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Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

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Somatisations

Y Sarfati

L a médecine sait depuis Hippocrate (et en dépit de la parenthèse positiviste) que la psychè intervient dans toutemaladie, et que les soins prodigués à un patient, quel qu’il soit, se doivent d’impliquer de pair le corps et

l’esprit. Pourtant, il existe certaines plaintes ou pathologies somatiques qui imposent de mettre l’accent sur la prise encharge psychologique, voire psychiatrique. Méconnaître la part importante jouée par un trouble psychique danscertains troubles d’allure organique, c’est prendre le risque de chroniciser la plainte ou de s’égarer dans de nombreuxexamens complémentaires longs, coûteux et inutiles.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Le terme de « somatisation » possède différentesacceptations, du sens le plus large au sens le plusrestrictif. Les classifications internationales les plusrécentes (DSM IV américain et dixième classificationinternationale des maladies de l’OMS) ont cherché àlimiter la signification de ce terme en lui assignantdes critères de définition précis. Dans le sensrestrictif, la somatisation est considérée comme unepathologie fonctionnelle, polymorphe et chronique,dénuée de valeur psychique symbolique. Le senslarge est, au contraire, celui utilisé dans l’intitulé de cechapitre ; la somatisation doit alors être considéréecomme toute plainte somatique pouvant être « miseen relation » avec une origine psychologique. Leterme « mise en relation » sous-entend que la plaintesomatique soit indirectement induite oupartiellement causée par des facteurs psychiques,avec toute la prudence qu’un tel déterminismeétiopathogénique suppose.

Plusieurs études ont montré que la « tendance à lasomatisation » serait le principal facteur deméconnaissance des troubles psychiatriques par lesmédecins omnipraticiens. Les troubles avecsomatisation ne seraient reconnus commepsychiatriques que dans 50 % des cas, contre prèsde 100 % lorsque le patient se présente direc-tement avec une plainte psychologique. De plus,l’association avec une maladie organiqueaugmenterait encore la méconnaissance de la partpsychologique des somatisations, dont lacomposante psychiatrique n’est alors évoquée quedans un tiers des cas. La fréquence de cette« morbidité psychiatrique cachée » impose de garderà l’esprit les différents cas de figure où la plaintesomatique n’est que la traduction d’une souffrancepsychique.

Nous envisagerons dans ce chapitre les différentsaspects diagnostiques des somatisations et les

stratégies à adopter face à des demandes quipeuvent masquer la nécessité d’une prise en chargepsychiatrique.

■Principales étiologies

psychiatriques des somatisations

‚ Somatisations sans substratumorganique

Sont regroupées sous cet intitulé toutes lesplaintes somatiques où, traditionnellement, lestroubles organiques et/ou biologiques sont absents.Il n’est cependant pas totalement exclu de retrouverdans ces pathologies, exceptionnellement, de réelsdérèglements somatiques. C’est par exemple le caspour l’hypocondrie (classiquement sans lésionorganique) qui peut exister alors qu’un authentiqueproblème somatique se pose (hypocondries cummateria). Il est important de toujours garder cettepossibilité à l’esprit avant d’aborder uneclassification, par définition réductrice, dessomatisations avec ou sans substratum organique.

Trouble conversif

¶ ÉpidémiologieC’est un trouble extrêmement fréquent : son

incidence est estimée à 22 pour 100 000 enpopulation générale ; sa prévalence peut atteindre25 à 30 % chez des patients hospitalisés en hôpitalgénéral. Paradoxalement en apparence, safréquence dans une population consultant enpsychiatrie est beaucoup plus faible. Une telledifférence s’explique par le fait que les patientssouffrant de troubles conversifs (manifestationsexclusivement somatiques) ne vont qu’exceptionnel-lement chez le psychiatre. C’est chez lesneurologues, les oto-rhino-laryngologistes, lesophtalmologistes, et bien sûr chez les généralistes,que les patients souffrant de conversions consultentle plus souvent.

Les données épidémiologiques suggèrent que lediagnostic de conversion est souvent porté à l’excès,

et incitent à la prudence. Une étude prospectivebritannique a montré que plus de 50 % des patientsayant eu un diagnostic de conversion ontdéveloppé, dans les 11 ans qui suivirent, unemaladie organique en rapport avec le troubleinitialement reconnu comme conversif. Une étudeaméricaine a chiffré à plus de 20 % les troublesconversifs exigeant une révision diagnostique vers letrouble neurologique avéré.

¶ DéfinitionLe trouble conversif se définit comme un

dysfonctionnement physique dont l’expression necoïncide avec aucun territoire anatomique oumécanisme physiologique connu, et qui nes’accompagne d’aucune atteinte organiqueobjectivable. Il a été traditionnellement décritcomme « une mise en scène au niveau du corps d’unconflit psychique inconscient » ; à ce titre, le troubleconversif se localise sur des organes ayant une fortereprésentation symbolique. Le symptôme estprésumé traduire des conflits affectifs sous-jacents.Ces conflits, tout comme le mécanisme deconversion, sont inconscients, et le trouble conversifne peut en aucun cas être considéré comme unesimulation.

¶ Arguments diagnostiquesLa première condition, nécessaire mais non

suffisante pour évoquer un trouble conversif, estl ’ impossibil ité de retrouver un processusphysiopathologique connu pour expliquer unealtération physique, en dépit d’investigationsappropriées. La deuxième condition impose de

Une erreur grave serait d’étiqueter« conversion » tout trouble somatiqueinexpliqué. Le diagnostic deconversion n’est plausible qu’avec uncontexte en faveur, et si l’anamnèseretrouve des premiers antécédentsconversifs avant 30 ans.

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réunir un faisceau d’arguments reconnus commeappartenant à la sémiologie de la conversion. Parmices arguments, certains sont classiques, voirehistoriques, mais subjectifs et empiriquementdifficiles à mettre en évidence, c’est le cas de la « belleindifférence », du bénéfice secondaire, de lasymbolisation et des troubles de la sexualité.D’autres, plus objectifs, ont été repris par lesclassifications internationales et figurent dans letableau I.

Chacun de ces arguments pris séparément estcontributif, mais non pathognomonique ; seulel’existence de plusieurs d’entre eux plaide en faveurdu diagnostic de conversion, dont il ne faudra pasoublier qu’il est un diagnostic d’exclusion souventporté à l’excès.

Poser le diagnostic de conversion peut exigerplusieurs heures d’interrogatoire et d’examen. Cedélai important est souvent rendu nécessaire parl’intrication de plusieurs facteurs : l’atypicité de lasymptomatologie, les imprécisions anamnéstiqueset biographiques, la distorsion subjective de lasymptomatologie (minimisation ou exagération). Letableau II fait figurer les troubles conversifs les plusfréquemment rencontrés de nos jours, cette

sémiologie évoluant avec l’Histoire, et les techniquesd’exploration. Le tableau III propose, en regard detroubles neurologiques, quelques arguments del’examen clinique devant faire évoquer le troubleconversif. Le tableau IV résume les principauxdiagnostics différentiels à évoquer devant un troubleconversif neurologique présumé.

Pathologie de somatisation

¶ ÉpidémiologiePlusieurs études basées sur d’importants

échantillons estiment la prévalence de la pathologiede somatisation à environ 1 pour 1 000 enpopulation générale. Ce chiffre est multiplié par 50

Tableau I. – Arguments diagnostiques en fa-veur du trouble conversif.

Le symptôme est le plus souvent d’allure pseudo-neurologique

Les organes de la vie relationnelle sont plus volon-tiers touchés (organes des sens, membres, organessexuels)

Il existe un retentissement sur la vie sociale, affec-tive et/ou professionnelle

Il peut exister une indifférence du patient par rap-port à son symptôme (« belle indifférence »)

La « belle indifférence » n’exclut pas une anxiétédu patient en lien avec son handicap

Le trouble est le plus souvent transitoire : quelquesheures à quelques jours dans 75 à 90 % des cas(mais il peut se chroniciser dans 10 à 25 % descas)

La suggestibilité du patient est grande et peut suf-fire à modifier le symptôme

Il existe des antécédents d’autres manifestations dumême type (une conversion est suivie dans 25 %des cas par une autre conversion dans les 6 ans)

Les premiers symptômes conversifs apparaissentavant 30 ans. L’évocation d’un premier troubleconversif chez le sujet âgé est exclue

Il peut exister, mais pas toujours, des traits de per-sonnalité pathologique

La personnalité pathologique la plus fréquente estla personnalité hystérique (15 à 50 % des cas)

Une erreur grave serait de faire unlien trop rapide ou une interprétationsauvage entre un événement de vie etun symptôme.

Tableau II. – Troubles conversifs les plus fréquents.

Troubles moteurs Mouvements involontairesBlépharospasmeTorticolisChutesParalysiesAphonieAstasie-abasie

Toubles sensoriels Anesthésie des extrémités ou du milieu des membresCécitéVision « en tunnel »Surdité

Troubles viscéraux VomissementsDiarrhéeRétention urinaire

Tableau III. – Arguments en faveur du diagnostic de troubles conversifs devant un signeneurologique.

Trouble neurologique Exploration clinique Résultats de l’exploration clinique

Vision « en tunnel » Champs visuels Modification du champ visuel d’unexamen à l’autre

Anesthésie Cartographie des dermatomes Le trouble sensoriel ne correspondà aucune distribution topographi-que connue

Hémianesthésie Sensibilité superficielle et pro-fonde du milieu du corps

L’anesthésie se localise rigoureu-sement sur un hémicorps

Astasie-abasie Faire marcher et danser Capacité à marcher, mais pas àdanser (ou l’inverse)Anomalies modifiables par la sug-gestion

Paralysie du membre supérieur Faire chuter le membre sur le vi-sage

Le membre chute à côté du visage,non sur lui

Aphonie Faire tousser Toux normale (les cordes vocalesne sont pas paralysées)

Tableau IV. – Diagnostics différentiels à évoquer devant un trouble neurologique présuméconversif.

Troubles neurologiques Sclérose en plaquesTumeur cérébraleMyasthénieSyndrome de Guillain-BarréMyopathiesManifestations neurologiques du sidaHématome sous-duralNévrite optiqueParalysie périodiqueMaladie de Parkinson débutante

Troubles psychiatriques Épisode dépressifSyndrome de stress posttraumatiquePersonnalité hystériqueCatatonieAutres somatisations

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(5 %) si l’on se réfère à la population consultant enmédecine de ville. Cette variation s’expliquelogiquement par une concentration des patientsprésentant ce type de trouble dans les cabinetsmédicaux, puisque l’expression somatiqueplurisympomatique incite les patients à consulterpresque exclusivement les médecins généralistes ouinternistes. Les pathologies de somatisationreprésentent 2,2 % des admissions à l’hôpitalgénéral.

¶ DéfinitionLa somatisation, au sens strict désormais adopté

par la communauté psychiatrique internationale, sedéfinit comme des plaintes somatiques multiples,chroniques et/ou récurrentes, requérant une prise encharge médicale, mais sans pathologie organiquesous-jacente mise en évidence. Les symptômes nedoivent pas être explicables par un trouble médical,et les conséquences des plaintes somatiques doiventparaître excessives au regard du handicapobjectivement mis en évidence par l’examenclinique et les explorations complémentaires. Lapathologie de somatisation a pu être définie commeun syndrome plurisymptomatique de conversion(qui serait alors un syndrome monosymptomatique).

¶ Arguments diagnostiquesLes points communs entre somatisation et

pathologie conversive sont historiques, nombreux ettouchent à tous les domaines : l’âge de début (avant30 ans), le terrain (personnalité pathologiquevolontiers hystérique, mais également psychopa-thique), le sex-ratio (un homme pour quatre à cinqfemmes), les modalités évolutives (rémissionsspontanées, fluctuations et récidives), le handicap(social, affectif, professionnel), et les facteurspsychologiques associés.

Aujourd’hui, les critères requis pour poser lediagnostic de pathologie de somatisation sontcodifiés et impliquent la coexistence d’au moinsquatre plaintes somatiques différentes, ainsi que lemontre le tableau V. Il est important de préciser queles symptômes recensés dans ce tableau n’ont pasbesoin d’être considérés comme légitimes par leclinicien pour entrer en ligne de compte dans lediagnostic : le seul fait d’être rapportés par le patientsuffit. En revanche, on considère qu’au moins un dessymptômes doit avoir débuté avant 30 ans.

Un argument diagnostique de poids est le vécusubjectif du sujet : les patients souffrant desomatisations ont tendance à se considérereux-mêmes comme sévèrement malades, plus quene le font les patients souffrant de pathologiessomatiques graves et/ou chroniques. Par contraste,les études montrent que la mortalité des patientssouffrant de somatisation est identique à celle de lapopulation générale.

Les patients présentant une pathologie desomatisation sont classiquement grandsconsommateurs de soins, d’abord en raison de lamultiplicité des investigations et des traitementsrequis par le caractère plurisymptomatique dusyndrome, ensuite parce qu’il existe chez cespatients une tendance à se montrer réfractaires auxconseils modérateurs de leur thérapeute, enfin parceque le parcours biographique marqué par les

ruptures (séparations, divorces, instabilitéprofessionnelle, mais également changements demédecins) est un des traits de personnalitéfréquemment rencontrés.

Hypocondrie

¶ ÉpidémiologieLa prévalence du trouble hypocondriaque a été

estimée, sur 6 mois, à 4 à 6 % de la populationconsultant un médecin, généralistes et spécialistesconfondus. La distribution du trouble est comparableentre hommes et femmes, et ne répond à aucunecaractéristique sociodémographique. L’âged’apparition du trouble est également extrêmementvariable.

¶ DéfinitionL’hypocondrie se définit comme la préoccupation

et la croyance de souffrir d’une maladie grave. Laconviction est forte mais n’a pas, néanmoins,l’intensité d’une croyance délirante : le patient estsensible, même transitoirement, à la réassuranceque lui apporte son médecin. Cette conviction d’êtremalade repose sur la perception de sensationsphysiques réelles, mais qui sont interprétées, à tort,comme des signes de dysfonctionnementorganique. Tout comme dans la conversion et la

somatisation, l’examen médical clinique etparaclinique ne retrouve aucune anomaliesomatique. On considère traditionnellement (sansqu’aucune étude contrôlée vienne confirmer ceschiffres) que 50 % des hypocondriaques ont uneévolution péjorative chronique, tandis que 50 %peuvent espérer une rémission de leur trouble.

¶ Arguments diagnostiquesL’hypocondrie est un trouble évoluant de façon

chronique continue (sur plusieurs années) ouintermittente (rechutes de quelques mois avecintervalles libres). On retrouve fréquemment undébut soudain que le patient peut décrire et dater.Un niveau socio-économique élevé, l’absence detroubles de la personnalité et de trouble organiquesont classiques, de même qu’une faible aptitude àl’introspection. Le retentissement social, affectif etfamilial est variable.

Le principal diagnost ic différent iel del’hypocondrie est le trouble conversif. Le tableau VIrésume schématiquement les points opposant cesdeux entités qui diffèrent autant par leurscaractéristiques symptomatiques propres que par lestraits de personnalités sous-jacents et l’attitude face àla maladie et au médecin.

Tableau V. – Plaintes somatiques évoquant une pathologie de somatisation.

Type de trouble invoqué Exemples

Au moins quatre signes douloureux CéphaléesDouleurs dorsalesDouleurs articulairesDouleurs prémenstruellesDouleurs urinaires...

Au moins deux symptômes gastro-intestinaux NauséesDiarrhéeVomissementsIntolérances alimentaires...

Au moins un symptôme appartenant à la sphère gé-nitale

Manque de désirTrouble de l’excitationTrouble de l’orgasmeMénorragie...

Au moins un symptôme pseudoneurologique Troubles neurologiques de type conversif (tableau II)

Tableau VI. – Diagnostic différentiel de la névrose hystérique et de la névrose hypocondriaque.

Névrose hystérique Névrose hypocondriaque

Attire l’attention Organes invisiblesSe montre Se cache

Théâtral Non théâtral

Corps mis en jeu Corps « disséqué »

Méconnaissance de la représentation anatomique Bonnes connaissances anatomiques et médicales

Pas de langage médical Langage médical

Symbolisme des symptômes Absence de symbolisme

Inattention pour le symptôme « belle indifférence » Attention concentrée sur les troubles

Relation au médecin personnalisée Recherche d’un thérapeute de qualité

Demande volontiers érotisée Demande revandiquante et agressive

Mobilité de la symptomatologie Fixité de la symptomatologie

Invalidité inconstante, temporaire, intermittente Invalidité fréquente et durable

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Ce dernier point mérite quelques précisions. Iln’est pas rare de retrouver chez le patienthypocondriaque une animosité envers deux typesde praticiens : d’une part le psychiatre, qu’il se refuseen général à consulter, d’autre part le premiermédecin rencontré au début de la maladie, qui peutêtre diversement accusé d’être incapable (n’avoir« pas su agir à temps »), voire responsable. L’attitudehypocondriaque peut alors confiner au délire derevendication, avec démarches procédurières etdemandes de réparation ; c’est le cas dans lasinistrose délirante, délire de type paranoïaque.

Dépression masquée

¶ ÉpidémiologieMême si les données épidémiologiques sont

imprécises, la dépression masquée peut êtreconsidérée comme une forme rare de dépression, dediagnostic difficile.

¶ DéfinitionLa dépression masquée est une dépression

atypique, où les signes classiques de dépression sontau second plan, voire absents, et masqués par unesymptomatologie somatique prédominante.

¶ Arguments diagnostiquesIl s’agit le plus souvent de douleurs atypiques,

fixes et persistantes. Elles ont généralement faitl’objet de nombreuses explorations fonctionnellesqui se sont toutes révélées négatives. Ces douleurspeuvent être accompagnées éventuellement designes traditionnels de dépression, mais leur absencecomplète n’élimine pas le diagnostic, tout en lerendant plus difficile. Quand ils sont présents, cessignes dépressifs sont minimes, incomplets, oupeuvent être niés par le patient refusant d’admettrele caractère psychogène d’une douleur bienphysique. Un interrogatoire précis doit pouvoirmettre en évidence des arguments indirects enfaveur d’un trouble thymique : antécédentspersonnels et familiaux de troubles de l’humeur plustypiques, caractère cyclique en fonction des saisons(récurrence au printemps, à l’automne) et dunycthémère (fluctuations au cours de la journée).

Les atteintes dont se plaint le patient concernentvolontiers les sphères digestive et cardiorespiratoire.Sont également classiques les algies localisées,rebelles, telles que lombalgies, dorsalgies,glossodynies et acouphènes. Parfois, une asthénierésume le tableau.

Un des meilleurs arguments diagnostiques restele test thérapeutique : les plaintes somatiquesaccompagnant une dépression masquée restentrebelles aux antalgiques classiques et disparaissentaprès l’instauration d’un traitement antidépresseur.

Simulation

Dans la simulation, le patient contrôle ou mimevolontairement un symptôme, avec l’idée d’obtenirun avantage matériel que l’on doit pouvoir mettre àjour. Le symptôme est utilisé pour parvenir à unobjectif que l’interrogatoire soigneux doit chercher àrepérer : arrêt de travail, suspencion de poursuitesjudiciaires, réforme vis-à-vis de l’armée, etc. Il n’existepas de lésion organique, mais le patient « fait commesi » il était souffrant, tout en étant conscient de

mentir. Il peut éventuellement reconnaître sasupercherie. La simulation se reconnaît grâce à laconnaissance du contexte (obtenir un bénéfice directet concret) plutôt qu’à la connaissance de lapsychologie du malade.

Trouble de l’image corporelle

Il s’agit d’un trouble au cours duquel le sujet seplaint d’une altération qualitative de son corps oud’un sentiment de malaise ou de dégoût queprocurent certains aspects de celui-ci. Traditionnel-lement, ces plaintes surviennent en dépit d’uneapparence physique normale, et si un défautphysique existe, le malaise qu’il procure au sujet estdisproportionné. Il est rare que ce trouble soit isolé,et il doit être alors replacé dans un cadrepsychiatrique plus large.

■ Le début de schizophrénie, où le sentiment detransformation corporelle prend l’allure depréoccupations angoissantes. La dysmorphophobieschizophrénique se manifeste traditionnellement parl’impression subjective d’une modification du visage,du nez ou de l’éclat du regard ; la plainte a souventun caractère bizarre. Il s’agit d’un signe classiquemais rare qui ne suffit jamais isolément à faire lediagnostic. Il ne doit pas être confondu avec lasimple anxiété de maturation morphologique desadolescents, beaucoup plus anodine et fréquente.

■ Les états névrotiques (hystérie, évitementphobique, trouble obsessionnel compulsif), où letrouble de l’image corporelle est lié à uneinsatisfaction subjective pathologique à proposd’une partie du corps. La demande de chirurgieesthétique est fréquente dans ce cas, avec lacroyance quasi magique que la correctionchirurgicale de ce qui est ressenti comme un défautva modifier la vie du sujet (amour, chance, travail).On a pu estimer que 2 % de la clientèle deschirurgiens plasticiens présentaient un trouble del’image corporelle.

■ L’anorexie mentale, où le trouble de l’imagecorporelle se traduit par le sentiment « d’être tropgros » et justifie les troubles des conduitesalimentaires.

■ Le syndrome dépressif peut s’accompagner decritiques à propos de son propre aspect physique, àreplacer dans un contexte d’autoaccusations et desentiments d’indignité.

■ Les sujets présentant une personnalité borderline peuvent entretenir des rapports ambigus àl’égard de leur aspect physique, pouvant aller jusqu’àdes maltraitances auto-infligées (brûlures decigarettes, scarifications...).

Expression somatique de l’angoisse

L’anxiété, surtout dans ses manifestations aiguës(attaques de panique), peut s’accompagner demanifestations neurovégétatives (dyspnée, troublesdu transit, tachycardie, manifestations musculaires,etc). C’est la classique « crise de spasmophilie ». Cesmanifestations peuvent être au premier plan etsuffisamment inquiéter le sujet pour l’amener àconsulter (souvent dans le cas d’un premier épisode,de la répétition des crises, ou après un accèsparoxystique particulièrement intense). Il n’existe pasde lésion organique expliquant ces symptômes,

mais des circonstances déclenchantes. La difficultédiagnostique vient du fait que ces facteursdéclenchants peuvent être parfois minimes, n’avoiraucune spécificité, ou rester inapparents. Le terrainanxieux, les antécédents, les manifestationsassociées d’angoisse et la réponse aux traitementspeuvent alors aider au diagnostic.

‚ Somatisationsavec substratum organique

Trouble psychosomatique

¶ DéfinitionOn parle de maladie « psychosomatique » lorsqu’il

existe des altérations organiques ou biologiquesobjectivables cliniquement ou par les examenscomplémentaires, ces altérations tirant une partie deleurs origines du psychisme. C’est le cas, parexemple, de l’ulcère gastrique.

Néanmoins, on peut admettre commepsychosomatiques des manifestations fonctionnellesne reposant sur aucune lésion organique oubiologique sous-jacente, mais ayant, elles aussi, undéterminisme psychologique important. C’est le cas,par exemple, de certains troubles du transit.

Une fois qu’il est installé, le trouble physiqueévolue pour son propre compte, indépendammentdes facteurs psychologiques qui ont été à sonorigine.

¶ Reconnaître les pathologies psychosomatiquesIl est important de pouvoir reconnaître les

pathologies psychosomatiques afin d’améliorer leurprise en charge. En effet, il a été prouvé quel’appréhension globale d’une maladie psychosoma-tique, prenant en compte la composante psychique,permettait de mieux comprendre la maladie. Cetteappréhension globale permet d’optimiser l’efficacitédes traitements symptomatiques, d’améliorer lepronostic et de réduire les rechutes. Cette prise encharge globale se doit d’être la plus précoce possible,car la pathologie somatique devient de plus en plusindépendante des facteurs psychiques avec le tempset son évolution propre.

Plusieurs maladies sont classiquement reconnuescomme psychosomatiques. Elles figurent dans letableau VII. Ce tableau est bien entenduschématique et ne doit pas réduire l’enquête à la

Tableau VII. – Maladies considérées comme« psychosomatiques ».

Hypertension artérielle

Coronaropathie, infarctus du myocarde

Asthme bronchique

Pathologies cancéreuses

Ulcère gastroduodénal

Constipation chronique

Allergies

Affections dermatologiques

Rectocolite hémorragique

Processus auto-immuns

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recherche de facteurs de vulnérabilité psychosoma-tique aux seules maladies qui y figurent.

Il est important également de ne pas oublier derechercher une pathologie psychiatrique avérée(comme une dépression) qui peut être associée àune pathologie psychosomatique.

¶ Repérer les facteurs de vulnérabilitéà une pathologie psychosomatiqueRepérer les pathologies psychosomatiques n’est

pas tout. Il est important de rechercher les facteurspsychologiques dits « de vulnérabilité ». Ces facteursprédisposent au développement d’une maladiepsychosomatique. De nombreuses recherches onttenté de les définir au mieux. Certains de ces facteursde vulnérabilité sont maintenant bien reconnus,d’autres régulièrement remis en cause.

Parmi ces facteurs de vulnérabilité, il existecertains profils de personnalité qui prédisposent (ouau contraire, protègent) au développement depathologies psychosomatiques. Les profils les moinsdiscutables figurent dans le tableau VIII.

Les autres facteurs de vulnérabilité classiques sontdes événements de vie, regroupés dans le tableauIX. Il est très important de noter que des événementsde vie mineurs de la vie quotidienne pouvantparaître anodins sont surtout incriminés. Souvent enraison de leur chronicité, ils ont des effets plustoxiques que les événements de vie majeurs etdramatiques. Les événements mineurs font le lit dela maladie, tandis que les événements majeursjouent plus volontiers un rôle de facteurdéclenchant.

Pour mettre en évidence ces facteurs devulnérabilité ou de risque, l’interrogatoire, tempsd’évaluation clinique privilégié, est capital. Il existe

également, aujourd’hui, des échelles et desquestionnaires qui permettent de cerner au mieuxles profils de personnalité et les événements de vie,afin de pouvoir repérer et ainsi avoir une actionthérapeutique sur le plus grand nombre de cesfacteurs. L ’ut i l isat ion de ces échel les etquestionnaires n’est pas de pratique courante ; ilssont surtout utilisés par les thérapeutes spécialisésdans la prise en charge des « pat ientspsychosomatiques ».

Néanmoins, les modes de fonctionnement décritsplus haut sont loin d’être toujours retrouvés chez lespatients psychosomatiques.

Pathomimie

¶ ÉpidémiologieUn chiffre est difficile à avancer, compte tenu de la

relative rareté de ce trouble et du caractèreinsaisissable des sujets présentant une pathomimie(une fois « découverts », ils changent de médecin, decircuit de soins). Néanmoins, on a pu estimer que10 % des fièvres inexpliquées de l’adulte étaient àmettre sur le compte d’une pathomimie.

¶ DéfinitionLa pathomimie est également appelée « maladie

factice ». Le sujet se provoque des lésions physiquesou organiques par divers moyens, qui peuvent êtreéventuellement violents, tout en dissimulant aucorps médical les gestes à l’origine de ces lésions.Ces gestes sont faits volontairement, mais les

motivations échappent presque totalement à laconscience du sujet. Ce qui est recherché, c’est « lerôle de malade » et la satisfaction régressive queprocure la prise en charge médicale, éventuellementhospitalière.

¶ Arguments diagnostiquesIl existe une certaine passion, chez le pathomime,

à être malade. On a pu assimiler la pathomimie à unplaisir masochiste, entièrement tourné vers lasoumission aux examens complémentaires, auxinvestigations, voire aux interventions chirurgicales.L’activité du sujet peut n’être consacrée qu’à cetteseule passion.

La fascination exercée par la médecine expliqueque les pathomimes soient souvent très rompus aufonctionnement médical, soit qu’ils aient opté pourune profession apparentée à la médecine, soit qu’ilsaient acquis leur culture médicale à force defréquenter les hôpitaux et les médecins.

On retrouve classiquement : une absence demotif apparent (contrairement à la simulation), desmensonges pathologiques portant sur lesantécédents médicochirurgicaux, les circonstancesde leur prise en charge, plusieurs hospitalisations,parfois conclues par des sorties contre avis médical.Le refus de reconnaître la pathologie commepsychiatrique est total de la part de ces patients.

Le tableau X résume les pathomimies les plusclassiquement rencontrées.

Tableau VIII. – Profils de personnalité prédisposant aux pathologies psychosomatiques.

Profils de vulnérabilité et/ou de résistance Principales caractéristiques Risque accru

Alexithymie Diffıculté à identifier ses émotions Pathologies somatiques diverses par rapport à ungroupe contrôle « névrosé »Diffıculté à parler de son vécu affectif

Profil de type A Sentiment de l’urgence du temps CoronaropathieCompétitivité et surenchère dans les performances(notamment professionnelles)

Infarctus du myocarde

Intolérance à la frustration

Profil de type C Soumission Pathologie cancéreuseEsprit de conciliation poussé « à l’extrême », répres-sion de l’agressivité

Pathologie dysimmunitaire

Recherche de l’estime d’autrui

Tempérament à risques Prises de toxiques Tolérance au stressPratiques de sports dangereuxPrise de risques en conduite automobileIndépendance, non conformisme

Tableau IX. – Les événements de vie facteursde risque des pathologies psychosomatiques.

Le stress de manière générale, association entreune demande forte et une marge décisionnelle limi-tée

Les changements en général (déracinement cultu-rel, déménagement, modification des habitudessocioprofessionnelles)

L’éclatement du réseau relationnel

Tableau X. – Arguments diagnostiques des pathomimies les plus fréquentes.

Pathomimie Arguments diagnostiques

Anémie par saignements (Lasthénie de Ferjol) Anémie ferripriveNombreux prélèvements sanguinsCréations de lésions hémorragiques

Fièvre inexpliquée Manipulation d’un (ou plusieurs) thermomètresAuto-inoculation de substances pyrogènes

Pathomimies cutanées Brûlures par le feu ou par produits caustiquesCréation d’abscès superficiels

Troubles métaboliques inexpliqués Hypoglycémies par injection d’insulineHyperthyroïdies par prise d’hormones thyroïdiennes

Urgences abdominales aiguës, hémorragiques oupseudo-neurologiques (syndrome de Münchhausen)

Nombreuses interventions chirurgicales antérieures(cicatrices de laparotomies, trous de trépan)

Somatisations - 7-0120

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Manifestations somatiquesdes dérèglements de l’humeur

Il existe dans la dépression, tout comme dans lamanie, un retentissement somatique variable, maisclassique (à ne pas confondre, donc, avec les plaintessomatiques atypiques des dépressions masquées).Cette composante somatique est importante àrechercher puisque le retentissement somatique faitpartie des troubles « objectifs » que le praticien peutévaluer et chiffrer au cours de l’évolution de lamaladie.

■ Dans la dépression, il s’agit classiquementd’une insomnie avec hyporexie et amaigrissement.Tous les stades peuvent se rencontrer : la perte depoids peut être insensible ou atteindre 20kilogrammes. Les manifestations inverses sont aussiretrouvées : hypersomnie et prise de poids. Laconstipation est également fréquente, de même quel’impuissance.

■ Dans la manie, c’est l’insomnie qui prévaut.L’existence d’une déshydratation par diminution desapports hydriques et par hyperactivité n’est pas rare.Elle peut être suffisamment sévère pour entraînerune fièvre, voire, dans des cas rarissimes, la mort.

■Points clés de la démarche

diagnostique

‚ Distinguer les somatisationsavec ou sans lésions organiques

Ainsi que la présentation de ce chapitre l’asuggéré, il faut distinguer deux formes desomatisations :

– les somatisations sans lésion organiqueretrouvée, ni cliniquement, ni par les examenscomplémentaires, et où la responsabilité psychiquede la plainte ne peut être envisagée que commediagnostic d’élimination. C’est particulièrement le caspour les plus fréquemment rencontrées enmédecine de ville : la conversion hystérique, lapathologie de somatisation au sens étroit etl’hypocondrie ;

– les somatisations avec lésion organiqueobjective, mais où les difficultés psychiques jouentun rôle important dans la survenue et lapérennisation du trouble. C’est surtout le cas despathologies psychosomatiques.

‚ Savoir mettre des limitesau bilan somatique, particulièrementaux examens complémentaires

Dans tous les cas, il sera bien évidemmentimportant de réaliser un bilan somatique le pluscomplet possible en fonction du contexte, et encherchant à trouver un substrat anatomique à laplainte du malade. Dans cette logique, deux écueilssont à éviter.

■ Multiplier à outrance les bilans et examenscomplémentaires et les consultations de spécialistesdevant une plainte somatique, en cherchant « à toutprix » à découvrir une anomalie objective alors qu’ilserait raisonnable de conclure qu’elle est du registrepsychiatrique.

■ Négliger les plaintes somatiques de patientsconnus pour être « psychiatriques », ne pas donnerfoi à leurs demandes et éviter de plus amplesinvestigations sous couvert d’antécédents detroubles mentaux.

Il est moins grave de s’exposer au renforcementd’un symptôme psychiatrique que de passer à côtéd’une maladie organique.

‚ Redonner toute sa valeurà l’interrogatoire

Dans toute suspicion de somatisation,l’interrogatoire précis du patient joue un rôleconsidérable et doit faire gagner du temps en évitantla multiplication des examens complémentaires. Ildoit pouvoir permettre de déterminer :

– l’existence d’antécédents du même type ;– l’existence d’antécédents, de traitement ou de

prise en charge psychiatriques ;– l’existence d’événements de vie concomitants

jouant le rôle de facteurs déclenchants ouprécipitants ;

– le statut du malade par rapport à son trouble etses principaux traits de caractère.

Une des principales difficultés rencontrées résidedans le fait que le patient peut ne pas collaboreravec son médecin, soit en oubliant (inconsciem-ment), soit en refusant (consciemment) de luicommuniquer certains éléments diagnostiquesimportants. De plus, la description subjective de laplainte peut faire l’objet d’une distorsion qui ladénature ou la rend atypique (minimisation oumajoration des troubles ressentis). L’interrogatoire del ’entourage et l ’évaluat ion indirecte duretentissement du trouble somatique allégué(handicap social, retentissement professionnel oufamilial) peuvent être alors des indices précieux de lanature, de l’ampleur et de l’évolution de lasomatisation.

‚ Prendre en compte les facteurs culturels

Il est indispensable de tenir compte du contexteculturel pour éviter d’évoquer par excès (ou aucontraire, par défaut) une somatisation. Les migrants,notamment les sujets maghrébins, ont tendance àtraduire à travers leur corps les difficultéspsychologiques qu’ils peuvent rencontrer. Chez cessujets, l’expression de la dépression est atypiqueselon nos critères occidentaux, et essentiellementphysique.

Les études internationales ont pu montrer quecette tendance à exprimer l’anxiété ou la dépressionsous la forme d’une souffrance physique seretrouvait avec constance chez certains peuples oudans certaines cultures : Nord-Africains, déjà cités,Latino-Américains, peuples d’Afrique noire et duSud-Est asiatique.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Somatisations. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0120, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

[1] Besançon C, Lacour C. Pathologies psychosomatiques. In : Senon JL, SechterD, Richard D eds. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Hermann, 1995 : 685-691

[2] Dantzer R. L’illusion psychosomatique. Paris : Odile Jacob, 1990

[3] Ford CV. The somatizing disorders. Illness as a way of life. New York :Elsevier Biomedical, 1983

[4] Jeammet P, Reynaud M, Consoli S. Psychologie médicale. Paris : Masson,1996

La discordance entre la plaintesomatique et les simples donnéesphysiques objectives doit faire évoquerune somatisation, sans pour autantjeter le discrédit sur la souffrance dumalade.

Dès qu’une suspicion de somatisationest évoquée, l’interrogatoire devient ladonnée essentielle au diagnostic. Il estsouvent difficile en raison du floubiographique, des omissions et desréticences à évoquer lessymptomatologies passées.

7-0120 - Somatisations

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Page 8: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Syndrome anxieux

C Passerieux

L ’anxiété est un symptôme présenté par un patient sur cinq en consultation de médecine générale. C’est direl’importance de sa reconnaissance et de sa prise en charge. Non spécifique, l’anxiété pathologique peut se

rencontrer dans nombre de tableaux psychopathologiques et organiques. Reconnaître un syndrome anxieux imposedonc, après l’avoir distingué d’une anxiété normale, d’en rechercher l’origine dont découlent les modalités de priseen charge. Une situation particulière est celle de la crise d’angoisse qui impose par elle-même une réponse immédiateet spécifique© Elsevier, Paris.

■Crise d’angoisse aiguë :

une urgence thérapeutique

‚ Comment reconnaîtreune crise d’angoisse aiguë ?

Le plus souvent d’identification facile, la crised’angoisse peut prendre des formes plustrompeuses : soit par des symptômes d’allure

organique (à type de précordialgies, de difficultésrespiratoires, de nausées) qui peuvent conduire àdes examens secondaires excessifs, soit par dessymptômes psychosensoriels (impression deperte des limites corporelles ou de dédou-blement, distorsion des perceptions) pouvantconduire à une conclusion erronée desymptômes psychotiques.

‚ Quelle est la conduite à tenir ?

Une crise d’angoisse aiguë peut survenir danspratiquement tous les troubles psychiatriques et denombreux troubles organiques. Une prise en chargeadaptée ne pourra se faire qu’en connaissance dutrouble dans lequel elle s’inscrit. Cependant, assurerune sédation rapide de l’angoisse est nécessairetant pour soulager le patient et éviter un éventuelpassage à l’acte que pour pouvoir poursuivre lebilan nécessaire à l’enquête étiologique.

