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Le long parcours de la presse en langue basque vers l’âge adulte. Entre tradition, obstacles et avenir incertain

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L'histoire de la presse en langue basque depuis 1887 jusqu'en 2010.

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CHAPITRE 9

LE LONG PARCOURS DE LA PRESSE EN LANGUE BASQUE VERS L’ÂGE ADULTE.

ENTRE TRADITION, OBSTACLES ET AVENIR INCERTAIN

par

Eneko BIDEGAIN

En Pays Basque, en allant chez un marchand de journaux, il fautbien chercher avant de trouver une publication en langue basque.En effet, les titres en cette langue sont noyés entre des dizaines detitres en français ou en espagnol. Il est vrai que ce n’est qu’uneminorité de Basques qui lit la presse bascophone, rendant ce secteurfragile. Mais bien qu’il existe peu de titres en basque, cette languea assuré une pérennité dans la presse et su surmonter plusieurs obs-tacles pendant plus d’un siècle. C’est l’évolution de la presse basco-phone durant ce parcours, et les obstacles qu’elle a connus et qu’elleconnaît encore que nous abordons ici.

Nous divisons ce parcours en trois parties. En premier lieu, nousretraçons les débuts et les premières décennies, c’est-à-dire l’èrecatholique et rurale de la presse basque. Puis, nous abordons sonère moderne, laïque et citadine. Enfin, nous mettons l’accent sur lesdifficultés auxquelles elle doit faire face de nos jours, qu’elles soientpolitiques, économiques ou linguistiques.

Les débuts de la presse bascophone :

catholique et rurale

Eskualduna

L’année 1887 est celle qui a marqué la naissance de la presse enlangue basque. Depuis, cette langue n’a cessé d’être présente dansles médias. C’est pour cela que cette année-là peut être considérée

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comme symbolique dans l’histoire de la presse de cette région del’Europe. En effet, c’est en 1887 que l’hebdomadaire Eskualduna (1)voit le jour à Bayonne et qu’il paraîtra pendant 57 ans. LouisEtcheverry, l’homme politique basque et bonapartiste, avait lancécette publication dans un contexte électoral pour concurrencer LeRéveil Basque, l’hebdomadaire des républicains (2). C’est donc pourdes raisons politiques que la presse en langue basque a vu le jour.

Pourquoi écrire en basque? Il ne faut pas y voir de motivationd’ordre nationaliste, car si Eskualduna était profondément attachéà cette langue, il ne revendiquait pas d’autonomie ou d’indépen-dance du Pays Basque. Au contraire, il affichait un attachement àsa «Grande Patrie», c’est-à-dire, la France (3). Le choix de la langueétait avant tout pragmatique, car le lectorat visé, essentiellementrural, était avant tout bascophone.

L’histoire d’Eskualduna est marquée par le chanoine JeanHiriart-Urruty, son directeur le plus emblématique, jusqu’à sa morten 1915. À travers sa plume, nous constatons qu’il s’agit d’un heb-domadaire de droite, ultra catholique, très lié à l’Église, profondé-ment antirépublicain et très traditionnaliste. L’hebdomadaire estrédigé par des journalistes amateurs, essentiellement des hommesd’Église, que ce soit le chanoine cité exerçant la fonction de direc-teur et d’éditorialiste, ou les curés de villages qui donnent les infor-mations locales. Eskualduna n’adhère pas aux nouveaux cou-rants (4) de journalisme d’influence anglo-saxonne, qui consistent àdonner la priorité à l’information et non à la rhétorique, à faire destitres informatifs résumant le message essentiel de l’article et nondes titres extrêmement courts ne situant que le sujet global del’article. Eskualduna n’abandonne pas l’aspect rhétorique de la réa-lisation des journaux que nous pouvions voir jusqu’à la fin duXIXe siècle. Le style journalistique est assez peu informatif et trèsrhétorique.

