23
LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE Author(s): Marie-Louise TENÈZE Source: Nouvelle revue des traditions populaires, T. 2, No. 4 (SEPTEMBRE OCTOBRE 1950), pp. 309-330 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40993167 . Accessed: 15/06/2014 05:17 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelle revue des traditions populaires. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLEAuthor(s): Marie-Louise TENÈZESource: Nouvelle revue des traditions populaires, T. 2, No. 4 (SEPTEMBRE OCTOBRE 1950), pp.309-330Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40993167 .

Accessed: 15/06/2014 05:17

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toNouvelle revue des traditions populaires.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT

DE LA MOSELLE (1) par MaricLouise TENÈZE

(Fin)

III. - VERTU PROPHÉTIQUE DE L'EAU

« Dans l'eau résidait pour tous les peuples la sagesse », écrit Sim- rock dans son interprétation de l'Edda (2). Cette croyance s'exprime notamment dans le récit qu'Odin donna son œil en gage à Mimir pour obtenir une gorgée d'eau de la fontaine de la sagesse. La légende de la fontaine du Kiewald près de Faulquemont en serait-elle une réminiscence comme le voudrait Lerond? On raconte qu'une fée s'y baignait souvent autrefois. Elle enlevait alors la pierre précieuse qui, scintillant sur son front, lui servait d'oeil. Mais un jour elle oublia de le faire en buvant un peu d'eau de la source, de sorte que la pierre précieuse, quand la fée se baissa, tomba à l'eau. Un bûche- ron la trouva sur le lit de galets de l'eau et la donna à sa maîtresse, Gisèle de Morsperg, qui en fit cadeau à son mari en récompense d'un tournoi dont il sortit vainqueur (3).

L'eau de la fontaine renvoie l'image et, dans l'obscurité, on ne croit souvent pas voir la sienne propre, mais une autre, celle qu'on aimerait voir. De là la croyance des jeunes filles, souvent fixée à la nuit du Nouvel An, de voir dans l'eau de la fontaine ou au fond du puits le fiancé qui leur est destiné dans le courant de l'année. A Mer- lebach on dit - de façon plus générale et plus mystérieuse - que celui qui arrivait premier dans la nouvelle année pour décorer la fontaine pouvait voir dans l'eau quelque chose de mystérieux, ayant

(1) Voir ci-dessus, t. II, 1950, p. 134-161. (2) Simrock : Die Edda, p. 356, cité par Lerond (Henri) : Wasserkalt und Gestirn-

kult im Kinderreisen Lothringens, Metz, 1908, d. 18. (3) Lerond, (voir note 2), p. 19.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

310 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

trait à son avenir (1). A Hettange-Grande la croyance des jeunes filles désireuses de se marier de voir leur fiancé, s'il leur est destiné dans le courant de l'année, est fixée au matin de la Pentecôte (2). On sait que sous l'influence de l'Église beaucoup de coutumes pas- sèrent du 1er mai à la Pentecôte. Écoutons maintenant Westphalen : nous sommes dans la vallée de la Seule, le 1er mai : « L'eau du puits et de la fontaine acquérant à l'heure de minuit, le 1er mai, certaines vertus magiques... la jeune fille cherchait à mettre à profit ce pou- voir de l'eau. Après avoir bien nettoyé un seau avec de la verveine, elle se rendait avant le lever du soleil à un buisson, y piquait une branche de verveine en disant neuf fois : Émin, rébin, voyin. Puis elle allait à la fontaine et devait remplir le seau, dans le sens du cours de l'eau, juste au moment où le soleil apparaissait. Vite, elle retirait le seau, y plongeait la main gauche en remuant les doigts et, si elle n'était vue de personne, elle était sûre de voir dans l'eau la figure de son futur époux (3). »

Très anciennement, dans la nuit du 1er mai, les jeunes filles nubiles du pays messin laissaient tomber dans un bassin rempli d'eau puisée à l'heure de minuit une aiguille ou une épingle, qu'elles tenaient horizontalement par le bout des doigts. Si l'aiguille surna- geait ou coulait à pic, sans produire de petites bulles, la jeune fille croyait que ses vœux se réaliseraient sous peu (4). Ce qui avait lieu ici près d'un bassin rempli d'eau, pouvait tout aussi bien se dérou- ler près d'une fontaine. Mais ce n'est pas partout et toujours la même prophétie qui se rattachait à telle ou telle façon de l'aiguille de surnager ou de couler. Par exemple de couler à pic pouvait aussi prophétiser un malheur, tandis que le fait de surnager signifiait du bonheur. A la fontaine de Sainte-Sabine dans les Vosges, le jour de la fête de la sainte, les jeunes filles posaient leurs épingles les plus légères sur la surface de l'eau. Si elles surnageaient, elles se mariaient dans l'année (5). L'emploi de l'aiguille et de l'épingle s'explique peut-être d'urne part par leur caractère métallique, d'autre part parce qu'elles peuvent être considérées comme des symboles de l'activité féminine, d'où aussi leur apparition fréquente dans les

(1) Renseignement recueilli en 1942 à Merlebach auprès de M. Nicolas Colson, alors âgé de plus de soixante-dix ans.

(2) Renseignement recueilli en 1 943. p; westphalen 'uk Kobert de; : reta utctionnairc, an. « Mai »; et Le ̂ uite ae i arbre

dans nos coutumes populaires lorraines, in Ann. Soc. Hist. Archéol. Moselle, t. XXXII, 1923, p. 161.

(4) WESTPHALEN : Dictionnaire, art. « Aieuille ». (5) Sébillot : R. T. P., t. XIV, 1899, p. 597. Cf. aussi Richard : Traditions popu-

laires, p. 8 sq. et p. 138; La Lorraine illustrée, Paris et Nancy, 1886, p. 308. FouRNlER : Vieilles traditions, p. 48 du tirage à part.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 311

coutumes de mariage. A côté des aiguilles, les jeunes filles nubiles se servaient encore d'autres objets pour scruter l'avenir, par exemple de petits pois, de petits cailloux, mais surtout de fleurs, qu'elles déposaient soit décomposées en leurs pétales, soit tressées en petites couronnes, il y a plus de cent ans dans le pays messin à la surface de l'eau d'une fontaine, afin d'observer si elles surnageaient ou non(l).

La vertu prophétique de l'eau ne renseigne pas seulement sur les mariages. L'eau étant considérée comme sacrée et essentiellement pure, les personnes impures ne doivent pas s'en approcher. Or, une femme infidèle à son mari est considérée comme impure. A l'ouest de Moyeuvre-Petite, entre Briey et Avril, jaillissait autrefois une source maintenant tarie, qui punissait les épouses infidèles. Conduite par son mari à la fontaine, la femme accusée d'infidélité était obligée de plonger son bras dans l'eau. Si elle était innocente, elle l'en reti- rait sain et sauf; sinon, il était sur-le-champ frappé de paralysie (2).

Enfin on n'attribue à l'eau de certaines fontaines pas seulement la puissance de guérir, mais on leur accorde aussi le pouvoir de répondre à la question angoissante : guérison ou mort. Le malade va quérir lui-même la réponse, ou bien un parent dépose la chemise du malade - c'est le cas à Rabas - sur la surface de l'eau. A. Rabas, si le vêtement surnage, on en conclut à une guérison prochaine. Un exemple analogue d'Alsace, cité par Lucien Pfleger, qui a trait à la fontaine de Saint-Ulrich à Avenheim près Kochers- berg, et où il est dit « s'ils coulent, on le considère comme un présage de guérison, s'ils surnagent, c'est là un pronostic funeste (3) », prouve, après comparaison avec l'exemple lorrain, que la croyance, d'après laquelle le fait de couler signifie soit la mort, soit la guéri- son, est à base de conventions. Mais l'emploi de vêtements ou de linge du malade est très répandu, de même que la croyance à la vertu prophétique de l'eau.

IV. - VERTU PARTICULIÈRE DE L'EAU EN DES JOURS DÉTERMINÉS

On attribue à l'eau une vertu particulière au début de périodes nouvelles.

