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FIPF REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS N° 376 JUILLET-AOÛT 2011 le français le monde dans Vive les vacances ! Tendance autrement… Prix RFI : trente ans de francophonies musicales Zep père de Titeuf Montréal rêve de football // MÉMO // // DOSSIER // Pérou : professeure de bonheur Voyage dans la tête des bébés en Grande-Bretagne // MÉTIER // // ÉPOQUE //

Le français dans le monde N°376

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Numéro 376 de la revue internationale et francophone des professeurs de français, juillet-août 2011

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Page 1: Le français dans le monde N°376

FIP

FREVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

N° 376 JUILLET-AOÛT 2011

lefrançaisle mondedans

ISSN 0015-9395ISBN 978-2-090-37067-6

www.fdlm.org

Vive les vacances !Tendance autrement…

Prix RFI : trente ans de francophoniesmusicales

Zep père de TiteufMontréal rêve de football

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// MÉMO //

// DOSSIER //

Pérou : professeure de bonheur

Voyagedans la tête des bébés en Grande-Bretagne

// MÉTIER //

// ÉPOQUE //

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À paraître en sept. 2011

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ÉPOQUE4. PortraitZep et son double

6. TendanceTout le monde il est gentil ?

7. SportMontréal rêve football

8. ÉconomieFriche industrielle, entre passé et avenir

10. Regard« L’humanité s’écrit au singulier »

12. RencontreAlain Rey, l’homme qui murmurait à l’oreille des dicos

13. FestivalPrintemps de Bourges : pour toutes les musiques

14. Une journée dans la vie de…Valentina, écrivain public

MÉTIER18. L’actuLa joie de vivre le françaisFIPF : la plate-forme est ouverte

20. FocusPour un statut spécifique et autonome de l’écrit

22. Mot à motDites-moi Professeur

24. ClésLa notion d’interaction (1)

26. ZoomProfesseure, je me suis sentie tout de suite à l’aise

28. Savoir-faireL’effet « théâtre »

30. ExpérienceL’étymologie en classe pour le plaisir de la langue

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

Le français dans le monde //n° 376 //juillet-août 2011 1

Sommaire

32Voyage dans la tête des bébés

Métier / Reportage

32. ReportageVoyage dans la tête des bébés

34. InnovationBabelweb, nouvelles perspectives pour la classe de langue

36. EnquêteMéthode intuitive pour cours nomade

38. RessourcesDu tourisme, oui, mais virtuel !

MÉMO56. À écouter

58. À lire

62. À voir

Les fiches pédagogiques à télécharger

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des Professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel Hovelacque – 75 013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Directeur de la rédaction Jacques Pécheur (ministère de l’Éducation nationale – FIPF) Secrétaire général de la rédaction Sébastien Langevin Relecture/correction Marie-Lou Morin Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 51e année.Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Chantal Parpette, Jacques Pécheur, Florence Pellegrini, Nathalie Spanghero-Gaillard.Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Nadine Prost (MEN), Jean-Paul Rebaud (MAEE), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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INTERLUDES2. GrapheHasard

16. PoésieMichel Houellebecq : « Le sens du combat »

40. NouvelleTahar Ben Jelloun : « Homme sous influence »

54. BD ARichard : « Le jour où Laurent est tombé »

64. JeuxExercices pour la plage

Dossier

● Graphe : Hasard● Portrait : Zep et son double● Économie : Friche industrielle

Entre passé et avenir● Clés : La notion d’interaction (1)● Expérience : L’étymologie en

classe pour le plaisir de la langue

● Dossier : Des congésautrement

● BD : « Le jour où Laurent est tombé »

● Jeux pour la plage

fiches pédagogiques à télécharger sur :www.fdlm.org

numéro 376

44

Vive les vacances !

Les vacances, « un élément structurant de nos sociétés » ..........................................47J’irai dormir chez vous ......................................49Des congés autrement ......................................51Sous la lumière de l’été ......................................53

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Le français dans le monde // n° 376 //juillet-août 2011

« Le hasard fait bien les choses ?J’en connais un, il a pas dû être fait par hasard, alors. »Coluche

« lI n'y a pas dehasard, il n’y a quedes rendez-vous »Paul Éluard

« Je sais que ma naissance est unhasard, un accident risible, et ce-pendant, dès que je m’oublie, je mecomporte comme si elle était unévènement capital, indispensable à la marche et à l’équilibre dumonde. »Cioran, De l’inconvénient d’être né

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La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comments’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce qu’on sait où l’on va ? »Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître

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« Fraterniser avec une anguille : quand par hasard on l’aime, elle s’esquive. »Proverbe gabonais

« Nous trouvons de tout dans notremémoire ; elle est une espèce depharmacie, de laboratoire de chimie,où on met au hasard la main tantôtsur une drogue calmante, tantôt surun poison dangereux. »Marcel Proust, La Prisonnière

« Avec le temps…Avec le temps, va, tout s’en vaEt l’on se sent blanchicomme un cheval fourbu Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard » Léo Ferré, Amour Anarchie,« Avec le temps »

« Le hasard souvent fait bien les chosesSurtout quand on peut l’aider un peu.Une étoile passe, et je fais un vœuNous nous reverrons un jour ou l’autreSi Dieu le veut. »Charles Aznavour, « Nous nous reverrons un jour ou l'autre »

Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

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époque // portrait

4 Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

Par Christophe Quillien

Dans la vraie vie, Titeufexiste pour de bon.Enfin, presque. Il s’ap-pelle Philippe Chap-puis et signe ses al-

bums du pseudonyme Zep – un clind’œil à Led Zeppelin, son groupe derock favori. Zep est le « papa » de Titeuf. Il lui a donné naissance unpeu par hasard, au début des années1990. Las de multiplier en vain les allers-retours entre sa ville natale deGenève et les bureaux des éditeursparisiens ou bruxellois, qui refu-saient tous ses projets, il avait fini par renoncer à la bande dessinée. Désor- mais, il ne dessinerait plus que pourlui, dans le secret de ses petits car-nets, qu’il jugeait plus à même de tra-duire ses états d’âme, ses inquié-tudes et ses interrogations. C’estainsi qu’est apparu un jour, par le hasard conjugué à l’inspiration et aucoup de crayon, ce petit personnage

Devinette : qui a une mècherebelle, une bouille en formed’œuf, des pantalons pattes

d’eph’ et des baskets rouges ?Trop fastoche… C’est Titeuf !Star incontestée des cours de

récré, champion des ventesd’albums, voilà maintenant

près de vingt ans qu’ilpromène sa silhouette

singulière sous la mine deZep, dessinateur suisse

éternellement jeune.

Titeuf :

le film

Ça devait bienarriver un jour :après la BD etles dessinsanimés à latélé, Titeufest désormais une star de ciné ! Sortisur les écrans le 6 avril, Titeuf le filmréunit un casting « pô croyab’ », deJean Rochefort à Maria Pacôme enpassant par Michael Lonsdale et…Johnny Hallyday. Réalisé en 3D parZep lui-même, ce film d’animationjoue sur un double niveau de lectureen s’adressant aux petits comme auxgrands : tandis que Titeuf cherche àse faire inviter à l’anniversaire deNadia, la menace de la séparation deses parents pèse sur lui…

appelé à un grand destin. La suite del’histoire est connue. Publié dans unfanzine, ces magazines de BD réali-sés par des passionnés, Titeuf attirel’attention de l’éditeur Jean-ClaudeCamano, qui lui fait signer illico uncontrat chez Glénat. Titeuf étaitné… Pour Philippe Chappuis, ce futcomme une seconde naissance.

