du centre de Paris. C’est la luttecontre les taudis et la rénovation urbaine. Faceà cette remise en cause du mode de vie, à cedispositif d’encadrement, certains milieuxouvriers donnent une vision différente de latuberculose comme maladie professionnelle,

maladie d’usure liée à la fatigue, aux horaires,à l’intensité du travail. Il apparaît alors un glis-sement entre la conception officielle du fléausocial « maladie » et une certaine sensibilitéouvrière du travail comme fléau social. Aussi,reprenant les rêves les plus anciens de l’ordremédical, les hygiénistes exigent que la méde-cine « prenne sa place dans le cercle des auto-rités du pays ».

Mais face aux obstacles rencontrés par lecourant hygiéniste pour s’instaurer comme ges-tionnaire de la santé à la fin du XIXe siècle, leshéritiers de ce mouvement au siècle suivantvont chercher à l’institutionnaliser différem-ment. Ainsi en 1924 se développe sous la di-rection de M. Brisac, l’Office national d’hy-giène sociale et se crée la Commission généralede propagande dirigée par Lucien Viborel. Ellegroupe alors les représentants des départementsministériels et des organismes publics et privésintéressés, réalise le premier réseau de Centresrégionaux de propagande, suscite en particulierdes campagnes de lutte contre les maladies in-fectieuses. Parallèlement, se constituèrent lespremiers organismes privés chargés d’éduquerle public : la Société scientifique d’hygiène ali-mentaire et d’alimentation rationnelle (1904),le Comité national de lutte antituberculeuse

Ainsi P. Brouardel, présidentdu Comité consultatifd’hygiène publique, estl’inspirateur du premier projetde loi ministériel déposé parLockroy en 1887.

Premier bureau d’hygiène au Havre

Le premier bureau d’hygiène est né au Havre du constatsuivant lequel « tout ce qui concerne la santé publique étaitlivré à l’arbitraire ou plutôt à l’inconnu, de telle manière qu’onpeut dire sans exagération que les maladies quelles qu’el-les fussent parcouraient la ville du Havre sans rencontrerjamais le moindre obstacle »*. L’article premier de l’arrêtéconstitutif de cette nouvelle structure précisait : « … la santéest la base sur laquelle repose avant tout le bonheur dupeuple ; … elle est la première richesse d’une ville commecelle d’un pays, puisqu’elle a pour conséquence d’augmen-ter la puissance de production et de diminuer les charges ».Ce bureau avait pour mission de surveiller et d’organiser lesdésinfections, la vente de lait, les vaccinations, la prophy-laxie, les eaux potables, les égouts, la voirie, les logementsinsalubres, les inspections d’écoles, les naissances et lesdécès.

* Marais T. M. : Extrait de « Experts et notables, les bureaux municipauxd’hygiène en France 1879-1914 », de L. Murard et P. Zylbermann in Dossier deGenèses n° 10, janvier 1993, p. 57.

O. Faure : Communication àla table ronde « Aspectsanthropologiques,historiques et sociologiquesde la santé et de la maladieen France et en Allemagne »,juin 1987.

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(1916), la Ligue nationale contre le cancer(1918), la Ligue française contre les maladiesvénériennes, la Société française de prophy-laxie, la Ligue française d’hygiène mentale(1920), le Comité national de défense contrel’alcoolisme, etc.

L’émergence del’éducation pour la santé

Ce n’est qu’en 1945 que s’esquisse le premiersystème préventif français. Cette nouvelle cons-truction comporte progressivement la généra-lisation sur l’ensemble du pays des centres in-terdépartementaux d’éducation sanitaire, lafondation du Centre national d’éducation sani-taire, démographique et sociale et la commis-sion d’éducation sanitaire du Conseil perma-nent d’hygiène sociale. Dès lors se succèdentdes réorganisations administratives de l’éduca-tion sanitaire, liées à la place que les gouver-nements ont pu prendre au sein de la santé pu-blique.

