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Le droit de vote des étrangers aux élections nationales Eléments de réflexion Conseil diocésain de catholiques

Le droit de vote des étrangers aux élections nationales. Éléments de réflexion

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Dossier publié par le Conseil diocésain des catholiques (Luxembourg) en vue du référendum du 7 juin 2015

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Le droit de vote des étrangers

aux élections nationales

Eléments de réflexion

Conseil diocésain de catholiques

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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Quelques mots d’introduction

L’accord de coalition du gouvernement de décembre 2013 prévoit d’élargir les droits politiques des non-luxembourgeois vivant au Luxembourg. Ce projet, qui se concrétisera sous la forme d’un référendum consultatif en vue d’un changement de la Constitution, devra trouver une majorité auprès des citoyens luxembourgeois. Les enjeux sont complexes et le gouvernement propose de lancer une vaste campagne d’information et de discussion en amont afin de préparer les citoyens à ce référendum. D’une part, il y a la question philosophique du droit de vote pour tous les résidents, et d’autre part, il y a les questions de mise en œuvre concrète. Il semble que le référendum ne va pas formuler une demande d’ordre général mais posera plutôt une question relative aux critères objectifs pour l’élargissement du droit de vote aux citoyens non-luxembourgeois. La question de l’élargissement du droit de vote ouvre naturellement la discussion sur des phénomènes en lien avec ces droits: le concept de nation, de citoyen, d’identité. Le Conseil Diocésain des Catholiques a longtemps réfléchi sur ces questions, sans qu’un consensus clair n’ait pu être dégagé. Dès lors, il est devenu impossible de publier une prise de parole qui favorise une des réponses qu’on peut donner référendum de juin. Mais ces discussions, riches et intéressantes, méritaient d’être diffusées afin d’alimenter le débat. Elles prennent ici la forme d’un recueil de cinq articles qui éclairent la question sous différents angles. Trois contributions émanent de membres du Conseil Diocésain des Catholiques. Les deux autres ont été élaborées par Nénad Dubajic, sociologue au CEFIS, et Jean-Claude Brau, bibliste auprès du CPMT. Qu’ils soient grandement remerciés pour leur contribution. La diversité de ces approches, qui reflète bien les enjeux du débat qui va se dérouler dans les mois à venir, ne doit pas cacher cette positon fondamentale qui nous anime : l’intégration des non–luxembourgeois dans la société luxembourgeoise est un objectif fondamental pour l’avenir de notre pays qui doit être abordé avec sérénité, optimisme et courage. L’enjeu est de construire une société de solidarité qui donne une place à tous ceux qui sont ici depuis des générations tout comme ceux qui sont arrivés depuis peu. Bonne lecture. Paul Estgen Secrétaire du Conseil Diocésain de catholiques

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Comment la Bible considère-t-elle les étrangers ?

Jean-Claude Brau Attrait et peurs La rencontre de l'autre, des étrangers est, pour tout groupe, une expérience forte. Elle peut être teintée d'exotisme et c'est bien souvent le souvenir que rapportent des groupes de touristes en rentrant de voyage : comme ils sont accueillants, sympathiques, beaux, heureux puisqu'ils rient tout le temps… A l'inverse, elle peut se vivre dans la méfiance, la peur, le rejet, surtout si c'est chez nous que se passe la rencontre : ils viennent nous prendre notre travail, nos avantages sociaux, ils nous imposent leurs façon de vivre, ils se permettent tout, ils ont tout les droits, ils nous envahissent… Au moment où le pays réfléchit au volet juridique de l'accueil des étrangers résidant dans le pays, il peut être éclairant de revoir, dans la Bible, comment l'étranger était considéré et accueilli. Nous n'avons pas à être surpris si la complexité de la vie se retrouve dans la diversité des regards et des réponses qui sont données. Par exemple, les livres d'Esdras et de Néhémie racontent, bien après les événements, le retour des Juifs exilés à Babylone, qui s'étale du 6e au 5e siècle avant Jésus-Christ. Dans leur souci de reconstruire le peuple élu, déchiré par l'exil et les tensions qui suivent, Esdras, le prêtre intellectuel et Néhémie le gouverneur font renvoyer les femmes étrangères avec lesquelles des Juifs avaient contracté mariage (Esd 10 ; Ne 10,31 ; 13,23-31)1. Pourtant, c'est de l'époque d'Esdras et de Néhémie que date le livre de Ruth. Avec beaucoup de délicatesse, il raconte comment l'héroïne, étrangère, vient avec sa belle-mère juive de retour en Israël. Toutes deux sont veuves et donc dans la précarité. Ruth va contracter un nouveau mariage, avec Booz, un Juif du pays. Le livre conclut en l'insérant dans les ancêtres du futur roi David2. Et l'évangile de Matthieu la fait figurer dans la généalogie de Jésus, à côté d'autres étrangères, Rahab et la femme d'Urie (Mt 1,5). Voici les étrangères au cœur de l'identité du peuple juif et de l'histoire chrétienne ! La Bible ne nous offre donc pas de solution unique, dans ce domaine non plus. Elle raconte le parcours d'un peuple dans sa recherche de fidélité à la foi de ses pères. Avant de prendre des exemples du Nouveau Testament, on peut interroger deux types de textes de l'Ancien Testament3. Comment a-t-on légiféré à propos des étrangers ? Quelle a été l'attitude des prophètes ? La législation 1 Voir ABADIE Philippe, Le livre d'Esdras et de Néhémie, Cahiers Evangile, n° 95, Cerf, 1996, 68 pp. 2 Voir WENIN André, Le livre de Ruth. Une approche narrative, Cahiers Evangile, n° 104, 1998, 68 pp. 3 Voir RIAUD Jean (dir.), L'étranger dans la Bible et ses lectures, Lectio divina 213, Cerf, 2007, 456 pp.

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Déjà dans le Proche-Orient ancien, l'étranger est facilement touché par l'exclusion. La législation vise à le protéger. Comme aujourd'hui, plusieurs catégories d'étrangers coexistent ; la Bible parle du non Israélite qui reste chez lui, de l'hôte de passage et de l'émigré installé en Israël. C'est au statut de ce dernier que nous nous intéresserons. Il est en position d'infériorité sociale : dans des listes, il est même cité après les animaux (Ex 20,10) ! Aussi, il doit être protégé par la loi. En permanence, les textes rappellent que le peuple a été émigré en Egypte, asservi par le pharaon. C'est dans cette mémoire que s'enracine l'exigence de protection (parmi bien d'autres : Dt 10,19). N'est-ce pas une mémoire que peuvent également partager tous les peuples actuels ? Puisque l'émigré partage la fragilité du pauvre, de la veuve, de l'orphelin, il doit être soutenu. Il ne peut être exploité ou opprimé et les juges y veilleront. Il lui est permis d'avoir les mêmes recours que les pauvres du pays, comme le droit de glanage (Rt 2). Il a le droit d'offrir des sacrifices au Temple, comme les Juifs, et de participer aux fêtes religieuses. En même temps, il doit respecter les lois, au même titre que les habitants du pays ; en cas de transgression il sera sanctionné comme eux : il n'y a qu'une loi pour tous (Dt 31,12). Notons pourtant que ces principes généraux ne suppriment pas toute discrimination, dans les lois et surtout dans la pratique : dans la Bible aussi, la reconnaissance de l'égalité de chacun est un chantier, jamais abouti, qui appelle de nouvelles concrétisations. Relevons un point particulièrement intéressant pour nous maintenant : quel est le droit politique de l'étranger ? La question est envisagée dans le livre du Deutéronome (Dt 23). Les Ammonites et les Moabites sont exclus de l'assemblée du peuple, car ils ont refusé de porter assistance au peuple hébreu quand il était en difficulté au désert. En revanche, les autres étrangers pourront y siéger à partir de la troisième génération. Une forme de droit politique égal, après une période d'intégration. Les prophètes Les lois sont exigeantes pour le peuple : il doit dépasser ses réflexes de peur et de défense. Les lois promeuvent l'accueil de la différence et la considèrent comme une richesse. Une telle ouverture ne va pas de soi. Ce sera le rôle des prophètes alors – des chrétiens aujourd'hui ? – de la rappeler, contre tout repli frileux. On pourrait résumer ainsi l'action des prophètes en Israël : ils rappellent sans cesse la fidélité au Dieu unique et combattent l'idolâtrie ; ils dénoncent l'injustice faite aux plus fragiles. A propos des émigrés, les deux préoccupations sont plus liées qu'il n'y paraît. Ils arrivent au pays avec leur culture, leur religion, leurs divinités. En se déplaçant, peut-on sans risque négliger les dieux de la fécondité qui veillent à l'avenir de la famille, et des troupeaux ? La question était particulièrement cruciale à la cour des rois, à commencer par celle de Salomon. Ils épousaient fréquemment des princesses étrangères, qui introduisaient à la cour les divinités de leur pays. Cet exemple venu d'en haut séduisait le peuple. Le risque de mélange culturel et religieux n'empêche pourtant pas les prophètes de s'insurger pour la défense des émigrés, au même titre, comme déjà dit, qu'ils prennent fait et cause pour les pauvres, les veuves, les orphelins. Et cela, sans condition : ils ne distinguent pas entre des "bons" et des "mauvais" émigrés. En fait, leurs interventions ne reposent pas sur les qualités morales de ceux qu'ils défendent. C'est au nom de la foi en Yahvé qu'ils ne peuvent se taire.

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Les catégories sociales privilégiées par les prophètes se ressemblent dans leur fragilité. Les droits des émigrés sont difficilement respectés. Les veuves, sans homme pour les nourrir et les défendre, vivent plus durement encore que les autres la condition d'infériorité des femmes dans ce type de société. Parfois elles peuvent compter sur la solidarité de leurs proches, dans leur famille d'origine ou celle de leur mari. Mais ces mécanismes ne fonctionnent pas toujours. Un éventuel remariage peut se heurter à bien des obstacles. Par exemple, à Jérusalem, les nombreux prêtres ne n'ont pas le droit d'épouser une veuve. Il leur reste aux veuves deux issues pour survivre : se consacrer au Temple, comme Anne, qui est au Temple au moment de la présentation de Jésus (Lc 2,36), ou s'adonner à la prostitution. Parmi les interventions fortes des prophètes, on peut rappeler celle de Jérémie (7,1-11). Selon le texte, il se tient à la porte du Temple et interpelle ceux qui y entrent pour la prière. Rarement dénonciation a été plus forte. Ce qui est en jeu, c'est la présence même de Dieu parmi son peuple, dans le Temple et dans le pays. Leur comportement rend la rend impossible. Ce qu'ils vont faire, c'est se bercer de belles paroles illusoires en affirmant qu'ils sont sauvés. Avant d'entrer pour la prière, ce n'est pas un rite que le Seigneur exige d'eux, mais un changement radical de leur comportement. Et leur premier changement, ce sera de "défendre activement le droit dans la vie sociale" (v. 5), de cesser d'exploiter l'étranger, l'orphelin et la veuve. Sur le même ton, le prophète appelle à renoncer aux autres dieux, sur lesquels dans leur histoire ils n'ont jamais pu compter (v. 9). Faute de quoi leur prière, qui repose sur l'infidélité, fait de la Maison du Seigneur une "caverne de bandits" (v. 11)4. Le prophète Ezéchiel dénonce lui aussi la violence faite aux immigrés (Ez 22,7). Il considère qu'ils ont droit à une partie du patrimoine de pays lors de sa répartition : "Ils seront pour vous comme un indigène parmi les fils d'Israël" (Ez 47,22). Comme lui, d'autres prophètes défendent le droit des étrangers, comme le font Zacharie ("Ne les exploitez pas" : 7,10) et Malachie ("Je serai un prompt accusateur contre […] ceux qui oppriment l'émigré et ne me craignent pas, dit le Seigneur" : 3,5). En permanence, les auteurs du Nouveau Testament répètent la raison de cette exigence : le peuple de la Bible a lui-même fait l'expérience de la migration forcée : selon les textes, c'est pour des raisons économiques que Jacob et sa famille sont partis en Egypte. Et l'exil à Babylone, au 6e siècle avant Jésus-Christ, est bien le résultat politique de la victoire de Nabuchodonosor sur Jérusalem. Les histoires durement actuelles ont été le lot d'Israël. La Bible en tire une conséquence exigeante : le peuple ne peut rencontrer Dieu que s'il respecte, parmi d'autres précaires, les émigrés qui se retrouvent chez lui. Jésus Si le peuple a fait l'expérience décrite ci-dessus et en a gardé mémoire dans ses textes, nous ne sommes pas étonnés de découvrir que Jésus continue la même sollicitude. Nous l'avons déjà rappelé : selon sa généalogie, qui ouvre l'évangile de Matthieu (1,1-17), l'identité de Jésus et son appartenance au peuple juif sont marquées par la présence des étrangers : lui-même, fils de David, hérite de ces origines mélangées qui font l'identité de sa famille.

4 La même expression est utilisée dans l'évangile de Matthieu pour dénoncer le même comportement des contemporains de Jésus quand ils fréquentent le Temple (Mt 21,13).

