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Union Africaine Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples LE DROIT À LA NATIONALITÉ EN AFRIQUE

Le Droit à la la nationalité en Afrique

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Le droit à la nationalité (Afrique)

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  • Union AfricaineCommission Africaine des Droits de lHomme et des Peuples

    LE DROIT LA NATIONALIT EN AFRIQUE

  • Commission Africaine des Droits de lHomme et des Peuples

    LE DROIT LA NATIONALIT EN AFRIQUE

    tude ralise par la Rapporteure spciale sur les Rfugis, les demandeurs dasile, les personnes dplaces internes et les migrants en Afrique, conformment la Rsolution 234 du 23 avril 2013, avec lapprobation de la Commission accorde dans sa 55e session ordinaire tenue en mai 2014

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    2015 Commission Africaine des Droits de lHomme et des Peuples Cette publication est disponible en pdf sur le site internet de la Commission Africaine des Droits de lHomme et des Peuplessous la licence Creative Commons qui permet la duplication et la distribution de cet ouvrage si et seulement si sa propritest reconnue la Commission Africaine des Droits de lHomme et des Peuples et que son utilisation est des fins ducatives non commerciales ou a pour objectif des politiques publiques. Publi par Commission Africaine des Droits de lHomme et des Peuples

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    Table des matires

    1. Introduction 1

    1.1 Contexte de ltude 1

    1.2 Mthodologie 3

    1.3 Contexte historique 5

    2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit 9

    3. Dfinition juridique de la nationalit 14

    4. Les limites de la souverainet tatique 16

    4.1 Le rle dcisif des Nations Unies 17

    4.2 Lapport des autres systmes rgionaux 19

    4.3 Les implications pour lAfrique 21

    5. La nationalit et les pratiques des tats africains 22

    5.1 La transition vers lindpendance 22

    5.2 La dtermination de la nationalit des personnes nes aprs lindpendance 23

    5.3 La reconnaissance du droit la nationalit 24

    5.4 La nationalit dorigine 25

    5.5 La nationalit acquise 28

    5.6 La pluralit de nationalit 31

    5.7 Les discriminations 33

    5.8 Perte et dchance de la nationalit 35

    5.9 Les rgles de procdure en matire de nationalit 37

    5.10 La nationalit en cas de succession dtats 40

    5.11 La citoyennet rgionale 49

    6. Conclusions et recommendations 53

    Annexes 57

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    1. Introduction

    Mais qui a jamais vu, de loin ou de prs, une nationalit? Pas plus que les frontires politiques des tats ne sobservent sur la plante Terre vue de haut, la nationalit dune personne physique ne se devine sur son visage. La sagesse conduit donc relativiser ce phnomne qui, comme le droit, est construit et non donn1.

    1.1 Contexte de ltude

    Si ladoption, par la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples (ci-aprs la Commission africaine), dune Rsolution2 confiant sa Rapporteure spciale sur les Rfugis, les demandeurs dasile, les personnes dplaces internes et les migrants en Afrique (ci-aprs la Rapporteure spciale) la conduite et la rdaction dune tude sur le droit la nationalit sur le continent a t le point de dpart de llaboration du prsent document, cette dcision a t, en ralit, la dernire tape dune rflexion multiforme dont le continent a t le thtre sur la question du droit la nationalit.

    Le contentieux de la nationalit et des expulsions massives dtrangers en Afrique3, notamment lemblmatique affaire de la nationalit de lancien Prsident de la Zambie, Kenneth Kaunda4 a t la premire source dinformation de la Commission africaine sur le phnomne que dautres structures de lUnion africaine avaient beaucoup de difficults comprendre et donc matriser.

    Parmi ses diffrentes recommandations, le Cadre de politique de migration pour lAfrique, adopt par lUA en 2006, invite les tats membres promouvoir la ratification et le respect des Conventions de 1954 et de 1961 sur les apatrides et mettre au point dun cadre juridique national pour combattre lapatridie, particulirement dans le cas de rsidents de longue dure, par la rvision de la loi sur la citoyennet et/ou en octroyant des droits similaires ceux dont bnficient les rsidents trangers dans le pays5 . Les experts runis en juin 2007 Addis Abeba (thiopie) dans le cadre du Programme frontire de lUnion africaine dont avaient fortement encourag les tats concerns par les problmes de dlimitation et de dmarcation de leurs frontires prendre les dispositions ncessaires pour protger les droits des populations affectes, notamment lorsque existe un risque de perte de nationalit (apatridie), de biens essentiels de dplacement forc6 . Ces derniers se sont engags entreprendre et poursuivre, sur une base bilatrale des ngociations

    1 Jean Dabin, Thorie gnrale du droit, Bruxelles, Bruylant, 1944, pages 97-132, cit par Michel Verwilghen, Conflits de nationalits, Pluri-nationalit et apatridie, 2000, Martinus NIJHOFF, page 466.

    2 Voir la Rsolution No. 234 adopte Banjul (Gambie) le 23 avril 2013.

    3 Les affaires relatives la nationalit incluent: Communication No.97/93, Modise v. Botswana; Communication No. 212/98, Amnesty International v. Zambia; Communication No.159/96, Union Interafricaine des Droits de lHomme and Others v. Angola; Communications Nos. 27/89, 49/91 and 99/93, Organisation Mondiale Contre la Torture and Others v. Rwanda; Communication No.71/92, Rencontre Africain pour la Dfense des Droits de lHomme v. Zambia; Communication 211/98, Legal Resources Foundation v. Zambia; Communication 292/2004, Institute for Human Rights and Development in Africa v. Angola; Communication No. 249/02, Institute for Human Rights and Development in Africa (on behalf of Sierra Leonean refugees in Guinea) v. Republic of Guinea; and Communication No. 246/02, Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) v. Cte dIvoire.

    4 Voir Communication No. 211/1998, Legal Resources Foundation c. Zambie.

    5 Cadre de politique de migration pour lAfrique, EX.CL/276 (IX), Conseil Excutif de lUnion Africaine, Neuvime session ordinaire, 2529 juin 2006, Banjul (Gambie), paragraphe 5.4.

    6 Voir Confrence des Ministres africains chargs des questions de frontire, Rapport de la Runion: Prvenir les conflits, promouvoir lintgration de la Runion prparatoire dexperts sur le programme frontire de lUnion africaine, 4-5 juin 2007, Addis Abeba (thiopie), BP/EXP/RPT (II). Cest nous qui soulignons.

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    sur tous les problmes relatifs la dlimitation et la dmarcation de leurs frontires, y compris ceux lis aux droits des populations affectes, pour leur trouver des solutions appropries7 .

    De leur ct, les Institutions nationales africaines des droits de lhomme (ci-aprs les INDH), face au constat des problmes inextricables vcus par les rfugis, les personnes dplaces internes et les apatrides en Afrique8 avaient, lors de leur rencontre de Kigali (Rwanda) du mois de juin 2007, recommand aux tats du continent defaire une valuation, et au besoin une rvision, des lgislations sur la nationalit afin de sassurer quelles ne conduisent pas des situations dapatridie9 et offert leurs services aux organisations internationales et rgionales, y compris lUnion africaine pour les aider promouvoir et protger les droits des personnes dplaces internes, des rfugis et des apatrides10 .

    En octobre 2009, les tats africains, lors de leur conclave sur la situation des rfugis, des rapatris et des personnes dplaces internes en Afrique, se sont engags accorder la priorit au renforcement des capacits des institutions nationales, notamment celles qui soccupent des rfugispour quelles deviennent autonomes et pour donner aux africains la capacit de rsoudre les problmes de lAfrique11 qui inclut la question de la naturalisation de ces derniers.

    Un groupe dorganisations africaines et internationales12 qui sest dabord runi en 2007, a initi un dbat public en 2010, lors de la 47e session ordinaire de la Commission africaine, dont la finalit tait daffirmer le droit la nationalit dans le systme rgional des droits de la personne.

    La Commission africaine convia alors les initiateurs de ce dbat une rflexion plus approfondie sur la question lors de sa 9e session extraordinaire tenue Banjul (Gambie) du 23 fvrier au 3 mars 2011 qui permit aux commissaires dentendre des tmoignages dexperts sur les expriences africaines en matire de droit la nationalit et dapprhender la nationalit dans une perspective de droit international compar13.

    Paralllement, en 2011, le Comit africain dexperts sur les droits et le bien-tre de lenfant (ci-aprs le Comit des droits de lenfant), suite lexamen de la premire plainte qui lui a t soumise, a rendu une dcision concernant la nationalit des enfants dascendance nubienne, ns au Kenya14. Le Comit des droits de lenfant a considr que le Kenya avait manqu ses obligations au titre de larticle 6 de la Charte africaine des droits et du bien-tre de lenfant, portant sur le droit des enfants un nom, lenregistrement de leur naissance et la nationalit15. Le Comit des droits de lenfant, lors de sa 20e session ordinaire qui a eu lieu Addis Abeba (thiopie) en novembre 2012, a organis un dbat16 gnral sur larticle 6. lissue de ce dbat, il a pris la dcision dlaborer17 lintention des tats parties une Observation gnrale qui prciserait, tenant compte des ralits du continent, le contenu de cet importante disposition de la Charte des droits de lenfant en

    7 Voir paragraphe 5(I) de la Dclaration sur le programme frontire de lUnion africaine et les modalits de sa mise en uvre, Addis Abeba, 7 juin 2007 BP/MIN/Decl.(II), page 4.

    8 Dclaration de Kigali issue de la 6e Confrence des Institutions nationales africaines qui sest tenue du 8 au 10 octobre 2007 Kigali (Rwanda), Prambule 13e considrant.

    9 Dclaration de Kigali issue de la 6e Confrence des Institutions nationales africaines qui sest tenue du 8 au 10 octobre 2007 Kigali (Rwanda), paragraphe (c).

    10 Dclaration de Kigali issue de la 6e Confrence des Institutions nationales africaines qui sest tenue du 8 au 10 octobre 2007 Kigali (Rwanda), paragraphe (c)4.

    11 Voir le paragraphe 24 de la Dclaration de Kampala sur les rfugis, les rapatris et les personnes dplaces internes en Afrique, 22 octo-bre 2009.

    12 Il sagit de lInitiative sur le droit la nationalit en Afrique (CRAI en anglais) cre par le Mouvement Panafricain, lInitiative internatio-nale pour les droits des rfugis (IRRI) et Open Society Justice Initiative (OSJI).

    13 Voir lordre du jour de la journe de discussion sur le droit la nationalit (1er mars 2011) organise par la Commission africaine.