L’instabilité des structures a largement con-tribué à entraver le développement de l’éduca-tion pour la santé. De plus, l’incapacité d’éta-blir clairement une distinction entre les chargesadministratives incombant à l’État, et les dépen-ses d’éducation proprement dites devant êtrecouvertes par des fonds privés, a généré unecertaine complexité organisationnelle. L’évo-lution des structures est caractérisée par l’en-chevêtrement des comités et commissions pré-vus à tous les échelons, et par un transfert dusecteur privé au secteur public — transfert quis’est accéléré dans les années soixante puisquel’essentiel des ressources affectées à l’actionéducative provenait, en fait, des contributionsdes organismes de sécurité sociale et parfois, àl’échelon local, des subventions allouées auxassociations interdépartementales par les dépar-tements.

Par ailleurs, cette instabilité structurelle étaitla résultante de rapports de forces entre diffé-rentes approches de la santé. Pierre Delore, di-recteur du Centre régional d’éducation sanitaireà Lyon exposait en 1942 les principes d’uneconception nouvelle de l’éducation sanitaire :« Parler de la santé beaucoup plus que de lamaladie ; montrer comment la santé se con-serve, beaucoup plus que comment la maladiese guérit ; exposer les lois de la vie saine ; s’oc-cuper d’abord de l’état normal ; parler du ter-

rain humain plus que du microbe et substituerà la peur de celui-ci la confiance raisonnée dansla résistance d’un organisme bien équilibré ;bref, développer une mentalité de santé ». Cettetransmission qui s’effectue d’ordinaire par lamédiation d’institutions telles la famille,l’école, l’Église est organisée en une série demessages visant directement ces institutions :information écrite avec les brochures et les dé-pliants distribués dans les Centres départemen-taux et régionaux d’éducation sanitaire, maisaussi la publication de la revue La Santé del’homme s’adressant particulièrement aux maî-tres, à tous les degrés de l’enseignement, et àcôté d’eux à la jeunesse.

L’éducation pour la santéau cœur des évolutions

Le milieu des années soixante-dix est une pé-riode importante pour l’éducation pour la santé,le Comité français d’éducation pour la santé(CFES) est chargé de mettre en place les pre-mières grandes campagnes de prévention sur letabac (sous l’impulsion de Madame SimoneVeil, ministre de la Santé). La visibilité de lasanté publique prend alors une dimension ori-ginale. La publicité, qui à l’époque n’était pasconsidérée comme un domaine très respectableet respecté, se mettait tout d’un coup au servicede la santé. Cette arrivée inopinée, devait s’avé-rer par la suite comme essentielle pour une com-munication nationale en santé publique struc-turée et efficace.

Conjointement, le ministère décidait d’attri-buer des aides financières pour la création denouveaux comités régionaux et départementauxd’éducation pour la santé (CRES et CDES). Aumême moment, de l’autre côté de l’Atlantique,au Québec, une évolution majeure se produi-sait : l’encouragement d’une politique de santécommunautaire. Elle marquera définitivementun certain nombre de spécialistes (ou futursspécialistes de la santé publique française). Latraduction la plus évidente de cette imprégna-tion fut sans aucun doute la publication del’ouvrage de référence français Santé publique,santé de la Communauté de Monnier et coll. Celivre témoigne de l’évolution d’une santé pu-blique très hygiéniste vers des concepts beau-coup plus ouverts et contemporains de la pro-motion de la santé.

Chacun se rappelle pour des raisons politi-

Arrêté du 23 octobre 1945,JO du 7 novembre 1945,portant création des Centresrégionaux d’éducationsanitaire et du Centrenational d’éducationsanitaire.

P. Delore : Éditorial de la revue La Santé de

l’Homme, n° 1, avril 1942.

« Le tabac et les jeunes » Numéro spécial de La Santé

de l’Homme, septembre-octobre 1994, CFES.

J. Monnier, J.-P. Deschamps,J. Fabry, M. Manciaux,A. M. Raimbault. Santé

publique, santé de lacommunauté, Éditions

Sipem, 1980, 445 p.

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ques évidentes, ce que fut le début des annéesquatre-vingts (arrivée d’un gouvernement degauche au pouvoir en France). La santé publi-que a été marquée quant à elle, dès 1980, parla publication du rapport Cabanel. Il a été àl’origine du concept d’Observatoire régional dela santé (ORS).