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Les textes des évangiles ne manquent pas de rencontres de Jésus avec des étrangers, femmes ou hommes, et de mentions très positives d'étrangers. La suite du Nouveau Testament en tirera les conséquences. Parmi les étrangers rencontrés par Jésus, rappelons : le centurion de Capharnaüm qui demande la guérison de son serviteur (Mt 8,5-13), la femme cananéenne (Mc 7,24-30), le miracle des pains en terre païenne (Mc 8,1-10), le lépreux étranger, seul parmi les dix que Jésus a guéris à revenir manifester sa reconnaissance (Lc 17,11-19), le centurion romain qui le reconnaît comme Fils de Dieu sur la croix (Mc 15,39), la Samaritaine (Jn 4,1-42). Jésus ne reconnaît-il pas au "bon" Samaritain des qualités d'amour du prochain dont n'ont fait preuve ni le prêtre ni le lévite (Lc 10,29-37) ? Arrêtons-nous à deux exemples. Le récit de la rencontre de la femme cananéenne est très impressionnant. Jésus est en conflit avec les pharisiens (Mc 7,1-23) sur la délicate question : quelles sont les exigences à respecter pour rester fidèles à la foi reçue ? De nouveau, une question cruciale à propos de l'identité collective. Les pharisiens et des scribes imposent une interprétation très formelle : l'exigence de pureté se traduit par le lavage rituel des mains avant les repas, mais aussi des coupes, des cruches et des plats. Comme bien des gens du peuple, certains disciples de Jésus ne respectent pas ces rites. Jésus prend leur défense : la vrai exigence, c'est la pureté du cœur humain et ce qui sort de sa bouche, non sa nourriture. Le désaccord est total et Jésus part à l'étranger, dans la région de Tyr, comme s'il voulait se faire oublier un temps et rester dans l'anonymat. Mais une femme de la région, étrangère pour Jésus et, le texte insiste, païenne, l'apprend et fait appel à lui pour guérir sa fille malade. D'abord distant et réticent, Jésus cède devant les expressions de la foi de cette femme : son audace et son intelligence. La fille est guérie. Fameux contraste avec la mesquinerie religieuse des pharisiens. N'est-ce pas elle qui donne une leçon de foi ? Il y a de l'audace chez Jésus quand, au scribe et à son auditoire juif, il propose la parabole du Bon Samaritain (Lc 10,29-37). La question est clairement posée : comment vont se comporter les personnages face à un humain en extrême danger ? Si le prêtre et le lévite le voient puis s'en écartent, l'étranger de passage est touché au plus profond, s'arrête, lui prodigue les premiers soins, l'emmène dans l'auberge où il sera soigné et garantit le paiement des frais. Lui l'étranger, qui s'est montré le prochain de l'homme blessé, devient un modèle pour le légiste et les auditeurs juifs : qu'ils agissent eux aussi comme l'étranger, qu'ils se montrent à son niveau, "prochains" des humains dans le besoin. Le reste du Nouveau Testament Quand Paul et d'autres partent sur les routes du pourtour méditerranéen comme missionnaires, fondant des communautés chrétiennes dans toutes les villes, une question cruciale se pose : peut-on devenir chrétien sans d'abord adhérer à la religion juive ? Ce débat se concrétise autour de la circoncision : faut-il l'imposer ou pas ? Pour les premiers compagnons de Jésus, tous juifs d'origine, il est tentant d'imposer leur propre chemin aux convertis et d'exiger la circoncision5.

5 Voir BROWN Raymond E. & MEIER John P., Antioche et Rome. Berceaux du christianisme, Lectio divina n° 131, Cerf, 1988, 324 pp.

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Des courants ultra-conservateurs imposent aux convertis la pleine observance de la Loi de Moïse, y compris la circoncision : les païens doivent devenir juifs pour devenir chrétiens. On retrouve ce courant à Jérusalem (Ac 11,2 ; 15,5) et leur influence s'étend aussi en Asie mineure (voir Ga, Ph). Leur mission produit un judéo-christianisme de la stricte observance, en Palestine, en Asie mineure et en Grèce. Leurs écrits ne seront pas retenus parmi les livres du Nouveau Testament. C'est finalement la ligne de Paul qui s'imposera, en conflit ouvert sur ce point avec Pierre (cf. Ga 2,11-21). Paul tient à la morale juive dans laquelle il a grandit : il fait respecter les Dix Commandements, il observe les fêtes juives (Ac 20,6.16). Mais il résiste à ceux qui imposent la circoncision et les observances alimentaires, comme le font Jacques et Pierre. Cette position "libérale" est reprise par les chrétiens qui lui sont associés : la foi au Christ nous rend libres de la Loi (Ga 3). Luc, l'auteur des Actes des apôtres, s'inscrit dans la même ligne. Dès le début des communautés chrétiennes, il montre Pierre, qui fera marche arrière plus tard, se rendant, contre toutes les règles juives, chez Corneille, le centurion romain, païen. Luc y insiste durant deux longs chapitres (Ac 10-11). Les récits suggèrent que Dieu a forcé la main à Pierre qui doit se rendre à l'évidence : c'est sans son intermédiaire que les païens ont reçu l'Esprit-Saint, tout comme les disciples ; il n'a plus qu'à reconnaître l'action de Dieu qui le précède, en les baptisant. En conclusion du livre des Actes, Luc raconte la rencontre de Paul à Rome avec les responsables de la communauté juive de la ville. La conclusion de Paul est cinglante : "Sachez-le donc : c'est aux païens qu'a été envoyé ce salut de Dieu ; eux, ils écouteront" (Ac 28,28). Nous constatons la radicalisation du propos biblique. S'il était question au départ d'accueillir les étrangers, de leur garantir l'hospitalité et d'assurer leur droit à l'existence, jusqu'à une quasi égalité avec les gens du pays, c'est à eux finalement qu'est confiée la Bonne Nouvelle de Jésus. C'est un des points sur lesquels l'Evangile nous surprend et nous pousse de l'avant. Toute restriction est levée. Au regard de la Parole de Dieu, les étrangers sont totalement les égaux des Juifs. Les différences qui se maintiendront ne seront plus nationales ou ethniques, mais elles tiendront à la fidélité à cette Parole, chez les uns comme chez les autres. Il se pourrait que la hiérarchie soit inversée. Ce message, si fort et interpellant, est confié aux croyants de tous les temps, aux communautés chrétiennes réunies en Eglise. La voix critique des prophètes rappelait au peuple d'alors les exigences de leur foi, comme s'il fallait en permanence réveiller les meilleurs côtés de tous les citoyens, en particulier des croyants. Ce rappel reste nécessaire au fil des siècles : il redit sans cesse la richesse que constitue, pour chacun, l'ouverture à l'autre et la construction commune d'un monde où il fasse bon vivre, pour tous. Une telle responsabilité incombe aujourd'hui à bien des femmes et des hommes. Dans des débats et choix de ce type, les chrétiens, individuellement, en groupe, et organisés en Eglise, ont à faire entendre une voix qui s'inscrit dans la dynamique de l'ouverture de la Bonne Nouvelle, pour la traduire dans l'organisation de la vie commune, avec ses règles et ses lois. Nous ne pouvons pas nous dérober à cette responsabilité.

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Renouveler l’expérience de la démocratie.

Paul Estgen

Un contexte politique Le gouvernement actuel a pris la décision de s’engager dans une consultation populaire pour demander au peuple luxembourgeois s’il veut élargir le droit de vote législatif à certains groupes de personnes qui en sont actuellement dépourvus. Le processus prévoit d’abord un référendum consultatif puis, à travers un vote au Parlement, une modification de la Constitution. Cet élargissement concerne, d’une part, les jeunes de 16 ans et, d’autre part, les étrangers. Les modalités exactes de ces changements n’ont pas encore été publiées à ce jour.

Ces propositions, issues de l’accord de coalition de décembre 2013, sont motivées par la volonté de renforcer l’association des citoyens à la vie politique. Le gouvernement s’est engagé à renforcer la démocratie et (à) avancer vers plus de transparence et de dialogue dans notre société ́ pluriculturelle. Avec 44 % d’étrangers dans la population résidente, il est judicieux de s’interroger sur l’avenir de la démocratie. Comment allons-nous pouvoir justifier un jour qu’une minorité prenne des décisions pour une majorité qui n’est pas électeur ? Pourra-t-on à ce moment encore parler d’une démocratie représentative, si elle ne représente qu’une petite partie de la société ? Comment faire évoluer le système pour qu’il permette au plus grand nombre de participer sans pour autant galvauder le sens de la nation souveraine ? Des enjeux multiples

Pourtant, l’avenir de la démocratie au Luxembourg ne se résume pas seulement aux questions que le gouvernement va poser au peuple luxembourgeois. L’ouverture de ce débat a fait naître une certaine attente et, du coup, a provoqué une certaine déception par rapport aux thèmes proposés. Ainsi, les trois questions proposées pour le référendum n’ont clairement pas le même degré d’importance. L’élargissement du droit de vote aux étrangers est une question majeure car elle implique un changement de paradigme dans la conception de l’Etat Nation, tandis que les deux autres questions ont une moindre portée. D’autres sujets, que de nombreux citoyens considèrent comme importantes, ne seront pas abordées lors de la consultation. En voici quelques exemples, sans prétendre à l’exhaustivité :

- le cumul des mandats, et plus particulièrement entre le niveau communal et national

- l’obligation de vote et son système de sanctions - le système électoral avec les voix de préférences et le système de panachage - la divisons territoriale en 4 circonscriptions - l’utilisation d’un système de quotas pour favoriser l’implication de certains groupes

dans l’exercice du pouvoir… Toutes ces questions potentielles prennent racine dans l’attente d’une réforme substantielle de notre fonctionnement démocratique. Mais avant de se pencher sur ces questions pratiques, la société luxembourgeoise devra auparavant aborder certains sujets essentiels à notre fonctionnement démocratique :

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- le concept de Nation, avec ses droits et devoirs - le contexte européen et l’évolution de la notion de « citoyenneté européenne » - les problèmes de réciprocité dans le contexte du droit international et des relations

entre nations - l’identité culturelle et l’appartenance à un groupe de solidarité - l’enjeu de l’intégration des étrangers - la place et le rôle de la monarchie - la situation linguistique spécifique du Luxembourg…

Il est illusoire de limiter le débat à la seule question du droit de vote des jeunes et des étrangers. En effet, les conséquences réelles et supposées de ces changements appellent à réfléchir à un véritable renouveau démocratique. Imaginer ce renouveau nous impose d’analyser la situation actuelle pour cerner les difficultés et les incohérences autant que les forces et les avantages du système politique luxembourgeois. Cet état de lieu devra être confronté aux valeurs fondamentales que nous voulons défendre pour ensuite donner lieu à un débat sur une grande réforme, qui elle appellera à une modification de notre constitution.

La participation des étrangers aux élections législatives n’est pas un changement mineur. Elle suppose une approche qui, si elle était validée, changerait en profondeur les fondements de notre démocratie. Même si, dans les faits, elle ne changerait probablement que peu le paysage politique luxembourgeois. Le vrai enjeu de la participation politique La désillusion politique gagne du terrain dans de nombreux pays et partout, les abstentionnistes sont de plus en plus nombreux. Au Luxembourg, de par le vote obligatoire, nous ne connaissons pas formellement ce problème mais divers éléments laissent à deviner que l’intérêt à exercer son droit de vote est aussi en train de baisser. Les explications de ce désamour pour l’exercice de la souveraineté sont nombreuses. Mais, au centre de la problématique, se trouve le sentiment du citoyen d’être dépossédé de sa souveraineté, que le système ne lui appartient plus, qu’il n’est que le figurant d’une machinerie contrôlée par un groupe limité de personnes. L’acte formel de « donner sa voix » n’est plus considéré comme l’expression d’un choix sur la gestion de la Cité. Cette tendance de fond est une menace latente pour nos sociétés démocratiques car elle s’attaque à la légitimité du pouvoir et ouvre la voie à d’autres scénarios. Aujourd’hui, de plus en plus osent évoquer sur la place publique des alternatives, telles que des gouvernements d’experts ou des systèmes plus autoritaires. Défendre la démocratie équivaut à défendre l’importance du choix issu des urnes et la légitimé du pouvoir qui en découle. Seule la démocratie donne la garantie que l’on remette en jeu le pouvoir après un laps de temps définit. Elle permet donc une évaluation perpétuelle du fonctionnement du pouvoir. Ceci n’est pas toujours visible dans les yeux des électeurs, qui ont souvent le sentiment de devoir choisir entre des partis peu différents. Le désenchantement politique n’est pas imputable au système, mais plutôt aux conditions historiques actuelles. Plusieurs problèmes qui sont à la base de ce désenchantement, et je veux ici me pencher sur quatre d’entre eux : la complexité du système institutionnel, le manque de rigueur idéologique des partis politiques, la mondialisation et la faiblesse des partis politiques.