Laisser remonter

les souvenirs de jeunesse

Pourtant, avec le recul – et le succès(voir encadré) –, Zep ne regrette passes refus répétés. C’est sans doutegrâce à eux qu’il a pu préserver sapersonnalité et son « helvétitude ».« Mon isolement géographique a étéune chance, analyse-t-il aujourd’hui.Si j’avais vécu en France ou en Bel-gique, j’aurais fait le siège des éditeurstoutes les semaines, et ils auraient sansdoute fini par modeler mon travail enfonction de leurs attentes. » Depuis

la parution du premier album de Titeuf, en 1993, son géniteur n’a paschangé. Sa méthode est restée lamême : plonger en lui-même, semettre à l’écoute de l’enfant qu’ilétait, laisser remonter ses souvenirsde jeunesse pour les traduire enimages à travers les petites histoiresde son double de papier. « Je neconstruis pas mes livres en fonctiond’un thème précis. Je me laisse guiderpar la rêverie. C’est elle qui me permetde penser et d’écrire comme mon per-sonnage, explique Zep. Le plaisir dedessiner est lié à l’enfance, même si, à40 ans, je ne porte plus sur elle le regard qui était le mien quand j’en

« J’aime jouer avec lessynonymes ou le triplesens. Cela m’amuse d’avoirune approche enfantine de la langue. »

Zep et son double

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

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5Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

avais 25. » C’est là le secret de Zep.Quand il fait vivre Titeuf, il est Titeuf, et personne d’autre. Psycho-logiquement, mais aussi physique-ment. « Quand je dessine Titeuf,quelque chose d’assez bizarre se passe[…]. Ma position change, je mecourbe sur mon carnet, les pieds en dedans, et je me mets à écrire mal-adroitement […]. En fait, j’ai le senti-ment de quitter ma vie d’adulte et deredevenir un petit garçon », expli-quait-il en 2004 dans Le Monde deZep, un beau livre qui donne à voir samaîtrise graphique et la richesse deson inspiration.Là où tant de BD censées incarnerl’enfance ne font que refléter une vi-sion d’adulte, à l’image de la série LePetit Spirou, Zep sait comme per-sonne en exprimer les doutes et lesinterrogations existentielles, les petites joies et les grands bonheurs.Titeuf s’interroge sur la sexualité, sepose des questions sur l’amour etcherche désespérément à percer lesmystères de la vie. À commencer parle premier d’entre eux : les filles, objets d’une fascination mêlée decrainte. Mais aussi de souffrance :amoureux fou de Nadia, sa voisine

de classe, le malheureux Titeuf va de déconvenues sentimentales enpaires de gifles. Ses jeunes lecteurstrouvent ainsi dans ses albums l’échode leurs propres questionnements.Des questionnements qui étaientaussi ceux du jeune Philippe Chap-puis voilà quelques années…

Des enseignants enthousiasmésEt puis, il y a les répliques de Titeuf,formidables d’inventivité, de drôle-rie et de poésie, et dont certaines(« C’est pô juste ! ») sont passées dansle langage de tous les jours. Des répliques qui n’ont pas toujours pluaux censeurs : certains esprits bien-pensants ont longtemps accusé Zep

de brader la langue française, quandil ne faisait que jouer avec ses possi-bilités pour mieux l’enrichir. « Au-jourd’hui, je rencontre plus souventdes enseignants enthousiasmés parmon travail, se réjouit Zep. Même sije croise parfois des grincheux qui n’ai-ment pas la bande dessinée et qui sesentent un devoir de la combattre.Mais neuf fois sur dix, ils n’ont pas lules albums… Je ne suis pas un adeptedu “parler mal” pour le plaisir. Quandj’ai commencé Titeuf, j’avais envie defaire s’exprimer mes personnagescomme de véritables enfants. Et mêmesi la langue française est moins créa-tive que l’anglais ou l’allemand, j’aimejouer avec les synonymes ou le triplesens. Cela m’amuse d’avoir une approche enfantine de notre langue. »

Mine de rien, Zep a bousculé les habitudes tranquilles de la BD pourla jeunesse. Grâce à lui, une nouvellegénération d’auteurs – que l’on re-trouve notamment dans le magazineTchô ! qu’il supervise pour les Éditions Glénat – s’est autorisée à enrenouveler les thèmes et les codes. Titeuf a fait entrer le monde d’au-jourd’hui dans la bande dessinée etdans les cours de récréation. Et cen’est pas terminé : Zep prépare letreizième album de son héros à lamèche blonde. « Je n’ai jamais penséque je dessinerais Titeuf toute ma vie,précise son père (très) spirituel. Jeprends du plaisir à le dessiner, mais lejour où je n’aurai plus rien à raconter,j’arrêterai, et personne ne reprendra lepersonnage. » Que ses fans se rassu-rent : nous n’en sommes pas encorelà. Avant de profiter d’une retraitebien méritée, Titeuf doit encoreéclaircir quelques mystères de l’exis-tence. Et il n’a toujours pas renoncéà se marier avec Nadia… ■

Titeuf en chiffresTiteuf n’est peut-être pas le meilleur élèvede sa classe, mais il est à coup sûr le meil-leur vendeur de la bande dessinée d’aujourd’hui ! Il n’y a qu’un nouvel albumd’Astérix pour afficher des tirages et deschiffres de vente comparables. Et Titeuf,lui, n’a pas besoin de potion magique…Son éditeur, Glénat, déclare avoir venduquelque 20 millions d’exemplaires de lasérie, traduite dans plus de 25 pays. En

1993, le premier titre, Dieu, le sexe et lesbretelles, avait été tiré à 3 000 exem-plaires. En 2008, le douzième Titeuf, LeSens de la vie, a été imprimé à 1,8 milliond’unités… Et les albums « pour adultes »de Zep, même s’ils touchent un publicmoins large, affichent eux aussi desscores honorables : selon Delcourt, sonéditeur, Happy Sexs’est écoulé à quelque400 000 exemplaires…

« Quand je dessine Titeuf,quelque chose d’assezbizarre se passe. En fait, j’ai le sentiment de quitterma vie d’adulte et deredevenir un petit garçon. »

En avril 2011, Titeuf devient une vedette du grandécran grâce à un long-métrage en 3D.

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époque // tendance

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Tout le mondeil est gentil ?

Il faut le savoir, plus d’unFrançais sur trois (41 %) apeur de se faire avoir ou depasser pour un imbécile.C’est ce que révèle un son-

dage TNS Sofres Logica réalisé pourPsychologies Magazine. Si on ajoute àcela que près de la moitié ressent del’agressivité et de la méchanceté autour de lui, c’est peu dire que lagentillesse a du mouron à se faire !Surtout quand, en plus, ils voient del’agressivité partout : au volant, pourplus de 50 % d’entre eux, comme autravail pour 43 % des personnes interrogées.Alors quand Psychologies Magazinelance la Journée de la gentillesse, quiplus est en plein mois de novembrepluvieux et déprimant, il faut avouerqu’il faut un certain courage. Pour-

tant, il ne fait qu’emboîter le pas à unmouvement apparu dans les années1960 au Japon : le Mouvement de la petite gentillesse – se rendre acteurd’une petite attention quotidienne – relayé depuis par le Mouvement mon-dial de la gentillesse qui compte au-jourd’hui plusieurs millions d’adeptesdans 18 pays.

« Une valeur très positive »Et puis cette initiative est portée parun courant éditorial où plusieurs ou-vrages traitant du sujet ont retenul’attention du grand public : le livredu psychiatre Serge Tisseron, L’Em-pathie au cœur du jeu social (AlbinMichel) ou les best sellers du cancéro-logue suédois Stefan Einhorn L’Artd’être bon, oser la gentillesse (Belfon,2008) ou du psychothérapeute et for-mateur en communication non vio-lente Thomas d’Ansembourg Cessez

d’être gentil, soyez vrai (Éditions del’Homme, 2001) ; sans oublier ceuxqui, comme Éric Albert, fondateurde l’Institut français d’action sur lestress, et Laurence Sautner s’intéres-sent dans leur ouvrage Stress.fr(Eyrolles) au stress, mal des entre-prises et source de beaucoup d’agres-sivité dans le monde du travail. Siavec ça les Français ne font paspreuve de gentillesse, c’est à déses-pérer ! D’autant plus, assure SergeTisseron, que « les Français considè-rent la gentillesse comme une valeurtrès positive mais que le principal obs-tacle à la gentillesse est le manque d’es-time de soi. Être à l’écoute des besoinsd’autrui demande en effet une grandesécurité intérieure. »

Créer du lienTemps de crise oblige, s’affirme par-tout le désir de créer du lien et donc

de réhabiliter cette gentillesse long-temps considérée comme désuète ouréservée au monde merveilleux desBisournous. Alors pour contournerscepticisme et attitude ironique, uneseule arme, l’arme absolue : Internet.Si l’on tape « gentillesse », on se re-trouve face à une multitude de sites :site officiel www.lajourneedelagentil-lesse.com ou au choix sur Facebook,Colunching, Voisinssolidaires.fr ou Dinedong.com… On n’en est pas en-core au freehugsaustraliens, ces câlinssans arrière-pensée proposés au pre-mier passant venu, mais on nous ledit, « la gentillesse est contagieuse ». Sil’on en croit Thomas d’Ansembourg,« nous avons tous de plus en plusconscience de la nécessité de cette écolo-gie relationnelle qui consiste à se pro-mener dans la vie avec une conscienceaimante et respectueuse ». Allez, Fran-çais, encore un effort ! ■

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Temps de crise oblige, s’affirme partout ledésir de réhabiliter cette gentilesse longtempsconsidérée comme désuète.