Voici d'abord la nuit de Noël, qui est aussi la nuit du solstice d'hiver. Cette nuit extraordinaire marque le début d'une période

(1) Westphalen, loc. cit., art. « Fontaine ». (2) R. T. P., t. X, 1895, p. 280; t. XIV, 1899, p. 599. (3) Pfleger (Lucien) : Wasserkult und heilige Quellen im Elsass, in Volk und Volkstum,

t. III, 1938, p. 200.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

312 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

nouvelle. Il est d'emblée compréhensible que le peuple entoura une telle nuit de merveilleux. D'où la croyance qu'on trouverait fleurie, au retour de la messe de minuit, la branche de cerisier ou de pommier, mise dans de l'eau puisée au cours de cette nuit.

Mainte croyance se rattachant primitivement à la nuit de Noël, nuit du solstice, passa plus tard à la nuit de la Saint-Sylvestre, une fois que cette dernière constitua le passage officiel de l'ancienne à la nou- velle année. Dans quelques villages de la Lorraine on croit encore aujourd'hui, ou du moins y croyait encore la génération antérieure, que celui qui puisait en premier lieu de l'eau pendant la nouvelle année, c'est-à-dire dès que les douze coups de l'horloge du village avaient retenti dans le silence de minuit, emportait chez lui un breuvage salutaire, bienfaisant pour l'homme et le bétail. Les vieilles gens de Hestroff se rappellent encore bien cette croyance. Ils croyaient à une eau salutaire qui détiendrait la guérison pendant l'année à venir et préserverait de malheur. Celui qui, à Baumbiederstroff, cherche après minuit la première eau à la fontaine obtient la meil- leure eau de toute l'année (1). Dans le pays de Delme, le valet de ferme allait abreuver les chevaux à la fontaine. S'il y arrivait premier, il allumait un feu de paille (2), pour montrer à ses camarades qu'on les avait devancés. Dans d'autres régions il faut apporter l'eau salu- taire au bétail à l'étable même, et la lui distribuer immédiatement. Si à Destry la croyance populaire défend expressément de conduire les bêtes à l'abreuvoir dans le courant de cette nuit, disant qu'il fallait leur apporter l'eau à l'étable, si on la voulait efficace, - effi- cacité qui à Destry réside surtout dans la protection contre les mala- dies contagieuses (3) - cette croyance s'explique probablement par la peur de souiller l'eau sacrée et de la transformer par cette souillure infâme de salutaire en funeste. A Destry les filles criaient autrefois à l'heure de minuit : « Fontaine, bonne eau! » Alors on aspergeait de cette première eau les murs des habitations et des écu- ries et on en donnait à boire à chaque personne de la maison ainsi qu'à chaque animal domestique (4). Dans certains villages la légende a - ou avait - cours que celui qui puise de l'eau le premier obtient une boisson salutaire parce qu'il a dans son seau ou sa louche « la larme d'or du Christ » (par exemple Loupershouse), ou « la couronne

(1) Stehle (Bruno) : Sitten, 1886, in Jahrb. Gesch., Spr. Lit. EIsass-Lothringens, 1887.

(2) Westphalen, loc. cit., art. « Nouvel-An ». Cf. aussi Beaulieu : Archéologie Lor- raine, t. I, Paris, Le Normant, 1840, p. 253.

(3) Westphalen, loc. cit., art. « Nouvel-An ». Cf. aussi WITZEL, Alte brauche m Lothringen, in Elsass-Lothringen Heimatstimmen, 1929, p. 109.

(4) Westphalen, loc. cit., art. « Nouvel- An ».

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 313

d'or » (par exemple Dalsteîn), ou « la goutte d'or » (par exemple Brettnach), ou trois gouttes d'or (1). Follmann (2) écrit pour la localité de Lïxing : « En de Nijohrsnaht fliesst en de Bure de goldiche Dräne; drum soll m'r en der Stunn drinke un a's Vieh dränke, fa dass m' Deil hat on der Glicksdrän. » Traduction : « Pendant la nuit du Nouvel An la larme d'or coule dans les fontaines; aussi doit- on en boire à l'heure même et aussi y abreuver le bétail, pour qu'on ait sa part de la larme de bonheur. » L'eau se transforme donc par- tiellement en or, en trois gouttes d'or, en larmes du Christ. La trans- formation est plus complète, - mais plus prosaïque aussi - , si, comme le veut la tradition orale à Saint-Quirin, le premier à cher- cher de l'eau à l'heure de minuit pendant la nuit du Nouvel An à la fontaine de Saint-Quirin puise de l'eau changée en vin (3). Le Jahr~ buch für Geschichte, Sprache und Literatur Elsass-Lothr ingens, 1887, mentionne la même coutume pour Abreschwiller. Le Handwör- terbuch des deutschen Aberglaubens explique cette croyance de la façon suivante : « Le fait que dans certaines villes de province, lors de l'accueil du nouveau souverain, du vin coulait de la fontaine sur la place du marché, fit naître le désir que la fontaine fournisse d'em- blée ce précieux liquide. » Pfannenschmidt (4) rappelle le récit, dans le Nouveau Testament, du premier miracle de Jésus, de la transfor- mation de l'eau en vin aux noces de Cana. Et en outre cette nuit est une nuit mystérieuse.

La croyance aux qualités extraordinaires de l'eau de la nuit de Noël ou du Nouvel An, qu'il s'agisse d'effets salutaires ou de trans- formations, est très répandue. Dans l'Alsace et dans le canton de Baie une telle eau s'appelle « hely Wog » (heilawâc, heilwâc) et les paysans disaient qu'elle n'apportait que du bonheur (5).

L'analogie des croyances à Noël et au Nouvel An s'explique égale- ment par la conception des Douze Jours, - le Nouvel An en est le milieu - , car pendant la période des Douze Jours, le surnaturel a plein pouvoir. Nous avons déjà vu que c'est entre Noël et l'Épipha- nie, donc pendant les Douze Jours, qu'il fallait boire de l'eau au couvent de Saint-Pierremont à l'ouest de Moyeuvre, pour se préser- ver de certaines maladies. De même Hovorka et Kronfeld, du point

(1) Renseignements recueillis en 1943, le dernier de M. Charles Bouton, Sarregue- mines.

(2) Follmann (Michael-Ferdinand) : Wörterbuch der deutsch-lothringischen Mund- arten, Leipzig, Quelle und Meyer, 1909, art. « Nei-johr ».

(3) Renseignement recueilli en 1943. (4) Pfannenschmid (Dr Heino) : Das Weihwasser im heidnischen und christlichen

Kultus, Hannover, Hahn, 1869, p. 102. (5) Alemannia, XV, p. 205. Stehle : Sitten im Elsass, in Jahrb. Gesch., Spr. Lit.

Elsass-Lothringens, t. VI, 1890, p. 162 sq.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

314 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

de vue de la médecine populaire, attribuent à l'eau pendant la période des Douze Jours des vertus « mystérieuses » (1).

Nous pouvons déjà insister sur deux prescriptions, dont Tune accompagne presque régulièrement tant les coutumes déjà citées que celles qui nous restent à traiter, à savoir la prescription de puiser l'eau avant le lever du soleil. Le soleil amène le jour et chasse par là le merveilleux. La deuxième prescription, de ne se faire voir de personne, intensifie le caractère mystérieux de l'action, qui perdrait de sa valeur et de son efficacité, dès qu'elle serait plus ou moins publique.