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La complexité du système institutionnel Bien que le système institutionnel n’a pas fondamentalement changé, les citoyens ont le sentiment que le système se complexifie et que la prise de décision politique devient de moins en moins transparente. Ce sentiment trouve paradoxalement son origine dans la volonté collective de rendre les décisions plus transparentes et plus « expertisées ». Schématiquement, les politiciens sont bien moins libres dans leur prises de décisions que jadis : dans la plupart des dossiers, il s’agit de respecter des procédures préétablies qui demandent avis et consultation. Du côté politique, on déplore le peu de marge de manœuvre restant. Du côté de l’analyse sur le fonctionnement démocratique, on loue cependant que les procédures apportent de la rigueur gestionnaire et une transparence dans le processus. La condition de l’intérêt du citoyen pour la chose politique passera par la compréhension du système et oblige donc l’Etat à investir d’avantage dans l’éducation politique. Au-delà d’un cours formel d’éducation civique dans le cadre scolaire, cette éducation civique doit surtout s’articuler autour d’une pédagogie sur la vie politique adaptée aux adultes (qu’ils soient luxembourgeois ou étrangers). On devra s’intéresser d’avantage au décryptage politique de l’actualité, à l’explication des prises de décision et au fonctionnement institutionnel dans le contexte européen. L’objectif est clairement la « politisation » de la population, qu’elle soit jeune ou moins jeune, étrangère ou luxembourgeoise. On peut dans ce cadre féliciter la Chambre des Députés pour leur engagement dans ce domaine ces dernières années. Mais qu’en est-il du Conseil d’Etat, des tribunaux, des communes, des différents conseils ? Ces actions nécessitent aussi un engagement financier de la part des pouvoir publics. Cette éducation politique -couplée à une politique de communication offensive des différentes institutions- constituera la base sur laquelle pourra se construire la participation politique des jeunes et des étrangers. Ceci implique aussi qu’il faudra créer une communication adaptée aux différents âges et au contexte linguistique des personnes ciblées. Le manque de rigueur idéologique des partis politiques Ouvrir le champ politique à de nouvelles populations aura des conséquences sur les partis. Le système politique actuel manque trop souvent de lisibilité idéologique. Les stratégies électorales ont favorisé le phénomène de recentrage par lequel certains partis ont construit leur stratégie en vue de la satisfaction de l’électorat du centre dont le poids est décisif. En conséquence, l’électeur voit de moins en moins de différence idéologique entre les partis. Le système électoral luxembourgeois favorise l’élection de personnes connues et charismatiques, au détriment d’engagements collectifs représentés par des partis politiques aux profils bien clivés. Du coup, l’électeur a de plus en plus de mal à préfigurer de l’avenir car les décisions politiques des partis répondront de moins en moins à un canevas idéologique prédéfini. La politique devient de plus en plus gestionnaire et de moins en moins visionnaire. Le champ politique s’affaiblit en général et les jeunes générations, tout comme les nouveaux arrivants non-luxembourgeois, ont grand mal à s’orienter. Il est légitime d’espérer que l’ouverture du droit de vote incitera les partis politiques à se redéfinir. Plusieurs partis sont d’ailleurs dans un moment de réflexion sur leur « profil », sur leurs orientations idéologiques. Souvent, c’est la question des clivages politiques (c-à-d le regroupement de parties de la population autour d’un projet politique) qui est touchée quand on envisage d’élargir le corps électoral. « On » craint

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que ces nouveaux citoyens puissent se regrouper et devenir une force politique nouvelle. « On » a eu peur des classes populaires, « on » a eu peur des femmes, « on » a aujourd’hui peur des jeunes et « on » a peur des étrangers… Leur émergence, leur regroupement serait une menace pour l’establishment, pour le système en place… Il est troublant de voir que l’argumentation ne change guère quand il s’agit de s’opposer à un élargissement du droit de vote : le nouvel citoyen est toujours qualifié d’ignorant, de mal informé et donc en état de faiblesse par rapport aux enjeux démocratiques. Dans la réalité, aucune révolution n’a jamais eu lieu suite à l’ouverture du droit de vote. Il est peu probable que les jeunes votent exclusivement pour des jeunes ou les étrangers pour des personnes qui ont les mêmes origines qu’eux. L’organisation idéologique du champ politique est une histoire perpétuelle. Il faut considérer l’ouverture à de nouveaux acteurs comme une chance que les partis politiques doivent saisir pour clarifier leur positionnement et ainsi contribuer à une offre idéologique claire et visionnaire qui intéressera autant les anciens électeurs que les nouveaux. La mondialisation Il est indéniable que nous sommes à un virage dans notre histoire : celui la mondialisation, non seulement au niveau de l’imbrication des différentes économies nationales, mais aussi au niveau de la communication, de la culture, des voyages touristiques. Cette mondialisation change les rapports de l’individu à sa région, à son pays et au monde. Les chances offertes par cette ouverture sont mises en balance par les peurs qu’elle suscite, celle de devenir tout petit et de ne plus compter. De nombreux citoyens partagent le sentiment que la politique de niveau local ou national ne pèse pas beaucoup par rapport à cette dynamique de la mondialisation. Il est répété que le Luxembourg doit s’adapter aux nouvelles réalités et que le citoyen doit accepter que des institutions lointaines aient une influence croissante sur notre quotidien. Il en résulte une perte de crédibilité du niveau politique local et national, qui semble bien impuissant face à ces superstructures. La rhétorique de certains politiciens, qui expliquent leur choix par des contraintes européennes ou mondiales, étaye les propos de ceux qui proclament que les politiciens sont devenus les marionnettes de grands lobbies internationaux. Au Luxembourg, on aurait pu espérer que les hommes politiques auraient eu un discours plus nuancé sur le poids politique de l’Union Européenne. En effet, ils pourraient mettre en avant la force que possède un petit pays pour défendre ses intérêts à travers une représentation, somme toute importante au vu de sa population, dans les instances européennes et internationales. La mondialisation pèse donc en général sur la politisation dans tous les pays européens, auprès de toutes les couches de la population. Electeurs luxembourgeois ou non-luxembourgeois, tous partagent un sentiment d’impuissance qui démotive à prendre part au système politique, comme membre d’un parti, électeur ou candidat. La faiblesse des partis politiques Le système électoral luxembourgeois donne beaucoup de poids aux individus à travers le jeu des voix de préférence. Il conduit mécaniquement à ce que les partis politiques doivent

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excessivement prendre en considération la popularité personnelle d’un candidat pour construire leur liste. Les partis politiques ont des difficultés à mettre en avant des personnes qu’ils jugent compétentes mais qui ne sont pas forcément connues de la population. Paradoxalement, les citoyens perçoivent alors le système comme étant entre les mains d’un cercle fermé de personnes illustres. Ce sentiment se développe malgré le fait que l’électeur lui-même n’est pas prêt à changer de comportement électoral. Le Luxembourg vit dans une ambiguïté par rapport au système de panachage et de voix de préférence. D’une part, l’électeur veut restreindre le pouvoir des partis en choisissant lui-même l’importance de chacun des candidats et, d’autre part, il critique la trop forte présence de personnes connues, que ce soit pour leur nom de famille, leurs mérites sportifs ou leur présence dans les médias luxembourgeois. Poser la question du système électoral à un référendum aurait peut-être permis d’en faire un point de débat dans la population luxembourgeoise. Les partis politiques auront un rôle incontournable dans le processus d’intégration des éventuels nouveaux électeurs. A travers leurs assises locales, notamment, ils peuvent être une interface pour sensibiliser et intéresser les individus à la vie politique. Notre société devra comprendre et anticiper ce rôle, en accordant des crédits supplémentaires aux partis pour assurer cette « éducation politique », même dans un esprit partisan. Des partis politiques forts et visibles peuvent atténuer l’effet « personnalité » des candidats, pour favoriser un système politique plus centré sur des pôles idéologiques et donc plus en rapport avec les enjeux visionnaires. Quels enjeux pour demain… Chacun s’accorde à dire que l’enjeu de ce référendum est le renforcement de la démocratie, actuellement menacée tant par la dépolitisation de ceux qui peuvent voter que par l’exclusion de certaines catégories de la population du droit de vote. De par la dynamique migratoire, presque la moitié des résidents n’a pas la nationalité luxembourgeoise. C’est une situation particulière qui conduit à un profond déséquilibre des fondements de la démocratie. Le choix de passer par un référendum pour changer les choses est un choix risqué, car le refus de cette réforme conduirait à figer pour longtemps le système actuel. Mais la question, fondamentale, qui est posée (droit de vote lié à la résidence) est amoindrie par des nuances sur les conditions d’octroi (durée de résidence, droit de vote passif, participation aux élections locales ou européennes). Ce deuxième élément, qui permet aux politiciens d’affirmer que ce changement n’aurait au final que peu de conséquences, renforce immanquablement le sentiment que le monde politique joue un double jeu. Cette stratégie du gouvernement renforce la distance entre le monde politique et le citoyen et participe à la dépolitisation ambiante. Le désarroi est aussi renforcé par le fait que le Luxembourg a depuis quelques années mis l’accent sur une politique d’intégration via l’acquisition de la double nationalité. Cette politique a connu un certain succès mais reste trop faible pour avoir un effet important sur la représentation politique des non-luxembourgeois. Cependant, l’étude sur la participation politique des étrangers au niveau communal a montré que ce sont ceux qui étaient inscrits pour les élections communales qui avaient demandé la double nationalité… La démarche d’intégration et de volonté de participer au processus politique est donc directement liée au

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parcours individuel d’intégration : si le désir est là, il s’adaptera aux formes proposées, quelques qu’elles soient. Dans le débat politique actuel, on oppose ces deux approches, comme des voies concurrentes pour atteindre le même objectif. De plus, l’argument d’un choix d’intégration clairement affirmé dans le cadre de la demande de double nationalité séduira de nombreux citoyens luxembourgeois à voter contre l’ouverture du droit de vote à tous les résidents, par peur que le droit de vote sera bradé. Il est étonnant que le gouvernement ne soit pas plus sensible aux enjeux sociétaux de la question de l’élargissement du droit de vote. Il eut pourtant été judicieux de considérer cette réforme dans un projet de société global et cohérent. Le monde politique semble aujourd’hui peu armé pour répondre aux interrogations des Luxembourgeois sur la valeur de leur nationalité après une telle réforme. Un débat sur la nationalité luxembourgeoise peut être bénéfique si ce débat permet une refonte des concepts d’identité. Il faut aussi prendre en compte le risque que ce référendum conduise à une crispation des opinons et que le rejet de la proposition close le débat de l’intégration. Ce référendum doit être l’occasion de faire progresser notre manière de voir l’importance de notre démocratie et des libertés qu’elle nous offre. Le véritable enjeu de notre démocratie est la re-politisation des citoyens, qu’ils soient luxembourgeois ou étrangers, jeunes ou moins jeunes.

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De la souveraineté nationale à la souveraineté citoyenne Penser la séparation entre nationalité et citoyenneté

Pierre Lorang

« La terre n'est qu'un seul pays et tous les hommes en sont les citoyens. » (Bahá'u'lláh)

Au travers de l'histoire millénaire de la civilisation humaine depuis les cités de l'Antiquité grecque et romaine, la citoyenneté est un concept qui n'a cessé de se caractériser par sa perpétuelle évolution.

La citoyenneté se fonde sur l'appartenance pleine et entière à une communauté de personnes unies par le « vivre ensemble ».

Le « vivre ensemble », s'il se veut paisible, durable et respectueux de la dignité inviolable, inaliénable et indivisible de la personne humaine, est soumis à la recherche incessante du bien commun.

Le bien commun est l'affaire de toutes celles et de tous ceux qui y contribuent et qui en tirent profit. Partant, sa recherche exige le concours actif du plus grand nombre. L'expression suprême en est la participation démocratique par le biais du droit de vote.

Au Luxembourg, depuis l'abolition du suffrage censitaire et l'instauration du suffrage universel suivant la révision constitutionnelle de 1919, la participation démocratique, pivot de la citoyenneté, est réservée aux seuls nationaux.

En langage courant, les termes de « citoyenneté » et de « nationalité » sont utilisés comme synonymes. Stricto sensu, et ce tant sur le plan étymologique que juridique, ils ne le sont pas.

Alors que l'assimilation citoyenneté/nationalité date de la création des Etats-nations à partir de la fin du XVIIIe siècle et les mouvements révolutionnaires des XIXe et XXe siècles, l'on peut néanmoins citer bon nombre d'exemples contemporains qui font état d'une différence sémantique entre ces deux mots. Toujours est-il que les significations respectives de « nationalité » et « citoyenneté » peuvent, le cas échéant, varier sensiblement d'un exemple à l'autre.

• Le cas le plus notoire est fourni par l'Union européenne depuis sa « refondation » par le traité de Maastricht du 7 février 1992 et l'instauration de la citoyenneté européenne.

• La Suisse connaît le système des citoyennetés communale et cantonale (« droit de cité »).

• La République populaire de Chine, à l'instar de l'ex-Union soviétique, fait état des « nationalités » dans un sens ethnique, associé au droit du sang, alors que la République fédérative socialiste de Yougoslavie, par voie de recensement, permit à

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ses « citoyens » de se choisir une « nationalité » selon leur sentiment d'appartenance communautaire.

• Une approche comparable prévaut en Israël : l'on est citoyen israélien – au sens de « ressortissant national » – tout en appartenant à une « nationalité culturelle » (juive, arabe, bédouine, druze ou circassienne). • La notion des « nationalités historiques » est consacrée par la Constitution espagnole de 1978. Celles-ci se fondent sur une identité culturelle ou linguistique propre, tout en faisant partie intégrante de la « nation espagnole ».