« Tout le monde il est beau,tout le monde il est gentil »,

l’affirmation ironique deJean Yanne (1970), en dépitde nombreuses initiatives, a

encore de beaux jours devantelle avant de devenir unefranche réalité. Enquête.

Par Jacques Pécheur

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7Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

époque // sport

Dure existence pour le football àMontréal, ville qui n’a d’yeux que pourle hockey. Et pourtant l’Impact, équipe

née en 1992, ne manque pas d’élan.

« C’est un gros plus pourl’Impact d’avoir autant de joueurs d’expressionfrançaise […] car cesgars-là savent jouer auballon. »

Par Pierre GodfrinLe jeune club montréalais accueille plus de

10 000 spectateurs chaque soir de match.

Dans un an, l’Impact fera ses grands débutsdans la MLS (première division nord-américaine).

Montréalrêve footballÀ

quelques jours dudébut de la saison dedeuxième division nord-américaine de soccer(l’appellation du foot-

ball aux États-Unis et au Canada), lesspectateurs du premier entraîne-ment de l’Impact de Montréal nesont pas légion. Et pour cause, àquelques mètres du terrain en syn-thétique du complexe sportif Bell,une patinoire est entourée par desdizaines d’inconditionnels du clubde hockey sur glace de la ville, les Canadiens, la fierté de la cité québé-coise. Une situation qui suscite la colère de Philippe Germain, le des-cripteur, comprenez « commenta-teur », des matchs de l’Impact pourRadio Canada. Pourtant, ce journa-liste est bien conscient que le gouffreest encore abyssal à Montréal entreles deux équipes. Si les Canadiens ont été créés en1909 et sont les plus titrés de l’his-toire du hockey nord-américain,l’Impact n’a été fondé qu’en 1992…Dur d’exister donc pour ce club sansstars, si ce n’est le meilleur attaquantcanadien, Ali Gerba, d’autant que leniveau de jeu pratiqué est encoretrès loin du modèle européen. « C’estinjuste de comparer les deux en raisondu nombre d’années, estime cepen-dant Philippe Germain. Cela dit, un

bon club de MLS (première divisionnord-américaine, ndlr) peut facile-ment tenir tête à un club moyen deLigue 1. Même si, sur un champion-nat, c’est autre chose… » Et celatombe bien : dans un an, l’Impactfera ses grands débuts dans la MLS,l’élite du soccer, dans le stade Saputoqui sera agrandi pour la bagatelled’environ 29 millions de dollars. Letout avec un effectif qui s’enrichit dejoueurs français d’année en année.

Une pépinière francophonePrésent à l’Impact depuis une saison,le Nantais Philippe Billy est le mieuxplacé pour s’exprimer sur les condi-tions de vie des six Français présentsau club depuis février 2011 : « C’estun peu une France américanisée ici. Lavie est très agréable. Il n’y a pas tous lesproblèmes qu’on a en France, commele chômage et le racisme. Il y a toujoursquelque chose à faire à Montréal. » Di-thyrambique envers la ville franco-phone, cet ancien défenseur deBrest, au discours parfois aseptisé,

est conscient que les Français ont unstatut privilégié au Québec. « C’est un gros plus pour l’Impactd’avoir autant de joueurs d’expressionfrançaise, des Maghrébins et des Euro-péens francophones, car ces gars-là savent jouer au ballon », reconnaît deson côté Philippe Germain pour quileur arrivée constitue un apport dequalité en vue de la saison prochaineen MLS. Ainsi, lorsqu’il a appris la si-gnature en janvier dernier d’Has-soun Camara, un milieu de terraindéfensif qui a passé un an et demi àl’Olympique de Marseille, il était auxanges. Et ce même si le joueur n’a par-ticipé qu’à une rencontre avec l’OM… De son côté, Philippe Billy se voitdéjà adulé comme Thierry Henry àNew York : « Les gens nous idolâtrentbeaucoup. Après dix défaites d’affilée, jesuis sûr qu’ils nous encourageraient en-core. Il y a 10 000 autographes à signerà la fin des matchs. » En attendant,Montréal a perdu son premier matchde la saison à Tampa Bay (États-Unis)devant 3 693 spectateurs… ■

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époque // économie

8 Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

Souvent dans une situa-tion environnementaledégradée, polluées parles produits chimiquesou les métaux lourds uti-

lisés jadis par l’usine, les friches in-dustrielles ont pourtant le grandavantage d’être situées dans le cen-tre ou en périphérie des villes. Dèslors, elles peuvent être aménagéesen espaces urbains durables : loge-ments, complexes culturels, sportifs,zones industrielles et commerciales,espaces verts… L’imagination n’a,dans ce domaine, pas de limite.Les anciens abattoirs de La Villette, àParis, le prouvent magistralement. Ledernier bœuf y est mort en mars 1974.Cinq ans plus tard, l’établissement pu-

blic du Parc de La Villette s’emparaitdu site et lançait le grand projet de ré-habilitation et d’aménagement des 55hectares de friches industrielles. Unetriple ambition soutenait ce dessein :bâtir un ensemble architectural uni-quement consacré à la musique, réali-ser un musée national des sciences ettechniques et créer un parc culturel urbain ouvert à tous. Le pari est gagnéhaut la main !À Denain, dans le nord de la France,l’ancien site sidérurgique d’Usinor aété rendu à la vie, rompant enfin lesilence funeste qui y régnait depuis1980. Dans le quartier – biennommé – du Nouveau Monde, plu-sieurs entreprises se sont implan-tées, dont certaines sont accueilliesau sein de la Ruche industrielle duconseil général du Nord.

Même les terrils ont retrouvé descouleurs. L’un a été transformé enparc (les promeneurs y trouvent par-fois du charbon qui affleure) ; l’au-tre, contre toute attente, est devenuZone Naturelle d’Intérêt ÉcologiqueFaunistique et Floristique (ZNIEFF).À Lille, le parc Eco Industria, toutjuste inauguré, s’est développé surl’ancien site Selnor (Moulinex), dontles machines se sont tues en 2005.

Par Marie-Christine Simonet

Entre passé et avenirFriche industrielle

Tout est possible. Faire du neuf avec du vieux,

renaître de ses cendres, mêmerevivre après la mort.

Non, il ne s’agit pas detranscendance, mais… de

friches industriellesabandonnées à la rouille et ausilence. De leur réhabilitation

naissent des projets variés,insolites parfois, qui redonnentvie à ces grands témoins tristes

de l’histoire des hommes.Inventaire.

Friches industrielles :logements, complexesculturels ou sportifs, zones commerciales,espaces verts… L’imagination n’a, dans cedomaine, pas de limite !

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Devenue complexeculturel, La Villette, àParis, était un abattoirdont l’activité a duréplus de cent ans.

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L’entreprise japonaise Shimizu en-visagerait de construire sur la Luneune longue bande de panneaux solaires. Le projet, nommé LunaRing, permettrait de capturer l’éner-gie solaire. L’électricité résultante,qui pourrait atteindre les 13 000 té-rawatts (13 millions de milliards dewatts) produits, serait transmise àla Terre, grâce à des micro-ondes oudes rayons laser.