    14 Dcision No. 002/COM/002/09, Institut des Droits de lHomme et du Dveloppement en Afrique (IDHDA) et lInitiative pour la Justice dOpen Society (OSJI) au nom des enfants dascendance nubienne contre la Rpublique du Kenya.

    15 Larticle 6 prvoit: Nom et nationalit : (1) Tout enfant a droit un nom ds sa naissance (2) tout enfant est enregistr immdiatement aprs sa naissance (3) Tout enfant a le droit dacqurir une nationalit (4) Les tats parties la prsente Charte sengagent veiller ce que leurs lgislations reconnaissent le principe selon lequel un enfant a droit dacqurir la nationalit de lEtat sur le territoire duquel il/elle est n(e) si, au moment de sa naissance, il/elle ne peut prtendre la nationalit daucun autre Etat conformment ses lois .16 Il a port sur les liens entre les droits prvus larticle 6 et la jouissance des autres droits prvus par la Charte, des obligations des tats parties en matire denregistrement les naissances et de les archiver, et de clarification entre les concepts de droit dacqurir une nationalit et de droit la nationalit.

    17 Larticle 42 de la Charte des droits de lenfant lui fait obligation de faire connaitre ses vues et prsenter des recommandations aux gouvernements en mme temps que dlaborer et formuler des principes et des rgles visant protger les droits de lenfant en Afrique .

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    apportant des claircissements sur les nouvelles formes denregistrement des naissances utilisant les technologies de linformation, en clarifiant le concept de droit dacqurir la nationalit et surtout en sensibilisant les dirigeants africains sur la ncessit de donner tous les enfants les chances dobtenir un extrait de naissance quils soient ressortissants ou non dun tat partie18 .

    En octobre 2012, la Commission de lUnion africaine organisa, Nairobi (Kenya), un Colloque sur la Citoyennet en Afrique: prvenir lapatridie et les conflits au cours duquel dimportantes recommandations ont t adoptes y compris celle appelant les tats africains dvelopper un instrument juridique rgional sur lapatridie qui tienne compte des ralits africaines, telles que le nomadisme, les migrations historiques et la question des frontires19.

    Toutes choses qui ont pouss ultrieurement la Commission africaine faire le constat que le droit la nationalit, en tant que droit humain fondamental20, nest rellement pas protg en Afrique, pour des raisons lies au refus ou la privation arbitraire de la nationalit des personnes fonde sur la race, lethnie, la langue, la religion, la discrimination fonde sur le sexe, le non-respect des rgles relatives la prvention des cas dapatridie dcoulant de la succession dtats, et le non-enregistrement systmatique des naissances dans nombre dtats africains.

    Lexistence dun nombre important de cas dapatridie sur le continent dont lampleur reste encore mconnue du fait de labsence de statistiques fiables dans nombre dtats africains, ncessite la prise de mesures pour clarifier et renforcer le droit la nationalit au sein du systme rgional des droits de la personne.

    La Charte africaine des droits de lhomme et des peuples (dnomme ci-aprs la Charte africaine) autorise la Commission Africaine, chaque fois que de besoin, faire des tudes et des recherches sur les problmes africains dans les domaines des droits de lhomme et des peuples et surtout formuler et laborer, en vue de servir de base ladoption de textes lgislatifs par les gouvernements africains, des principes et rgles qui permettent de rsoudre les problmes juridiques relatifs la jouissance des droits de lhomme et des peuples et des liberts fondamentales21. Cest ainsi quen 2013, elle a dcid de prendre le problme bras le corps et de confier sa Rapporteure spciale sur les rfugis, les demandeurs dasile, les migrants et les personnes dplaces la tche de mener une tude approfondie sur le droit la nationalit en Afrique.

    En janvier 2014, le Comit des droits de lenfant organisa Nairobi (Kenya) une runion de consultation technique sur le projet dObservation gnrale prpar conformment sa dcision de novembre 2012 laquelle la Commission africaine a t convie. Et aprs deux jours de discussions intenses, le Comit accepta, dans un souci dharmonisation de ses vues avec celles de la Commission africaine sur le contenu du droit la nationalit et les obligations des tats en la matire, dattendre la finalisation de ltude de la Commission africaine sur le droit la nationalit en Afrique pour adopter dfinitivement son projet dobservation gnrale.

    1.2 Mthodologie

    Consciente de ce que le succs dune entreprise aussi complexe dpend trs largement de limplication effective de tous les acteurs intresss par la question du droit la nationalit, la Commission africaine sest employe obtenir de chacun deux la meilleure contribution possible afin davoir une information aussi complte que possible sur la question. Pour ce faire, elle a, au lendemain de ladoption de la Rsolution 234, convi ses principaux partenaires une rencontre de concertation qui a eu lieu Addis Abeba sous lgide de la Commission de lUnion africaine et du Bureau de Reprsentation du Haut-Commissariat aux Rfugis auprs de lUnion africaine au

    18 Voir Rapport de la Vingtime session du Comit africain dexperts sur les droits et le bien-tre de lenfant, 12-16 novembre 2012, Addis Abeba (thiopie), CAEDBE/RPT (XX), page 13.

    19 Voir Recommandation 8 du Colloque de lUnion africaine sur la citoyennet en Afrique: Prvenir lapatridie, prvenir les conflits, Nairobi (Kenya) 22-24 octobre 2012.

    20 Art. 15, Dclaration universelle des droits de lhomme.

    21 Art.45, Charte africaine.

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    cours de laquelle les modalits de ralisation de ltude sur le droit la nationalit et surtout la contribution des diffrents acteurs ont t minutieusement examines.

    Un Groupe de travail sur lapatridie et le droit la nationalit (ci-aprs le GT) a t port sur les fonts baptismaux pour faciliter la supervision de la ralisation de ltude, lvaluation dudit travail par des experts du droit la nationalit avant son examen par la Commission africaine et surtout assurer la mise en uvre des recommandations qui seraient contenues dans le document par elle approuv.

    1.2.1 Recherche documentaire et collecte dinformation Pour lessentiel, le travail du GT a consist appuyer la Rapporteure spciale dans son travail de recherche en lui facilitant:

    lanalyse de toute la littrature sur le droit la nationalit en mettant laccent sur lhistoire et le droit international et compar du droit la nationalit;

    lexamen des cadres constitutionnel et lgislatif en vigueur dans les tats parties la Charte africaine;

    linventaire, par le biais dun questionnaire adress aux tats parties, aux institutions nationales des droits de lhomme affilies et aux organisations de la socit civile ayant un statut dobservateur auprs de la Commission africaine, des cas dapatridie sur le continent;

    ltat des lieux continental en matire denregistrement des naissances et de naturalisation.

    Une quinzaine dtats22, quelques institutions nationales des droits de lhomme23 et des organisations de la socit civile24 ont ainsi fourni la Commission africaine de prcieuses informations sur le cadre juridique, les politiques et les pratiques en cours sur le continent en matire de lutte contre lapatridie et de respect du droit la nationalit.

    1.2.2 Examen de ltude prliminaire Lors de la 54e session ordinaire de la Commission africaine, tenue en Gambie en octobre-novembre 2013, Madame la Rapporteure spciale a prsent, en sance prive, ses pairs la premire mouture de ltude et recueilli leurs commentaires sur le cadre gnral de lanalyse des problmes poss et la direction quelle entendait donner au travail qui a t demand. Le document amend a ensuite t soumis, en avril 2014, Midrand (Afrique du sud) des experts indpendants, des professionnels du droit, des chercheurs et des membres de la socit civile afin de recueillir leurs commentaires et suggestions sur le contenu de ltude et les recommandations prsenter aux membres de la Commission africaine.

    Le document ainsi enrichi a t finalement examin et adopt par la Commission africaine lors de sa 55e session ordinaire qui a eu lieu Luanda (Angola), en avril-mai 2014. Ltude est donc le fruit dune collaboration fconde entre la Commission africaine, les tats parties la Charte africaine, lUnion africaine, le Comit des droits de lenfant, le HCR et ses partenaires de la socit civile. Les recommandations quelle contient visent apporter des solutions juridiques et pratiques aux difficults que rencontrent les millions dAfricains dans leur qute dune vie meilleure dans leurs pays dorigine ou de rsidence.

    22 Il sagit de lAfrique du sud, de lAlgrie, du Bnin, des Comores, de la Cote dIvoire, du Gabon, de la Gambie, du Ghana, de la Guine, de Maurice, de lOuganda, du Rwanda, du Sngal, du Tchad et du Togo.

    23 Il sagit des Commissions nationales des droits de lhomme des Comores, du Tchad et du Togo.

    24 Il sagit dorganisations des droits de lhomme de lAfrique du sud, de la Cote dIvoire, de la Gambie du Ghana, de la Guine, du Kenya, de la Namibie, de lOuganda, du Soudan et de la Tanzanie.

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    1.3 Contexte historique

    la fin des annes 90, les tats africains, prenant conscience des changements fondamentaux qui sont intervenu dans les relations internationales25, ont dcid de dmocratiser leurs socits et dy consolider les institutions dmocratiques. Depuis, des efforts importants ont t accomplis sur le continent pour y faire respecter le droit, en gnral et garantir les droits de la personne, en particulier.

    La cration, en 2000, de lUnion africaine en remplacement de lOrganisation de lUnit Africaine (dnomme ci-aprs lOUA), participe de cet effort. La structure nouvelle entend tre une Union forme dtats dmocratiques respectueux des droits humains et soucieux de construire des socits quilibres do seraient bannis lexclusion, le racisme et les discriminations26 et dont la philosophie repose sur lide que lhomme et plus dun homme sur deux est une femme- (devrait), en toutes circonstances, tre la fois lacteur et le bnficiaire des transformations structurelles engendres par le dveloppement et le dveloppement (devrait) lui permettre dassumer son identit et sa condition au lieu davoir les subir27.

    Et ds la mise en place de ses structures, lUnion africaine sest employe enrichir le droit rgional africain des droits de la personne en y introduisant des normes nouvelles relatives aux personnes dplaces internes, la dmocratie, aux lections et la gouvernance, laccs aux services publics essentiels, etc.

    Paradoxalement, cest au moment o la mise en uvre de ces valeurs partages28 commenait faire reculer les frontires de lindiffrence la souffrance des victimes des violations des droits de lhomme, voire celles de limpunit sur le continent que lactivisme de certains groupes de la socit civile africaine a lev un coin du voile sur la situation lancinante de centaines de milliers, voire des millions, dafricains dont lexistence juridique est fragilise par le fait quils ne sont pas reconnus comme des ressortissants dau moins un pays ou quils sont simplement apatrides. Labsence de nationalit, et plus particulirement de preuves de nationalit, a des consquences graves pour les personnes concernes, car elle les prive:

    de laccs aux services publics;

    de la possibilit de quitter, faute de documents de voyage, le pays ou dy revenir;

    du droit de voter ou de briguer un mandat lectif;

    de la possibilit de donner leur nationalit leurs enfants et leur poux;

    de la possibilit de faire enregistrer leurs enfants la naissance et de les inscrire lcole ou luniversit, etc.