• Le Royaume-Uni, quant à lui, représente une Union – sous forme d'Etat non pas fédéral mais unitaire – composée de quatre « nations constitutives » (Constituent nations ou Home nations) dont les ressortissants possèdent la nationalité/citoyenneté britannique (British citizenship), régie par le British Nationality Act de 1981, lequel prévoit en outre – et parmi d'autres – le British Overseas Territory citizenship ou encore le statut de British subject.

Ces quelques exemples, forts divergents, démontrent que chaque Etat souverain, quel qu'il soit, est libre dans la détermination et l'aménagement du/des statut(s) établissant des liens juridiques de droits et devoirs réciproques entre l'Etat et ses habitants.

Pour ce faire, il se laisse guider par des conceptions idéologiques ou philosophiques, l'histoire du pays, la tradition constitutionnelle, si ce n'est par des impératifs économiques ou l'évolution des mœurs, voire des considérations purement utilitaristes. En général, l'on peut affirmer que la complexité d'une législation – les pays du Commonwealth en donnent la preuve – dépend toujours de la complexité et la multiplicité des facteurs qui entrent en jeu.

Dans une approche à la fois moderne et volontariste, qui prendrait davantage en compte les réalités et perspectives du XXIe siècle, la nationalité reflète « l' appartenance à une nation », fondement ou résultante de la construction étatique, tandis que la citoyenneté désigne la reconnaissance d'un individu comme « membre d'une cité » (Gemeinwesen).

Une telle différenciation correspondrait bien à la situation particulière du Luxembourg, dont le degré de complexité est inversement proportionnel à sa taille et qui s'apprête, rappelons-le, à franchir la barre des 550.000 habitants (dont 300.00 nationaux)… et ne semble guère disposé à renoncer à ses projections de croissance économique et démographique soutenue.

Il paraît dès lors juste, opportun et utile de réfléchir sur une possible « séparation », constitutionnellement et légalement consacrée, entre nationalité et citoyenneté au Luxembourg.

La République française, pourtant présumée « une et indivisible », nous fournit un exemple intéressant, presque « fait sur mesure ». En effet, l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, lequel a permis le retour à la paix civile en Nouvelle-Calédonie, archipel d'Océanie dont le statut, depuis 1853, est celui d'une collectivité territoriale française, prévoit une déconnexion entre citoyenneté néocalédonienne et nationalité française autour de la question du droit de vote, variable selon le type de scrutin.

Ainsi la loi organique du 19 mars 1999, mettant en œuvre, sur le plan juridique, les principes énoncés par l'accord de Nouméa, dispose dans son article 4 : « Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l'article 188. »

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Cet article 188 précise la composition du corps électoral aux scrutins territoriaux, limités à l'archipel, c'est-à-dire les élections provinciales et celles pour le Congrès de Nouvelle-Calédonie – à l'opposé des scrutins « nationaux » pour la désignation de représentants dans les institutions de la République française ou celles de l'UE (élections présidentielles, législatives, européennes…).

Les articles 76 et 77 de la Constitution de la Cinquième République, adoptés en 2007 par le Parlement français réuni en Congrès à Versailles, confèrent une valeur constitutionnelle à ce régime particulier. Est ainsi citoyen néocalédonien « toute personne de nationalité française résidant de manière principale en Nouvelle-Calédonie depuis le 8 novembre 1998, ou bien celles majeures après cette date dont au moins l'un des deux parents est citoyen néocalédonien ».

Si l'on applique cette idée – séparation entre « nationalité française » et « citoyenneté néocalédonienne » – au Grand-Duché de Luxembourg et le contexte qui lui est propre, notre législation nationale pourrait comporter, à titre de pur exemple, une formule du genre qui suit: « Il est institué une citoyenneté luxembourgeoise dont bénéficient les personnes de citoyenneté européenne qui remplissent les conditions fixées à l'article x. » Parmi celles-ci, l'on pourrait songer, de façon non exhaustive, à une durée de résidence ininterrompue, l'immatriculation aux régimes de sécurité sociale luxembourgeoise ou encore l'inscription sur les listes d'électeurs pour les élections communales et européennes.

Il est entendu que les deux notions, nationalité luxembourgeoise et citoyenneté luxembourgeoise, seraient des attributs juridiques traduisant le rattachement, à degrés divers, de personnes physiques à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg. Les différences résideraient tant au niveau du fond que de la forme.

C'est la nationalité qui établirait le lien le plus fort entre, d'un côté, l'individu qui en est le détenteur et, de l'autre, l'Etat luxembourgeois. Comme par le passé, elle s'acquerrait selon les conditions prévues par la loi, conférant aux seuls nationaux tous les droits et prérogatives qui y sont attachés et produisant ses effets tant en droit international public ou privé qu'en droit interne luxembourgeois. Il s'agirait ainsi d'un statut stable dont le détenteur bénéficierait indépendamment de son lieu de résidence.

La citoyenneté, en revanche, refléterait une appartenance suffisamment stable d'une personne – qu'elle soit de nationalité luxembourgeoise ou autre – à une communauté de destin forgée par la recherche constante du bien commun dans notre pays. C'est elle qui ouvrirait la porte du droit de vote.

Par là même, le Luxembourg pourrait faire œuvre de pionnier dans l'Union européenne, bâtie sur les bienfaits de l'ouverture des esprits, des frontières et des marchés ainsi que l'égale liberté de mouvement, d'activité et d'expression de chaque personne qui y vit ou travaille.

Dans le sillage d'un tel changement de paradigme, inspiré par la vision personnaliste de l'homme, la puissance souveraine qui, selon l'article 32 de la Constitution luxembourgeoise, « réside dans la Nation », mais dont l'exercice est expressément réservé au Grand-Duc – raison pour laquelle ce dernier fait communément office de « souverain » – serait transmise vers le corps citoyen. La « souveraineté nationale », avancée civilisatrice majeure du XIXe siècle, ferait place au concept innovateur de « souveraineté citoyenne ».

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Considérations sur l’opportunité du « droit de vote des étrangers »

André Grosbusch

Face au nombre très élevé et toujours croissant de résidents qui n’ont pas la nationalité luxembourgeoise, les Luxembourgeois attachés aux valeurs démocratiques ne peuvent que souhaiter une augmentation massive du nombre de ceux qui remplissent les conditions d’obtenir le droit de vote actif et passif pour toutes les élections. Soit dit au passage : n’accorder que le droit de vote actif ne me semble pas une solution démocratiquement tenable ; il s’agit tout au plus d’une manœuvre transitoire pour gagner le référendum. Autre remarque : si l’on est convaincu que tout résident d’un pays devrait avoir le droit de vote, il aurait fallu militer pour cette cause quel que soit le nombre ou la proportion des « étrangers ». Dans ce contexte se pose également le problème de la réciprocité : si nos voisins français peuvent voter chez nous, il serait normal que nous puissions voter en France, dans les mêmes conditions. La problématique doit intéresser les chrétiens, dans la mesure où ceux-ci défendent, au-delà de leur mission spirituelle, un certain nombre de valeurs civiques, politiques, sociales et culturelles, qu’ils partagent en grande partie et heureusement avec de nombreux non-chrétiens. Parmi ces valeurs nous trouvons la paix, la charité, la solidarité, la justice sociale, le traitement égal des citoyens par la loi, le bien commun, l’Etat de droit, la liberté de conscience, l’accueil de l’étranger, le respect de la diversité culturelle dans le cadre des valeurs fondamentales exprimées dans les droits de l’homme, mais aussi le respect de l’héritage de nos aïeux et du patrimoine culturel. Le Conseil diocésain est donc dans son rôle de proposer une réflexion nuancée sur la question précise du « droit de vote pour tous », et contribuer à éviter une polarisation que le référendum imminent risque de susciter au sein de la société luxembourgeoise. Dans ce sens, il n’est justement pas indiqué qu’il donne une consigne de vote pour le référendum prévu. Il doit au contraire respecter d’emblée le « non » autant que le « oui », sous peine de provoquer un profond malaise parmi les catholiques qu’il est censé représenter. Actuellement, à partir de la législation en vigueur, deux modèles sont proposés pour inclure un maximum de résidents dans la vie politique du pays : la promotion de la double nationalité qui donne automatiquement accès au droit de vote actif et passif (CSV) , et l’octroi, sous certaines conditions, de ce droit de vote à tous les résidents, quelle que soit leur nationalité, la différence entre les ressortissants d’un Etat de l’UE et ceux d’Etats tiers étant d’ores et déjà effacée pour les élections communales (coalition gouvernementale). Dans le contexte luxembourgeois, il ne sert plus à grand-chose de distinguer « nationalité » et « citoyenneté ». En effet, chez nous, ces notions sont devenues synonymes, même si étymologiquement et dans d’autres contextes, elles ne le sont pas. Les deux mots sont couverts par le terme allemand « Staatsbürgerschaft ». Le concept ethnique d’un peuple luxembourgeois homogène, préconisé dans la première moitié du 20e siècle par une partie de l’opinion publique, voire par certains hommes politiques, est définitivement dépassé.

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Nous ne faisons plus aucune différence entre un Luxembourgeois de souche qui fait remonter son arbre généalogique au 17e siècle et un Luxembourgeois d’origine italienne, portugaise ou autre, naturalisé lors des dernières décennies. Depuis 2008, il est possible d’avoir une double nationalité/citoyenneté. Il ne faut pas être né (natus, d’où natio) au Luxembourg ou de parents luxembourgeois pour obtenir la nationalité luxembourgeoise sans perdre la nationalité d’origine. Les questions de fond sont celles-ci :

1) les Etats-nations ont-ils encore un sens, une raison d’être ? 2) le Grand-Duché de Luxembourg est-il et va-t-il rester un Etat-nation ?

Si l’on répond à ces deux questions par la négative, nous pouvons et devons accorder le droit de vote à tous les résidents, voire aux frontaliers qui travaillent et paient des impôts au Luxembourg. Si par contre l’on répond affirmativement à ces questions, il faut exiger de la part des non-Luxembourgeois une volonté explicite de s’intégrer dans l’Etat-nation que continuerait à représenter le Grand-Duché de Luxembourg, dès lors qu’ils souhaitent participer aux élections législatives. Une connaissance passable du luxembourgeois ainsi qu’une bonne connaissance de l’une des deux autres langues officielles du pays, ainsi qu’une instruction civique de base me paraissent indispensables. De plus il faudrait qu’ils aient résidé pendant quelques années au pays, par exemple cinq ans. Personnellement, je suis favorable au second cas de figure. Dans le cadre du Conseil diocésain, j’essaie d’expliquer mon point de vue que je crois en concordance avec les valeurs chrétiennes.

1) Les Etats-nations restent un rempart contre une mondialisation qui tend à atomiser les êtres humains en les réduisant à de simples acteurs économiques (producteurs/consommateurs)

L’histoire de l’humanité montre que, malgré l’unicité de l’espèce humaine (homo sapiens) il y a toujours eu des regroupements, des frontières, des subordinations, des dominations, des coalitions, des temps de paix et des conflits. L’histoire du peuple juif raconté dans la Bible en est une illustration particulièrement éloquente. Il y a toujours eu des « nous » et des « eux ». Les aspects négatifs en sont regrettables, parfois catastrophiques, mais la tour de Babel est une réalité. La lutte pour la paix est à recommencer en permanence, mais ne passe pas par l’abolition des différences. Le défi, l’art diplomatique consiste à développer des rapports de bonne entente sans vouloir uniformiser les peuples et les personnes. Personnellement, j’apprécie l’idée de Baha u’llah que « la terre n’est qu’un seul pays » ; elle rejoint la fameuse phrase de Saint-Paul qui affirme, à un niveau plus spirituel, qu’ « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni affranchi, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. (Galates, 3,28). Mais je ne crois pas en la deuxième partie de la citation du fondateur des Baha’i dans un contexte démocratique: “… et tous les hommes en sont les citoyens”. A l’époque où nous vivons, celle du “global village”, avec les moyens de communication, d’espionnage et de contrôle en progression hallucinante, il n’est effectivement plus illusoire de voir se former un gouvernement mondial. Seulement voilà: les habitants de la terre ne seront alors pas des

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citoyens dans une démocratie, mais des sujets d’un gouvernement mondial qui tendra à la domination totale, voire totalitaire.6 Le Christ a appelé les apôtres à “enseigner les nations…” (Mt 19,28); à la Pentecôte, il n’est pas non plus question de ressortissants uniformes de l’Empire romain (le monde de l’époque), mais de nombreuses nations (Cyrénaïque, Cappadoce, etc.). Jean-Paul II a témoigné d’un immense respect de chaque pays qu’il visitait: le baiser du sol de l’aéroport en était à chaque fois un symbole très fort. La doctrine sociale de l’Eglise insiste sur la solidarité et la subsidiarité, concepts complémentaires. Les nations, mais aussi les régions, les communes, voire les associations en sont l’expression vivante. L’Eglise insiste aussi sur le rôle fondamental de la famille comme fondement et cellule de base de la société. Or, nous assistons à une crise dramatique de la famille, du système éducatif, mais aussi de la vie associative, de l’engagement politique ou citoyen… Les nations sont déconstruites, alors que l’Union Européenne, elle-même fragile, a du mal à s’articuler aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est à se demander si derrière cette évolution, il n’y a pas des forces qui comptent ainsi mieux profiter d’une humanité réduite à la somme des égoïsmes individuels, composée d’individus sans repères hormis ceux que la pub leur dicte. Des êtres dociles, peu critiques, sans racines culturelles ou religieuses (Dix Commandements, Béatitudes…), car celles-ci les rendraient évidemment moins influençables ou malléables.

2) Le Luxembourg a fait ses preuves comme Etat-nation démocratique et peut le rester sans se renier s’il accepte sa réalité multiculturelle et arrive à intégrer un maximum d’immigrés comme citoyens à part entière.

Il est vrai que l’Etat luxembourgeois s’est construit depuis deux siècles. Plus jeune que la France ou l’Angleterre, plus vieux que l’Allemagne ou même la Belgique, si l’on considère le Congrès de Vienne comme point de départ. Il jouit d’une souveraineté extérieure, qu’il doit en grande partie à des coups de chance, notamment en 1831/39, en 1867, en 1918/19 et en 1944/45. Hasard ou pas, peu importe aujourd’hui, puisque les Luxembourgeois, suivant globalement l’évolution générale en Europe, ont construit un Etat libéral et démocratique moderne, notamment en 1848, en 1868

6 Pour l’instant, plusieurs puissances semblent rivaliser pour cette domination mondiale: les Etats-Unis, l’Oumma islamique, la Chine. Chacune de ces puissances dispose de ses leviers propres: la maîtrise technologique et le poids économique pour les Etats-Unis et la Chine (dont l’infiltration discrète et habile dans tous les continents va bon train sans susciter de nombreux commentaires), d’autre part la détermination prosélytique d’un certain Islam, soutenu par de riches Etats pétroliers. L’Union Européenne avec sa méthode communautaire pourrait en théorie servir de modèle pour une fédération mondiale plus respectueuse des droits de l’homme et de la démocratie, mais il est à craindre qu’elle soit absorbée par la puissance qui réussira à s’imposer. Comme par le passé, l’ONU sera intrumentalisée.

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et en 1919. D’où sa souveraineté intérieure, d’autant plus réussie que le pays a les dimensions d’une cité-Etat. Mais il y a plus ! Si, au 19e siècle, la classe politique ne s’est guère distinguée par un sentiment national prononcé, le peuple luxembourgeois, homogène du point de vue linguistique depuis 1839, a clairement manifesté sa volonté de former une nation qui valorise sa spécificité culturelle, même si bien des traditions folkloriques et autres sont partagées avec les pays voisins. Le patriotisme luxembourgeois fut promu non seulement par les poètes écrivant en luxembourgeois, par des artistes, des compositeurs, des historiens… , mais surtout par l’Eglise catholique, qui, comme ailleurs, a tâché de le concilier avec sa vocation universelle. Le culte marial (et celui de St. Willibrord) n’a-t-il pas été étroitement associé à l’amour de la patrie! - Au 20e siècle, les victimes des guerres mondiales, et surtout de l’occupation nazie, ont scellé l’attachement à la « Heemecht » par leur sang. Depuis 1944, le Luxembourg indépendant a affirmé sa place parmi les organisations internationales dont il a été le plus souvent membre fondateur. Les hommes politiques ont toujours affirmé que l’adhésion à l’Union Européenne n’affaiblirait pas le Grand-Duché, mais au contraire le renforcerait. Evidemment, les peuples et les individus sont en mouvement; les flux migratoires ne cessent de changer la composition des habitants des contrées de la terre. Le Luxembourg en fait l’expérience depuis son industrialisation, et de manière massive depuis une trentaine d’années. Sans l’apport des immigrés, le développement économique du pays eût été impossible. Il est d’autant plus important de gagner un double pari : respecter les origines des immigrés et intégrer ceux-ci dans la société luxembourgeoise dont l’identité est également digne de respect. A première vue, le droit de vote pour tous semble être un instrument d’inclusion et donc d’intégration. Mais à y regarder de près, et paradoxalement, les choses ne sont pas si simples. Car tout d’abord ni les Luxembourgeois ni les résidents non Luxembourgeois ne sont des citoyens sous vide, abstraits. Nous avons notre culture, notre trilinguisme, et les immigrés arrivent avec leurs propres bagages culturels. Surtout, les motifs et la durée de leur présence divergent. Certains souhaitent s’établir définitivement dans le pays, d’autres sont là pour mieux gagner leur vie pendant un temps et repartir tôt ou tard chez eux. Pour les premiers, la double nationalité est une opportunité excellente. Est-il excessif d’exiger d’eux les conditions qui y sont liées ? On pourrait les assouplir, mais en principe, les candidats à la naturalisation les acceptent volontiers. Les autres ne réclament généralement pas le droit de vote, et s’étonneraient si on le leur octroyait. Pour eux, les droits économiques et sociaux sont essentiels. Le droit ou le devoir de vote pour tous signalise qu’une intégration culturelle même minimale n’a pas d’importance. Il décourage les efforts d’intégration actuels (voir la popularité des cours de langues) et risque d’encourager le communautarisme et la formation de sociétés parallèles, peut-être sous forme de nouveaux partis s’adressant à des groupes particuliers et non à l’ensemble de la population. Remarquons à la fin que les faibles taux d’inscription d’étrangers aux élections communales et européennes indiquent que la majorité des résidents non Luxembourgeois ne contestent guère les responsables politiques. Ceux-ci ne mènent certainement pas une politique défavorisant les résidents sans passeport luxembourgeois. Il serait caricatural d’affirmer qu’une moitié gouverne l’autre moitié de la population.

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Par contre, il est inquiétant de voir que tant de résidents ne s’impliquent pas davantage dans la cité. A la place du droit de vote pour tous, il importe de multiplier les initiatives de rencontre comme le festival des migrations, des cultures et la citoyenneté, les fêtes de voisinage, etc. De son côté, Le Conseil diocésain devrait donner le bon exemple en intégrant des délégués de toutes les missions catholiques présentes au Luxembourg.

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Le droit de vote des ressortissants de nationalité étrangère AU Luxembourg

Nénad Dubajic

CEFIS

1 Introduction :

Ce document se veut être une contribution aux débats à venir sur le droit de vote des ressortissants de nationalité étrangère aux élections nationales. C’est au cours d’un point de presse, le 22 septembre 2014, que le Conseil de gouvernement, en présence des présidents des groupes politiques et des présidents des partis de la coalition gouvernementale, que le Premier ministre Xavier Bettel, a présenté les questions qui seront posées aux électeurs luxembourgeois au cours d’un référendum qui se tiendra le 7 juin 2015.

Au départ, 4 questions étaient prévues, dont une portant sur l’obligation de l’État à prendre en charge les traitements et pensions des ministres des Cultes. Mais l’accord survenu le 21 janvier 2015 sur la séparation de l’église et de l’État, permettant une modification de la Constitution, rend caduque cette question. Dès lors, trois questions seront proposées aux électeurs :

1. Approuvez-vous l’idée que les Luxembourgeois âgés entre seize et dix-huit ans aient le droit de s’inscrire de manière facultative sur les listes électorales en vue de participer comme électeurs aux élections à la Chambre des Députés, aux élections européennes et communales ainsi qu’aux référendums ?

2. Approuvez-vous l’idée que les résidents non-luxembourgeois aient le droit de s’inscrire de manière facultative sur les listes électorales en vue de participer comme électeurs aux élections pour la Chambre des Députés, à la double condition particulière d’avoir résidé pendant au moins dix ans au Luxembourg et d’avoir préalablement participé aux élections communales ou européennes au Luxembourg ?

3. Approuvez-vous l’idée de limiter à dix ans la durée maximum pendant laquelle, de façon continue, une personne peut faire partie du gouvernement ?

Nous nous attacherons au point 2, concernant le droit de vote des personnes de nationalité étrangère aux élections législatives, bien que dans cette réflexion, nous considérerons la question du référendum dans sa globalité, en considérant autres questions. Dans un premier temps, nous aborderons la question du droit de vote des personnes de nationalité étrangère sous un angle historique, et cela à partir du traité de Maastricht, car c’est à partir de ce moment que la question du droit de vote des non-Luxembourgeois s’est concrètement posée. Comment cette question a-t-elle été perçue au Luxembourg ? Comment s’est-elle peu à peu imposée, passant de l’appréhension d’un élu étranger à des politiques de sensibilisation pour inciter les non-Luxembourgeois à s’inscrire sur les listes électorales ?

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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Dans un deuxième temps, nous présenterons un bilan des inscriptions des étrangers sur les listes électorales aux élections européennes et communales. Enfin, nous proposerons une analyse des candidats et des élus de nationalité étrangère qui se sont présentés aux élections communales. L’exemple du droit de vote, actif et passif, des personnes de nationalité étrangère, aux élections communales et européennes depuis 1999, devrait permettre d’alimenter les débats sur l’ouverture du vote aux non-Luxembourgeois aux élections législatives. Cela fait plus de quinze ans que le CEFIS examine la participation sociale et politique des étrangers au Luxembourg comme moyen et signe de leur intégration dans la société luxembourgeoise. Le projet RPSP initié en 1998 avait pour objectif, entre autres, d’observer et d’analyser l’inscription des étrangers qui se rendaient aux urnes pour la première fois aux élections communales de 1999 et pour la seconde fois aux élections européennes de 1999 (la première fois étant en 1994). Lors de ces élections, les ressortissants communautaires avaient la possibilité d’être candidats aux élections communales et nous avions observé attentivement le déroulement de la campagne et les résultats à travers les élus luxembourgeois et non luxembourgeois. Depuis, les chercheurs du CEFIS ont réalisé une étude longitudinale à travers le suivi et l’analyse de toutes les élections, communales et européennes, du Grand-Duché. Dans ce document, nous nous contenterons de présenter un bref bilan des inscriptions et quelques données sur les candidats. Les résultats plus approfondis de notre travail sont accessibles dans les différentes publications RED du CEFIS et disponibles sur le site internet www.cefis.lu.

2 Rappel des faits : de Maastricht aux élections communales et européennes de 1999

1ère étape, le traité de Maastricht : Le Traité de l’Union européenne, ou Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, est entré en vigueur le 1er novembre 1993. Ce traité comporte une partie intitulée « la citoyenneté de l’Union » (article 8 à 8E) selon laquelle tout citoyen ayant la nationalité d'un État membre est aussi un citoyen de l'Union. Cette citoyenneté confère de nouveaux droits aux Européens, à savoir :

• le droit de circuler et résider librement dans la Communauté ; • le droit de voter et d'être élu pour les élections européennes et municipales dans l'État

où l'on réside (art. 8B) ; • le droit à une protection diplomatique et consulaire d'un État membre autre que celui

d'origine sur le territoire d'un pays tiers où ce dernier État n'est pas représenté ; • le droit de pétition devant le Parlement européen et de déposer une plainte auprès du

médiateur européen.

Ainsi, les ressortissants de l’U.E. ne sont plus qualifiés d’étrangers, mais ils sont désormais des citoyens européens. Leur statut a radicalement changé, leur donnant des droits nouveaux, dont le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes pour les ressortissants de l’U.E. Mais la citoyenneté européenne, définie par le Traité de Maastricht, n’est ni une finalité ni une prémisse, c’est un processus : « L’Europe des citoyens, projet profondément humaniste, mais longtemps occulté pour ne pas heurter de front les résistances

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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nationales, est devenue un objectif politique déclaré dans le courant des années 1970 (…) Le Conseil européen de Fontainebleau, en juin 1984, met en place un comité ad hoc, présidé par Pietro Adonnino, qui élabore en 1985 deux rapports proposant une série de mesures concrètes. Les unes, de portée pratique, visaient à accorder de plus amples facilités aux ressortissants des États membres dans leur libre circulation ou l’exercice de leur profession (…) les autres s’attachant à la question des droits spéciaux des citoyens7 ». Processus qui s’est poursuivi par d’autres Traités : Traité d’Amsterdam (1997-99), Traité de Nice (2001-03), le traité de Lisbonne (2007-09), d’autres certainement suivront. Le 2 juillet 1992, la Chambre des Députés Luxembourgeoise adoptait8 le projet de loi portant ratification du Traité de Maastricht avec 51 voix favorables, émanant du LSAP, CSV et DP, 3 abstentions et 6 députés ayant voté contre parmi lesquels le Comité d’action « pension 5/6 » aujourd’hui ADR, GLEI (Gréng Lëscht Ekologesch Initiativ) et KPL (Kommunistesch Partei Lëtzebuerg). Après une opposition du parti démocratique, en raison notamment de son opposition au droit de vote des étrangers, celui-ci s’est finalement prononcé en faveur de la ratification du Traité. Le Comité d’action « pension 5/6 » et le KPL ont pris position contre le droit de vote des ressortissants de l’U.E. aux élections européennes et communales, au motif que les partis de la coalition gouvernementale et le DP avaient ratifié le Traité sans tenir compte de la volonté de la majorité des Luxembourgeois. Le Premier Ministre avait dès lors promis un dialogue avec toutes les forces politiques sur les modalités du droit de vote des étrangers pour trouver un consensus aussi large possible et pour éviter les discours populistes et démagogiques lors des échéances électorales à venir, élections communales de 1993, élections législatives et européennes de 1994. Les trois conditions prévues par la Constitution luxembourgeoise pour l’application d’un traité international en droit interne sont remplies 9 :

• le Grand-Duché doit avoir ratifié le Traité (le 2 juillet 1992) ; • le Traité doit entrer en vigueur sur le plan international (1er novembre 1993) ; • le texte du Traité doit avoir été intégralement publié au Mémorial luxembourgeois à

la même manière qu’une loi (Mémorial A-N°57 du 6 aout 1992. Traité de Maastricht sur l’Union européenne).