Ce qui appartient à l'un des solstices de l'année revient aussi à l'autre : à l'époque du solstice d'été les eaux détiennent également des vertus purificatrices et curatives. Celui qui se baigne pendant la nuit de la Saint- Jean, avant le lever du soleil, est protégé contre la fièvre pour la durée d'une année. L'eau puisée le jour de la Saint- Jean à midi juste, pendant que les cloches sonnent l'Angélus, guérit de la gale et de la fièvre (2). A Brettnach et à Loupershouse on attri- buait aussi à l'eau de la Saint- Jean de grandes vertus salutaires. Que les deux nuits de Noël et de la Saint- Jean dotent l'eau de vertus analogues, voilà ce que prouve un conseil de médecine populaire, rapporté par Hovorka et Kronfeld, si nous le comparons aux coutumes ci-dessus : « ...Celui qui prend un bain froid pendant la nuit de Noël n'a pas à craindre pour toute l'année à venir d'être atteint de la gale (3).» Il est évident que le bain pendant la nuit de la Saint- Jean est plus répandu que celui pendant la nuit de Noël. En ne tenant même pas compte de la différence des conditions de température, cette prédo- minance s'explique par le fait que l'époque du solstice d'été repré- sente le point culminant de la force vitale, pour ainsi dire, de la nature, car celle-ci est liée au cours du soleil. Aussi ce jour et cette nuit signifient-ils pour les eaux, de même que pour les plantes, le maxi- mum de puissance : un bain pris le matin dç la Saint- Jean est mer- veilleusement purifiant et porte bonheur au sens le plus large du mot. On connaît le témoignage de Pétrarque datant de 1 330 : le poète nous parle du bain des femmes de Cologne dans le Rhin, bain chargé d'emporter toutes les misères de l'année (4). En outre la rosée de la Saint- Jean guérit les maladies de la peau, et est considérée comme un excellent cosmétique, puisqu'elle enlève toutes les impuretés

(1) Hovorka et Kronfeld : Vergleichende Volksmedizin, Stuttgart, Strecker und Schröder, t. Il, 1909, p. 755.

(2) WESTPHALEN, loe. cit.. art. « Saint- Jean ». (3j Hovorka et Kronfeld, loc. cit., II, p. 755. (4) Pfleger (Alfred) : Altgermanischer Wasserkult am Rhein, Strassburger Monatshefte,

cahier 12, p. 683.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE . DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 315

de la peau, taches de rousseur et rides (m'a été mentionné par exemple de Baronville). En Alsace, le terme rosée de la Saint-Jean indiquerait l'eau puisée entre onze heures et minuit àia fontaine (1). Je n'ai pas de raison de supposer au mot rosée dans son usage lorrain un sens dérivé ou figuré.

Dans les contes lorrains on attribue également des vertus extra- ordinaires à la rosée d'une nuit sainte : « Je sais, dit le renard, que c'est aujourd'hui une nuit sainte, pendant laquelle une rosée divine tombe sur les herbes et les plantes. Celui qui, étant aveugle, se lave les yeux avec cette rosée, recouvre la vue. Même s'il n'avait plus de globes, il en aurait d'autres (2). »

Quand sous le chaud soleil de printemps toutes les eaux dégelées absorbent, de concert avec la nature tout entière qui se réveille et germe, la douce bienfaisance des rayons de soleil, alors la terre regorge d'une fertilité nouvelle, alors on accorde aussi aux eaux des vertus particulières. On peut admettre que cette croyance concernant primitivement le printemps tout entier s'est fixée plus particulière- ment au troisième dimanche de carême, à Pâques et au premier dimanche de mai. La concentration en de tels jours fixes a pu être encouragée par l'influence chrétienne (Pâques, dimanche).

A Moyeuvre-Petite, le troisième dimanche de Carême, chaque enfant se rendait avec un petit panier plein de gaufres à la fontaine; on y chantait et mangeait (3). A Silvange-Marange, à la mi-Carême, la jeunesse chantait et dansait et mangeait le gâteau qu'on avait apporté, près d'une source ou d'une fontaine. Cette fête des enfants et de la jeunesse se nommait le goûter à la fontaine (4).

Dans certaines localités l'eau fournie par la source le vendredi- saint ou le dimanche de Pâques était censée garder pendant toute l'année une efficacité particulière, salutaire (5).

Plus important que Pâques est à cet égard le premier mai ou le premier dimanche de mai, ou même le mois de mai tout entier. Nous avons déjà constaté que c'est surtout au mois de mai qu'ont lieu les pèlerinages à Notre-Dame de Rabas, que le premier dimanche de mai est le jour des pèlerinages à Petit-Eberswiller et un des jours de pèlerinages à Saint-Quirin, qu'en outre le 1er mai dans le pays messin et la vallée de la Seule les jeunes filles cherchent à prévoir l'avtnir

(1) Pfleger (Alfred) : Dos alte Johannisbad, Elsassland, 1922, p. 176 sq. {¿) MERKELBACH-PlNCK (Angelika) : Lothringer Volksmärchen, Kassel, 1940, p. 349 V) Kenseignements recueillis en IV43. (4) Idem. (Informateur : M. Jacquin, alors âgé de quatre-vingts ans.) Cf. aussi Rl-

CHARD : Contes ùoùulaires, cité Dar Westphalen : Culte de V arbre doc. cit.). d. 224. (5) SCHWEITZER (Albert) : Karwoche und Volksglauben in Elsass-Lothringen, in Elsass-

Lothringische Mitteilungen, 9, 1927, p. 180; et SCHWEITZER : Ostergebrâuche und -glaube, idemt 1927, p. 194.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

316 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

dans l'eau. Dans la nuit du 1er mai à l'heure de minuit l'eau des sources et des fontaines acquérait des vertus curatives et préventives (par exemple à Brettnach). L'eau du 1er mai devait préserver de la fièvre, on en donnait aussi à tous les animaux domestiques pour les protéger contre toute maladie, on en aspergeait les habitations et les étables. Celui qui se roulait dans la rosée du 1er matin de mai était sûr pour la durée d'un an de n'attraper ni fièvre ni lumbago, ni d'être frappé de la foudre. Appliquée sur le visage, elle enlevait les taches de rousseur. Fischart dans l'Alsace voisine se moquait des gens qui disaient : « Au mois de mai les sources nous sont salutaires ». Mais il attaqua vainement la vieille croyance fortement enracinée que l'eau est la plus efficace en mai, qu'un bain au mois de mai revivifie et fortifie le corps alangui et faible (1).

Au XVIIIe siècle la Bonne-Fontaine à Plappeville, une fontaine fer- rugineuse située à trois kilomètres au nord-ouest de Metz, était le 1er mai déjà de bon matin le rendez- vous de joyeux promeneurs. On se moquait des retardataires. Le soir, les Messins s'en retour- naient chez eux, décorés de vert sur des voitures ornées de verdure (2). On allait quérir le printemps, et sa joie et ses bienfaits, dont les signes, visibles et palpables pour ainsi dire, sont l'eau et la verdure fraîche. Délaissée pendant quelques années la Bonne-Fontaine dut à une certaine circonstance de rentrer en faveur dans l'opinion du public vers la fin du XVIIIe siècle. « La guerre de Sept ans était finie. Les troupes rentraient dans leurs garnisons respectives. Arrivèrent à Metz plusieurs compagnies d'artillerie décimées par une violente dysenterie. Elles campèrent à Plappeville. Un habitant du lieu leur vanta les propriétés de la Bonne-Fontaine. Et la dysenterie fut vaincue. Cette guérison valut à la source miraculeuse de redevenir l'objet de joyeux pèlerinages (3). » Mais comme cette coutume don- nait Heu à bien du désordre, le 3 mai 1819 parut à Metz une ordon- nance de police pour la proscrire (4). La première pièce écrite jus- tifiant d'une fête à cette fontaine remonterait au 6 mai de l'année 1445(5).

De même que l'eau, le lait de ce jour est parfois considéré comme un breuvage salutaire en Lorraine (6).