Le projet de construction pard’une ligne de métro aérien à Bag-dad coûtera un milliard d’euros etsera financé par l’État français et desbanques françaises. Alstom a signéen janvier 2011 un protocole d’ac-cord pour la réalisation de cette ligne,qui pourra transporter 30 000 pas-sagers par heure. Un accord définitifdu gouvernement était attendu.

Les émissions de CO2 ont atteintleur plus haut niveau historique en2010, dépassant de 5 % leur pré-cédent record enregistré en 2008.Il s’agit d’un « sérieux revers » pourla lutte contre le réchauffement cli-matique, estime l’Agence Interna-tionale de l’Énergie.

Le lobby agricole vient de remporterune importante victoire au Brésil, audétriment de la lutte contre la dé-forestation mise en place par lepays. Les députés ont approuvé unemodification du code forestier quiassouplit les mesures de protectionde l’Amazonie.

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Sur les quatre entreprises qui s’y sontinstallées, trois sont dédiées au recy-clage. Début 2012, deux autres en-treprises sont attendues, spécialiséesdans le recyclage du plastique.Bien plus au sud, sur la côte Atlan-tique, le superbe site de Paulilles aéchappé au pire. Cette ex-dynami-terie, datant de 1871, dominée parune cheminée de 35 mètres dehaut, a bien failli être rasée, après safermeture définitive en 1984, poury édifier un complexe touristique deluxe. Finalement, en 1998, les 32 hectares du site furent rachetéspar le Conservatoire du Littoral, quidécida, en partenariat avec le conseilgénéral des Pyrénées-Orientales, devaloriser les atouts écologiques etpaysagers du domaine, ainsi que samémoire industrielle. Dix ans plustard, il était ouvert au public. Seulsquelques bâtiments ont été conser-vés et réhabilités, mais le patri-moine naturel (arbres et végétaux

remarquables) et culturel (objets et bâtiments de l’usine) ont été misen valeur.

Belgique, Suisse, Afrique :partout, on réhabilite…La France n’est pas la seule à souhaitersauvegarder son patrimoine industriel.La Belgique voisine s’y emploie égale-ment. Exemple peu banal, le Pass, quise décrit comme « un musée de sciences,de technologies et de société ». En fait, unancien charbonnage du Borinage,dans le Hainaut : des bâtiments classésque l’on a réaffectés à une mission deculture scientifique et autour desquelsune architecture moderne donne uncachet futuriste parfaitement adapté àce témoin de l’histoire. Pour les forges de Clabecq, dans le Bra-bant wallon, le temps, arrêté en 2001,a repris son cours autour d’un projetbasé sur la mixité. La dépollution dusite, hydrocarbures et métaux lourdsobligent, va durer trois ans. Il faudra en-suite une dizaine d’années pour déve-lopper les 80 hectares du site. L’objec-tif : des logements, des PME et desbureaux. Sans oublier, cela va de soi,des zones d’espaces verts.

La Suisse, qui a recensé 17 millions demètres carrés de friches industrielles –l’équivalent de la ville de Genève –, lesconvertit, elle aussi, peu à peu en centresde loisirs, de culture et de commerce.C’est ce qui est arrivé en 2000 à la fa-brique plus que centenaire de compres-seurs Sulzer-Burckhardt du quartierGundeldinger à Bâle. Les toits ont été vé-gétalisés, des mesures ont été prises pour

optimiser la consommation d’eau etd’énergie et les matériaux de construc-tion utilisés sont issus du recyclage.Ainsi, le site bétonné s’est transformé enune oasis verte au cœur de la ville.Et en Afrique ? Là-bas également desbâtiments promis à la décrépitude,voire à la démolition, reprennent del’allure. Ainsi de l’ancien Palais du gou-verneur de Grand-Bassam, à l’estd’Abidjan (Côte-d’Ivoire). Il a été re-converti en musée national du Cos-tume en 1980. Oui, décidément, par-tout, tout est possible. ■

En 1979, l’établissementpublic du Parc de La Villettelançait le grand projet deréhabilitation des 55 hectares.

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en bref

Les araignées sont menacées parl’activité humaine dans les milieuxagricoles et forestiers, selon uneétude espagnole. En provoquantdes changements extrêmes de lastructure de la végétation, le feu etles pesticides sont les grandstypes de menace qui affectent lesécosystèmes étudiés.

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

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époque // regard

10 Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

Par Alice Tillier

À rebours de l’idée d’unmonde découpé en aires de

civilisations vouées à s’entrechoquer, comme

l’a défendu SamuelHuntington, Christian

Grataloup plaide pour unehistoire mondiale,

patrimoine commun de l’humanité.

Le titre de votre ouvrage, Faut-ilpenser autrement l’histoire dumonde ?, est largement rhétorique.La réponse est bien évidemment« oui »…Christian Grataloup : Il s’agit derompre avec les modèles d’histoireuniverselle évolutionnistes, qui ontdominé jusqu’au XXe siècle. Dans la vi-sion d’une humanité en marche versle progrès, il y avait les pays enavance et les pays en retard, les « paysdéveloppés » et les « pays en voie dedéveloppement ». Ces catégories ontcommencé à être abandonnées dansles années 1980 au profit des expres-sions de « Nord » et « Sud » : le géo-

graphique remplace ici le temporel,parce qu’il paraît plus neutre. C’est lemême choix qui a été fait pour le nomdu musée du quai Branly, ouvert àParis en 2006, « musée des arts et descivilisations d’Asie, d’Afrique, d’Océa-nie et des Amériques ». Mais cetteneutralité est illusoire : le découpagedes continents a été fait par les Occi-dentaux. Les catégories que l’on uti-lise sont porteuses d’une vision dumonde. C’est une difficulté de l’his-toire mondiale.

S’agit-il de reprendre toutel’histoire de l’humanité ?C. G : L’idée de l’histoire mondiale ouhistoire globale – discipline qui existedepuis trente ans aux États-Unis etqui est encore récente en France – estde se placer à l’échelle du monde. Lelocal et le régional ne sont étudiés quedans la mesure où ils s’articulent avecle mondial. Nous nous intéressonsaux interactions entre les sociétés,

aux influences réciproques, aux mé-tissages. Jusqu’au XVe siècle, cette his-toire mondiale est réduite : elle necorrespond qu’à l’Ancien Monde, del’Europe au Japon, et laisse par exem-ple de côté les Aztèques ou les Incasqui n’ont pas de relations avec les Eu-ropéens. Mais cet Ancien Monde est,lui, bien interconnecté. Un exemplefrappant : la Peste noire du XIVe siècle,bien connue pour l’Europe. Elle a enréalité touché toutes les régionss’étendant du Japon à la Méditerra-née – et épargné l’Afrique. Les épidé-mies sont révélatrices des réseaux derelations tissés entre les sociétés.

Vous travaillez donc sur l’histoire desorigines de la mondialisation…C. G : Les origines de la mondialisa-tion telle qu’elle s’est produite ! Maisaussi sur les tentatives qui n’ont pas

« L’histoire n’est pasmonolinéaire. »

Christian Grataloup est géographe et professeur de géohistoire à l’université Paris VII. Il est notamment l’auteur de L’Invention descontinents (Larousse, 2009).