Rassurer le patient passe d’abord parl’établissement d’une relation sécurisante : dès ledébut de son intervention, le praticien s’efforcerad’établir un dialogue, de dédramatiser la situation.Procéder à un examen somatique soigneuxpermettra d’éliminer une éventuelle causeorganique, de rassurer le patient sur son intégritéphysique (dont il doute souvent lorsqu’il s’agit d’unecrise d’angoisse avec symptômes somatiques) et denouer une relation de confiance. Plus le contact estdifficile à établir, plus il sera important de parler etd’expliquer au patient les différents actes accomplis.

Au-delà de cette réassurance à laquelle nombrede patients sont sensibles, il sera le plus souventnécessaire d’avoir recours à un traitementmédicamenteux.

Deux familles de médicaments peuvent êtreutilisées : les benzodiazépines ou les neuroleptiquessédatifs. Dans le cas d’une crise d’angoisse simple,on choisira une benzodiazépine (par exemple,Lexomilt : 1/2 comprimé ou Serestat 10 mg). Leproduit sera en règle plus rapidement résorbé etdonc actif s’il administré per os. Le Lysanxiat peutêtre administré en per lingual ce qui assure unerésorption très rapide. Cependant, on pourra préférerune administration en intramusculaire pour sonaction placebo ou lorsqu’une administration per osest impossible. Dans le cas d’une crise d’angoisseintense ou s’accompagnant d’agitation oud’agressivité, on préférera un neuroleptique sédatif :par exemple Clopixolt ou Terciant. La voied’administration (per os ou intramusculaire) sera

Signes cliniques de la crise d’angoisse aiguë

Les symptômes somatiques sont souvent au premier plan.✔ Sont constamment retrouvés :– symptômes cardiovasculaires : tachycardie, palpitations, sensations de chaud etfroid, modifications vasomotrices, douleurs précordiales, sensations d’oppression etde gène thoracique ;– symptômes respiratoires : sensation de gêne respiratoire, d’étouffement, de manqued’air, parfois striction pharyngée, polypnée ou hyperpnée.✔ De nombreux autres symptômes peuvent être présents :– transpiration excessive, tremblements, secousses musculaires, sensationsd’étourdissement, de vertige (sans caractère rotatoire), d’instabilité, parfois malaiseavec perte de connaissance incomplète.Plus rarement :– symptômes digestifs : nausées, gêne ou douleur abdominale, diarrhée ;– symptômes urinaires : pollakyurie, besoins impérieux, paresthésies : sensations defourmillement, de picotements...✔ S’y associent des manifestations subjectives d’angoisse :– sensation de mort imminente, de maladie grave, sensation de perte de conscience,peur de devenir fou, peur de perdre le contrôle, de faire n’importe quoi (d’êtrecapable de se livrer à un acte répréhensible, dangereux ou incongru).✔ Et parfois des manifestations psychosensorielles :– sensations de dépersonnalisation : de perte ou de modification des limitescorporelles, de dédoublement ;– sensations de déréalisation : impression de perte, du caractère familier du mondeextérieur, sensation de jamais vu, de perte de contact avec la réalité ;– distorsion des perceptions : modification de l’intensité des sons ou des images,vision floue, distorsion des formes.

Au niveau comportemental, le sujet est le plus souvent inhibé, voire sidéré et chercheà se rassurer dans un lieu familier ou auprès de personnes sécurisantes. Uneagitation est rare.

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fonction du degré de coopération du patient.L’administration d’un neuroleptique sédatif imposeune vigilance particulière par rapport aux effetssecondaires neurologiques (risque de dyskinésiesaiguës) et cardiovasculaires (risque d’hypotensionorthostatique).

‚ Quels sont les examens secondairesà pratiquer ?

Aucun examen secondaire ne doit êtresystématique.

D’éventuelles investigations complémentairesseront pratiquées en fonction de l’interrogatoire etde l’examen physique. En pratique, la fréquence desmanifestations cardiovasculaires amène à faire unélectrocardiogramme (ECG). Devant des signesd’orientation, on pourra être amené à demanderune recherche de toxique, un bilan thyroïdien, unbilan biologique à la recherche de signesd’imprégnation alcoolique, une glycémie chez undiabétique traité, etc.

‚ Quand faut-il hospitaliser ?

La poursuite des soins peut nécessiter unehospitalisation : c’est le cas lorsque les soinsimmédiats n’ont pas permis de résoudre la crised’angoisse ou lorsque cette crise survient dans lecadre d’un trouble psychiatrique sévère : étatdépressif sévère, état délirant. L’expression d’idéessuicidaires pourra également inciter à avoir recours àl’hospitalisation. D’une façon plus générale, unehospitalisation brève peut permettre de faire unbilan dans un climat plus serein afin de mieux cernerle diagnostic dans certains cas difficiles ou douteux.Une orientation en milieu spécialisé pour la suite dessoins pourra être envisagée si nécessaire au-delà decette période d’observation.

Le plus souvent, la prise en charge immédiatepermet d’obtenir une sédation de la crise etl’hospitalisation ne semble pas nécessaire. Il faudraalors s’assurer que le cadre thérapeutiquepermettant la prise en charge du trouble dans lequels’inscrit cette crise soit bien établi. On rejoint alors lecas plus général de la prise en charge d’unsyndrome anxieux que nous allons à présentenvisager.

■Comment reconnaître

un syndrome anxieux ?

‚ Principales caractéristiques

Un syndrome anxieux se caractérise par :– un vécu subjectif : sensation de tension

intérieure, sentiments de peur ou de dangerimminent sans danger réel, soucis excessifs ouinjustifiés, sensations de dépersonnalisation ;

– et une composante somatique dont lesmanifestations sont très diverses (cf tableau I) ;

– l’anxiété et ses manifestations sont souventd’intensité fluctuante au cours de la journée,pouvant aller jusqu’au paroxysme de la crised’angoisse aiguë.

‚ Comment distinguer une angoissepathologique de l’anxiété normale ?

En effet, l’anxiété est un sentiment banal qui nenécessite pas toujours, et loin s’en faut, une prise encharge. On a proposé plusieurs critères dedistinction.

■ L’angoisse pathologique est une peur sansobjet. Ce n’est pas toujours le cas : d’une part, uneangoisse pathologique peut survenir en réaction àdes facteurs de stress identifiables et disparaîtrelorsque ces facteurs de stress ne sont plus présents.C’est alors plutôt l’intensité et la durée de la réponseanxieuse face à ces événements stressants qui enmarquent le caractère pathologique. D’autre part, letrac est une réponse anxieuse banale et ne justifiantle plus souvent aucun traitement ; pourtant lessituations engendrant le trac ne comportent aucundanger réel.

■ L’angoisse pathologique est caractérisée parson intensité excessive. Là encore, ce critère est loind’être constamment vérifié : certaines situations dedanger réel peuvent entraîner un vécu émotionneltrès intense. D’autre part, il existe des angoissespathologiques sans bouleversement émotionnelmais qui ont un retentissement important sur lefonctionnement de l’individu.

■ L’angoisse pathologique entraîne uneinhibition. C’est sans doute le meilleur critère.L’angoisse pathologique bloque les capacités deréponse, d’initiative, d’adaptation du sujet.Widlöcher propose de la caractériser par cetaphorisme : « Ne rien pouvoir faire, mais ne pouvoirfaire que ce rien ».

‚ Comment distinguer un syndromeanxieux d’un syndrome dépressif ?

En effet, l’anxieux est souvent triste, l’inhibitionanxieuse peut facilement être confondue avec leralentissement dépressif. De plus, une complicationdépressive est très fréquente dans les troublesanxieux et nombre de dépressions comportent dessymptômes anxieux. Il s’agit sans doute de l’un desdiagnostics différentiels les plus difficiles enpsychiatrie, essentiel cependant pour la mise enœuvre d’une prise en charge adaptée.

Une série de questions simples peut aider leclinicien à dégager le syndrome dépressif au coursd’une simple consultation :

– prenez-vous encore plaisir à certaines choses ?– avez-vous du mal à prendre des décisions ?– vous intéressez-vous encore à quelque chose ?– faites-vous moins de choses que d’habitude ?– avez-vous tendance à vous perdre en

ruminations moroses ?– vous sentez-vous fatigué, sans ressort ?– dormez-vous mal ?– avez-vous des problèmes de mémoire et de

concentration ?– vous est-il arrivé d’avoir envie de mourir ?Cette dernière question portant sur l’idéation

suicidaire doit être posée au moindre doute : desidées de suicide sont fréquentes aussi bien chez lesujet anxieux que déprimé et les évoquer n’est pasincitatif au passage à l’acte bien au contraire. Le faitde parler de ses idées de suicide peut constituer unsoulagement pour le patient, lui permettant d’éviterde passer à l’acte. Dans des cas plus sévères,l’exploration de cette question peut aider à prendreles mesures de protection et de soins qui s’imposent.

D’autre part, les plaintes somatiques des dépriméset des sujets anxieux auraient une certaine valeurdiscriminante (tableau I).

En pratique, devant un patient anxieux, onexplorera les différents champs (affect, estime de soi,comportement, symptômes somatiques, variationau cours de la journée) à la recherche d’un éventuelsyndrome dépressif (tableau II). La notion d’unemodification du fonctionnement habituel du sujet,d’une rupture par rapport à son état antérieur estessentielle.

■Prise en charge

d’un syndrome anxieux

Elle dépend du trouble psychiatrique dans lequelil s’inscrit.

‚ Syndrome anxieux d’origine organique

Avant d’envisager les différentes causespsychiques d’un syndrome anxieux, il conviendrad’éliminer une cause organique par un examensomatique : rechercher par l’interrogatoire des prisesde toxiques (surtout chez l’adolescent et le jeuneadulte) et une interruption brutale d’un traitementpsychotrope (benzodiazépines surtout) minimisé ou

Tableau I. – Symptômes somatiques les plus fréquents dans l’anxiété et dans la dépression.

Dépression Anxiété

Troubles du sommeil : réveil précoce, réveil en mi-lieu de nuit, diffıcultés d’endormissement, sommeil

non réparateur, hypersomnie

Dérèglements neurovégétatifs : précordialgies, pal-pitations, dyspnée, troubles de la miction

Diminution de l’appétit, amaigrissement, prise depoids, constipation

Sensations vertigineuses, lipothymies, fourmille-ments des membres

Maux de tête ou tête lourde, douleurssomatiques diffuses

Tensions et douleurs musculaires, modification desréflexes ostéotendineux, intolérance aux bruits

Fatigue générale, diminution générale de l’effı-cience, troubles mnésiques allégués ou objectifs,

diffıcultés de concentration

Irrégularité ou arrêt des règles

Hyperkinésie, signes confusionnels, akinésie, amimie Troubles digestifs : gastralgies, douleurs abdomina-les, sécheresse de la bouche, goût amer

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méconnu par le praticien jusqu’alors. Un sevrage entoxiques (alcool, produits illicites) devra égalementêtre évoqué.

L’examen somatique permettra d’éliminer lesprincipales causes organiques de syndromesanxieux : troubles endocriniens (dysthyroïdie surtout)pour les troubles chroniques, troubles cardio-vasculaires, épilepsie, hypoglycémie pour les crisesd’angoisse aiguë.

En dehors de l’existence de signes d’orientation àl’interrogatoire ou lors de l’examen physique, aucunexamen complémentaire particulier ne se justifiedevant un syndrome anxieux.

‚ Anxiété symptomatiqued’un état dépressif

Le premier diagnostic psychiatrique à évoquerdevant la survenue d’un syndrome anxieux est celuid’un trouble dépressif : extrêmement fréquent, tropsouvent méconnu, sa reconnaissance est d’autantplus essentielle que le pronostic d’un état dépressiftient pour beaucoup à la rapidité de sa prise encharge et que ses risques évolutifs sontpotentiellement sévères (risque suicidaire enparticulier). L’apparition d’une anxiété après 40 anschez un sujet indemne jusque-là orientera fortementvers un diagnostic de dépression.

Un diagnostic de trouble dépressif imposera lamise en route d’une prise en charge adaptée. Lerecours à une consultation spécialisée soit pour lamise en route du traitement médicamenteux (etéventuellement psychothérapique), soit pour déciderdu cadre initial de la prise en charge (nécessité ou

non d’une hospitalisation) se justifie au moindredoute. L’hospitalisation sera nécessaire en cas derisque suicidaire important (et l’existence d’uneanxiété est un facteur favorisant le passage à l’acte),en cas de dépression grave avec risque de mauvaiseobservance du traitement ou lorsque l’environ-nement est défaillant (manque de soutien familial).

Le diagnostic différentiel entre syndrome anxieuxet syndrome dépressif, nous l’avons vu, est difficile.En cas de doute persistant, l’attitude préconiséeconsiste généralement à privilégier les élémentsdépressifs du tableau clinique et à prescrire unantidépresseur. Il y a en effet moins de risques àdonner un antidépresseur à un anxieux qu’à ne pastraiter rapidement une dépression réelle. Si on optenéanmoins pour un traitement tranquillisant, lepatient devra être revu à 8 jours pour vérifier sonamélioration et pouvoir introduire un antidépresseursi nécessaire.

En ce qui concerne le traitement médicamenteux,on pourra opter, devant un tableau de dépressionavec une forte composante anxieuse, soit pour unantidépresseur sédatif (par exemple : amitriptyline,Laroxylt, miansérine, Athymil t, fluvoxamine,Floxyfralt) soit pour une association d’unantidépresseur (par exemple un tricyclique typeclomipramine, Anafranilt, ou un inhibiteur de larecapture de la sérotonine type fluoxétine, Prozactou paroxétine, Déroxatt) que l’on associera à untraitement tranquillisant. Cette deuxième solutionpermet une plus grande souplesse d’emploi : letraitement tranquillisant est supprimé dès quepossible alors que le traitement antidépresseur peut

être maintenu à doses efficaces sans effetssecondaires sédatifs qui pourraient s’avérer gênantsau-delà des premières semaines de traitement.

‚ Anxiété symptomatiqued’un trouble anxieux

il s’agit d’un syndrome anxieux « pur ».

Dans le cas où la symptomatologie résume etorganise le tableau clinique, il s’agit d’un troubleanxieux. Selon le type de syndrome anxieux, troistypes de troubles anxieux sont distingués donnantlieu à des prises en charge distinctes.

Trouble panique

La symptomatologie s’organise autour de lasurvenue inopinée de crises d’angoisse aiguë ouattaques de panique : il s’agit d’un trouble panique.

C’est le plus souvent à l’occasion d’une crised’angoisse ou à son décours que le patient vaconsulter, convaincu d’être atteint d’un troublesomatique auquel il impute les manifestationsphysiques intenses qu’il a ressenti. Après uninterrogatoire soigneux qui recensera lessymptômes décrits par le patient et qui rechercherales manifestations subjectives de la crise d’angoisse(cf encadré), un examen somatique éliminera unecause organique. L’examen cardiovasculaire seraparticulièrement attentif et on recherchera unehypertension artérielle (HTA) compte tenu de sonrisque accru dans le trouble panique.

La chronologie du développement dessymptômes permettra de confirmer le diagnostic :les troubles ont débuté par une attaque de paniqueinaugurale, inopinée et brutale et dont le patient sesouvient en général très bien même si elle date deplusieurs années. Cette crise est survenue en dehorsd’une situation particulière et sans facteurdéclenchant, même si des événements de viedifficiles sont éventuellement survenus dans lessemaines ou les mois précédents. Puis de nouvellescrises se sont produites et plus ou moins rapidement,parfois d’emblée, s’est installée une peur de lasurvenue de ces crises ou anxiété anticipatrice. Leterrain est évocateur d’un trouble anxieux : il s’agitd’un adulte jeune, le plus souvent une femme. Lediagnostic de trouble panique peut être posé.

On recherchera alors la survenue d’éventuellescomplications : en premier lieu une complicationdépressive, particulièrement fréquente puisqu’elleconcernerait un à deux tiers des patients, uneagoraphobie, c’est-à-dire l’évitement de certainessituations dans la crainte de la survenue denouvelles crises, et un abus d’alcool ou detranquillisants.

¶ Quelle est la stratégie thérapeutique devant untrouble panique ?L’existence d’une prise en charge spécifique pour

le trouble panique a justifié son isolement au seindes troubles anxieux : elle repose sur la prescriptiond’un traitement médicamenteux préventif de lasurvenue des attaques de panique. Lesantidépresseurs ont fait la preuve de leur efficacitédans cette indication.

Le traitement est en général initié en ambulatoire.Du fait d’une hypervigilance anxieuse à toute

Tableau II. – Principaux éléments du diagnostic différentiel entre anxiété et dépression.

Symptômes Anxieux Dépressifs

La tristesse

L’avenir est craint et vu en noir, lesujet peut être réconforté et les affects

dépressifs sont labiles

Il n’y a plus d’avenir, sentiment de« voie sans issue », le pessimisme et

les idées dépressives sontpermanentes

L’humeur

La tristesse et les ruminations dé-pressives sont liées au niveau d’an-xiété. L’anxieux est hyperréactif à

l’environnement

Plus qu’une tristesse, le déprimé peutexprimer une anesthésie affective :« plus rien ne me touche vraiment »

Le désintérêt La capacité à trouver du plaisirpersiste

La perte d’intérêt et de plaisir estglobale

Le sommeil Insomnie d’endormissement, sensibleaux hypnotiques

Insomnie de milieu et de fin de nuit,résistante aux hypnotiques

L’inhibition L’énergie est conservée maisentravée

Absence d’énergie ou d’élan

L’estime de soiL’extérieur est rendu responsable des

diffıcultésSentiment de dévalorisation, de cul-

pabilité, à l’extrême, le sujet s’accusede fautes qu’il n’a pas commises

Le rythme nycthéméral Les troubles fluctuent sans régularitéou prédominent le soir

Les troubles prédominent le matin ets’améliorent en fin de journée

L’appétit Souvent conservé, avec des nauséesou un seuil de satiété abaissé

Souvent absent

Le suicide

Une tentative de suicide peut êtreenvisagée ou réalisée pour fuir lesdiffıcultés mais sans réelle volonté

de mort

La mort peut être envisagée comme laseule issue

L’âgeLes troubles ont débuté à l’adoles-

cence ou chez l’adulte jeuneToute anxiété débutant après 40 anschez un patient sans antécédent est

évocatrice de dépression

Syndrome anxieux - 7-0060

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sensation corporelle, le traitement, son but, ses effetssecondaires éventuels, son délai d’action devrontêtre clairement expliqués et le patient devra pouvoirjoindre facilement son médecin en cas de problème.La posologie sera très progressivement croissante enfonction de la tolérance et une benzodiazépinepourra être initialement et transitoirement associée.

La durée totale du traitement de fond parantidépresseur est en règle prolongée : on préconiseune durée de 4 à 12 mois de maintien de laposologie efficace, puis une réduction trèsprogressive des doses sous surveillance afin devérifier l’absence de réémergence symptomatique.

Un traitement psychologique peut être indiquédans un second temps en cas de réponseinsuffisance à un traitement médicamenteux bienconduit ou en cas de conduites phobiques avecévitement des situations supposées déclencher lescrises d’angoisse. Les thérapies cognitives etcomportementales sont particulièrement indiquées.Elles devront être réalisées par un thérapeute forméà cette technique. Une psychothérapie d’inspirationpsychanalytique pourra également être proposée encas de trouble de la personnalité avec difficultésrelationnelles et chez des patients désireux decomprendre leurs conflits internes.

Trouble anxieux généralisé

La symptomatologie anxieuse évolue sur unmode chronique sans attaques de paniquecaractérisées : il s’agit d’un trouble anxieuxgénéralisé.

Les circonstances de demande de soins sont plusdiverses et ce peut être à l’occasion d’un problèmesomatique mineur que le trouble anxieux estidentifié. Les manifestations sont extrêmementpolymorphes (tableau I) et là encore, un examensomatique attentif devra éliminer un problèmeorganique et rassurer le patient. L’interrogatoireessayera de préciser le retentissement fonctionnel del’anxiété (importance de l’inhibition anxieuse,changements de mode de vie liés à l’anxiété ou àdes préoccupations somatiques en rapport avecl ’anxiété) et recherchera ses fréquentescomplications : la dépression d’abord et un abusd’alcool ou de médicaments (benzodiazépines +++).

La prise en charge de ce type de trouble associedes prescriptions de tranquillisants et un abordpsychologique. Le traitement médicamenteux dechoix est un traitement tranquillisant, benzodiazé-pines surtout.

La principale difficulté du traitement réside danssa durée : trop court, il ne permet pas de réelleamélioration, trop long, il risque d’induire unedépendance médicamenteuse. Le principe dutraitement est la répétition de cures les plus brèvespossible lors des périodes de stress et derecrudescence anxieuse. On considère qu’au-delà de3 mois de traitement par benzodiazépines, le risqued’une dépendance et donc de survenue desymptômes de sevrage à l’arrêt du traitement est

Critères diagnostiques du troublepanique sans agoraphobie selon leDSM IV

✔ À la fois (1) et (2) :(1) attaques de panique récurrentes etinattendues ;(2) au moins une des attaques s’estaccompagnée pendant 1 mois (ou plus)de l’un (ou plus) des symptômessuivants :– crainte persistance d’avoir d’autresattaques de panique ;– préoccupations à propos desimplications possibles de l’attaqueou bien de ses conséquences (parexemple, perdre la raison, avoir unecrise cardiaque, « devenir fou ») ;– changement de comportementimportant en relation avec lesattaques.

✔ Absence d’agoraphobie.

✔ Les attaques de panique ne sontpas dues aux effets physiologiquesdirects d’une substance (parexemple, une substance donnant lieuà un abus, un médicament) ou d’uneaffection médicale générale (parexemple, hyperthyroïdie).

✔ Les attaques de panique ne sontpas expliquées par un autre troublemental, telle une phobie sociale (parexemple, survenant lors del’exposition aux situations socialesredoutées), une phobie spécifique(par exemple, lors de l’exposition àune situation phobogène spécifique),un trouble obsessionnel compulsif(par exemple lors de l’exposition à lasaleté chez quelqu’un ayant uneobsession de la contamination), unétat de stress post-traumatique (parexemple, en réponse à des stimulusassociés à un facteur de stresssévère) ou à un trouble anxiété deséparation (par exemple, en réponseau fait d’être éloigné de son domicileou de ses proches).

Traitements médicamenteux dans letrouble panique

✔ Les benzodiazépines sont letraitement de choix des attaques depanique :l’administration se fera plutôt per os,éventuellement en per lingual(Lysanxiat). La posologie serafonction de la sensibilité individuelledu patient (par exemple, Lexomilt 1/4à 3/4 cp, Serestat 10 à 25 mg).✔ Les antidépresseurs sont prescritspour éviter la survenue de nouvellescrises d’angoisse :– antidépresseurs tricycliques : parexemple, imipramine (Tofranilt) ouclomipramine (Anafranilt) à uneposologie de 25 à 200 mg/j ;– inhibiteurs de la recapture de lasérotonine : par exemple fluoxétine(Prozact) ou paroxétine (Déroxatt).

Les benzodiazépines ont égalementmontré une efficacité, en particulierl’alprazolam (Xanaxt) mais lanécessité d’une prescription de longuedurée pose problème avec ce type demolécules.

Exemple d’ordonnance initiale pourle traitement médicamenteux d’untrouble panique.✔ Tofranilt 10 :– 1 cp matin et soir pendant 2 jours ;– 1 cp matin, midi et soir pendant 2jours ;– puis augmenter de 1 cp tous lesjours jusqu’à 6 cp/j répartis dans lajournée.✔ Lexomilt : 1/4 cp matin et soir et1/4 de cp si besoin.✔ Me contacter par téléphone en casde problème.✔ Ordonnance pour 2 semaines.

Traitements médicamenteux dans letrouble anxieux généralisé

✔ Les benzodiazépines.De préférence à demi-vie longue pouréviter les rebonds anxieux et limiterles symptômes de sevrage. Choisir enfonction de ses habitudes ou enfonction d’une bonne réactivitéantérieure du patient. La posologie estvariable et à adapter en fonction de lasensibilité individuelle.– La buspirone (Buspart) est unealternative intéressante. Son effet estplus progressif et différé.– Les bêtabloquants peuvent êtreprescrits pour certains symptômesanxieux somatiques (symptômescardiovasculaires, tremblements). Ils’agit cependant d’un usagedétourné.– Les antidépresseurs tricycliques enparticulier seraient efficaces dansl’anxiété. On préfère cependant engénéral réserver leur utilisation auxtroubles dépressifs.✔ Les neuroleptiques ne doivent pasêtre prescrits dans cette indication.

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réel. C’est d’ailleurs la durée maximale deprescription préconisée par les RMO.

L’abord psychologique est particulièrement utilepour aider le patient à affronter les situationsstressantes sans avoir systématiquement recoursaux tranquillisants. Différentes formes depsychothérapies peuvent être proposées :psychothérapie de soutien, psychothérapie cognitiveet comportementale, psychothérapie d’inspirationpsychanalyt ique. Un abord corporel estrecommandé dans les formes à expressionsomatique : la relaxation, l’apprentissage de lamaîtrise de la respiration peuvent aider à unemeilleure maîtrise des sensations corporelles.

Trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse

La symptomatologie anxieuse est survenue enréaction à un facteur de stress identifiable : il s’agitd’un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse.

Le tableau clinique est proche de celui d’untrouble anxieux généralisé mais un facteurdéclenchant (en général un événement importantdans le domaine affectif ou professionnel) peut êtreclairement identifié et a précédé la survenue dutableau anxieux chez un sujet jusque-là indemne dece type de manifestations. En fait, les formes depassage avec un trouble anxieux généraliséchronique sont nombreuses.

L’intérêt de l’identification de ce trouble résidedans l’idée qu’un traitement adapté peut, dans uncertain nombre de cas, éviter un passage à lachronicité. Un traitement médicamenteux(tranquillisants) est nécessaire afin de fairedisparaître les symptômes anxieux et l’inhibition quien résulte et de permettre au sujet de retrouver sescapacités de réaction et d’adaptation. Ce traitementdoit être donné à doses efficaces. Le risqued’apparition d’une dépendance est en principe trèsfaible. Ce traitement sera accompagné par unsoutien psychologique chaleureux visant à renforcerchez le patient une image positive et active d’unsujet capable de faire face à la situation difficile.

Un cas particulier de ce trouble est la réactionanxieuse face à une maladie grave. Le patient attendalors du médecin qui le suit pour cette pathologiesévère, qu’il l’aide à surmonter cette réactionanxieuse.

‚ Anxiété symptomatiqued’un trouble névrotique

Ce sont ses circonstances d’apparition quiorienteront vers le diagnostic.

Là encore, après avoir essayé de caractériser aumieux le trouble névrotique et ses conséquences surle fonctionnement du sujet (degré de retentissementdu trouble sur sa vie quotidienne, sur son image delui-même, sur sa relation à ses proches), la recherchede complications sera primordiale et avant tout larecherche d’une complication dépressive,particulièrement fréquente, et d’un abus d’alcool oude tranquillisants (un sevrage peut être à l’origine dela recrudescence anxieuse motivant la consultation).

Trouble phobique

L’angoisse est liée à des situations ou des objetsspécifiques auxquels le sujet évite d’être confronté : ils’agit d’un trouble phobique.

Dans le trouble phobique, l’angoisse ne survientque lorsque le sujet est confronté à une situation(lieu dont on ne peut sortir facilement dansl’agoraphobie, situations sociales particulières dansles phobies sociales) ou à un objet (animaux, vue dusang, etc) qu’il craint d’une manière irraisonnée etextrême. En règle générale, le sujet évite cetteconfrontation dont il sait qu’elle peut déclencher devéritables attaques de panique. Il peut également,pour affronter la situation phobogène, se faireaccompagner par une personne de son entourageinvestie d’un pouvoir protecteur. En dehors de cetteconfrontation (ou de la crainte qu’elle ne survienne),l’anxiété n’apparaît pas.

La prise en charge d’un trouble phobiquenécessite en principe une intervention spécialiséedans la mesure où une psychothérapie structurée estle plus souvent nécessaire. Le traitement associegénéralement un traitement médicamenteux(antidépresseurs dans le but de prévenir la survenued’attaques de panique ou benzodiazépines afin deréduire l’anxiété anticipatrice et éventuellement lesattaques de panique) et un abord psychologique. Lestroubles phobiques constituent l’indication de choixdes thérapies cognitives et comportementales : ellesvisent à aider le sujet à se confronter à l’objet de saphobie en contrôlant sa réponse émotionnelle et àfaire disparaître le renforcement lié aux conduitesd’évitement (éviter une situation renforce la crainteinitiale de son caractère dangereux). Unepsychothérapie d’inspiration psychanalytique peut

également être proposée dans des formesd’intensité modérée et survenant sur une structurede personnalité pathologique.

Trouble obsessionnel compulsif

L’angoisse réside dans la survenue de penséesobsédantes que le sujet considère comme absurdesou indignes et qu’il cherche à neutraliser par desactes ou des pensées ritualisés : il s’agit d’un troubleobsessionnel compulsif.

Les pensées obsédantes, par leur contenuabsurde ou répugnant, en contradiction avec lesrègles morales du sujet, leur caractère intrusif etirrépressible sont extrêmement pénibles. Le sujetlutte souvent activement et avec une forte anxiétépour éviter leur survenue qu’il ne parvient pas àcontrôler. Il met en place des rituels pour essayer deréduire son anxiété : par exemple, refaire le mêmechemin ou vérifier dans son rétroviseur et l’état desroues à l’arrivée en cas d’obsession d’écraser unpassant en roulant en voiture, ou bien se laver lesmains en cas d’obsession de la contamination. Cesrituels peuvent devenir très envahissants et occuperle sujet pendant des heures et sont eux-mêmessource d’angoisse par le caractère impératif qu’ilsacquièrent rapidement.

Le terrain est évocateur : les troubles ont débutédans l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte jeune,des traits de personnalité obsessionnelle sontsouvent présents. Le diagnostic de troubleobsessionnel compulsif peut être posé.

Critères diagnostiques du DSM IV du trouble obsessionnel-compulsif

✔ Existence soit d’obsessions, soit de compulsions :– Les obsessions sont définies par (1), (2), (3) et (4) :(1) les pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes, à certainsmoments de l’affection, sont ressenties comme intruses et non appropriées et quientraînent une anxiété ou une détresse importante ;(2) les pensées, impulsions ou représentations ne sont pas simplement despréoccupations excessives concernant les problèmes de la vie réelle ;(3) le sujet fait des efforts pour ignorer ou réprimer ces pensées, impulsions oureprésentations ou pour neutraliser celles-ci par d’autres pensées ou actions ;(4) le sujet reconnaît que les pensées, impulsions ou représentations obsédantesproviennent de sa propre activité mentale (elles ne sont pas imposées de l’extérieurcomme dans le cas de pensées imposées).– Les compulsions sont définies par (1) et (2) :(1) les comportements répétitifs (par exemple, lavage des mains, ordonner, vérifier)ou les actes mentaux (par exemple, prier, compter, répéter des mots silencieusement)que le sujet se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession ou seloncertaines règles qui doivent être appliquées de manière inflexible ;(2) les comportements ou les actes mentaux sont destinés à neutraliser ou à diminuerle sentiment de détresse ou à empêcher un événement ou une situation redoutée ;cependant, ces comportements et ces actes mentaux sont soit sans relation réalisteavec ce qu’ils se proposent de neutraliser ou de prévenir, soit manifestementexcessifs.✔ À un moment donné d’évolution du trouble, le sujet a reconnu que les obsessionsou les compulsions étaient excessives ou irraisonnées.✔ Les obsessions ou compulsions sont à l’origine de sentiments marqués dedétresse, d’une perte de temps considérable (prenant plus de 1 heure par jour) ouinterfèrent de façon significative avec les activités habituelles du sujet, sonfonctionnement professionnel ou ses activités ou relations sociales habituelles.

Syndrome anxieux - 7-0060

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État de stress post-traumatique

L’angoisse est liée à la confrontation avec dessituations ou des objets rappelant au sujet unesituation de stress extrême : il s’agit d’un état destress post-traumatique.

Dans l’état de stress post-traumatique, le sujet aété confronté à un événement stressant d’uneexceptionnelle gravité (durant lequel son intégritéphysique ou celle d’autrui a été menacée) et qu’il avécu dans un climat de peur intense, d’impuissanceet d’horreur. Il peut s’agir par exemple d’un viol,d’une prise d’otage, d’un attentat, de faits de guerre,etc.

La confrontation ultérieure avec des stimuli enrelation avec cet événement peut être à l’origined’une résurgence anxieuse d’une intensité extrême.Par exemple, retourner sur les lieux du traumatisme,rencontrer quelqu’un qui était présent, entendre auxinformations le récit d’un événement du même type,etc.

Le diagnostic repose sur l’existence de signesspécifiques (en particulier des cauchemars répétitifsayant un lien avec l’événement, des souvenirsrépétitifs et envahissants, un émoussement affectiftouchant tout ce qui ne concerne pas letraumatisme, etc) et doit conduire à une prise encharge spécialisée.

Cette prise en charge sera d’autant plus efficacequ’elle intervient rapidement après le traumatisme.

Elle associe un traitement médicamenteux et uneprise en charge psychologique dont les modalitésseront fonction du tableau clinique. Dans l’immédiatet avant l’intervention du spécialiste, il seraimportant de soulager l’angoisse du patient par unsoutien chaleureux et la prescription d’un traitementtranquillisant.

Décompensation anxieuse

L’anxiété, le plus souvent de survenue aiguë ettrès intense, est liée à une situation de menace deséparation ou de perte et s’associe à des troubles ducomportement ou à des sentiments persécutifs : ils’agit d’une décompensation anxieuse chez un sujetprésentant une organisation limite de lapersonnalité.

Ces sujets présentant un trouble sévère de lapersonnalité sont susceptibles de décompensationsanxieuses graves et brutales durant lesquelles unpassage à l’acte est particulièrement à redoutercompte tenu de leur impulsivité. Des symptômespsychotiques de courte durée ne sont pas rares :sentiments de perte des limites de soi, d’hostilité del’ambiance, voire idées délirantes plus structurées engénéral à thèmes persécutifs. Le facteur déclenchantde ces décompensations est le plus souvent unesituation d’abandon réelle ou imaginaire.

Du fait de l’intensité de l’angoisse qui résistegénéralement aux premières mesures d’urgence et

d’un risque suicidaire, une hospitalisation brève estle plus souvent nécessaire. Un traitementneuroleptique sédatif, un environnementsécurisant et un abord psychologique du vécud’abandon permettent en général en quelquesjours la sédation de l’angoisse et la disparition dessymptômes psychotiques. L’hospitalisationpermettra en outre de rechercher un état dépressifparticulièrement fréquent chez ces sujets fragiles etdont l’existence instable est émaillée événementsde vie difficiles.

Symptômes psychotiques

Ils sont au premier plan car il s’agit d’une angoissepsychotique.

Plus fréquemment qu’une angoisse denéantisation ou de morcellement, l’angoisse chez unpatient psychotique est généralement sous-tenduepar des idées délirantes qu’il faudra savoirrechercher. Le patient peut cependant être réticent àlivrer ses idées délirantes, soit parce qu’il pressentqu’elles ne seront pas partagées, soit parce qu’ils’agit d’idées délirantes de persécution qui peuventconcerner l’interlocuteur. Ainsi, le seul indice del’existence d’idées délirantes est parfois la réticence.Toute suspicion et a fortiori toute certitudeconcernant l’existence d’idées délirantes chez unpatient doit amener à l’orienter le plus rapidementpossible vers une consultation psychiatrique.

Christine Passerieux : Praticien hospitalier,service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Syndrome anxieux.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0060, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

[1] American Psychiatric Association. MINI DSM IV. Critères diagnostiques(Washington DC, 1994). Traduction française par Guelfi JD et al. Paris : Masson,1996 : 1-384

[2] Dantchev N, Hardy-Baylé MC, Hardy P. Anxiété.Encycl Med Chir(Elsevier,Paris), Thérapeutique, 25-428-A-10, 1994 : 1-8

[3] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiquesen psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[4] Senon JL, Sechter D, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-mann Science et Pratique médicale, 1995

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Démarche diagnostique

devant un syndrome délirant

V Olivier

U n syndrome délirant est caractérisé par la présence d’une ou de plusieurs idées délirantes qui peuvent ou nonavoir un lien entre elles. Il est parfois difficile de reconnaître le caractère délirant d’un propos, en particulier

lorsque la cohérence du discours et la conviction du sujet sont telles qu’elles peuvent entraîner l’adhésion del’entourage, voire celle du médecin. Le rôle du médecin est donc, dans un premier temps, de reconnaître le caractèredélirant d’une ou de plusieurs idées© Elsevier, Paris.

■Introduction

Un syndrome délirant ne constitue pas à lui seulune entité clinique. En effet, un syndrome délirantpeut apparaître au cours de différentes pathologiespsychiatriques (troubles thymiques, schizophrénie,délires chroniques...) et médicales. L’existence d’idéesdélirantes impose donc un bilan diagnostique quipermettra d’intégrer ces idées dans une pathologiepsychiatrique ou médicale. Le rôle du médecingénéraliste est d’éliminer une pathologie médicale(maladie neurologique, alcoolique, endocrinienne,toxicomanie...), toxique (cannabis, hallucinogènes,cocaïne, amphétamines) ou iatrogène (antitubercu-leux, corticoïdes, antiparkinsoniens, L-dopa,anticholinergiques...) par un examen cliniquesoigneux et la pratique éventuelle d’examenscomplémentaires. Lorsqu’une affection médicale estécartée, la présence d’idées délirantes doitsystématiquement justifier une consultationpsychiatrique pour un bilan diagnostique etthérapeutique.