(1) Pfleger (Alfred) : Das alte Johannisbad, in Elsassland, 1922, p. 176. (2) Lerond (Henri) : Vestiges du culte des plantes en Lorraine, in Mém. Acad. Metz»

1905-1906, p. 91. p ; ABEL : Les 1 rtmazos, in Austrasie, Kev. Metz et Lorraine, I ço5, p. ZÒ4 sq. (4) Archives municipales, Carton police V, cité par Abel, loe. cit., p. 264. p) Westphalen, toc. cit., art. «hontaine». Cf. aussi AURICOSTE DE LAZARQUE :

Usases, etc., XVI, R. T. P. 1901, d. 14. (6) Cf. R. T. P., t. XV, 1900, p. 185.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 317

V. - DÉCORATIONS DES FONTAINES ET DES PUITS

Les décorations des fontaines expriment la reconnaissance et la vénération. Au milieu du XIXe siècle et peut-être encore plus tard dans les localités du pays de Dabo, les garçonnets déposaient à minuit pendant la nuit de Noël des couronnes sur la margelle du puits ou le bord de la fontaine du village (1). Il est vrai que la coutume de décorer les fontaines est rattachée beaucoup plus souvent à la Saint- Sylvestre qu*à Noël. A Hellimer-Dieffenbach on ornait jusqu'à la grande guerre 1914-1918 les fontaines de branches de sapins et de rubans. A Hestroff on fixait autrefois un sapin enrubanné sur la fontaine du village. A Cuttin, il était encore d'usage, il y a une ving- taine d'années, de décorer le soir de la Saint-Sylvestre la fontaine du village de branches de sapin, et l'exécution de cette coutume revenait aux conscrits de l'année. A Saint-Quirin les habitants de chaque quartier paraient la fontaine qui leur sert à laver leur linge et à abreuver leur bétail d'un petit sapin à fleurs de papier multicolores. Le matin du Nouvel An sept fontaines arboraient une décoration somptueuse (2). On choisit le sapin ou les branches de sapin à cause de leur couleur toujours verte. Dans la nuit de la Saint-Sylvestre entre onze heures et minuit on ornait à Munster les fontaines de branches de sapin et de rubans (3). Le soir de la Saint-Sylvestre les jeunes gens se réunissaient à Lafrimbolle et décoraient de papiers un sapin destiné à orner la fontaine du village. On dansait jusqu'à minuit. Les mères de familles faisaient des gâteaux à cette occasion (4). A Merlebach, on décorait pendant la nuit du Nouvel An les fontaines d'un bouquet enrubanné. On y dit que celui qui arrive premier avec son bouquet aura du bonheur pendant l'année à venir; il verra aussi dans l'eau quelque chose de mystérieux ayant trait à son avenir (5). Dans le pays messin pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, « peu avant minuit les filles se rendaient à la fontaine du village ou aux puits et les paraient de mais (boquets), ornés de guirlandes de coques d'oeufs, de rubans rouges et blancs, et de fleurs artificielles- (6). »

(1) Dugas DE Beaulieu (J.-L.) : Le Comté de Dagsbourg, aujourd'hui Dabo (ancienne Alsace), Archéologie et histoire, Paris, Le Normant, 1858, p. 20.

(2) Renseignements recueillis en 1943. (3) Follmann, loc. cit., art. « Bur-wasser ». (4) Stehle (B.) : Sitten, 1886, Jahrb. Gesch., Spr. Lit. EIsass-Lothnngens, 1887. 'p) Kenseignement recueilli en IV4Z à Merlebach auprès de M. Nicolas Lolson,

alors âgé de plus de soixante-dix ans. (6) Westphalen, loc. cit. t art. « Nouvel-An ».

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

318 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

L'œuf détenteur de vie nouvelle est un symbole de fertilité et s'insère par suite très bien dans le cadre de verdure vivace et de couleurs multicolores. Les jeunes filles dansaient des rondes autour de la fon- taine ou du puits parés (par exemple à Vrémy (1). Dans certains villages du pays messin cette coutume était exécutée par les jeunes garçons. Celui qui arrivait le premier pour fixer des rubans et des coques d'œufs à la poutre bascule des puits, était sûr de se marier avant Tan révolu (2). Puis la jeunesse des deux sexes exécutait des rondes. Dans certains villages de la partie lorraine des Vosges, les jeunes filles paraient une branche de sapin ou de houx - le houx est, de même que le sapin, une plante toujours verte -r- de rubans, de coques d'œufs, de petites figurines représentant un berger ou sim- plement un homme battant sa femme (3), et fixaient pendant la nuit précédent le Nouvel An la branche parée à la fontaine du village. Dans le courant de la journée l'on visitait les fontaines et examinait les mais, car les jeunes filles tâchaient de se surpasser réciproque- ment dans ces décorations. A la tombée de la nuit, on balayait la neige autour de la fontaine, et les jeunes filles dansaient en chantant une ronde à laquelle les jeunes gens n'avaient le droit de participer qu'avec leur autorisation. Autant que possible, on conservait l'arbre pendant toute l'année (4). D'après Richard (5), ces petites poupées sont parfois aussi en plâtre, en carton, en étoffe.

Dans d'autres villages de la Lorraine la décoration des fontaines a lieu le 1er mai, tel à Borny, Brettnach, ou dans la nuit du 30 avril au 1er mai, tel à Loupershouse, où l'on se serait servi de jeunes branches de bouleau. A Hestroff la décoration des fontaines - avec des branches de sapin ou des bouquets de fleurs - avait lieu soit le 1er mai, soit à la Pentecôte (6). A Farschwiller les jeunes gens plan- taient chaque année le 1er mai un beau mai enrubanné sur la place du village à côté de la fontaine (7). A Vigneulles-Basses, près de Faulquemont, les jeunes gens se rendaient dans la nuit du 1er mai à

(1) Westphalen, loc. cit., art. « Nouvel-An ». (2) SÉBILLOT (Paul) : Les Puits, R. T. P., 1901, p. 570. (3) Cf. terme allemand Schlag mit der Lebensrute. (4) Literatur bei läge zur Gemeindezeitung für LIsass-Lothrmgen, 1882, 205. Cf.

aussi publication des œuvres inédites de Dom A. Calmet par F. Dinago. Première série : Des divinités païennes adorées autrefois dans la Lorraine et dans d'autres pays voi- sins..., extrait des Bulletins de la Société philomathique vosgienne, année 1876, Saint- Dié, Impr. L. Humbert, p. 65, note 1 : « Dans la troisième copie manuscrite se trouve ici un passage rayé ainsi conçu : « En ce pays-ci c'est encore aujourd'hui la coutume « de mettre des branches de verdure ornées de fleurs et de rubans sur les poteaux d'où< « sortent les fontaines au milieu des villages, surtout dans les pays des montagnes. »

(5) Richard, loc. cit., p. 141. (6) Renseignements recueillis en 1943. (7) Lerond : Vestiges du culte des plantes en Lorraine (loc. cit.), p. 91.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 319

la forêt pour y chercher les mais, qu'ils ne destinaient pas seule ment aux jeunes filles, mais dont ils paraient encore la fontaine du village (!)• Dans le pays messin et la vallée de la Seule, c'était par contre les jeunes filles qui décoraient, peu avant le lever du soleil, les fontaines et les puits de mais, de guirlandes de verdure, de cou- ronnes de fleurs, de coques d'œufs et de rubans. Au lever du soleil elles se mettaient à danser avec les gars (2).

Nous pouvons insérer dans ce chapitre, bien que le lien qui l'y rattache soit assez lâche, la croyance de Hellimer-Dieffenbach que la fontaine Sainte-Marguerite ne donnait un petit enfant que si l'on y jetait un bouquet (3).

VI. - ÊTRES AQUATIQUES

Si Ton défend en Lorraine aux enfants úe regarder dans l'eau d'un puits, parce qu'ils y verraient le visage de Dieu, cette défense s'explique évidemment par la peur de voir les enfants se noyer. Mais il y subsiste aussi le respect de l'élément sacré. (Cf. la croyance répan- due en Allemagne du Sud : celui qui jette des pierres dans un puits, les jette dans l'œil de Dieu (4).)

Si l'on dit parfois qu'il ne faut pas regarder dans l'eau, parce qu'on regarderait dans l'œil du diable, nous l'interpréterons, com- paré à la représentation de l'œil de Dieu au fond de l'eau, comme l'expression du caractère complexe de cet élément, qui est soit bien- faisant, soit dangereux et funeste.