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«  Les Orients (Proche, Moyen, Extrême) sont une mise en perspec-tive subjective vue d’Europe. Pourun Japonais, le Liban n’est pas plusproche que la Corée extrême. Plusprécisément, il s’agit du passagedans le vocabulaire diplomatique etjournalistique de découpagesconçus par l’état-major britannique,l’institution qui était la plus à mêmede se poser des questions de gestiondu Monde dans la seconde moitiédu XIXe siècle. Aujourd’hui, l’expres-sion “Extrême-Orient” […] a beau-coup vieillie. Curieusement, dans lelangage courant, c’est le mot “Asie”lui-même qui s’y est substitué ; il nevient guère à l’esprit, sauf […] chezles adversaires de la Turquie en Eu-rope, de situer, par exemple, leLiban en Asie. “L’émergence del’Asie”, naguère la “crise asiatique”,

voilà des formules qui évoquent im-médiatement la Chine et ses voisinset non pas l’ensemble de terres àl’est de l’Europe que nos plani-sphères persistent à nommer “Asie”. Ce glissement du vocabulaired’usage à propos du mot “Asie” estcohérent avec la portée géogra-phique la plus courante du mot“Orient” […]. Le nord de l’Afrique,du Maroc à l’Égypte, y participe.[…] On a là un découpage de l’An-cien Monde qui s’impose de plus enplus dans le vocabulaire courant[…]. D’est en ouest se succèdentl’Asie, l’Orient et l’Europe. Au sud(du Sahara, en fait), se trouvel’Afrique. »

Christian Grataloup, Faut-il penser autrementl’histoire du monde ?, Armand Colin, coll.« Éléments de réponse », 2011, pp. 105-107.

extrait

11Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

abouti. L’histoire n’est pas monoli-néaire. Les plus grands voyages ontété réalisés par les Polynésiens, quiont parcouru plus de 20 000 kilomè-tres – soit la moitié de la circonfé-rence terrestre – jusqu’à l’île dePâques, Madagascar, sans doutel’Amérique aussi. Mais ils étaient troppeu nombreux pour maintenir lecontact avec leur société d’origine etles liens ont été rompus. Avant la tra-versée de l’Atlantique et la « décou-verte » de l’Amérique au XVe siècle parles Européens, les Chinois ont envoyédes flottes gigantesques jusqu’auxcôtes d’Afrique du Nord, jusqu’à uncoup d’arrêt au début du XVe siècle, quia laissé la voie libre aux Européens.

Cette histoire globale, avec sesbifurcations, ses possibles, estfinalement peu enseignée. Lesétudiants, notamment en France,ignorent à peu près tout del’empire Ming, pour ne prendreque cet exemple.C. G : Les programmes scolaires onttendance à privilégier le patrimoinenational, parce qu’il est constructeurd’identité. Depuis peu, l’étude d’unempire africain du Moyen Âge figure,en France, au programme d’histoire.Mais non sans critiques. Certainsconsidèrent comme inutile d’ensei-gner une histoire lointaine à desélèves qui ne connaissent pas leurpropre histoire… Des programmesscolaires mondiaux sont difficiles àenvisager. Le manuel franco-alle-mand n’est d’ailleurs guère utilisé enclasse. Il n’en reste pas moins quenous avons un patrimoine mondial :les sociétés sont diverses, mais l’hu-manité s’écrit au singulier.n

La France, l’Allemagne, chacundes pays européens a construit auXIXe siècle, au moment de la for-mation des États-nations, son«  roman national  », récit histo-rique en partie mythique destiné àcréer une identité nationale forte.Des « romans continentaux » ontété à leur tour forgés, notammentcelui de l’Afrique. Christian Grata-loup en appelle aujourd’hui àl’écriture d’un « roman mondial »,histoire du monde propre à déve-lopper une conscience commune.L’enjeu, politique, civique, est detaille : il s’agit de gérer les pro-blèmes mondiaux qui se posent, àcommencer par l’élévation du ni-veau de la mer ou le réchauffe-ment climatique. L’écriture de

cette histoire mondiale n’est passans difficultés : à l’échelle mon-diale, il est impossible de définirune identité par rapport à un« Autre » – comme l’ont fait les ro-mans nationaux ou continentaux ;les catégories temporelles que l’ona pu concevoir telles que l’Anti-quité ou le Moyen Âge ne sont paspertinentes pour l’ensemble dumonde ; les catégories spatiales, àcommencer par le découpage descontinents (voir à ce sujet l’extraitci-contre) sont des concepts nonseulement occidentaux mais aussitardifs. Christian Grataloup attirel’attention sur l’inscription histo-rique de ces catégories et invite àrepenser une histoire du mondequi ne soit pas vue d’Occident.

compte rendu

L’écriture d’un roman « mondial »

« Jusqu’au XVe siècle,l’histoire mondiale estréduite : elle ne correspondqu’à l’Ancien Monde, de l’Europe au Japon. »

au singulier »

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partiel de la réalité, il exprime impli-citement le point de vue de sonconcepteur sur la langue.

Quel est le but de ceDictionnaire amoureux desdictionnaires ?A. R. L’éditeur m’a tout d’abordcontacté pour que j’écrive une réflexion sur le lexique présenté demanière aimable. Je l’ai rapidementconvaincu de publier ce dictionnairequi fait référence à sa propre collec-tion « Le Dictionnaire amoureuxde… » : celui-ci est le cinquantième.J’ai déjà publié plusieurs ouvragessur les dictionnaires, mais de natureuniversitaire. Ça me paraissait inté-ressant de reprendre les choses pourun plus large public. Et de même quel’on ouvre la description du françaisà des formes de français du monde

Si le titre existait,Alain Rey seraitprince des lexi-cologues, com -me il existe unprince des poètes.Cela fait près de cinquante ansqu’embarqué sur le navire Robert il aprésidé à différentes aventures dic-tionnairiques. C’est dire s’il était bienplacé pour écrire un Dictionnaireamoureux des dictionnaires. En prèsde 1 000 pages et de A à Z comme ilse doit, il nous entraîne dans un dédale, entre les dictionnaires etceux qui les ont rédigés, dans lescoulisses en quelque sorte de cettescience qui est aussi un artisanat.Parlant de Félix Gaffiot, l’auteur d’uncélèbre dictionnaire latin-français,Rey écrit que plus qu’une élection àl’Académie Française la lexicogra-phie latine peut mener à l’immorta-lité. On lui souhaite les deux : den’être pas de l’Académie et d’accé-der cependant à l’immortalité.

Louis-Jean CalvetAlain Rey, Dictionnaire amoureux des dictionnaires,

Éditions Plon, 2011, 998 pages, 27 euros.

époque // rencontre

Propos recueillis par Sébastien Langevin

Alors que Le Petit Robert fête ses 60 ans, son principal concepteur et rédacteur, Alain Rey,

continue à se passionner pour les mots. Dans Le Dictionnaire amoureux des

dictionnaires, il s’interroge avec érudition etvolupté sur ces étranges objets que sont les dicos.

Dans l’avant-propos duDictionnaire amoureux desdictionnaires, vous écrivez que le dictionnaire est un « objetfamilier mais mal connu »…A. R. C’est le lieu où se rencontrenttoutes les particularités des langueset de leurs usages. Car le contenud’un dictionnaire, c’est beaucoupplus une sélection d’usages que la to-talité de la langue. D’abord dans letemps, on choisit en général la période contemporaine. Au point devue social, ce n’est jamais très clair,car on peut aborder la langue spon-tanée, populaire, mais elle n’est ja-mais si bien servie que la langue plusélaborée, reflétée par la littérature.Ensuite, il y a toutes les possibilitésde variantes géographiques à l’inté-rieur d’une même langue, et indé-pendamment des dialectes : c’est lecas en France où l’on ne parle pas ab-solument de la même façon dans lenord de la France, à Lille par exem-ple et dans le Sud, comme à Mar-seille. Tout dictionnaire est un reflet

entier, j’essaie de montrer dans celivre ce qu’est la tradition du diction-naire ailleurs qu’en France. Il y a degros chapitres sur les dictionnairesen italien, en espagnol, en allemand,en portugais, en arabe…

Parmi les entrées de votredictionnaire, on trouve aussibien Virginia Woolf que Leonardoda Vinci ou… Batman !A. R. On a retrouvé dans les cahiersde Leonardo da Vinci des listes demots issus de l’un des tout premiersdictionnaires d’italien. Cela m’a paruêtre un hommage à la lexicographiede la part de l’un des plus grandsnoms de la Renaissance. Pour Bat-man, c’est le fait que je me suis beau-coup intéressé à la bande dessinée etque j’ai repéré un dictionnaire surl’univers de Batman. Je me suis ditque c’était assez amusant : si l’on fai-sait ça pour La Comédie humaine deBalzac, on pourrait très bien imaginerun dictionnaire avec tous les objets,tous les lieux, tous les personnages…Si c’était bien fait, ce pourrait être trèséclairant pour lire Balzac ! n

