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Le droit naturel dans De la servitude volontaire de La Boétie B. Méniel, Université de Nantes

1. Le droit naturel et la liberté 1. S’il lui coustoit quelque chose à recouvrer sa liberté je ne l’en presserois point ; combien qu’est ce que l’homme doit avoir plus cher que de se remettre en son droit naturel, et par manière de dire de bête revenir homme1 ? 2. Quae res [manumissio] a jure gentium originem sumpsit : utpote cum jure naturali omnes liberi nascerentur, nec esset nota manumissio, cum servitus esset incognita : sed posteaquam jure gentium servitus invasit, sequutum est beneficium manumissionis […]2. 3. Servi in dominium nostrum rediguntur, aut jure civili, aut gentium3. 4. Bella etenim orta sunt, et captivitates sequutae et servitutes, quae sunt naturali juri contrariae : jure enim naturali omnes homines ab initio liberi nascebantur4. 5. RATIONIS) Fons et origo iuris, ut Stoici censent, in ratione est : et qui rationis participes sunt, etiam jure et lege sociati sunt, ut Dii et homines. Cum bestiis autem nulla nobis intercedit iuris communio, ut existimant, quia ratione carent. Iurisconsulti tamen ius quoddam naturale esse dicunt, cuius peritia non homines tantum, uerum etiam bruta censentur. Platonici etiam et Pythagorici contendunt nos cum bestiis iure sociatos esse, quod in bestias animi humani immigrent, nec bestiae ratione careant. […] Qui igitur ista a Platone repetere conantur, nugatores sunt5. 6. Fons enim legum morumque omnium natura est, finis ad quam referantur, ea ipsa natura est, natura, inquam, hominis, quam rationem rectam appellamus6. 7. Premierement, cela est, comme je croy, hors de doute que si nous vivions avec les droits que la nature nous a donné et avec les enseignements qu’elle nous apprend, nous serions naturellement obeissans aus parens, subjets à la raison, et serfs de personne7. 8. Ego Academicos dicam Antiochus auctore, qui eorum et Stoicorum sectam conciliare

1 É. de LA BOÉTIE, De la servitude volontaire ou Contr’un, éd. N. Gontarbert, Paris, Gallimard, 1993 (désormais De la servitude volontaire), p. 84-85. Nous avons corrigé nos citations de ce texte grâce à une liste d’errata qui a été constituée par Michèle Clément, Déborah Knop, Emmanuel Buron, Olivier Halévy, Michel Magnien, Jean-Charles Monferran et Jean Vignes, et que nous remercions Michel Magnien de nous avoir communiquée. 2 D. 1.1.4. (Ulpien, au livre 1 des Institutes) : « L’affranchissement tire son origine du droit des gens : puisqu’en effet le droit naturel regarde tous les hommes comme libres, et ne reconnaît ni servitude, ni affranchissement. Mais la servitude s’étant introduite par le droit des gens, les affranchissements ont suivi […]. » 3 D. 1.5.5.1. (Marcien, au livre 1 des Intitutes) : « Les esclaves deviennent notre propriété soit par le droit civil, soit par le droit des gens. » 4 I. 1.2.2. : De là sont venues les guerres, suivies de la captivité et de l’esclavage, qui sont contraires au droit naturel : car à l’origine, selon le droit naturel, tous les hommes naissaient libres. 5 Id., commentaire de Cicéron, De legibus libri III (1e éd. 1552), Paris, G. Morel, 1557, p. 31-32 : « DE LA RAISON] La source et origine du droit, de l’avis des Stoïciens, réside dans la raison ; et ceux qui ont part à la raison sont aussi associés par le droit et la loi, comme les dieux et les hommes. En effet, entre les bêtes et nous il n’existe aucune communauté qui nous soumettrait au droit, pensent-ils, parce qu’elles sont dépourvues de raison. Cependant les jurisconsultes disent qu’il existe un certain droit naturel dont on considère que non seulement les hommes, mais aussi les bêtes brutes ont la notion. De plus, les Platoniciens et les Pythagoriciens soutiennent que nous avons un droit en commun avec les bêtes parce que les âmes des hommes transmigreraient chez les bêtes et que la raison ne fait pas défaut aux bêtes. […] Donc ceux qui s’efforcent de faire remonter ce développement à Platon sont des plaisantins. » 6 F. CONNAN, Commentariorum juris civlis libri X (1e éd. Lyon, 1546), Paris, 1558, I, 1, f. 2 v° : « L’origine de toutes les lois et coutumes est la nature, c’est le principe suprême vers lequel elles sont rapportées, cette nature elle-même, c’est la nature de l’homme, que nous appelons la droite raison » (cité et traduit par J.-L. THIREAU, art. cit., p. 67-68). 7 De la servitude volontaire, p. 89.