Par la suite, ce fut le développement d’unepolitique de promotion de la santé bénéficiantde moyens financiers substantiels (créditsd’État déconcentrés pour la prévention et lapromotion de la santé) et s’appuyant sur denouvelles structures : les comités consultatifsrégionaux, départementaux et locaux de promo-tion de la santé.

C’est le deuxième élément majeur de cettepériode : la reconnaissance du concept de pro-motion de la santé. Cette période de grands dé-veloppements de la santé publique a bénéficiéde deux stimulants majeurs :

• les crédits ;• l’animation d’une véritable dynamique

d’actions de terrain grâce à la mobilisationautour de comités consultatifs de promotion dela santé, à l’organisation de grandes rencontresnationales sur la promotion de la santé et à lapublication de documents de référence.

Le troisième élément fondamental qui sur-vint fut la décentralisation. Alors que la promo-tion de la santé entraînait de plus en plus lesacteurs de santé publique aux croisements dusanitaire et du social, une répartition essentielledes compétences s’opérait entre l’État et lesdépartements.

L’introduction du concept de promotion dela santé (qui « secouait » les fondements mé-thodologiques de la traditionnelle « éducationsanitaire ») et la modification des compétencesdu principal financeur des CRES et CDES (leconseil général) remettaient en cause des struc-tures qui pour la plupart n’avaient pas encoreopéré leur véritable mutation.

Laurence Tondeur et François Baudier

Six événements majeurs

1. L’omniprésence du sida commethème prioritaire de santé publique :pour de multiples raisons (épidémio-logiques, éthiques, thérapeutiques,préventives…), cette maladie a surgi enbouleversant beaucoup de certitudes,de conceptions, de stratégies en édu-cation pour la santé. Le sida est là et laprévention est au centre de ce débatet des actions qui en résultent.

2. La multiplication des intervenantsen éducation pour la santé : en l’es-pace de quelques années, de nom-breuses institutions ont mis des moyenspuissants pour encourager des pro-grammes de promotion de la santé : lescollectivités locales (les conseils géné-

raux bien sûr, mais aussi les villes —« Villes Santé »), les caisses d’assuran-ces maladie, les mutuelles…

3. La diversification des activitésd’éducation pour la santé en direc-tion de nouveaux publics sociale-ment en grande difficulté : jeunes(missions locales) et un peu plus tardadultes (revenu minimum d’insertion).Les acteurs sociaux prennent alors encompte la santé dans le processus deréinsertion et les acteurs de santé intè-grent dans leur démarche sanitaire l’in-sertion sociale.

4. La création en 1988 du Fonds na-tional de prévention, d’éducation et

d’information sanitaire (FNPEIS) quidonne des moyens significatifs pourdévelopper une politique d’envergurenationale en éducation pour la santé.

5. Le rôle des cinq « sages » qui ontexercé un véritable « lobbying » auprèsdes autorités politiques pour qu’un plande santé publique efficace se mette enplace, en particulier dans les domainesdu tabac, de l’alcool et du médica-ment*.

6. L’adoption de la Charte d’Ottawa(1986) qui assure reconnaissance et lé-gitimité à la promotion de la santé**.

« Quand la santé devientpublique ». Dossier de « LaSanté de l’Homme », n° 306,juillet-août 1993.

La fin des années quatre-vingts et le début des années quatre-vingt-dixfurent marqués par six éléments majeurs qui ont pesé sur l’évolution del’éducation pour la santé en France. Ils sont fort différents de par leurnature et la place qu’ils ont tenue. Ils ont, chacun à leur niveau, joué unrôle essentiel pour installer une assise théorique et tracer des élémentsdéfinitifs dans l’évolution de l’éducation pour la santé contemporaine.

* G. Dubois, C. Got, F. Grémy, A. Hirsch et M.Tubiana. L’action politique dans le domainede la santé publique et de la prévention, santépublique, 1992, 4e année, n° 4, pp. 3-30.

** « Charte d’Ottawa pour la promotion de lasanté ». Organisation mondiale de la santé,novembre 17-21, 1986.