Entre Batman et Balzac, Alain Rey rend hommageaux lexicographes,amateurs ou professionnels.

qui murmuraitL’homme

à l’oreille des dicos

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Critique

Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

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Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011 13

époque//Festival

Pour toutes les musiques

Créer un festival de chan-son, loin des program-mations habituelles desradios et des télévisions,le concept imaginé en

1976 par Daniel Colling, fondateurdu Printemps, était nouveau ; d’au-tant plus nouveau qu’il devait se tenirdans une ville moyenne de province,en dehors de la période des« grands » festivals de l’été, car ça luipermettait une meilleure visibilité.« Le Printemps de Bourges, disait sonfondateur, doit devenir un lieu de créa-tion, d’expression et de confrontationsur la chanson d’aujourd’hui. »Trente-cinq ans plus tard, le mêmeDaniel Colling (toujours à la barre du

Printemps) a su garder intacts l’espritet la forme du festival. « Mon obses-sion, explique-t-il, c’est que son identité,qui consiste à présenter des artistes endevenir plutôt que des têtes d’affiches,soit préservée. » Aujour d’hui, la mani-festation ne se limite plus à la chansonproprement dite, mais davantage àl’ensemble des musiques actuelles (dela chanson française à l’électro en pas-sant par le rap, le rock ou le reggae).Car les goûts des spectateurs ontchangé et Daniel Colling a vu défiler àBourges plusieurs générations : « Onavance avec un public qui se renouvelletout le temps : cette année, 95 % des fes-tivaliers n’étaient même pas nés lors dela première édition. » Bourges a donc accueilli en 2011 desartistes venus d’horizons divers. D’un

côté, des chanteurs populaires et « fé-dérateurs » comme les Français BenL’Oncle Soul, Cali, Philippe Katerine, Catherine Ringer ou l’Amé-ricain Raphael Saadiq. Mais uneplace importante a été accordée à dessoirées dites « thématiques », sans vé-ritable tête d’affiche. Elles ont mis enavant cette fois deux courants que né-gligent souvent les grands festivals del’été : le rap et le métal. « Nous avonschoisi de nous baser sur le concept mu-sical. C’était risqué d’autant que nous

sommes partis avec une programma-tion a priori peu commerciale », ex-plique Daniel Colling. Le pari a été tenu et les chiffres leprouvent : près de 60 000 placespayantes ont été vendues en cinqjours, soit un taux de remplissageproche des 100 %. Le Phénix, laplus importante salle du site, anotamment accueilli une soiréedédiée au rap, avec quelques-unsdes artistes les plus populaires dugenre, dont Akhenaton, La Fouine,Soprano et Sexion d'Assaut. Cartonplein aussi pour les soirées électro etrock très courues du week- end avec plus de vingt groupesprogrammés.

Coup de chapeau à la scène africaineLe Printemps a également offert aupublic une belle création avec YekeYeke. L’idée était de réunir sur lamême scène de grands noms de lascène africaine (Cheikh Lô, MoryKanté, Vieux Farka Touré…) et dejeunes musiciens occidentaux (PiersFaccini, Yael Naim), demandant àchacun de reprendre et d’adapter lerépertoire de l’autre. Un spectaclesouvent surprenant, parfois dérou-tant, mais en tout cas débordant degénérosité. n

Par Edmond Sadaka

Printemps

Des jeunes talents très courtisésLe Printemps de Bourges reste fidèleà sa vocation de défricheur de ta-lents, lui qui avait donné sa chance àRenaud, aux Têtes Raides ou àJeanne Cherhal. Une trentaine d’ar-tistes a été sélectionnée cetteannée. Parmi eux, Pitcho, un rappeurbelge d’origine congolaise à l’écriturepertinente (métissages, quête del’identité et mémoire post-colonialesont au menu de son concert), Peau(de son vrai nom Pauline Faillet), unejeune grenobloise qui jongle entremusique électrique et intimité vocale,ou encore Concrete Knives, un quin-tette pop rock venu de Basse-Normandie qui propose – en anglais– une pop accrocheuse.

E. S.

Cette année, le Printemps a mis en avant deux courants : le rap et le métal.

Comme tous les ans, le Printemps de Bourges marque le début des festivals. Un 35e anniversaire fêté avec un programme particulièrement éclectique.

Zaz, phénomène jazz de l’année2010, ouvre le bal dans la plusgrande salle de concert du festival.

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Entre deux barres d’immeubles,le centre social où Valentina serend chaque semaine.

Mona, dont la sœur harcèle sa famille, est venue demander de l’aide à Valentina.

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© Sarah Nuyten

époque // Une journée dans la vie de… (3/6)

14 Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011

Chaque mercredi, unepermanence un peu

particulière s’ouvre au centresocial du quartier Paris-

Campagne de Drancy, enbanlieue parisienne.

Pendant quelques heures, unécrivain public propose

d’aider toute personne qui lesouhaite à rédiger sescourriers. Un service

entièrement gratuit, devenuindispensable pour certains

habitants de cette communeen difficulté.

Texte et photos par Sarah Nuyten

Au service des autresValentina, écrivain publicavec

m’agresse au téléphone, insulte mesenfants, il lui arrive même de venirchez moi et d’être violente », explique-t-elle, le regard soucieux. Au-jourd’hui, sa requête est simple : « Jeveux qu’elle me laisse tranquille. »Pendant de longues minutes, Valen-tina écoute le récit de Mona. Puis ellese place devant l’ordinateur et com-mence à taper une lettre. Un courrierofficiel, adressé au procureur de laRépublique, demandant une mesured’éloignement. Un langage formelqui, de manière précise, résume la situation de Mona et formule sa

requête. Valentina relit la lettre àvoix haute. Mona acquiesce, grat-tant nerveusement le vernis rose deses ongles. Elle repartira avec uncourrier prêt à poster et l’espoir delendemains moins tourmentés.

Un entretien d’une heureValentina Costi a 26 ans, elle a grandià Modène, en Italie, et a élu domicileen France il y a deux ans et demi : « Lefait que je sois d’origine étrangère faci-lite le contact lorsque j’ai affaire à unpublic d’immigrés. Ils se sentent mieuxcompris. » Le quartier de DrancyParis-Campagne, où elle vient assurerune permanence chaque semaine,c’est 9 500 habitants et 17 nationali-tés : Marocains, Algériens, Maliens,Mauritaniens, Haïtiens… Les gensqui viennent ici maîtrisent parfois malla langue française. « Mais la majorité

« Le fait que je soisd’origine étrangère facilitele contact lorsque j’aiaffaire à un publicd’immigrés. »

‹‹Alors, qu’est-cequi vous amèneM a d a m e ?– J’ai des pro -blèmes avec ma

sœur, ma propre sœur. – Racontez-moi. » Dans le petit bureau aux mursgris et au lino moutarde du centresocial de Drancy, en banlieue pari-sienne, Valentina et Mona* discu-tent. La première est une jeune assistante sociale de l’Associationdes Femmes Relais de Bobigny. Sonregard est bienveillant, sa voix cha-leureuse et son accent chantant. Au-jourd’hui, elle est ici en tant qu’écri-vain public. Mona, la soixantaine,est une habitante de Drancy. Depuisdes années, sa sœur, atteinte de pro-blèmes psychiques, la harcèle. « Elle

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© Sarah Nuyten© Sarah Nuyten

Le français dans le monde // n° 376 // juillet-août 2011 15

s

n’a pas vraiment de problème à s’expri-mer, précise Valentina. En revanche, il leur est plus difficile de rédiger un document formel. » Les demandessont diverses : formulaires de santé,demande d’attribution de logementou de régularisation, dossiers de su-

rendettement, mais aussi lettres demotivation et curiculum vitae… Dansce quartier enclavé, jugé difficile, laprésence hebdomadaire d’un écri-vain public est précieuse.