    Les motifs pour lesquels des africains se retrouvent sans nationalit sont nombreux et trs souvent lis lhistoire coloniale de leurs tats respectifs, au trac des frontires tatiques et aux migrations de populations sur le continent, aux discriminations qui structurent les socits africaines, notamment celles fondes sur le sexe et lorigine ethnique, raciale ou religieuse, aux difficults de dplacements que rencontrent les populations frontalires et nomades, etc. Il est aujourdhui tabli que le refus daccorder ou le retrait de la nationalit certaines communauts

    25 Voir notamment la Dclaration de la Confrence des Chefs dtat et de gouvernement de lOrganisation de lUnit Africaine sur la situation politique et socio-conomique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent dans le monde, AGH/DECL.1(XXVI), paragraphes 8 10.

    26 Voir Afrique, Notre destin commun, Document dorientation de la Commission de lUnion africaine, mai 2004, page 24.

    27 Voir Afrique, Notre destin commun, Document dorientation de la Commission de lUnion africaine, mai 2004, page 25.

    28 LUnion africaine dfinit ces valeurs partages comme les normes, les principes et les pratiques qui ont t labors ou acquis et qui servent de base pour des actions et des solutions collectives dans la recherche de solutions aux problmes politiques, conomiques et sociaux qui empchent lintgration et le dveloppement de lAfrique. Ces valeurs font partie intgrante des individus, de la socit, de la rgion, du con-tinent et du monde. Elles ne sont pas incompatibles et souvent se compltent et se renforcent dans la mesure o il existe des interactions entre les individus et les communauts. Voir en ce sens Des valeurs partages pour renforcer lUnit et lintgration, Document de travail de lUnion africaine, 2010, paragraphe 5.

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    ou des personnalits a t lorigine des conflits qui ont, notamment en Cte divoire29, en Rpublique dmocratique du Congo, en Mauritanie, en Ouganda ou encore au Zimbabwe, provoqu les violations les plus graves des droits de la personne humaine que le continent a connues ces dix dernires annes30.

    Labsence dun cadre juridique appropri pour faire droit aux demandes lgitimes des victimes et mettre un terme aux injustices explique la persistance du flau dans nombre de rgions du continent.

    Bien que le droit la nationalit ne figure pas dans la liste des droits protgs dans la Charte africaine31, les tats africains y font allusion en adoptant des dispositions qui comparent les droits du citoyen32 ceux de ltranger33 et voquent les devoirs de lindividu de servir sa communaut nationale34, de protger la scurit de ltat dont il est le national35 ou encore de renforcer la solidarit sociale et nationale36. Le texte, de faon notable, interdit formellement lexpulsion collective dtrangers, cest--dire celle qui vise des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux37 .

    Mais la Commission africaine, lorsquelle a t saisie de problmes lis au droit la nationalit, a fait preuve dinventivit en interprtant certaines dispositions de Charte africaine, telles que celles interdisant toute discrimination (article 2)38, affirmant lgalit des personnes devant la loi (article 3)39, le respect de la dignit individuelle (article 5)40, le droit un procs quitable (article 7)41, la libert de circulation des personnes (article 12)42, la participation la gestion de

    29 Dans louvrage, La nationalit en Afrique, ditions Karthala, avril 2009 de Bronwen Manby, un combattant des Forces Nouvelles, opposes au gouvernement central explique la guerre civile ivoirienne de la faon suivante: il nous fallait une guerre, parce quil nous fallait nos cartes didentit. Sans carte didentit, vous ntes rien dans ce pays (page 17).

    30 Bronwen Manby, La nationalit en Afrique, ditions Karthala, 2011.

    31 Larticle XXVIII de lAvant-projet de Charte africaine des droits de lhomme et des peuples (CAB/LEG/67/1) prpar par Feu le Juge Kba MBAYE disposait que toute personne a droit la nationalit, que toute personne a droit la nationalit de ltat de son territoire de naissance sil na pas droit une autre nationalit et que nul ne peut tre arbitrairement priv de sa nationalit ni du droit de changer de nationalit.

    32 Voir les alinas 1 (droit des citoyens de participer librement la direction des affaires publiques) et 2 (droit des citoyens daccder aux fonctions publiques) de larticle 13 de la Charte africaine.

    33 Voir les alinas 4 et 5 de larticle 12 de la Charte africaine.

    34 Voir lalina 2 de larticle 29 de la Charte africaine.

    35 Voir lalina 3 de larticle 29 de la Charte africaine.

    36 Voir lalina 4 de larticle 29 de la Charte africaine.

    37 Voir lalina 5 de larticle 12 de la Charte africaine.

    38 Voir Communication No. 71/92, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lhomme (RADDHO) contre Zambie, Communication No. 211/98 Legal Resources Foundation contre Zambie, Communication No. 212 Amnesty International (au nom de William Steven Banda et John Lyson Chinula) contre Zambie, Communication No. 233/99 et 234 INTERIGHTS (au nom du Mouvement Panafricain et de Citizen for Peace drythre) contre thiopie, Communication No. 249/02 Institut des Droits de lHomme et du Dveloppement en Afrique (au nom des refugis sierra lonais en Guine) contre la Rpublique de Guine et Communication No. 262/02 Mouvement ivoirien des droits de lhomme (MIDH) contre Cte dIvoire.

    39 Voir Communication No. 97/93 John K. Modise contre Botswana, Communication No. 233/99 et 234 INTERIGHTS (au nom du Mouvement Panafricain et de Citizen for Peace drythre) contre thiopie.

    40 Voir Communication No. 97/93 John K. Modise contre Botswana, Communication No. 233/99 et 234 INTERIGHTS (au nom du Mouvement Panafricain et de Citizen for Peace drythre) contre thiopie, Communication No. 212 Amnesty International (au nom de William Steven Banda et John Lyson Chinula) contre Zambie.

    41 Communication No. 159/96, Union Inter-africaine des Droits de lHomme, Fdration Internationale des Ligues des Droits de lhomme, Ren-contre Africaine pour la Dfense des Droits de lHomme, Organisation Nationale des Droits de lhomme et Association Malienne des Droits de lHomme contre Angola, Voir Communication No. 97/93 John K. Modise contre Botswana, Communication No. 233/99 et 234 INTERIGHTS (au nom du Mouve-ment Panafricain et de Citizen for Peace drythre) contre thiopie, Communication No. 71/92, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lhomme (RADDHO) contre Zambie, Communication No. 211/98 Legal Resources Foundation contre Zambie, Communication No. 212 Amnesty Inter-national (au nom de William Steven Banda et John Lyson Chinula) contre Zambie, Communication No. 249/02 Institut des Droits de lHomme et du Dveloppement en Afrique (au nom des refugis sierra lonais en Guine) contre la Rpublique de Guine et Communication No. 262/02 Mouvement ivoirien des droits de lhomme (MIDH) contre Cte dIvoire.

    42 Communication No. 71/92, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lhomme (RADDHO) contre Zambie, Communication No. 159/96, Union Inter-africaine des Droits de lHomme, Fdration Internationale des Ligues des Droits de lhomme, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lHomme, Organisation Nationale des Droits de lhomme et Association Malienne des Droits de lHomme contre Angola, Com-munication No. 233/99 et 234 INTERIGHTS (au nom du Mouvement Panafricain et de Citizen for Peace drythre) contre thiopie, Communication No. 249/02 Institut des Droits de lHomme et du Dveloppement en Afrique (au nom des refugis sierra lonais en Guine) contre la Rpublique de Guine.

  • 1. Introduction | 7

    chose publique (article 13)43, le respect de la famille et la protection des droits des femmes et des enfants (article 18)44, afin de rendre implicite le droit dans le trait continental.

    La prise de conscience de cette lacune normative au niveau de la Charte africaine et de lexemple de la Convention des Nations Unies relative aux droits de lenfant, adopte en 1989, a certainement pouss les dirigeants africains inclure, en 1999, le droit de lenfant la nationalit dans la Charte africaine des droits et du bien-tre de lenfant (ci-aprs la Charte des droits de lenfant)45

    et demander aux tats africains de veiller ce que leurs lgislations reconnaissent le principe selon lequel un enfant a droit dacqurir la nationalit de ltat sur le territoire duquel il/elle est n(e) si, au moment de sa naissance, il/elle ne peut prtendre la nationalit daucun autre tat conformment ses lois46 . Un premier pas tait ainsi fait dans la volont du continent daccentuer le combat contre lapatridie.

    Cette premire brche ouvrira la voie laffirmation, en 2003, dans le Protocole la Charte africaine relatif aux droits des femmes en Afrique47, du droit de la femme dacqurir une nationalit et, en cas de mariage, celle de son mari48. Mme si le texte reste silencieux sur dautres aspects importants, comme le droit de lpouse de transmettre sa nationalit son poux et ses enfants, il affirme toutefois que la femme et lhomme ont les mmes droits en ce qui concerne la nationalit de leurs enfants sauf sil existe des dispositions contraires dans la lgislation nationale ou si cela est contraire aux exigences de la scurit nationale49.

    Ces nouvelles dispositions nont, cependant, eu quun impact trs limit sur le continent, du fait notamment de labsence de rception systmatique de ces traits dans lordre juridique interne des tats parties et de leur invocation trs exceptionnelle devant les juridictions nationales ou rgionales par les individus dont les droits la nationalit sont contests ou dnis. Cela est dautant plus inquitant que la question du droit la nationalit se complexifie de plus en plus, tant donn la persistance de problmes de longue date tels que:

    la pratique du pastoralisme africain50, qui a toujours transcend les frontires tatiques mais doit dsormais tenir compte des contraintes lies aux migrations, au terrorisme, aux crimes organiss, linscurit et surtout au changement climatique51;

    lexistence des frontires hrites de la colonisation et leur modification suite aux dcisions de la Cour Internationale de Justice (CIJ) (Cameroun-Nigeria, Burkina Faso-Niger, etc.) ainsi que la naissance de nouveaux tats (rythre et Sud-Soudan) qui risquent de dteindre sur la nationalit de millions dafricains;

    la place de la Diaspora africaine, dfinie comme la sixime rgion du continent52, dans les tats dont les lgislations sont silencieuses sur son statut national.