(1) Eskualduna veut dire «le Basque», dans le sens de «parlant en basque». (2) Jean Hiriart-Urruty, Ni kazeta-egilea naiz. Artikulu, berri, istorio, [Je suis journaliste.

Articles, informations, histoires], Édition et préface de Xabier Altzibar, Labayru ikastegia, Bil-bao Bizkaia Kutxa Fundazioa, Bilbao, 2004.

(3) Manex Goyhenetche, «Les origines sociales et historiques de l’association EskualzaleenBiltzarra», in Processus sociaux, idéologies et pratiques culturelles dans la société basque, Universitéde Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 1985, pp. 79-87.

(4) Corinne Samindayar-Perrin, Les discours du journal : rhétorique et médias au XIXe siècle(1836-1885), Publication de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 2007.

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Cependant, Eskualduna a une influence non négligeable en PaysBasque Nord (ou le Pays Basque de France), puisqu’il arrive à êtrevendu à plus de 7 000 exemplaires, au début du XXe siècle (5). C’estun journal de quatre grandes pages vendu essentiellement devantl’église, à la sortie de la messe, et le curé du village se chargeantsouvent de faire circuler son unique exemplaire dans des dizaines demaisons.

Zeruko Argia

Les débuts de la presse en langue basque ont été plus tardifs enPays Basque Sud (Pays Basque d’Espagne). La presse nationalisteest écrite essentiellement en espagnol, avec une présence de la lan-gue basque plus ou moins importante et régulière. Le premier heb-domadaire entièrement en basque apparaît en 1919. Il s’agit deZeruko Argia [La Lumière du Ciel], hebdomadaire religieux, fondépar les Capucins de Pampelune (6).

Plus tard, en 1937, un quotidien en basque est créé, sous l’impul-sion du Gouvernement Autonome Basque et du Parti NationalisteBasque. Il s’agit d’Eguna [Le Jour] (7). Pour autant, l’expérience nedure que six mois. Rappelons que l’Espagne se trouvait en pleineguerre civile, suivie de la dictature franquiste jusqu’en 1975. Lequotidien Eguna avait dû arrêter sa publication quand les troupesfascistes s’étaient emparées de la Biscaye, dernière province basqueà résister aux franquistes. Zeruko Argia avait lui aussi disparudurant la guerre de 1936. Il a fallu attendre presque trente ans etplusieurs tentatives pour que l’hebdomadaire soit relancé en 1963 etpublié régulièrement. Quant à Eguna, l’expérience ne sera pasrenouvelée.

Herria

La France, elle, interdit Eskualduna en 1944. Les raisons de sadisparition ne sont pas les mêmes qu’outre Bidassoa. À l’époque de

(5) Bernadette Borda, «Le journal Eskualduna et la guerre de 1914-1918», Mémoire de Maî-trise, sous la direction de Michel Paply, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, 1984.

(6) Javier Diaz Noci, Euskarazko prentsa XX. mendean (1919-1937) : euskal kazetaritzarensorrera eta garapena [La presse en langue basque au XXe siècle (1919-1937) : la naissance et ledéveloppement du journalisme basque], thèse, Euskal Herriko Unibertsitatea, Bilbao 1992.

(7) Xabier Altzibar, «Etxagerrateak sorturiko “Egun”, lehen euskal egunkaria» [Eguna, lepremier journal bascophone] in Oihenart. Cuadernos de Lengua y Literatura. Gerra eta literatura1914-1944, Eusko Ikaskuntza, Saint-Sébastien, 1997, pp. 47-56.

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la guerre de 1936, Eskualduna avait appuyé les franquistes; durantl’occupation allemande, il était pétainiste. L’hebdomadaire basquea fait les frais de ce dernier choix politique. Mais le Pays BasqueNord n’est pas resté longtemps sans presse basque. Quelques moisaprès l’interdiction d’Eskualduna, des prêtres relancent une autrepublication. C’est une tendance plus progressiste représentée parPiarres Laffitte – et non les partisans de la ligne politique d’Eskual-duna – qui réussit à créer un nouvel hebdomadaire, dénommé Her-ria (8). Cependant, même s’ils ne s’étaient pas lancés dans la créa-tion d’un autre titre, beaucoup d’écrivains d’Eskualdunacontinuèrent à écrire dans Herria.