Deuxième étape, les directives européennes avec les dispositions dérogatoires et transitoires. Une fois le Traité de Maastricht ratifié, il s’agissait ensuite de négocier les deux directives fixant les modalités de l’exercice du droit de vote actif et passif aux élections communales10 et européennes11.

7 CSV Groupe Parlementaire, Maastricht, une chance et un défi, Luxembourg, imprimerie saint-paul, 1992, p. 54. 8 Sur ce processus de ratification, voir l’étude de Sylvain Besch, Entre intégration et fermeture ; Rapport d’information analytique sur les politiques des étrangers au Grand-Dcuhé de Luxembourg janvier 1993 - juin 199e, Sesopi Centre Intercommunautaire asbl, décembre 1994, 126 pages. Nous reprenons dans ce chapitre une grande partie de cette analyse. 9 Marc Thewes, Luxembourg, in : Les constitutions nationales à l’épreuve de l’Europe. Paris, la Documentation française, 1993, pp187-197. 10 Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité, Journal officiel n° L 368 du 31/12/1994 p. 0038 - 0047 11 Directive 93/109/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants, Journal officiel n° L 329 du 30/12/1993 p. 0034 - 0038

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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Les directives sont une opportunité pour le gouvernement luxembourgeois de négocier des conditions dérogatoires et transitoires, quant à l’application du droit de vote des non-Luxembourgeois, notamment à travers la :

• la mise en place d’une condition de résidence pour exercer le droit de vote actif et passif,

• l’interdiction de listes composées uniquement d’étrangers • la mise en place d’un pourcentage de résidents non-Luxembourgeois pour

l’application des directives.

Article 12 de la Directive portant sur le droit de vote aux élections communales : 1. Si, dans un État membre, à la date du 1er janvier 1996, la proportion de citoyens de l'Union qui y résident sans en avoir la nationalité et qui ont atteint l'âge de voter dépasse 20 % de l'ensemble des citoyens de l'Union en âge de voter et qui y résident, cet État membre peut, par dérogation à la présente directive : a) réserver le droit de vote aux électeurs visés à l'article 3 qui résident dans cet État membre pendant une période minimale qui ne peut pas dépasser la durée égale à un mandat de l'assemblée représentative municipale; b) réserver le droit d'éligibilité aux éligibles visés à l'article 3 qui résident dans cet État membre pendant une période minimale qui ne peut pas dépasser une durée égale à deux mandats de cette assemblée c) prendre des mesures appropriées en matière de composition des listes de candidats et visant notamment à faciliter l'intégration des citoyens de l'Union ressortissants d'un autre État membre.

Article 14 de la Directive portant sur le droit de vote aux élections européenne : 1. Si dans un État membre, à la date du 1er janvier 1993, la proportion de citoyens de l'Union, qui y résident sans en avoir la nationalité et qui ont atteint l'âge de voter, dépasse 20 % de l'ensemble des citoyens de l'Union en âge de voter et qui y résident, cet État membre peut réserver : a) le droit de vote aux électeurs communautaires qui résident dans cet État membre pendant une période minimale qui ne peut pas dépasser cinq ans; b) le droit d'éligibilité aux éligibles communautaires qui résident dans cet État membre pendant une période minimale qui ne peut pas dépasser dix ans. Ces dispositions sont sans préjudice des mesures appropriées que cet État membre peut prendre en matière de composition des listes de candidats et visant notamment à faciliter l'intégration des citoyens de l'Union non nationaux. Toutefois, les électeurs et éligibles communautaires qui, en raison de leur résidence en dehors de leur État membre d'origine ou de sa durée, n'y ont pas le droit de vote ou d'éligibilité ne peuvent se voir opposer les conditions de durée de résidence visées au premier alinéa.

Troisième étape, transposition des directives et application du droit de vote. Le 7 décembre 1993, un projet de loi fixant les modalités de l’élection des représentants du Grand-Duché au Parlement européen a été déposé puis a été adopté le 27 janvier 1994. Il y était prévu une dérogation fixant un délai de résidence pour les non-Luxembourgeois désirant s’inscrire sur les listes électorales, ceci en raison du nombre important de non-luxembourgeois sur son sol. Les débats qui vont avoir lieu au cours des années 1993 à 1996 sont nombreux et riches, chacun exprimant ses opinions, aussi bien du côté des “pour” que celui des “contre” le droit de vote des étrangers. Nous avons fait le choix des deux exemples suivants afin d’illustrer les différentes positions : Dans son avis, le CES12 s’exprime clairement en faveur du droit de vote des étrangers : « l’exclusion des étrangers de toute participation à la vie politique d’un pays, au destin duquel ils sont associés, n’obéit, ni aux principes démocratiques, ni à l’intérêt national bien compris et qu’il est donc particulièrement important qu’un pays comme le notre, ayant une forte implantation de population étrangère, donne la possibilité à cette population de s’exprimer politiquement sur les problèmes locaux ». Les arguments en faveur du droit de vote tournent autour du principe démocratique et de l’application concrète de la citoyenneté. La Chambre des Fonctionnaires et des Employés publics s’exprime, tout aussi clairement, contre l’octroi du droit de vote aux ressortissants étrangers : « en conclusion, la Chambre des

12 Avis du Conseil Economique et Social sur l’évolution économique, financière et sociale du pays, 6 avril 1993.

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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Fonctionnaires et Employés publics reste opposée à l’octroi du droit de vote aux citoyens non luxembourgeois, et elle réitère son appel aux responsables politiques d’entreprendre tout ce qui est en leur pouvoir pour renverser la barre dans le cadre de la conférence intergouvernementale en 1996, dite Maastricht II 13». Les arguments que l’on peut entendre contre le droit de vote des étrangers portent sur la perte de l’identité nationale et de la souveraineté nationale du Grand-Duché. Au final, le droit de vote des étrangers, ressortissants de l’U.E. prend forme à travers la transposition des deux directives européennes : a) par l’adoption de la loi du 28 janvier 1994 fixant les modalités de l’élection des représentants du Grand-Duché de Luxembourg au Parlement européen14. a) par l’adoption de la loi du 28 décembre 1995 fixant les modalités de participation aux élections communales des citoyens non-luxembourgeois de l’Union Européenne15. Nous terminons ce chapitre par la Déclaration de Jacques Santer sur la ratification du Traité de Maastricht le 22 avril 1992, toujours d’actualité.

« Quatrième apport de Maastricht : l'instauration d'une citoyenneté européenne. Cette innovation s'imposait : une Union censée être plus proche des citoyens exigeait un apport palpable. Il était temps que l'économie et la politique reçoivent un complément à dimension humaine. À la nationalité d'origine de chaque ressortissant communautaire s'ajoutera désormais la citoyenneté européenne. Alors que la nationalité se caractérise par des liens historiques, profonds et véritables, la citoyenneté est une notion bien plus symbolique : il s'agit en quelque sorte d'un élément de raison, plus pratique que sentimentale. L'article 8 du Traité stipule qu'“est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre”, ce qui montre bien que la nationalité ne sera pas remplacée par la citoyenneté. Cette citoyenneté présentera de nombreux avantages pour les Luxembourgeois. Ils pourront bénéficier, lors de leurs séjours à l'étranger, de cette même citoyenneté européenne qui ne fera que traduire ce rapprochement entre les peuples, entre les citoyens européens. Qui pourrait nier les facilités et avantages que présente un passeport “fort” protégeant quelques 340 millions d'hommes par rapport au passeport national qui n'a que le petit peuple luxembourgeois derrière soi ? Le Grand-Duché perdra-t-il alors son âme en admettant la participation conditionnée de résidents communautaires aux élections européennes et communale ? Le sentiment d'appartenance à la nation luxembourgeoise se fonde sur des éléments définissables pour les uns, telle la langue, moins palpables pour d'autres, telle une certaine façon de réfléchir et de vivre en commun et la conscience de faire partie d'une collectivité ayant vécu la même histoire. Ce n'est certes pas la participation ou non, des résidents communautaires aux élections, qui menacera ces éléments constitutifs et incontournables de notre nation. »

3 Les élections européennes : inscription sur les listes électorales de 1994 à 2014

Après cette description, nous proposons un bilan des inscriptions des ressortissants communautaires aux élections européennes. Avec l’introduction de la citoyenneté européenne, chaque citoyen communautaire dispose désormais du droit de vote et d’éligibilité

13 Chambre des Députés, Session ordinaire 1995-1996 n°4051, Projet de loi fixant les modalités de participation aux élections communales des citoyens non luxembourgeois de l’Union européenne et modifiant 1)le loi électorale modifiée du 31 juillet 1924 2) la loi communales modifiée du 13 décembre 1988,Luxembourg, 29 novembre 1995. 14 Mémorial A-N°3 du 31 janvier 1994. Loi du 28 janvier 1994 fixant les modalités de l’élection des représentants du Grand-Duché de Luxembourg au Parlement européen. 15 Mémorial A-N°101 du 28 décembre 1995 fixant les modalités de participation aux élections communales des citoyens non-luxembourgeois de l’Union Européenne et modifiant 1) la loi électorale modifiée du 31 juillet 1924 2) la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

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aux élections communales et aux élections pour le Parlement européen. C’est aux élections européennes de 1994 que les ressortissants communautaires ont eu la possibilité de faire valoir ce droit pour la première fois, à condition de résider dans le pays depuis 5 ans au cours des 6 dernières années au moment de la demande d’inscription. Les conditions de participation ont été allégées par la suite : la durée de résidence a été fixée à 5 ans au moment de la demande d’inscription pour les élections de 2004, puis à 2 ans pour les élections européennes de 2009. Pour les élections européennes qui sont déroulées le 25 mai 2014, la loi électorale (loi du 20 décembre 2013) permet aux ressortissants communautaires de s’inscrire sur les listes électorales sans condition de résidence. Nous pouvons d’ores et déjà constater que la durée de résidence, l’une des conditions essentielles pour participer aux élections européennes en 1993, date de l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht, a été purement et simplement supprimée 20 après son application. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans nos conclusions. Le délai d’inscription a également subi une modification importante : en 1999, pour voter, les ressortissants communautaires devaient s’inscrire sur les listes électorales 18 mois avant les élections, à savoir le 31 mars 1998. Ce délai a été réduit à 86 jours avant les élections en 2008 (la loi du 19 décembre 2008 prolonge le délai d’inscription des non-Luxembourgeois sur les listes électorales pour les élections européennes et communales jusqu’au 13ème vendredi avant la tenue des scrutins). Pour participer aux élections européennes du 25 mai 2014, les ressortissants de l’Union ont pu s’inscrire sur la liste électorale jusqu’au 28 février 2014. De plus, ces derniers ne doivent plus justifier des années de durée de résidence, ceci de même que pour être éligible.

Évolution des inscriptions aux élections UE de 1994 à 2014

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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De 1994 à 2014, le nombre d’inscrits en valeur absolue a régulièrement augmenté, passant de 6 907 en 1994 à 21 650 en 2014. L’augmentation la plus significative a été relevée pour les élections européennes de 2009 (+50 %). De 2009 à 2014, la hausse observée est de 23 %. Évolution du taux d'inscription et du poids de l'électorat étranger aux élections E.U de 1994 à 2014

Il y a eu une augmentation des taux d’inscription et du poids de l’électorat étranger par rapport aux élections européennes précédentes ; le taux d’inscription représente le nombre de

6907

9811 11739

17579

21650

0

5.000

10.000

15.000

20.000

25.000

1994 1999 2004 2009 2014

© CEFIS

3,1% 4,3%

5,1%

7,3% 8,2%

7,4% 8,8% 8,9%

11,5% 12,2%

0%

2%

4%

6%

8%

10%

12%

14%

1994 1999 2004 2009 2014 © CEFIS

Poids de l'électorat étranger Taux d'inscription

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ressortissants communautaires qui se sont inscrits sur les listes électorales par rapport à ceux qui auraient eu la possibilité de le faire. Le poids de l’électorat étranger représente les électeurs étrangers inscrits sur les listes électorales par rapport à l’électorat total. Ce graphique fournit deux indications : d’une part, il confirme la progression enregistrée lors des élections européennes de 2009 (+2,6 %) par rapport aux élections précédentes, ainsi que l’augmentation toute relative en 2014 (+0,7 %). D’autre part, il indique aussi combien la proportion des résidents étrangers encore non inscrits aux élections européennes reste forte : 12,2 % d’inscrits, ce qui signifie que 88,8 % ne se sont pas inscrits sur les listes. Malgré l’annulation des conditions de résidence, fixée à 5 ans, puis à 2 ans, nous n’observons pas de hausses importantes. Détail des inscriptions selon les principales nationalités

Inscriptions sur les listes électorales selon la nationalité aux élections européennes de 1999 à 2014

Nationalités Élections EU 1999

Élections EU 2004

Élections EU 2009

Élections EU 2014

Évolution 2009-2014

Taux d'inscription 2014

portugaise 2 699 3 646 6 546 7 812 19 % 10,9 % française 1 066 1 266 2 266 3 565 57 % 11,6 % italienne 3 095 3 048 3 375 3 124 -7 % 18,4 % belge 1 150 1 413 1 930 2 309 20 % 14,7 % allemande 879 1 127 1 633 2 048 25 % 18,3 % britannique 248 336 467 595 27 % 12,3 % néerlandaise 299 403 549 594 8 % 17,0 % espagnole 180 190 228 380 67 % 9,8 % danoise 56 83 141 224 59 % 13,9 % irlandaise 77 89 112 165 47 % 13,5 % polonaise 16 63 136 116 % 4,7 % grecque 26 35 61 122 100 % 6,8 % roumaine 22 103 368 % 4,7 % autrichienne 19 47 58 97 67 % 13,7 % suédoise 16 25 40 75 88 % 5,7 % tchèque 3 17 59 247 % 9,1 % bulgare 8 58 625 % 6,9 % hongroise 2 10 44 340 % 4,0 % finlandaise 1 7 22 37 68 % 4,4 % slovaque 0 6 29 383 % 5,2 % lettonne 0 5 18 260 % 4,0 % estonienne 0 5 16 220 % 3,6 % slovène 3 8 16 100 % 3,9 % maltaise 0 4 8 100 % 4,0 % croate 7 0 % 1,5 % lituanienne 0 2 7 250 % 1,3 % cypriote 0 1 2 100 % 3,1 % Total 9 811 11 739 17 579 21 650 23 % 12,2 % Pour ce tableau, nous ne disposons pas d’information concernant le taux d’inscription selon la nationalité en 1994. Source CEFIS Les Portugais arrivent en tête avec 7.812 inscrits, mais le taux d’inscription montre un potentiel très important pour ces ressortissants puisqu’il n’est que de 10,9 %. Les Français ont fait un bond avec une progression de 57 % entre 2009 et 2014, mais ils ont un taux

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d’inscription qui se situe légèrement en dessous de la moyenne (12,2 %). Il faut dire que l’inscription des Français a toujours été très faible, de même pour les Belges et les Allemands. Nous en avions alors conclu que les ressortissants des pays limitrophes au Luxembourg préféraient certainement voter dans leurs pays d’origine. Mais aujourd’hui, on constate que leurs taux ont tous augmenté, les Allemands affichent un taux d’inscription de 18,3 %, se situant au même niveau que les Italiens. Avec un taux d’inscription de 18,4 % (19,9 % en 2009), les Italiens réalisent le meilleur score. Cependant, le nombre d’inscrits a diminué de 7 % par rapport aux élections européennes de 2009. Cela est certainement dû aux naturalisations ou aux retours dans le pays d’origine. Enfin, le taux d’inscription des autres communautés vivant au Luxembourg a augmenté. On peut retenir notamment les bons scores des anglophones : Britanniques (+27 %) et Irlandais (+47 %). Est-ce dû aux initiatives ciblées à leur égard 16 ? En ce qui concerne les communautés de plus petites tailles récemment installées au Luxembourg, le nombre de leurs ressortissants est trop faible pour tirer des conclusions. Les Polonais, ancienne immigration vers le Luxembourg, sont passés de 63 inscrits à 136 soit une hausse de 116 %, les Tchèques de 17 inscrits à 59. Pour conclure sur ces dernières élections européennes, nous remarquons que, malgré la hausse constatée lors des élections de 2009, elles intéressent peu de personnes. Ceci va dans le sens des observations faites dans les autres pays de l’Union européenne où le taux de participation a été l’un des plus faibles depuis sa création : 43,09 % en moyenne dans l’Union, soit -2,6 points par rapport au scrutin de juin 2004. L’Europe semble lointaine aux résidents étrangers, et les enjeux européens paraissent plus éloignés que les enjeux nationaux et locaux. Parmi les freins à la participation on peut citer les suivants : • Le choix pour les citoyens de l’U.E. de voter soit pour les députés européens du pays

d’origine soit du Luxembourg. Ainsi, en 2004, parmi les électeurs, environ 50 % des Français et des Italiens votaient dans leur pays d’origine et l’autre moitié au Luxembourg. À cela, il faut ajouter également que la participation électorale aux Européennes dans le pays d’origine est plus ou moins favorisée par les ambassades et les consulats.

• De plus, il faut noter l’absence de débat public sur les enjeux européens. Il n’y a par exemple pas eu de campagnes électorales avant la clôture des inscriptions.

• Le changement assez tardif du nouveau cadre légal électoral a fortement freiné la mise en place de la campagne de sensibilisation dont la nécessité n’est plus à démontrer.

4 Les élections communales : Inscription sur les listes électorales de 1999 à 2011

C’est aux élections communales de 1999 que les étrangers issus de l’Union européenne ont eu pour la première fois la possibilité d’élire les conseillers communaux sous certaines conditions : outre la condition d’âge, il fallait justifier 6 années de résidence au cours des 7 dernières années au moment de la demande d’inscription. Aux élections communales de 2005, la durée de résidence a été réduite à 5 ans au moment de la demande d’inscription et les non-communautaires ont également eu la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales dans les mêmes conditions que les ressortissants communautaires. Comme pour les élections 16 Citons en particulier les formations de sensibilisation que nous avions donnée avec l’Olai, MPG (Migration Policy Group) et la Maison de l’Europe à destination des anglophones.

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européennes, il fallait faire la démarche de s’inscrire sur les listes électorales auprès de la commune. En 1999 et en 2005, le délai d’inscription était fixé au 31 mars de l’année précédant les élections (soit 18 mois avant les échéances électorales), puis il a été réduit à 86 jours (environ 3 mois) aux élections communales de 2011. Ainsi, pour voter aux élections communales du 9 octobre 2011, les ressortissants de nationalité étrangère pouvaient s’inscrire jusqu’au14 juillet 2011 inclus sur les listes électorales (loi du 19 décembre 2008). Évolution des inscriptions sur les listes électorales aux élections communales de 1999 à 2011

De 1999 à 2011, les inscriptions pour les élections communales sont passées de 13 835 à 30 937, soit une augmentation de 124 % en douze ans, avec une hausse importante de 1999 à 2005 (+73 %) et une augmentation moins importante entre 2005 et 2011 (+29 %). Il faut cependant préciser que la modification de la loi sur la nationalité, introduisant le principe de plurinationalité, a considérablement transformé le corps électoral (Loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise), car de nombreux électeurs étrangers sont devenus des électeurs luxembourgeois. En 2009 par exemple, année de mise en application de la nouvelle loi, il y a eu 9 566 acquisitions de la nationalité luxembourgeoise, et, en 2010, 4 311 acquisitions de la nationalité luxembourgeoise. Au cours des années suivantes, le nombre de naturalisations s’est stabilisé entre 4 000 et 5 000 par an. Le taux d’inscription est passé de 12 % à 17 % et le poids de l’électorat étranger de 6 % à 12 %. Nous constatons donc une augmentation importante de la participation électorale communale des étrangers, mais plus encore, une plus forte participation qu’aux élections européennes. Cette hausse concerne principalement les ressortissants de l’U.E car le nombre de non-communautaires inscrits est resté très faible pour une première participation.

Évolution du taux d'inscription et du poids de l'électorat étranger aux élections communales de 1999 à 2011

13.835

23.957

30.937

0

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10.000

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20.000

25.000

30.000

35.000

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+ 10 122 soit une hausse de 73%

+ 6 980 soit une hausse de 29%

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Eléments de réflexion : Le droit de vote des étrangers aux élections nationales

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Les taux d’inscription selon les principales nationalités communautaires sont de 18 % (28.341 personnes). Les ressortissants de 6 pays affichent des taux au-dessus de la moyenne : les Néerlandais, les Italiens, les Autrichiens, les Allemands, les Belges et les Portugais. Sur les 24 nationalités communautaires comportant 100 électeurs potentiels au moins, le taux d’inscription a progressé depuis 2005 pour 18 nationalités. Pour 2 pays il est resté stable et pour 4 pays, il a diminué.

Les taux d’inscription aux élections communales 2011 selon les nationalités communautaires

12%

15%

17%

6%

10%

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0%

4%

8%

12%

16%

20%

1999 2005 2011 © CEFIS

Taux d'inscription Poids de l'électorat

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Pour la plupart des groupes nationaux, nous remarquons une augmentation de la participation. C’est surtout le cas pour les Portugais qui sont passés de 4 896 à 10 622 inscrits, soit une augmentation de 117 %. Avec un taux d’inscription de 20 %, les ressortissants portugais se hissent au niveau de celui des Italiens, qui ont toujours eu un degré de politisation important. Une comparaison avec les élections européennes renseigne sur l’importance plus grande que revêtent les élections locales.

2%� 2%� 2%� 3%� 3%� 3%� 4%� 4%� 4%�5%� 5%�

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Les taux d’inscription aux élections communales 2011 selon les principales nationalités non-communautaires

Le taux d’inscription selon les principales nationalités non-communautaires est de 12 % chez les ressortissants non-communautaires (2.596 personnes), alors qu’en 2005, il était de 6 % (1.251 personnes). Sur les groupes nationaux comportant un électorat potentiel d’au moins 100 électeurs, la communauté péruvienne affiche avec 26 % le taux d’inscription le plus important. Parmi les principales nationalités non-communautaires, il faut relever le taux d’inscription assez important et au-dessus de la moyenne nationale, des ressortissants monténégrins (25 %), de la Bosnie (18 %) et de la « Yougoslavie » (17 %). Notons encore la bonne progression des ressortissants capverdiens depuis les élections communales de 2005, avec un taux d’inscription passant de 8 % à 13 %.

5 Élections communales : Profil des candidats et des élus étrangers de 1999 à 2011.

En 1999, seuls les ressortissants communautaires avaient accès aux élections communales comme électeurs et comme candidats. En 2005, les non-communautaires participaient pour la première fois en tant qu’électeurs, mais ne pouvaient pas être candidats. Aux élections communales de 2011, tous les étrangers avaient la possibilité de voter, d’être candidats et pouvaient accéder au poste de bourgmestre et d’échevin. Pour être candidat en 1999, il fallait justifier une durée de résidence de 12 années au moins au cours des 15 dernières années et être ressortissant de l’U.E. (loi électorale du 28 décembre 1995). Cette durée a été abaissée à 5 années aux élections communales de 2005 (loi électorale 18 février 2003). La loi électorale du 13 février 2011 ouvre l’électorat passif (être candidat) aux ressortissants de pays tiers, toujours avec la condition de résidence de 5 ans au moment du dépôt des candidatures. Cette loi permet aussi à l’étranger, démocratiquement élu, d’accéder aux postes de bourgmestre et d’échevin. Une fois encore, il est intéressant d’observer et de

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souligner que les conditions de participation aux élections ont subi de nombreux allégements par rapport aux exigences du départ. Un manque de candidats aux élections communales de 2011 Il y avait 3 319 candidats pour 1 129 conseillers à élire (soit un rapport de 2,94). Dans les communes majoritaires, il y avait 849 candidats pour 574 sièges (rapport 1,48), et dans les communes proportionnelles 2 470 candidats pour 555 sièges (rapport 4,45). Nous observons un déficit de candidats dans les petites communes où il y a moins de 2 candidats pour un siège alors que les villes de plus de 3 000 habitants ont plus de 4 candidats pour un siège. Ainsi, dans 8 communes à scrutin majoritaire il n’y a pas eu d’élections et les conseillers ont été élus d’office, d’autre part, 8 sièges n’ont pas été occupés faute de candidats, réduisant ainsi à 1 121 le nombre d’élus au lieu des 1 129 initialement prévus. Les candidats des communes élus d’office aux élections communales de 2011

Consdorf : 5 candidats pour 9 conseillers (- 4) Neunhausen : 3 candidats pour 3 conseillers Eschweiler : 7 candidats pour 7 conseillers Nommern : 8 candidats pour 9 conseillers (-1) Consthum : 4 candidats pour 4 conseillers Schieren : 8 candidats pour 9 conseillers (-1) Tandel : 11 candidats pour 11 conseillers Weiller-la-Tour : 7 candidats pour 9 conseillers (-2)

Le CEFIS souligne depuis de nombreuses années le manque de diversité parmi les élus communaux (manque de population jeune, manque de population féminine, manque de personnes de nationalité étrangère). Profil des candidats Des 138 candidats étrangers en 1999 (4 % du total des candidats), nous sommes passé à 189 en 2005 (6 % du total des candidats), et à 236 en 2011 (7 %). La représentation des candidats étrangers est extrêmement faible et par rapport aux candidats luxembourgeois et par rapport à leur effectif numérique dans la société luxembourgeoise.

Candidats étrangers aux élections communales de 1999 et de 2005

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Aux élections communales les candidats portugais et italiens prédominent; suivent les candidats allemands qui ont beaucoup augmenté en 2011 (passant de 23 candidats en 2005 à 39 en 2011), les Français, les Belges et les Néerlandais qui forment un deuxième groupe de candidats plus ou moins homogènes, puis arrivent les ressortissants d’autres nationalités de l’Union en ordre dispersé de quelques unités. Cependant ; les principales nationalités vivant au Luxembourg ont toutes vu leur représentation progresser entre 1999 et 2011.

Nationalité des candidats étrangers aux élections communales de 1999 et de 2005.

Nationalité 2011 2005 1999

Portugais 69 66 43 Italiens 40 42 36 Allemands 39 23 13 Français 24 15 12 Belges 19 15 12 Néerlandais 14 16 15 Britanniques 7 0 2 Danois 4 0 1 Espagnols 3 4 4 Autrichiens 2 3 0 Grecs 2 1 0 Polonais 1 0 0 Hongrois 1 0 0 Non-U.E. 11 0 0 Suédois 0 1 0 Total 236 186 138

Les ressortissants non-U.E. ont eu pour la première fois la possibilité de poser leur candidature aux élections communales de 2011. Nous avons recensé 11 candidats non-U.E. :

0  

50  

100  

150  

200  

250  

1999   2005   2011  

138    soit  4,3%  sur  3226  

189  soit  5,9%    de  3195  

236  soit  7,1%    de  3319  

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3 Monténégrins, 1 Albanais, 1 Américain, 1 Bosniaque, 1 Ivoirien, 1 Mauritanien, 1 Norvégien, 1 Serbe et 1 Suisse.

Répartition des candidats étrangers selon l’appartenance politique aux élections communales de 2011

La répartition des candidats étrangers selon les partis politiques montre une certaine dissymétrie entre le système de scrutin, avec une surreprésentation dans les communes à scrutin proportionnel (200 candidats) et une sous-représentation dans les petites communes à scrutin majoritaire avec seulement 36 candidats (sur l’ensemble des 236 candidats étrangers). Nous observons une forte présence de candidats étrangers au sein des Verts, du parti socialiste et dans une moindre mesure dans le parti démocrate.

Les élus étrangers selon leur nationalité, le mode de scrutin et le parti politique aux élections communales de 1999 et 2005

Élections communales de 1999

Élections communales de 2005

Élections communales de 2011

Candidats étrangers 138 Candidats étrangers 189 Candidats étrangers 236 Élus étrangers 9 Élus étrangers 14 Élus étrangers 17 % 6,5 % % 7,4 % % 7,2 % Nationalité des élus Nationalité des élus Nationalité des élus Allemands 1 Allemands 4 Allemands 5 Français 1 Français 3 Français 3 Néerlandais 5 Néerlandais 2 Néerlandais 3 Portugais Portugais 2 Portugais 3 Belges Belges 1 Belges 1 Espagnols Espagnols 1 Espagnols Italiens 2 Italiens 1 Italiens 1 Autrichien Autrichien Autrichien 1 Total 9 Total 14 Total 17

Partis et scrutin majoritaire Partis et scrutin majoritaire Partis et scrutin majoritaire

CSV 4 CSV 3 CSV 1

0  

10  

20  

30  

40  

50  

60  

D  G   LSAP   DP   CSV   D  L   KPL   ADR   Partis  locaux  

Scrutin  Maj.  

60  

43  

37  

19  14   14  

6   7  

36  

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LSAP 0 LSAP 1 LSAP 2 DP 0 DP 1 DP 2 ADR 0 ADR 0 ADR 0 Déi Gréng 0 Déi Gréng 1 Déi Gréng 0 Är Equipe 1 Scrutin majoritaire 5 Scrutin majoritaire 8 Scrutin majoritaire 11 Total 9 Total 14 Total 17

9 candidats étrangers ont été élus en 1999, 14 en 2005 et 17 en 2011. Les élus sont plus « nombreux » pour les élections au scrutin majoritaire, avec 11 élus en 2011, contre 6 élus au scrutin proportionnel, 2 au LSAP, 2 au DP, 1 au CSV et 1 dans un parti indépendant. Les candidats étrangers n’ont que très peu de chances d’être élus au sein d’un parti politique, qui a son propre fonctionnement et sa propre logique et où les places sont « chères ». Dans les petites communes, où les relations directes sont déterminantes, pour être élu il faut être connu, aussi bien pour les Luxembourgeois que les étrangers. Pour être élu, plusieurs facteurs sont déterminants : d’une part, les ressources sociales et culturelles mais aussi un niveau d’études supérieur à la moyenne nationale pour les candidats luxembourgeois et les candidats de nationalité étrangère. Ces derniers disposent de très bonnes connaissances linguistiques, et d’un bon niveau socioprofessionnel. D’autre part, les candidats affichant de bons scores électoraux disposent de bonnes ressources sociopolitiques : ils demeurent dans une même commune depuis longtemps, sont bien implantés localement et bénéficient dès lors d’une certaine notoriété. De même, ils ont un taux de participation associatif élevé et plusieurs engagements politiques dans les structures locales (commissions communales par exemple) et parfois nationales.

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6 Conclusions Au moment de la signature du Traité de Maastricht et des débats sur le droit de vote des étrangers aux élections européennes et communales, des craintes sont apparues, somme toute légitimes parce que nouveau et innovateur : le ou les bourgmestre(s) portugais, à Larochette ou ailleurs, la perte de la souveraineté nationale, ou une mise en minorité des Luxembourgeois dans leur propre pays, etc. Nous avons présenté un bilan de la participation politique des étrangers au Luxembourg qui relativise toutes ses appréhensions : les inscriptions aux élections européennes de 1994 à 2014, les inscriptions et analyse sociologique des candidats aux élections communales de 1999 à 2011. Au cours de ses 20 dernières années que peut-on conclure des débats et des élections. Quelques conclusions sur le bilan présenté

• Le bourgmestre portugais à Larochette était une chimère. Le bourgmestre de cette commune est un citoyen, luxembourgeois, dévoué à sa commune depuis de nombreuses années ; lui, le collège échevinal et le conseil communal veillent à la bonne marche de leur commune, comme c’est le cas des autres communes du Grand-Duché. Et même… si le bourgmestre avait été de nationalité étrangère, ne gérerait-il pas la commune et les administrés de la même manière qu’un luxembourgeois ? À t-on déjà mis en cause le bourgmestre d’une commune pour favoritisme envers les Luxembourgeois ? Et pourquoi pourrait-on présumer cela pour un bourgmestre allemand, français, ou belge, ou autre ? Pour les politiques ou futurs politiques, les « zoon politikon17 » pourrait-on dire, la conviction politique prime avant tout, non la communauté de nationalité à laquelle l’on appartient. Nos observations, et les études réalisées à l’étranger18 sont claires, montrent que le vote communautaire reste un phénomène marginalisé, et les candidats de nationalité étrangère même s’ils sont sensibles à la problématique de l’intégration, tout comme les candidats luxembourgeois d’ailleurs, sont tournés vers la défense du bien commun.

• Le second point sur lequel nous pouvons revenir est l’allégement des conditions de

participation. Lors des débats parlementaires en 1993, les exigences pour voter et être candidats étaient assez strictes. Peu à peu, ces mêmes conditions ont été atténuées, allant jusqu’à la suppression des conditions de résidence pour les élections européennes. Ces différentes modifications de la loi électorale n’ont pas fait l’objet de controverses importantes de la part de l’opinion publique ou des partis politiques. Quand le CEFIS avait réalisé une étude sur les partis politiques et les étrangers en 2009, nous avions noté que tous les partis politiques admettaient comme une évidence la nécessité d’une politique d’ouverture aux non-Luxembourgeois, avec un bémol cependant pour la mise en application de ses idées : « Il existe des décalages entre les intentions et la réalité. Qu’il s’agisse de la présence et de la place des étrangers dans les partis et leurs structures ou de la présence des étrangers dans le champ politique comme électeurs, comme candidats et comme élus, de l’affirmation d’ouverture et de volonté d’intégration, les mesures diverses mises en place ou envisagées pour renforcer ces deux formes de présence, restent nettement plus marquées que leur

17 L'homme est, selon Aristote, un zoon politikon, c'est-à-dire, littéralement, un animal civique, ou un animal politique, seul capable de former une cité en vue de réaliser le Bien commun. 18 Voir la bibliographie en fin de document.

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présence réelle et effective19 ». Un effort reste à faire donc, du côté des partis politiques et du côté des résidents non-luxembourgeois.

• Dernier point et non des moindres, aux dernières élections communales de 2011, le

CEFIS avait observé une carence de candidats dans les petites communes (avec 8 sièges de conseillers communaux non pourvus). Par ailleurs, l’âge moyen des candidats et des élus augmente sensiblement. Pour les candidats, l’âge moyen est passé de 45,4 ans en 1999 à 47,3 en 2011, et l’âge moyen des élus était de 49,9 ans en 2001 contre 48,7 en 1999. Les élections législatives ne sont pas en reste puisqu’en 2009 les chercheurs de l’Université de Luxembourg notaient que : « la moyenne d’âge générale des candidats poursuit sa lente croissance en 2009. Elle est de 47,6 ans alors qu’elle était de 47,3 ans en 2004 et de 46,9 ans en 199920 ». Il s’agit juste d’en prendre conscience, de même que pour les femmes, les jeunes et les non-Luxembourgeois, restent sous représentées en politique

Une citoyenneté politique fondée sur quels critères ? La participation politique semble aller de soi, elle est même inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis » (article 21). Les débats publics sur la participation politique des étrangers sont inexistants, ou, quand ils existent ce sont des arguments simplistes et commodes qui prennent le dessus et tournent à une opposition réductrice entre “Nous” les autochtones, et “Eux”, les étrangers, avec tous les a priori qui accompagnent ce genre de construction mentale manichéenne. Le principe fondamental énoncé ci-dessus semble n’être pas ou peu acceptée. Le système que connaissent les pays démocratiques définit la citoyenneté surtout à travers des critères de nationalité et d’âge. Cette citoyenneté a connu des élargissements successif au cours du temps. Le critère fondamental de la citoyenneté politique est la nationalité Cette citoyenneté nationale repose uniquement sur le passeport conférant des droits et des devoirs spécifiques. C’est l’intérêt du traité de Maastricht réside dans l’instauration de la citoyenneté européenne, qui concerne tous les ressortissants UE, même si ce concept repose toujours sur le principe de la nationalité et exclut de fait les non-communautaires. L’Article 19 du traité stipule en effet que « tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il est ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ». Ainsi, les citoyens de l’U.E. qui résident dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité ont le droit de vote actif et passif aux élections communales et européennes. D’une citoyenneté nationale, on est passé à une citoyenneté européenne, semi-ouverte, entre ouverture (ressortissants non-luxembourgeois communautaires) et fermeture (ressortissants de pays tiers). Le Luxembourg a été le plus loin en ouvrant le droit de vote actif et passif aux élections communales pour les ressortissants non communautaires. Si ce n’est certes pas le premier, ni

19 Besch Sylvain, Dubajic Nénad, Legrand Michel, Les partis politiques et les étrangers au Luxembourg, Luxembourg, Sesopi-Centre Intercommunautaire, 2009, p. 147. 20 Patrick Dumont, Raphaël Kies, Astrid Spreitzer, Maria Bozinis, et Philippe Poirier (dir.), Les élections législatives et européennes de 2009 au Grand-Duché de Luxembourg. Rapport élaboré pour la chambre des Députés, Université du Luxembourg, décembre 2010, p. 114

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le seul pays européen qui est allé dans ce sens21, c’est le seul pays à abolir la condition de nationalité pour accéder au poste de bourgmestre ou d’échevin. Une nouvelle étape est franchie, de la citoyenneté européenne, on est passé à une citoyenneté de résidence, en ce qui concerne les élections locales du moins. Le débat sur l’extension de ces droits reste d’actualité avec le referendum à venir, à savoir l’accès des résidents aux élections nationales indépendamment de leur nationalité. L’enjeu est de taille, alors qu’il s’agit d’un pas en plus vers une citoyenneté de résidence, pleine et entière, une dernière étape et non des moindres restant encore à franchir : l’électorat passif n’étant pas inclus dans le referendum. L’argument clé qui devrait soutenir et appuyer l’idée de la participation politique est que le sentiment d’appartenance, de chaque citoyen, à une même communauté fondée sur le line civique, est primordial : « L’homme n’accède à son véritable statut moral que par le biais de la citoyenneté, dans une organisation politique réelle22 ». Une exclusion politique peut développer un sentiment d’incompétence et de repli sur soi-même et aboutir à la création d’une identité particulière, différentielle, avec des risques de ghettoïsation. C’est toute la question de la cohésion sociale qui est en jeu, et il s’agit de prendre la mesure des conséquences à moyen et à long terme des choix qui sont et seront faits. Dans les débats à venir, deux visions du monde vont s’opposer, deux perceptions d’une société « idéale » de la société se confrontent où chacun parle au nom de la collectivité (députés, bourgmestres, responsables politiques, associatifs d’ONG, syndicaux, citoyens, etc.) et s’applique à justifier publiquement ses intentions au nom d’un principe supérieur et d’un ordre social juste (Dieu, la nation, la démocratie, etc.). Les débats sur le droit de vote des personnes de nationalité étrangère n’opposent pas les Luxembourgeois et les non-Luxembourgeois, c’est une approche simpliste et sommaire. C’est un débat entre une vision idéale des principes démocratiques et de la citoyenneté d’un côté, et de l’autre la souveraineté nationale, la culture et la langue luxembourgeoise. Faut-il choisir ?

21 L’Irlande l’a accordé depuis bien longtemps, de même que la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède sous certaines conditions. L’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays, alors que la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie dénient aux étrangers non-communautaires le droit de vote. 22 Canto-Sperber Monique, Philosophie grecque, Paris, PUF, 1998.

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