    Le temps est donc venu de clarifier les termes du dbat sur le droit la nationalit en Afrique et

    43 Communication No. 211/98 Legal Resources Foundation contre Zambie.

    44 Communication No. 212 Amnesty International (au nom de William Steven Banda et John Lyson Chinula) contre Zambie, Communication No. 71/92, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lhomme (RADDHO) contre Zambie, Communication No. 159/96, Union Inter-africaine des Droits de lHomme, Fdration Internationale des Ligues des Droits de lhomme, Rencontre Africaine pour la Dfense des Droits de lHomme, Organisa-tion Nationale des Droits de lhomme et Association Malienne des Droits de lHomme contre Angola.

    45 Voir paragraphe 3 de larticle 6 de la Charte des droits de lenfant. Dans la Decision on the communication submitted by the Institute for Human Rights and Development in Africa and the Open Society Justice Initiative (on behalf of children of Nubian descent in Kenya) contre The Government of Kenya dans laquelle le Comit africain dexperts sur les droits et le bien-tre de lenfant note que Article 6(3) does not explicitly read, unlike the right to a name in Article 6(1) that every child has the right from his birth to acquire nationality. It only says that every child has the right to acquire a nationality (paragraphe 42).

    46 Voir le paragraphe 4 de larticle 6 de la Charte des droits de lenfant.

    47 Le Protocole la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (ci-aprs le Protocole sur les droits des femmes).

    48 Voir le paragraphe (g) de larticle 6 du Protocole sur les droits des femmes.

    49 Voir le paragraphe (h) de larticle 6 du Protocole sur les droits des femmes.

    50 Qui concernerait quelques 260 millions dafricains selon lUnion africaine (Voir Dpartement dconomie rurale et dagriculture, Cadre pour une politique du pastoralisme en Afrique: scuriser, protger et amliorer les vies, les moyens dexistence et les droits des communauts pasto-rales, Octobre 2010, page 19).

    51 Voir sur ces questions, voir Cadre pour une politique du pastoralisme en Afrique: scuriser, protger et amliorer les vies, les moyens dexistence et les droits des communauts pastorales, op. cit.

    52 Voir Le Plan stratgique de la Commission de lUnion africaine, Volume 1 Vision davenir et missions de lUnion africaine, Mai 2004, p. 27.

  • 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 98 | Le droit la nationalit en Afrique

    de rechercher des solutions prennes aux problmes que les africains rencontrent en la matire, en procdant une analyse aussi exhaustive que possible des lgislations africaines en la matire afin didentifier les obstacles politiques, juridiques et mme sociologiques devant tre surmonts pour permettre aux millions dafricains dviter la pnible condition dapatride.

    Lidentification des lments constitutifs de la notion juridique de nationalit consacre par la Dclaration universelle des droits de lhomme et renforc par les rcents dveloppements du droit international, lanalyse minutieuse des lgislations nationales la lumire des principes dgags depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale par la doctrine internationale, la jurisprudence de la CIJ, une valuation de la pratique des tats et surtout la connaissance de lhistoire de la notion semblent tre ncessaires pour mieux saisir la problmatique de la nationalit en Afrique afin dy apporter les solutions idoines.

  • 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 9

    2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit

    En droit, dit-on, pour bien comprendre ce qui est, il faut assurment connatre ce qui a t53 . Rapporte la notion de nationalit, cette vrit commande de revisiter ses origines, suivre son volution depuis la date de son apparition en tant que notion juridique vers la fin du 18e sicle54, pour saisir sa signification relle en Afrique et surtout mieux apprhender le contenu des lgislations nationales africaines en la matire.

    Par sa racine tymologique, le terme nationalit drive du mot nation et suggre que la nationalit est, avant tout, une notion politique traduisant lappartenance dune personne une nation. Mais la nature ou le sens de ce lien de rattachement ltat a volu au cours de lhistoire et permis un largissement du contenu de la notion qui signifie aussi un lien juridique de rattachement de la personne la population dun tat qui intgre aussi une dimension idologique (solidarit effective dintrts, rciprocit de droits et de devoirs), affective (solidarit effective de sentiments) et culturelle (fait social de rattachement)55.

    La nationalit est aussi confondue avec la notion de citoyennet56 mais force est de reconnatre des nuances importantes dans la signification des termes en franais, en anglais et dans les autres langues officielles du continent. Le terme citoyennet, notamment, a des connotations de participation et dexercice des droits civils et politiques qui ne sont pas portes par le mot nationalit57. Toutefois, le droit international contemporain a recours aux deux expressions de manire interchangeable pour dsigner le lien juridique entre un individu et un tat.

    vrai dire, labsence de travaux sur la problmatique de la nationalit dans lAfrique prcoloniale est un vritable handicap dans la comprhension de la relation que les Africains avaient les structures tatiques dalors. Cependant, les auteurs qui ont tudi les diffrentes formes dtats (le Clan ou Lignage, Royaume et Empire58) qui ont exist lpoque sur le continent et les types de solidarits que les communauts ont pu nouer entre elles59 ont laiss entendre que la citoyennet tait vcue dune manire totalement diffrente.

    Selon le Professeur Joseph KI-ZERBO, expert reconnu en la matire et lun des auteurs de lHistoire gnrale de lAfrique de lUNESCO, les Africains, en labsence dun pouvoir tatique fortement centralis, se rclamaient, cette poque, de plusieurs types de citoyennets ayant chacune son cadre, son terroir, ses groupes de gestion et dautogestion60 . Lexemple du Mand est son avis trs illustratif de la spcificit de la citoyennet sur le continent en ce sens que tous ceux qui appartenaient au royaume du Mali, avaient une sorte de citoyennet malienne. Quand les gens se dplaaient, on les regardait comme des ressortissants du Mali, A partir du dernier village

    53 Voir Charles Demangeat, Histoire de la condition civile des trangers en France dans lAncien et le nouveau droit, Paris, Joubert, 1844, pages 1-2.

    54 Voir Michel Verwilghen, Conflits de nationalits, pluralit et apatridie, Recueil des cours de lAcadmie de droit international de La Haye, 1999, Tome 277, Martinus Nijhoff Publishers 2000, pages 48 et suivantes.

    55 Voir M. Claude Goasguen, Rapport dinformation No 3605 sur le droit de la nationalit en France, Assemble nationale franaise, 29 juin 2011, page 142.

    56 Voir Jean Salmon, Dictionnaire de droit international, ditions Bruylant, Bruxelles, 2001 page 175 ou le terme citoyennet est synonyme de nationalit.

    57 Voir Pierre Franois Gonidec La nationalit dans les tats de la Communaut et dans les tats marginaux , in Annuaire Franais de Droit International (AFDI), Volume 7, 1961, pages 814-835.58 Voir sur cette question, Djibril Tamsir Niane, Introduction dans Histoire gnrale de lAfrique, IV LAfrique du XIIe au XVIe sicle, UNES-CO/NEA, 1985, page 33.

    59 Voir sur cette question, Joseph Kizerbo, La solidarit au sein du monde noir in Regards sur la socit africaine, Panafrika, Silex/Nou-velles du Sud, 2008, pages 153-168.

    60 Sur cette question, voir Joseph Kizerbo, quand lAfrique: entretien avec Ren Holenstein, ditions de lAube, 2003, page 79.

  • 10 | Le droit la nationalit en Afrique 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 11

    appartenant au Mali, on regardait ceux qui venaient dailleurs comme appartenant dautres entits. Les ressortissants du Mali taient des Mandinka. Ce terme dsignait la fois celui qui venait du pays mandingue et le ressortissant de lempire du Mali. Partout en Afrique, la rfrence la grande famille, au village, au quartier, au canton compt(ait) beaucoup61.

    Il semble, en outre, que les peuples, malgr les frictions qui pouvaient exister entre eux, taient le plus souvent en tat dosmose, et dchanges symbiotiques, aux niveaux des usages sociaux, des langues, des danses, des idologies, des religions. Cette solidarit inter-ethnique, dont la parent plaisanterie tait lune des formes les plus acheves, explique pourquoi ltranger faisait toujours lobjet dune protection particulire dans nombre dtats prcoloniaux62.

    La colonisation va, avec ses lois et ses pratiques, changer la donne et imposer une nouvelle philosophie de la nationalit dont les racines sont fondamentalement occidentales.

    Dans les pays de Common Law, la nationalit, en tant que concept juridique sest dveloppe partir de la notion dallgeance, dont lorigine peut tre trace en Angleterre durant la priode fodale63. Il sagit dune obligation de fidlit et dobissance quun vassal a envers son suzerain en contrepartie de la protection que celui-ci lui apporte. Le Roi tant devenu le Seigneur fodal, lensemble de la population se trouvant dans le royaume, y compris les trangers, se plaa donc place sous sa protection et devint sujet de la Couronne (British Subjects). Personne ne pouvait chapper cette allgeance qui tait unique64.

    Mais pour que le systme dallgeance fonctionnt perfection, il fallait quil soit rel, cest dire sexert dans les limites du territoire du Royaume, personnel65, en ce sens que lallgeance tait due la personne du Roi et non la Couronne, et perptuel, parce que le lien ne pouvait tre rompu ou suspendu.

    Cest cette doctrine qui sest, par la suite, rpandue dans les territoires acquis la faveur des conqutes coloniales. Les individus ns dans ces territoires, appels colonies de la Couronne britannique ( crown colonies )66 devenaient des sujets britanniques quel que soit le statut de leurs parents parce quil ya une allgeance naturelle des sujets envers Sa Majest en contrepartie de la protection quelle leur accorde. Cette rgle fut maintenue pour les colonies qui sont devenues des dominions autonomes67.

    Cependant, la plupart des autres territoires britanniques dAfrique, taient des protectorats, cest--dire des territoires trangers sous la protection de la Couronne Britannique. Il sy appliquait le systme dit de l indirect rule , on avait le statut de personne protge par la Couronne britannique ( British protected person ) qui procurait son titulaire des droits en Grande Bretagne mais qui taient en de de ceux des Sujets britanniques.

    Pendant cette priode initiale, il y avait deux procdures par lesquelles un tranger, par naissance, pouvait devenir un Sujet britannique:

    la naturalisation, qui ncessitait une dcision du Parlement et permettait son titulaire de jouir de tous les droits sauf les droits politiques;

    la denization , accorde par la Couronne, permettait de jouir de tous les droits des sujets britanniques, except les droits politiques.