66 ans plus tard, Herria existe toujours. Longtemps seul hebdo-madaire en basque, il est devenu une référence du monde culturelbasque. Depuis plusieurs années, il n’est plus seul. Et son côté ama-teur et traditionnel doit faire face à la concurrence de nouveauxjournaux ou supports en langue basque, professionnels et modernes,publiés en Pays Basque Sud, notamment Argia et EuskaldunonEgunkaria. Mais le statut de doyen de la presse basque et sonancrage toujours solide dans le monde rural lui valent le respect dela part de ses confrères, de l’ensemble du monde basque, et une fidé-lité de la part de ses lecteurs.

La modernisation et la laïcisation

Les radios libres en langue basque

Le monde de la presse et des médias basques connaît une renais-sance dans les années 1980. La langue basque investit de nouveauxsupports, notamment la radio. Malgré une présence timide dans lesradios et les chaînes de télévision locales ou régionales lors desdécennies précédentes, c’est à partir de 1981 que des radios exclu-sivement en langue basque émettent tous les jours.

En Pays Basque Nord, le monde culturel basque participe à lacréation de radios associatives en basque. Le premier à être sur lesondes est Gure Irratia [Notre Radio] en 1981; viennent ensuiteIrulegiko Irratia [la Radio d’Irouleguy] et Xiberoko Botza [la Voixde la Soule], en 1982. Lors des premières années, ces radios ont pu

(8) Herria a deux sens en basque : d’abord «espace», puis «pays» et «village».

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fonctionner grâce aux dons financiers des auditeurs, par des vire-ments automatiques ou par des campagnes d’animation organiséespar des centaines de bénévoles.

La réalisation des émissions était assurée par une poignée de jour-nalistes professionnels et un grand nombre d’animateurs bénévoles.Avec des conditions matérielles médiocres, mais une grande volontédes professionnels et une participation importante des bénévoles,ces radios ont réussi à avoir des milliers d’auditeurs. Maintenant, etdepuis plusieurs années, elles ont des subventions importantes etemploient une trentaine de salariés au total.

Quasi un siècle après la naissance d’Eskualduna, la langue basquea fait son entrée à la radio. Mais cette fois-ci, l’Église catholiquen’est plus derrière la création de ces médias. La société basque estbeaucoup plus laïque qu’au début du XXe siècle, période où les ten-sions entre l’Église et l’État étaient extrêmement vives.

Radio et télévision publiques basques

En Pays Basque Sud, quelques années après la fin de la dictaturede Franco, l’obtention du statut d’autonomie dans le territoire com-prenant les provinces de Guipúzcoa, Biscaye et Alava, permet lacréation, en 1982, d’une radio publique bascophone, Euskadi Irratia[la Radio Euskadi], et d’une télévision publique en langue basque,Euskal Telebista [la Télévision Basque] (9). Plusieurs autres radiosbascophones voient aussi le jour en Pays Basque Sud.

Les médias basques deviennent professionnels, modernes et dequalité, bien que celle-ci varie selon les moyens techniques et finan-ciers. Mais la radio et la télévision publique ont des financementsqui leur permettent des produits journalistiques en langue basquede qualité sans précédent.

Euskaldunon Egunkaria

Dans les années 1980, les médias basques sont en plein dévelop-pement. Zeruko Argia, disparu en 1936 et refondé en 1963, changede nom et devient Argia [la Lumière], sans la référence Zeruko [duciel]. Il s’agit bien plus que d’un changement de titre. Sa rédaction

(9) Jose Mari Otermin, Jose Ramon Diez Unzueta, EITB, 1982-2007 Hegaldi-kronika(EITB, 1982-2007, Chronique d’un vol), EITB, Saint-Sébastien, 2006.