Cette ambivalence apparaît clairement surtout en traitant les êtres aquatiques. En tant que ces êtres habitant les eaux secourent les humains, ils sont d'ordinaire féminins, « correspondant aux qualités nutritives, purificatrices, curatives de l'eau (5). ». Une légende popu- laire de la région de la Nied française tire surtout au clair la relation entre fertilité et eau ou être féminin aquatique. On pouvait voir l'on- dine se promener, dans la nuit claire, assise dans une frêle nacelle qui glissait sur la Nied, traînée par des canards. Même si elle avait parfois commandé aux eaux de la Nied de sortir de leur lit et d'inon- der les plaines, elle ne s'était pas moins montrée bienveillante

(1) Merkelbach-Pinck (A.) : Lied und Brauchtum in Lothringen, in Zeitschrift für Deutschkunde, 55, 1941.

(2) WESTPHALEN, loc. cit., art. « Mai » et WESTPHALEN : Culte de i arbre (loc. cit.), p. 161.

(3) Renseignement recueilli en 1943. (4) Weinhold : Die Verehrung der Quellen in Deutschland, in Abh. Berliner Ak.

Wiss., 1898, p. 34. (5) Weinhold, loc. cit., p. 17.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

320 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

envers' les paysans : « La nymphe préférait que son châtiment fût plutôt un bienfait et non une calamité. Pour cette raison, l'ondine ordonnait aux eaux de gagner leur lit, et elle prouvait sa cordiale amitié en bénissant les prés boueux et en leur enjoignant de prépa- rer sous peu une abondante récolte (1). »

Les parages des eaux sont hantés d'ordinaire par les dames blanches, les lavandières blanches. Leur souvenir est encore vivace à Wittring. A l'origine, elles sont bienveillantes et charitables - une dame blanche, la fée Anyote, se plaisait autrefois à Ancy-sur-Moselle à laver le linge des femmes à la Fontaine des Moines; elle avait sa demeure, dit-on, au fond du petit étang du bois de Grimont, à deux kilomètres au nord-est de Saint- Julien-lès-Metz (2) - ou du moins non dangereuses : dans la Sarre Blanche qui traverse la vallée de Saint-Quirin les dames blanches lavent leur linge encore de nos jours (3). On croit aussi à Abreschwiller que la dame blanche appa- raît à l'heure de minuit avant Noël, d'après une autre version tous les sept ans, une corbeille de linge au bras, qu'elle lavait dans le ruis- seau (4). Entre Teterchen et Dalem à peu près à deux cents mètres en amont de la chaussée de Dalem se dressait d'après la légende populaire le château du « Huttatta », c'est-à-dire du chasseur sau- vage. A une source voisine la dame blanche, épouse du Huttatta, lave ses vêtements le dimanche pendant la grand-messe (5). Il est évident que ces représentations dépassent les frontières de la Lor- raine, par exemple connaît-on aussi en Luxembourg les lavandières blanches près des ruisseaux et étangs (6). Dans le récit lorrain que nous allons citer maintenant les dames blanches se sont départies de leur caractère bienveillant. On prétend qu'à minuit trois dames blanches se rendaient près d'une fontaine située entre Gorze et Novéant, et barraient le chemin aux voyageurs voulant se rendre de Gorze à Arnaville. Parfois, elles ne se montraient même pas, et pour- tant les voyageurs étaient obligés de revenir sur leurs pas (7).

Les légendes du Hérapel et du château de Hellering mettent leurs héroïnes, Mazurine et Mélusine, en rapport avec les fontaines. Il est

(1) Westphalen, loc. cit., art. « Ondine ». (2) Westphalen, loc. cit.. art. « Fée ». (3) LlNCKENHELD (Emile) : Saint-Quirin et le culte du chêne en Lorraine, Jahrb. Wis-

sensch. Zweigver. Club Vosgien, nouv. série, I, Strasbourg, 1 933, p. 43. (4) ScHWEBEL (Oscar) : Sagen und Bilder aus Lothringens Vorzeit, Forbach, R. Hup-

fer, 1886, p. 272; et La Lorraine illustrée (loc. cit.), p. 652. (5) LlNCKENHELD (Emile) : Archäologisches Repertorium des Kreises Bolchen, For-

bach, 1933, d. 70. (6) Hess (Joseph) : Luxemburger Volkskunde, Grevenmachern, 1929, p. 102. (7) Nimsgern : Histoire de la ville de Gorze, cité par WESTPHALEN, loc. cit., art.

« Dame Blanche ».

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 321

dit par exemple : « Mazurine aimait à se baigner à une source voisine. Sa marraine, la fée, avait doté l'eau de vertus miraculeuses, mais elle avait menacé d'une malédiction étrange, si jamais quelque curieux profanait effrontément la source... (1) » Mélusine est partiellement un être aquatique. Sa promenade la conduit toujours à une fontaine, c'est là qu'elle fait la connaissance de son époux, c'est là qu'ils tombent amoureux l'un de l'autre. Et tous les derniers vendredis du mois elle se transforme en une ondine dont le corps se termine en queue de poisson (2). A Gérardmer dans les Vosges on aurait connu un être aquatique nommé Merlusine (3). Mais ces contes et leurs héroïnes constituent un domaine à part, d'autant plus que M. Van Gennep nomme la représentation de Mélusine internationale (4). Il donne d'ailleurs, des exemples qui nous autorisent à nommer Mélusine dans cet ordre d'idées, en rapport avec les être aquatiques.

Le côté dangereux de l'eau s'incarne d'ordinaire dans des êtres aquatiques masculins. On menace les enfants de « l'homme de l'eau », appelé parfois croquemitaine (par exemple à Saint-Quirin), l'être aquatique le plus connu en Lorraine qui entraîne au fond de l'eau les enfants s'approchant trop près du bord. On le connaît à Angevillers, à Altroff (« autrefois, lorsque les puits étaient encore découverts, on voulait empêcher par cette légende tout accident éventuel »), Borny, Ars-sur-Moselle, Senn (Nied), Hunskirich, Delme, Lindre-Basse, Saint-Quirin, Haut-Clocher, Brouviller, Hellimer-Dieffenbach, Viller, Macheren, Daistein, Bouzonville, Guenkirchen, Kappelkinger, Lou- pershouse, Wittring, Barental, Eguelshardt (5). Ce croquemitaine porte très souvent dans la partie de la Lorraine de dialecte allemand un nom résultant de l'outil dont il se sert. D'ordinaire - mais non pas exclusivement - il habite au fond des puits. Il s'appelle soit « Kropenmann » (Krope = crochet) : Kœnigsmacker, Courme, Rosbruck; ou « Gropenmann » : Hestrofî, Welschheim; « Gropen- männchen » : Lixing; soit « Hakenmann » : Courcelles (Nied), Flévy, Mietersheim, Trois-Fontaines, Arschwiller, Baronville, Wil- lerwald (6). Cette représentation existe sous les mêmes dénomi- nations tant en Luxembourg (« dans toutes les eaux le Kroopemann guette les enfants et les attire avec son crochet dans l'eau (7) »),

(1) KUBLER : Herapel und Rosseltal, Elsassland, 6, 1926, p. 173. (2) Cf. aussi Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. I, Kassel-Wilhelms-

höhe, 1943, p. 76: et Hess, loe. cit., p. 102. (3) Van Gennep (Arnold) : Folklore Côte-d'Or, p. 171. (4) Van Gennep, loc. cit., p. 169. (5) Renseignements recueillis en 1943. (6) Idem. (7) Hess, loc. cit., p. 102.

21

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

322 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

qu'en Alsace («Högemann » dans le Haut-Rhin (1). Le « Boz » se rapproche du « Kropen - » ou « Hakenmann ». Dans la région de Forbach et Sarreguemines on dit aux enfants désobéissants : « Le Boz viendra te prendre, il t'emportera et te jettera dans la rivière (2). » Etymologiquement Boz peut dériver du moyen-haut-allemand bözen, frapper et signifier primitivement esprit frappeur.

Tandis que les puits ne sont d'ordinaire dangereux que pour les enfants, les fleuves et les rivières exigent chaque année des victimes aussi parmi les adultes. Même si le « Welles », une espèce de géant habitant dans la Sarre, se contente de provoquer des orages (3), l'Orne est appelée vraiment la mangeuse d'hommes (4), et de la Sarre le peuple raconte qu'elle exige chaque année une victime. Dans l'étang de Mittersheim habite aussi un tel être malveillant qui cherche à attirer le voyageur dans la mort (5).