    61 Joseph Kizerbo, op cit. Cest nous qui soulignons.

    62 Sur la protection de ltranger, voir lnonc 24 de la Charte de Kurukan Fuga selon lequel au Mand ne faites jamais du tort aux tran-gers. in Celhto, La Charte de Kurukan Fuga, Aux sources dune pense politique en Afrique, LHarmattan, 2008, page 51.63 Voir Clive Parry, British Nationality, London, Stevens and Sons, 1951, page 7 cit par Michel Verwilghen, Conflits de nationalits, pluralit et apatridie, op cit. page 50:For at Common Law, the basis of nationality was permanent allegiance to the Crown.

    64 Fransmans British Nationality Law, Third Edition, Bloomsbury Professional, 2011.

    65 Ce principe souffrait de quelques exceptions qui concernaient les princes royaux ns en pays trangers, les enfants ns ltranger de pre militaires au service du Roi, les enfants ns dans les bateaux battant pavillon britannique et les enfants ns de sujets anglais ayant fui le pays durant une pidmie.

    66 Qui comprenaient la plus grande partie du Kenya et de la Rhodsie du Sud, ainsi que la Gambie, Lagos, la Cte-de-lOr et Freetown.

    67 Seule lAfrique du Sud tait concerne en Afrique.

  • 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 11

    En 1870, une lgislation introduisit le concept de renonciation la nationalit britannique et prvoyait, pour la premire fois, la possibilit pour une britannique marie un tranger de perdre sa nationalit. Cependant, toutes les rgles relatives la nationalit relevaient plus de la Common Law et des principes de la Jurisprudence que dune quelconque forme de lgislation.

    En 1914, la British Nationality and Status of Aliens Act de 1914 confirme le principe de lacquisition de la nationalit par:

    la naissance68;

    la naturalisation;

    le mariage un britannique.

    La nationalit tait symtriquement perdue, en cas de renonciation, dacquisition dune autre nationalit, de mariage, pour les femmes, un tranger, ou de perte de la nationalit par lun de ses parents.

    En 1948, la premire lgislation complte fut adopte la suite de la dcision dun des territoires, savoir le Canada, davoir sa propre loi sur la nationalit. Dsormais, le statut de citoyen du Royaume-Uni et des colonies remplaa le statut de Sujet britannique, et le droit de la nationalit fut, par la mme occasion codifi dune manire complte pour la premire fois. Ainsi, on obtenait la nationalit britannique:

    la naissance sur le territoire du Royaume-Uni ou dun des colonies;

    par naturalisation;

    si on est n, ltranger, dun pre lui-mme citoyen britannique;

    par le mariage.

    Lune des consquences de la Loi britannique sur la nationalit de 194869 est la cration dune sorte de citoyennet commune, savoir la citoyennet du Commonwealth qui peut tre considre comme la somme de la citoyennet britannique et de celles des anciennes colonies70 de la Couronne dont la principale utilit est de placer les nationaux des tats membres rsidant dans un pays quelconque du Commonwealth, dans une situation diffrente de celle des trangers71.

    Dans les pays de droit civil, notamment en France, la nationalit a aussi servi, sous la Monarchie absolue, dfinir le rapport la royaut et au Roi. Le Franais devait, cette poque, tre rgnicole, cest--dire tre n et demeurer dans le royaume et reconnatre la souverainet du Roi en se reconnaissant son sujet72.

    partir du XVIIe sicle, le lien de filiation permet lattribution de faon autonome de la nationalit franaise un individu, mais la naissance sur le sol de France reste le critre dominant dattribution de la nationalit. Contrairement lenfant n sur le territoire du royaume de parents trangers, un enfant de parents franais n ltranger doit demander au Roi une lettre de naturalit pour confirmer sa nationalit lorsquil revient sur le territoire du Royaume.

    La Rvolution franaise de 1789 unifie les critres dattribution de la nationalit, louvre aux trangers (juifs et gens de couleur) et aux esclaves et cre le concept du citoyen. Celui-ci va introduire une nouvelle conception de la nationalit en considrant comme citoyen, et donc national, toute personne qui accepte de se plier aux rgles dictes par les lois du pays, la Constitution en tte. Sous ce registre, nationalit et citoyennet se confondent.

    68 Voir British Nationality and Status of Aliens Acts, 1914 to 1933, 4 and 5 Geo 5, c .17. Part I(1)(a).

    69 Notamment son article 1er qui disposait que toute personne qui, en vertu de la lgislation actuellement en vigueur dans un des pays numrs dans lalina suivant, est un citoyen de pays, sera, du fait de mme de cette citoyennet, sujet britannique.

    70 Ces derniers restent libres de dterminer dans quelle mesure les citoyens du Commonwealth jouiront des droits et privilges reconnus leurs propres ressortissants.

    71 Voir Pierre Franois Gonidec, Note sur la nationalit et les citoyennets dans la Communaut in Annuaire Franais de Droit Internatio-nal, Volume 5, 1959, page 756.72 Voir Patrick Weil, Mission dtude des lgislations de la nationalit et de limmigration: des conditions dapplication du principe du droit du sol pour lattribution de nationalit franaise, La Documentation franaise, 1997, page 3.

  • 12 | Le droit la nationalit en Afrique 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 13

    Le Code Napolon (Code civil franais de 1803) va distinguer la citoyennet de la qualit de franais : lexercice des droits civils est indpendant de la qualit de citoyen, laquelle ne sacquiert et ne se conserve que conformment la loi constitutionnelle. Tout franais jouira des droits civils73. La filiation reste le principal moyen dattribution de la nationalit.

    La distinction entre nationalit et citoyennet va trouver dans le droit colonial sa conscration car de 186574 jusqu 194675, les coloniss, lexception notable des Sngalais des Quatre communes, seront traits comme des sujets privs de droits et liberts dmocratiques lmentaires et soumis des dispositions discriminatoires et rpressives.

    Les indignes ont la nationalit mais nont pas la citoyennet franaise, moins de lacqurir dans des conditions tout fait exceptionnelles. Ils ne sont pas soumis au Code civil franais mais au droit local (musulman ou coutumier). Ils nont pas de droits politiques mais peuvent tre astreints diffrentes obligations notamment lobligation militaire76.

    La loi franaise du 26 juin 1889 introduit des innovations importantes:

    elle consacre la naissance sur le territoire franais comme critre fondamental dattribution de la nationalit franaise;

    lindividu n en France dun tranger qui lui-mme y est n est franais de naissance;

    lindividu n en France dun parent tranger n hors de France, devient franais, la condition dtre domicili en France sa majorit77.

    la fin de la Deuxime Guerre mondiale, alors que tout donne penser que le pays sachemine vers la concrtisation de lgalit des droits entre indignes et citoyens, la France persiste dans son particularisme juridique qui veut quelle soit assimilatrice et tendue vers lunit78 cause notamment de la distinction entre Dpartements et Territoires doutre-mer. Pendant que la Constitution de 1946 dispose que tous les ressortissants des territoires doutre-mer ont la qualit de citoyens franais79, le Code de la nationalit du 19 octobre 1945 est dclar applicable aux seuls ressortissants des Dpartements doutre-mer. Il a fallu un Dcret du 24 fvrier 1953 pour mettre un terme cette anomalie et faire du Code de 1945 la Charte de la nationalit franaise dans les Territoires doutre-mer80 .

    La Constitution franaise du 4 octobre 1958 va finalement regrouper les Dpartements et les Territoires doutre-mer81 tels que dfinis par la Loi-cadre du 23 juin 1956 et ses textes dapplication dans une Communaut82 o ils bnficient dune autonomie qui leur permet de sadministrer eux-mmes et de grer dmocratiquement et librement leurs propres affaires. Larticle 77 de la Constitution prend soin de prciser quil nexiste quune citoyennet de la Communaut qui nest rien dautre que la citoyennet franaise et que tous les citoyens sont gaux en droit, quelles que soient leur origine, leur race et leur religion.

    Mais cette citoyennet de la Communaut sera vite abandonne avec la dcision des autorits franaises dautoriser les territoires sous tutelle, placs sous leur juridiction par la Socit des Nations et ensuite par les Nations Unies, lgifrer en matire de nationalit83 avant leur accession

    73 Voir Article 7 du Code Napolon.

    74 Date ddiction du Snatus-Consulte sur lAlgrie qui pose le principe de lexistence sur le territoire algrien de franais et dindignes.

    75 Cration de lUnion franaise

    76 Voir Christian Bruschi, La nationalit dans le droit colonial, Cahiers danalyse politique et juridique, No. 18, 1987, page 29 et suivantes.

    77 Voir Christian Bruschi, La citoyennet et la nationalit dans lhistoire, carts dIdentit, No. 75, page 2 et suivantes.

    78 Voir Pierre Franois Gonidec, Lvolution de la notion de citoyennet dans la Communaut des nations britanniques in La Revue juri-dique et politique de lUnion franaise, Tome 1, 1947, LGDJ, page 391.79 Article 80 de la Constitution de 1946. Les territoires doutre-mer incluaient les territoires dAfrique occidentale, dAfrique quatoriale et de Madagascar, le Territoire de la Cote franaise des Somalis et des Comores.

    80 Voir Pierre Franois Gonidec, Note sur la nationalit et les citoyens de la Communaut in Annuaire Franais de Droit International, Volume 5, page 748.

    81 lexception notable de du territoire de la Guine devenu indpendant lissue du Rfrendum du 28 septembre 1958 sur la Constitution franaise de 1958.

    82 Voir le Titre 12 de la Constitution de 1958 De la Communaut.

    83 Ce fut le cas avec le Togo par lOrdonnance du 30 dcembre 1958 et le Cameroun par lOrdonnance du 29 novembre 1959.

  • 2. Aux origines des lois africaines sur la nationalit | 13

    la souverainet internationale et la volont des autres tats membres de devenir des tats souverains et donc capables de dterminer les conditions daccession leur nationalit.

    Cet clairage historique sur la notion de nationalit permet cerner les problmes juridiques qui se poseront lorsque les tats africains succderont aux autorits coloniales dans la dtermination du contenu des lois nationales sur la question.

  • 14 | Le droit la nationalit en Afrique 3. Dfinition juridique de la nationalit | 15

    3. Dfinition juridique de la nationalit

    Il nexiste pas, ce jour, de dfinition unanimement accepte de la nationalit. On peut, nanmoins, partir dune analyse combine de lhistoire de la notion, de la doctrine, des dcisions judiciaires et des rares textes conventionnels adopts sur la question, dgager quelques traits caractristiques de la notion de nationalit.