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veut marquer qu’elle a fait de cet hebdomadaire, religieux audépart, une publication laïque. Un peu plus tard, ses rédacteursseront à l’origine d’une réflexion pour créer un quotidien en basque.En effet, alors que les Basques ont des radios et une chaîne de télé-vision en basque, c’est le média le plus ancien et traditionnel quileur manque. Un grand mouvement culturel est lancé vers le milieudes années 1980. En 1990, 53 ans après la disparition d’Eguna, Eus-kaldunon Egunkaria [Le Quotidien des Basques] est en kiosque.

C’est un titre réalisé et diffusé dans tout le Pays Basque. Il est leseul quotidien en langue basque et, de ce fait, il veut être le quotidiende tous les bascophones. Il se définit comme indépendant et non liéà un parti politique. Jusqu’alors, la majorité des titres basquesavaient une appartenance politique et les journaux proches des partisindépendantistes (Egin et Deia) étaient rédigés, paradoxalement, enespagnol (ou en français, concernant les hebdomadaires Enbata etEkaitza, en Pays Basque Nord) (10), avec une présence assez limitéedu basque (11). Euskaldunon Egunkaria était issu du monde culturelpour qui la langue basque était le pilier central.

C’est un journal modeste, à l’origine : 32 pages de format tabloïd,alors qu’en Espagne et en Pays Basque Sud la plupart des quoti-diens ont plus de 80 pages. Mais il s’est développé d’année en année.Par son aspect moderne, progressiste et de fort ancrage culturel, ilest devenu une référence dans le monde culturel basque. Les insti-tutions publiques, notamment le gouvernement autonome basque,pendant un temps, ne lui accordaient pas de subventions. En 1994,quatre ans après sa création, Euskaldunon Egunkaria obtient lespremières subventions du gouvernement basque. En plein essor, sonnombre de page croît sans cesse, jusqu’à arriver à 80-96 pages; lejournal a de plus en plus de lecteurs (65 000 lecteurs en 2002) (12)et obtient une certaine reconnaissance.

(10) Aitor Zuberogoitia, Euskararen presentzia gaur egungo prentsa elebidun abertzalean :Egin, Deia, Enbata, Ekaitza, Gara et Le Journal du Pays Basque kazeten ikerketa eta euskara hut-sezko komunikazio-esparru autozentratua trinkotzeko proposamena [Présence de la langue basquedans la presse nationaliste bilingue contemporaine : analyse des journaux Egin, Deia, Enbata,Ekaitza, Gara et Le Journal du Pays Basque et proposition de renforcement d’un domaine auto-centré de communication unilingue basque], thèse, Universidad del País Vasco, Servicio Edito-rial, Bilbao, 2003.

(11) La présence de la langue basque varie entre 5 et 20%. Voir Aitor Zuberogoitia ou Jean-Claude Poitelon, Bibliographie des publications périodiques du Pays Basque parues en Francede 1944 à 2004, Lapurdum XII, Centre IKER, Bayonne, 2008.

(12) Ces chiffres sont issus des sondages annuels menés en Espagne par El Centro de Investi-gación de Economía y Sociedad (CIES) sur les lecteurs de quotidiens.

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Obstacles politiques et économiques

L’interdiction du journal Egunkaria

Mais tout n’est pas rose pour la presse en basque. Elle a dû faireface à plusieurs obstacles, dont celui provoqué par le contexte poli-tique. Alors qu’Euskaldunon Egunkaria était en plein essor, le20 février 2003, un juge espagnol ordonne l’interpellation des diri-geants du quotidien et son interdiction (13). Il faut remonter à laguerre civile d’Espagne et au franquisme pour voir des journauxbasques disparaître ainsi. Cinq ans auparavant, le quotidien Egin,proche de la gauche indépendantiste, avait déjà été interdit. À cetteépoque, c’était la droite qui était au pouvoir avec Jose MariaAznar. Plusieurs instructions avaient été lancées contre des associa-tions basques, pour des liens supposés avec l’ETA. C’est ce que lejuge Juan Del Olmo reprochait aussi à Egunkaria. Les dirigeants dujournal subirent une garde-à-vue de cinq jours. Ils dénoncèrentavoir été torturés. Certains furent incarcérés, dont un durant un anet demi. La publication fut interdite, et plus de 200 salariés seretrouvèrent au chômage.