Si la division en êtres aquatiques féminins, incarnant le côté bienfaisant de l'eau, et en êtres aquatiques masculins, dangereux et malveillants, s'applique à la plupart des cas, elle n'est néanmoins pas sans exceptions, ce qui n'exclut pas l'exactitude générale de notre division. De vieux êtres aquatiques fé inins he peuvent plus incarner la fertilité, ils passent dans le camp adverse. C'est ainsi que d'après la croyance populaire « la grand-mère Tettin », une vieille femme qui fait peur aux enfants, se promenait dans certaines parties de l'aque- duc qui approvisionnait Metz en eau (6). C'est là que nous insérerons aussi le renseignement d'un de mes correspondants né près d'Audun- le-Tiche : « Dans la, maison paternelle est un puits. Je me rappelle encore bien les paroles de ma grand-mère : « Bleiwt vum Petz ewech, « Kanner, soss helt äch Wasserhäx » (Traduction : N'approchez pas trop de l'eau, les enfants, sinon la sorcière de l'eau vous attrapera), qu'elle nous adressait quand nous approchions du puits qui pour une raison ou une autre était momentanément découvert. » La sorcière remplace ici le Krope - ou Hakemann. Un récit de Gœtzenbruck décrit un tel être aquatique féminin vieux - « e klän gebuckti Frau mit e re Newwelskabb » (7) - , qui ne signifie plus le bienfait de l'eau, mais bien son côté dangereux et en même temps attirant.

(1) Sébillot (Paul) : Les Puits, R. T. P., 1901, p. 568. (z) Lerond (Henri) : Wasserkult und Liestirnlzult im Kinderreigen Lothringens (loe

cit.), p. 27. (3) Box, Notice sur le pays de la Sarre, Metz, 1895, p. 358, cité par Lerond (H. )

loc. cit., p. 28. (4) Westphalen, loc. cit., art. « Ondine ». (5) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. 1, p. ÌDJ; Lothringer tr zählen,

t. II, 1936, p. 112, n°90. (6) SCHWEBEL, loc. cit., p. 129. (7) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Erzählen, t. Il, p. 133, n° Mb.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 323

VIL - MARDELLES (ET MARES)

L'imagination des Lorrains s'est occupée également des mardelles. Mais conformément à l'aspect et à l'emplacement de ces eaux elle a surtout fait ressortir leur caractère de danger, de mystère funeste. On appelle mardelles en Lorraine (1) des cavités d'un dia- mètre assez important (10 à 35 mètres) et de profondeur correspon- dante, qui constituent une particularité du pays, tandis qu'ils man- quent presque totalement en Alsace, où on les rencontre tout au plus dans « l'Alsace Tordue, » enclave de la Lorraine entre l'arrondisse- ment de Sarreguemines au nord et celui de Sarrebourg au sud (2). On paraît s'accorder aujourd'hui à interpréter les mardelles comme des cavités artificielles remontant à des époques très reculées, des habitations mi-souterraines (3). D'après Emile Linckenheld (4) les mardelles faciles à reconnaître en Lorraine se chiffrent à environ sept mille. Souvent situés en pleine forêt, dégageant des gaz - lors de fouilles des ouvriers et des savants tombaient souvent malades, atteints d'une sorte de fièvre paludéenne (5) - , la nuit entourés de feux follets sautillant de-ci de-là, soit remplis d'eau, nappe immobile et insondable, soit desséchés jusqu'au fond marécageux, les mar- delles n'ont jamais été des lieux de culte pour le peuple, leur eau n'a jamais passé pour salutaire ni pure, au contraire ils étaient con- sidérés comme des lieux de rendez-vous des sorcières. Ils ont joué un rôle dans les procès de sorcières du moyen âge. Wichmann, qui s'occupa du déblaiement de beaucoup de mardelles lorrains, écrit : « Les documents des XVIe et XVIIe siècles, déposés aux archives de ^Metz, nous signalent des procès de sorcières, dans lesquels les mar- delles jouent un rôle. Une pauvre femme d'Altrip fut par exemple accusée en l'an 1617 de s'être livrée à des sortilèges dans le mardelle, et, après son aveu, condamnée et brûlée (6). »

Leur méchante renommée s'exprime dans leurs dénominations populaires : mardelles de l'enfer, des esprits^ misérable, des païens (Bliesbruck, Kirschnaumen, Monneren), des sorcières (Baumbie-

(1) Voir pour d'autres dénominations lorraines : LlNEL : Die Maren oder Mertel in Lothringen und ihre Sagen, Lothringer Kalender, 1918, p. 83.

(Z) Linckenheld (Lmile) : Die lothringischen Mertel, Elsassland, 1928, p. 237. (3) Linckenheld (Emile) : Les Mardelles de Lorraine, Bull. Assoc. philomat. Alsace

et Lorraine, Paris, t. VII, fase. 3, 1927, p. 171. (4) Voir note (2), p. 238. p) Voir note (Z). 'p) Wichmann : Ueber die Maren oder Mertel in Lothringen, in Ann. Soc. Hist. Archéol.

Moselle, t. XV, 1903, p. 219.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

324 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

derstrof) et trou du diable (Haut-Clocher) (1). A beaucoup de ces mardelles se rattachent des légendes, des récits qui veulent expliquer leur origine et la font remonter à quelque acte sombre et blasphéma- teur. Je donne quelques exemples : dans la forêt entre Wœlfling et Grand-Rederching dans l'arrondissement de Sarreguemines est située la « mare profonde ». Il y a bien, bien longtemps une route passait là où se trouve aujourd'hui la mare profonde. Un beau jour de printemps un carrosse somptueux, attelé de plusieurs chevaux, s'en vint à passer. Au beau milieu de la route un petit enfant jouait. Le cocher voulut arrêter. « Passe! » l'apostropha son maître en colère. Craignant sa violence le cocher obéit. Alors en un fracas épouvan- table la terre s'ouvrit et engloutit voiture, chevaux et hommes (2). Près de Hellimer-Dieffenbach est un mardelle, le mardelle du caba- ret, qui est apparu sur l'emplacement d'une auberge, dans laquelle d'insouciants jeunes gens dansaient à l'heure de la messe jusqu'au jour où le sort s'abattit sur eux (3). Ce thème de légende est très répandu et se répète par exemple dans la tradition qui a trait à l'ori- gine du lac Lamaix : « La tradition signale, écrit Mündel (4), qu'au- trefois à la place du lac s'étendait une grande prairie, sur laquelle la jeunesse des villages environnants aimait à danser le dimanche. Un jour apparut un musicien étranger qui jouait des mélodies si étrange- ment séduisantes que les jeunes gens en manquèrent l'office reli- gieux. Alors le pré s'engloutit avec eux tous et à sa place apparut le lac. On prétend entendre souvent des plaintes, ainsi qu'un carillon de cloches avertisseur monter du fond des eaux (5). » A l'ouest de Sarre- guemines est situé le « Wupptichmärtel », dans lequel disparut un comte qui ne sanctifiait pas le dimanche. A toutes ces légendes appar- tient en commun le même but de moraliser. Telle la fin du récit pré- cédemment cité : « ... et la nuit de samedi à dimanche l'on entend une voix ne cessant de crier qu'on ne doit pas profaner le dimanche (6). »

Bien des traditions se rattachant aux mardelles nous narrent qu'une ou plusieurs personnes s'y sont noyées. Près de Bouzonville c'est le mardelle du cocher où un dimanche pendant la messe une voiture attelée de deux chevaux serait entrée et où cocher et chevaux se seraient noyés. Près de Brettnach est située la mare du cavalier, là paraît-il un

il) Voir note 2, p. précédente. (2) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. I, p. 381. L>) Ibidem, p. z/y. (4) MuNDEL : Die Vogesen, Strasbourg, Trubner, 12e édition, 1911, p. 381. (5) Cf. aussi Zeliqzon et Thiriot : Textes patois recueillis en Lorraine, p. 78, où 1 ori-

gine du lac est fixée au dimanche de la Trinité. (6) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. I, p. 278 : « ...Un nahts hert

mr e Stimm vun somschdahs uf sundahs, die ruft allewill, se solle de sundah nie schänne. »

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 325

soldat s'est englouti avec son cheval et a disparu sans laisser de traces. On aurait déjà attaché beaucoup d'arbres (pour serrer le foin sur les voitures) l'un à l'autre, pour en sonder la profondeur, mais sans at- teindre le fond. A Petersruh un cavalier voulut traverser la mare d'un saut de son coursier, mais y trouva la mort. Près de Louper-s-house se trouve la mare aux nonnes. Une jeune fille de la région qui voulait entrer au couvent, mais à laquelle sa famille ne le permettait pas, se noya dans la mare, etc. (1).