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09/12/2014. Journée d’agrégation Étienne de La Boétie. Université de Rouen. B. Méniel. 2 tentauit, et utrorumque decreta conturbauit, Stoica quaedam usurpasse. Erat enim inquit Cicero, Antiochus, si perpauca mutauisset, germanissimus Stoicus8. 9. la nature, la ministre de Dieu, la gouvernante des hommes, nous a tous faits de mesme forme, et comme il semble, a mesme moule, afin de nous entreconnoistre tous pour compagnons ou plutost pour freres. et si faisant les partages des presens qu’elle nous faisoit, elle a fait quelque avantage de son bien soit au corps ou en l’esprit aux Uns plus qu’aus autres ; si n’a elle pourtant entendu nous mettre en ce monde, comme dans un camp clos, et n’a pas envoié icy bas les plus forts ny les plus avisez, comme des brigans armés dans une forest pour y gourmander les plus foibles, mais plustost faut il croire que, faisant ainsi les parts aus uns plus grandes, aus autres plus petites, elle vouloit faire place a la fraternelle affection, afin qu’elle eut ou s’emploier, aians les uns puissance de donner aide, les autres besoin d’en recevoir9. 10. Primum igitur si qui habitum modo figuramque corporis humani consideret, annon protinus intellecturus est, naturam vel potius Deum, animal hoc non bello sed amicitiae : non exitio, sed saluti : non iniuriae sed beneficientiae genuisse10 ? 11. Sequitur igitur ad participandum alium cum alio communicandumque inter omnes ius nos natura esse factos. Atque hoc in omni hac disputatione sic intellegi uolo, quomù dicam naturam [esse] ; tantam autem esse corruptelam malae consuetudinis, ut ab tamaquam igniculi exstinguantur a natura dati, exoranturque et confirmentur vitia contraria11. 12. mais a la vérité c’est bien pour neant de debatre si la liberté est naturelle, puis qu’on ne peut tenir aucun en servitude sans lui faire tort, et qu’il n’y a rien si contraire au monde a la nature estant toute raisonnable, que l’injure. Reste doncques la liberté estre naturelle et par mesme moien a mon advis que nous ne sommes pas nez seulement en possession de nostre franchise, mais aussi avec affection de la deffendre12. 13. Doncques quel monstre de vice est cecy, qui ne mérite pas ancore le titre de couardise, qui ne trouve point de nom asses vilain, que la nature desadvoue avoir fait et la langue refuse de nommer13 ?

2. Le droit naturel et la pratique parlementaire 14. Qu’ils mettent un petit à part leur ambition, et qu’ils se deschargent un peu de leur avarice, et puis qu’ils se regardent eus mesmes et qu’ils se reconnoissent […]14.

8 TURNÈBE, commentaire de Cicéron, De legibus libri III, éd. cit., p. 12 : « Pour ma part, je dirai, en m’appuyant sur Antiochus, qui a tenté de concilier la secte des Académiques et celle des Stoïciens et qui a brouillé les théories des uns et des autres, que les Académiques ont employées certaines de celles des Stoïciens. En effet, si Antiochus avait changé très peu de choses, dit Cicéron [Secondes Académiques, Lucullus, 132], il aurait été un véritable Stoïcien. » 9 De la servitude volontaire, p. 89-90. 10 ÉRASME, « La guerre est douce à ceux qui ne l’ont pas faite » (adage 3001), Adagiorum chiliades quatuor cum sesquicenturia, Paris, Nicolas Chesneau, 1579, p. 774 : « Si l’on considère tout d’abord l’aspect qu’offre le corps humain, ne se rendra-t-on pas compte aussitôt que la nature, ou plutôt Dieu, a créé cet être tel non pour la guerre mais pour l’amitié, non pour la perte mais pour la sauvegarde, non pour l’injustice, mais pour la bienfaisance ? » (trad. J.-Cl. MARGOLIN, Guerre et paix dans la pensée d’Érasme, Paris, Aubier Montaigne, 1973, p. 114). 11 CICÉRON, Traité des Lois, I, X, 29, éd. et trad. cit., p. 18-19 : « Il s’ensuit donc que la nature nous a créés pour participer les uns avec les autres et mettre en commun entre nous tous le droit. C’est cela que je veux que l’on comprenne bien dans tout cet exposé, quand je dis : « la nature » ; mais il y a une telle déviation due à une accoutumance vicieuse que cette dernière éteint, si l’on peut dire, les étincelles fournies par la nature et donne naissance et force aux défauts opposés. » 12 De la servitude volontaire, p. 91. 13 Ibid., p. 82. 14 Ibid., p. 120.