    La premire vidence est que la notion de nationalit est consubstantielle celle de ltat. Lexistence dune nationalit suppose lexistence dun tat souverain. Sur ce point, le droit international et la doctrine sont unanimes car lun dfinit la nationalit comme le lien juridique entre une personne et un tat84 alors que lautre lanalyse comme une appartenance juridique dune personne la population constitutive dun tat85, un lien politique en vertu duquel un individu fait partie des lments constitutifs dun tat ou encore le fundamental legal bond between an individual and a State giving rise to reciprocal rights and duties86 .

    Quant la jurisprudence internationale, elle dfinit la nationalit comme un lien juridique ayant sa baseun fait social de rattachement, une solidarit effective dexistence, dintrts, de sentiments jointe une rciprocit de droits et de devoirs et comme lexpression juridique du fait que lindividu auquel elle est confre, soit directement, soit par la loi, soit par un acte dautorit, est, en fait plus troitement attach la population de ltat qui la lui confre qu celle de tout autre tat87.

    Mme si cette dfinition prtorienne doit tre contextualise, notamment en raison de la question particulire qui avait t pose la Cour par lune des parties88, il reste quen matire de nationalit la relation entre lindividu et ltat doit tre effective: lindividu doit jouir de tous les droits et tre tenu de respecter les obligations que la lgislation de ltat accorde ou impose aux citoyens89. Tout comme ltat est tenu de crer les conditions de lexercice libre de ces droits et surtout de lui garantir une totale protection car les effets juridiques indispensables lexercice de nationalit se dploient sur son territoire, comme le droit dexercer une fonction publique ou encore daccder lducation ou la sante.

    On a mme pu dire que la nationalit navait dintrt juridique que par lexistence de diffrences entre le national et ltranger90 et tir de cette affirmation la distinction entre la nationalit dorigine qui aurait une efficacit totale, en tant quelle nest pas contredite par une autre nationalit et la naturalisation qui peut faire lobjet de contestation pour fraude ou pour abus de droit et mme tre [] expose lextinction pour des causes diverses91.

    Dans tous les cas, ltat est tenu de protger ses nationaux de deux manires:

    84 Voir larticle 2 de la Convention europenne sur la nationalit, Strasbourg, 6.XI.1997. Conseil de lEurope, Srie des traits europens No. 166.

    85 Voir Henri Batiffol, Trait lmentaire de Droit international priv, 2e dition, No. 60.86 Voir James Fox, Dictionary of international and comparative law, Oceana Publications, 1992, page 297.

    87 Voir CIJ, Affaire Nottebohm (Liechtenstein contre Guatemala), arrt du 6 avril 1955, page 20.

    88 Le Guatemala demandait, en effet, la Cour de prciser les conditions dopposabilit internationale dune naturalisation accorde par un tat en application de sa propre lgislation.

    89 Voir CIJ, Affaire Nottebohm (Liechtenstein contre Guatemala), arrt du 6 avril 1955, page 20.

    90 Voir Paul Lagarde La nationalit in Denis Alland et Stphane Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Presses Universitaires de France, Paris 2003, page 1052.

    91 Voir F de Castro, La nationalit, la double nationalit et la supra-nationalit in Recueil des Cours de lAcadmie du droit international, 1961, page 583.

  • 3. Dfinition juridique de la nationalit | 15

    une aide et assistance apportes par les agents diplomatiques et consulaires aux nationaux dans lexercice de leurs droits ou de leurs activits licites ltranger;

    lintroduction de recours pour rclamer ltat, qui aurait manqu ses obligations vis--vis de ces personnes, des dommages et intrts, conformment au droit international92.

    Dans les deux cas, ltat, en intervenant, fait valoir son propre droit et non celui du national; il ne reprsente pas ce dernier93.

    Il existe galement une vision plus large de la nationalit qui est celle des tenants dune approche finaliste qui revendique la reconnaissance juridique de leffectivit des liens sociaux entre un tat et un individu qui peut mme tre un tranger. Selon cette approche, la nationalit nest que lexpression juridique ou la traduction juridique dun fait social94.

    En droit international, les arguments en faveur de la reconnaissance juridique des droits acquis sur la base dun lien avec ltat ont t partiellement reconnus par le Comit des droits de lhomme (ci-aprs CDH) des Nations Unies, qui, examinant la question de la libert de mouvement et du droit de la personne de retourner dans son propre pays, considre que lexpression son propre pays nest pas limite la nationalit au sens strict du terme, savoir la nationalit confre la naissance ou acquise par la suite, mais sapplique, pour le moins, toute personne qui, en raison des liens particuliers quelle entretient avec un pays donn ou des revendications quelle a cet gard, ne peut pas tre considre dans ce mme pays comme un simple tranger95.

    Ces contestations sur le contenu du droit la nationalit, fondes sur les droits de la personne, ont t, par la suite, confirmes mais aussi modifies par le droit international.

    92 Voir CIJ, Affaire Amadou Sadioi Diallo (Rpublique de Guine contre Rpublique dmocratique du Congo, arrt du 19 juin 2012.

    93 Jean Salmon, La protection diplomatique, Bruxelles, Bruylant, 1994, page 105, No. 154.94 Voir Professeur Basdevant dans la Revue de Droit International Priv, 1909, page 61.

    95 Voir lObservation gnrale No. 27, Libert de circulation (art.12), U.N. Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999).

  • 16 | Le droit la nationalit en Afrique 4. Les limites de la souverainet tatique | 17

    4. Les limites de la souverainet tatique

    Jusquau dbut du 20e sicle, tout le monde saccordait que la dtermination des rgles relatives la nationalit relevait du domaine rserv de ltat et le droit international laissait chaque ordre juridique tatique le soin de dterminer le rgime juridique de la nationalit96. Les lois nationales fixaient les critres dattribution, de perte ou de recouvrement de la nationalit et dterminaient les preuves apporter en cas de contestation de la nationalit ou encore celles relatives son contentieux.

    Ce pouvoir discrtionnaire de ltat dans la dtermination des procdures et pratiques relatives la nationalit a t raffirm par la CIJ dans laffaire prcite Nottebohm lorsquelle affirme qu il appartient au Liechtenstein, comme tout tat souverain, de rgler par sa propre lgislation lacquisition de sa nationalit ainsi que de confrer celle-ci par la naturalisation octroye par ses propres organes conformment cette lgislation [] la nationalit rentre dans la comptence nationale de ltat97.

    On a, cependant, dduit de ce principe que, si un tat ne pouvait pas intervenir dans les procdures de dtermination des nationaux dun autre tat, sa lgislation sur la nationalit devait prendre en considration la lgislation des autres tats, ne serait-ce que, par exemple, pour grer les questions de double-nationalit et dapatridie. Ce qui, en pratique, tait dj une premire limitation la comptence exclusive dans la dtermination de la nationalit.

    La Cour permanente de Justice Internationale (dnomme ci-aprs la CPJI) avait aussi, dans deux avis consultatifs98 de 1923, pos le principe de lexigence de la conformit des lois sur la nationalit aux traits en prcisant que si dune manire gnrale, il est vrai quun tat souverain ait le droit de dterminer quelles personnes sont considres comme ses ressortissants, il nest pas moins vrai que ce principe nest applicable que sous rserve des engagements conventionnels (de cet tat)99.

    La Convention de la Haye de 1930 reprendra cette condition son compte en y ajoutant deux autres, savoir la coutume internationale et les principes gnraux de droit reconnus en matire de nationalit trs rares cette poque100.

    Depuis, le droit international a volu et consacr, en deux tapes, un droit individuel une nationalit :

    la premire phase, qui va de la fin de la 2e guerre mondiale au dbut des annes 70, peut tre considre comme celle du plaidoyer de lOrganisation des Nations Unies (ci-aprs lONU) en faveur dun droit international la nationalit et qui sera matrialis par llaboration, sous son gide, dun grand nombre de traits contenant des principes sur la nationalit;

    96 Voir larticle premier de la Convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalit, disposant quil appartient chaque tat de dterminer, par sa lgislation quels sont ses nationaux .

    97 Voir CIJ, Affaire Nottebohm (Liechtenstein contre Guatemala), arrt du 6 avril 1955, page 20.

    98 Voir CPJI, Avis consultatif du 7 fvrier 1923 concernant les Dcrets de nationalit promulgus en Tunisie et au Maroc (Zone franaise), Rec. Srie B No. 4 et Avis consultatif du 15 septembre 1923 sur la question de lAcquisition de la nationalit polonaise. Srie B no. 7.

    99 Voir CPJI, Avis consultatif du 15 septembre 1923 sur la question de lAcquisition de la nationalit polonaise. Srie B No. 7, page 16.

    100 Voir larticle premier de la Convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalit, signe La Haye, le 12 avril 1930.

  • 4. Les limites de la souverainet tatique | 17

    la seconde, sera celle du dbut de lengagement des tats sinscrire dans la dynamique onusienne et verra ladoption dun grand nombre de textes rgionaux contraignants sur la nationalit.

    4.1 Le role dcisif de lONU

    Depuis la fin de la Deuxime Guerre mondiale, on considre comme une vidence le fait que la nationalit, en tant que droit fondamental de la personne humaine, est un lment important de la qualit de vie des populations sans lequel il est impossible:

    davoir le statut de rsident permanent dans un pays et dy retourner aprs un voyage;

    dtre protg dans ltat et ltranger, mais aussi de ltat;

    de jouir de ses droits civils, politiques, sociaux et conomiques, entre autres101.

    En tant que droit davoir des droits102, le droit la nationalit est donc considr comme un outil dautonomisation et de protection et [] un facteur cl du bien-tre de lindividu103 . Et cest pourquoi lAssemble gnrale de lOrganisation des Nations Unies (dnomme ci-aprs lAGNU), adopte, en dcembre 1948, la Dclaration universelle des droits de lhomme (dnomme ci-aprs la Dclaration universelle) dans laquelle elle proclame solennellement que tout individu droit une nationalit (et que) nul ne peut tre arbitrairement priv de sa nationalit ni du droit de changer de nationalit104.

    Le texte fait du droit la nationalit un droit inhrent la personne humaine et proscrit lide dune allgeance perptuelle de la personne humaine un tat en lui offrant la possibilit de changer sa nationalit. Il limite aussi le pouvoir des tats en matire de retrait de la nationalit puisque dsormais, la procdure devant y aboutir de doit pas tre arbitraire, cest--dire qui ne peut tre fonde sur aucun critre lgal ou raisonnable et dfie toute prvisibilit105.

    LAGNU adoptera mme, en novembre 1959, une Dclaration des droits de lenfant dans laquelle, les tats membres des Nations Unies saccordent pour la premire fois sur le principe que la nationalit dorigine est un droit de la personne humaine en proclamant que lenfant a droit, ds sa naissance, un nom et une nationalit106.

    Ces proclamations vont ouvrir la voie ladoption, sous lgide des Nations Unies dune srie dinstruments juridiques, consacrant la nationalit, en tant qulment de lidentit individuelle, comme un droit fondamental de la personne que les tats ont lobligation de respecter et de promouvoir:

    la Convention relative au statut des apatrides (1954) qui engage les tats parties faciliter dans toute la mesure du possible lassimilation et la naturalisation des apatrides107;

    101 Voir galement le paragraphe 51 de la Recommandation gnrale No. 32 du Comit pour llimination de toutes les formes de discrimina-tion lgard des femmes (CEDAW/C/GC/32) relative aux dimensions sexospcifiques de la femme rfugie, demanderesse dasile, de nationalit et en situation dapatridie.

    102 Hanna Arendt in The origin of totalitarianism, Andre Deutsch, 1986, cite par Constantin Sokoloff in Denial of citizenship: a challenge to human security rdig pour le Comit consultatif pour la scurit humaine (fvrier 2005), page 5.

    103 Constantin Sokoloff in Denial of citizenship: a challenge to human security rdig pour le Comit consultatif pour la scurit humaine (fvrier 2005), page 5.

    104 Voir article 15 de la Dclaration universelle. Larticle 2 de la Dclaration prcise que la jouissance et lexercice de tous les droits et toutes les liberts quelle proclame se feront sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, dopinion poli-tique ou de toute autre, dorigine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

    105 Voir la dfinition du mot arbitraire dans le Dictionnaire de droit international public, sous la direction de Jean Salmon, ditions Bruylant, Bruxelles, 2001, page 78. Voir galement le paragraphe 12 de lObservation gnrale No. 35 du Comit des droits de lhomme (CDH) ou il est indiqu que the notion of arbitrariness is not to be equated with against the law, but must be interpreted more broadly to include elements of inappropriateness, injustice, lack of predictability, and due process of law .

    106 Voir Principe 3 de la Dclaration des droits de lenfant, 20 novembre 1959.

    107 Voir article 32 de la Convention relative au statut des apatrides

  • 18 | Le droit la nationalit en Afrique 4. Les limites de la souverainet tatique | 19

    la Convention sur la nationalit de la femme marie (1957) selon laquelle ni la clbration ni la dissolution du mariage entre ressortissants et trangers, ni le changement de nationalit du mari pendant le mariage, ne peuvent, ipso facto avoir deffet sur la nationalit de la femme108;

    la Convention sur la rduction des cas dapatridie (1961) qui prvoit des mesures prendre par les tats pour prvenir et rduire lapatridie. Les tats parties se sont engags accorder leur nationalit tout individu n sur leur territoire et qui autrement serait apatride109 et ne pas priver un individu de leur nationalit si cela devait conduire lapatridie (sauf dans certaines circonstances exceptionnelles)110;

    la Convention internationale sur llimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) qui fait obligation aux tats parties d interdire et liminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et garantir le droit de chacun lgalit devant la loi sans distinction de race, de couleur ou dorigine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissancedu droit une nationalit111 ;

    le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) dont le paragraphe 3 de larticle 24 dispose que lenfant le droit dacqurir une nationalit;

    la Convention internationale sur llimination de toutes les formes de discrimination lgard des femmes (1979) dans lequel les tats parties sengagent accorder aux femmes les mmes droits gaux ceux des hommes en ce qui concerne lacquisition, le changement et la conservation de la nationalit, en ce qui concerne la nationalit de leurs enfants112 et leur garantir que ni le mariage avec un tranger, ni le changement de nationalit du mari pendant le mariage ne change automatiquement la nationalit de la femme, ni la rend apatride, ni ne loblige prendre la nationalit de son mari113;

    la Convention relative aux droits de lenfant (1989) dans laquelle, les tats parties reconnaissent que lenfant doit tre enregistr sa naissance et a, ds celle-ci le droit dacqurir une nationalit et sengagent prserver son identit, y compris sa nationalit114;

    la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) qui reconnait le droit de tout enfant de travailleur migrant un nom, lenregistrement de sa naissance et une nationalit115; et

    la Convention relative aux droits des personnes handicapes (2006) qui reconnait le droit des personnes handicapes une nationalit116, dacqurir, de changer de nationalit, de ne pas en tre priv arbitrairement ou en raison de leur handicap117.

    108 Voir article 1er de la Convention sur la nationalit de la femme marie.

    109 Voir article 1er de la Convention sur la rduction des cas dapatridie.

    110 Voir le paragraphe 1er de larticle 8 de la Convention sur la rduction des cas dapatridie.

    111 Voir le paragraphe (d)(ii) de larticle 5 de la Convention internationale sur llimination de toutes les formes de discrimination raciale.

    112 Voir paragraphe 2 de larticle 9 de la Convention internationale sur llimination de toutes les formes de discrimination lgard des femmes.

    113 Voir paragraphe 1er de larticle 9 de la Convention internationale sur llimination de toutes les formes de discrimination lgard des femmes.

    114 Voir le paragraphe 1er de larticle 7 de la Convention des droits de lenfant.

    115 Voir larticle 29 de la Convention sur les droits des travailleurs migrants.

    116 Voir le paragraphe 1er de larticle 18 de la Convention relative aux droits des personnes handicapes.

    117 Voir le paragraphe 1(b) de larticle 18 de la Convention relative aux droits des personnes handicapes.

  • 4. Les limites de la souverainet tatique | 19

    Mme si peu de pays africains sont parties aux traits internationaux relatifs lapatridie118, la plupart dentre eux sont parties dautres instruments cls tels que la Convention relative aux droits de lenfant et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques119.

    4.2 Lapport des autres systmes rgionaux

    4.2.1 Amriques120Sur le continent amricain, la Convention interamricaine des droits de lhomme (1969) a repris les principes de la Dclaration universelle sur la nationalit121 et les a complts par celui de la prohibition de lapatridie122.

    Avec un tel dispositif juridique, la Cour interamricaine des droits de lhomme pouvait affirmer que:

    1. le droit la nationalit fondamental de la personne humaine auquel les tats ne peuvent pas droger123;

    2. son importance est lie au fait que it allows the individual to acquire and exercise rights and obligations inherent in membership in a political community. As such, nationality is a requirement for the exercise of specific rights;

    3. les tats ont lobligation de respecter et de sassurer que le principe dune protection gale et de non-discrimination est appliqu sans tenir compte du statut migratoire de la personne sur leur territoire ou de tout autre motif tels que la rsidence irrgulire, la nationalit, la race et/ou le sexe124;

    4. lvolution contemporaine indique que le droit international impose certaines limites aux pouvoirs tendus dont jouissent les tats en matire (de nationalit), et que la manire dont ces derniers rglent les questions lies la nationalit ne peut, de nos jours, tre considre comme relevant de leur comptence exclusive; ces pouvoirs des tats sont galement circonscrits par lobligation de celui-ci dassurer pleinement la protection des droits de lhomme125;

    5. les tats ont lobligation de ne pas avoir des pratiques ou lgislations relatives lacquisition de la nationalit dont lapplication pourrait augmenter le nombre

    118 Seuls 18 tats sont parties la Convention de 1954 relative au statut dapatride (Algrie, Bnin, Botswana, Burkina Faso, Cote dIvoire, Guine, Lesotho, Liberia, Libye, Malawi, Nigeria, Rwanda, Sngal, Swaziland, Tchad, Tunisie, Zambie et Zimbabwe) et douze (12) la Convention de 1961 sur la rduction de lapatridie (Bnin, Cote dIvoire, Lesotho, Liberia, Libye, Niger, Nigeria, Rwanda, Sngal, Swaziland, Tchad et Tunisie).

    119 La Somalie et la Rpublique arabe sahraouie dmocratique (RASD) sont les seuls pays africains ne pas tre partie la CDE, alors que les Comores, la RASD et Sao Tom et Principe sont les seuls tats ne pas avoir accd au PIDCP. La RASD, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud ne sont pas parties la CEDF. En revanche, seuls les pays suivants ont accd la Convention sur la rduction des cas dapatridie: Bnin, Lesotho, Libria, Libye, Niger, Nigeria, Rwanda, Sngal, Tchad et Tunisie. En outre, la Centrafrique, la Rpublique dmocratique du Congo (RDC), la RASD, la Somalie, Sao Tome et Principe, le Sud-Soudan et la Tunisie ne sont pas partie la Charte africaine sur les droits de lenfant alors que lAlgrie, le Botswana, le Burundi, la Centrafrique, lgypte, lthiopie, lrythre, Madagascar, Maurice, le Niger, la RASD, la Sierra Leone, la Soma-lie, Sao Tome et Principe, le Soudan, le Sud-Soudan et la Tunisie nont pas ratifi le Protocole relatif aux droits des femmes. Quant la Tunisie, elle a formul des rserves la Convention sur la rduction de lapatridie et la CEDEF en dclarant pour le premier texte quelle ne se considrait pas lie par les dispositions de larticle 11 relatif la cration dun organisme charg de soutenir les demandes prsentes aux autorits comptentes pour lobtention de la nationalit et de larticle 14 qui prvoit la comptence de la Cour internationale de justice pour statuer sur les diffrents relatifs linterprtation et lapplication de la Convention et en dclarant, en ce qui concerne le paragraphe 2 de larticle 9 de la CEDEF quil ne devrait pas tre en contradiction avec les dispositions du Chapitre 6 du Code tunisien de la nationalit.

    120 La Commission africaine a une dette de gratitude envers la Commission interamricaine des droits de lhomme en la personne de son Secrtaire gnral, M. Emilio Alvarez, pour les renseignements fournis concernant sa jurisprudence ainsi que dautres textes juridiques du systme rgional lis au droit la nationalit.

    121 savoir le droit de tout individu la nationalit et le droit de lindividu de changer de nationalit et de ne pas en tre arbitrairement priv.

    122 Voir larticle 20 de la Convention interamricaine des droits de lhomme.

    123 Voir Cour Interamricaine des droits de lhomme (CIAH), Arrt du 8 septembre 2005, Affaire des filles Yean et Bosico c. Rpublique Domini-caine, (Objections prliminaires, fonds, rparations et cots), Srie C No. 130 paragraphe 136.

    124 Voir Cour Interamricaine des droits de lhomme (CIAH), Arrt du 8 septembre 2005, Affaire des filles Yean et Bosico c. Rpublique Domini-caine, (Objections prliminaires, fonds, rparations et cots), Srie C, No. 130, paragraphe 155.