Dans d'autres mardelles un trésor est enfoui : trois foudres de vin dans le « Wissmärtel » près de Cappel (2), ou trois cloches d'argent dans le mardelle aux cloches près de Farschwiller (3).

D'ordinaire des revenants errent aux environs de minuit autour de ces mares, par exemple autour du mardelle de Bastian («Basteis Mar- tel ») près de Lixing, autour de la mare des nonnes près de Louper-s- house, où apparaît certaines nuits une nonne habillée de blanc, autour du « Wissmärtel » près de Cappel, hanté par les esprits des voleurs, qui cherchent la nuit à en retirer le précieux liquide qu'ils y ont caché, ou dans le mardelle des cloches les cloches se mettent à sonner douce- ment pendant la messe de minuit à Noël, mais d'ordinaire les enten- dent seuls des humains prédestinés, nés pendant le carême. Pour d'autres traditions de mardelles, voir, entre autres : Merkelbach- Pinck, Lothringer Maistube, I, p. 279 : Le mardelle du cocher; I, p. 280 : Le mardelle de l'amour; I, p. 360 : La mare profonde.

De toutes les eaux ce sont incontestablement les mardelles qui jouent le plus grand rôle dans le légendaire lorrain.

VIII. -EAU DE PLUIE

L'eau de pluie pouvait être salutaire. Le fait qu'elle paraît tomber du ciel peut avoir contribué à cette croyance.

Nous ne nous occuperons pas des nombreux dictons météorologi- ques qui ont rapport à la pluie. Renvoyons principalement à Henri Lerond : Lothringische Sammelmappe (4).

Nous intéressent surtout dans ce travail les qualités de l'eau de pluie dans la croyance populaire. L'eau de pluie serait curative, dit-on. A Wolmunster, on prend l'eau de pluie qui s'est accumulée dans le creux de la pierre tombale d'un curé défunt, pour guérir surtout les maladies oculaires, mais aussi d'autres affections (plaies, rhumatismes, etc.) (5).

(1) Renseignements recueillis en 1943. (2) SCHAFFERT (Philippe) : Lothringer Kalender, 1918, p. 85. (3) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. I, p. 278. (4) IIe partie, Forbach, 1891. (5) Renseignement recueilli en 1 943.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

326 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

Cette croyance du pouvoir curatif de l'eau peut dériver de l'expérience du bienfait que la pluie représente pour les champs et les jardins. De même s'explique par le fait que la pluie fait pousser au printemps toutes les plantes, par analogie la chansonnette des enfants gambadant sous la première pluie de mai : « Pluie de mai, pluie de mai, / Rends- moi grand, / Je suis aussi petit / Qu'un champignon. » (1) Dans le pays messin on dit également que la pluie de mai fait grandir les enfants (2). Nous avons déjà fait ressortir au cours de chapitres précé- dents que l'eau était douée d'une efficacité particulière en des jours saints. C'est ainsi que l'eau de pluie du dimanche de Pâques promet du bonheur dans le mariage et est salutaire pour les yeux malades (3).

Que la croyance populaire, basée à l'origine sur des faits naturels, les renforce et les transpose sur le plan surnaturel à cause de l'impor- tance qu'ils revêtent à ses yeux et dans beaucoup de cas à cause de la vénération qu'ils lui inspirent, est une des constatations élémen- taires de l'ethnographie. Conformément à cette loi, on attribue des pro- priétés merveilleuses à l'eau de pluie.

A Amanvillers, on prétend que, s'il pleut le jour du mariage, les jeunes mariés deviendront riches (4). S'il pleut pendant un enterrement ou immédiatement après, les gens ont bon espoir quant au repos de l'âme du défunt (5).

D'autres coutumes ont pour but d'assurer aux champs la pluie bienfaitrice. C'est ¡ci qu'il convient de citer une coutume de la Pen- tecôte, celle du « Quack » qu'on arrose d'eau, si tant est qu'elle existe vraiment dans notre petite patrie. D'après certains articles elle aurait lieu principalement dans la région de Bitche. Mais toutes mes démarches pour obtenir des renseignements complémentaires n'ont pas abouti. Fox (6) indique Etting dans l'arrondissement de Sarre- guemines. Mais là aussi on m'a répondu négativement. La coutume ne paraît donc jamais avoir été bien répandue en Lorraine et être de nos jours vraiment très rare. En tout cas est-ce inexact de la part

(1) « Mai-Ren, Mai-Ren, / Mach mich gross. / Ich bin so klein / Wie'n Hinerfuss », cité par Linckenheld (E.) : Saint-Quirin et le culte du chêne, p. 37 sq. Dr J. Graf : Deutsch-lothringische Reime, Volkslieder und Sprüche, Ann. Soc. Hist. Archéol. Moselle, 6, 1894, p. 105. E. Kiffer : Ein Mai und Pfingstbrauch in Lothringen und im Elsass, Elsassische Monatschrift Gesch. Volksk., t. III, 1912.

(2) Westphalen, loc. cit., art. « Mai ». (3) Sitten und Gebräuche Lothringens, in Lothringer Familienkalender, 1928. (4) Westphalen, loc. cit., art. « Noce ». (5) Lerond (Henri) : Lothringische Sammelmappe, IVe partie, Metz, Die lothrin-

gischen Totensitten; et Stehle : Sitten, 1887, in Jahrb. Gesch., Spr. Lit. Elsass-Lothrin- gens, 1888.

(6) Fox (Nicolas) : Fastenfeuer und Lehenausrufen an der Saar, in Unsere Heimat, Blatter für saarländisch-pfälzisches Volkstum, 1935-1936, p. 316.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 327

d'Albert Schweitzer d'écrire « la coutume très probablement exercée dans toute l' Alsace-Lorraine (1) ». Je me contente de reproduire les deux citations que j'ai rencontrées : « La plupart du temps le Quack, écrit Nicolas Fox (2), circule à pied. A Etting près Sarreguemines le dimanche de Pentecôte on porte de maison en maison un garçonnet enveloppé entièrement d'herbe. On l'appelle ici le « Neschkwack »... La coutume se termine par un bon repas d'œufs et de lard. » Westphalen (3) écrit : « Dans le Schleithal (pays de Bitche) les garçons qui accompagnent le Pfmgstbutz dans sa tournée à travers le village portent des espèces de balais fabriqués de rameaux attachés au bout de longues perches et aspergent d'eau les habitants afin de leur as- surer la prospérité et une bonne santé. » La coutume de noyer à car- naval un mannequin de paille est à considérer également - au moins partiellement - comme un rite en vue d'obtenir de la pluie.

A côté de ces usages il en existe d'autres qui poursuivent le même but, mais sont entre les mains de l'Église : telles les processions cham- pêtres des Rogations, où l'on prie Dieu d'accorder la pluie nécessaire dans le temps approprié et une récolte abondante. Elles sont d'un usage si général en Moselle qu'il est inutile d'énumérer les localités qui m'ont répondu affirmativement. D'ordinaire le prêtre bénit les champs, le ban entier du village, rarement les fontaines et les sources.