Le jour même de l’interdiction, les salariés créèrent un journal de16 pages Egunero (14), et ainsi, la langue basque a continué à êtreprésente. Deux jours après cette opération policière, des dizaines etdes dizaines de milliers de personnes manifestèrent pour dénoncer lafermeture du quotidien et l’interpellation de ses dirigeants. Quatremois plus tard, les anciens salariés d’Egunkaria fondèrent un nou-veau journal, dénommé Berria [La Nouvelle], grâce à la participa-tion financière de milliers de personnes et de plusieurs entreprises etinstitutions publiques.

Sept ans plus tard, entre décembre 2009 et février 2010, l’affaireEgunkaria a été jugée à Madrid. Les membres d’Egunkaria niaienttoute relation avec l’ETA. Le tribunal a relaxé tous les prévenus,en affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de liens entre Egunkariaet l’ETA, et que la Constitution espagnole ne permettait pas la fer-meture préventive d’un quotidien, qu’on ne pouvait pas se per-

(13) Lorea Agirre, Gezurra ari du [Il pleut des mensonges], Alberdania, Saint-Sébastien,2004.

(14) Egunero = tous les jours.

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mettre d’amalgamer toute la mouvance politique et culturellebasque avec l’ETA (15).

Malgré cette victoire, Egunkaria n’existe plus. Le seul quotidienen langue basque a été victime des aléas politiques du Pays Basque.Aujourd’hui, on ne trouve qu’un quotidien basque généraliste dif-fusé dans l’ensemble du Pays Basque, auquel s’ajoutent de petitsquotidiens locaux – nommés Hitza [Le Mot, La Parole] – diffusésdans les zones les plus bascophones du Guipúzcoa et de Biscaye.Enfin, l’offre d’hebdomadaires, de mensuels ou autre publicationsen langue basque est plus vaste.

Face à une double crise

Depuis quelques années, la plus grande menace est économique.La presse basque doit faire face à une double crise, même si ce n’estpas une spécificité basque. La conjoncture économique difficile pro-voque une chute de la facturation de publicité dans les médias, ycompris les journaux bascophones. Les abonnés, qui voient leurpouvoir d’achat diminuer par des gels de salaire ou le chômage par-tiel ou non, ont tendance à se désabonner.

À cette crise vient s’ajouter une autre, beaucoup plus profonde :celle de la presse. Les journaux basques ne peuvent pas échapper àla réflexion globale sur leur avenir en rapport avec l’Internet. Àl’heure de l’explosion des moyens de communication et de la vitessede circulation des informations, la presse doit faire face à un difficileenjeu d’adaptation. Cela ne veut pas dire que les médias basques,et notamment les journaux bascophones, sont à la marge des nou-velles techniques de communication. Les principales publicationsbasques ont leur site sur la Toile. Ceux-ci n’offrent pas seulementl’édition en ligne du contenu du papier. Ils sont renouvelés au furet à mesure de l’évolution de l’actualité et ont su intégrer des outilscomme Facebook ou Twitter pour permettre le suivi instantané decertains événements. Ils offrent aussi des vidéos ou émettent parvidéo des événements en direct.

(15) Lire la sentence sur le lien suivant : http ://egunkaria.info/wp-content/uploads/2010/04/egunkaria-ren-itxiera-auziko-epaia-2010-04-12.pdf.

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Problèmes linguistiques et avenir du basque

La presse bascophone doit faire face à une difficulté particulière,liée à la situation linguistique du Pays Basque. La langue basque yest minoritaire et la plupart des bascophones ne sont pas alphabé-tisés en basque. Ils lisent soit en français, soit en espagnol. De plus,les journaux bascophones sont dans un basque unifié et standardisé,et les lecteurs non scolarisés en basque ont du mal à s’adapter à cebasque écrit.

Les journaux bascophones ont donc des difficultés à obtenir unlectorat parmi les personnes âgées. De plus, ces lecteurs, habitués àlire en français ou en espagnol, restent fidèles à leur quotidien detoujours (Sud Ouest en Pays Basque Nord et Diario Vasco ou El

Correo Español en Pays Basque Sud). Il faut signaler l’exception deHerria, en Pays Basque Nord, dont les lecteurs se trouvent essen-tiellement parmi les personnes âgées. Cela pose le problème de lapérennité de cet hebdomadaire dont le lectorat risque de s’amenui-ser considérablement au fur et à mesure que les abonnés meurent,alors que les jeunes ne s’y abonnent pas.

Au contraire, pour le quotidien bascophone Berria, la difficultéd’atteindre la population la plus âgée se conjugue avec unemoyenne d’âge des lecteurs située entre 35 et 45 ans. C’est une géné-ration scolarisée en basque, alphabétisée et habituée au basque uni-fié. En Pays Basque Sud, ces lecteurs sont nombreux, alors qu’enPays Basque Nord les bilingues sont très minoritaires. Globalement,la presse bascophone peut avoir un avenir, grâce au potentiel qu’ellea en Pays Basque Sud.

Cependant, la normalisation semble être assez lointaine. L’utilisa-tion du basque unifié et standardisé est encore récente. Et l’habi-tude de lire les journaux en basque n’est pas très répandue. Leurlectorat limité fragilise les journaux et ne leur permet pas d’avoirles mêmes moyens que ceux rédigés dans une langue majoritaire.Cette situation peut entraîner une offre moins complète aux yeuxdes lecteurs, ce qui peut être un handicap supplémentaire dans leurdéveloppement pour les publications bascophones.

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Réalités régionales

et nouvelles technologies

La presse bascophone s’est transformée durant un siècle. Aprèsles débuts d’une presse catholique, rurale et traditionnaliste à la findu XIXe siècle, la presse bascophone est devenue professionnelle,laïque et urbaine, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe. Deplus, le monde des médias basques s’est développé considérablementces dernières années. Le paysage audiovisuel ne se limite plus à laradio et la télévision publique basques. Plusieurs radios et chaînesde télévision locales ont vu le jour d’une part et, d’autre part, ilexiste des dizaines de mensuels, d’hebdomadaires ou de trimestrielslocaux ou cantonaux en Pays Basque Sud.

Mais la plus grande évolution a été de s’adapter aux nouvellestechnologies. Au-delà des sites des journaux, radios et chaînes detélévision, il existe des sites d’information en langue basque, sanssupport papier ou radiophonique, par exemple, zuzeu.com oukazeta.info.

Cependant l ’avenir reste in certain pour les supports«traditionnels». La presse bascophone doit faire face à plusieursenjeux. Premièrement, elle doit trouver des solutions économiquesà sa fragilité et aux conséquences de la crise économique mondiale.Deuxièmement, elle doit bien gérer la période de transition où lasociété basque commence à peine à apprendre à lire en basque et às’habituer au basque standardisé. Enfin, elle doit s’adapter auxnouvelles habitudes de s’informer des gens. Comment peuvent coha-biter la presse et l’Internet? Comment être complémentaires? Quedoivent offrir les quotidiens? Ce sont des questions auxquelles lesacteurs du monde de la presse basque doivent répondre, et trouverde bonnes réponses pour ne pas risquer de sombrer dans un schémadu passé.