    125 Voir Cour Interamricaine des droits de lhomme (CIADH), Avis consultatif du 19 janvier 1984, Propuesta de Modificacioa la Constitucion Politica de Costa Rica Relacionada con la Naturalizacion, OC-4/84, Srie A, No. 4 cite par C.M.CERNA La Cour interamricaine des droits de lhomme Les affaires rcentes in Annuaire Franais de Droit International, 1987, page 354.

  • 20 | Le droit la nationalit en Afrique 4. Les limites de la souverainet tatique | 21

    dapatrides. La Cour prcise mme que this condition arises from the lack of a nationality, when an individual doesnt qualify to receive this under the States laws, owing to arbitrary deprivation of the granting of a nationality that, in actual fact, is not effective126.

    Ces interprtations de larticle 20 de la Convention Interamricaine lui permirent alors de limiter fortement les comptences tatiques en matire de naturalisation127 et de retrait de la nationalit128 et surtout de redfinir la nationalit comme un attachement juridico-politique qui lie un individu et un tat dtermin129, confirmant ainsi que la nationalit ne peut tre examine sous langle exclusif des intrts de ltat car elle cre aussi des droits et offre une protection juridique lindividu qui doivent tre respects par ltat.

    4.2.2 EuropeLadoption par le Conseil dEurope130 dun trait entirement ddi au droit la nationalit, la Convention europenne sur la nationalit (1990) fait de ce continent un modle en la matire. Le texte pose les principes essentiels suivants:

    le droit individuel la nationalit;

    la prohibition de lapatridie;

    linterdiction de la privation arbitraire de la nationalit;

    labsence deffet de plein droit du mariage dune personne sur la nationalit de son conjoint.

    En 2006, les tats membres ont adopt le premier instrument international ayant force dobligation en matire de nationalit en relation avec la succession dtats, qui stipule, entre autres, que Tout individu qui, au moment de la succession dtats, possdait la nationalit de ltat prdcesseur et qui est ou deviendrait apatride par suite de la succession dtats a droit la nationalit de lun des tats concerns et que les tats prendront toutes les mesures appropries pour empcher que les personnes qui, au moment de la succession dtats, ont la nationalit de ltat prdcesseur ne deviennent apatrides par suite de la succession131.

    Deux ans plus tard, les tats membres de lUnion europenne (UE) vont introduire dans le Trait de Maastricht132 la notion de citoyennet dans lUnion europenne133. Alors que la reconnaissance et loctroi de la nationalit demeurent la prrogative des tats membres, certains droits politiques communs sont galement renforcs dans les pays de lUE134.

    La citoyennet dans lUE est attribue toute personne ayant la nationalit dun tat membre[qui] sajoute la citoyennet nationale et ne la remplace pas135. De cette citoyennet136 dcoulent un certain nombre de droits, notamment:

    126 Voir Cour Interamricaine des droits de lhomme (CIAH), Arrt du 8 septembre 2005, Affaire des filles Yean et Bosico c. Rpublique Domini-caine, (Objections prliminaires, fonds, rparations et cots), Srie C, No. 130, paragraphe 142.

    127 Voir CIADH, Avis consultatif du 19 janvier 1984, Propuesta de Modificacioa la Constitucion Politica de Costa Rica Relacionada con la Natura-lizacion, OC-4/84, Srie A, No. 4.

    128 Voir CIADH, Arrt du 6 fvrier 2001, Ivcher Bronstein c. Prou, arrt sur le fond, Srie C, No. 74, paragraphe 95.

    129 Voir CIADH, Arrt du 30 mai 1999, Castillo Petruzzi c. Prou, arrt sur le fond, Srie C, No. 52, paragraphe 99. Cest nous qui soulignons.

    130 Le Conseil de lEurope est une organisation intergouvernementale de 47 tats membres (il ne doit pas tre confondu avec les institutions de lUnion europenne).

    131 Convention du Conseil de lEurope sur la prvention des cas dapatridie en relation avec la succession dtats, 2006, articles 2 et 3.

    132 Le Trait sur lUnion europenne dat du 7 fvrier 1992.

    133 Article 8 du Trait sur lUnion europenne.

    134 Article 8B du Trait sur lUnion europenne.

    135 Voir larticle 9 du Trait sur lUnion europenne.

    136 Pour une analyse globale de la citoyennet dans lUnion europenne, lire lisa Perez Vera, Citoyennet de lUnion europenne, nationalit et conditions des trangers, Recueil des Cours de lAcadmie du droit international de la Haye, 1996.

  • 4. Les limites de la souverainet tatique | 21

    le droit de circuler et de sjourner librement sur le territoire des tats membres137;

    le droit de vote et dligibilit dans les lections municipales de ltat de rsidence138;

    le droit de vote et dligibilit aux lections au Parlement europen139;

    le droit de ptition devant le Parlement europen140;

    le droit de recours au Mdiateur europen141;

    le droit dtre protg diplomatiquement par tous les tats membres de lUnion europenne en dehors du territoire communautaire142.

    Les citoyens de lUE ont aussi la possibilit de saisir la Cour de justice de lUnion europenne chaque fois quils estimeront que leurs droits ne sont respects par les tats membres ou les institutions de la Communaut143.

    Par la varit des droits quelle promeut, la citoyennet europenne a surtout graduellement modifi les perceptions que les europens ont deux-mmes et de leur projet dintgration en forant rinterprter lide de la communaut au regard des principes douverture et dgalit de traitement dont le droit europen est porteur144.

    4.2.3 tats arabesEn 2008, les pays arabes ont rvis la Charte arabe des droits de lhomme de 1994 pour y inclure le droit de toute personne une nationalit et ne pas en tre arbitrairement dchu et lobligation des tats parties dadopter des lgislations relatives la nationalit et permettant aux enfants dacqurir la nationalit de leur mre et de changer de nationalit145.

    On peut, enfin, rappeler que tous ces textes mentionns consacrent le principe de la non-discrimination qui exige des tats parties le respect du droit la nationalit et la garantie de sa jouissance tous sans distinction aucune, notamment de race, de sexe, de langue, de religion, dopinion politique ou autre, dorigine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation146.

    Bref, la communaut internationale a dploy beaucoup defforts pour mettre un terme lindigence normative en la matire et la nationalit, malgr les progrs qui restent encore accomplir pour faire face efficacement lapatridie sur la plante, est maintenant une donne juridique quasi-universelle.

    Il reste quen Afrique, comme lexamen minutieux des lois et des pratiques nationales va le prouver, le chemin est encore long pour arrimer le continent au concert des Nations reconnaissant lexistence dun droit universel la nationalit.

    137 Voir le paragraphe 2(a) de larticle 20 et le paragraphe 1er de larticle 21 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    138 Voir le paragraphe 2(b) de larticle 20 et larticle 22 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    139 Voir larticle 22 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    140 Voir les articles 24 et 227 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    141 Voir les articles 24 et 228 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    142 Voir le paragraphe 2(c) de larticle 20 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (Trait de Lisbonne).

    143 Voir par exemple larrt de la Cour de justice (Grande chambre) du 2 mars 2010, Janko Rottmann contre Freistaat Bayern dans lequel elle relve que le statut de citoyen de lUnion a vocation tre le statut fondamental des ressortissants des tats membres (paragraphe 43) et que lorsque le retrait de la naturalisation a pour consquence que la personne concerne perde, outre la nationalit de ltat membre de la natu-ralisation, la citoyennet de lUnion, il appartient la juridiction de renvoi de vrifier si la dcision de retrait en cause au principal respecte le principe de proportionnalit en ce qui concerne les consquences quelle comporte sur la situation de la personne concerne au regard du droit de lUnion, outre, le cas chant lexamen de la proportionnalit de cette dcision au regard du droit national (paragraphe 55).

    144 Voir Paul Magnette, Le rgime politique de lUnion europenne, 2e dition revue et augmente, Les presses de Science-Po, page 279.

    145 Voir larticle 29 de la Charte arabe des droits de lhomme adopt en mai 2004 et entr en vigueur le 15 mars 20LAlgrie et la Libye sont parties ce trait.

    146 Voir notamment larticle 2 de la DUDH, larticle 2 du PIDCP, larticle 5 de la CEDR, de la article 2 de la CDE, etc.

  • 22 | Le droit la nationalit en Afrique 5. La nationalit et les pratiques des tats africains | 23

    5. La nationalit et les pratiques des tats africains

    5.1 La transition vers lindpendance Tous les tats parties la Charte africaine ont t crs partir danciens territoires coloniaux ou ont vu fixer leurs frontires par les autorits coloniales riveraines et ont donc fait face des difficults pour lidentification de son patrimoine humain national. Pour ces pays, qui venaient daccder souverainet internationale, la nationalit au moment de lindpendance tait complique par la nationalit coloniale commune partage par les rsidents de pays devenus dsormais des tats distincts et par labsence dune nationalit propre pralable lannexion coloniale147 . Chaque tat a t oblig, son accession la souverainet internationale, de promulguer des lois nationales lui permettant de clarifier et de dterminer les rgles en la matire.

    Ces rgles taient vitales en raison de la migration grande chelle qui avait eu lieu au cours de la priode coloniale. En effet, la population des anciennes colonies, et notamment les anciens centres administratifs ou conomiques rgionaux, tait dsormais trs mixte, comprenant des autochtones de la place et des migrants venus de pays devenus des tats distincts, ainsi que des ressortissants de la mtropole et des personnes qui, bien que rattaches au territoire, possdaient une nationalit distincte de celle du colonisateur. En pratique, les rgles de la transition lindpendance accordaient, de plein droit, la nationalit certaines personnes et un droit doption dautres, tout en omettant compltement dtablir le droit la nationalit pour certaines catgories de personnes.

    Alors que le Royaume-Uni et ses anciennes colonies staient entendus sur des rgles plus ou moins uniformes dans les Constitutions ngocies Lancaster House, la France, la Belgique et, dans une moindre mesure, le Portugal, avaient pris le parti de ne pas signer aucun trait bilatral en matire de nationalit avec les dirigeants de leurs anciennes possessions coloniales, et donc, dignorer compltement les problmes crs par les contradictions des lois sur la nationalit qui naitraient de ces successions dtats.

    Dans les anciens protectorats britanniques et dans les colonies non encore autonomes (Afrique du Sud, Rhodsie), les dispositions typiques des constitutions de lindpendance prvoient que tous ceux ns sur le territoire dont au moins un des parents y est galement n obtiennent automatiquement la nationalit du nouvel tat, de plein droit. Les personnes nes en dehors du territoire dont le pre a obtenu la nationalit au titre de cette rgle se voient galement accorder la nationalit. Enfin, les personnes nes sur le territoire sans