Sortir de la logique d’assistanat« Salut Valentina  ! » L’homme quivient d’entrer dans le bureau s’appelleMichel*, c’est un habitué. Né au SriLanka, il vit en France depuis une dizaine d’années. Et chaque mer-credi, il rend visite à la jeune écrivainpublic. « Toujours pour des questionstrès pratiques, précise Valentina, unsourire aux lèvres. Il a constammentquelque chose à rédiger, pour lui oupour les autres. » La semaine précé-dente, c’était la contestation d’unemajoration d’amende. Aujourd’hui, ilest là pour relancer la Banque deFrance à propos de sa suppression dufichier national des débiteurs*. Enquelques mots, Michel explique la situation à Valentina. « Il sait exacte-ment ce qu’il veut », s’amuse la jeunefemme. Très vite, elle s’installe au cla-vier, sous l’œil attentif – et critique –de Michel. Il lit la lettre au fur et à me-sure qu’elle la rédige. Apporte desprécisions, conteste, pose des ques-tions sur telle ou telle formulation.« Voilà. Ne manque que la formule

L’écrivain public a pour mission de rédigerpour et avec autrui toutes sortes de textesadministratifs, professionnels ou privés.Il existe deux sortes d’écrivains publics : lesrédacteurs classiques et ceux à vocationsociale. La première catégorie correspondà un large éventail de services rédaction-nels : courriers personnels, discours, faire-part, pages web, biographies, récits de vie,textes littéraires, corrections, réécritures,etc. La plupart du temps, ce type d’écrivainpublic est installé à son compte. En re-vanche, lorsqu’il assure une mission à vo-cation sociale, l’écrivain public intervientdans les centres sociaux, les mairies, ausein des associations, des points d’accèsau droit, etc.Acteur social à part entière, l’écrivain publicest un trait d’union entre les individus et lesnécessités administratives ou sociales. Au-jourd’hui, cette profession répond en par-tie à une demande d’aide à l’écriture, no-

Débiteur : par opposition à créditeur,personne qui doit de l’argent.

Rouages : mécanismes,fonctionnement.

Lexique

Très vite, elle s’installe auclavier sous l’œil attentif – et critique – de Michel. Illit la lettre au fur et àmesure qu’elle la rédige.

Scribe des temps modernes

tamment auprès des populations illettréesou maîtrisant mal la langue ou le fonction-nement administratif français.Aucun diplôme n’est exigé pour exercer cemétier. Cela dit, l’écrivain public doit savoirrédiger toutes sortes d’écrits, maîtriser l’or-thographe à la perfection, et connaître lespièges de la grammaire et de la syntaxefrançaises. Il lui faut également être fami-liarisé avec les rouages* administratifs,même s’il ne peut en aucun cas se substi-tuer aux professionnels du droit. ■

L’écrivain public rédige alors une lettre auprocureur de la République pour demander unemesure d’éloignement.

de politesse, alors, on écrit quoi ? »,demande Valentina. Tentative de Michel : « Salutations distinguées. »Raté. « Je vous prie d’accepter, Mon-sieur, l’expression de mes salutationsdistinguées ! » corrige l’écrivain pu-blic. Sourire penaud du jeunehomme : « Ah, oui ! » La semaine sui-vante, Michel viendra avec une lettredéjà rédigée qu’il corrigera avec Valentina. « Nous ne sommes pas dansune logique d’assistanat, explique-t-elle. Le but est de mettre les gens en situation, pour les rendre autonomes,petit à petit. »La permanence devrait déjà être ter-minée depuis quarante-cinq minuteslorsque Valentina quitte le centre so-cial de Drancy, ce mercredi-là. Elles’éloigne du petit bâtiment perduentre les barres d’immeubles et les ter-rains de sport défraîchis. Et c’est avecun enthousiasme intact qu’elle revien-dra, la semaine suivante, pour prêtersa plume à ceux qui en ont besoin. ■* Les prénoms ont été changés.

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’enthousiasme de ses défenseurs etla virulence de ses détracteurs endisent long sur l’impact que l’œuvrede Michel Houellebecq peut avoirsur la littérature française actuelle.

De l’Extension du domaine de la lutte (1994) à LaCarte et le Territoire (2010), en passant par LesParticules élémentaires (1998), Plateforme(2001) et La Possibilité d’une île (2005), cet écri-vain dynamite les valeurs issues des rêves de1968 et du néolibéralisme. On connaît le romancier, on connaît moins lepoète. Pourtant, dès ses premiers recueils, l’uni-vers houellebecquien est en place, comme en témoigne ce poème : la dénonciation du miragedu libéralisme entrepreneurial, la solitude del’homme moderne, la vacuité de la sociétécontemporaine. Une vision pessimiste et iro-nique traduite par une forme faussement clas-sique et faussement maladroite.

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Choisi par Jacky Girardet

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Le Sens

Dans le métro, sur le périf,La machine commence à tournerJe m’arrête, soudain attentif :J’entends la machine exploser

Au ralenti, comme un organe,Comme un ventricule noirci ;Au loin j’aperçois la tour GAN,C’est là que se décide ma vie.

Les cadres montent vers leur calvaireDans les ascenseurs de nickel,Je vois passer les secrétairesQui se remettent du Rimmel.

Sous les maisons, au fond des rues,La machine sociale avanceVers des objectifs inconnus ;Nous n’avons plus aucune chance.

Michel Houellebecq, Le Sens du combat, II, 1996 © Flammarion

© Shutterstock

du combat

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métier // l’actu

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constituer des réponses aux condi-tions d’enseignement qui sont cellesdes professeurs indiens ; enfin, met-tre en perspective l’enseignement dufrançais.C’est en effet toute une dynamiqueautour de cet enseignement que sonten train de créer les services français.Une dynamique qui vise la formationavec la mise en place d’un Bachelorof Education en français, projet pilotépar l’Ignou (Indira Gandhi NationalOpen University), la plus grande uni-versité à distance du monde qui sco-larise trois millions d’étudiants, encoopération avec l’université Sten-dhal à Grenoble ; une licence d’en-seignement très attendue par les enseignants qui jusqu’alors ne pou-vaient se prévaloir d’aucun diplômepour enseigner. Une dynamique quipasse par l’offre de certifications enfrançais et en particulier la promo-tion du Delf Junior qui a bénéficiécette année d’une grande campagned’information. Une dynamique quivise aussi l’excellence avec la mise enplace au lycée de Pondichéry d’unefilière scientifique qui cherche à atti-rer les meilleurs élèves indiens ensciences et à les former en françaisdans ces disciplines avec l’objectif deleur faire intégrer classes prépara-toires et grandes écoles.À voir l’assiduité, la disponibilité desprofesseurs indiens, nul doute qu’ilsadhèrent à ce courant d’air frais qui alargement contribué à réchauffer, sibesoin était, les enthousiasmes. ■J. P.

d’humidité, ther-momètre bloquéà 40°C. Pas de

quoi refroidir l’énergie des 70 profes-seurs réunis à cette occasion. 70 heu-reux élus issus de l’enseignement secondaire et/ou professeurs des Al-liances françaises sur les 6 000 quecompte le sous-continent. Il est vraique pour les institutions françaises,l’enjeu est de taille : un million, c’estle nombre d’apprenants que scolarisele système indien, tous types d’éta-blissements confondus (université,enseignement secondaire public,établissements privés, réseau des Al-liances françaises) ; c’est peu dire quela formation des enseignants consti-tue un véritable défi dont le pro-gramme rendait bien compte despriorités. Assurer en premier lieu leperfectionnement linguistique desenseignants dont le niveau est trèsinégal ; donner des ouvertures mé-thodologiques (créativité, jeu enclasse de langue, phonétique, civili-sation, interculturel) qui puissent

La joie de vivre le françaisAu programme de l’Association péruvienne des professeursde français présidée par Isabel Bernuy : former, partager etsurtout enseigner comme un supplément d’âme.

Comment se porte le françaisdans l’enseignement au Pérou?Nous avons 55 000 étudiants quil’apprennent, 350 établissementsqui le proposent dans 21 villes et750 professeurs qui l’enseignent.Le français est partout ladeuxième langue enseignée. Lescollèges d’élite proposent deuxlangues et les nombreux collègesoù l’on passe le baccalauréat international proposent le fran- çais. Et l’on a aussi des cours defrançais à l’école publique. À l’université, on le retrouve nonseulement dans les cursus acadé- miques, mais aussi dans les dépar-tements univer sitaires de design,de mode et de cuisine ! Les uni-versités proposent des cours delangue dans le cadre d’un dis posi-tif auquel l’Alliance française estassociée et qui forme en françaisde nombreux étudiants. À l’autre bout de la chaîne, nousn’oublions pas le primaire pour

lequel on a mis en place une formation spécifique qui concerneaujourd’hui une vingtaine de pro-fesseurs.

Et l’association dans tout ça ?On y travaille en harmonie, on ytravaille ensemble et chacunprend sa part du travail qui nemanque pas ! Notre préoccupation essentielle,c’est évidemment la formation desprofesseurs. Parce qu’elle est ga-rante de la qualité de l’enseigne- ment tant aujourd’hui que demain.On travaille donc aussi bien sur laformation initiale, ici à l’universitéSan Marco à Lima et aussi à Tru-jillo, que sur la formation conti-nue : nous organisons des stagesd’été à Lima et nous envoyons desprofesseurs en formation enFrance, en hiver au CIEP et en étéau CLA de Besançon. Nous sommeségalement très soucieux d’élever leniveau linguistique des ensei-

trois questions à

Concours

Sur la tribune, un ministre, Luc Chatel (Édu-cation), un président, Xavier Darcos (Insti-tut français), un délégué général, XavierNorth (Langue française et langues deFrance) et l’hôte des lieux, secrétaire per-pétuelle, Hélène Carrère d’Encausse (del’Académie française) ; assis aux bureauxoccupés habituellement par les Académi-ciens lors des séances du dictionnaire, leslauréats du concours « Dis-moi dix mots »,intitulé cette année : « Dis-moi dix mots quinous relient ». La scène se passe ce jeudi19 mai 2011 à l’Institut de France, dans lagrande salle des séances.

Cette remise des prix du concours auxlauréats a été l’occasion pour les hôtesde ces jeunes collégiens et lycéens ac-compagnés de leurs professeurs de sou-ligner à quel point « la solidarité fait sensdans la classe » (Xavier Darcos), rappelerque « c’est la langue qui permet de fairesociété » (Xavier North) et affirmer que « latransmission de la langue reste le premierdevoir de l’école » (Luc Chatel).Des lauréats venus de La Réunion, deMadagascar, du Laos, de Tunisie ou re-présentant aussi des lycées et collègesde Clichy-sous-Bois, Hem, Saint-Jean-

« Dis-moi dix mots qui nous relient » Les heureux gagnants sous la Coupole

95%

Nouvelle dynamique de laformation des professeurs en Inde

Cap au Sud pour ce deuxièmestage de formation organisé

par l’équipe du BCLE del’Ambassade de France en Inde

avec la coopération de l’Alliancefrançaise de Trivandrum, de

Clé International, la présencedu Français dans le mondeet

le soutien des éditeurs locauxGoyal et Langers.

Formation

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gnants en les encourageant à pas-ser les niveaux supérieurs du Delf.L’autre action importante, c’estnotre congrès annuel : il aura lieucette année début octobre à Tru-jillo. C’est vraiment un momentfort ; il rassemble entre 380 et 600 professeurs. Les professeurssont demandeurs de ces momentsoù partager leurs expériences, oùils se sentent rassurer, conforter ense retrou vant en groupe. Le fran-çais pour moi, c’est la joie de vivreet c’est l’un des objectifs de l’asso-ciation : faire en sorte que les pro-fesseurs portent en eux cette joiede vivre le français. Pour toutes ces actions, nous bénéficions bien sûr de l’appui déterminant des services de coopération linguistique et édu ca-tive de l’Ambassade de France.

Quelles raisons donnez-vouspour convaincre les parents, lesétudiants de faire étudier oud’étudier le français ?Nous ne nous situons pas contrel’anglais : nous disons au contraireque l’anglais est nécessaire. Mais le français, c’est la langue du choix.Un choix que l’on peut faire pour des

raisons professionnelles : il y a une industrie touristique au Pérou qui reçoit environ 20 000 francophones,un chiffre en constante augmenta-tion, et qui se doit de proposer desservices (hôtellerie, guide, accueil)en français ; il y a aussi la possibilitéde faire des études en français dansles différents domaines dont nousavons déjà parlés, et dans bien d’autres. Mais aussi la langue d’unchoix que l’on peut faire aussi pourdes raisons plus personnelles. Lesprofesseurs de français n’enseignentpas que la langue, ils enseignent de l’émotion, du partage, de la fraternité. Comme un supplémentd’âme.■

Propos recueillis par Jacques Pécheur

en-Royans, Arnage, Metz ou Chante-loup-les-Vignes, choisis parmi les 196classes et les 8 300 collégiens et ly-céens qui ont illustré, phrasé, mis enimage ou enregistré les dix mots pro-posés à leur imagination, à leur ré-flexion et à leur créativité : complice, fil,

avec, cordée, harmonieusement,agapes, réseauter, chœur, accueillant,main. S’exprimer ici avec les mots dela solidarité, un rappel d’une des va-leurs de la République inscrites au fron-ton des écoles : « Fraternité ». ■

J. P.

Billet du président

Cette fois, ça y est. La plate-forme interactive de la FIPF estenfin ouverte et remplaceprogressivement, à la mêmeadresse www.fipf.org, l’anciensite devenu obsolète.C’est le résultat de près de troisans d’efforts de toute uneéquipe : celle de la FIPF bien sûravec en première ligne notre secrétaire générale, MadeleineRolle-Boumlic, et BenoîtFréchon, qui vient malheureuse-ment de nous quitter pour denouveaux horizonsprofessionnels, mais aussi celled’AF83, l’entreprise à laquellenous avons confié la réalisationtechnique de ce grand projet. Cette plate-forme va très vite devenir un outil de premierordre pour la communauté desprofesseurs de français. Pour laFédération tout d’abord, à quielle va faciliter la gestion, lescontacts internes entre les différentes instances et les relations avec les associations.Pour les associations membres,qui peuvent y héberger gratuite-ment leur site ou en créer uns’ils n’en ont pas encore. Unebande passante met de façonaléatoire successivement à laune chacune des associations,qui prend ainsi une visibilitémondiale. Et chaque quinzaine,sans doute plus souvent àterme, c’est l’une d’entre ellesqui est mise « à l’affiche », et quia ainsi l’occasion de présenterplus largement ses activités etson pays.Mais c’est surtout à chacun d’entre vous que cet outil estdestiné. Vous pouvez venir au« Carrefour pédagogique »partager vos expériences,proposer des forums dediscussion sur les questionspédagogiques qui vousintéressent, utiliser lalogithèque ou naviguer sur la

toile grâce à la sitothèque. C’estlà aussi que vous prendrezconnaissance des résultats desprogrammes de recherchesimpulsés par la FIPF.Vous trouverez à la rubrique« Congrès » tous lesrenseignements utiles à votreparticipation aux congrès nationaux, régionaux oumondiaux de la fédération. Etl’association dont vous êtesmembre peut déjà utiliser un logiciel très complet de gestionde son prochain congrès.La plate-forme fournit aussi unaccès direct aux autres médiasde la FIPF, dont bien entendu Lefrançais dans le monde, et unerubrique spéciale ouvre desliens avec les sites de nos principaux partenaires.Si une grande partie de la plate-forme est ouverte à tous, uneautre est bien entendu réservéeaux adhérents des associationsaffiliées à la FIPF. C’est à chaqueassociation que revient dèsmaintenant de donner à chacunde ses adhérents un « code association » pour qu’il puissebénéficier de toutes les possibili-tés offertes par la plate-forme.Avec cette plate-formeinteractive, la FIPF entre deplain-pied dans le XXIe siècle.Mais pour chacun d’entre nous,c’est une raison de plus et depoids pour adhérer à uneassociation et pour participer defaçon moderne à la vie de notrecommunauté. ■

La plate-forme estouverte !

Jean-Pierre Cuq, président de la FIPF

Les gagnantsdu concours en compagnied’Hélène Carrèred’Encosse,Secrétaireperpétuel del’Académiefrançaise.

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Isabel Bernuy, présidente de l’Associationpéruvienne des professeurs de français.

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