A côté de ces coutumes ayant lieu régulièrement, on a recours à d'autres en cas effectif de sécheresse prolongée. Elles sont également en rapport plus ou moins avec l'Église. On n'organise plus que rare- ment des pèlerinages à une fontaine (Petersruh, à la Bonne Fon- taine; Loupershouse : on croit se rappeler que des pèlerinages avaient lieu autrefois à des cours d'eau), la plupart du temps ils ont lieu à travers champs; à une chapelle (Angevillers), à un couvent (Kappel- kinger, autrefois), à une statue, à celle de saint Antoine, dressée dans la forêt près de Brettnach; en 1893, à celle de saint Wendelin à Dalstein (4). Très souvent on prie à l'église même. Les femmes et les enfants des environs se rendaient en pèlerinage à Notre-Dame de Lamaix pour demander la fin du fléau, quand les biens de la terre se trouvaient compromis soit par des sécheresses prolongées, soit par des pluies continuelles (5). A Metzerwisse, à Ars-sur-Moselle, des offices ou des processions avaient lieu aussi en cas de pluies désastreuses. A Metz se trouvaient dans l'église de la collégiale Sainte-Marie les reliques de sainte Seréne (?), invoquée lors de

(1) Elsass-lothringische Mitteilungen, 1927, p. 276. (2) Fox (Nicolas), loc. cit., p. 316. (3) Westphalen : Culte de Varbre, p. 255. (4) Kenseignements recueillis en 1943. (5) La Lorraine illustrée (loc. cit.).

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

328 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

pluies ininterrompues, et celles de sainte Waldrée (?), implorée inver- sement en cas de sécheresse prolongée. Au XVIIIe siècle encore on exposait le corps de sainte Seréne enfermée dans une châsse d'argent pendant huit jours aux prières des fidèles afin d'obtenir la cessation des pluies (1).

IX. -EAU BÉNITE

Ici s'ajoute à la vertu appartenant naturellement à l'eau l'impor- tante circonstance de la bénédiction à l'église. Le matin du samedi saint un membre de la famille se rend à l'église pour y remplir d'eau bénite les bouteilles apportées.

Souvent l'emploi de l'eau bénite repose sur l'espoir de bannir tous les esprits malfaisants. On les reconnaît au fait qu'ils ne sup- portent pas l'aspersion d'eau bénite. D'où la coutume encore très répandue de nos jours de faire asperger d'eau bénite les murs d'une maison nouvellement bâtie. Cette coutume m'a été affirmée (2) si géné- ralement qu'il me semble inutile de citer des localités. A Wilier on bénit aussi des maisons qui sont restées pendant un certain temps inhabitées. Vers la fin du siècle dernier dans les villages et les fermes solitaires de la partie occidentale de l'arrondissement de Sarrebourg les paysans auraient obligé littéralement le voisin récalcitrant de se plier à la coutume, ceci d'autant plus que l'efficacité de la bénédiction risquait d'être compromise, à partir du moment où une seule maison non bénie existait dans le village (3).

Dans beaucoup de villages aussi on asperge d'eau bénite la veille du premier mai les habitations et les étables, et même en partie les jardins et les champs comme mesure de protection contre les sorcières.

A côté de cette bénédiction périodique de la maison, on a recours à l'eau bénite quand la maison est hantée. « Un meurtre a eu lieu dans la maison, et l'esprit la hantait encore. Alors le Père a aspergé les chambres d'eau bénite, et le calme s'est rétabli », est-il dit dans un récit de Rieding (4). On m'a signalé aussi de Schalbach qu'on y bénissait les maisons où un malheur avait eu lieu. Pour cette action contre les esprits ou les sorcières l'eau bénite de la Pentecôte est dans la croyance populaire plus efficace que celle de Pâques, ce qui, d'après une tradition orale de Vigneulles-Basses, était même l'opi- nion d'un ecclésiastique, qui, à la question, en quoi consistait la

(1) Westphalen : Dictionnaire, art. « Sainte-Sérène ». (2) En 1943. (3) Huhn (Lugen H. Ih.) : Deutsch-Lothringen. Landes = , Volks = und ürtskunde

Stuttgart, Cotta, 1875, p. 92. (4) Merkelbach-Pinck (A.) : Lothringer Maistube, t. I, p. 125, II, p. 235.

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 329

différence entre l'eau bénite de Pentecôte et celle de Pâques, répondit sans réfléchir : « Celle de Pentecôte est meilleure contre les sor... » II n'avait plus osé prononcer le dernier mot, mais tout chacun l'avait compris (1). Le paysan, toujours soucieux de la bonne santé de ses bêtes, emploie l'eau bénite pour les préserver et les guérir de maladies. Le jour de la saint Eloi, patron des chevaux, un pèlerinage avait lieu à Flastroff, d'où les paysans rapportaient de l'eau bénite, qu'ils mélan- geaient à la boisson des chevaux, surtout des chevaux malades, pour les guérir (2). Au pays messin on avait l'habitude autrefois de verser le samedi-saint de l'eau fraîchement bénite dans la boisson des ani- maux domestiques pour les préserver de coliques pendant l'année à venir (3). Souvent, si les vaches ne donnent plus de lait, on croit qu'un sort a été jeté sur elles. On leur donne alors de l'eau bénite à boire (4).

En outre existe l'usage d'arroser des animaux sains, surtout des chevaux, d'eau bénite. On le fait notamment au début de printemps (coutume qui m'a été mentionnée de Kirschnaumen, Bouzonville, Brettnach, Courme, Narbéfontaine) ou au début du mois de mars (5); pour les poulains la première fois qu'on les attelle (Marspich, Willer près Morhange, autrefois, Angevillers). A Kirschnaumen on asperge tous les animaux, soit qu'on les achète, soit qu'on les vende, d'eau bénite. En cas d'achat on les englobe par là dans le lien communau- taire de la ferme.

Reposant aussi sur le caractère salutaire de l'eau bénite, il convient de citer les usages suivants : on jetait quelques gouttes d'eau bénite dans le pays messin dans la ruche qu'on voulait faire essaimer (6). On jette souvent quelques gouttes d'eau bénite dans le lait.

Dans la vie du Lorrain l'eau bénite joue également un rôle. Immé- diatement après la naissance on trace souvent une petite croix à l'eau bénite sur le front du nouveau-né. Chaque visiteuse qui s'approche du lit de l'accouchée, doit plonger les doigts dans l'eau bénite, en offrir à la jeune mère, et là-dessus les deux femmes font ensemble le signe de la croix (7). Rappelons-nous la croyance d'après laquelle mère et enfant sont menacés dans les premiers jours, - jusqu'au moment où l'enfant par le don du nom et le baptême est officielle- ment intégré dans la communauté, - de bien des dangers et sont

(1) Ibidem, II, p. 336 : « Das Weihwasser. » (2) Elsassland, 1939, p. 145-146. (3) WESTPHALEN. loe. cit.) art. « Samedi-Saint ». (4) Pluetzer (A.) : Abergläubisches aus Lothringen, in Lothringer Kalender, 1919,

d. 97. (5) Westphalen, loc. cit., art. « Mars ». (6) AuRiCOSTE DE Lazarque : Usages, etc., R. T. P., t. XVI, 1901, p. 21. (7) WESTPHALEN, loe. cit., art. « Accouchement ».

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: LE FOLKLORE DES EAUX DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE

330 NOUVELLE REVUE DES TRADITIONS POPULAIRES

guettés par des puissances malfaisantes. Si Ton ne trouve presque plus l'usage de bénir le lit nuptial (1), la coutume que les parents bénissent, à l'eau bénite, leurs enfants qui vont se marier, n'en est que plus répandue. De même le père de famille trace à l'enfant qui quitte la maison paternelle soit temporairement pour un voyage, soit pour la vie, le signe de croix à l'eau bénite sur le front. Et quand l'homme a terminé sa vie et est étendu sur le lit mortuaire, c'est encore de l'eau bénite que nous trouvons à ses pieds. .Tous ceux qui l'ont connu dans le village, se rendent à la maison du défunt « jeter de l'eau bénite ». Avec une petite branche de buis, une brindille des rameaux bénis, on trace la croix par-dessus le mort (2). C'est là une marque de respect à l'égard du défunt, peut-être aussi cependant une mesure de protection pour les vivants.

(1) Richard, loc. cit., p. 202. (¿) 1 radition vécue par 1 auteur a Longeville-lèsoamt-Avold

This content downloaded from 188.72.96.115 on Sun, 15 Jun 2014 05:17:25 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions