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Rev. dr. unif. 2008 179 Le droit français des contrats et les Principes d’UNIDROIT Jean-Michel Jacquet * 1. La comparaison qu’il nous a été demandé d’effectuer entre les Principes d’UNIDROIT pour les contrats du commerce international et le droit français des contrats n’est pas une tâche facile. Mais elle devrait se révéler utile dans le cadre de ce Colloque, car l’entreprise qui consiste à élaborer un Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats présente des similitudes avec celle qui consisterait à introduire en France un texte complètement nouveau à la place du droit existant. On sait d’autre part l’influence que le droit écrit français et la Jurisprudence française ont exercée et l’intérêt qu’ils peuvent continuer de susciter à l’égard de certains pays africains, même lorsque ceux- ci sont dotés de leur propre droit des contrats et des obligations. A vrai dire, nous savons bien que la France, comme les autres pays d’Europe, est déjà confrontée à un défi semblable à celui que les pays membres de l’OHADA s’apprêtent à relever aujourd’hui et qu’elle a commencé de s’y préparer 1 . La doctrine s’est déjà longuement interrogée sur l’accueil qui pourrait être réservé en France à un “droit européen des contrats” assez proche * Professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales, Genève (Suisse); Directeur du Journal du droit international Clunet. Rapport présenté au Colloque sur “L’harmonisation du droit OHADA des contrats” tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 15 au 17 novembre 2007, ayant notamment pour objet la discussion de l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats (2005) élaboré par UNIDROIT à la demande de l’OHADA. Ce texte, ainsi que la Note explicative y relative rédigée par le Professeur Marcel FONTAINE sont accessibles sur le site Internet d’UNIDROIT (<http://www.unidroit.org>) et sont reproduits en annexe au présent volume. 1 Cf. B. FAUVARQUE-COSSON, ”Faut-il un code civil européen?”, RTD civ. (2002), 463; C. JAMIN, ”Un droit européen des contrats”, in : Le droit privé européen, Economica (1998), 40; Ph. MALAURIE, ”Le code civil européen des obligations et des contrats, une question toujours ouverte”, JCP (2002), I, 110; D. MAZEAUD, ”Faut-il avoir peur du droit européen des contrats?”, Mélanges Blanc-Jouvan, Société de législation comparée (2005), 309; Idem, “Un droit européen en quête d‘identité. Les Principes du droit européen du contrat”, D. (2007), chr. 2959; C. PRIETO, ”Une culture contractuelle commune en Europe”, in : Regards croisés sur les Principes du droit européen des contrats et sur le droit français, dir. C. Prieto, PUAM (2003); Cl. WITZ, ”Plaidoyer pour un code européen des obligations”, D. (2000), chron. 79; D. BLANC / J. DEROULEZ, ”La longue marche vers un droit européen des contrats”, D. (2007), chr. 1615.

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Le droit français des contrats et les Principes d’UNIDROIT

Jean-Michel Jacquet *

1. La comparaison qu’il nous a été demandé d’effectuer entre les Principes d’UNIDROIT pour les contrats du commerce international et le droit français des contrats n’est pas une tâche facile. Mais elle devrait se révéler utile dans le cadre de ce Colloque, car l’entreprise qui consiste à élaborer un Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats présente des similitudes avec celle qui consisterait à introduire en France un texte complètement nouveau à la place du droit existant. On sait d’autre part l’influence que le droit écrit français et la Jurisprudence française ont exercée et l’intérêt qu’ils peuvent continuer de susciter à l’égard de certains pays africains, même lorsque ceux-ci sont dotés de leur propre droit des contrats et des obligations.

A vrai dire, nous savons bien que la France, comme les autres pays d’Europe, est déjà confrontée à un défi semblable à celui que les pays membres de l’OHADA s’apprêtent à relever aujourd’hui et qu’elle a commencé de s’y préparer 1. La doctrine s’est déjà longuement interrogée sur l’accueil qui pourrait être réservé en France à un “droit européen des contrats” assez proche

* Professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales, Genève (Suisse);

Directeur du Journal du droit international – Clunet. Rapport présenté au Colloque sur “L’harmonisation du droit OHADA des contrats”

tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 15 au 17 novembre 2007, ayant notamment pour objet la discussion de l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats (2005) élaboré par UNIDROIT à la demande de l’OHADA. Ce texte, ainsi que la Note explicative y relative rédigée par le Professeur Marcel FONTAINE sont accessibles sur le site Internet d’UNIDROIT

(<http://www.unidroit.org>) et sont reproduits en annexe au présent volume. 1 Cf. B. FAUVARQUE-COSSON, ”Faut-il un code civil européen?”, RTD civ. (2002), 463;

C. JAMIN, ”Un droit européen des contrats”, in : Le droit privé européen, Economica (1998), 40; Ph. MALAURIE, ”Le code civil européen des obligations et des contrats, une question toujours ouverte”, JCP (2002), I, 110; D. MAZEAUD, ”Faut-il avoir peur du droit européen des contrats?”, Mélanges Blanc-Jouvan, Société de législation comparée (2005), 309; Idem, “Un droit européen en quête d‘identité. Les Principes du droit européen du contrat”, D. (2007), chr. 2959; C. PRIETO, ”Une culture contractuelle commune en Europe”, in : Regards croisés sur les Principes du droit européen des contrats et sur le droit français, dir. C. Prieto, PUAM (2003); Cl. WITZ, ”Plaidoyer pour un code européen des obligations”, D. (2000), chron. 79; D. BLANC / J. DEROULEZ, ”La longue marche vers un droit européen des contrats”, D. (2007), chr. 1615.

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des Principes d’UNIDROIT. Elle est cependant très loin d’être unanime sur cette question.

2. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous voudrions signaler les limites de la comparaison entreprise. Qu’il nous suffise de rappeler quelques points d’évidence: le droit français des contrats est ancien, datant du Code civil et puisant un certain nombre de ses racines dans la doctrine de l’Ancien droit. Il n’a pas connu de réforme d’ensemble depuis 1804; il se développe et s’adapte essentiellement sous l’emprise d’interventions ponctuelles du législateur, et surtout par le truchement de la jurisprudence de la Cour de cassation et les travaux de la doctrine. Il a subi l’épreuve du temps. Il subit actuellement le choc des idées: doit-il être adapté avant tout aux fonctions économiques qu’un contrat peut être appelé à remplir? Doit-il être “solidariste”, ou humaniste ? Ne doit-il pas être un mélange des deux 2 ?

3. Les Principes d’UNIDROIT sont extrêmement jeunes, ont déjà connu une modification sous forme de complément, et ont été conçus avant tout pour les contrats du commerce international 3. Ils n’ont connu ni l’épreuve du temps ni celle d’une application systématique dans le cadre d’un système juridique. Ces différences parmi d’autres méritent d’être rappelées au début de cet exposé. Pour autant, leur importance ne doit pas être surestimée 4. Le nouveau droit des contrats qui s’imposera un jour en Europe sera lui aussi d’une certaine façon “jeune”. Il puisera, comme le font les Principes d’UNIDROIT, sa substance dans différents droits nationaux et devra aboutir à un mélange harmonieux et cohérent. Il ne devra ni perdre sa mémoire, ni être obnubilé par elle.

Enfin, les Principes d’UNIDROIT ont été faits pour des contrats interna-tionaux. Deux conséquences en découlent: d’abord certaines de leurs dispositions spécifiques aux contrats internationaux doivent être gommées; il

2 Cf. Groupe d’études sur la justice sociale, ”Manifeste pour une justice sociale en droit européen des contrats”, RTD civ. (2005), 713, European Law Journal (2004) 10, 653.

3 Cf. parmi une littérature abondante, M.J. BONELL, ”The UNIDROIT Principles and Transnational Law”, Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (2000), 199; C. KESSEDJIAN, ”Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international”, Revue critique de droit international privé (DIP) (1995), 671; Ph. KAHN, ”L’internationalisation de la vente”, in : Etudes A. Plantey, Pedone (1995), 297 s. J-P BERAUDO, “Les Principes d’UNIDROIT relatifs au droit du commerce international”, JCP (1995), I, 3242 ; J. HUET, “Les contrats commerciaux internationaux et les nouveaux Principes d’UNIDROIT : une nouvelle lex mercatoria ?”, Petites affiches (1995), n° 135; P.-M. PATOCCHI / X. FAVRE-BULLE, “Les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats de commerce international”, Semaine juridique, Genève (1998), n° 34, 596.

4 Cf. P. VEILLARD,” Le caractère général et commercial des Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international”, Revue du droit des affaires internationales (2007), 479.

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n’y a point de raison de s’y attarder. Ensuite il en résulte une conception générale d’un droit coupé d’une société déterminée et supposant des contractants avertis. Cependant les Principes d’UNIDROIT sont restés modérés dans leur transculturalisme et n’ont pas adopté une vision caricaturale du contractant rationnel et libre de ses choix. Il existe en outre un certain nombre d’exemples de textes adoptés pour les relations internationales qui exercent ensuite leur influence sur les relations internes 5. D’ailleurs, ne serait-il pas quelque peu réducteur de considérer comme purement interne un droit des contrats applicable dans une quinzaine de pays ?

4. Mais revenons à notre sujet. Dans le temps qui nous est imparti la comparaison à laquelle nous allons tenter de nous livrer ne pourra être ni exhaustive ni approfondie. Elle se bornera à rechercher les divergences et convergences les plus frappantes. A cette fin nous envisagerons successive-ment les trois questions les plus révélatrices que sont la formation du contrat, les engagements contractuels et les effets du contrat.

I. – LA FORMATION DU CONTRAT

5. Elle suppose un accord de volontés, ainsi que certaines conditions objectives.

A) Un accord de volontés

1)° Un accord de volontés nécessaire

6. Les Principes d’UNIDROIT mettent en place un mécanisme de formation du contrat qui repose sur l’accord de volontés. Ce mécanisme peut être qualifié d’analytique. En effet, il repose essentiellement sur la considé-ration séparée de l’offre et de l’acceptation. L’offre et l’acceptation sont traitées distinctement et sont pourvues d’un régime juridique propre. L’accord de volontés est la résultante presque mécanique de leur rencontre. Le principe du consensualisme peut être interprété comme l’instrument de l’immatérialité de cet accord que le respect d’aucune forme ne vient entraver. La référence faite au comportement des parties, conçu comme un mode alternatif de rencontre des volontés, pour intéressante qu’elle soit, complète ce parti plus qu’elle ne le contredit.

Le Code civil est resté laconique sur la question. Le mécanisme de la rencontre d’une offre et d’une acceptation est néanmoins présent en droit

5 Cf. L’internationalité dans les institutions et le droit. Convergences et défis, Etudes offertes à A. Plantey, Pedone (1995).

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français. Le rapprochement est donc possible, mais il demeure assez super-ficiel. En effet la conception que se font les Principes d’UNIDROIT de l’offre et de l’acceptation repose sur le concept d’actes unilatéraux réceptices, c’est-à-dire “d’actes volontaires des déclarants dont l’efficacité dépend de la réception qui en est faite” 6. La formation du contrat et le contrat formé qui en résulte dépendent donc largement de déclarations séparées de volonté dont le régime juridique est soigneusement fixé.

7. Or, le droit français n’a jamais adhéré à la notion de déclaration de volonté 7. Il s’agit ici d’une différence profonde, car le droit français demeure imprégné de l’idée du primat de la volonté réelle sur la volonté exprimée. Ainsi il ne prête pas la même importance que les Principes d’UNIDROIT, pour l’interprétation d’un manifestation de volonté, à la compréhension que pouvait en avoir le destinataire. Il ne pousse pas aussi loin la dissociation individuelle des volontés, se référant plus volontiers à une volonté contractuelle unitaire quelque peu mythique au niveau de sa réalité psychologique. On retrouve les prolongements de cette conception au niveau de l’interprétation car le Code civil contient des règles d’interprétation du contrat, mais pas de règles d’interprétation des déclarations de volonté 8.

8. Des conséquences importantes pourraient découler de ces diver-gences de conceptions. Toutefois, celles-ci débouchent davantage sur une clarification du droit français que sur une opposition radicale avec les Principes d’UNIDROIT. Ces conséquences se matérialisent notamment au sujet de la prise d’effet de l’offre et de l’acceptation, ainsi que de la rétractation et la révocation possible de l’une et de l’autre. Ainsi, l’offre comme l’acceptation ne produiraient d’effet qu’une fois reçues par leur destinataire. Jusque là elles pourraient être librement révoquées. Quant à l’offre efficace, car parvenue à son destinataire, mais non acceptée, elle serait en principe révocable sauf délai fixé et sauf si le respect des attentes légitimes du partenaire s’y oppose 9.

6 Cf. P. REMY-CORLAY, ”L’existence du consentement”, in : Les concepts contractuels

français à l’heure des Principes du droit européen des contrats, dir. P. Rémy-Corlay, D. Fenouillet, Dalloz (2003), 28 s. (spéc. 32).

7 Cf. Cl. WITZ, Le droit allemand, Dalloz, coll. “Connaissance du droit”, (2001) 95 s; REMY-CORLAY, supra note 6, loc. cit.; F. LIMBACH, Le consentement contractuel à l’épreuve des conditions générales. De l’utilité du concept de déclaration de volonté, LGDJ (2004), préf. Cl. Witz, avant-propos S. Peruzzetto, 59 s.

8 Comp. article 4-2 des Principes d’UNIDROIT; cf. REMY-CORLAY, supra note 6, 43 s., qui insiste sur les attentes légitimes des parties et souligne certaines faiblesses des solutions de la Jurisprudence française.

9 Cf. REMY-CORLAY, supra note 6, 44.

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Il convient enfin de noter que les Principes d’UNIDROIT consacrent une règle spécifique aux pourparlers. Cette règle ne contredit pas la Jurisprudence française. En effet, celle-ci, en l’absence de règle écrite dans le Code civil, admet que si la rupture des pourparlers est libre, la partie qui en est l’auteur peut cependant être tenue de réparer le dommage causé à l’autre partie si les circonstances de la rupture font apparaître en outre le caractère fautif de celle-ci 10. L’accord de volontés, parce qu’il est nécessaire, doit être véritable.

2) Un accord de volontés véritable

Deux éléments le caractérisent.

a) La certitude de l’accord de volontés

9. Les Principes d’UNIDROIT s’efforcent de favoriser la certitude quant au contenu de l’accord de volonté, tout en maintenant une certaine souplesse. Le recours aux clauses-types trouve heureusement un droit de cité explicite dans les Principes d’UNIDROIT (article 2.1.19), limité cependant par la disposition consacrée aux clauses inhabituelles selon la définition de l’article 2.1.20, et le régime qui y est esquissé.

Cependant la certitude de l’accord de volontés n’est pas assimilée à sa complétude. En témoigne d’abord l’article 5.1.7 qui porte sur la détermination du prix dans le contrat. La solution qui s’en dégage est en phase avec celle qui résulte de l’évolution bien connue de la jurisprudence française en la matière 11. En témoigne également la référence, faite à l’article 2.1.14, aux clauses à déterminer ultérieurement. On notera que ce texte ne confère pas, sur ce point, un pouvoir unilatéral à l’une des parties. Il s’agira enfin du conflit de conditions générales où la solution de la neutralisation des clauses non communes aux conditions générales des deux parties est en harmonie avec les solutions de la jurisprudence française 12.

10 Cf. J. MESTRE, ”Liberté contractuelle”, et in : Regards croisés…, supra note 1, 106 s.,

B. FAGES, “Nouveaux pouvoirs. Le contrat est-il encore la chose des parties?”, in : La nouvelle crise du contrat, dir. Ch. Jamin / D. Mazeaud, Dalloz (2003), 153 s. (spéc. 157); H. MUIR-WATT, ”Les pourparlers: de la confiance trompée à la relation de confiance”, in : ibidem, 53 s.

11 Cf. D. MAZEAUD, “La matière du contrat”, in : Les concepts contractuels français … supra note 6, 81 s. (spéc. 96 s.). Cet auteur souligne tout de même que la solution retenue par les Principes européens du contrat donne un pouvoir nettement plus important à la volonté unilatérale d’une partie que le droit français.

12 Cf. REMY-CORLAY, supra note 6, 48 s.

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b) La qualité du consentement

10. Une volonté véritable est une volonté exempte de vices. Sur ce point, les règles du droit français sont bien connues. Celui-ci retient l’erreur, la violence et le dol. La première met l’accent sur l’aspect psychologique de la volonté; les seconds sur l’aspect moral 13. Les Principes d’UNIDROIT ne s’éloignent guère du droit français pour la violence et le dol. Le dol inclut la réticence comme l’admet traditionnellement le droit français 14. Mais violence et dol sont considérés comme des vices de comportement. En revanche l’erreur est moins prise en considération dans son aspect psychologique que dans son aspect moral. En témoigne la référence exclusive, afin d’apprécier la réalité de l’erreur, à un modèle in abstracto (la personne raisonnable …), mais aussi l’exigence de la connaissance, ou de la participation de l’autre partie à la commission de l’erreur par l’un des cocontractants (article 3.5).

Cette conception plutôt réductrice des vices du consentement est contre-balancée, sur un plan plus général, par la référence effectuée par l’article 3.11 aux tiers dont la responsabilité dans la survenance de l’un des trois vices mentionnés ci-dessus peut conduire à l’annulation du contrat.

11. Enfin les Principes d’UNIDROIT se distinguent par leur traitement généreux de l’avantage excessif (article 3.10) lorsqu’ils disposent que celui-ci doit être entendu aussi comme correspondant au “fait que l’autre partie a profité d’une manière déloyale de l’état de dépendance, de la détresse économique, de l’urgence des besoins, de l’imprévoyance, de l’ignorance, de l’inexpérience ou de l’inaptitude à la négociation de la première”. Cependant la Jurisprudence française n’a pas hésité à s’engager dans cette voie et la solution retenue par les Principes d’UNIDROIT apparaît davantage comme une consécration de cette jurisprudence qu’en opposition avec elle 15. Plus novateur apparaîtra en revanche le régime de nullité auquel adhèrent les Principes d’UNIDROIT, notamment lorsqu’ils admettent que celle-ci peut être provoquée unilatéra-lement par une partie, sans toutefois que le contrôle du juge ne soit pour autant exclu. Ce qui conduit aux conditions objectives de validité du contrat.

13 Cf. G. LOISEAU, “La qualité du consentement”, in : Les concepts contractuels français …,

supra note 6, 65 s. 14 Cf. cependant Cass. 3éme civ. 17/01/2007, D. 2007 1051 et 1054, note D. MAZEAUD / Ph.

STOFFEL-MUNCK, qui refuse de sanctionner une erreur sur la valeur du bien vendu en cas de silence gardé sur la valeur réelle du bien par l’autre contractant sur qui ne pèse aucun devoir d’information.

15 Cf. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, ”Libres propos sur la transformation du droit des contrats”, RTD civ. (1997), 357 (spéc. 379 s.) ; D. MAZEAUD, ”Les nouveaux instruments de l’équilibre contrac-tuel. Ne risque-t-on pas d’aller trop loin?”, in : La nouvelle crise du contrat, supra note 10, 135 s.

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B) Des conditions objectives de validité du contrat

12. Dans la mesure où ils ont été conçus originellement pour s’appliquer aux contrats du commerce international, les Principes d’UNIDROIT ne prennent pas position sur certaines questions. Ainsi la capacité des contractants ne peut dépendre uniquement de dispositions unifiées, mais relève avant tout de la loi personnelle des contractants désignée par la règle de conflits de lois devant être appliquée par le juge ou par l’arbitre.

Il en est de même de la moralité ou de la licéité du contrat. De telles questions tombent très naturellement dans le domaine de la lex contractus propre à chaque contrat international. Chacune des lois applicables pouvant véhiculer des conceptions différentes, la formulation de règles substantielles communes est presque impossible; les choses ne sont pas rendues plus simples par le fait que dans ce domaine les lois de police seront nombreuses. Le seul vecteur par lequel pourraient transiter des règles communes ou, plus vraisemblablement des principes communs, serait l’ordre public international, ou un ordre public réellement international dans sa fonction positive 16. Le silence des Principes d’UNIDROIT est donc parfaitement explicable. Ces points sont réglés en droit français, au niveau de la licéité de l’objet du contrat, de la cause subjective et de l’ordre public contractuel 17. Au contraire, rien n’empêchait les Principes d’UNIDROIT d’adopter des dispositions et donc de prendre parti sur des questions aussi fondamentales que la lésion ou la cause du contrat.

13. La lésion correspond à ce que les Principes d’UNIDROIT désignent sous le titre d‘ “avantage excessif” déjà mentionné. La conception qui en est retenue est plus large que celle de la lésion, dont on sait qu’elle est admise restrictivement dans le droit français. La notion d’avantage excessif est d’ailleurs davantage marquée de morale contractuelle que du souci purement quantitatif de l’équilibre contractuel. Encore faut-il ici tenir compte d’une évolution effectuée par la Jurisprudence française qui n’hésite pas à annuler des contrats déséquilibrés en raison de la situation de contrainte économique dans laquelle se trouvait l’un des contractants et dont l’autre a tiré profit 18.

14. Quant à la cause, elle est passée sous silence par les Principes d’UNIDROIT. Ceux-ci ne font pas de la cause une condition de validité du contrat. On sait que celle-ci occupe une place très importante, mais

16 Cf. H. ARFAZADEH, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de la mondialisation, avant-propos G. Abi-Saab, Préf. J.-M. Jacquet, Bruylant, LGDJ, Schulthess (2005).

17 Cf. J.-L. AUBERT, Le contrat, Dalloz, coll. “Connaissance du droit”, 3e éd. (2005), 79. 18 Cf. D. MAZEAUD, “Les nouveaux instruments …”, supra note 15, 138 s.

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controversée en droit français. Le problème se pose ici uniquement pour la cause dite objective, la cause subjective étant relative à la moralité ou l’illicéité du contrat. La cause objective peut être définie comme “la valeur économique qui est destinée à remplacer, dans le patrimoine de celui qui s’oblige, celle dont l’obligation va le dépouiller” 19. Elle est appelée à jouer un rôle dans les contrats synallagmatiques. Elle est de plus en plus souvent présentée comme un élément destiné à assurer un certain équilibre du contrat. Toutefois, il ne saurait s’agir d’un équilibre objectif, apprécié de l’extérieur par la contemplation de la valeur et de l’intérêt 20 respectifs des prestations promises, mais de l’équilibre voulu et considéré comme tel par les parties. Dans une conception psychologique du contrat, la cause du droit français apparaîtrait plutôt comme un élément garantissant la substance du contrat plutôt que son équilibre. Le contrat qui reçoit de l’article 1134 force de loi entre les parties est un fait social au sujet duquel il est légitime que le système juridique formule certaines exigences. La cause, garante de la substance de l’engagement de chaque partie, peut en être l’instrument. La vérification de son existence, sur laquelle une partie peut s’être trompée, “socialise” cependant la volonté et débordant le cadre étroit de la volonté psychologique en fait aussi un instrument de moralisation de l’engagement contractuel de chaque partie.

15. En ne retenant pas la cause parmi les dispositions qu’ils adoptent, les Principes d’UNIDROIT peuvent en avoir néanmoins réparti les usages les plus importants dans diverses règles, en excédant d’ailleurs parfois le rendement propre que peut avoir la cause dans le droit français des contrats. Ainsi les dispositions sur l’erreur pourraient être invoquées ici, dans la mesure où un contrat dans lequel l’obligation assumée par une partie est dépourvue de cause (absence de cause) semble reposer sur une erreur de celle-ci si la contre-partie attendue se révèle inexistante 21. De la même façon pourraient être évoqués l’article 4.8 sur les omissions, ou l’article 5.7 sur la fixation du prix.

Les autres utilisations de la cause en droit français sont plutôt à rechercher du côté des clauses abusives ou de l’imprévision 22. Ici, les Principes d’UNIDROIT offrent des solutions avec l’article 3.10 sur l’avantage

19 Cf. J.-L. AUBERT, Le contrat, supra note 17, 75. 20 Sur cet intérêt, cf. G. WICKER, ”Force obligatoire et contenu du contrat”, in : Les

concepts contractuels français, supra note 6, 155. 21 Cf. X. LAGARDE, “Sur l’utilité de la théorie de la cause”, D. (2007), chr. 740. 22 Ibidem, 743 s.

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excessif, qui se réfère d’ailleurs à la lésion, et les dispositions sur l’adaptation des contrats en cas de hardship 23.

II. – LES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS

Il convient de mesurer la force des engagements, mais aussi leur liberté.

A) La force des engagements

16. Dans les Principes d’UNIDROIT, le principe de la force obligatoire du contrat est énoncé dès l’article 1.3. Cet article fait suivre ce premier principe de celui, non moins fondamental, de l’effet relatif du contrat. Il énonce ensuite la conséquence de l’intangibilité du contrat. Il n’y a rien dans ces textes qui vienne contredire les articles 1134 et 1165 du Code civil français. Mais l’on regretterait de perdre la magie qui sourd de la formulation de l’article 1134 du Code civil français et les virtualités d’application qui dérivent de chacun de ses alinéas !

17. Sur le plan substantiel, la grande différence entre le droit français et les Principes d’UNIDROIT tient à la présence de la règle du hardship des articles 6.2.1 et s, confiant un rôle au juge ou à l’arbitre pour une éventuelle réadaptation du contrat en cas d’imprévision. On sait que l’imprévision n’est pas acceptée en tant que telle dans le droit civil français. Les Principes d’UNIDROIT admettent donc une réelle atteinte au principe de l’intangibilité du contrat. Cependant, la Jurisprudence française n’est pas restée systéma-tiquement insensible aux situations dans lesquelles la poursuite de l’exécution d’un contrat aux conditions initialement prévues est devenue sans intérêt ou trop onéreuse pour une partie. Elle l’a en effet admis lorsque le changement de circonstances est imputable à l‘activité de l’une des parties 24. Le pas à franchir ne serait donc pas trop grand pour le cas où le changement imprévu de circonstances serait indépendant de l’activité de l’une des parties 25.

Il s’inscrirait au demeurant dans une perspective globale adoptée par les Principes d’UNIDROIT et qui n’est pas complètement étrangère au droit français, selon laquelle il se crée entre les parties un lien contractuel qui peut appeler

23 Comp. D. MAZEAUD, ”La matière du contrat”, supra note 11, 88. 24 Cf. Cass. com, 3 nov. 1992, HUARD, JCP éd. G, 1993 II, 22164, note G. Virassamy, RTD

civ. (1993), 124, obs. J. Mestre; Cass. com. 24 nov. 1998, Defrénois 1999, 371, obs. D. Mazeaud; RTD civ. (1999), 98, obs. J. Mestre; cf. Ph. STOFFEL-MUNCK, ”Le juge et la stabilité du contrat”, in : F. Collart-Dutilleul / C. Coulon (dir.), Le renouveau des sanctions contractuelles, Economica (2007), 121 s.

25 Cf. WICKER, supra note 20, 173.

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entre elles une certaine collaboration 26. L’on ne devrait d’ailleurs pas perdre de vue qu’en dehors même de la situation de hardship qui vient d’être mentionnée, les tribunaux français ont parfois admis dans certaines circonstances des atteintes de plus en plus caractérisées au principe de la force obligatoire du contrat. Il faut ajouter que le législateur est lui-même intervenu à diverses reprises en ce sens 27. La liberté des engagements n’est pas moins importante.

B) La liberté des engagements

18. Le principe de la liberté contractuelle est au coeur des contrats internationaux, beaucoup plus encore qu’à l’égard des contrats internes. Il figure à l’article 1.1 des Principes d’UNIDROIT sous sa double forme très didactique de liberté de conclure le contrat et d’en fixer le contenu. Il est cependant possible de distinguer deux aspects de la liberté contractuelle.

19. Le premier aspect est relatif à la liberté des contractants de fixer la teneur des obligations qui assureront la réalisation de l’objet économique du contrat. En droit interne, le principe de liberté contractuelle demeure un principe fondamental dont le juge assure le respect. Il est classiquement limité par l’observation de certaines règles de licéité (au sens de conformité aux impératifs sociaux) que le droit français appréhende le plus souvent par la cause ou l’objet illicite du contrat et qu’il peut sanctionner par la nullité totale ou partielle de celui-ci. Les Principes d’UNIDROIT ne comportent pas de règles équivalentes. Ils n’ont bien entendu pas pour objet de favoriser l’existence de contrats illicites. L’article 1.4 des Principes d’UNIDROIT rappelle l’exigence du respect des règles impératives, mais ici encore, l’objet international des Principes d’UNIDROIT les empêche de s’engager plus avant sur cette voie.

Cependant la liberté contractuelle peut aussi s’exercer au détriment de l’un des contractants. Ses excès ne seront plus cette fois tournés vers l’exté-rieur, mais produiront leurs effets à l‘intérieur du cadre tracé par le contrat. La Jurisprudence française n’hésite pas à sanctionner de plus en plus souvent certains déséquilibres qui s’installent dans le contrat, en recourant à la notion d‘abus, ou à la notion de cause, ou d’obligation essentielle. Par des voies différentes, les Principes d’UNIDROIT se sont aussi engagés dans cette entreprise de justice contractuelle qui consiste à ne pas admettre de

26 Cf. THIBIERGE-GUELFUCCI, supra note 15. 27 Cf. D. MAZEAUD, “Regards positifs et prospectifs sur ‘le nouveau monde contractuel’ “,

Les petites affiches (2004), n. 92, (p.) 47 s, n. 13 s; P. ANCEL, “La force obligatoire. Jusqu’où faut-il la défendre?, in : La nouvelle crise du contrat, supra note 10, 170 s., qui insiste sur la nécessité de distinguer deux séries d’hypothèses, celles dans lesquelles il s’agit de venir en aide à un débiteur en difficulté et celles dans lesquelles il s’agit d’assurer ou de restaurer un certain équilibre contractuel.

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déséquilibres structurels trop forts dans le contrat. 20. Ainsi se trouve progressivement atteint le second aspect de la liberté

contractuelle, celui qui a trait non plus à la liberté des parties de configurer leur contrat en fonction de l’objet qu’ils lui ont assigné, mais celui qui a trait à la liberté des parties de régler dans leur contrat les comportements contrac-tuels que le rapport contractuel engendre. Par cette liberté contractuelle, les parties aménagent leurs rapports en instillant dans le contrat lui-même des règles qui relèveraient en soi du droit des contrats 28 !

21. Ici encore, les Principes d’UNIDROIT ne postulent pas une liberté contractuelle illimitée. En premier lieu, la qualité de contractant cesse d’être abstraite et désincarnée pour se concrétiser et s’humaniser, pourrait-on dire, avec la reconnaissance d’un véritable lien contractuel. Les Principes d’UNIDROIT énoncent à ce sujet certaines règles, qui constituent autant de devoirs généraux imposés à tout contractant: bonne foi, interdiction de se contredire, confiden-tialité, devoir général de collaboration ... Ces devoirs s’imposent lors de la conclusion comme dans l’exécution du contrat. Il en résulte que le droit des contrats fait peser sur les contractants certaines obligations de comportement dont le juge ou l’arbitre appliquant les Principes d’UNIDROIT devrait tirer toutes les conséquences. Le droit français a, de son côté, connu une évolution similaire dans la mesure où, parti d’une conception formelle et linéaire de la force obligatoire, il a progressivement infléchi celle-ci en faveur d’une conception plus relative recourant aux notions d’équité et de bonne foi 29. Le rapproche-ment s’observera-t-il également au niveau des effets du contrat ?

III. – LES EFFETS DU CONTRAT

22. L’effet essentiel du contrat est de donner naissance aux obligations qu’il indique. Cependant, il crée aussi un lien contractuel plus diffus entre les contractants, dont il est difficile de ne pas tenir compte. De la même façon le contrat a parfois un contenu qui dépasse la stricte notion d’obligation 30. C’est la raison pour laquelle il serait possible d’évoquer la situation créée par le contrat plutôt que les seules obligations au sens strict. Cependant c’est bien autour de la

28 Cf. F. COLLART DUTILLEUL, “Quelle place pour le contrat dans l’ordonnancement

juridique?”, in : La nouvelle crise du contrat”, supra note 10, 225 s. (spéc.. 232 s.) et P. ANCEL, “Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat”, RTD civ. (1999), 771 s.

29 Cf. WICKER, supra note 20, n.3, (p.) 154. Cet auteur insiste à juste titre sur les règles d’interprétation du contrat (n. 7 s.) ainsi que sur l’assujettissement du contrat à certains devoirs généraux pesant sur les contractants.

30 Cf. P. ANCEL, “Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat”, supra note 28.

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notion de violation des obligations nées du contrat que sont agencées les règles qui s’appliquent aux effets du contrat. Le contrat donne lieu à exécution et le droit du contrat doit fixer le régime de l’exécution et de l’inexécution 31. L’exécution est soumise simultanément à des règles supplétives de la volonté des parties et à la volonté des parties. Nous n’en traiterons pas dans le cadre de ce rapport. L’inexécution conduit à de plus sérieuses difficultés. Le droit français comme les Principes d’UNIDROIT laissent apparaître que les parties ont un rôle important à jouer dans la gestion d’une situation d’inexécution contractuelle (A) et confient un rôle déterminant aux dommages-intérêts (B).

A) La gestion par les parties de l’inexécution contractuelle

23. Confronté à la carence de l’autre partie dans l’exécution satisfaisante de ses obligations, le créancier a le choix entre deux solutions qui peuvent d’ailleurs soit s’exclure mutuellement, soit se succéder dans le temps: il peut refuser de se résigner à l’inexécution et exiger l’exécution malgré tout, ou renoncer à celle-ci et provoquer la résolution du contrat.

1) Le refus de l’inexécution

24. Un contrat est fait pour être exécuté. Cependant, nous pensons qu’il convient de distinguer soigneusement l’exécution “normale”, primaire, du contrat, de l’exécution faisant suite à un acte ou une abstention manifestant une déviation plus ou moins grave par rapport à la ligne idéale tracée par le contrat. Dans le premier cas, l’exécution est tout entière placée sous l’empire des normes contractuelles ou résultant du droit applicable qui concrétisent les actes d’exécution aussi bien dans leur réalisation concrète (quantité, moment, lieu de la livraison ...) que dans la diligence avec laquelle ils doivent être accomplis (variation tolérée dans la quantité, ou le moment de la livraison, notifications, examen de la marchandise, obligations de moyens et obligations de résultat ...). Dans le second cas, l’exécution du contrat intervient dans un contexte altéré par une inexécution préalable. Faut-il néanmoins priver le créancier de la possibilité de donner une seconde chance au débiteur pour s’exécuter, notamment lorsque celui-ci en fait la proposition ? Dans ces différents cas l’exécution est toujours recherchée. Mais elle peut être provoquée ou imposée 32.

31 Cf. D. TALLON,”L’inexécution du contrat: pour une autre présentation”, RTD civ. (1994), 223 s; Ch. JAMIN, ”Le renouveau des sanctions contractuelles: pot-pourri introductif”, in : Le renouveau des sanctions contractuelles, supra note 24, 3 s; M. FAURE-ABBAD, ”La présentation de l’inexécution contractuelle dans l’avant-projet Catala”, D. (2007), chr. 165.

32 Cf. I. CORNESSE, “L’exécution forcée en nature des obligations contractuelles”, Revue de la recherche juridique (2003), 2433 s.

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25. a) L’exécution provoquée correspondra aux situations dans les-quelles le débiteur est incité par le créancier à exécuter malgré les faits d’inexécution déjà perceptibles. La mesure la plus caractéristique est le délai supplémentaire pour exécuter, issu du droit allemand, qui donne une véritable chance de correction au débiteur. Celui-ci peut d’ailleurs en prendre l’initiative et proposer au créancier la correction ou la réparation de sa prestation initialement incomplète ou inefficace.

Mais l’exécution provoquée correspondra le plus souvent à des situations dans lesquelles le créancier est à même d’exercer une pression sur le débiteur afin de l’amener à exécuter ses obligations. La source peut en être trouvée dans le contrat lui-même. Tel sera le cas lorsque celui-ci contient une clause pénale ou une clause de suspension des obligations. Mais la source pourra aussi résider en dehors du contrat. Tel sera le cas de l’exception d’inexécution ou du recours à une astreinte. Avec l’astreinte, la frontière devient extrêmement mince avec les situations dans lesquelles l’exécution est imposée au débiteur.

26. b) L’exécution imposée correspondra aux situations dans lesquelles le créancier veut obtenir l’exécution des obligations de son débiteur malgré la carence initiale, éventuellement persistante de celui-ci. En la matière il est courant d’opposer les obligations de payer une somme d’argent aux obliga-tions de faire ou de ne pas faire. Le paiement des premières par le recours à des mesures impliquant une contrainte ne soulève pas de véritables difficultés de principe. En revanche de nombreuses difficultés sont soulevées par les secondes. Au sujet des obligations de faire, une règle du droit français bien connue impose que les obligations de faire se résolvent en dommages-intérêts. Pour autant le droit français n’est pas complètement fermé à l’exécution forcée à condition que celle-ci ne soit pas incompatible avec la liberté du débiteur. Quant aux obligations de ne pas faire elle ne peuvent en principe donner lieu à exécution forcée, en vertu de l’article 1145 CC, mais l’article 1142 l’autorise tout de même en énonçant que le juge peut ordonner que ce qui a été construit en contravention au contrat soit détruit.

2) La renonciation à l’exécution : la résolution du contrat

27. La résolution du contrat permet au créancier déçu de mettre fin au contrat dont il ne peut obtenir l’exécution. La solution est traditionnelle et justifiée puisque le contrat est déjà bancal du fait de l’inexécution des obligations d’une partie. Il convient toutefois de relever que la résolution conduit à porter atteinte à la force obligatoire du contrat et que cette atteinte, certes justifiée par l’inexécution qui la motive, présente un caractère définitif qui est de nature à en enfermer l’usage dans de strictes limites. Celles-ci

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consistent d’abord dans l’exigence d’une certaine gravité dans la violation des obligations contractuelles. Ainsi en droit français, la résolution sera possible en cas d’inexécution totale des obligations d’une partie, ou en cas d’inexé-cution d’une obligation “déterminante” de la conclusion du contrat 33. Selon les Principes d’UNIDROIT, seule une contravention essentielle au contrat pourra justifier la résolution de celui-ci.

28. La seconde condition est relative au prononcé en justice de la résolution. Sur ce point, les Principes d’UNIDROIT adoptent une position beaucoup plus libérale que le droit français puisqu’ils n’exigent pas le recours au juge et admettent que la résolution soit imposée unilatéralement par une décision du créancier. Malgré son éloignement initial de cette solution, le droit français a évolué et la Cour de cassation a admis dans certains arrêts la résolution imposée par une partie sans passer par le juge 34. Il convient par ailleurs de ne pas perdre de vue que la résolution non-judiciaire peut dépendre d’une clause résolutoire insérée dans le contrat et que la validité de telles clauses est traditionnellement admise.

Les Principes d’UNIDROIT n’imposent pas que la résolution ait un effet rétroactif. Le contrat subsiste et les différentes clauses qu’il contient pourront continuer de produire effet. Mais des restitutions devront être effectuées. Bien différente est la prise en charge de l’inexécution par les dommages-intérêts.

B) La prise en charge de l’inexécution par les dommages-intérêts

29. Les parties peuvent gérer elles-mêmes dans une large mesure les conséquences de l’inexécution contractuelle. Dans cette perspective, il a été brièvement exposé ci-dessus que les moyens dont elles disposent s’articulent autour des deux grands axes que sont la poursuite de l’exécution d’un contrat initialement non exécuté ou mal exécuté, ou la résolution de celui-ci. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, de tels remèdes peuvent se révéler insuffisants. Ou, plus grave encore, ils peuvent se révéler indisponibles ou inadéquats. La gestion de la situation contractuelle d’inexécution échappe alors à la seule initiative et aux décisions des parties; le concours du juge ou de l’arbitre va se révéler indispensable. Mais dans quel but ? Mettre en jeu la responsabilité contractuelle de la partie dont l’exécution laisse plus ou moins manifestement à désirer ? Le concept de responsabilité contractuelle fait

33 Cf. Cass. com. 2 juillet 1998, Bull. Civ. IV n. 198. 34 Cf. P. ANCEL, “Le juge et l’inexécution du contrat”, in : Le renouveau des sanctions

contractuelles, supra note 24, 103 s. (spéc. 111 s.).

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l’objet de vives controverses 35. Mais il subsiste un dénominateur commun incontesté: les dommages-intérêts. Ce sont eux qui vont assumer la prise en charge de l’inexécution.

30. Un point au moins unit les Principes d’UNIDROIT et le droit français, encore qu’il ne soit pas impossible d’y déceler certaines divergences. Les deux s’accordent au sujet des situations dans lesquelles des dommages-intérêts sont susceptibles d’être obtenus. Dans le cas où une inexécution initiale a été surmontée et où le contrat a donc été maintenu, la satisfaction du créancier peut cependant n’être pas complète (par exemple, il a accepté une marchandise ou s’est contenté d’une prestation de qualité inférieure à ce qu’il était en droit d’attendre), ou bien les atermoiements de son cocontractant dans l’exécution du contrat ont pu lui occasionner des frais supplémentaires ou provoquer une diminution des bénéfices qu’il pouvait attendre.

Dans ce cas l’exécution du contrat pourra être accompagnée du verse-ment de dommages-intérêts. Dans le cas où une inexécution initiale peut être considérée comme consommée, le droit français comme les Principes d’UNIDROIT – mais les seconds sans doute moins nettement que le premier – ouvrent la voie des dommages-intérêts, comme une alternative au choix du créancier, même dans les cas où il lui serait possible d’exiger l’exécution ou de réclamer (droit français) ou déclencher (Principes d’UNIDROIT) préalablement la résolution du contrat.

31. A partir de ce point s’ouvre la question des conditions auxquelles sont subordonnés les dommages-intérêts. Les Principes d’UNIDROIT exigent un fait générateur qu’ils assimilent purement et simplement à l’inexécution par le débiteur des obligations nées du contrat. Se situant dans une perspective de responsabilité contractuelle, le droit français exige traditionnellement une faute. Cependant cette démonstration est rendue pratiquement inutile lorsque l’obligation prétendument inexécutée avait la nature d’une obligation de résultat. L’obligation de moyens supposera l’appréciation du défaut de diligence du débiteur, ce qui reviendra pratiquement à l’établissement de la faute requise. Néanmoins la Jurisprudence récente ne s’y réfère pas systéma-tiquement et se contente parfois de la violation d’une obligation contractuelle. Les deux solutions ne sont donc pas si éloignées. Le concept d’inexécution

35 Cf. notamment, parmi une littérature abondante, Ph. REMY, ”La responsabilité

contractuelle”: histoire d’un faux concept”, RTD civ. (1997), 323 s.; Ph. le TOURNEAU / L. CADIET, Traité de la responsabilité, Dalloz Action; E. SAVAUX, ”La fin de la responsabilité contractuelle?”, RTD civ. (1999), 1 s.

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contractuelle semble parfaitement adéquat 36. 32. Les dommages-intérêts sont-ils appréciés différemment dans l’un et

l’autre des systèmes ? Les Principes d’UNIDROIT assignent aux dommages-intérêts une fonction de réparation d’un préjudice indispensable à établir, complet (perte éprouvée et gain manqué), mais limité aux dommages qui résultent de l’inexécution, ainsi qu’à la condition que le créancier ait pris soin de limiter lui-même ce dommage lorsque la situation s’y prêtait. Le droit français comporte la règle selon laquelle seul le préjudice prévisible peut donner lieu à des dommages-intérêts, même s’il n’y prête pas toujours une attention suffisante. Il a également la même conception du dommage réparable. On observera néanmoins que certains arrêts acceptent d’ordonner des dommages-intérêts sur la seule constatation de la contravention au contrat, mais il semble que cette solution soit cantonnée aux obligations de ne pas faire 37. L’obligation faite au créancier de minimiser son dommage est en revanche étrangère au droit français.

33. Il convient enfin de signaler qu’à l’instar de la Convention de Vienne sur les ventes de marchandises, les Principes d’UNIDROIT contiennent des règles précises sur l’évaluation du dommage 38. Les règles qui sanctionnent l’inexécu-tion d’une obligation contractuelle prennent donc comme paramètre l’intérêt attendu du contrat par le cocontractant victime de l’inexécution. Elles précisent le mode d’évaluation des dommages-intérêts notamment lorsque le créancier a dû conclure un contrat de remplacement. Le dommage devra être réparé dans son intégralité, mais les dommages causés à des tiers sont exclus de ce régime.

34. En définitive, et bien qu’il ait recours au concept de responsabilité contractuelle, le droit français n’est pas séparé des Principes d’UNIDROIT par un fossé infranchissable. Le concept de responsabilité contractuelle n’a pas trouvé droit de cité en tant que tel dans les Principes d’UNIDROIT; il n’y semble pas indispensable. Cependant ce concept pourrait parfaitement demeurer dans le droit français pourvu que l’on soit conscient de la spécificité d’un régime de réparation si étroitement lié à l’inexécution du rapport contractuel que celui-ci doit lui servir de cadre.

36 Cf. P. REMY-CORLAY, “Exécution et réparation: deux concepts?”, Revue des contrats

(2005), 13 s. 37 Cf. Cass. civ. 31 mai 2007, D. 2007, 2784, note C. Lisanti. 38 Cf. Sur le droit français, de ce point de vue, ANCEL, “Le juge et l’inexécution du

contrat”, supra note 34, 115 s.

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FRENCH CONTRACT LAW AND THE UNIDROIT PRINCIPLES (Abstract)

Jean-Michel JACQUET (Professor, Institut universitaire de hautes études internationales, Geneva (Switzerland), Director, Journal du droit international – Clunet)

In these troubled times for contract law across the globe, a comparison between French contract law and the UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts seems not nearly as odd as it would have only a few years ago. Indeed, although designed to apply to international commercial contracts, the UNIDROIT Principles offer a set of coherent and homogeneous solutions that go to the heart of the matter and transcend any strictly national considerations. The UNIDROIT Principles, drafted in easy but accurate language, and conforming to a simple pattern, are the embodiment of a modern version of general contract law.

Any comparison with French law must be hedged with caution. French law is based on a text (the civil code) that has remained largely unchanged since its inception and which can only be properly understood by taking into account the case law and trends in scholarly analysis as well as the doctrinal controversies that have accompanied its path through life.

Yet a comparison may usefully be made, and while such a comparison affords clear evidence that French law has its own specific, incontrovertible features, it also highlights many areas of convergence where French law has already, of its own accord, made the changes that bring it closer to the UNIDROIT Principles.

This report undertakes such a comparison from three angles. With regard to the formation of the contract, the report looks first of all at the

common will of the parties. Both the UNIDROIT Principles and French law agree that there must be a common will, even though they do not necessarily see eye to eye on all aspects of that common will.

As to contractual obligations, the report compares the ways in which the UNIDROIT Principles and French law deal with the binding nature of such obligations and with party autonomy. Here again, both marked divergence and considerable areas of convergence are in evidence, such as the growing recognition of a true contractual link capable of producing specific results between the parties.

Finally, with respect to non-performance of the contract, the report examines the difference between a legal philosophy that sets great store by contractual liability, and the more pragmatic system that emphasises non-performance and its remedies. However, French law is currently undergoing serious change on this point and may prove quite receptive to the solutions offered by the UNIDROIT Principles.