Les caractéristiques du délire (caractère aigu ouchronique, thèmes et mécanismes délirants,investissement du délire, qualité de la communi-cation) et les signes associés (incohérence etdésorganisation du discours, symptômes thymiques,dépressifs ou maniaques) permettent d’orienter lediagnostic et de prendre des mesures thérapeutiquesurgentes (prescription d’un traitement sédatif en casd’agitation ou de troubles du comportement enrapport avec le délire (cf chapitre « Moyenspsychopharmacologiques »), hospitalisation souscontrainte en cas de dangerosité du patient pourlui-même ou les autres).

L’apparition brutale d’idées délirantes impose leplus souvent des soins immédiats en milieuhospitalier en raison de troubles du comportementfréquemment associés. Le médecin généraliste apour rôle de convaincre le patient et/ou sa famille dela nécessité de l’hospitalisation et, si nécessaire,d’aider la famille à prendre une décisiond’hospitalisation sous contrainte en cas de refus dupatient. Une telle hospitalisation peut s’effectueravec l’aide du service psychiatrique de secteur.

La démarche diagnostique devant un syndromedélirant comporte deux étapes :

– la première est de reconnaître ou de confirmerl’existence d’un syndrome délirant ;

– la deuxième est de préciser les caractéristiquesdu délire et les signes associés qui permettentd’orienter le diagnostic et la prise en chargeimmédiate

■Reconnaître une ou des idées

délirantes

Une idée délirante est une idée fausse, erronée,apparaissant en opposition manifeste avec la réalitéet à laquelle le sujet attache une conviction absolue,inébranlable.

L’interprétation du caractère invraisemblabled’une idée délirante nécessite de prendre en comptela culture du sujet. En effet, les croyances varientd’une culture à l’autre ; par exemple, certains sujetscroient au « mauvais sort », à la sorcellerie.

Il est parfois difficile de reconnaître le caractèredélirant d’un propos ; soit par manque d’éléments de

la réalité pour affirmer la fausseté des propos (parexemple, des idées de jalousie ou de persécution) ;soit par l’existence, dans le discours du sujet, d’uncertain degré de critique ou de doute à l’égard de sesidées fausses (perplexité par rapport à la réalité deses idées).

■Caractériser le syndrome

délirant et rechercher les signes

associés

Les caractéristiques du délire et les signes associésau syndrome délirant permettent d’orienter lediagnostic et la prise en charge immédiate.

‚ Caractéristiques du délire

Les caractéristiques principales du délire sont lesthèmes délirants c’est-à-dire le contenu des idéesdélirantes, les mécanismes de construction del’activité délirante, le degré d’organisation etd’extension du délire, la participation émotionnelledu sujet à son activité délirante (conviction délirante),et la qualité de la communication.

Thèmes du délire

Le contenu des idées délirantes peut être trèsvarié et est variable selon les sujets. Il dépend enpartie de la culture, de l’histoire, de la personnalité dusujet, du trouble dans lequel il s’inscrit. Les principauxthèmes rencontrés en psychiatrie sont les thèmes depersécution , mélancoliques , (culpabil ité,autoaccusation, dévalorisation prenant un caractèredélirant), mégalomaniaques (idées de grandeur),hypocondriaques (idées fausses concernant le corpset son fonctionnement), d’influence (convictiond’agir sous l’influence d’autrui ou de forcesextérieures), de référence (tout ce qui se passe dansl’environnement du sujet se rapporte à lui), dejalousie, érotomaniaques (conviction d’être aimépar un autre sans aucune preuve de cet amour).

Ces thèmes peuvent apparaître isolés ou associésdans de nombreuses pathologies psychiatriques.Aucun thème n’est spécifique d’une affection

À titre d’exemple, la prescription encas d’agitation ou de troubles ducomportement pourra être :Loxapact (ampoule 50 mg): 4 à 6ampoules en intramusculaire.

Le rôle fondamental du médecingénéraliste dans la prise en charged’un trouble délirant est donc defaciliter un diagnostic et une prise encharge précoces en assurant le lienentre le patient, sa famille et le milieupsychiatrique.

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psychiatrique et ne permet donc à lui seul de poserun diagnostic. Les idées délirantes de persécutionsont notamment très fréquentes au cours d’épisodesdélirants et ne sont absolument pas spécifiquesd’une maladie psychiatrique. Elles peuventapparaî t re dans différentes pathologiespsychiatriques : dépression, manie, schizophrénie,trouble délirant chronique.

Certains thèmes peuvent cependant orienter versune pathologie : les thèmes mélancoliques évoquentun trouble dépressif, les thèmes mégalomaniaquesun trouble maniaque. Les thèmes mystiques ou defiliation grandiose peuvent être rattachés à desthèmes mégalomaniaques.

Les thèmes hypocondriaques sont fréquemmentrencontrés en médecine générale et concernentdonc particulièrement le généraliste. Différentesidées hypocondriaques existent ; certaines sontévocatrices d’une pathologie. Mais seul le contextede survenue de ces idées, et en particulier laprésence de symptômes associés, permet d’établir lediagnostic. Les idées hypocondriaques detransformation et de métamorphose, concernant laforme, le volume, la consistance du corps ou d’unorgane évoquent plutôt un trouble schizophrénique ;les idées hypocondriaques de négation (négationd’organe, de la personne) évoquent un troubledépressif. L’association d’une négation de lapersonne, du monde extérieur, d’idées d’immortalitéet de damnation définit le syndrome de cottard. Laprésence d’idées hypocondriaques de négationtémoigne de la gravité d’une dépression et imposeune prise en charge urgente en milieu spécialisé. Lesidées hypocondriaques « de revendication »survenant après une intervention chirurgicale ou undiagnostic insatisfaisant évoquent un délireparanoïaque. La prise en charge initiale de cespatients est souvent effectuée par le médecingénéraliste, ces patients déniant toute atteintementale et refusant donc un suivi psychiatrique. Laprise en charge psychiatrique succède le plussouvent à une hospitalisation (sous contrainte) qui aeu lieu à l’occasion d’un trouble du comportementen rapport avec le délire. L’abord initial de cespatients nécessite une grande prudence comptetenu de leur grande méfiance et de leursusceptibilité, et du risque constant d’être englobédans leur système persécutif. Le médecin généraliste,pouvant être conseillé par un psychiatre, devra rester« neutre » dans la relation afin d’éviter de devenirpersécuteur, cherchera à établir une relation derelative confiance avec son patient et à lui faireaccepter une aide thérapeutique spécialisée,notamment à l’occasion d’une décompensationanxieuse ou dépressive.

Enfin, les idées hypocondriaques de possessionet d’habitation (le patient est convaincu d’êtrepossédé par une sorte de puissance, le diable, lemal...) ne sont pas spécifiques et peuvent apparaîtreau cours de différentes pathologies telles qu’untrouble dépressif, maniaque ou schizophrénique.

Les idées délirantes érotomaniaques doivent faireévoquer, surtout lorsqu’elles sont isolées ets’accompagnent de revendications affectives, undélire paranoïaque de type passionnel (cf chapitre« Troubles psychotiques »). La présence de telles idées

impose une grande prudence pour le sujet « aimé »qui risque d’être l’objet d’actes hétéroagressifs gravesau moment de la phase dite de rancune et pour lemédecin qui risque d’être englobé dans le systèmedélirant du patient. L’attitude de ce dernier devra êtresouple et diplomatique et basée sur une écouteattentive, compréhensive et neutre en évitant touteprise de position. La prise en charge ambulatoiredevra être effectuée dès que possible par unpsychiatre. Une hospitalisation en urgence et souscontrainte doit être demandée, avec l’aide d’uneéquipe psychiatrique de secteur, en cas de menaceou d’actes hétéroagressifs.

Mécanismes du délire

Ce sont les mécanismes de pensée par lesquelsl’idée délirante apparaît et le délire se construit.Même si certains mécanismes permettent d’orienterle diagnostic psychiatrique, aucun n’est spécifiqued’un trouble psychiatrique donné. L’ensemble desmécanismes délirants peuvent se rencontrer aucours de différentes pathologies psychiatriques.

¶ Principaux mécanismes délirants

Intuition

Le sujet admet comme vraie et réelle uneconnaissance, une idée immédiate et intuitive, sansjustification logique. Ce mécanisme est rarementisolé ; il s’associe le plus souvent à d’autresmécanismes délirants.

Interprétation

C’est un des mécanismes les plus fréquemmentretrouvés au cours d’un syndrome délirant.L’interprétation est l’explication erroné d’un fait réel ;le sujet donne une signification erronée à un fait réel.

Exemple : « Mon voisin ouvre sa fenêtre pourprévenir mes ennemis que je quitte monappartement. »

Imagination

Le sujet utilise pour enrichir son délire deséléments issus de son imagination, sans rapportavec la réalité, volontiers extravagants et fantaisisteset construit ainsi un roman dans lequel il serait lehéros.

Exemple : un patient qui prétend être un savant etdémontrer de nouvelles lois de la physique ; ce quiva lui permettre de diriger le monde et voyager dansl’espace.

Illusion

C’est un phénomène de déformation sensorielle.Le sujet déforme, dénature une perception qu’ilreçoit. L’illusion peut affecter tous les sens (visuel,olfactif, tactile, cénesthésique, auditif).

Exemple : entendant des cris à la télévision, unpatient croit entendre son enfant pleurer.

Hallucination

C’est une perception sans object à percevoir. Lesujet halluciné attribue à autrui ou à des forcesextérieures des phénomènes générés par lui-même.

On distingue les hallucinations psychosensorielleset les hallucinations intrapsychiques.

Les hallucinations psychosensorielles sontperçues par l’intermédiaire des sens et sont

spatialisées. Les plus fréquentes en psychiatrie sontles hallucinations auditives et visuelles :

– les hallucinations auditives : il s’agit le plussouvent de voix. Le patient peut reconnaître la ou lesvoix, les identifier, les localiser dans l’espace. Cetteou ces voix peuvent s’adresser directement à lui, luidonner des conseils, des ordres, le guider. Lecontenu des voix est variable, mais le plus souventhostile ;

– les hallucinations visuelles : elles sont plusfréquentes dans les pathologies organiques etdoivent donc faire évoquer en premier lieu untrouble organique. Lorsqu’elles apparaissent aucours d’une pathologie psychiatrique, elles sont leplus souvent associées à d’autres hallucinations qu’ilfaudra donc rechercher.

Les autres types d’hallucination sont plus rares :– les hallucinations tactiles ou cénesthésiques :

sensations de décharges électriques, sensationssexuelles... ;

– les hallucinations olfactives (perceptiond’odeurs le plus souvent désagréables) ;

– les hallucinations gustatives (perception degoûts).

Les hallucinations intrapsychiques sont desphénomènes complexes, difficiles à mettre enévidence. Elles sont décrites comme des voixintérieures qui n’ont pas les caractéristiquesacoustiques d’une voix normale. Par opposition auxhallucinations psychosensorielles, elles ne sont nisensorialisées, ni extériorisées. Le sujet entend desmots ou des phrases ou des conversationsinterférant avec sa propre pensée. Il décrit des voix,des conversations parfaitement perçues à l’intérieurde lui-même, mais de façon non sonore. Le patientles explique souvent par des phénomènes detélépathie ou de transmissions de pensée. Leshallucinations psychiques sont à rapprocher dusyndrome d’automatisme mental de Clérambaultqui consiste en une sorte d’autonomisation et demécanisation d’une partie de la pensée du malade.Ce dernier a le sentiment de perdre le contrôle d’unepartie de ses pensées qui se met à fonctionner endehors de sa volonté.

Les hallucinations intrapsychiques sontévocatrices d’un trouble schizophrénique.

L’hallucination n’a, comme les autres mécanismesdélirants, pas de signification diagnostique. Deshallucinations peuvent survenir au cours dedifférentes pathologies psychiatriques (troublesschizophréniques, dépressifs, maniaques, troublesdélirants chroniques) et organiques et même chez lesujet normal dans certaines situations (d’isolementsensoriel, d’états proches de la rêverie diurne).

Les modèles pathogéniques récents explicatifsdes hallucinations sont issus des modèles dessciences cognitives.

La présence d’hallucinations visuellesimpose un bilan organique afind’éliminer une pathologie somatique :alcoolisme, épilepsie, prise detoxiques...

7-0070 - Démarche diagnostique devant un syndrome délirant

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Chez le sujet normal, des hallucinations peuventsurvenir dans des situations de passivité, où le sujetse laisse aller à une rêverie au cours de laquelle undialogue intérieur peut s’externaliser et être vécucomme une hallucination. De telles hallucinationssurviennent surtout chez des sujets ayant l’habitudede penser en utilisant des représentations visuellesou des images sonores des mots. À la différence dusujet malade, le sujet normal est capable de critiquerses hallucinations.

Chez le sujet schizophrène, l’hallucination seraitune conséquence d’un trouble de l’intentionnalité. Lesujet ne reconnaît plus comme venant de lui sespropres pensées, sentiments et perceptions, et lesattribue à autrui.

Autres caractéristiques

D’autres caractéristiques du délire peuvent êtredes arguments utiles au diagnostic et permettentd’orienter la prise en charge immédiate. Mais cescaractéristiques sont le plus souvent insuffisantespour trancher en faveur d’un diagnostic. Ce sont lessignes associés et l’évolution des troubles quigénéralement permettent d’établir le diagnostic.

Les caractéristiques du délire à prendre en comptesont :

– le degré d’organisation du délire ;– le degré d’extension du délire ;– la participation émotionnelle du sujet à son

délire ;– la qualité de la communication.

¶ Degré d’organisation du délireIL qualifie la structure logique et organisée du

discours délirant. Il permet d’orienter le diagnostic.Un délire « organisé » dans lequel l’enchaînement desidées apparaît cohérent et logique, évoque un délirechronique de type paranoïaque. Les propos délirantssemblent tout à fait compréhensibles et peuventmême être convainquants. Un délire organisé sedéveloppe le plus souvent autour d’un thème ;lorsque plusieurs thèmes existent, ils s’enchaînentlogiquement. En cas d’épisode aigu entraînant destroubles du comportement (menaces d’agression dupersécuteur), une hospitalisation sous contrainte enpsychiatrie est nécessaire. En l’absence de risque depassage à l’acte hétéroagressif, l’objectif dugénéraliste sera d’établir un lien de confiance et defaire accepter au patient une prise en chargepsychiatrique à l’occasion de moments anxieux oudépressifs.

À l’inverse, un délire peut être totalementincohérent, incompréhensible et hermétique. Onparle de délire polymorphe. Les thèmes sont engénéral multiples et sans lien logique entre eux. Labouffée délirante aiguë est un exemple de délirepolymorphe au cours duquel les thèmes et les

mécanismes sont multiples et coexistent sans lienlogique. Un délire polymorphe nécessite des soinsimmédiats en milieu psychiatrique en raison detroubles du comportement fréquemment associés. Ilpeut inaugurer différentes pathologies psychia-triques (trouble de l’humeur, schizophrénie).

¶ Degré d’extension du délireIl est défini par le degré d’envahissement du délire

dans les différents secteurs de la vie. Le délire est dit« en secteur » lorsqu’il est limité à un secteur de la viedu sujet. Un délire de jalousie dans le cadre d’undélire chronique de type paranoïaque est parexemple un délire en secteur ; il est en principe limitéà la vie affective du patient.

Le délire est dit « en réseau » lorsqu’il s’étend àl’ensemble des secteurs de la vie du sujet. La boufféedélirante aiguë est un exemple de délire polymorpheen réseau.

¶ Participation émotionnelle du sujet à sonactivité déliranteC’est un facteur essentiel à prendre en compte car

il conditionne le comportement et la réactivité dusujet à son délire. Elle correspond à l’investissementaffectif du délire, à la conviction du malade(adhésion à l’idée délirante). Plus une activitédélirante est investie émotionnellement, plus le sujety adhère et plus cette activité le fera passer à l’acte.Une hospitalisation s’impose lorsque la participationémotionnelle du sujet à son délire est complète etentraîne des troubles du comportement.

¶ Qualité de la communicationIl s’agit de la relation que le malade peut établir

avec son interlocuteur, qui est fonction descaractéristiques du délire. C’est également un facteurimportant à prendre en compte. Lorsque le contactest de mauvaise qualité et qu’aucune relation nepeut être établie, une hospitalisation est nécessaire.

Généralement, les caractéristiques du délirepeuvent permettre d’orienter le diagnostic, mais nesuffisent pas pour poser le diagnostic. Ce sont surtoutles signes associés et les caractéristiques évolutivesdu syndrome délirant qui permettront de trancher enfaveur d’un diagnostic.

‚ Signes associés et les caractéristiquesévolutives du syndrome délirant

Le caractère aigu ou chronique de l’activitédélirante permet d’emblée d’orienter le diagnostic etde distinguer les délires aigus et les délireschroniques.

Délires aigus

Dans les délires aigus, la présence ou non d’autressymptômes dits « non psychotiques » (c’est-à-dire nidélirants, ni dissociatifs) et notamment desymptômes thymiques (dépressifs ou maniaques),permet de s’orienter soit vers une pathologie « nonpsychotique » (trouble de l’humeur s’accompagnantd’idées délirantes), soit vers une pathologie« psychotique » trouble schizophrénique ou délirechronique).

¶ Présence de symptômes non psychotiquesassociés au délire

Présence de symptômes thymiques (dépressifsou maniaques)

Elle permet d’orienter le diagnostic vers un troublede l’humeur. Il sont à rechercher systématiquement.L’existence d’antécédents personnels ou familiauxde troubles thymiques sont également desarguments en faveur de ce diagnostic.

Présence de symptômes dépressifs et/oumélancoliques

Elle doit, surtout lorsque ces symptômesprécèdent l’émergence délirante, faire évoquer undiagnostic de dépression délirante. Les mécanismesdélirants sont fréquemment l’interprétation etl ’ intuit ion, mais peuvent également êtrel’imagination, voire l’hallucination. Les thèmes sontle plus souvent congruents à l’humeur : thèmesmélancoliques (autoaccusation délirante, idéeshypocondriaques) ou thèmes de persécution ou depossession articulés aux idées mélancoliques « oncherche ma mort car j’ai commis une faute ». Lesthèmes sont plus rarement non congruents àl’humeur (thèmes de persécution sans rapport avecles thèmes mélancoliques, thèmes d’influence...).

Présence de symptômes maniaques

Elle doit, surtout lorsque ces symptômesprécèdent l’émergence délirante, faire évoquer undiagnostic de manie délirante. Au cours des épisodesmaniaques, le délire est fréquemment polymorphe.Les mécanismes sont surtout intuitifs et imaginatifs,souvent interprétatifs, plus rarement hallucinatoires.Les thèmes sont le plus souvent congruents àl’humeur, c’est-à-dire essentiellement mégaloma-niaques s’exprimant dans différents domaines(thèmes mystiques, de filiation divine, érotiques). Ilspeuvent être également non congruents à l’humeur :thèmes de persécut ion, de référence,hypocondriaques.

Les accès thymiques délirants nécessitent le plussouvent une hospitalisation et des soins en urgence,en milieu spécialisé. Le médecin généraliste a pourrôle de convaincre le patient et sa famille de lanécessité de cette hospitalisation et de l’efficacité destraitements chimiothérapiques sur les troubles del’humeur. Il pourra également aider la famille àprendre une décision d’hospitalisation souscontrainte en cas de refus du patient.

Les hallucinations sont le plus souventdes phénomènes pathologiques quidoivent systématiquement justifier uneconsultation spécialisée afin d’orienterle diagnostic et d’assurer une prise encharge thérapeutique précoce.

Il est essentiel de recherchersystématiquement des symptômesthymiques, dépressifs ou maniaques,devant un syndrome délirant. Laprésence de tels symptômes orienteravers un trouble de l’humeur.

L’apparition brutale d’une activitédélirante après 40 ans témoigne leplus souvent d’un trouble thymique(accès dépressif ou maniaque) oud’une pathologie organique.

Démarche diagnostique devant un syndrome délirant - 7-0070

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Page 17: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Présence de symptômes confusionnels

Associés aux idées délirantes elle doit faireévoquer une confusion mentale. Le mécanismedélirant est essentiellement hallucinatoire (surtouthallucinations visuelles). Les thèmes sont le plussouvent des scènes d’épouvante ou de caractèrepénible. Le délire est souvent mobile, plus intense lesoir et la nuit. L’adhésion du patient au délire estimportante, des passages à l’acte auto- ouhétéroagressifs sont alors à craindre. Le diagnosticdifférentiel principal de la confusion mentale est labouffée délirante aiguë dans ses formesconfusodélirantes.

¶ Absence de symptômes non psychotiquesassociés au délireLes délires polymorphes aigus sont classiquement

décrits en France sous le terme de « bouffée déliranteaiguë ».

La symptomatologie délirante est d’apparitionbrutale et généralement de durée brève (moins de 6mois). Le délire est de type polymorphe, nonsystématisé. Les mécanismes sont multiples : intuitif,interprétatif, imaginatif, hallucinatoire, avec deshallucinations psychiques (automatisme mental) etpsychosensorielles. Les thèmes sont variés ; les plusfréquemment retrouvés sont des thèmes d’influence,mystiques, érotiques, mégalomaniaques, persécutifs.L’investissement affectif et l’adhésion au délire sontmajeurs, entraînant des troubles du comportement.Il n’existe pas de réelle désorientation temporospa-tiale, mais on peut retrouver des troublesattentionnels ainsi qu’une légère obnubilation de laconscience pouvant faire évoquer un diagnostic deconfusion mentale. L’existence de signes dissociatifsdans un tableau de bouffée délirante aiguë estpossible. Elle ne signe pas, dans ce contexte, undiagnostic de schizophrénie.

Ce tableau justifie le plus souvent unehospitalisation en psychiatrie en urgence. Letraitement repose sur les neuroleptiques.

La bouffée délirante aiguë ne constitue pas uneentité clinique à elle seule et doit être considéréecomme une entité syndromique devant être intégréedans une pathologie psychiatrique. Elle peut être lapremière manifestation de différentes maladiespsychiatriques : soit un accès inaugural d’un troublede l’humeur (manie délirante, mélancolie déliranteou état mixte délirant), soit une entrée dans laschizophrénie ; ou correspondre à un étatpsychotique réactionnel à un événement de vieparticulièrement traumatique venant émailler la vied’un sujet ayant une personnalité fragile. Certainséléments permettront d’orienter le diagnostic versl’une ou l’autre de ces hypothèses diagnostiques.Mais c’est surtout l’évolution des troubles(récupération complète ou non) qui permettrad’établir le diagnostic.

Le diagnostic de trouble de l’humeur (état mixtedélirant) reposera sur les antécédents familiaux detroubles thymiques, l’importance de la composantethymique de l’accès et une restitutio ad integrumaprès l’accès associée à une critique des idéesdélirantes.

Le diagnostic de schizophrénie sera envisagé surl’existence avant l’accès délirant de certains troubles

du caractère et du comportement, d’unesymptomatologie déficitaire insidieuse (retrait,isolement sociale, perte des activités et des intérêts),d’un délire moins riche et plus dissocié, à thèmeshypocondriaques et persécutifs, d’une angoissemajeure non liée aux thèmes délirants exprimés, etsurtout d’une résolution incomplète de l’accès aveccritique partielle des idées délirantes.

Le diagnostic d’accès psychotique réactionnelsera probable devant le caractère réactionnel del’épisode, succédant à un traumatisme émotionnelimportant, survenant sur un terrain psychologiquefragile : sujets immatures, frustes, débiles,psychopathes ou présentant une personnalitéhystérique passive dépendante ou état limite, labrièveté de l’épisode, la bonne réactivité autraitement, et l’excellente critique des idéesdélirantes au sortir de l’accès.

Plus rarement, il s’agira d’un accès inaugurant undélire chronique (interprétatif, hallucinatoire ouimaginatif). Des éléments cliniques, en particulier lescaractéristiques du délires, la personnalitéprémorbide, permettront de porter le diagnostic (cfchapitre « Troubles psychotiques »). Un épisodedél i rant aigu associé à des troubles ducomportement en rapport avec le délire impose,surtout s’il s’agit d’un délire interprétatif paranoïaque,une mesure d’hospitalisation sans consentement.

Délires d’évolution chronique

Outre les caractéristiques du délire, la présence designes de dissociation (cf chapitre « Étatspsychotiques ») permettra d’orienter le diagnostic.Lorsque le syndrome délirant est associé à unsyndrome de dissociation, le diagnostic le plusprobable est celui d’une schizophrénie. Lorsque l’onne retrouve pas de signes de dissociation, onévoquera un diagnostic de délire chronique. D’autreséléments (cliniques, évolutifs, antécédentspersonnels et familiaux...) pourront aider à confirmerl’un ou l’autre de ces diagnostics.

Dans tous les cas, la présence d’un syndromedélirant justifie une consultation spécialisée pour unbilan diagnostique et la mise en place d’une prise encharge ambulatoire de secteur compte tenu de lachronicité des troubles.

Classiquement, le syndrome délirant schizophré-nique, dit « délire paranoïde », est un délirepolymorphe, non systématisé, souvent extrê-mement flou et illogique, incompréhensible ; dethèmes variés (hypocondriaques, d’influence, depersécution, mégalomaniaques) et de mécanismesmultiples (surtout hallucinatoires avec unautomatisme mental). La participation émotionnelleau délire est variable ; mais on retrouvefréquemment une indifférence affective ainsi qu’unefroideur.

La prise en charge et le traitement doivents’effectuer en milieu spécialisé, sur le secteurpsychiatrique du patient (cf chapitre « Schizophré-nie »). Le traitement du syndrome délirant reposesur les neuroleptiques.

Le diagnostic de délire chronique repose surl’existence d’un syndrome délirant chronique (aumoins 6 mois), l’absence de symptômes de

dissociation et d’évolution déficitaire, l’absence designes évoquant un trouble thymique ou organique,un âge de plus de 35 ans.

Le délire est le plus souvent bien systématisé,logique et cohérent, s’organisant souvent autourd’un thème unique.

On distingue trois types cliniques de délirechronique selon la prédominance d’un mécanismedélirant. Ces trois types de délire chroniquenécessitent des prises en charge distinctes (cfchapitre « Troubles psychotiques »).

Lorsque le mécanisme interprétatif prédomine, onparle de délire paranoïaque. Parmi les déliresparanoïaques, on retrouve les délires interprétatifs,thèmes persécutifs le plus souvent, voiremégalomaniaques, les délires passionnels (thèmesde jalousie, érotomaniaques), les délires de relationdes sensitifs. Les délires interprétatifs et passionnelscaractérisés par la quérulence, l’agressivité etl’hypersthénie imposent une grande prudence enraison de leur dangerosité potentielle, avec le risquede passage à l’acte hétéroagressif sur le persécuteur.La prise en charge initiale est souvent effectuée parle généraliste en raison du déni de toute atteintementale par ces patients et de l’évolution souventprogressive et à bas bruit de l’activité délirante. Elleaura pour but d’aménager une relat ionthérapeutique de confiance et d’amener le patient àaccepter un suivi psychiatrique en particulier lors demoments dépressifs ou anxieux.

Lorsque le mécanisme hallucinatoire prévaut, onparle de psychose hallucinatoire chronique. Lesthèmes sont variés, persécution, jalousie, grandeur.La suspicion d’un diagnostic de psychosehallucinatoire chronique impose une consultationpsychiatrique afin de mettre en route un traitementneuroleptique qui permettra une régression plus oumoins complète des phénomènes hallucinatoires etle maintien d’une adaptat ion sociale etprofessionnelle correcte. Cette entité clinique, peufréquente, est spécifiquement française ; elle estintégrée par les psychiatres américains au groupedes schizophrénies.

Lorsque le mécanisme imaginatif prédomine, onparle de paraphrénie. Le thème le plus fréquent estmégalomaniaque. Les délires chroniques imaginatifssont d’une part rares, d’autre part rarement vu enconsultation car ils coexistent en général avec uneremarquable adaptation à la réalité quotidienne et àla vie sociale et professionnelle du fait d’une activitédélirante bien circonscrite qui se juxtapose à laréalité.

■Causes des délires

Elles sont fonction de la maladie psychiatriquedans laquelle apparaît le délire.

Dans la schizophrénie, les modèles actuelspostulent l’existence d’un dysfonctionnementbiologique des structures du cerveau. Différentsfacteurs étiologiques participent à des degrés diversà la pathogénie de la maladie : génétique, cognitif,neurodéveloppementa l . . . ( c f chapi t re« Schizophrénie »).

7-0070 - Démarche diagnostique devant un syndrome délirant

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Dans les troubles de l’humeur, les manifestationsdélirantes pourraient être en partie liées, pourcertains auteurs, à la personnalité des sujets.Certaines personnalités seraient « plus susceptiblesde délirer » lors d’un accès thymique.

Dans les délires paranoïaques, le délire apparaîtsur une personnalité prédisposée : la personnalitéparanoïaque.

■Traitement des syndromes

délirants

Il dépend de la maladie psychiatrique danslaquelle apparaît le délire.

Un syndrome délirant aigu constitue une urgencethérapeutique. Une hospitalisation s’impose le plus

souvent en raison de l’importance des troubles ducomportement et de l’absence habituelle dereconnaissance des troubles par le patient. Lorsquele patient refuse les soins et qu’il existe un risquepour lui-même ou pour autrui, il est nécessaire derecourir à une mesure de protection légale : unehospitalisation sur demande d’un tiers le plussouvent, voire une hospitalisation d’office. Ceshospitalisations sous contrainte peuvent êtreeffectuées avec l’aide de l’équipe psychiatrique desecteur. Le rôle du généraliste sera d’expliquer au

patient et à sa famille les principes du traitement, enparticulier la nécessité d’une hospitalisation etl’excellente efficacité des traitements médica-menteux sur les symptômes délirants. Il seraégalement de rassurer la famille et de l’aider àaccepter une décision d’hospitalisation souscontrainte. Généralement, les patients se sententrassurés par l’hospitalisation et reconnaissent, à lasortie de leur accès délirant, la nécessité d’une tellehospitalisation.

Le traitement symptomatique repose essentiel-lement sur les neuroleptiques qui ont une excellenteefficacité sur les symptômes prévalents dessyndromes délirants (délire, hallucination), et surl’abord psychologique quand celui-ci est possible. Laconduite à tenir au sortir de l’épisode aigu estfonction de la qualité de la récupération et del’évaluation diagnostique.

Véronique Olivier : Chef de clinique - assistant,service de psychiatrie, Hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Démarche diagnostique devant un syndrome délirant.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0070, 1998, 5 p

R é f é r e n c e s

[1] Guelfi JD, Boyer P, Consoli S, Olivier-Martin R. Psychiatrie. Vendôme :Presses Universitaires de France, 1987

[2] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Paris : Doin, 1986

[3] Lempérière T, Féline A, Gutmann A, Adès J, Pilate C. Psychiatrie de l’adulte.Paris : Masson, 1977

Dans tous les cas, la présence d’unsyndrome délirant impose une prise encharge spécialisée le plus souvent enmilieu hospitalier.

Démarche diagnostique devant un syndrome délirant - 7-0070

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Syndrome dépressif

C Zeitter

L a dépression va toucher au cours de sa vie entre un sujet sur cinq et un sujet sur dix. Un seul déprimé sur dixsera correctement traité.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

La pathologie dépressive est une pathologie quipose régulièrement de nombreux problèmes aupraticien dans les différentes étapes de sa prise encharge.

Repérage : les tableaux cliniques sont trompeurs,masqués par des plaintes somatiques ou d’autressymptômes psychiatriques.

Diagnost ic de maladie dépressive : lasymptomatologie peut être considérée comme« normale » par le médecin lorsqu’elle survient dansles suites d’événements douloureux ne débouchantalors pas sur une prescription adaptée (avec lesconséquences éventuelles suivantes : handicap,chronicité, suicide) ; le diagnostic par excès entraîneune prescription injustifiée d’antidépresseurs,installant le patient dans une prise en chargemédicale stricte pouvant conduire à des attitudes dedépendance et de régression, alors qu’un travailpsychologique s’imposait ; il existe une absence dereconnaissance par le patient de son statut demalade déprimé.

Traitement et prise en charge : un déprimé surdeux prend correctement son traitement ;l’intrication de la dépression avec des pathologiessomatiques peut constituer des facteurs derésistance ; les troubles psychiatriques associés, enparticulier les troubles de la personnalité, rendent letraitement plus difficile et complexifient la relationthérapeutique ; enfin, le rôle de l’entourage peutavoir un effet délétère.

Après quelques données épidémiologiques,seront ainsi abordés :

– les symptômes d’alerte devant inciter lemédecin à rechercher une dépression ;

– les éléments principaux du diagnostic ;– les formes cliniques et en particulier les formes

masquées n’évoquant pas d’emblée un syndromedépressif ;

– le diagnostic étiologique dont le but est dedifférencier les troubles dépressifs primaires et lestroubles dépressifs secondaires d’une autrepathologie justifiant un traitement spécifique ;

– l’évaluation du contexte et la recherche deséléments indispensables à l’élaboration d’un projetde soins ;

– la place de la famille.

Le traitement proprement dit sera envisagé auchapitre consacré aux troubles thymiques.

■Épidémiologie de la dépression

La dépression est une maladie fréquente,invalidante, avec des conséquences importantesnon seulement pour l’individu lui-même, maiségalement pour son entourage et pour la société.

Le suicide est une des conséquences évidemmentles plus marquantes, avec un risque relatif du sujetdéprimé par rapport au sujet non déprimé de l’ordrede 30, en sachant qu’environ 15 % des sujetsdéprimés décéderont par suicide.

Outre ce risque, la dépression peut êtreresponsable d’un handicap sur le plan social etprofessionnel dès lors que le sujet présente desépisodes récurrents fréquents, insuffisammenttraités, ou s’installe dans une dépression chronique.Cette modalité évolutive, qui aboutit dans bien descas à une invalidité, est loin d’être exceptionnelle,puisqu’elle représente environ 20 % des évolutionsdes épisodes dépressifs majeurs.

Concernant la prévalence de la dépression, lesétudes s’intéressent aux deux grands troublesdépressifs actuellement caractérisés dans lesclassifications internationales, la dysthymie, formechronique d’intensité moyenne, et les épisodesdépressifs majeurs.

La prévalence sur la vie entière de la dysthymievarie de 2 à 4 % selon les études, alors que celle del’épisode dépressif majeur varie de 4 à 10 %. Autotal, et en prenant en considération les études decohorte les plus récentes, on peut estimer que,globalement, la dépression va toucher au cours desa vie entre un sujet sur cinq et un sujet sur dix.

Du fait de la fréquence de ce trouble, le médecingénéraliste va régulièrement y être confronté. Lagravité de la dépression impose que le diagnosticsoit posé et un traitement adapté proposé.

Une récente étude en médecine générale révèlecependant que sur 100 patients déprimés, 50 sontreconnus comme ayant un trouble psychologique,25 comme déprimés, et environ la moitié de ceux-cirecevront un traitement antidépresseur approprié.

■Circonstances de découverte

d’un syndrome dépressif

‚ Symptômes d’alerte (tableau I)

Symptômes somatiques

Le syndrome dépress i f s ’accompagnerégulièrement de symptômes somatiques quipeuvent ainsi représenter un motif de consultationen médecine générale.

¶ AsthénieSymptôme parmi les plus réguliers de la

dépression, l’asthénie n’est pas expliquée par uneaffection somatique. Elle se caractérise par unegrande fatigabilité, tant lors d’un effort physique quepsychique, de concentration ou d’attention, ou lorsde la confrontation à une situation de stress. Elle

Épidémiologie de la dépression

Prévalence ponctuelle : 5 %.Sur la vie entière : la dépressiontouche entre un sujet sur cinq et unsujet sur dix.

Du fait que seul un déprimé sur dixest correctement traité, et dans lamesure où il se trouve souvent en« première ligne », le médecingénéraliste doit observer une grandevigilance par rapport à ce trouble.

Tableau I. – Signes principaux devant fairerechercher une dépression en consultation demédecine générale.

Asthénieà prédominance matinaleInsomnie,en particulier du petit matinAnorexieet perte de poidsDouleursmal expliquées par une lésion organiqueAnxiété

Erreurs à ne pas commettre en présence de cetype de symptômes

Prescription d’hypnotiques seuls pour une insom-nie dont l’origine primaire n’est pas établie(consultation spécialisée)Prescription systématique de tranquillisants seulspour une symptomatologie anxieuse

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s’accompagne d’une réduction des activités, le sujetayant des difficultés à les initier dans les cas les plussévères, ou à les poursuivre. Le repos et le sommeilne sont pas réparateurs.

Cette fatigue se repère chez le sujet dont lesgestes sont plus lents et rares, pesants, et dont levisage présente des traits souvent tirés, un regardmoins vif, terne et las.

¶ Troubles du sommeilL’hypersomnie n’est pas le trouble du sommeil le

plus fréquemment rencontré dans la pathologiedépressive, mais doit néanmoins être signalée. On larencontre plus particulièrement dans les dépressionssaisonnières hivernales. Le point fondamental est lechangement que représente ce symptôme parrapport au sommeil normal du sujet. Le nombred’heures de sommeil nocturne est augmenté parrapport aux habitudes du sujet, qui se couche plustôt, fatigué, ou qui a du mal à émerger le matin,repoussant l’heure du lever.

L’hypersomnie peut également être diurne,accompagnée d’une difficulté à maintenir un niveaude vigilance suffisant pour accomplir les activitéshabituelles, pouvant aller jusqu’à un tableau declinophilie, où le sujet passe la plus grande partie desa journée allongé. L’hypersomnie diurne peuts’accompagner d’une insomnie nocturne, réalisant àl’extrême une inversion du cycle veille-sommeil,cette perturbation pouvant être accentuée, voireprovoquée, par la prescription inadéquate detranquillisants, en particulier de benzodiazépines,utilisés seuls pour un syndrome dépressif.

L’hypersomnie dépressive a ceci de particulierqu’elle ne permet pas au sujet de récupérer de lafatigue généralement ressentie.

Beaucoup plus fréquente, l’insomnie consiste enune réduction du temps de sommeil, peut être enrapport avec des difficultés d’endormissement, desréveils nocturnes répétés, ou des réveils matinauxprécoces. Ces deux derniers troubles, etparticulièrement les réveils matinaux précoces, sontplus spécifiques de la pathologie dépressive quel’insomnie d’endormissement, rencontrée surtoutdans la pathologie anxieuse. Cependant, l’anxiété,souvent associée à l’état dépressif, peut êtreresponsable de troubles de l’endormissement chezun sujet authentiquement déprimé.

Les réveils précoces sont pénibles en ce sens queles ruminations dépressives envahissentimmédiatement la conscience du sujet, qui ne peutse rendormir.

L’insomnie du déprimé persiste, se répétant denuit en nuit, sans que la fatigue, déjà présente, maisprobablement aggravée par le manque de sommeil,aide le sujet à trouver un sommeil réparateur.

Cette insomnie peut être sensible auxhypnotiques classiques, au moins dans un premiertemps, et s’imposer ainsi comme une insomnieréactionnelle à un quelconque facteur de stress ;mais après un soulagement initial, un échappementse produit rapidement, ne devant pas conduire àune augmentation des posologies, mais à larecherche des signes associés qui pourront conduireau diagnostic de syndrome dépressif, et permettreainsi le traitement de fond indispensable.

¶ Troubles de l’appétitL’anorexie est la perturbation du comportement

alimentaire la plus fréquemment rencontrée dans lestroubles dépressifs, et peut s’accompagner d’uneperte de poids significative. Dans certains tableaux

sévères, on observe parfois un refus alimentaire, leplus souvent lié à une activité délirante à thématiquecorporelle (négation d’organes de Cotard) oupersécutive (empoisonnement). Ces tableauximposent l’hospitalisation, surtout chez des sujetsâgés, le pronostic vital étant rapidement engagé, etconstituent une indication de sismothérapies.

Plus rarement, une hyperphagie ou la survenuede crises de boulimie se rencontrent chez unepersonne n’ayant au demeurant aucun antécédentde troubles du comportement alimentaire, etpeuvent s’accompagner d’une prise de poidsdouloureusement ressentie et culpabilisée.

L’hyperphagie fait plutôt partie du tableau desdépressions saisonnières hivernales.

¶ Troubles sexuelsPlus rarement évoqués spontanément, ils

peuvent néanmoins constituer un motif deconsultation lorsqu’une culpabilité est ressentie àl’égard du partenaire. Il s’agit d’une baisse de lalibido, d’une perte de l’énergie sexuelle, souventassociée à l’anhédonie du déprimé, et qui entraîneimpuissance, anéjaculation, dyspareunie et/oufrigidité.

¶ DouleursLa douleur, lorsqu’elle n’a pas de point d’appel

somatique ou lorsque les atteintes somatiquessemblent insuffisantes pour rendre compte dutableau douloureux, doit faire évoquer un processusdépressif. Certaines dépressions s’expriment en effetessentiellement par des plaintes douloureusesvariées, en général intenses et pénibles (dépressionsdites « masquées »).

En revanche, tout patient douloureux chroniquepour lequel aucune étiologie organique n’a étéretrouvée n’est pas pour autant déprimé. Il convientde faire une analyse précise des circonstancesd’apparition des douleurs, de l’aspect diachroniqueet évolutif, et de rechercher les autres symptômessusceptibles d’étayer le diagnostic de dépression.

¶ Autres plaintes somatiquesLes plaintes somatiques des patients déprimés

peuvent toucher plusieurs appareils, et certaines sontle témoin d’une anxiété associée qui s’exprime sur lecorps. Ces manifestations, qui touchent les appareilscard iovascula i re (pa lp i ta t ions , boufféesvasomotrices, hypertension, ou au contrairehypotension et bradycardie, plus souvent associéesau ralentissement dépressif), digestif (dyspepsie,nausées, constipation ou diarrhée) ou urinaire(pollakiurie, dysurie), sont détaillées au chapitre destroubles anxieux.

¶ TristesseElle est un symptôme inconstant du syndrome

dépressif. En outre, ce n’est pas sa présence, mais saqualité (tristesse pathologique) qui importe pour lediagnostic de dépression. Il ne s’agit probablementpas du motif de consultation le plus fréquent, bienque la médiatisation accrue de la dépression et desantidépresseurs puisse amener certains patients secroyant déprimés à souhaiter un traitement enrapport, alors que la tristesse ressentie, quireprésente le motif de la consultation, n’est pasd’ordre dépressif.

¶ AnxiétéPlus facilement évoquée et plus rapidement

repérée (sujet tendu, crispé, ne tenant pas en place,logorrhéique), la présence d’une anxiété doit

systématiquement faire rechercher une dépression,surtout lorsque le patient n’est pas connu pour êtrede tempérament anxieux et que cette symptomato-logie représente une rupture par rapport à sonfonctionnement habituel.

La dépression anxieuse est décrite avec lesformes cliniques.

■Diagnostic de syndrome dépressif

Le diagnostic de syndrome dépressif s’appuie surun ensemble de symptômes, que les classificationsinternationales qualifient de critères, dont un certainnombre doivent être présents pour porter undiagnostic de trouble dépressif.

‚ Humeur dépressive

L’humeur dépressive se différencie de la tristesse« normale », réactionnelle à un événementdouloureux, non seulement par son intensité, parson caractère extensif, mais également par saqualité. Elle envahit la vie psychique du sujet, colorel’ensemble de ses pensées, de son éprouvé, de saperception de l’environnement et de son rapport aumonde. Tout ce qui arrive à la conscience du sujet sevoit attribuer une connotation négative, noire,pénible et douloureuse.

Si l’humeur dépressive se manifeste dans lessuites d’une perte, elle ne reste pas centrée surl’événement déclenchant, mais déborde sur lesautres champs de conscience du sujet, nondirectement liés à l’éventuelle perte.

Elle réalise ainsi ce que l’on qualifie de douleurmorale, qui revêt parfois un côté indicible pour lepatient qui, confronté à une expérience nouvelle, netrouve pas de mots pour en exprimer la teneur.

Les sentiments du sujet sont souvent abrasés,allant jusqu’à une certaine anesthésie affective,fortement culpabilisée lorsqu’elle touche égalementl’entourage proche, conjoint, enfants, parents. Lesujet ne réagit plus aux sollicitations ni auxmanifestations d’affection de cet entourage. Il paraîtdistant, lointain, détaché.

L’anhédonie se caractérise par une perte desintérêts, du goût et des plaisirs habituels. Le sujet nerecherche plus les sources habituelles de plaisir et dedétente, et n’éprouve plus rien lorsqu’il parvientencore à se mobiliser pour leur recherche. Laparticipation affective est atténuée, voire absente.

L’image que le sujet a de lui-même est souventaltérée. Il s’adresse des reproches, rumine sur des

Principaux éléments de diagnosticd’un syndrome dépressif

✔ Tristesse pathologique : qualitéparticulière de l’humeur dépressive.✔ Ralentissement moteur.✔ Ralentissement psychique.✔ Signes somatiques :– anorexie ± perte de poids ;– asthénie ;– insomnie ;– fluctuations nycthémérales.✔ Rupture par rapport à l’étatantérieur.

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échecs passés, ne se sent plus à la hauteur dans lamajorité des situations rencontrées, éprouve unsentiment de perte de l’estime de soi, très pénible etrarement formulé spontanément en raison dessentiments de honte qui s’y associent, pouvant allerjusqu’aux idées d’indignité du tableau mélancolique.

Les pleurs, qui peuvent alerter l’entourage, sontparfois fréquents, répétés, le sujet ne parvenant pasà les expliquer. Les crises de larmes sont ainsidécrites comme survenant sans raison, de manièrebrutale et impromptue. Dans les états les plussévères cependant, la capacité à pleurer estdépassée, le sujet apparaissant alors prostré, figédans une douleur morale qu’il ne peut pluscommuniquer.

En dehors des cas de mutisme ou de mélancoliedélirante, le sujet est capable de faire part ducaractère nouveau de cette expérience. Il se trouvechangé, ne se reconnaît plus dans sa façon de sepenser et de penser le monde. Ce constat qu’il peutfaire est comme tous les autres, pénible etdouloureux.

La notion de changement perçue par le sujet dansson être par rapport à un état antérieur estimportante à préciser, et permet souvent d’aider àdifférencier les simples réactions dépressives, où lesujet a des difficultés à s’adapter à une situationnouvelle, à un stress quelconque, de l’épisodedépressif où il se sent lui-même différent. Et sicertains sujets déprimés disent parfois qu’ils se sontsentis ainsi « depuis toujours », l’entourage agénéralement constaté un changement chez lepatient, une sorte de rupture dans sa trajectoire.

‚ Ralentissement

Composante motrice

Les gestes sont plus lents, réduits en ampleur eten quantité. L’expressivité faciale est atténuée, voireabsente (sujet hypo- ou amimique), les traits sontfigés, tirés, et le front est barré du classique « omégamélancolique ». La voix est monocorde et neprésente plus les habituelles modulationsprosodiques.

L’activité physique du sujet est diminuée dans sonensemble. Le patient limite ses déplacements,devenant aboulique, parfois clinophile. Les soinspersonnels et l’hygiène sont négligés, aboutissant àl’incurie. Au maximum, le tableau est celui de lastupeur, où le sujet, prostré, ne présente plus aucuneréaction, ne bouge ni ne parle plus.

Composante psychique

Les capacités de concentration et d’attention sontaltérées. Le sujet a plus de mal à associer ou àenchaîner ses idées. Il paraît absent, lointain, lalatence de réponse aux questions, même simples,est augmentée, le débit verbal est lent, le discoursplus pauvre.

Le contenu des pensées est moins varié. Ledéprimé a des difficultés à passer d’un sujet à l’autreavec souplesse, et il a tendance à revenirsystématiquement sur des pensées en rapport avecson humeur dépressive, à s’y « engluer ». Lesruminations l’envahissent, il ne peut y échapper, yrevient sans cesse, ce qui confine parfois aumonoïdéisme.

Le déprimé est conscient de ses difficultés, quiretentissent sur ses performances intellectuelles,dans les domaines scolaire ou professionnel. Labaisse du rendement scolaire ou professionnel et la

perte de la capacité à assurer comme avant sestâches quotidiennes sont des éléments importantsdu diagnostic de dépression. Il s’agit là encore d’unerupture par rapport au fonctionnement habituel dusujet.

‚ Symptômes somatiques

Déjà évoqués dans les signes d’appel de ladépression, ce sont :

– les troubles du sommeil, en particulier lesréveils matinaux précoces ;

– l’anorexie avec ou sans perte de poids ;– l’asthénie.Les fluctuations nycthémérales de la symptoma-

tologie dépressive sont également à ranger danscette rubrique, en particulier l’aggravation matinalede la symptomatologie avec amélioration vespérale.

Ces symptômes somatiques font classiquementpartie des « critères d’endogénicité » du troubledépressif, c’est-à-dire signant une participationbiologique au processus dépressif. Cependant, cettedistinction dépression endogène/dépressionexogène est actuellement remise en cause .

Le concept de « dépression névrotique » est eneffet abandonné dans le nosographie psychiatriqueactuelle. On estime qu’un trouble avéré de l’humeurrelève d’un processus pathogénique en partiebiologique, avec réactivité au traitementantidépresseur, en dehors des cas particuliers derésistance.

■Formes cliniques

‚ Formes symptomatiques

Accès mélancolique

Le terme de mélancolie prête actuellement àconfusion. Il revêt différentes significations selon lesystème diagnostique que l’on adopte, selon lesréférences théoriques.

Les classifications internationales désignent eneffet par mélancoliques un ensemble de symptômesattribués aux perturbations biologiques de ladépression, et qui correspondent aux critèresclassiques « d’endogénicité ».

Certains auteurs utilisent le terme de mélancoliepour qualifier l’intensité particulièrement sévère d’unétat dépressif.

De façon plus classique, en France, la mélancoliedésigne une thématique idéique particulière du sujetdéprimé, qui consiste en :

– idées d’indignité ;– idées de faute, de culpabilité ;– idées de ruine ;– idées d’incurabilité.L’accès mélancolique défini par cette thématique

a longtemps été considéré comme le prototype de ladépression survenant dans le cadre de la psychosemaniacodépressive. Or il s’avère que ces critères nesont pas pertinents pour différencier les épisodesdépressifs récurrents, à déterminisme biologique,d’autres épisodes dépressifs. En effet, les patientsmaniacodépressifs présentent des accès dépourvusde ces critères mélancoliques, que l’on peut enrevanche rencontrer dans des dépressions qualifiéesauparavant de « névroticoréactionnelles ».L’abandon de ces critères de mélancolie (il en va demême pour la mélancolie définie par la sévérité de

la dépression) s’est effectué de manière parallèle à laremise en question de la distinction entredépressions endogènes et dépressions psychogènes.

L’intérêt des auteurs se porte donc actuellementsur des signes supposés être en rapport étroit avecles perturbations biologiques rencontrées dans ladépression, signes qualifiés de « mélancoliques »dans le DSM IV, de « somatiques » dans la CIM-10.

La mélancolie définie de manière classique par lathématique évoquée plus haut n’a actuellement plusqu’une valeur descriptive, et sa présence n’est pas unfacteur permettant de prédire l’évolution, enparticulier vers un trouble récurrent ou bipolaire.Certains auteurs considèrent qu’elle dépend surtoutde la personnalité du sujet, de son histoirepersonnelle.

Dépressions stuporeuses

L’inhibition psychomotrice est ici à son degréd’intensité maximal. Le sujet est prostré, mutique,incurique, refuse de s’alimenter. Le risque vitalimpose en règle générale un traitement parsismothérapie.

Dépressions délirantes(mélancolies délirantes)

Idées délirantes et hallucinations sont fréquentesau cours des épisodes dépressifs. Ainsi, plus de lamoitié des patients maniacodépressifs (unipolaires etbipolaires) présentent des idées délirantes. De l’ordrede 20 à 25 % de ces patients ont des hallucinationsau cours des accès de la maladie.

La présence d’idées délirantes ou d’hallucinationsau cours d’un accès ne témoigne aucunement d’uneorganisation psychotique de la personnalité, del’existence d’un délire chronique, ou d’uneschizophrénie, même dysthymique.

Les idées délirantes les plus fréquemmentrencontrées sont des idées de culpabilité, de faute,avec châtiment réclamé par le patient, decatastrophe imminente, de danger pour ses proches,dont le patient peut s’attribuer la responsabilité, desidées hypocondriaques, le patient étant persuadéd’être atteint d’une maladie grave, incurable (cancer,sida), des idées de dysfonctionnement ou denégation d’organes (syndrome de Cotard), ou desidées de persécution. Les idées de persécution sontconsidérées comme congruentes à l’humeurlorsqu’elles ont un lien avec les idées de faute et deculpabilité, le patient estimant en quelque sortelégitime d’être suivi, épié, surveillé.

Les hallucinations sont le plus souvent auditives,parfois olfactives (odeurs de putréfaction,d’immondices, de décomposition), rarementvisuelles, dans ce cas toujours associées auxhallucinations auditives. Il s’agit de voix proférantdes menaces, tenant des propos diffamatoires,insultant le sujet, l’informant de ses péchés et de sonchâtiment.

Les hallucinations intrapsychiques à type dedivulgation de la pensée, de pensée imposée oud’influence sont plus rares, mais peuvent serencontrer, en dehors de tout processusschizophrénique.

Dépressions atypiques

Le terme d’atypicité est un terme ambigu, lespsychiatries françaises et anglo-américaines luiattribuant chacune un sens particulier. Pour lespsychiatres américains (et le DSM IV), il s’agit d’une

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dépression présentant certaines particularitéssymptomatiques : hypersomnie, hyperphagie,sensation de lourdeur importante dans les membres,humeur réactive et sensibilité au rejet. En France, leterme d’atypicité renvoie à la schizophrénie. Unedépression « atypique » est une dépression chez unpatient schizophrène qui constitue alors souvent lapremière manifestation de cette maladie. Les signesd’atypicité sont essentiellement une froideur,l’humeur étant davantage abrasée que douloureuse,un mauvais contact, distant, réticent, une pauvretéde la thématique dépressive et des ruminations,plutôt « vides ». Cependant, il est souvent difficile deporter un diagnostic de schizophrénie à l’occasiond’un épisode de dépression, même en présence detroubles du cours de la pensée ou d’idées délirantes,et c’est l’évolution, sous antidépresseurs, quipermettra d’identifier le trouble. Il est préférabled’éviter dans un premier temps les neuroleptiques,dont le risque est d’induire une symptomatologied’aspect déficitaire, d’entraver la levée des signes deralentissement liés à une dépression, et donc, du faitde l’enrichissement de ce type de symptomatologieau cours du temps, de conforter à tort le cliniciendans une hypothèse de schizophrénie.

Formes masquées

¶ Dépression anxieuseDépression et anxiété sont des troubles

fréquemment associés. Un sujet présentant l’un deces troubles a un risque accru de présenter l’autrepar rapport à un sujet sain. Ainsi, les sujetspaniquants et ceux présentant un troubleobsessionnel compulsif (TOC) développentfréquemment des épisodes dépressifs. Cependant,l’existence de symptômes anxieux peut êtrestrictement contemporaine d’un épisode dedépression et s’y limiter.

On appelle dépression anxieuse un syndromedépressif avéré au cours duquel les manifestationsanxieuses sont au premier plan, parfois associées àune agitation. Le ralentissement est alors masquépar l’agitation, les déambulations et/ou la logorrhéeanxieuse. Le risque de passage à l’acte suicidaire estimportant dans ces formes anxieuses. L’anxiété varégresser à la faveur du traitement antidépresseur,mais son délai d’action impose souvent la

coprescription d’anxiolytiques afin d’apporter aupatient un soulagement rapide et de limiter le risquede raptus suicidaire.

¶ Dépression hostileLa dépression hostile est une forme de dépression

dans laquelle prédominent certains aspectscaractériels : réactivité, hostilité, agressivité,susceptibilité. Ce concept n’est pas univoque et faitvraisemblablement intervenir à la fois des élémentsbiologiques, en rapport ou non avec le processusdépressif, et des facteurs de personnalité. L’hostilitépeut ainsi régresser à la faveur du traitementantidépresseur, et être donc symptomatique de ladépression. Elle en est parfois le seul signe(intolérance au bruit, irritabilité avec les proches, lesenfants), et son apparition chez un sujet nedéveloppant habituellement pas ce type decomportement doit faire rechercher une dépression.

Dans d’autres cas, elle va persister après laguérison de l’accès dépressif, semblant plusconstitutive de la personnalité du sujet.

¶ Dépression « masquée »Les symptômes somatiques sont ici au premier

plan, et « masquent » la symptomatologie dépressiveproprement dite : troubles du sommeil, de l’appétit,de la libido, asthénie. Les douleurs sont fréquentes,sans étiologie lésionnelle avérée : céphalées,douleurs gingivofaciales (glossodynies), douleurspérinéales, troubles digestifs, urinaires, lombalgies.Ces douleurs ont souvent un caractère périodique, etpeuvent alterner avec des symptômes plus typiquesde dépression. Elles sont spectaculairementaméliorées par les antidépresseurs.

‚ Formes avec caractéristiquesévolutives particulières

Dépression du post-partum

Épisode dépressif majeur dans les suites del’accouchement, il est à distinguer du postpartumblues, dont les symptômes doivent disparaître auseptième jour après l’accouchement. La dépressiondu post-partum survient surtout dans les 3 premiersmois. Certains auteurs estiment cependant qu’unlien entre la grossesse, l’accouchement et lasurvenue d’un épisode dépressif peut être évoquéjusqu’à 2 ans après l’accouchement.

La dépression survenant dans le post-partumimpose une grande vigilance quant à la recherchede signes mélancoliques (dévalorisation, indignité,incapacité à s’occuper de son enfant, culpabilité) oudélirants (négation de la grossesse, du mariage, del’existence du bébé). Ils représentent en effet unrisque considérable de passage à l’acte suicidaire etd’infanticide, imposant alors une hospitalisationimmédiate et une surveillance rapprochée.

La dépression du post-partum représente souventle premier épisode d’une maladie maniacodé-pressive, d’autres épisodes pouvant survenir àl ’occasion de grossesses ultér ieures, ouindépendamment de celles-ci.

Dépressions saisonnières

Si dans le cours évolutif de la maladiemaniacodépressive les épisodes de dépression sontparfois sensibles aux saisons, survenantpréférentiellement à l’automne, on décrit desdépressions saisonnières hivernales ayant certainesparticularités symptomatologiques et considéréespar certains auteurs davantage comme un troubledu comportement saisonnier que comme un réeltrouble de l’humeur. Elles associent unehyperphagie, une prise de poids, une hypersomnie,une baisse de la libido, des difficultés deconcentration et des modifications émotionnelles(irritabilité, anxiété et susceptibilité davantage qu’unetristesse) pouvant entraîner une baisse dedynamisme professionnel. Le traitement classiquerepose sur la photothérapie.

‚ Particularités liées à l’âge

Dépression chez l’adolescent

L’humeur revêt moins souvent les caractéristiquesclassiques de la douleur morale. L’adolescent estmorose, davantage irritable et coléreux. Lesmodalités de l’agir étant privilégiées, le risquesuicidaire est important (le suicide est la premièrecause de mortalité des adolescents devant lesaccidents), de même que le risque de dévelop-pement de conduites addictives. Il faut s’attacher àrepérer les modifications comportementales etrelationnelles. La baisse des résultats scolaires et laréduction de la gamme des investissements sont dessignes d’alerte devant faire rechercher unedépression.

Dépression chez le sujet âgé

Les tentatives de suicide sont fréquentes chez lessujets âgés (augmentation de leur fréquence à partirde 65 ans), et elles aboutissent plus souvent ausuicide réussi en raison d’une intention létale plusforte et d’un terrain plus fragile. Elles s’intègrentessentiellement dans un contexte dépressif. Certainssignes de dépression peuvent être à tort attribués àune détérioration mentale débutante (troublesmnésiques, troubles de l’attention et de laconcentration). Il est ainsi classique de débuter untraitement antidépresseur devant un tableaudémentiel débutant, qui, dans le doute, permettrarétrospectivement de faire le diagnostic. Lesdépressions des sujets âgés s’expriment souvent surle mode de plaintes somatiques, malheureusementsouvent négligées, car considérées comme« habituelles » aux âges avancés.

Il faut systématiquement évoquer une dépression devant :

✔ une anxiété (dépression anxieuse), en particulier une symptomatologie anxieused’apparition récente chez un sujet n’ayant pas de tempérament anxieux, ou chezun sujet anxieux qui présente une recrudescence de ces manifestations.✔ un changement de comportement : une modification de caractère, en particulierune irritabilité, une agressivité, une intolérance au bruit, une susceptibilité, ainsiqu’une conflictualisation des rapports avec l’entourage doivent faire rechercherune maladie dépressive, notamment quand elles représentent une rupture parrapport au comportement habituel du sujet (dépression hostile).✔ des douleurs atypiques (dépression masquée) : des douleurs non expliquées parune lésion organique, ou disproportionnées quand une telle lésion existe.✔ chez un adolescent qui devient morose, parfois coléreux et irritable, qui présentedes comportements transgressifs (vols, fugues, mensonges), une baisse des résultatsscolaires, le risque étant de considérer ces symptômes comme l’expression d’une« banale » crise d’adolescence.✔ chez un sujet âgé plaintif sur le plan somatique, asthénique, dont les facultésintellectuelles paraissent s’altérer. Il faut éviter d’attribuer ce type demanifestations au vieillissement « normal ».

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■Diagnostic étiologique

‚ Trouble dépressif associé/secondaireou trouble dépressif primaire

Le diagnostic de dépression posé, il va alors s’agirde différencier les dépressions secondaires à uneautre pathologie, des dépressions s’intégrant dansun trouble thymique primaire. Cette distinction n’estpas toujours aisée à faire dans la mesure oùl’existence de facteurs « dépressogènes » ne permetpas d’éliminer un trouble thymique primaire. Eneffet, les épisodes de la maladie maniacodépressivene se déclenchent pas toujours spontanément, etsont souvent précipités par des facteursenvironnementaux. Ainsi, une dépression survenantdans les suites d’un traitement par corticoïdes peuttrès bien représenter l’épisode inaugural d’un troubleprimaire de l’humeur.

Certains éléments sont alors en faveur d’untrouble primaire de l’humeur :

– la persistance de la symptomatologiedépressive alors que les facteurs dépressogènespotentiels ont été levés ou traités (autonomisationde la symptomatologie dépressive) ;

– la récurrence ;– la présence d’antécédents familiaux de troubles

de l’humeur.L’entretien avec le patient et l’examen somatique

vont permettre de repérer des pathologies médicalesou psychiatriques susceptibles de jouer un rôle dansl’apparition d’un syndrome dépressif. L’existenced’une pathologie dépressogène va justifier letraitement spécifique de cette pathologie. Lesantidépresseurs seront indiqués en cas depersistance de la symptomatologie dépressivemalgré le traitement de l’affection primaire, ou demanière systématique dans certains cas, notammentlorsque la dépression est secondaire à une autrepathologie psychiatrique.

Par exemple, la symptomatologie dépressive,extrêmement fréquente dans les suites du sevragechez un patient alcoolique, ne justifie de traitementantidépresseur que si elle persiste au-delà deplusieurs semaines ou s’il existe par ailleurs untrouble primaire de l’humeur.

En revanche, un syndrome dépressif survenantdans l’évolution d’un trouble anxieux (troublepanique ou TOC) va nécessiter la prescriptiond’antidépresseurs.

Dépression et maladies somatiques

¶ Dépression et maladies neurologiques

¶ Dépression et maladies endocriniennesou métaboliques

¶ Autres pathologies somatiques associéesà des syndromes dépressifs

¶ Dépression et prise médicamenteuse (tableau II)

Dépression et autres troubles psychiatriques

¶ Dépression et alcoolL’association entre alcoolisme et troubles de

l’humeur est fréquente. On distingue habituellementles dépressions secondaires survenant chez un patientalcoolique et les conduites d’alcoolisation secondairesdes sujets présentant un trouble de l’humeur.

Les sujets déprimés peuvent avoir recours àl’alcool, alors souvent utilisé à des fins que l’onpourrait qualifier de thérapeutiques, en raison des

effets euphorisant et anxiolytique de l’alcool. Il estessentiel de repérer ces conduites dans la mesure oùl’alcool a un effet dépressogène au long cours et qu’ilconstitue un facteur de résistance au traitementantidépresseur. La prise d’alcool lors d’étatsdépressifs représente en outre un risque accru depassage à l’acte suicidaire.

Chez les sujets maniaques, la prise d’alcool s’associeà la libération instinctuelle qui les caractérise (multiplicitédes contacts sociaux et des occasions festives).

On décrit des alcoolismes périodiques, quecertains auteurs considèrent comme des« équivalents dépressifs », qui pourraient bénéficierde la prescription de thymorégulateurs.

Dans le cadre de l’alcoolisme primaire, ladépression survient dans plus de la moitié des cas.Toutes les formes de dépression peuvent serencontrer, comme les épisodes dépressifs majeurs,mais la dysthymie semble être le tableau le pluscourant. L’apparition d’un syndrome dépressif chezun alcoolique peut être un moment favorable dansla mesure où elle peut entraîner une démarche desoins. La prescription d’antidépresseurs doits’accompagner d’une prise en charge spécifique del’alcoolisme et d’un abord psychothérapique(psychothérapie de groupe et/ou individuelle).

Dans les jours et semaines qui suivent un sevrage,la présence d’affects dépressifs est fréquente, et nejustifie pas l’utilisation immédiate d’antidépresseurs.La psychothérapie aidera l’alcoolique dans lesaménagements psychologiques nécessaires induitspar l’abstinence. Seule la persistance des affectsdépressifs et leur organisation en un véritablesyndrome dépressif pourront déboucher sur unprescription d’antidépresseurs.

Des épisodes dépressifs majeurs peuventégalement survenir des mois après un sevrage. S’ilsne masquent pas la reprise de la consommationd’alcool, ils justifient un traitement spécifique.

¶ Dépression et troubles anxieux

L’association entre troubles dépressifs et troublesanxieux est extrêmement fréquente. De nombreusesétudes utilisant le concept de « comorbidité » (quireprésente une association statistique entre deux typesde troubles sans faire intervenir de relations causales ouétiopathogéniques entre eux) l’évaluent à plus de 50 %.

En pratique clinique courante, il est cependantessentiel de repérer le trouble primaire, la prise encharge dépendant en effet de cette analyse. Parexemple, dans la dépression anxieuse (cf « Formescliniques »), il est essentiel de faire le diagnostic detrouble de l’humeur (qui repose sur la notion depériodicité et la présence de symptômes dépressifs)pour éviter une prescription qui se limiterait à desanxiolytiques, non curatifs, dont une conséquencepourrait être l’évolution dramatique vers lachronicité de la dépression.

Tous les troubles anxieux (névrotiques) sontsusceptibles d’entraîner des états dépressifssecondaires. Les patients souffrant de troublesdissociatifs (hystériques conversifs) ou de TOC

Principales maladies neurologiquesassociées à des syndromes dépressifs

✔ Maladie de Parkinson.✔ Sclérose en plaques.✔ Démences : maladie d’Alzheimer,maladie de Pick.✔ Accidents vasculaires cérébraux.✔ Tumeurs.✔ Chorée de Huntington.✔ Épilepsie.

Principales pathologies endocrinienneset métaboliques associées à dessyndromes dépressifs

✔ Corticosurrénales : syndrome deCushing, hypocorticisme (maladied’Addison).✔ Thyroïdes : hypothyroïdie,hyperthyroïdie.✔ Parathyroïdes : hyperparathyroïdie,hypoparathyroïdie.✔ Diabète.✔ Avitaminose B12 (maladie deBiermer).✔ Carence en folates.

✔ Maladies Infectieuses : encéphalitesvirales et bactériennes ; sida.✔ Maladies chroniques : collagénoses.✔ Maladies cardiovasculaires(hypertension artérielle).✔ Insuffisance rénale et hémodialyse.✔ Pathologie tumorale.

Tableau II. – Médicaments et toxiques poten-tiellement dépressogènes.

Traitements cardiologiquesAntihypertenseurs centraux

— alphaméthyldopa (Aldomett)— bêtabloquants passant la barrière hémato-

méningée— inhibiteurs calciques— digitaliques

AntiulcéreuxCimétidine (Tagamett)

Corticoïdes

ImmunosuppresseursInterféron

AntituberculeuxIsoniazide (Rimifont)

Traitements neuropsychiatriquesNeuroleptiquesL-dopa

ToxiquesAmphétaminesAlcool

Principaux troubles anxieux àl’origine de syndromes dépressifs✔ Trouble panique.✔ Troubles phobiques : phobiesociale.✔ TOC.

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peuvent ainsi rencontrer au cours de leur parcoursun épisode dépressif, qui représente alors unerupture, qu’il s’agira de différencier d’une simplemajoration des symptômes névrotiques à la faveurd’une situation de stress ou d’un conflit.

Deux types de troubles anxieux sont particuliè-rement exposés au risque de décompensationdépressive, le trouble panique (répétition fréquented’attaques de panique ou crises d’angoisse aiguë) etles troubles phobiques. Les sujets paniquants ayantun risque suicidaire élevé, comparable aux patientsdépressifs, la survenue d’un épisode dépressif chezces patients augmente considérablement ce risqueet doit inciter à la plus grande vigilance.

¶ Dépression et schizophrénieTroubles de l’humeur et schizophrénie peuvent

s’associer dans une entité particulière dont les limites,voire l’existence, sont discutées : la schizophréniedysthymique. En dehors de cette affection, la dépressionsemble représenter une modalité évolutive ou unecomplication dans 25 % des cas de schizophrénie.

La dépression postpsychotique se caractérise parla survenue d’une symptomatologie dépressive audécours immédiat d’un accès psychotique aigu. Sapathogénie et son traitement sont discutés : « deuil »du délire dans une perspective psychanalytique,prise de conscience douloureuse du handicap lié à lamaladie, effets secondaires des neuroleptiques.Selon les cas, on aura recours à une diminution desneuroleptiques, à une prescription de correcteurs ouà un traitement antidépresseur.

On décrit en revanche d’authentiques étatsdépressifs survenant chez des patients schizophrè-nes stabilisés, qui présentent les caractéristiqueshabituelles des dépressions et constituent égalementune rupture dans la trajectoire du sujet. Laprescription d’antidépresseurs se justifie aux doseshabituelles. Le risque de déclencher un épisodeproductif délirant par l’utilisation d’antidépresseurs,en particulier tricycliques, est très discuté et de toutefaçon limité par le maintien des neuroleptiques.

¶ Dépression et hystérie

■Évaluation du contexte

L’évaluation du contexte de vie du sujetdéprimé est importante à plus d’un titre. Outre lerepérage de facteurs éventuel lementdéclenchants de la dépression, elle doit mettre enévidence les interactions du sujet avec sonenvironnement, et permettre de mesurer lesfacteurs susceptibles d’aggraver ou de chroniciserle processus dépressif, les facteurs de risque depassage à l’acte suicidaire, les facteurs protecteursde ce risque et les facteurs pouvant favoriser larécupération du sujet déprimé.

‚ Contexte médical

Il a déjà été évoqué au paragraphe précédent. Ils’agit de repérer les pathologies somatiques et lestraitements médicamenteux pouvant jouer un rôledépressogène.

Le recueil de ces données s’appuie non seulementsur l’examen clinique, mais également sur uninterrogatoire minutieux, dont on profitera pourrechercher les antécédents éventuels de dépressiondu sujet lui-même, la nature et la durée destraitements prescrits, ainsi que les antécédentsfamiliaux de dépression.

La prise d’alcool sera également recherchée. Leproblème complexe de l’association dépression-alcoolisme a été abordé au paragraphe précédent.

‚ Contexte psychologique et social

L’environnement familial, la proximité, nonseulement géographique, mais également affective,la qualité des liens, la vie affective du sujet, la relationde couple et la présence d’enfants sont autant deparamètres à prendre en compte, avec commeobjectif l’évaluation des interactions du sujet avec cetenvironnement, et plus particulièrement lesmodifications de ces interactions, induites par leprocessus dépressif. Il s’agit d’éléments pouvantéventuellement avoir un lien avec l’installation de ladépression, mais surtout d’éléments avec lesquels lepraticien devra compter pour adapter sa prise encharge.

Le contexte social et professionnel sera appréciéavec les mêmes objectifs : recherche de facteursdéclenchants et mesure des interactions entre lesujet et son milieu socioprofessionnel.

L’évaluation de la personnalité du patient estégalement indispensable, mais particulièrementdélicate à effectuer en période de dépression, leprocessus dépressif pouvant altérer l’expression destraits de personnalité, aussi bien dans le sens del’accentuation que dans celui de l’atténuation, ouencore dans l’expression de manifestations« caractérielles » inhabituelles chez le sujet.

Elle sera au mieux confiée au spécialiste.

■Recherche

des éléments déterminants

pour la prise en charge

‚ Éléments liés au patient

Existence d’une idéation suicidaire

La question doit être posée systématiquement àtout sujet déprimé. Il est irrationnel de penser que laformulation d’une telle question puisse représenterpour le sujet n’ayant pas ce type d’idéation unesuggestion, voire une incitation. Le sujet peutexprimer directement une idéation suicidaire, avecparfois des projets bien établis, qu’il convient làencore de toujours rechercher. Parfois, l’idéationsuicidaire s’exprime de manière plus indirecte, autravers de sentiments d’inutilité, de péjoration del’avenir, de désespoir, de fatigue, d’abandon de lalutte. La mort n’est pas vraiment désirée, mais l’arrêtde la vie est envisagé comme l’arrêt de la souffranceet comme la seule issue.

Au pire, chez le sujet mélancolique, elle estcachée, niée, et un projet établi et déterminé desuicide peut lui permettre de « tenir » jusqu’àl’échéance, en masquant la souffrance dépressive.

Une situation fréquente et un piège diagnostique

Le concept de « dépression névrotique », facilement utilisé lorsque s’associent dessymptômes hystériques et dépressifs, amène à proposer une réponsepsychothérapique. Or ce concept est actuellement discuté, et la tendance actuelletend à considérer que des éléments biologiques interviennent dans toute forme dedépression, impliquant donc le recours aux antidépresseurs dans les dépressionsdites « névrotiques ».Le danger de ce type de situation est en fait surtout de méconnaître une dépressionchez un patient présentant des comportements hystériques (théâtralisme, sensibilitéexacerbée à l’environnement, attitudes séductrices, affects labiles), dont l’aspect« inauthentique » et le côté « agaçant » (contre-transfert négatif) peuvent amener lepraticien à écarter le diagnostic de dépression, avec les conséquences inhérentes àune dépression non traitée.Certains éléments sont alors en faveur d’une pathologie dépressive :– début tardif des manifestations « hystériques » (les manifestations de l’hystérie-maladie, accidents de conversion, ou de l’hystérie-personnalité, mode relationnel,doivent se repérer dès la fin de l’adolescence) ;– modification du comportement (appréciée surtout par l’entourage) ;– rupture avec le fonctionnement habituel (exemple : une première tentative desuicide à 40 ans survenant chez une hystérique doit faire suspecter unedécompensation dépressive) ;– présence d’antécédents familiaux ou personnels de dépression.Le moindre doute justifie le recours au spécialiste.

Informations essentielles à obtenirpour tout sujet déprimé

✔ Sur la maladie :– date de début ;– antécédents de troubles de l’humeurpersonnels ou familiaux ;– traitements déjà suivis et efficacité ;– antécédent(s) d’hospitalisation(s) etraisons ;– idéation suicidaire et antécédents detentatives de suicide.✔ Sur le contexte :– facteurs déclenchants, facteurs destress ;– activité professionnelle :retentissement de la dépression ;– affectif ;– familial ;– ressenti par le sujet des attitudes del’entourage.

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Signes de gravité de la dépression

■ Intensité et durée de l’évolution du trouble.■ Caractère mélancolique de la dépression : la

thématique des ruminations dépressives consiste endes idées de faute, d’indignité, de culpabilité, deruine, de déchéance sur tous les plans (physique,moral, social) .

■ Caractère délirant : les thèmes délirants les plusfréquemment rencontrés dans la dépression sontdes idées de référence (sentiment que tout ce qui estperçu, observé dans l’environnement, se rapporte àsoi, que le monde s’adresse à soi), de persécution, deculpabilité, de maladie (thèmes hypocondriaques dusyndrome de Cotard), avec des mécanismes intuitifs,interprétatifs, mais pouvant également êtrehallucinatoires (voix proférant des injures, desmenaces, confortant en quelque sorte le sujet dansl’idée qu’il se fait de lui-même).

Personnalité du sujet

Élément important dans l’évaluation pronostiqueet la mise en place d’un projet thérapeutique, elledemande en principe un avis spécialisé compte tenudes difficultés évoquées plus haut.

Qualité de la relation médecin/malade

Elle est essentielle à apprécier avant de décider detout projet thérapeutique qui, en matière dedépression, s’inscrit dans la durée. La prescriptiond’antidépresseurs devant s’appliquer sur des duréesd’au moins 6 mois, à posologies efficaces, ets’accompagnant de certains effets indésirables, il estessentiel qu’existe une relation de confiance. Celle-cipermettra de limiter les risques d’arrêts intempestifsdes traitements, ou de poursuite à dosesinfrathérapeutiques, donc sans efficacité, situationsmalheureusement extrêmement fréquentes enmatière de dépression.

‚ Éléments liés à l’entourage

Retentissement des troubles sur l’entourage

L’entourage d’un déprimé reste rarementindifférent. Le trouble dépressif induit régulièrementdes modifications des relations du sujet qui en estatteint avec son entourage. Des attitudes souventinadaptées se développent, résultant de plusieursfacteurs amenés par la survenue du trouble :inquiétude, incompréhension, anxiété. Les attitudesainsi rencontrées vont de la surprotection, avecfavorisation d’un comportement régressif, au rejethostile et agressif, en passant par des incitations etinjonctions multiples faites au déprimé de réagir, dene pas se « laisser aller ». Le résultat est alors une

augmentation du sentiment d’exclusion du dépriméet/ou une rupture de communication avecl’entourage qui majore les attitudes inadaptées.

Capacité de l’entourageà comprendre la dépression

Les déprimés disent régulièrement qu’on ne peutcomprendre la dépression si l’on n’est pas « passé parlà ». L’entourage du déprimé est la plupart du tempsdans cette situation d’incompréhension, devant unprocessus qui dépasse le déprimé lui-même. Il est donccapital de donner une information sur la maladiedépressive à l’entourage du patient et d’apprécier sacapacité à intégrer la notion de maladie, qui dépassela simple volonté du patient.

Capacité de l’entourage à accompagnerle patient vers la guérison

Cette capacité suppose que la nature du trouble adéjà pu être intégrée. Il s’agit alors de discuter lesattitudes éventuellement délétères de la famille,d’ailleurs souvent demandeuse de conseils en lamatière. Cependant, certaines situations (tauxd’anxiété intrafamilial élevé, réactivation d’un conflitconjugal) provoquent de telles contre-attitudes quel’hospitalisation est indiquée.

■Place de la famille

dans la prise en charge

La recherche des éléments évoqués ci-dessusimplique donc un entretien avec la famille dudéprimé. La rencontre avec la famille est une règlequasi absolue. Il est hors de question, dans cepremier temps de l’évaluation et de la mise en placed’un projet thérapeutique, de se placer d’embléedans une position psychothérapeutique, qui elleseule pourrait justifier de réserver au patient unespace dans lequel la famille ne pourrait faire« intrusion ».

Il est cependant des cas où le patient lui-même varefuser que le praticien rencontre sa famille, devantinciter celui-ci à une grande prudence et à recourir àun avis spécialisé. Il peut en effet s’agir de tableaux dedépression délirante, où le sujet développe unethématique de persécution centrée sur l’entourage, oude situations de conflit familial, qui de toute façoncompliquent considérablement la prise en charge dupatient.

L’entretien avec la famille du déprimé a doncplusieurs objectifs, que l’on peut résumer ainsi :

– recueil d’informations : sur la santé du patientau travers du regard de l’entourage, sur l’entouragelui-même et sa capacité à soutenir le déprimé ;

– explicitation du trouble et du projetthérapeutique ;

– information sur les attitudes à adopter et cellesà éviter.

■Prise en charge

du patient déprimé

La reconnaissance d’un syndrome dépressifimpose la presription d’antidépresseurs. Lemaniement de ces produits et les règles deprescription dans les différentes formes cliniques dedépression sont détaillés au chapitre « Troublesthymiques ».

Le praticien généraliste qui conduit un teltraitement antidépresseur sera probablementamené à recourir aux conseils du spécialiste dans lessituations suivantes :

– présence d’un risque suicidaire ;– présence d’un trouble de la personnalité

compliquant la prise en charge et entraînant unemauvaise compliance aux soins ;

– perturbation du contexte familial ;– présence d’un autre trouble psychiatrique

associé ;– résistance aux traitements prescrits ;– refus de soins ;– indication d’hospitalisation.

La collaboration avec le psychiatre, car il doits’agir d’une collaboration et non d’un adressagesans retour, repose alors sur quelques règlesélémentaires de respect des champs d’interventionde chacun, qui doivent être préalablement définis. Larépartition des rôles est abordée dans les différentschapitres de l’Encyclopédie Pratique de Médecineconsacrés aux troubles psychiatriques et à leursstratégies thérapeutiques.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Syndrome dépressif.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0080, 1998, 7 p

R é f é r e n c e s

[1] Ferreri M, Heim A. Conduite à tenir devant un syndrome dépressif.EncyclMed Chir(Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-876-A-10, 1995 : 1-6

[2] Leguay D. Épidémiologie des troubles dépressifs. In : Lepine JP, Rouillon F,Terra JL eds. Épidémiologie psychiatrique. Paris : JP Goureau-IEEP,1995 : 171-185

[3] Olie JP, Poirier MF, Loo H. Les maladies dépressives. Paris : FlammarionMédecine-Sciences, 1995

Indications d’hospitalisation

✔ Mélancolie délirante.✔ Mélancolie avec idéation suicidaire.✔ Dépression avec idéation suicidaireet risque de passage à l’acte.✔ Dépression avec refus alimentairequi engage le pronostic vital (sujetâgé en particulier).✔ Dépression associée à d’autrestroubles, en particulier troubles de lapersonnalité, laissant augurer d’unemauvaise compliance.✔ Entourage défaillant ayant desattitudes négatives à l’égard du sujetdéprimé.

Syndrome dépressif - 7-0080

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Syndrome d’excitation

C Zeitter

E xcitation, exaltation, euphorie morbide, expansivité, manie, autant de termes utilisés pour désigner des étatsoù prédomine l’hyperactivité d’un sujet qui perd le contrôle de lui-même, et dont le prototype en pathologie

psychiatrique est l’accès maniaque. Le diagnostic est parfois difficile et l’interrogatoire de la famille souvent primordial,en raison du manque de lucidité du patient vis-à-vis de ses troubles. L’instauration précoce d’un traitement est lemeilleur garant d’une récupération rapide et de bonne qualité.© Elsevier, Paris.

■Définition d’une excitation

pathologique

L’euphorie n’est pas retrouvée dans tous les étatsd’excitation, même lorsqu’il s’agit d’états maniaques(on décrit des manies « dysphoriques »), et neconstitue donc pas le symptôme permettant dedéfinir ces états.

L’excitation se décrit en fait selon ses deuxcomposantes principales :

– l’excitation psychique ou intellectuelle ;– l’excitation motrice ou comportementale.Il faut différencier les états d’excitation des états

d’agitation qui sont abordés au chapitre desurgences psychiatriques. L’excitation peut donnerlieu à une agitation, parfois sévère, comme dans lecas des « manies furieuses », mais il existe denombreuses autres causes aux états d’agitation.

■Circonstances où l’on doit

évoquer un état d’excitation

‚ Symptômes d’alerte

InsomnieElle peut être le motif de consultation et la seule

plainte exprimée.

Troubles de la concentration

Des difficultés à fixer son attention peuvent êtreen rapport avec une tachypsychie, une fuite desidées, une dispersion idéique.

Perte de poids

Elle est liée à l’hyperactivité et à une négligencealimentaire.

« Nervosité »

Patient « impatient » qui ne tient pas en place,parle beaucoup, avec une gestuelle importante,coupe la parole à son interlocuteur, a du mal àrassembler ses idées, et pour qui le médecin ne voitpas « où il veut en venir ».

Changement de comportement

Pour un patient bien connu, il se caractérisevolontiers par une désinhibition, une familiaritéexcessive, un sentiment de bien-être complet, desprojets multiples et parfois grandioses.

Modifications des conduites

En particulier un début d’alcoolisation chez unpatient non connu pour une telle appétence.

Entourage (+++)

La famille sollicite souvent le médecin alors que lepatient n’exprime aucune demande, ce qui estcaractéristique des états d’excitation où lareconnaissance du caractère morbide des troublespar le patient lui-même est très mauvaise. (Àl’inverse, le médecin doit faire appel à la famillelorsqu’il repère les symptômes d’alerte évoquésci-dessus.) L’avis de la famille est essentiel, car denombreux patients maniaques sont tout à faitcapables de se contenir et de donner le change danscertaines situations :

– consultation avec le médecin : le cadre de laconsultation, la présence du médecin qui questionneet oriente le patient lui permettent de contrôlerl’excitation ;

– domaine professionnel : jusqu’à un certaindegré, l’hyperactivité peut être efficace et appréciéepar l’entourage professionnel ;

– domaine social : la désinhibition, la facilité decontacts, l’euphorie « entraînante » peuvent êtreappréciées et non repérées comme pathologiques.

En revanche, l’entourage proche va repérer dessignes, et en particulier une rupture par rapport aucomportement habituel du sujet. Le sujet est alorsdécrit comme épuisant, tyrannique, voulant imposerà sa famille un rythme qu’elle a de plus en plus demal à suivre.

L’hyperactivité ainsi constatée par les proches,associée à une insomnie dont le patient ne se plaintpas forcément, ne ressentant pas le besoin de sereposer, sont alors des éléments fondamentaux dudiagnostic de l’état d’excitation.

‚ Nécessité d’effectuer un diagnosticle plus précocement possible

Il est donc parfois difficile de repérer ce type detrouble, mais il est essentiel de s’en donner lesmoyens (l’appel à la famille est indispensable), pourdeux raisons essentielles : les risques majeurs liés àcet état pathologique et la nécessité de la précocitéd’un traitement.

Risques majeurs directement liés à cet étatpathologique

■ Sociaux : rupture, désinsertion, comportementsdélictuels liés à la désinhibition (passages à l’actehétéragressifs, désinhibition sexuelle).

■ Professionnels : perte d’emploi en raison destroubles du comportement, difficultés à retrouverune activité professionnelle (temps de récupérationaprès l’accès, période d’inactivité mal justifiée auxyeux d’un employeur).

■ Affectifs : perturbation des relations conjugalespouvant entraîner une rupture.

Nécessité impérieuse d’instaurer précocementun traitement

C’est le meilleur garant d’une récupération rapideet de bonne qualité.

■Diagnostic de syndrome

d’excitation

‚ Excitation intellectuelle

Elle se caractérise par une accélération de lapensée. Le sujet ressent, dans les formes débutantesou d’intensité modérée, une facilitation intellectuelle,une augmentation de ses capacités, de sesperformances. Les pensées s’enchaînent plusrapidement, avec une grande vivacité. Si, danscertains cas, cette excitation peut être mise à profitpar le sujet, dans la majorité des cas, existent unemballement et une perte de contrôle, dont il n’asouvent pas conscience.

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La tachypsychie se traduit alors par une logorrhéeintarissable qui ne laisse aucune place à l’écoute del’autre. Le sujet ne se laisse pas interrompre, coupe laparole à son interlocuteur. Le discours, accéléré, estégalement perturbé dans sa qualité : les idées sontoubliées sitôt pensées, de telle sorte que le discourssemble perdre de sa logique, émaillé de digressions,de coq-à-l’âne, les idées n’étant plus développéesjusqu’à leur terme (perte du but). Au maximum, lediscours peut paraître incohérent, désorganisé.

Les capacités de concentration et d’attention sontaltérées, le sujet est distractible et réagit au moindrestimulus externe. Ainsi, malgré les sentiments depuissance et de performance, le rendement et laproduction du sujet sont réduits. Les multiples projetsne sont pas réalisés, l’excitation intellectuelle eststérile.

‚ Excitation motrice

Hyperactif, le sujet ne tient pas en place, se lanceavec frénésie dans de multiples activités, qu’ils’agisse de tâches habituelles ou de projetsnouveaux, dans des champs variés : travail,distractions, sports, rencontres. Il ne supporte aucuntemps mort, doit sans cesse être en mouvement.L’aspect pathologique réside essentiellement danscette incapacité à ne pas agir. Là encore, cettedébauche d’énergie ne donne pas lieu à laréalisation correcte des projets entrepris, le sujet estdispersé et son hyperactivité brouillonne.

En situation d’entretien, le sujet est incapable derester assis, se lève sans cesse, déambule.

L’excitation psychomotrice s’accompagne detroubles des fonctions instinctuelles, et en particulierd’une réduction du temps de sommeil, pouvant allerjusqu’à l’insomnie totale, mais dont le sujet ne seplaint pas forcément, profitant de ce tempssupplémentaire de veille pour ses activités.

Une hyperphagie peut s’observer, de mêmequ’une consommation excessive d’alcool, mais lesujet perd parfois du poids, conséquence del’hyperactivité et d’une négligence de la prisealimentaire par « manque de temps ».

Le comportement sexuel peut se modifier, dans lesens là aussi d’une plus grande activité(hypergénésie), avec parfois des conduites àcaractère médicolégal (exhibitionnisme, agressionssexuelles).

Une asthénie survient après quelque temps, lesressources s’épuisant peu à peu.

‚ Euphorie

Caractéristique des états maniaques, illustrantl’aspect « thymique » du trouble, son caractèremorbide se traduit par sa permanence et sa relativeindépendance par rapport au contexte. Elle vientcolorer toute expérience, tout le vécu du sujet, demanière envahissante, comme le fait la tristessepathologique chez le déprimé. Le sujet éprouve unsentiment intense de bien-être, de joie, tout lui paraîtpossible, l’avenir est vu avec un optimisme sansbornes. Il rit, fait jeux de mots et calembours, semontre familier, désinhibé dans les relations sociales,abordant dans la rue des personnes inconnues.

Le rire alterne parfois subitement avec des crisesde larmes qui ne sont alors pas l’expression d’unmoment dépressif, mais plutôt celle d’unbouillonnement émotionnel.

Euphorie et désinhibition peuvent se conjuguerpour amener une prodigalité excessive et entraînerdes achats inconsidérés, avec des conséquencesfinancières parfois importantes.

L’euphorie est cependant parfois absente etremplacée dans environ 15 % des cas par unehumeur qualifiée de dysphorique, à tonalité triste,teintée d’irritabilité.

■Conduite à tenir devant

un syndrome d’excitation

Comme pour tout tableau associant troubles ducomportement et troubles du discours, et évoquantune maladie psychiatrique, l’examen somatique dupatient est indispensable. À l’exception des casd’agitation importante, nécessitant contention etsédation rapides, cet examen est le plus souventpossible, accepté par le patient, et permet de nouerun premier contact, de contenir et de rassurer, deparler avec le patient, et ainsi d’obtenir certainsrenseignements anamnestiques pouvant orienter lediagnostic.

La présence de la famille, qu’il convient doncimpérativement de solliciter, permet souventd’apporter des renseignements précieux que lepatient lui-même aura du mal à livrer en raison detroubles du cours de la pensée, d’une réticence oud’une hostilité, ou d’un manque de lucidité parrapport à ses troubles (cf supra).

Outre les éléments évoqués ci-dessus, on tenterade préciser la nature des troubles présentés, le modede début, les changements de comportement,l’existence de troubles du sommeil, d’éventuellesmodifications du caractère, et l’on rechercheral’existence de facteurs de stress psychologique,d’événements de vie, qu’ils soient de tonalitéagréable ou désagréable.

Au cours de l’examen, on recherchera toutparticulièrement des signes de confusion. Laprésence de tels signes doit faire suspecter en

premier lieu une origine organique aux troublesd’aspect psychiatrique, et faire pratiquer desexamens complémentaires à visée étiologique.Certaines circonstances doivent inciter à la plusgrande vigilance. Elles sont résumées ci-dessous.

La famille peut enfin être amenée à participer à laprise en charge, lorsqu’il s’agit d’hospitaliser contresa volonté un patient qui refuse des soins quis’imposent en milieu hospitalier psychiatrique(hospitalisation à la demande d’un tiers).

■Causes des états d’excitation

‚ Causes psychiatriques

Accès maniaque

Accès inaugural ou dans le cours évolutif d’unemaladie maniacodépressive, il associe dans sa formetypique l’excitation psychomotrice, l’euphorie, lestroubles du sommeil, un sentiment de puissance, desidées de grandeur. Le début est souvent brutal,précédé parfois de quelques nuits d’insomnie quisont davantage à considérer comme un symptôme« avant-coureur » que comme la cause de l’accès,bien que les privations de sommeil puissentdéclencher des accès maniaques.

Il existe des formes où l’agitation prédomine,parfois incontrôlable (manies furieuses), des formesdélirantes (idées religieuses ou mystiques de mission,idées de grandeur, de possession, de dons, depouvoirs, idées de filiation grandiose, parfois depersécution) à mécanismes souvent intuitifs etparfois hallucinatoires, des formes atténuéesqualifiées d’hypomanies, où l’entourage sera d’unegrande aide pour aider au repérage des troubles.

Schizophrénie

Les patients schizophrènes peuvent présenter,dans l’évolution de la maladie, des accès dépressifsfrancs, mais aussi des accès d’excitation. Lorsque cesaccès thymiques se répètent de manière périodique,on parle alors de schizophrénie dysthymique.L’accès maniaque chez le schizophrène secaractérise par certains signes d’ « atypicité » :

Éléments à rechercher au cours del’examen :✔ antécédents médicaux ;✔ histoire personnelle d’accèsantérieurs similaires ;✔ antécédents d’épisodes dedépression ;✔ antécédents familiaux dedépression ou d’accès maniaques ;✔ existence d’un suivi psychiatrique ;✔ nature d’un éventuel traitementpsychotrope ;✔ prises médicamenteuses ouchangements récents de traitement ;✔ prises de toxiques.

Éléments évocateurs d’une origineorganique :✔ sujet âgé (déshydratation) ;✔ sujet de plus de 40 ans avecabsence de tout antécédentpsychiatrique ;✔ sujet ayant des antécédentspsychiatriques mais présentant unesymptomatologie inhabituelle ;✔ maladies somatiques connuespouvant entraîner des désordresioniques ou métaboliques ;✔ présence de signes de confusion :– désorientation temporospatiale,– troubles de la vigilance,– perplexité anxieuse.

7-0090 - Syndrome d’excitation

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Page 28: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

l’euphorie est souvent absente, le contact est plushostile, moins ludique, le discours est plusstéréotypé, les digressions plus incongrues, l’affectplus inadapté, discordant. Cependant, ces signesn’ont pas de valeur de spécificité, et le diagnostic deschizophrénie sera posé sur la présence des critèresde cette affection (dissociation, délire) au décours dela période de perturbation thymique.

Bouffée délirante aiguë

Tableau délirant aigu, à début brutal, chez unsujet jeune, à thèmes et mécanismes délirantspolymorphes et surtout hallucinatoires, elles’accompagne souvent d’éléments d’excitationpsychomotrice et d’altération de l’humeur. Il n’existeactuellement pas de critères validés permettant deprévoir l’évolution d’une bouffée délirante. Lesstatistiques montrent qu’environ 30 % des boufféesdélirantes représentent l’accès inaugural d’uneentrée dans la maladie maniacodépressive.

Psychose puerpérale

Survenant dans le post-partum, autour de 6 à 8semaines après l’accouchement, chez des femmesentre 20 et 30 ans, elle consiste en des états délirantsaigus à mécanismes multiples, dans un climatconfusionnel et anxieux, avec perturbationsthymiques. L’évolution se rapproche de celle desbouffées délirantes aiguës et peut se faire vers unemaladie maniacodépressive, dont elle constitueraitl’accès inaugural.

Syndrome de Kleine-Levine

Ce syndrome, survenant chez l’adolescent, secaractérise par des accès de plusieurs jours quiassocient hypersomnie , hyperphagie etdésinhibition instinctuelle avec hypersexualité,accompagnées de troubles du comportement à typed’excitation et de manifestations thymiquesexpansives. Ces accès se répètent et sontentrecoupés d’intervalles libres de bonne qualité,avec une évolution généralement favorable surplusieurs années. Des rapports ont été évoqués avecla maladie maniacodépressive, et un traitementpréventif par lithium proposé par certains auteurs.

‚ Causes médicales

Causes endocriniennes

Les plus fréquemment impliquées sont :– hyperthyroïdie : maladie de Basedow ;– hyperparathyroïdie ;– hypercorticisme.

Causes neurologiques

¶ Les plus fréquemment en cause

Démences frontalesDans la maladie de Pick, les signes évocateurs de

détérioration intellectuelle (fonctions mnésiques,syndrome aphaso-apraxo-agnosique) sont tardifs, etprécédés de troubles du comportement(gloutonnerie, répétition inlassable d’activitésstéréotypées, désinhibition sociale et instinctuellepouvant amener des actes médicolégaux à caractèresexuel) et de troubles de l’humeur, dépression ou« moria », euphorie niaise et béate.

Tumeurs frontales

Elles associent, à des degrés divers, une euphorie,une désinhibition, une hyperactivité et unelogorrhée (méningiome olfactif).

Syphilis tertiaire

Le début est souvent aigu, prenant parfois l’aspectd’un accès maniaque associant excitation, euphorie,prodigalité, désinhibition. La phase terminale secaractérise plutôt par une euphorie béate ettranquille.

Méningoencéphalites

Les atteintes infectieuses du système nerveuxcentral peuvent associer aux signes confusionnelsgénéralement présents des troubles de l’humeur.L’infection par le virus de l’immunodéficiencehumaine (VIH) est pourvoyeuse d’états dépressifs,d’états psychotiques et d’accès maniaques tout aulong de l’évolution de la maladie.

Sclérose en plaques

États dépressifs et états d’excitation sont assezfréquents dans l’évolution de cette maladie.

‚ Causes toxiques

Alcool

Dans le cadre de l’alcoolisme chronique, lestroubles de l’humeur sont fréquents, et plutôt d’unregistre dépressif. Par ailleurs, dans le cadre destroubles thymiques, on rencontre souvent unealcoolisation contemporaine des périodesdépressives, l’alcool étant alors utilisé à viséedynamisante ou euphorisante, ou des périodesd’excitation maniaque où il participe de ladésinhibition et de la libération instinctuelle.

L’ivresse simple s’accompagne d’un sentimentd’euphorie, de désinhibition et de logorrhée.

Enfin, parmi les ivresses pathologiques, on décritles formes excitomotrices où l’agitation prédomine.

Autres toxiques et médicaments

Les autres toxiques et médicaments susceptiblesd’entraîner des états d’excitation maniaque figurentdans le tableau I.

L’état d’excitation apparu après la prise de cestoxiques doit régresser après l’arrêt de ceux-ci. Lapersistance des troubles au-delà de l’arrêt (enprenant en compte la période d’élimination desproduits) doit faire suspecter un accès maniaqueinaugural d’une maladie maniacodépressive. Laprise de toxiques n’est alors plus considérée commeun facteur causal, mais comme un facteur

déclenchant ou précipitant. Le traitementsymptomatique devra être poursuivi plus longtemps(traitement curatif classique d’un accès maniaque surplusieurs mois), et se posera la question d’untraitement préventif des rechutes.

Ces considérations s’appliquent également auxmédicaments (tableau II).

‚ Cas des antidépresseurset des benzodiazépines

Antidépresseurs

Le traitement par antidépresseurs d’un étatdépressif peut, en quelque sorte, « dépasser » son butet amener, au-delà d’un redressement de l’humeur,un état maniaque ou hypomaniaque. Cela s’observesurtout avec les antidépresseurs tricycliques et lesinhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO), maisse rencontre également avec les antidépresseursplus récents, sérotoninergiques.

L’intégration au groupe des troubles bipolairesdes patients ayant présenté un virage hypoma-niaque lors d’un traitement antidépresseur, enl’absence de tout antécédent d’accès maniaque, estdiscutée par les auteurs (on les qualifie de bipolairesde type II I ) . Cependant, une hypomaniepharmacologiquement induite est un critère fort deprédiction d’évolution vers la bipolarité.

Benzodiazépines

Outre les effets paradoxaux bien connus desbenzodiazépines (agitation anxieuse), certainsproduits ont été décrits comme ayant provoqué desétats d’excitation avec expansivité (alprazolam :Xanaxt, diazépam : Valiumt, chlorazépate :Tranxènet).

■Prise en charge

des états d’excitation

La prise en charge est rarement possible en milieuambulatoire. En effet, et surtout lorsqu’il s’agit d’unpremier accès, le patient est rarement compliant. Onprend alors le risque d’une majoration des troubles,

Tableau I. – Manies secondaires à des prisesde toxiques.

cocaïne et crack

amphétamines

cannabis

caféine

solvants : éther, acétone, trichloréthylène

hallucinogènes : LSD, phencyclidine, psilocybine

Tableau II. – Manies secondaires à des prisesmédicamenteuses.

antibiotiques, antifongiques : isoniazide (Rimi-font), imidazolés

corticostéroïdes

hormones thyroïdiennes

antiulcéreux : cimétidine (Tagamett), ranitidine(Azantact, Raniplext)

bêtastimulants

yohimbine

substances dopaminergiques : L-dopa, amantadine,bromocriptine (Parlodelt)

anticholinergiques : trihexyphénydile (Artanet)

antidépresseurs

benzodiazépines

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Page 29: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

avec les conséquences déjà évoquées sur les planssociaux, professionnels et affectifs, et d’un retardd’accès à un traitement efficace, facteur péjoratifpour le délai avant rémission et pour la qualité de larécupération.

Toutefois, lorsque le diagnostic de trouble del’humeur est clairement posé, et notamment lorsqu’ils’agit de patients déjà connus et suivis, certains étatshypomaniaques, voire maniaques, sont susceptiblesd’être traités en consultation quand il ne sont pas àl’origine de troubles du comportement tropimportants, et pour peu que certains critères soientréunis. En particulier, le patient doit avoirsuffisamment de lucidité par rapport à ses troublespour accepter un traitement correctement suivi, et ildoit avoir des consultations rapprochées.L’entourage doit être évalué, notamment sa capacitéà tolérer les troubles et à accompagner le patientdans une démarche de soins, et informé des signespouvant rendre l’hospitalisation nécessaire et desrecours en cas de majoration des difficultés.

En dehors de ces situations favorables,l’hospitalisation est la règle. Elle va permettre nonseulement de préciser le diagnostic, en particulierétiologique, et de pratiquer les examenscomplémentaires nécessaires, mais surtout deproposer un cadre thérapeutique contenant aupatient qui perd le contrôle de lui-même, etd’entreprendre un traitement dans de bonnesconditions.

Lorsque le patient refuse une hospitalisation quis’impose, il faudra avoir recours à l’hospitalisationsous contrainte, à la demande d’un tiers, ou d’offices’il présente des signes de dangerosité (arrêtépréfectoral).

L’hospitalisation à la demande d’un tiers requiertla production de deux certificats médicauxaccompagnés d’une demande manuscrite d’unmembre de la famille ou de l’entourage.

L’hospitalisation d’office est décidée sur la based’un arrêté préfectoral, établi au vu d’un certificatmédical et de la constatation de troubles de l’ordrepublic ou d’une dangerosité pour autrui.

Le traitement est à la fois étiologique etsymptomatique.

‚ Traitement étiologique

Dans le cadre des excitations secondaires, ilconsiste en la suppression du produit en cause ou entraitement de l’affection médicale à l’origine del’excitation.

‚ Traitement symptomatique

Il repose essentiellement sur les produitsneuroleptiques à visée sédative (tableau III). Lesbenzodiazépines sont parfois efficaces à fortes dosesdans le traitement d’états maniaques. Lesthymorégulateurs (sels de lithium : Téralithet,carbamazépine : Tégrétolt) ont un effet curatif surl’état maniaque, mais différé, ce qui impose souventune prescription initiale de neuroleptiques.

Les moyens non médicamenteux consistent endes mesures d’isolement, voire de contentionlorsque l’agitation est importante. Elles ont poureffet, au-delà de l’aspect sécuritaire pour le personnelsoignant et pour le patient lui-même, de limiter lessources extérieures de stimulation, et de donner uncadre extérieur contenant qui aide le patient à serassembler, à mieux contrôler son excitationintérieure.

Le traitement symptomatique sera poursuivi dansle cadre des excitations secondaires tant que leprocessus pathogénique sous-jacent sera actif

(temps d’élimination d’un toxique, réduction d’unhypercorticisme, d’une hyperthyroïdie).

La monothérapie neuroleptique est à privilégier,en choisissant un neuroleptique polyvalent(Largactilt ou Loxapact), en une prise vespéralepassé les premiers jours. Dans les formes déliranteset agitées, on peut proposer l’association d’unneuroleptique incisif (Haldolt : 10 à 30 mg/j) avec unneuroleptique sédatif (Terciant).

Dans le cadre d’un accès maniaque, le traitementneuroleptique doit souvent être conservé plusieurs mois,avec une diminution progressive. La posologie est fixéeindividuellement et correspond à celle qui maintient lesujet asymptomatique, sans qu’il soit gêné par les effetssecondaires des neuroleptiques (ralentissement, rigiditéextrapyramidale). L’introduction rapide, dès le début del’accès, du lithium ou d’autres thymorégulateurs permetun meilleur contrôle de l’excitation maniaque, avec desdoses moindres de neuroleptiques, et une diminution deceux-ci plus rapide, la tolérance du traitementmédicamenteux par le sujet est donc améliorée.

Cédric Zeitter : Assistant,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Syndrome d’excitation.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0090, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Ginestet D, Peron-Magnan P. Chimiothérapie psychiatrique. Abrégé Masson.Paris : Masson, 1984

[2] Tawil S, Mirabel V, Hausser-Hauw C, Alby JM. États expansifs.Encycl MedChir (Elsevier, Paris),Psychiatrie, 37-143-A-10, 1991 : 1-7

Tableau III. – Produits neuroleptiques utilisés dans les états d’excitation

Droleptant(Dropéridol)

À réserver aux formes avec agitation sévère, et à ne pas associer à d’autres produitshypotenseurs, en particulier en cas d’absorption d’alcoolAmpoules buvables ou IM de 50 mg: 1 à 2ampoules/j

Loxapact(Loxapine)

Risque limité d’hypotension, action rapide sur l’anxiété et l’agitation sans effet majeursur la vigilanceEn injection IM: 2 à 6ampoules de 50 mgPer os : cp à 25 et 50 mg, dose initiale de 300 mg jusqu’à 600 mg/j

Largactilt(Chlorpromazine)

Chef de file des neuroleptiques, phénothiazine, neuroleptique polyvalent, sédatif etincisif (antidélirant)En injection IM : 2 ampoules à 25 mg 3 fois par jourPer os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à500 mg/j

Nozinant(Lévomépromazine)

Neuroleptique sédatif puissant phénothiaziniqueEn injection IM : 2 ampoules à 25 mg 3 fois par jourPer os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à300 mg/j

Terciant(Cyamépromazine)

Neuroleptique sédatif phénothiazinique, avec risque moindre d’hypotension que leNozinantEn injection IM : 1 ampoule à 50 mg 3 fois par jourPer os : cp à 25 et 100 mg, solution 4 % à 1 mg/goutte, dose initiale de 100 à300 mg/j

Clopixol ASPt(Zuclopentixol)

Neuroleptique sédatif et incisif sous forme d’action semi-prolongée, avec effet rapideet durée d’action de 48-72 heuresInjection IM : ampoules de 50 et 100 mg, une injection de 50 à 200 mg, à renouveler48 ou 72 heures après, avant passage à la forme orale ou retard

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Page 30: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Moyens psychopharmacologiques

V Olivier

■Introduction

Le médecin généraliste tient un rôle importantdans la prise en charge d’un trouble mental, enpremier lieu parce qu’il est généralement le premier,et souvent le seul, médecin consulté par un patientsouffrant de difficultés psychologiques. L’objectif decette première consultation est de reconnaîtrel’existence d’un trouble qui peut répondre à untraitement médicamenteux.

La prescription d’un traitement psychotrope doitreposer sur une évaluation clinique soigneuse quiaura permis de reconnaître un trouble mentalsusceptible de répondre à une thérapeutiquemédicamenteuse : trouble anxieux, troubledépressif... L’entretien psychiatrique permettra dedistinguer une pathologie mentale caractérisée,nécessitant un traitement spécifique, de symptômespsychiatriques isolés, souvent transitoires, ou d’unesymptomatologie non psychiatrique ne nécessitantpas obligatoirement un traitement médicamenteux.

Le rôle du médecin généraliste dans le traitementdes troubles mentaux est fondamental et comporteplusieurs axes :

– le dépistage et le diagnostic d’une pathologiementale chez un patient consultant pour unesouff rance psychique ou des difficu l téspsychologiques ;

– le traitement de l’épisode pathologique (choixd’une hospitalisation, d’un médicament...) ;

– la surveillance du traitement (effets bénéfiquesprimaires, effets secondaires) et le suivi du patient.

Concernant le premier axe, le rôle du médecingénéraliste est capital, il est de reconnaître la naturede la souffrance psychologique et surtout derechercher une pathologie mentale pouvant êtretraitée par des médicaments. Les diagnostics detrouble psychologique « permanent », de trouble dela personnalité, ou encore de difficultés d’adaptationà un facteur de stress, doivent être des diagnosticsd’élimination.

Pour différentes raisons (refus du patient d’unemaladie mentale, réticence à consulter unpsychiatre, difficulté à reconnaître un trouble mental[19 % des dépressions majeures ne sont traitéesqu’avec des anxiolytiques]...), il existe souvent undélai important entre le moment où apparaissent lestroubles et le moment où le patient est traité. Cedécalage n’est pas sans conséquence grave pour lepatient : aggravation de la maladie avec risque depassage à l’acte auto- ou hétéro-agressif,conséquences sur la vie conjugale, familiale, socialeet professionnelle, risque de chronicisation et derésistance au traitement... Il est donc fondamental deproposer rapidement un traitement médicamenteuxà un patient souffrant d’un trouble susceptible d’yrépondre.

Les troubles mentaux sont des pathologiesmédicales qui nécessitent le plus souvent untraitement médicamenteux, mais également uneprise en charge psychologique de soutien effectuéepar le médecin prescripteur. Des psychothérapiesplus structurées, cognitivocomportementales oud’inspiration analytique, sont parfois nécessairesselon la pathologie et la personnalité du patient,mais doivent être effectuées par des psychothéra-peutes ayant suivi une formation spécifique. Lestroubles mentaux sont le plus souvent despathologies récurrentes ou chroniques dont lesprincipaux risques, en l’absence de traitementcorrectement conduit, sont les rechutes, lachronicisation des troubles (20 % de chronicisationdes dépressions) et la résistance ultérieure auxtraitements médicamenteux. I l est doncfondamental de les traiter au plus vite.

Le second rôle du médecin généraliste est un rôlethérapeutique. L’implication du médecin généralistedans le traitement d’une pathologie mentale dépenden partie de la nature de celle-ci. Certainespathologies chroniques et invalidantes, comme lestroubles schizophréniques et les troubles délirantschroniques, nécessitent une prise en chargepsychiatrique de secteur, associant des traitementsmédicamenteux, psychothérapiques et sociothéra-piques. D’autres pathologies, comme les troublesdépressifs et anxieux, sont souvent prises en chargepar le médecin généraliste.

L’hospitalisation s’impose d’emblée dans troissituations.

■ Lorsque le pronostic vital est en jeu : risquesuicidaire important, refus alimentaire, troubles ducomportement avec risque vital.

■ Lorsqu’il existe un risque de passage à l’actehétéroagressif.

■ Lorsque le traitement ambulatoire ne s’avèrepas possible en raison d’une mauvaise observanceprévisible du traitement ou de l’absence ou du peude présence de l’entourage.

L’hospitalisation peut être indiquée secondai-rement en cas de résistance au traitement ou demauvaise observance du traitement.

La prescription de psychotropes nécessite unebonne connaissance de ces médicaments (quand lesintroduire, lequel choisir, comment les surveiller,quand les arrêter ?).

Les deux principaux risques sont :– une prescription abusive de benzodiazépines ;– l’absence de prescription d’un psychotrope,

pourtant nécessaire.Un des problèmes majeurs posés par les

traitements médicamenteux n’est pas tant celui deleur efficacité que celui de la compliance autraitement. La compliance aux médicaments est engénéral mauvaise (30 à 50 % de non-compliance),liée à différents facteurs : mauvaise information dupatient, effets indésirables du traitement, difficultés à

accepter un traitement au long cours, représentationque le malade se fait de la maladie, sentiment d’êtreguéri, inefficacité supposée du traitement, avantagesou bénéfices attribués à la maladie... Cettenon-compliance est la première cause d’échec destraitements médicamenteux et de rechutes. Elleinfluence ainsi grandement le pronostic de lamaladie. Devant l’importance de ce problème,plusieurs auteurs ont tenté de définir des conduitesde prise en charge visant à améliorer la complianceaux médicaments en contrôlant mieux les facteursde non-compliance. Parmi celles-ci, une meilleureinformation « orale et écrite » du patient et de safamille sur la maladie et son traitement, sur les effetssecondaires des traitements, les risques de rechuteaprès interruption prématurée du traitement et surl’évolution de la maladie sous traitement permetd’améliorer la compliance.

Les psychothérapies personnelles ou familiales etles psychothérapies de groupe, dont les indicationsspécifiques doivent être posées par le spécialiste, sesont révélées très efficaces pour améliorer lacompliance et la prise en charge des patientspsychiatriques.

Le rôle du généraliste dans le suivi des patientspsychiatriques sous traitement médicamenteux estégalement important. Son rôle comporte plusieurstâches qui permettent d’améliorer la prise en chargede ces patients : informer le patient sur sa maladie etson traitement, ce qui permet, comme nous l’avonsvu, d’améliorer la compliance au traitement ; assurerun soutien psychologique au patient et à sa famille ;surveiller l’efficacité (fonction du délai d’action desmédicaments) et la tolérance du traitement. Certainseffets secondaires peuvent être réduits par descorrecteurs, d’autres doivent dans la mesure dupossibles être tolérés par le patient. Il est importantd’expliquer au patient la nécessité d’évaluer lesavantages et les inconvénients d’un traitement et dele convaincre de la supériorité des bénéfices parrapport aux effets indésirables.

Le rythme des consultations dépend du malade,de sa pathologie et de la « qualité » de sonentourage. Il devra cependant être soutenu, voiretrès rapproché (plusieurs fois par semaine) dans unpremier temps, surtout en période aiguë, en débutde traitement, avant l’efficacité de ce dernier. Il estimportant que le malade puisse contacter facilementson médecin ; un simple contact téléphoniquepermet souvent de rassurer le patient.

Le traitement et le suivi ne s’arrêtent pas à laguérison d’un épisode pathologique. Ils doivent êtreprolongés afin d’assurer la prévention des rechuteset des récidives. Au décours d’un épisode, le patientpeut présenter des difficultés psychologiquespersistantes, séquellaires ou non de la maladie. Cesdifficultés devront faire l’objet d’une évaluation parun psychiatre qui pourra proposer une interventionpsychothérapique spécifique.

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Page 31: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Les diagnostics et traitements des troublesmentaux sont actuellement bien codifiés. Lestraitements psychotropes font l’objet de règlesgénérales de conduite établies en fonction d’étudespharmacologiques publiées dans des revuesscientifiques, mais également d’après les réflexionsde groupes d’experts et de professionnels (référencesmédicales opposables, RMO) consultés par l’Agencenationale pour le développement de l’évaluationmédicale (ANDEM) qui est chargée, depuis 1994,d’élaborer des recommandations médicales sur desthèmes cliniques identifiés par les partenaires de laconvention médicale.

Les quatre grandes classes de traitementsmédicamenteux en psychiatr ie sont lesantidépresseurs, les neuroleptiques, les anxiolytiqueset hypnotiques et les thymorégulateurs. Nous lesaborderons successivement, en précisant pourchacun d’eux les différentes classes disponibles, leseffets indésirables et les accidents, les contre-indications, les règles de prescription (critères dechoix du médicament, introduction, durée dutraitement, surveillance et suivi) et les interactionsmédicamenteuses. Le problème de l’interruption destraitements psychotropes dans le cadre d’un projetthérapeutique ou effectué par le patient lui-mêmecontre l’avis de son médecin fait l’objet d’un chapitreà part.

Les recommandations et références médicalesproposées par l’ANDEM ne concernent pour l’instantque certains aspects thérapeutiques : lesmédicaments antidépresseurs, la prescription deshypnotiques et des anxiolytiques, la prescription desneuroleptiques et le suivi des psychosesmaniacodépressives. Nous les préciserons dans leschapitres concernés.

■Antidépresseurs

Les antidépresseurs sont des médicamentscapables de normaliser l’humeur dépressive, cetteactivité dite « thymoanaleptique » pouvant mêmedépasser son but et inverser l’humeur (viragehypomaniaque ou maniaque).

Il existe plusieurs classes chimiques d’antidépres-seurs. Les deux classes les plus anciennes, et lesseules disponibles jusqu’à la fin des années 1970,sont les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteursde la monoamine-oxydase (IMAO). Plus récemment,sont apparus des antidépresseurs appartenant àd’autres classes chimiques : les antidépresseurs nonIMAO et non tricycliques dont font partie lesinhibiteurs de la recapture de la sérotonine etd’autres produits. Ces antidépresseurs, caractériséspar une meilleure tolérance, sont actuellement lesproduits les plus fréquemment prescrits.

‚ ClassificationsPlusieurs classifications ont été proposées pour

les antidépresseurs : classification chimique, clinique(selon la prédominance de leurs effets, en particulierpsychostimulants ou sédatifs) ou selon lemécanisme d’action.

Au sein de la classification chimique, il existe troisgrands groupes d’antidépresseurs :

– les antidépresseurs tricycliques ;– les IMAO ;– les « autres antidépresseurs », non IMAO et non

tricycliques.Bien qu’ils aient des mécanismes d’action

différents, ces antidépresseurs ont en commun

d’exercer une act ion modulatr ice sur laneurotransmission cérébrale, au niveau de certainesmonoamines cérébrales, la noradrénaline, lasérotonine et la dopamine en particulier.

Tricycliques

Ils inhibent la recapture synaptique de lanoradrénaline et/ou de la sérotonine.

Sur le plan de l’efficacité, les tricycliques restent lesproduits de référence, mais leur tolérance estsouvent mauvaise. Les principaux effets indésirablessont les effets cholinergiques et cardiovasculaires ; ilssont de ce fait peu prescrits en ambulatoire.

Les antidépresseurs tricycliques n’agissent pasuniquement sur l’humeur dépressive, ils peuvent semontrer également efficaces sur d’autressymptômes tels que l’anxiété ou l’inhibition. Ils ontune action sédative, liée à des propriétés nonspécifiques anticholinergiques centrales,antihistaminiques H1 ou adrénolytiques α1centrales. Cette action sédative peut être considérée,selon les cas, comme un effet indésirable ou commeune propriété thérapeutique (action sédative neréactivant pas l’angoisse dans les dépressionsanxieuses). Ils ont aussi une action psychostimulantequi peut également être utilisée en thérapeutique, enparticulier chez des patients extrêmement ralentis.

Ces propriétés, non directement thymoanalep-tiques, ont été à l’origine d’une distinction entre(tableau I) :

– les antidépresseurs sédatifs ou anxiolytiques(Surmontilt, Laroxylt, Ludiomilt) ;

– les antidépresseurs psychostimulants oudésinhibiteurs (Pertofrant, Tofranilt).

Le rôle du médecin généraliste dans laprise en charge d’un trouble mentalest fondamental. Il doit :✔ reconnaître l’existence d’un troublesusceptible de répondre à untraitement médicamenteux, imposantle plus souvent une prise en chargespécialisée, et le distinguer dedifficultés psychologiquespermanentes ne nécessitant qu’unabord psychologique ;✔ traiter l’épisode pathologique àcondition de posséder une bonneconnaissance des médicamentspsychotropes ;✔ assurer le suivi du patient :surveiller l’efficacité et la tolérancedu traitement, la compliance autraitement, soutenir et informer lepatient et sa famille, assurer laprévention des rechutes et desrécidives ;✔ en cas d’amélioration insuffisante(délai et posologie efficaces),envisager un recours à un avisspécialisé. La chronicisation destroubles en psychiatrie est avant toutliée à une prise en charge troptardive ou insuffisante.

Tableau I. – Exemples d’antidépresseurs : actions thérapeutiques et effets indésirables.

Actions thérapeutiques Effets indésirables

DCI Nom despécialité

Psychostimulante Sédative Cardiovasculaires Anticholinergiques

Antidépresseurs tricycliques

Imipramine Tofranilt ++ ± ++ ++

Clomipramine Anafranilt + + ++ ++

Amitriptyline Laroxylt± ++ ++ ++Élavilt

Désipramine Pertofrant ++ + + ++

Dosulépine Prothiadent + + + +

IMAO « classiques » (irréversibles et non sélectifs)

Iproniazide Marsilidt ++ ± ++ +

Antidépresseurs non tricycliques, non IMAO « classiques »

Amineptine Survectort ++ ± ± ±

Fluoxétine Prozact + ± ± ±

Fluvoxamine Floxyfralt ± + + ±

Miansérine Athymilt ± ++ ± ±

Moclobémide Moclaminet ++ ± ± ±

Paroxétine Deroxatt ± ± ± ±

Tianeptine Stablont ± ± ± ±

Toloxatone Humorylt ± ± ± ±

Viloxazine Vivalant ++ ± ± ±

± signifie que l’effet considéré est nul ou faible ; + signifie que l’effet considéré est moyen ; ++ signifie que l’effet considéré est fort.

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

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Page 32: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

IMAO

Les IMAO bloquent la dégradation intracellulairede la noradrénaline et de la sérotonine. Les IMAOdits « classiques » sont irréversibles et non sélectifs,inhibant à la fois la MAO A et la MAO B. Il existeégalement des IMAO dits « de nouvelle génération »qui sont réversibles (leur activité cesse peu aprèsl’arrêt du produit) et sélectifs (inhibition sélective de laMAO A). Ces IMAO ne présentent pas les effetsindésirables et les risques (dont le risque vital) desIMAO classiques et sont donc plus fréquemmentprescrits.

Les IMAO ont une action psychostimulanteimportante et un effet sédatif nul ou faible.

Antidépresseurs non IMAO et non tricycliques

Ces antidépresseurs agissent soit en inhibant larecapture synaptique de la noradrénaline et/ou de lasérotonine, soit par d’autres mécanismes quiconcourent en général à augmenter la concentrationdes monoamines dans la fente synaptique. Ilsprésentent de faibles risques et ont en général unebonne tolérance, c’est pourquoi ils sont devenus lesproduits les plus fréquemment prescrits par lespraticiens de ville.

Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de lasérotonine auraient une propriété anti-impulsive.Cependant, la validité de cette propriété n’a pas étédémontrée.

‚ Quelques données pharmacocinétiques

Antidépresseurs tricycliques

L’absorption digestive des tricycliques estcomplète et rapide. Le pic plasmatique est atteint en2 à 4 heures. Les tricycliques sont métabolisés par lefoie, et il existe des métabolites actifs pour la plupartdes produits.

Leur demi-vie est en général longue, compriseentre 24 et 48 heures. De ce fait, l’administration enune seule prise paraît généralement suffisante.

Pour les principaux tricycliques, il est possible deréaliser des dosages plasmatiques en pratiquecourante. Il existe de grandes variationsinterindividuelles et intra-individuelles des tauxplasmatiques. Elles sont surtout liées aux différencesdans le métabolisme hépatique. La recherche d’unerelation entre l’activité clinique des antidépresseurset les taux plasmatiques a donné lieu à denombreux travaux dont les résultats sontcontradictoires. Il n’apparaît pas en général derelation linéaire entre l’action thérapeutique et lestaux plasmatiques. Pour la plupart des tricycliques,on dispose cependant de fourchettes de tauxplasmatiques correspondant à la probabilité la plusforte d’observer une réponse thérapeutique. Lesdosages plasmatiques des antidépresseurs peuventaider à la recherche de la posologie efficace.Principalement trois situations peuvent amener àpratiquer un dosage sanguin du médicament :

– une inefficacité thérapeutique à dosehabituellement thérapeutique (l’existence d’un tauxsanguin adéquat permet de conclure à l’inefficacitédu traitement si celui-ci a été prescrit suffisammentlongtemps ; l’existence d’un taux bas permet deconclure à l’insuffisance de la posologie ou à unemauvaise observance du traitement) ;

– l’importance des effets secondaires pouvanttémoigner d’un surdosage ;

– une possible mauvaise observance dutraitement.

IMAO et antidépresseurs non tricycliqueset non IMAO

La demi-vie des IMAO est beaucoup plus courteque celle des tricycliques ; plusieurs administrationsquotidiennes sont en général nécessaires.

Pour les antidépresseurs non tricycliques et nonIMAO, la demi-vie est variable.

‚ Indications

En psychiatrie, les principales indications d’untraitement antidépresseur sont les troublesdépressifs. Il peut être également prescrit danscertains troubles anxieux et dans les troublesobsessionnels compulsifs.

Selon les recommandations du comité del’ANDEM, « la prescription d’un traitementantidépresseur en psychiatrie doit reposer sur uneévaluation clinique soigneuse afin de distinguer unepathologie dépressive caractérisée, nécessitant untraitement antidépresseur, de symptômes dépressifsisolés ne justifiant pas une mesure thérapeutiquemédicamenteuse ».

Les antidépresseurs sont indiqués dans lesépisodes dépressifs majeurs, c’est-à-dire caractériséspar « l’acuité et la multiplicité des symptômes, leurdurée et leur caractère invalidant ».

‚ Effets indésirables et accidents

Antidépresseurs tricycliques

Les effets indésirables des antidépresseurstricycliques sont principalement représentés par leseffets anticholinergiques, cardiovasculaires etneuropsychiatriques. Ils sont fréquents et conduisentà une mauvaise observance du traitement.

Le médecin devra prévenir le patient de lasurvenue éventuelle d’effets indésirables et de lapossibilité de prescrire des médicaments correcteursde ces effets.

Lorsque la gêne reste minime, le médecinencouragera le patient à poursuivre le traitement enattendant que celui-ci se montre efficace (délaid’action de 10 jours à 3 semaines environ).

Les traitements correcteurs sont présentés dans letableau II.

Les effets anticholinergiques périphériques sontles suivants :

– une sécheresse de la bouche. Elle peut êtreatténuée par un cholérétique, le Sulfarlemt, ou de lasalive artificielle. Il faudra conseiller au patient deboire beaucoup et de mâcher du chewing-gum ;

– une constipation qui est le plus souventd’origine multifactorielle (inactivité lors del’hospitalisation, mauvaise hydratation, autresmédicaments, symptôme somatique de la

dépression...). Elle est rarement grave, mais nécessiteune surveillance attentive, car elle peut secompliquer d’un fécalome ou d’une occlusion. Ellepourra être améliorée par un régime riche en fibreset la prescription de laxatifs doux. Elle est souventmieux « tolérée » lorsque ses causes sont expliquéesau patient ;

– des troubles urinaires : dysurie, voire rétentionurinaire. Ils sont plus rares en l’absenced’hypertrophie prostatique. Ils nécessitent parfoisl’interruption du traitement lorsqu’ils ne sont pasatténués par un alphabloquant ;

– des troubles oculaires : troubles del ’accommodation et de la convergence,augmentation du tonus oculaire. Les troubles de lavue liés aux troubles de l’accommodations’atténuent le plus souvent avec le temps. Il faudraconseiller au patient de ne pas changer de verres delunettes.

Les effets cardiovasculaires sont :– une tachycardie ;– une hypotension, volontiers orthostatique.

Différents traitements correcteurs peuvent êtreproposés. Les plus couramment prescrits sontl’Hept-A-Mylt, la dihydroergotamine, le Praxinortqui sont bien tolérés, mais d’efficacité inconstante.Dans tous les cas, il faut recommander au patient laprudence lors du passage à l’orthostatisme ;

– des troubles de la conduction et du rythme(allongement de la conduction auriculoventriculaireaux doses thérapeutiques, risque d’apparition detroubles graves du rythme et de la conduction en casde surdosage toxique, cause majeure de décès). Ceseffets n’apparaissent le plus souvent que pour desdoses importantes, en cas de surdosage toxique. Onrecommande une surveillance électrocardiogra-phique chez les sujets âgés et chez les sujetsprésentant des antécédents cardiovasculaires.

Les effets neuropsychiatriques sont les suivants :– une sédation, qui peut être un effet latéral

recherché lorsque l’anxiété est importante, et uneconfusion (liées aux effets anticholinergiquescentraux). L’apparition de symptômes confusionnels,le plus souvent chez le sujet âgé, nécessite la baisse,voire l’arrêt, du traitement antidépresseur et desautres psychotropes pouvant aggraver la confusion ;

– un virage hypomaniaque ou maniaque del’humeur nécessitant la baisse, voire l’arrêt, del’antidépresseur, et, selon l’intensité de l’excitation,un traitement neuroleptique sédatif. Dans tous lescas, il est important de surveiller de façon trèsrapprochée l’évolution de ce virage de l’humeur ;

– une insomnie qui peut être évitée en décalantla prise du traitement le matin ;

Tableau II. – Correction des effets indésirables des antidépresseurs tricycliques.

Nature de l’effet Correcteurs utilisables

Hypotension orthostatiqueYohimbine (Yohimbine Houdét) : 6 à 12mg/j en 3 prisesHeptaminol (Hept-A-Mylt) : 500 à 1 500 mg/j en 3 prisesThéodrénaline (Praxinort) : 1 à 3cp/j

Sécheresse de la bouche Anétholtrithione (Sulfarlem S 25t) : 50 à 150 mg/j en 3 prisesArtisialt (salive artificielle) en pulvérisations

Tremblement Propranolol (Avlocardylt) : 30 mg/j en 3 prises

Constipation Laxatifs douxHuile de paraffıne

Rétention urinaire Alfuzosine (Uriont) : 7,5 mg/j en 3 prises

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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Page 33: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

– une réactivation anxieuse avec passage à l’actesuicidaire nécessitant un traitement anxiolytique(benzodiazépines ou neuroleptiques) associé ;

– des céphalées ;– des convulsions par abaissement du seuil

épileptogène. Elles sont rares en l’absenced’antécédent de comitialité. Il est possible d’associerun anticomitial si besoin. Il est prudent d’effectuer unbilan étiologique, et en particulier un scanner ;

– un tremblement fin, sans rigidité. Il peuts’atténuer au bout de quelques jours de traitement,sinon régresser sous Avlocardylt ;

– une dysarthrie qui peut s’atténuer en cours detraitement.

L’intensité de ces effets indésirables est variableselon les sujets. Ils peuvent constituer un indiceclinique d’imprégnation et servir de guide à laprescription. Lorsque les effets secondaires sontmajeurs et que le dosage sanguin du médicamentest bien supérieur à la fourchette thérapeutique, il estpossible de baisser légèrement la posologie dutricyclique.

D’autres effets indésirables peuvent égalementapparaître :

– une prise de poids est fréquente et représentesouvent une cause d’interruption du traitement. Elleest liée aussi bien à une augmentation des apportspar augmentation de l’appétit, à une diminution desdépenses (sédation, hospitalisation), qu’à desmodifications du métabolisme. Le patient estsouvent averti de cet effet ou se renseigne sur sonéventualité. Il est cependant important de le prévenirde cette possibilité qui reste le plus souvent limitéelorsque le patient suit un régime alimentairehypocalorique ;

– des sueurs et des bouffées de chaleur sontrelativement fréquentes, surtout durant lespremières semaines de traitement ;

– les effets sur le comportement sexuel sontvariables. Chez l’homme, on peut observer uneimpuissance, un retard à l’éjaculation et uneanorgasmie, chez la femme, une anorgasmie.

Les autres effets sont plus rares : digestifs(nausées, vomissements) et/ou immunoallergiques(rash cutanés, hépatites cytolytiques ou cholesta-tiques).

Antidépresseurs IMAO « classiques »

La tolérance des IMAO est le plus souvent bonne.Cependant, le risque, rare mais grave, d’accidenthyper- ou hypotensif limite leur utilisation.

Les principaux effets secondaires des IMAO sontant ichol inergiques , cardiovasculai res etneurologiques, mais également hépatotoxiques(rares).

Les effets anticholinergiques sont identiques àceux des tricycliques, mais d’intensité moindre.

Les effets cardiovasculaires sont :– une tachycardie, des palpitations ;– une hypotension orthostatique (elle peut être

liée à la dose, nécessitant une baisse de la posologie,ou le signe d’une intolérance au produit) ;

– des crises hypertensives brusques avec risqued’œdème pulmonaire aigu et d’hémorragiecérébrale. Elles résultent d’une interaction entrecertains médicaments (tableau III) ou certainsaliments (aliments contenant de la tyramine)(tableau IV). Les risques d’accidents tensionnels et lesnombreuses contre-indications médicamenteuseslimitent fortement l’utilisation des IMAO. Le patient et

son entourage doivent être informés desassociations contre-indiquées et des risques(tableau IV).

Les effets neuropsychiatriques sont les suivants :– agitation, irritabilité et/ou insomnie liées aux

effets psychostimulants des IMAO ;– céphalées ;– tremblements, ataxie.

Antidépresseurs non tricycliques et non IMAO« classiques »

Ces antidépresseurs sont en général beaucoupmieux tolérés que les antidépresseurs tricycliques.Les effets indésirables (cholinergiques oucardiovasculaires), variables selon les produits, sont

le plus souvent inexistants. Certains antidépresseursont des effets indésirables propres ; par exemple, lesantidépresseurs sérotoninergiques présentent plussouvent des effets digestifs que les autresantidépresseurs. Ces effets digestifs sont la plupartdu temps transitoires et n’occasionnent pas de réellegêne fonctionnelle.

‚ Contre-indications

Contre-indications des antidépresseurstricycliques

La plupart des contre-indications sont plussouvent relatives qu’absolues. Une fois le problèmemédical traité (appareillage d’un bloc auriculoventri-culaire, intervention sur un angle iridocornéenfermé...), les tricycliques peuvent être secondai-rement introduits.

Les contre-indications sont :– cardiaques : bloc auriculoventriculaire et

insuffisance coronarienne ou cardiaque nonéquilibrée ;

– liées à un terrain sensible aux effetsanticholinergiques : glaucome à angle fermé ethypertrophie prostatique ;

– l’épilepsie : la surveillance électroencéphalogra-phique devra être plus étroite et le traitementanticomitial éventuellement rééquilibré ;

– l’association aux IMAO : pour passer d’untraitement par tricycliques à un traitement par IMAO,on préconise d’interrompre les tricycliques pendant48 heures avant d’introduire l’IMAO ; pour passerd’un traitement par IMAO à un traitement partricycliques, on préconise d’interrompre l’IMAOpendant 2 semaines avant d’introduire lestricycliques ;

– la grossesse : l’effet tératogène est controversé ;par prudence, il faut éviter la prescription au cours du1er trimestre (cf chapitre : « Règles de prescription despsychotropes pendant la grossesse ») ;

– l’allaitement.

Contre-indications des IMAO « classiques »

Les contre-indications sont :– les associations à certains médicaments ou

aliments contenant de la tyramine (tableaux III, IV) ;

Tableau III. – Interactions médicamenteuses avec les antidépresseurs IMAO « classiques ».

Médicaments en cause Risques encourus

Sympathomimétiques directs ou indirects L’association est contre-indiquéeAdrénaline, noradrénaline Accès hypertensifsAmphétaminesBêtabloquantsCyclopentamineDopamine, L-dopaÉphédrineIsoprotérénolMéthylphénidatePhényléphrinePhénylpropanolamineTyramine (aliments contenant de la tyramine)

Antidépresseurs tricycliques, fluoxétine, carbamazépine L’association est contre-indiquéeAccès hypertensifs, états confusionnels

Opiacés, antihistaminiques L’association est contre-indiquéeAccès hypertensifs, effet dépresseur central

Antidiabétiques oraux L’association est contre-indiquéeHypoglycémie

Diurétiques Hypotension

Tableau IV. – Recommandations à donner auxpatients traités par IMAO.

Éviter dans la mesure du possible les alimentscontenant de la tyramineTous les fromages fermentés (les fromages blancssont autorisés)Gibiers, foie, abats, sauces contenant des extraitsde viandeAliments fermentés, sauce de soja, aliments fumés(poissons)Fèves, fruits secsBananes, chocolatVins rouges, bière, vins cuits

Prévenir tout médecin ou dentisteconsulté quevous êtes traité par IMAO, en particulier en casd’anesthésie (anesthésie dentaire)Porter en permanence sur vous une carte indiquantque vous êtes traité par IMAO

Éviter absolument les médicaments suivants,saufs’ils ont été prescrits par un médecin informé dufait que vous êtes traité par IMAOAntalgiques, sauf aspirine et paracétamolVasoconstricteurs nasaux et médicaments « anti-rhume »AntiallergiquesSomnifères non prescrits

Consulter en urgenceen cas de maux de tête, nau-sées, vomissements, douleurs thoraciques ou toutautre symptôme inhabituel

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

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Page 34: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

– les associations aux antidépresseurs ;– cardiovasculaires : hypertension artérielle et

antécédent d’accident vasculaire cérébral ;– l’insuffisance hépatique ;– l’alcoolisme chronique.

Contre-indications des antidépresseursnon tricycliques et non IMAO « classiques »

Il n’existe en général pas de contre-indication, entout cas de manière absolue.

Ils sont cependant contre-indiqués pendant lagrossesse dans la mesure où la plupart d’entre euxn’ont été que récemment introduits.

‚ Règles de prescriptiond’un antidépresseur

Le choix de l’antidépresseur est basé sur différentscritères qui sont essentiellement :

– le respect des contre-indications ;– l’existence de succès ou d’échecs thérapeu-

tiques antérieurs. Un antidépresseur efficace lorsd’un précédent épisode dépressif pourra être retenuen première intention ;

– un risque prévisible d’effets secondaires. En casd’antécédent de mauvaise tolérance aux tricycliqueset donc d’un risque de mauvaise compliance, onpeut proposer un antidépresseur réputé mieuxtoléré, par exemple un inhibiteur de la recapture dela sérotonine ;

– la recherche d’effets latéraux particuliers. En casd’agitation, d’anxiété importante ou d’insomnie, onpréférera un antidépresseur dit « sédatif » (Laroxylt,Surmontilt, Athymilt...). Lorsque le ralentissementpsychomoteur est important, un antidépresseurstimulant sera préféré (Tofranilt, Pertofrant,Moclaminet, Vivalant...).

Le choix de la posologie est fonction, outre duproduit, de la tolérance et de l’efficacité, maiségalement des informations concernant destraitements antérieurs. Plusieurs repères peuventaider à trouver la posologie efficace :

– la posologie moyenne efficace pour chaqueproduit (fourchette thérapeutique). La posologieefficace est cependant très variable d’un sujet àl’autre ;

– l’apparition des effets indésirables, signesd’imprégnation ;

– les dosages plasmatiques de l’antidépresseurpeuvent aider à l’ajustement de la posologie en casd’absence d’efficacité ou de signes d’intolérance.

Antidépresseurs tricycliques

¶ Bilan initial préthérapeutiqueCe bilan vise à rechercher des contre-indications

aux tricycliques. Il faut ainsi rechercher desantécédents cardiovasculaires, de glaucome(personnels et familiaux), de rétention urinaire etd’épilepsie. Des bilans spécialisés (cardiologique,ophtalmologique, urologique et neurologique) nesont en général effectués qu’en présence de signescliniques d’appel ou d’antécédents. Certainspraticiens considèrent cependant que l’électrocardio-gramme (ECG) doit être systématiquement réaliséaprès l’âge de 40 ans.

Lors de ce bilan, les patients doivent être informésdes effets indésirables des tricycliques (sédation,effe ts ant i chol inerg iques , hypotens ion ,tremblements).

¶ Choix du produitLe choix du produit, comme celui de la classe

thérapeutique, peut être guidé par la recherched’effets thérapeutiques particuliers (psychostimulantsou sédatifs), par le souci d’éviter certains effetssecondaires et par l’existence de succès ou d’échecsantérieurs à un produit.

Les antidépresseurs doivent, dans la mesure dupossible, être prescrits en monothérapie. Danscertains cas, il est possible d’associer deuxantidépresseurs. Un antidépreseur non tricyclique,non IMAO est alors en général associé au tricyclique.En France, l’association d’un antidépresseur IMAO« classique » avec un antidépressseur d’une autrefamille est contre-indiquée.

¶ Associations médicamenteusesUn traitement anxiolytique par neuroleptique

sédatif ou tranquillisant (benzodiazépine) peut êtreassocié à un antidépresseur tricyclique en casd’anxiété, d’agitation ou de risque de passage àl’acte suicidaire. Ce traitement est « autorisé » par lesRMO.

Un traitement neuroleptique antiproductif estadjoint en cas de signes délirants associés.

Un traitement hypnotique peut être associé encas d’insomnie.

Des traitements correcteurs des effets indésirablesdes tricycliques peuvent être proposés en cas degêne fonctionnelle réelle (tableau II).

¶ Voie d’administrationLa voie d’administration habituelle est la voie

orale.Cependant, dans certains cas, en début de

traitement et lors d’une hospitalisation, on peutproposer une administration parentérale sous formede perfusions. Dans les RMO, la voie intraveineusedoit être réservée à l’usage hospitalier. Cette formede traitement a l’avantage de permettre une plusgrande régression du fait de la médicalisation etd’induire un effet sédatif plus marqué pendant letemps de la perfusion. Elle permet par ailleursd’éviter l’effet de « premier passage hépatique » qui,après administration orale, peut entraîner, chezcertains patients, une forte dégradation précoce destricycliques. À taux plasmatique identique, l’effetantidépresseur des tricycliques n’est pas plus rapide,ni plus fort par voie intraveineuse que par voie orale.

¶ PosologieLa dose initiale est de l’ordre de 25 à 50 mg par

jour (voire moins en fonction du terrain, enparticulier chez les sujets âgés). Elle doit êtreprogressivement augmentée jusqu’à 150 mg parjour qui est la dose thérapeutique moyenne.L’augmentation de la posologie est fonction de latolérance clinique. L’administration quotidienne sefait en général en une seule prise, le soir (sauf pourles antidépresseurs psychostimulants qui doiventêtre pris le matin).

Chez le sujet âgé (plus de 70 ans dans les RMO), laposologie initiale recommandée pour la plupart desantidépresseurs est en moyenne la moitié de cellepréconisée chez l’adulte et doit être réévaluéerégulièrement au cours du traitement.

Des dosages plasmatiques de l’antidépresseurpeuvent être réalisés dans différentes circonstances :

– précocement en cas de discordance entrel’intensité des effets indésirables et la posologieadministrée ;

– en cas d’absence d’amélioration passé le délaid’action habituel, et notamment en l’absence designes d’imprégnation malgré une forte posologie.

Il n’existe cependant aucune corrélation stricteentre les taux plasmatiques, l’efficacité clinique etl’intensité des effets indésirables.

¶ Surveillance à court termeLa surveillance porte sur la tolérance (effets

secondaires : signes anticholinergiques, hypotensionorthostatique, tremblements, tolérance cardiaque) etl’efficacité du traitement (effets primaires).

¶ Surveillance à long termeÀ long terme, il est prudent de surveiller la

tolérance cardiaque (ECG), hépatique (bilanhépatique), ainsi que les interactions des tricycliquesavec d’autres médicaments. Il est fondamentald’évaluer l’efficacité du traitement prophylactique etles risques de rechutes. Un suivi régulier permet undépistage précoce des rechutes en réajustant letraitement.

¶ Arrêt du traitementCe sujet faisant l’objet d’un chapitre à part, il ne

sera pas détaillé ici. Il faut cependant rappelerquelques grandes règles.

Un traitement antidépresseur ne doit pas êtreinterrompu brutalement, ni dès la disparition dessymptômes dépressifs, en raison d’un risqueimportant de rechute. Il doit être poursuivi pendantune période de 6 mois environ après la guérison del’accès. Le traitement prophylactique a été démontréefficace pour réduire le risque de rechute. Cettepériode de consolidation est estimée à 4 à 6 moisdans les RMO.

Le traitement doit être arrêté progressivement surplusieurs semaines, permettant ainsi de prévenir lerisque de réactions de sevrage. L’antidépresseurpourra par exemple être arrêté sur 6 semaines, endiminuant la posologie quotidienne de 25 mg toutes

Dans les RMO, il n’existe pas deconsensus concernant l’associationd’une benzodiazépine « hypnotique »et d’une benzodiazépine« tranquillisante ». Cependant, lesexperts considèrent que toutes lesbenzodiazépines ont les mêmes effetscliniques, que la différence entre effetanxiolytique et sédatif tient à la doseutilisée, et que l’insomnie étantsouvent liée à des phénomènesanxieux, elle ne nécessite pas d’autresbenzodiazépines qu’anxiolytiques. Lesauteurs des RMO déconseillent donccette association. Il est ainsi préférabled’associer une seule benzodiazépineau traitement antidépresseur.

Le délai d’action des antidépresseursest de l’ordre de 3 à 4semaines. Untraitement antidépresseur prescrit àposologie efficace ne doit donc pas êtrechangé avant ce délai, sauf en casd’aggravation majeure ou d’accidentlié au traitement (RMO).

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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les semaines, ce qui permet de la réaugmenter encas de signes de rechute. La surveillance doit êtreparticulièrement attentive durant les 2 mois quisuivent l’arrêt du traitement.

Un traitement au long cours, préventif desrécidives dépressives, est proposé en fonction dunombre et de la gravité des épisodes. Selon les RMO,il est justifié après deux à trois épisodes dépressifs.

Antidépresseurs IMAO « classiques »

Les antidépresseurs IMAO « classiques » sontactuellement plus rarement prescrits. Avant la miseen route du traitement, il faut rechercher unecontre-indication à ce type de traitement, et enparticulier effectuer un bilan cardiovasculairesoigneux.

Les règles générales de prescripion sont lesmêmes que celles des tricycliques.

Antidépresseurs non tricycliques et non IMAO« classiques »

Les contre-indications de ces antidépresseurs sontrares. Le plus souvent, aucun examen complémen-taire n’est donc nécessaire avant instauration dutraitement.

La posologie est variable selon le produit.Il n’est pas possible de réaliser en pratique

courante des dosages plasmatiques de cesantidépresseurs.

‚ Interactions médicamenteuses

Ces interactions sont importantes à connaître parle généraliste qui peut être amené à prescrired’autres médicaments au patient déprimé.

Les interactions médicamenteuses avec lestricycliques sont variables selon les produits. Engénéral, elles ne constituent pas des contre-indications à leur prescription. Elles nécessitentcependant une surveillance et parfois desmodifications de posologie (tableau V).

À l’inverse, certaines associations médicamen-teuses avec les IMAO « classiques » peuventprovoquer des accidents graves et sont donc descontre-indications formelles à leur prescription(tableau III). Le médecin doit informer les patients etleur famille de ces contre-indications.

■Thymorégulateurs

Les thymorégulateurs sont un traitementprophylactique des troubles de l’humeur et sont engénéral institués par le spécialiste.

‚ Principes du traitement

Produits

Actuellement, il existe quatre produits ayant uneaction thymorégulatrice :

– deux thymorégulateurs majeurs : les sels del i thium (Téral i thet , Neurol i thiumt ) et lacarbamazépine (Tégrétolt) ;

– deux produits utilisables en deuxièmeintention : le valpromide (Dépamidet) et l’acidevalproïque (Dépakinet). Seul le Dépamidet a uneindication légale en France pour le traitementprophylactique des troubles de l’humeur.

Indications d’un traitement thymorégulateur

L’objectif d’un traitement thymorégulateur est deprévenir les récurrences ultérieures de troublesthymiques.

La mise en route d’un traitement thymorégulateurdépend en grande partie de la fréquence desrécidives : un tel traitement est justifié lorsqu’unpatient présente un accès maniaque ou dépressifdans les 3 ans suivant un premier épisode thymique.Il peut être également indiqué lorsqu’un seul épisodemaniaque a eu lieu, surtout s’il existe desantécédents familiaux maniacodépressifs. En effet, lasurvenue d’un nouvel accès dans les 3 annéessuivant un premier épisode maniaque est trèsprobable.

L’intensité des accès et leurs répercussionssociales, familiales, professionnelles... doiventégalement être prises en compte.

Le suivi des patients souffrant d’une psychosemaniacodépressive est codifié et fait l’objet derecommandations élaborées par les cliniciens etexperts de l’ANDEM.

Selon ces recommandations, le lithium s’adresseaux malades ayant un trouble maniacodépressifbipolaire et unipolaire et aux états schizoaffectifsintermittents. Ce traitement est en général instituépar le spécialiste, poursuivi et surveillé par legénéraliste en collaboration avec le psychiatre. Dansles formes bipolaires, le lithium est le traitement depremière intention par rapport aux autresthymorégulateurs. En effet, huit études contrôlées

Tableau V. – Interactions médicamenteuses avec les antidépresseurs tricycliques.

Nature de l’interaction Médicaments en cause Commentaires

Effets des antidépresseurs tricycliques sur d’autres médicaments

Augmentation par les tricycliquesde l’action des :

Anticoagulants oraux (Coumadinet) Impose une surveillance plus étroite de l’hémostase en casd’introduction d’un traitement tricyclique chez un patient traitépar anticoagulants oraux

Bêta-agonistes, vasopresseurs (adrénaline, noradrénaline,isoprotérénol, phényléphrine)

Augmentation des effets vasopresseurs, risque de troubles durythme

Diminution par les tricycliques del’action des :

Antihypertenseurs centraux Antagonisme pharmacodynamique

Risque de toxicité IMAO L’association est en principe contre-indiquée

Effets d’autres médicaments sur les antidépresseurs tricycliques

Potentialisation de l’effet sédatifdes tricycliques par les :

Benzodiazépines, tranquillisants et hypnotiques,neuroleptiques, antihistaminiques (alcool)

Potentialisation des effets anticholi-nergiques des tricycliques par les :

Neuroleptiques, antiparkinsoniens, anticholinergiques,antihistaminiques, antispasmodiques et antidiarrhéiques

Risque d’augmentation des effets indésirables, voire d’intoxi-cation anticholinergique

Potentialisation de l’hypotensioninduite par les tricycliques

Cet effet est surtout marqué pour les antidépresseurs à actionhypotensiveL’association impose une surveillance étroite de la pressionartérielle

Potentialisation de la cardiotoxicitédes tricycliques par les :

Quinidiniques et procaïnamides Augmentation des temps de conduction intracardiaqueRisque de troubles du rythme

Anesthésiques (halothane, pancuronium) Effet controversé. Par précaution, le traitement antidépresseurpeut être interrompu avant une anesthésie générale

Augmentation des taux plasmati-ques des tricycliques par :

Fluoxétine L’association de fluoxétine à un antidépresseur tricycliqueimpose parfois de réduire sa posologie

Hormones thyroïdiennes, disulfirame, glucocorticoïde,œstroprogestatifs, méthylphénidate et amphétamines,salicyclés, thiazidiques

Les hormones thyroïdiennes peuvent potentialiser l’effet anti-dépresseur

Diminution des taux plasmatiquesou de l’activité du tricyclique par :

Barbituriques et carbamates, carbamazépine, phénytoïne,rifampicine

Par induction enzymatique hépatique

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ont confirmé l’efficacité des sels de lithium. Pour leTégrétolt, seulement trois études ont été effectuéesen double aveugle.

Conditions de mise en route d’un traitementthymorégulateur

La mise d’un patient sous thymorégulateurnécessite une alliance thérapeutique de bonnequalité et doit être décidée conjointement avec lepatient après évaluation des bénéfices et desinconvénients d’un tel traitement et des problèmesliés à la maladie elle-même.

Le patient et sa famille doivent être informés desobjectifs et des risques du traitement (effetssecondaires, signes d’intoxication, situationssusceptibles de provoquer un surdosage,interactions médicamenteuses), de sa duréeminimale, qui doit être fixée préalablement avec lepatient (par exemple, une durée de traitement de 3ans avec reconsidération du traitement au bout decette période), et des règles d’hygiène de vie àobserver (les situations de surmenage et lesprivations de sommeil constituent des facteurs devulnérabilité à la rechute).

Le patient et son entourage doivent apprendre àreconnaître les premiers signes d’une rechutedépressive ou maniaque et consulter rapidementpour ajuster le traitement.

L’ensemble de ces informations, indispensablepour établir une relation thérapeutique et améliorerl’observance médicamenteuse, est communiqué aupatient par son médecin traitant, lors depsychothérapies de groupe, ou encore parl’intermédiaire d’ouvrages ou de documentsspécialisés.

Suivi d’un traitement thymorégulateur

Un traitement thymorégulateur nécessite un suiviambulatoire régulier et prolongé qui comporte unesurveillance régulière de l’efficacité et de la tolérancedu traitement médicamenteux et un soutienpsychologique du patient et de sa famille.

Le médecin généraliste en charge d’unmaniacodépressif doit pouvoir assurer à son patientune grande disponibilité, pouvant être joint à toutmoment par celui-ci ou sa famille. Le rythme desconsultations est variable d’un patient à l’autre, maisdoit être au minimum d’une fois par trimestre.

La psychothérapie tient une place importantedans la prise en charge du maniacodépressif.L’association d’une psychothérapie personnelle ou

familiale au traitement thymorégulateur est plusbénéfique pour le malade qu’un traitementthymorégulateur seul. Le choix du type depsychothérapie est effectué par un spécialiste etdépend de plusieurs facteurs tels que la personnalitédu patient, son environnement, l’existence d’unecomorbidi té , l ’ importance des séquel les« psychologiques » de la maladie...

L’ensemble de ces mesures vise à améliorer lacompliance au traitement, qui est mauvaise (18 à53 % de non-compliance au lithium selon les études)et qui est la première cause d’échec thérapeutique.

Durée d’un traitement thymorégulateur

La durée du traitement doit donc être fixée et« négociée » préalablement avec le patient.

Le traitement doit être prolongé pendant unedurée minimale de 2 à 3 ans afin de pouvoir enévaluer l’efficacité. Au bout de cette période, letraitement peut être reconsidéré ; ses avantages etses inconvénients seront réévalués. La décisiond’arrêter peut se justifier en cas d’inefficacité, d’effetsindésirables trop invalidants, de projet de grossesse.Après interruption du traitement, une surveillanceclinique attentive est recommandée en raison d’unrisque de rechute, surtout maniaque, plus élevé dansles mois suivant l’arrêt de la lithothérapie. Certainsauteurs ont mis en évidence un risque de résistanceultérieure lors de la reprise du lithium.

‚ Recommandations spécifiques auxdifférents traitements prophylactiques

Sels de lithium

Le lithium a d’une part un effet préventif desrechutes maniaques et dépressives de la psychosemaniacodépressive, effet dit thymorégulateur, etd’autre part un effet curatif sur les accès maniaques.L’efficacité du lithium comme traitementthymorégulateur a été démontrée dans denombreuses études, et il constitue toujours letraitement de première intention des troublesmaniacodépressifs bipolaires. Il présente cependantcertains inconvénients liés à sa toxicité éventuelle età des contraintes de surveillance, et il existeégalement des problèmes de résistance et decompliance au traitement.

Son activité antidépressive reste controversée.Les sels de lithium sont commercialisés sous trois

formes : le carbonate de lithium présenté soit sous laforme de comprimés dosés à 250 mg (Téralithet),soit sous la forme de comprimés dosés à 400 mg àlibération prolongée (Téralithet 400 LP) et legluconate de lithium (Neurolithiumt) en ampoulesde 5 et 10 mg.

Grâce à sa présentation sous forme decomprimés, le Téralithet est davantage utilisé enFrance.

¶ Quelques données pharmacocinétiquesL’absorption digestive du lithium est complète et

rapide. Le pic plasmatique est atteint environ2 heures après l’ingestion. Il existe une très grandevariabilité interindividuelle des taux plasmatiques. Laposologie pour obtenir une lithiémie thérapeutiquevarie donc d’un sujet à l’autre. Le lithium est excrétépar le rein ; sa demi-vie d’élimination estrelativement longue, de 24 ± 8 heures. On préconised’administrer le Téralithet 250 en deux prisesquotidiennes afin d’éviter les effets de pics. LeTéralithet LP 400 doit être administré en monoprisele soir (il ne doit être ni sucé, ni croqué).

La posologie du traitement est adaptée enfonction du taux sanguin. La zone thérapeutiquecorrespond à des taux plasmatiques compris entre0,5 et 0,9 mmol/L pour la forme à 250 mg et entre0,8 et 1,2 mmol/L pour la forme à libérationprolongée. La zone thérapeutique est proche de lazone toxique (lithiémie au-dessus de 1,5 mmol/L).Cela oblige à une surveillance étroite de la lithiémie.

La lithiémie doit être contrôlée 5 jours enmoyenne après une modification de traitement pourla forme à 250 mg et 7 jours pour la forme LP. Elledoit s’effectuer toujours à la même heure, le matin,12 heures après la prise vespérale, avant la prisematinale pour le Téralithet 250. Il existe descorrespondances pour les doses entre les deuxformes de médicament.

Le dosage introérythrocytaire du lithium est untémoin plus fiable de la prise régulière du lithium,mais n’est pas de pratique courante.

Différents facteurs peuvent être à l’origine devariations intra-individuelles de la lithiémie. Leprincipal facteur est l’apport hydrosodé. En effet, encas de déplétion sodée, un mécanisme d’adaptationintervient, provoquant une réabsorption, par le rein,du lithium à la place du sodium. La lithiémie s’élèvealors progressivement.

Toute perte de sel (diarrhée, vomissements,sudation excessive en cas de grosse chaleur) doit parconséquent être compensée, et les salidiurétiquesdoivent être contre-indiqués.

¶ IndicationsLes indications principales du lithium sont les

suivantes.■ Traitement préventif de la maladie

maniacodépressive : la décision de la mise en routed’un traitement par le lithium dépend du risque derécidive. La lithiothérapie se justifie lorsqu’un patientprésente un accès dépressif ou maniaque survenantdans les 3 ans suivant un premier épisode thymique,en raison du risque important de récidive.

Elle peut être débutée dès le premier accèsmaniaque, surtout si le patient présente desantécédents familiaux maniacodépressifs.

Outre le nombre d’épisodes et l’existenced’antécédents familiaux de troubles thymiques,d’autres facteurs interviennent dans la décision demise sous lithium : la gravité des accès, l’âge desurvenue du premier accès (le lithium est volontiersproposé dès le premier accès chez l’adolescent,

Même si les indications« pharmacologiques » d’un traitementthymorégulateur sont actuellementbien codifiées, la conditionindispensable pour mettre en route untel traitement est l’obtention d’unecollaboration de bonne qualité avec lepatient et sa famille. La mise en routed’un traitement thymorégulateur doitêtre « négociée » avec le patient aprèsévaluation des avantages et desinconvénients du traitement et desproblèmes posés par la maladie. Ladurée du traitement doit êtreinitialement définie avec le patient.

Un patient sous lithium doit êtreinformé de la possibilité de survenued’effets indésirables (la plupart dose-dépendants), voire toxiques, et desconditions favorisant un surdosage(toute cause de déshydratation). Ildevra connaître les précautionsnécessaires pour éviter un risqued’intoxication par le lithium(compenser toute perte d’eau et de sel,respecter les contre-indicationsmédicamenteuses). En présence designes de surdosage, le patient devraarrêter transitoirement le lithium ouréduire la posologie et contrôler enurgence la lithiémie.

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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Page 37: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

surtout en l’absence de facteur déclenchant), et biensûr l’acceptation du traitement par le patient.

■ Traitement curatif de l’épisode maniaque enassociation ou non à un neuroleptique.

■ Traitement préventif des schizophréniesdysthymiques.

D’autres indications sont plus discutées.■ Troubles du caractère, irritabilité, impulsivité,

agressivité.■ Alcoolisme chronique, surtout dans les formes

dypsomaniaques où le recours à l’alcool est unéquivalent dépressif.

¶ Contre-indicationsLes contre- indicat ions absolues de la

lithiothérapie sont les suivantes :– insuffisance rénale grave ;– hyponatrémie (notamment par régime

désodé) ;– traitements salidiurétiques ;– insuffisance cardiaque majeure ;– troubles du ryhtme ;– allaitement.Cependant, il n’existe pas, pour certains auteurs,

de maladie contre-indiquant de manière absolue lalithiothérapie, surtout lorsque celle-ci s’avère être laseule thérapeutique efficace. En cas d’insuffisancerénale grave, d’insuffisance cardiaque ou dedéshydratation, la lithiothérapie devra être instauréeen milieu hospitalier, après rééquilibration despathologies et avec une surveillance stricte de lalithiémie.

Les contre-indications relatives sont les suivantes :– insuffisance rénale modérée ;– hypothyroïdie ;– comitialité ;– 1er trimestre de la grossesse ;– certains traitements médicamenteux :

carbamazépine, inhibiteurs de l’enzyme deconversion (IEC), anti-inflammatoires non stéroïdiens(AINS), sulfamides hypoglycémiants, insuline.

Chez le sujet âgé, outre la nécessité d’unesurveillance clinique et paraclinique attentive, lesconcentrations plasmatiques recherchées doiventêtre plus faibles et se situer entre 0,3 et 0,6 mmol/L.

¶ Instauration du traitement thymorégulateurprophylactiqueUn examen clinique complet incluant la prise de

la tension artérielle et la pesée est nécessaire.Parmi les examens paracliniques, un ECG sera

réalisé si le patient a plus de 50 ans ou s’il présentedes antécédents cardiovasculaires, un élec-troencéphalogramme (EEG) en cas d’antécédentsneurologiques.

Les examens biologiques qui doivent êtrepratiqués sont les suivants :

– numération formule sanguine (NFS) ;– ionogramme sanguin ;– clairance de la créatinine, protéinurie ;– bilan thyroïdien (dosage de la TSH [thyroid

stimulating hormone] ultrasensible) ;– test de grossesse, contraception chez la femme.D’autres examens peuvent être réalisés en

fonction des antécédents médicaux du sujet.Le traitement doit être instauré de façon

progressive : 250 mg de Téralithet par paliers de3 jours jusqu’à obtention de la dose efficace,c’est-à-dire de la dose qui permettra d’obtenir unelithiémie se situant dans la fourchette thérapeutique.Un contrôle de la lithiémie peut être effectué après

une semaine de traitement (état d’équilibre obtenuaprès 4 à 5 jours de traitement). Après nouvellemodification de la posologie, il faudra attendre ànouveau ce délai pour recontrôler la lithiémie.

La fourchette thérapeutique de la lithiémie sesitue entre 0,5 et 0,8 mmol/L. Certains patientspeuvent nécessiter des lithiémies plus faibles (0,3 à0,5 mmol/L) et d’autres des lithiémies plus élevéespour une meilleure protection contre les rechutes(0,8 à 1 mmol/L).

Le Téralithet 400 LP est administré en une seuleprise le soir. La lithiémie optimale est de 1 mmol/L (±0,2 mmol/L). Cette forme de traitement permetd’éviter le pic lithiémique et d’améliorer la stabilité dela lithiémie en une seule prise quotidienne. Lepassage du Téralithet 250 au Téralithet 400 LP sefait en multipliant par 0,75 la posologie (nombre decomprimés de Téralithet 250).

¶ Surveillance du traitementL’information du patient (bénéfices du traitement,

effets indésirables) favorise une meilleurecompliance au traitement.

La lithiémie doit être contrôlée tous les 2 à 3 mois,mais également dès qu’apparaissent des signesd’intoxication, en cas de modification de l’étatclinique, lors d’une pathologie somatiqueintercurrente ou lors de traitements médicamenteuxassociés. Le prélèvement doit être effectué 12 heuresaprès la dernière prise de lithium. Il n’est pasnécessaire que le patient soit à jeun. Il est conseilléde faire effectuer les dosages de lithiémie dans lemême laboratoire d’analyse. Un dosage de lacréat inine doit être également prat iquérégulièrement, et il est conseillé de pratiquer uncontrôle annuel de la TSH ultrasensible.

Il faut surveiller les interactions médicamenteuses.Outre les produits connus comme responsablesd’interactions pharmacocinétiques (diurétiques,AINS, IEC), les inhibiteurs de la recapture de lasérotonine peuvent entraîner une accentuation deseffets indésirables sérotoninergiques (tremblements,nausées, sueurs...).

¶ Effets indésirablesLe patient doit être informé de la possibilité de

survenue de ces effets. La plupart des effetsindésirables sont dose-dépendants, donc atténuéspar une diminution de la lithiémie.

Les tremblements peuvent être le premier signed’un surdosage ; ils imposent un contrôle de lalithiémie. Si ces tremblements persistent aprèsréajustement de la posologie à la limite inférieure dela dose efficace et s’ils sont invalidants, un traitementantitrémorique peut être prescrit (propranolol à ladose de 10 à 20 mg).

Les troubles digestifs (nausées, vomissements,diarrhée) apparaissant généralement en début detraitement, ils sont habituellement transitoires etspontanément réversibles. Leur persistance ou leurréapparition doit faire contrôler la lithiémie.

Le syndrome polyuropolydipsique peut survenirprécocement ou plus tardivement. Il ne doit enaucun cas entraîner une restriction hydrique. Unabaissement de la posologie du lithium peut enlimiter l’importance.

La fréquence des troubles thyroïdiens (goitre,hypothyroïdie, thyroïdite, et plus exceptionnellementhyperthyroïdie) justifie un contrôle annuel de la TSHultrasensible.

Les complications cutanées (acné, psoriasis) sontle plus souvent une aggravation d’un troublepréexistant.

La prise de poids est fréquente. Elle peut devenirun motif d’interruption du traitement. Quelquesconseils diététiques peuvent en limiter l’importance.

Les effets psychologiques délétères du lithiumsont fréquents et une cause de mauvaisecompliance. Ces effets sont une stabilisationexcessive des variations normales de l’humeur, uneréduction de la palette des émotions, voire unebaisse permanente de l’humeur. Une réduction de laposologie du traitement pourra permettre ladiminution, voire la suppression, des effets délétèresdu lithium sur le fonctionnement psychologique.

¶ Surdosages en lithiumEn dehors des surdosages volontaires, les

intoxications sont favorisées par les affectionsaccompagnées de fièvre, les vomissements et lesdiarrhées sévères, la déshydratation, le régime sanssel et certains produits médicamenteux (diurétiques,AINS, IEC et neuroleptiques à posologie élevée).

En présence de tels facteurs de risqued’intoxication et/ou de signes cliniques desurdosage, on doit conseiller au patient d’arrêtertransitoirement la lithiothérapie ou de réduire laposologie et de contrôler en urgence, puisrégulièrement, la lithiémie. En cas de voyage dansles pays chauds, la surveillance doit être renforcée, etun supplément sodé peut s’avérer justifié.

¶ Durée de la lithiothérapieElle doit être initialement définie avec le patient.

On peut fixer par exemple la durée du traitement à 3ans, avec reconsidération de celui-ci au terme decette période.

Le traitement peut être arrêté pour cause d’échec(même intensité et fréquence des épisodes), enraison d’effets indésirables trop invalidants, ouencore en raison d’un projet de grossesse. S’iln’existe aucune de ces causes, la poursuite dutraitement est à renégocier.

À l’arrêt du traitement, il est recommandéd’observer une surveillance clinique attentive enraison d’un risque accru de rechutes dépressives etsurtout maniaques dans les mois qui suivent l’arrêt.Aucun argument ne permet de penser que ladiminution progressive du traitement réduit cerisque, mais une réduction progressive pourrait êtreun moyen de minimiser l’anxiété du patient.

Carbamazépine (Tégrétolt)

Le Tégrétolt possède également un effetthymorégulateur et un effet antimaniaque.

Un nombre limité d’études ont démontré sonefficacité dans la prévention des troublesmaniacodépressifs. Il est par ailleurs de maniementplus facile (surveillance moins stricte) que le lithium.

¶ Quelques données pharmacocinétiquesLa réabsorption de la carbamazépine est lente ; le

pic plasmatique n’est atteint que 4 à 8 heures aprèsl’ingestion. Sa demi-vie est variable, comprise entre 5et 20 heures. Un minimum de deux prises par jourest recommandé. La forme retard permet demaintenir des taux plasmatiques plus stables, uneseule prise quotidienne est alors suffisante.

Le dosage plasmatique du Tégrétolt peut êtreeffectué en pratique courante. Les taux plasmatiques(3 à 12 µg/mL) utilisés comme fourchettes

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thérapeutiques sont les mêmes que ceux utiliséspour le Tégrétolt comme antiépileptique.

¶ IndicationsSelon les recommandations de l’ANDEM, la

carbamazépine est indiquée comme traitementpréventif des rechutes thymiques dans la psychosemaniacodépressive en cas de contre-indication, demauvaise tolérance ou de résistance à lalithiothérapie. Elle serait plus efficace que les sels delithium dans les troubles bipolaires à cycles rapides(quatre épisodes thymiques au moins pendantl ’année) ou accompagnés de symptômespsychotiques (autres que mélancoliques).

La carbamazépine peut également être prescritedans le but curatif d’un accès maniaque. D’après lesrecommandations de l’ANDEM, elle pourra êtrearrêtée 2 à 4 mois après la disparition des troublesmaniaques.

¶ Contre-indicationsLes principales contre-indications sont les

suivantes :– hypersensibilité au Tégrétolt ;– antécédents d’hypoplasie médullaire ;– antécédents de porphyrie aiguë intermittente ;– bloc auriculoventriculaire non compensé ;– hépatite chronique.D’autres contre-indications sont plus relatives et

justifient un bilan spécifique, voire un avisspécialiste : le glaucome, les troubles prostatiques,l’insuffisance hépatique ou rénale, l’insuffisancecardiaque.

Lorsqu’une grossesse est envisagée, on doitreconsidérer l’indication du traitement par rapportaux autres possibilités thérapeutiques. L’allaitementest déconseillé en raison du passage dans le laitmaternel.

¶ Instauration du traitementthymorégulateur prophylactiqueAvant de débuter le traitement, il est nécessaire

de réaliser certains examens afin d’éliminer unecontre-indication :

– bilan hépatique : γ GT, transaminases ;– NFS, plaquettes ;– ECG.La posologie doit être augmentée progressi-

vement par paliers de 3 à 4 jours. La posologieinitiale est de 1 comprimé le soir pendant 3 jours,puis augmentation de ½ comprimé tous les 3 à 4jours afin de réduire les risques de sédation et detroubles de la vigilance. Il ne faut pas hésiter àréduire la posologie pour l’augmenter plusprogressivement si des effets secondairessurviennent sur un terrain fragile (sujets âgés). Laposologie efficace se situe en moyenne entre 400 et1 000 mg/j.

Pour faciliter l’observance, on peut proposer uneforme à libération prolongée qui permet de réduirele nombre de prises par jour.

Pour éviter les effets sédatifs, il est conseillé dedonner la posologie maximale le soir.

¶ Surveillance du traitement par TégrétoltEn règle générale, un premier dosage du

Tégrétolt est demandé après 1 semaine detraitement et un second après 3 semaines. Lafourchette thérapeutique a été arbitrairement définieen référence aux chiffres conseillés lors del’uti l isation de la carbamazépine commeanticomitial. Cette fourchette est de 5 à 10 mg/L (ou20 à 40 mmol/L). Une baisse plasmatique peut

survenir sans modification de la posologie après unedizaine de jours de traitement, nécessitant unréajustement de la posologie (cela est dû à unphénomène d’auto-induction enzymatique). Par lasuite, les dosages de surveillance s’effectueront tousles 3 à 6 mois.

En cas d’association médicamenteuse oud’apparition de signes de toxicité, de nouveauxdosages doivent être effectués.

Une surveillance hépatique et sanguine (risqued’aplasie, d’agranulocytose) est recommandée,particulièrement pendant les premiers mois detraitement : NFS, plaquettes, transaminases et γ GT.

¶ Effets indésirablesComparée à celle du lithium, la tolérance de la

carbamazépine est meilleure et le risque lié ausurdosage est moindre.

En début de traitement, des effets secondairesbénins sont fréquents : somnolence, nausées,sensation de fatigue, vertiges, troubles visuels. Cessignes disparaissent le plus souvent après quelquesjours de traitement. Parfois, afin d’atténuer ces effets,une réduction de la posologie, puis uneréaugmentation plus progressive peuvent êtreenvisagées, rarement une interruption de traitement.

Des éruptions cutanées maculopapuleusespeuvent également survenir en début de traitement,mais elles disparaissent après quelques jours.Exceptionnellement, des réactions d’hypersensibilitécutanée peuvent conduire à l’interruption dutraitement.

Les effets hématologiques induits par lacarbamazépine sont de deux types. Premièrement,la carbamazépine induit fréquemment uneleucopénie, bénigne, qui nécessite une simplesurveillance. Deuxièmement, il existe un risquebeaucoup plus grave d’agranulocytose, d’aplasie oude thrombocytopénie, de mécanisme immunoaller-gique (non lié à l’effet leucopéniant de lacarbamazépine). Malgré leur rareté (1/20 000), cestroubles éventuels justifient une surveillancerégulière de la NFS.

La carbamazépine présente également des effetshépatiques. Une augmentation modérée destransaminases est fréquente. Il s’agit d’un effetdose-dépendant qui n’implique pas nécessairementl’arrêt du traitement. Indépendamment de cet effet,le risque d’hépatite immunoallergique, cytolytiqueou cholestatique implique une surveillancehépatique régulière.

D’autres troubles sont plus rares : effetsgastro-intestinaux, troubles endocriniens,cardiaques, effet tératogène, pancréatite.

Le patient doit être informé des risquesqu’implique un traitement par la carbamazépine, eten part icul ier les signes d’une affect ionhématologique, hépatique ou dermatologique.

¶ Interactions médicamenteuses avec le TégrétoltLes différents médecins suivant un patient sous

carbamazépine doivent être informés de la prise dece médicament en raison des nombreusesinteractions médicamenteuses, notamment lesgynécologues qui seront amenés à reconsidérer lesmoyens contraceptifs chez une femme.

En raison d’un risque de surdosage, les IMAO nonsélectifs sont formellement contre-indiqués ; lesantibiotiques macrolides, l’isoniazide, la cimétidine,

le valpromide, le vérapamil, le diltiazem, ledextropropoxyphène, le danazol et la viloxazinesont déconseillés.

La carbamazépine diminue les concentrationsplasmatiques et l’efficacité des contraceptifs, desanticoagulants oraux, des autres antiépileptiques, duprogabide, des ciclosporines, des corticoïdes, de ladoxycycline, de l’hydroquinidine, de la quinidine etde la théophylline. Elle diminue également lesconcentrations plasmatiques des médicamentsmétabolisés par le foie tels que les neuroleptiques,les benzodiazépines (sauf l’oxazépam et lelorazépam, non métabolisés par le foie), lesantidépresseurs tricycliques et les hormonesthyroïdiennes.

Le phénobarbital et les anticonvulsivants, typephénytoïne, diminuent l’effet de la carbamazépineen réduisant ses taux plasmatiques.

¶ Surdosages en TégrétoltAu-delà du seuil de 12 mg/L, des signes de

toxicité apparaissent. Il existe un risque létal en casde prise de 6 g ou plus de carbamazépine.

Les signes de surdosage sont des troubles de laconscience, des signes neurologiques (diplopie,tremblements, secousses musculaires), des troublesrespiratoires, des troubles gastriques (nausées,vomissements), des troubles urinaires (rétention) etdes troubles cardiovasculaires (troubles du rythme,hypotension).

¶ Durée du traitement thymorégulateurLa durée du traitement préventif des rechutes

thymiques est a priori la même que celle de toutthymorégulateur, c’est-à-dire une durée minimale de2 à 3 ans, qui est à négocier avec le patient.

Acide valproïque (Dépakinet)et valpromide (Dépamidet)

Il s’agit de deux antiépileptiques très proches l’unde l’autre, l’acide valproïque étant un métabolite duvalpromide.

Ces produits sont utilisés comme thymorégula-teurs en deuxième intention en cas de résistance oude contre- indicat ion au l i thium ou à lacarbamazépine.

En France, la prophylaxie des troubles del’humeur n’est une indication légale que pour levalpromide (Dépamidet).

¶ Quelques données pharmacocinétiquesLes propriétés pharmacocinétiques de ces deux

produits sont proches de celles de la carbamazépine.Il est recommandé de prescrire 2 à 3 prises par

jour. Des dosages plasmatiques de la Dépakinetpeuvent être réalisés.

¶ Contre-indicationsIl n’existe pas de contre-indication absolue. La

grossesse est un contre-indication relative.

¶ Instauration du traitementLe valpromide et le valproate doivent être

introduits progressivement. La posologie initiale estde 1 comprimé par jour, elle est augmentée jusqu’à4 à 6 comprimés en fonction de la tolérance.

¶ Effets indésirablesLes effets indésirables les plus fréquents sont la

sédation (surtout en début de traitement, maispouvant se prolonger), l’hypotonie et en cas desurdosage, une obnubilation de la conscience. Cesmanifestations surviennent préférentiellement lorsd’associations à d’autres psychotropes.

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

9

Page 39: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

On peut également observer une toxicitéhépatique, dose-dépendante la plupart du temps.

¶ Interactions médicamenteusesIl n’existe pas d’interaction entre le Dépamidet et

le lithium. En revanche, il existerait une interactiontoxique avec la carbamazépine du fait del’augmentation du taux d’un métabolite actif.

■Neuroleptiques

‚ Généralités

La classe des neuroleptiques, utilisée enpsychiatrie depuis une quarantaine d’années, a étédéfinie en 1947 par Delay et Deniker sur cinqcritères d’activité.

■ Créat ion d’un état d ’ indifférencepsychomotrice.

■ Efficacité vis-à-vis des états d’anxiété etd’agitation.

■ Réduct ion progressive des troublespsychotiques aigus et chroniques.

■ Production de syndromes extrapyramidaux etvégétatifs.

■ Effets sous-corticaux dominants.Les neuroleptiques sont efficaces sur différents

troubles psychopathologiques. Ils sont le plussouvent prescrits comme antipsychotiques, et plusparticulièrement dans le traitement de laschizophrénie. Ils sont très efficaces sur lessymptômes productifs (délire et hallucinations), maisils possèdent également d’autres propriétés nonspécifiques telles que des effets sédatifs etanxiolytiques.

Ainsi, les neuroleptiques ne sont pas spécifiquesd’un diagnostic, mais peuvent avoir une action surdifférents symptômes (action symptomatique).

Les principaux effets thérapeutiques desneuroleptiques sont les suivants :

– action antidélirante ou antihallucinatoireconstituant l’action antiproductive ;

– propriété sédative agissant sur l’agitationpsychomotrice et l’anxiété ;

– action antidéficitaire efficace sur certainssymptômes tels que l’apragmatisme.

Les neuroleptiques présentent des effetsindésirables importants, facteurs de mauvaisecompliance. Cette mauvaise tolérance limite leurutilisation.

‚ Produits

Classifications

Les principales familles de neuroleptiques sont lesphénothiazines, les thioxanthènes, les butyrophé-nones et apparentés, et les benzamides (tableau VI).

La propriété principale des neuroleptiques estd’exercer un blocage des récepteurs dopaminer-giques. Ils présentent également d’autres effetspharmacologiques, variables selon les produits :actions anticholinergiques, antihistaminique H1,adrénolytique α, antisérotoninergique 5-HT2.

¶ Action antiproductive et sédativeLa classification clinique présente un intérêt

pratique plus grand que les autres classifications.Les deux actions fondamentales des neurolep-

tiques sont :– une action antiproductive, c’est-à-dire

antidélirante, liée à un blocage des récepteurs

dopaminergiques. Les neuroleptiques possédantcette propriété sont appelés neuroleptiques incisifs ;

– une action sédative non spécifique. Cetteaction est liée aux effets centraux anticholinergiques,adrénolytiques α et antihistaminiques H1.

Les neuroleptiques sont classés en fonction deleur pouvoir antiproductif ou sédatif (tableau VII).Certains neuroleptiques sont essentiellementantiproductifs et peu sédatifs, c’est le cas del’halopéridol (Haldolt), d’autres sont surtout sédatifset peu productifs, comme la lévomépromazine(Nozinant), d’autres enfin exercent à la fois uneaction antiproductive et sédative, on parle alors deneuroleptiques mixtes ou polyvalents, comme lachlorpromazine (Largactilt).

¶ Action antidéficitaireCertains neuroleptiques dits « désinhibiteurs » ont

une action spécifique sur les symptômes négatifs oudéficitaires de la schizophrénie (tableau VIII). Cesneuroleptiques ont souvent la particularité deprésenter des effets différents selon la dose : à dosefaible, leur effet est désinhibiteur, alors qu’à doseélevée, leur effet est antiproductif et/ou sédatif.

Neuroleptiques dits « atypiques »

Les neuroleptiques atypiques sont de nouveauxantipsychotiques qui ne présentent pas les mêmescaractéristiques que les neuroleptiques classiques(Risperdalt). En effet, ils n’entraînent que peu ou pasde syndromes extrapyramidaux et ont en généralune meilleure tolérance neurologique. Ces produitsprésentent une activité antidopaminergique, maiségalement antisérotoninergique, et ils possèdentsouvent une action antidéficitaire.

‚ Quelques données pharmacocinétiques

La demi-vie des neuroleptiques est en généralassez longue, de l’ordre de 24 heures. Parconséquent, il n’est pas nécessaire, pour untraitement au long cours, de prescrire plusieurs prisespar jour, une seule prise quotidienne s’avère engénéral suffisante.

Le métabolisme des neuroleptiques estessentiellement hépatique. Il varie selon les individus,ce qui explique en partie les importantes variationsinterindividuelles observées dans leur action clinique.

Tableau VI. – Exemples de neuroleptiques : présentations et posologies.

DCI Famille chimique Nom de spécialité Présentations etdosages

Posologie (mg/j) enambulatoire

Amisulpride Benzamides Soliant Comprimés 50-10050 mg et 200 mgAmpoules 100 mg

Halopéridol Butyrophénone Haldolt Comprimés 1 mg, 2-305 mg, 20 mg

Solution 0,2 %(10 gouttes = 1 mg)

Solution 0,05 %(40 gouttes = 1 mg)

Ampoules 5 mg

Carpipramine Dibenzo-oxapines Prazinilt Comprimés 50 mg 50-100

Clozapine Dibenzo-oxapines Léponext Comprimés 100-20025 mg et 100 mg

Loxapine Dibenzo-oxapines Loxapact Comprimés 25-15025 mg et 50 mg

Solution(1 goutte = 1 mg)

Chlorpromazine Phénothiazines Largactilt Comprimés 25-20025 mg et 100 mg

Solution(1 goutte = 1 mg)Ampoules 25 mg

Cyamémazine Phénothiazines Terciant Comprimés 25-20025 mg et 100 mg

Solution(1 goutte = 1 mg)Ampoules 50 mg

Lévomépromazine Phénothiazines Nozinant Comprimés 25-1002 mg, 5 mget 100 mgSolution

(1 goutte = 1 mg)Ampoules 25 mg

Flupentixol Thioxanthènes Fluanxolt Solution 20-50(1 goutte = 1 mg)

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

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Page 40: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Pour les neuroleptiques, on ne dispose en généralpas de dosages plasmatiques pouvant servir deguide à la prescription et à la surveillance dutraitement.

Il existe des neuroleptiques sous forme retard quiont une action prolongée (tableau IX) par libérationprogressive dans l’organisme de la substance active.Ces produits sont tous administrés par voie

intramusculaire. Ils ne doivent jamais être instaurésen urgence, devant toujours être précédés del’administration du même produit par voie oralependant au moins une dizaine de jours. Pour chaqueproduit, un facteur de conversion permet de passerde la dose orale quotidienne à la dose totale àadministrer à chaque injection.

Certains neuroleptiques sont utilisables enurgence, générablement par voie intramusculaire. Ilssont rapidement résorbés, et certains tels que ledropéridol (Droleptant) possèdent une demi-viecourte, ce qui permet de ne pas trop prolonger lasédation (tableau X).

‚ Indications

Les indications essentielles des neuroleptiques, etles seules à avoir été confirmées par un nombresuffisant d’études contrôlées, sont les différents étatspsychotiques, aigus ou chroniques, organiques ou« fonctionnels ». Au sein de la symptomatologiepsychotique, les neuroleptiques sont plus efficacessur la symptomatologie positive (productive) que surla symptomatologie négative (déficitaire).

Dans les RMO, les neuroleptiques doivent êtreréservés aux troubles psychotiques. Les autresutilisations psychiatriques des neuroleptiques nedoivent être que des indications de deuxième outroisième intention :

– entités syndromiques ou symptômes isolés :états d’agitation, d’agressivité, d’impulsivité, degrande angoisse et insomnie rebelle ;

– certaines entités cliniques : certaines névrosesobsessionnelles et certains troubles névrotiques etsomatoformes.

Les neuroleptiques sédatifs peuvent être utiliséspour une durée limitée dans des états d’anxiété, chezdes sujets présentant une contre-indication auxbenzodiazépines et risquant en particulier dedévelopper une dépendance vis-à-vis d’eux.

‚ Contre-indications

Il n’existe pas de contre-indication absolue auxneuroleptiques.

Les contre-indications relatives sont les suivantes :– le glaucome à angle fermé : les neuroleptiques

à forte action anticholinergique seront alors utilisésavec prudence et sous surveillance ophtalmologiquerégulière. Les neuroleptiques faiblementanticholinergiques seront préférés ;

– l’hypertrohie prostatique : là encore laprudence sera de règle, surtout si le patient a desantécédents de rétention urinaire ;

– chez le parkinsonien pour lequel il estrecommandé de choisir un neuroleptique dont leseffets extrapyramidaux sont minimes ;

– l ’épilepsie (vérifier l ’EEG et les tauxplasmatiques de l’antiépileptique ; éviter lesphénothiazines aliphatiques et pipéridinées) ;

– une cardiopathie : l’insuffisance cardiaque, lesarythmies, l’angor ;

– l’hypotension orthostatique, l’hypertensionartérielle ;

– les perturbations de la NFS ;– l’insuffisance rénale (risque de diminution de

l’élimination des métabolites) ;– l’insuffisance hépatique ou hépatite ;– des signes de dyskinésie tardive.

Tableau VII. – Classification des neuroleptiques d’après Lecrubier, Puech et Simon.

Sédation Antiproductif

Nozinant + + + + Sédatif à faible dose, antiproductif à fortes dosesTerciant + + + +Mellerilt + + +Neuleptilt + + + +

Largactilt ++ +++Haldolt + +++Barnetilt + +++

Moditent + +++Piportilt - +++Fluanxolt + ++Sémapt +++Terfluzinet + ++Tripéridolt + ++Orapt ++Dogmatilt ++Majeptilt + +++

Tableau VIII. – Principaux neuroleptiques désinhibiteurs ou déficitaires.

DCI Nom de spécialité Posologie antidéficitaire(mg/j)

Amisulpride Soliant 50-200

Carpipramine Prazinilt 50

Fluphénazine Moditent 25-50

Penfluridol Sémapt 10 mg/7 j

Pimozide Orapt 1-3

Pipotiazine Piportilt 10-20

Sulpiride Dogmatilt 50

Thiopropérazine Majeptilt 5-10

Trifluopérazine Terfluzinet 10-50

Triflupéridol Tripéridolt 0,5-2

Tableau IX. – Neuroleptiques d’action prolongée.

DCI Nom de spécialité Présentations etdosages

Durée d’action moyenne Posologie (mg/j)(intervalle entre deux ad-

ministrations)

Décanoated’halopéridol

Haldolt Ampoules 28 jours 50-300decanoas 50 mg

Décanoate defluphénazine

Modécatet Ampoules 28 jours 25-15025 mg

et 125 mg

Œnanthate defluphénazine

Moditent Ampoules 14 jours 25-150action prolongée 25 mg

et 100 mg

Décanoate dezuclopenthixol

Clopixolt Ampoules 21 jours 200-400action prolongée 200 mg

Acétate de zuclo-penthixol

Clopixolt Ampoules 2 à 3 jours 50-150action semi-prolongée

50 mget 100 mg

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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Page 41: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

‚ Règles de prescriptiond’un traitement neuroleptique

Bilan initial

Il s’agit de rechercher des contre-indicationsrelatives aux neuroleptiques en pratiquant unexamen clinique et différents examens paracliniquesen fonction du terrain.

Choix du produit

Le choix du produit se fait en fonction du contexteindividuel et en fonction de différents éléments.

Tout d’abord, il est préférable de choisir unneuroleptique antérieurement efficace et bien tolérédans le même contexte. À l’inverse, un produit ayantentraîné antérieurement des effets indésirablesgraves doit être évité.

Par ailleurs, il faut prendre en compte lasémiologie clinique prépondérante (les symptômescibles) et le stade évolutif de la maladie. Lorsque lasymptomatologie délirante prédomine sans anxiétémajeure, ni agitation, la tendance sera d’opter pourun produit purement antiproductif tel quel’halopéridol (Haldolt). À l’inverse, en cas d’agitationpsychotique anxieuse avec peu d’éléments délirants,le choix se portera davantage vers un produit plussédatif tel que la chlorpromazine (Largactilt) ou lalévomépromazine (Nozinant).

Le choix du produit se fait également en fonctiondu terrain somatique.

Une monothérapie est en général préférable etrecommandée dans les RMO qui soulignent qu’uneassociation de neuroleptiques ayant comme butd’atteindre des symptômes cibles différents n’ajusqu’à présent pas été validée par des étudescontrôlées. Une prescription comportant deuxneuroleptiques doit donc être argumentée etpériodiquement réévaluée.

Il est par exemple possible, en début detraitement des phases aiguës, d’associer unneuroleptique antiproductif à un neuroleptiquesédatif. Lorsque l’état du patient ne le nécessite plus,le neuroleptique sédatif est interrompu, et seul leproduit antiproductif est poursuivi.

Modalités d’administration

Dans certaines situations, une administration parvoie parentérale s’avère indispensable :

– administration de neuroleptiques d’actionprolongée ;

– administration en urgence ;– refus du traitement par le patient.En dehors de ces cas, la voie orale est préférable.Lors du passage de la voie intramusculaire à la

voie orale, les doses devront être majorées de 50 %environ pour obtenir des taux palsmatiqueséquivalents.

Posologies

Les doses nécessaires pour être efficaces sont trèsvariables d’un sujet à l’autre. Par conséquent, laposologie doit être adaptée à chaque individu,guidée par les fourchettes posologiques proposées.

La posologie initiale est adaptée en fonction de lasymptomatologie, éventuellement des dosesantérieurement reçues par le patient, de l’âge et del’état somatique du patient.

Pour certains produits, la relation dose-réponsen’est pas linéaire ; il n’est donc pas nécessaired’augmenter les doses au-delà d’un certain seuil encas de résistance au produit.

Délai d’action

L’effet sédatif des neuroleptiques se manifesteprécocement. À l’inverse, l’efficacité du traitement surla symptomatologie productive ou déficitaire nes’observe qu’après un délai de plusieurs semaines. Iln’est donc pas justifié de changer de traitementavant un délai de 3 à 4 semaines en casd’inefficacité. L’action thérapeutique complète peutêtre obtenue après un délai de plusieurs mois.

Surveillance du traitement

La surveillance porte sur l’efficacité clinique (effetsprimaires) et la tolérance (effets secondaires ouindésirables) du traitement et sur la compliance autraitement. Les effets indésirables peuvent, dans unecertaine mesure, être corrigés.

Pour un traitement prolongé indiqué pour untrouble psychotique chronique, il est recommandéde prescrire la posologie minimale efficacepermettant de contrôler la symptomatologie. En casd’interruption du traitement par le patient lui-même,il est important de maintenir un lien thérapeutiqueavec lui.

‚ Effets indésirables et accidents

Les effets indésirables des neuroleptiques sontvariables selon les produits et la susceptibilitéindividuelle du patient. Les effets les plus fréquentssont neurologiques et neurovégétatifs. Desmédicaments correcteurs permettent de les atténuer.I ls représentent souvent un facteur denon-compliance.

Les effets neurologiques sont en grande partieresponsables de la mauvaise observance desneuroleptiques :

– les effets non spécifiques : somnolence,sédation, confusion, convulsions ;

– les effets spécifiques réversibles (liés aux effetsdopaminolytiques et anticholinergiques) ;

– les dystonies aiguës ou dyskinésies aiguës,particulièrement mal supportées, se manifestent parune hypertonie portant sur certains groupesmusculaires, responsable de mouvementsinvolontaires, de la face et du cou surtout, en généralassociée à une grande angoisse. Ces dystonies

peuvent être traitées et prévenues relativementfacilement (cf chapitre sur le traitement des effetsindésirables) ;

– un pseudo-parkinsonisme défini par untremblement, une rigidité, une hypertonie et uneakinésie. Il se manifeste en général dans les 30premiers jours du traitement et peut persisterpendant toute la durée de celui-ci ;

– un syndrome hyperkinétique défini par uneakathisie et une tasikinésie. Il débute de façonsubaiguë dans les 10 premiers jours du traitement etpeut persister pendant toute la durée de celui-ci ;

– les effets irréversibles : les dyskinésies tardives.Il s’agit de mouvements anormaux, peu ou pasréversibles, n’apparaissant qu’après plusieurssemaines de traitement, voire plusieurs mois ouannées. Ils prédominent au niveau de la sphèrebucco-linguo-faciale. Ils peuvent être masqués par letraitement neuroleptique qui peut avoir, au début,un effet bénéfique sur ces mouvements.

Les effets neurovégétatifs sont :– les effets anticholinergiques : sécheresse de la

bouche, constipation, troubles urinaires (dysurie,rétention urinaire), troubles de l’accommodation ;

– les effets cardiovasculaires : tachycardie,hypotension orthostatique.

Les effets neuroendocriniens et métaboliquessont :

– une hyperprolactinémie (liée aux effetsdopaminolytiques) qui se manifeste, chez la femme,par une aménorrhée, une galactorrhée et destroubles de la libido, et chez l’homme, par unegynécomastie et des troubles de la libido. Cet effetindésirable est très fréquent ; il peut provoquer desadénomes hypophysaires fonctionnels ;

– une prise de poids, très fréquente, liée aussibien à une augmentation des apports paraugmentation de l’appétit ou à une diminution desdépenses liée à la sédation, qu’à des modificationsdu métabolisme.

En ce qui concerne les effets cutanés, unephotosensibilisation est fréquente avec lesphénothiazines. Pour la prévenir, il est recommandéd’éviter l’exposition solaire ou d’utiliser des crèmesproctectrices.

Le syndrome malin des neuroleptiques est unecomplication exceptionnelle, mais gravissime,entraînant le décès dans 20 % des cas. Le pronosticde ce syndrome dépend de la précocité de la priseen charge. Il est donc fondamental d’évoquer lediagnostic dès les premiers signes. Le syndromemalin des neuroleptiques débute par une fièvre sanscause apparente, associée à une aggravation dessignes neurologiques extrapyramidaux d’impré-gnation et à l’apparition de troubles de la

Tableau X. – Neuroleptiques de l’urgence.

DCI Nom de spécialité Posologie (mg) per os Posologie (mg) IM

Chlorpromazine Largactilt 25-50 100-200

Lévomépromazine Nozinant 50-100 25-50

Loxapine Loxapact 100-600 100-300

Cyamémazine Terciant 50-100 25-50

Lors de la prescription d’un traitementneuroleptique, il est important derechercher attentivement des signesannonciateurs de dyskinésies tardives :discrets mouvements anormaux de laface et de la langue. Le seul traitementpréventif est l’arrêt des neuroleptiques,si cet arrêt est possible. Desdyskinésies tardives évoluant depuisplus de 6 mois seront probablementirréversibles.

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

12

Page 42: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

conscience. Le traitement doit alors être arrêté et lepatient tansféré en service spécialisé.

Pour certains auteurs, un antécédent desyndrome malin des neuroleptiques contre-indiquela reprise ultérieure d’un tel traitement. Pour d’autres,un tel syndrome n’est pas une contre-indicationabsolue, mais il sera préférable d’utiliser un produitappartenant à une classe différente et d’exercer unesurveillance étroite de la prescription.

Lors de la surveillance d’un traitement parneuroleptique, toute fièvre inexpliquée doit faireévoquer un syndrome malin.

Les troubles immunoallergiques et hématolo-giques sont :

– les rash cutanés ;– les hépatites cytolytiques ou cholestatiques ;– les agranulocytoses (risque important avec la

clozapine, Léponext, nécessitant une strictesurveillance hématologique).

Les troubles cardiovasculaires sont :– les modifications électrocardiographiques et les

troubles du rythme ;– les myocardiopathies (très rares) ;– les troubles thromboemboliques (phlébite,

embolie pulmonaire).Les troubles oculaires sont :– les dépôts cornéens ;– la rétinite pigmentaire ;– les pigmentations cutanées.Ces troubles sont observés surtout avec les

phénothiazines, après de longues durées detraitement.

On peut évoquer également des troubles de larégulation thermique (hypo- ou hyperthermiesbénignes) et la tératogenèse (elle n’a pas étéprouvée, il faut donc rester prudent au cours du 1er

trimestre de la grossesse).

‚ Correction des effets indésirablesLors de l’apparition d’effets indésirables du

traitement, la première solution à envisager est sipossible de diminuer la dose de neuroleptique. Cettediminution peut entraîner une régression, voire unesuppression, de l’effet indésirable (sauf pour lesdyskinésies tardives qui peuvent être augmentéespar la diminution de la dose). Si la diminution de laposologie n’est pas envisageable ou ne permet pasd’atténuer les effets indésirables, on peut recourir àdes correcteurs médicamenteux.

¶ Effets neurovégétatifsEn ce qui concerne les effets anticholinergiques, la

sécheresse de la bouche peut être atténuée parl’utilisation de cholérétiques (Sulfarlem S 25t : 30 à60 mg/j en 3 prises). La constipation peut êtreprévenue par des règles hygiénodiététiquesappropriées et traitée par des laxatifs doux.

L’hypotension orthostatique peut être corrigéepar différents médicaments ; les plus utilisés, maisd’efficacité non constante, sont l’heptaminol(Hept-A-Mylt : 500 à 1 500 mg/j en 3 prises) et lathéodrénaline (Praxinort : 1 à 3 comprimés/j). En casd’hypotension invalidante, on peut utilisé desvasopresseurs comme la phényléphrine(Néosynéphrinet).

¶ Effets neurologiquesIls sont plus difficiles à traiter.Les benzodiazépines et les bêtabloquants

peuvent représenter un appoint, mais le traitementde ces effets repose surtout sur lesantiparkinsoniens.

Les benzodiazépines ont une relative efficacité surl’hypertonie, les dyskinésies aiguës et peut-êtrel’akathisie. Les bêtabloquants quant à eux auraientune certaine efficacité sur l’akathisie.

Le traitement des dystonies aiguës et dessyndromes extrapyramidaux (pseudo-parkinso-nisme) repose avant tout sur les antiparkinsoniensanticholinergiques (tableau XI).

La prescription des ces produits peut êtreenvisagée dans deux circonstances :

– à titre curatif, en cas de dystonie aiguë ou desyndrome extrapyramidal. En cas d’urgence, oneffectue un traitement par voie injectable, un relaipar voie orale doit être utilisé par la suite ;

– à titre préventif, pour prévenir la survenue dedystonies aiguës. Dans le cadre de l’urgence, il estpossible d’associer au neuroleptique injectable unantiparkinsonien par voie injectable.

La majorité des auteurs préconise de ne pasutiliser de façon systématique les correcteurs, maisde les réserver aux situations à risques :neuroleptiques provoquant fréquemment des effetsneurologiques, patients réticents à l’égard dutraitement neuroleptique et susceptibles del’interrompre en cas de survenue d’effetsneurologiques, patients à risques (antécédents deparkinsonisme ou d’autres dysfonctionnementscérébraux, personnes âgées).

Les correcteurs doivent être prescrits enmonothérapie, de manière ponctuelle et pour unedurée brève (3 mois selon les RMO). Ils ne doiventêtre maintenus que si nécessaire. Lors d’untraitement neuroleptique au long cours, l’arrêtprogressif des correcteurs doit être envisagé aprèsquelques semaines ou quelques mois de traitement.

En effet, la prescription d’antiparkinsoniensanticholinergiques n’est pas sans inconvénients :effets anticholinergiques propres, responsabilitééventuelle de ces produits dans la survenue dedyskinésies tardives. Ces correcteurs sont doncplutôt contre-indiqués en cas de dyskinésies tardives.De plus, il existe souvent une meilleure toléranceclinique après quelques semaines de traitementneuroleptique.

‚ Durée du traitementElle dépend de l’indication du traitement.Pour des indications secondaires, elle doit être

courte, l’indication devant faire l’objet de fréquentesréévaluations cliniques de l’utilité et du rapportbénéfices/risques de la poursuite du traitement.

Concernant les indications des neuroleptiquesdans les états psychotiques chroniques, les

principales recommandations sur les curesneuroleptiques prolongées sont les suivantes.

■ Il est nécessaire d’évaluer le rapportbénéfices/risques pour chaque individu.

■ La cure doit se faire de préférence enmonothérapie.

■ Le traitement doit être réévalué, ainsi que seseffets secondaires, tous les 3 à 6 mois.

■ Des stratégies de réduction de posologie sontrecommandées.

■ La réduction ou l’arrêt de la cure deneuroleptique doit se faire par paliers progressifs.

‚ Interactions médicamenteuses

Les neuroleptiques ont des effets sur d’autresmédicaments. Ils diminuent l’activité desamphétamines, de la L-dopa et des contraceptifsoraux. Ils augmentent l’activité des anticoagulants,imposant une surveillance de l’hémostase plusétroite.

Certains médicaments ont des effets sur lesneuroleptiques. Les neuroleptiques ont leur activitédiminuée par les barbituriques et les AINS (parinduction enzymatique hépatique). L’effet sédatif desneuroleptiques est potentialisé par les benzodiazé-pines, les tranquillisants et hypnotiques, lesantidépresseurs et les antihistaminiques. Leur effetanticholinergique est potentialisé par lesantiparkinsoniens anticholinergiques. Enfin,l’hypotension induite par les neuroleptiques estpotentialisée par les antihypertenseurs centraux, lesdiurétiques, les bêtabloquants, les inhibiteurscalciques, les IEC, les antidépresseurs tricycliques etles IMAO.

■Benzodiazépines, tranquillisants

et hypnotiques

‚ Généralités

Les anxiolytiques, tranquillisants et hypnotiquesont eu un essor considérable depuis le début desannées 1960. Les deux premières grandes famillesd’anxiolytiques ont été les carbamates et les

Tableau XI. – Antiparkinsoniens anticholinergiques correcteurs des effets secondaires neurologi-ques des neuroleptiques.

DCI Nom de spécialité Présentations Posologie Équivalenceposologique

Dextrométhorphane Akineton Retardt Comprimés 4 à 8 mg/j 0,54 mg

Trihexyphénidyle Artanet Comprimés 4 à 15 mg/j 12 mg, 5 mget 15 mg

Solution 0,4 %Ampoules 10 mg

Parkinanet LP Comprimés 4 à 15 mg/j2 mg et 5 mg

Tropatépine Lepticurt Comprimés 10 mg 10 à 30 mg/j 2Ampoules 10 mg

La réduction ou l’arrêt d’untraitement neuroleptique dans lestroubles psychotiques aigus ouchroniques nécessite un avisspécialisé.

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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Page 43: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

benzodiazépines. Les benzodiazépines ont occupérapidement la première place parmi lesmédicaments utilisés comme tranquillisants,anxiolytiques ou hypnotiques. Puis sont apparus,dans les années 1980, de nouveaux produitsappartenant à des familles chimiques différentes.

L’excellent rapport efficacité/tolérance desbenzodiazépines a favorisé une consommationimportante et chronique de ces produits. Leurprescription ne reste cependant pas anodine enraison d’une toxicité potentielle, d’un risque dedépendance et de réactions de sevrage.

Le rôle du médecin généraliste dans laprescription des anxiolytiques est primordial pourdifférentes raisons : d’une part parce qu’il est souventle premier sollicité par les patients pour une telleprescription, d’autre part parce qu’il peut être« facilement tenté » de prescrire des tranquillisantsdans la mesure où ces médicaments sont trèsefficaces rapidement, enfin, en raison des risques liésaux benzodiazépines (dépendance, tolérance etréactions de sevrage).

Avant toute prescription d’anxiolytiques, il estnécessaire d’effectuer un bilan approfondi desdifficultés présentées par le patient (demandeur). Ilest en particulier nécessaire d’éliminer un troubledépressif, car il serait contre-indiqué de prescrire unanxiolytique en monothérapie qui pourrait masquerles signes dépressifs sans prévenir les risquesévolutifs d’une dépression.

Les anxiolytiques n’ont aucune actionantidépressive spécifique. Les états anxieux neréagissant pas à un traitement anxiolytique doiventfaire envisager une autre pathologie, en particulierdépressive.

Lors de la mise en route d’un traitementanxiolytique, il est important d’indiquer au patient ladurée approximative du traitement.

Le plus souvent, ce traitement devra être decourte durée (la durée maximale fixée par lacommission d’autorisation de mise sur le marché[AMM] est de 12 semaines pour les tranquillisants etde 4 semaines pour les hypnotiques).

Le prescripteur devra informer son patient durisque de dépendance et de la possibilité deréactions de sevrage pour des traitements prolongés(3 à 4 mois) à posologie élevée. L’indication dutraitement doit être, compte tenu de ces risques,régulièrement réévaluée ; il faut rechercher laposologie efficace la plus basse. Le médecin doitégalement recommander au patient de ne pasinterrompre brutalement un traitement anxiolytiqueprescrit depuis plusieurs semaines en raison d’unrisque de syndrome de sevrage ou de rebondd’insomnie ou d’anxiété.

L’arrêt du traitement devra toujours êtreprogressif, en collaboration avec le médecingénéraliste.

Le suivi et l’assistance au cours du sevragedépendent du malade et de sa tolérance au sevrage.Les patients qui ne peuvent être sevrés, ceux quiprésentent d’autres facteurs de risque à unepathologie addictive, tels que des antécédentsd’abus d’alcool ou de médicaments, enfin, lespatients qui présentent une comorbiditépsychiatrique, nécessitent un soutien plus spécialiséet doivent donc être dirigés vers des servicesspécialisés.

Après le sevrage, il est important de continuer àsuivre les patients pour prévenir les rechutes.

‚ Benzodiazépines et apparentés

Les benzodiazépines actuellement disponiblessont nombreuses (tableau XII).

Pharmacologie

Les benzodiazépines sont des agonistesGABA-ergiques (acide gamma-amino-butyrique),c’est-à-dire qu’elles facilitent la transmissionGABA-ergique.

Propriétés cliniques

Les benzodiazépines possèdent quatre propriétésfondamentales : sédat ive , anxiolyt ique,myorelaxante et anticonvulsivante.

Chacune de ces quatre propriétés est utilisée enthérapeutique.

■ La propriété sédative définit la classe destranquillisants. Elle s’exprime par une baisse de lavigilance et par un potentiel hypnogène. Ce dernierest variable selon les benzodiazépines.

■ La propriété anxiolytique est difficile à définir età isoler de la précédente. Les actions sédative etanxiolytique pourraient cependant s’exercer defaçon plus ou moins séparée selon la posologie :effet anxiolytique à faible dose, puis effet sédatif àdose plus élevée. De plus, il existe une grandevariabilité interindividuelle pour ces deux actions.

Tableau XII. – Tranquillisants et hypnotiques benzodiazépiniques et apparentés : présentations,posologies et pharmacocinétique.

DCI Nom de spécialité Présentations etdosages

Posologie Demi-vie

Diazépam Valiumt Comprimés 2 mg, 2-20 L5 mg et 10 mg

Ampoules 10 mgSolution (3 gouttes =

1 mg)Sirop 0,4 %

Alprazolam Xanaxt Comprimés 0,25 mget 0,50 mg

0,25-2 C

Bromazépam Lexomilt Comprimés 6 mg 4-18 I

Clobazam Urbanylt Comprimés 10 mg et20 mg

10-40 L

Clonazépam Rivotrilt Comprimés 2 mg 1-4 IAmpoules 1 mgSolution 0,25 %

Clorazépate Tranxènet Gélules 5 et 10 mg 5-100 LComprimés 50 mgAmpoules 20 mg50 mg et 100 mg

Noctrant (clorazé-pate + acépromazine

+ méprobamate)

Comprimés 10 mg 10

Flunitrazépam Rohypnolt Comprimés 1 et 2 mg 1-2 I

Loprazolam Havlanet Comprimés 1 mg 1 - 2 C

Lorazépam Témestat Comprimés 1 mg et2,5 mg

1-7,5 I

Lormétazépam Noctamidet Comprimés1 mg et2 mg

1-2 C

Oxazépam Sérestat Comprimés 10 mg et50 mg

10-100 C

Prazépam Lysanxiat Comprimés 10 mg et40 mg

10-120 L

Zolpidem Stilnoxt Comprimés 10 mg 10 C

Zopiclone Imovanet Comprimés 7,5 mg 7,5 C

Demi-vie cumulée du produit et de ses éventuels métabolites actifs : C : demi-vie courte (demi-vie moyenne< 10 heures) ; I : demi-vie intermédiaire(demi-vie moyenne< 30 heures) ; L : demi-vie longue (demi-vie moyenne> 30 heures).

Le rôle du médecin généraliste dans laprescription des anxiolytiques estfondamental. Il doit veiller au respectdes indications et contre-indications deces médicaments « trop facilement »prescrits. La durée du traitement doitêtre brève. Lorsqu’un traitementanxiolytique bien conduit n’apparaîtpas efficace sur un trouble anxieux oud’allure névrotique d’apparitionrécente, il faudra suspecter unedépression qui devra être traitée parun antidépresseur. En effet, lesanxiolytiques n’ont aucune actionantidépressive spécifique.

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

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Page 44: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

■ L’importance de la propriété anticonvulsivanteest variable selon les produits.

■ La propriété myorelaxante est plus marquéepour certains produits tels que le diazépam (Valiumt)et le tétrazépam (Myolastant).

Quelques données pharmacocinétiques

Les caractéristiques pharmacocinétiques, tellesque la vitesse de résorption et surtout la demi-vie duproduit et/ou de ses métabolites, aident égalementau choix de la benzodiazépine.

Il existe trois classes de benzodiazépines selon lademi-vie de la substance mère et/ou de sesmétabolites actifs :

– les benzodiazépines d’action longue (demi-viecomprise entre 30 et 72 heures) ; ces produits sonthabituellement utilisés comme anxiolytiques(Valiumt , Libriumt , Urbanylt , Tranxènet ,Lysanxiat) ;

– les benzodiazépines à action intermédiaire(demi-vie comprise entre 10 et 24 heures), utiliséesindifféremment comme anxiolytiques ouhypnotiques (Lexomilt, Rivotrilt, Rohypnolt,Témestat) ;

– les benzodiazépines à action courte (demi-vieinférieure à 10 heures), également utilisées commeanxiolytiques ou hypnotiques (Xanaxt, Havlanet,Noctamidet, Sérestat, Stilnoxt, Imovanet).

Contre-indications

Les seules contre-indications absolues auxbenzodiazépines sont :

– la myasthénie, en raison de l’effet myorelaxantde ces produits ;

– l’allergie aux benzodiazépines, qui estexceptionnelle ;

– l’insuffisance respiratoire grave, en raison del’effet dépresseur respiratoire central desbenzodiazépines ;

– l’encéphalopathie hépatique.Les contre-indications relatives sont :– l’insuffisance respiratoire modérée. Les

benzodiazépines peuvent être prescrites aprèsrééquilibration de la fonction respiratoire et soussurveillance ;

– l’insuffisance hépatique et/ou rénale quinécessite une réduction des doses et unesurveillance en raison d’un risque d’accumulation etde toxicité ;

– un âge avancé et/ou une pathologiepsycho-organique en raison d’un risque accru detroubles de la vigilance, de troubles mnésiques et deconfusion ;

– l’alcoolisme et la toxicomanie, car le risque dedépendance est accru ;

– la grossesse. Bien que la tératogenèse n’ait pasété prouvée, la prescription doit être évitée pendantle 1er trimestre de grossesse. La prudence s’imposeen fin de grossesse à cause du risque d’hypotonie etde détresse respiratoire à la naissance ;

– l’allaitement, car les benzodiazépines passentdans le lait maternel.

Règles de prescription d’un traitementbenzodiazépinique

¶ Prescription d’une benzodiazépine à viséeanxiolytiqueL’indication doit être correctement posée.Il ne s’agit pas de recourir aux benzodiazépines

face à toute anxiété situationnelle ou mineure.

La mise en route d’un traitement parbenzodiazépines doit s’effectuer dans le cadre d’uncontrat avec le patient, prévenu des avantages etdes risques (éventuelle somnolence, épisodesd’amnésie, dépendance, syndrome de sevrage) dutraitement. La prescription doit être transitoire, et lepatient doit être prévenu de la durée du traitement. Ilne faut pas associer deux benzodiazépines. En casd’insomnie associée à l’anxiété, l’association d’unebenzodiazépine « hypnotique » à une benzodia-zépine « tranquillisante » n’est pas justifiée, car onconsidère que toutes les benzodiazépines ont lesmêmes effets cliniques et que la différence entreeffet sédatif et anxiolytique tient à la dose utilisée.

Par conséquent, il est recommandé (RMO), en casd’insomnie et d’anxiété associées, de prescrire unemonothérapie par une benzodiazépine à viséeanxiolytique, avec répartition des doses au cours dunycthémère, avec une dose maximale le soir.L’association d’un anxiolytique et d’un hypnotiquedoit être exceptionnelle.

La demi-vie du produit est un critère de choiximportant. Les benzodiazépines à demi-vie longueont pour avantages de réduire le nombre de prises,d’éviter les phénomènes de rebond entre les priseset de présenter moins de problèmes de sevrage. Ellesont pour inconvénients un risque d’accumulation etun risque de somnolence diurne.

À l’inverse, les benzodiazépines à demi-vie courteont pour avantages de ne pas avoir de risqued’accumulation et de présenter moins desomnolence diurne. Leurs inconvénients sont unerépétition du nombre de prises, un rebondd’insomnie et d’anxiété matinale lorsqu’elles sontutilisées à visée hypnotique, et un rebond d’anxiétéentre les prises.

La voie d’administration est habituellement orale.La posologie est très variable d’un sujet à l’autre.

La règle est de toujours prescrire la dose minimaleefficace. Le nombre de prises dépend de la demi-vie.La posologie doit être adaptée au patient (terrain,âge, poids).

La durée du traitement doit toujours être la pluscourte possible pour prévenir les risques dedépendance et de syndrome de sevrage à l’arrêt dutraitement.

Le risque de syndrome de sevrage auxbenzodiazépines peut être prévenu par différentesprécautions :

– éviter les prescriptions longues ;– éviter les fortes doses ;– après un traitement prolongé, diminuer

progressivement la posologie. Il ne faut jamaisarrêter bruta lement un tra i tement parbenzodiazépines.

¶ Prescription d’une benzodiazépine à viséehypnotiqueCette prescription est à visée symptomatique et

doit rester très limitée dans le temps.La durée maximale d’un traitement hypnotique

par benzodiazépines est fixée par la commissiond’AMM à 4 semaines.

En effet, une prise au long cours favorise lachronicisation de l’insomnie en raison des effetsantiphysiologiques de ces produits sur la structure dusommeil (diminution du sommeil paradoxal et dusommeil lent profond). De plus, une durée detraitement réduite facilite le sevrage.

De nouveaux produits apparentés auxbenzodiazépines par leur mode d’action (Imovanet,

Stilnoxt) ont été introduits au cours des années1980. Ces produits semblent mieux tolérés, car ilsrespectent davantage l’architecture du sommeil.

Le choix de l’hypnotique est fonction de sescaractéristiques pharmacocinétiques.

■ Les benzodiazépines à demi-vie courte sontindiquées dans les insomnie d’endormissement oules insomnies occasionnelles ne nécessitant qu’uneprise ponctuelle d’hypnotique.

■ Les benzodiazépines à demi-vie intermédiaireou longue sont indiquées dans les insomnies avecrupture de la continuité du sommeil ou lorsd’insomnies prolongées.

La dose doit être minimale. Si le traitement a duréplusieurs semaines, la posologie devra être réduiteprogressivement afin d’éviter un rebond d’insomnielors d’un arrêt brutal.

Effets indésirables et accidents

La tolérance des benzodiazépines est en généralexcellente par rapport aux autres psychotropes.

La sédation est l’effet secondaire le plus fréquent.Il peut induire une impression de fatigue ou destroubles de la vigilance. L’intensité de ces effets estproportionnelle à la dose et peut être majorée pardes interactions médicamenteuses avec d’autresmédicaments sédatifs du système nerveux central.Cet effet disparaît avec le temps (par un phénomènede tolérance). Les patients doivent être informés decet effet et être appelés à la prudence en cas deconduite automobile ou dans des situationsnécessitant une vigilance intacte.

Les troubles mnésiques existent pour tous lesproduits de cette famille. Il s’agit d’amnésiesantérogrades partielles par trouble de l’encodage oudu rappel. Ces troubles ne sont le plus souventqu’infracliniques. Ils peuvent cependant devenir plusimportants chez les sujets âgés ou en cas d’atteinteorganique cérébrale.

Une confusion est rare et s’observe le plussouvent chez les personnes âgées ou atteintes d’unepathologie cérébrale organique.

Les effets paradoxaux sont les réactions dedésinhibition, l’euphorie, les troubles du caractère etles actes impulsifs ou agressifs.

La dépendance est un problème majeur. L’arrêt dutraitement peut provoquer différents phénomènes :

Les benzodiazépines sont d’excellentsproduits, très utiles dans le traitementdes troubles psychiatriques, mais dontles indications (précises) doivent êtrecorrectement posées. Le plus souvent,le traitement devra être de durée brève(durée qui doit être indiquée aupatient). Certains troubles nécessitentcependant des prescriptions longues debenzodiazépines. Dans ce cas, lapertinence de la prolongation d’unetelle prescription devra êtrerégulièrement et soigneusementévaluée compte tenu des risques liés àces produits, bien soulignés par lespouvoirs publics, tels que les effetscognitifs, notamment sur la mémoire,et surtout le risque de dépendance.

Moyens psychopharmacologiques - 7-0130

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Page 45: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

– récurrences (réapparition de la symptomato-logie initiale) ;

– rebonds (réapparition de la symptomatologieinitiale, mais plus marquée qu’avant le début dutraitement) ;

– syndrome de sevrage (apparition de nouveauxsymptômes tels que des troubles du sommeil, destremblements, voire une confusion ou desconvulsions).

Le syndrome de sevrage survient surtout lors detraitements prolongés et à forte posologie. Letraitement préventif est une diminution progressivedes doses à l’arrêt du traitement.

Interactions médicamenteuses

Les interactions médicamenteuses avec lesbenzodiazépines sont limitées. Il s’agit le plussouvent d’interactions avec l’alcool et les produitsdépresseurs du système nerveux central.

Les principales interactions médicamenteusessont les suivantes :

– l’absorption digestive des benzodiazépines estdiminuée par les pansements gastriques ;

– l’effet sédatif et dépresseur du système nerveuxcentral des benzodiazépines est potentialisé par les

autres tranquillisants et barbituriques, lesantihistaminiques, les antidépresseurs tricycliques,les neuroleptiques sédatifs et l’alcool ;

– les taux plasmatiques des benzodiazépinessont diminués par les carbamates (action inductriceenzymatique hépatique).

‚ Tranquillisants et hypnotiquesnon benzodiazépiniques

Produits

Les tranquill isants et hypnotiques nonbenzodiazépiniques forment un groupe hétérogène.Les différentes familles de ce groupe sont lessuivantes :

– les carbamates : le méprobamate (Équanilt) estle chef de file de la famille des carbamates. Cestranquillisants sont encore relativement prescritsmalgré un risque de toxicité cardiaque et decollapsus lors de surdosage ;

– les barbituriques qui ne sont quasiment plusutilisés à visée anxiolytique ou hypnotique ;

– les piperazines et les benzoxazines : ces deuxclasses médicamenteuses contiennent des produitspeu utilisés ne constituant que des tranquillisantsmineurs ;

– divers : la buspirone (Buspart) est le seulreprésentant d’une nouvelle classe chimiqued’anxiolyt iques, les azaspirodécadiones.Contrairement aux produits benzodiazépiniques, iln’agit pas au niveau des récepteurs GABA ; c’est unagoniste partiel des récepteurs 5-HT1A.

Contre-indications

Les carbamates et les barbituriques sontcontre-indiqués dans les porphyries.

Le Buspart est contre-indiqué en cas d’antécédentallergique à la buspirone et en cas d’insuffisancehépatique et/ou rénale sévère.

Effets indésirables et accidents

Les effets indésirables des carbamates sontcomparables à ceux des benzodiazépines. Leurinconvénient majeur est leur potentiel d’inductionenzymatique hépatique, responsable d’interactionsmédicamenteuses.

Les barbituriques utilisés comme hypnotiquesinduisent fréquemment une accoutumance, unepharmacodépendance et un syndrome de sevrage.Inducteurs enzymatiques hépatiques, i lsinteragissent avec de nombreux médicaments.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78011 Versailles cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Moyens psychopharmacologiques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0130, 1998, 16 p

R é f é r e n c e s

[1] Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale. Recom-mandations et références médicales. 1996

[2] Gay CH, Olié JP. Traitements prophylactiques des troubles bipolaires chezl’adulte.Neuro-psy1995 : 27-31

[3] Goodwin F, Jamison KR. Manic-depressive illness. New York : Oxford Uni-versity Press, 1990

[4] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiquesen psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[5] Olivier V, Hardy-Baylé MC. Facteurs psychologiques de compliance. In : GayC ed. Pratique de la lithiothérapie. Consensus et controverses. Paris : Doin, 1997 :37-45

[6] Senon JL, Sechter D, Richard D. Mémento de thérapeutique psychiatrique.Paris : Hermann, 1996

[7] Zarifian E, Loo H. Les antidépresseurs. Aspects biologiques, cliniques et thé-rapeutiques. Roche Ed Printel, 1982

7-0130 - Moyens psychopharmacologiques

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Page 46: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Psychothérapies

C Passerieux

E n opposition aux thérapeutiques symptomatiques comme la psychothérapie de soutien ou les thérapiescognitives et comportementales, le but essentiel du traitement psychanalytique est d’obtenir un changement

de la personnalité du patient en rendant conscient ce qui est inconscient.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les psychothérapies sont des méthodes detraitement psychologique se fondant sur lacommunication avec un thérapeute, formé à latechnique de psychothérapie qu’il pratique et le plussouvent psychiatre ou psychologue. Il existe de trèsnombreuses méthodes de psychothérapies (on peuten dénombrer jusqu’à plusieurs centaines), nousprésenterons les plus importantes. Le généraliste estsouvent confronté au choix d’une thérapie adaptée àson patient. L’indication dépend des attentes de cedernier, des buts qu’il souhaite atteindre, des moyensqu’il est prêt à engager, de sa structure psychologiqueet de ses symptômes. Au-delà de ces principes, laréussite d’une psychothérapie dépend essentiellementde deux facteurs :

– la qualité du thérapeute et sa maîtrise de latechnique pratiquée ;

– la qualité de la relation qui s’établit entre lethérapeute et le patient.

■Généralités

De nombreuses interactions entre individus(conseils d’amis, identification à un personnage positifde son environnement), de nombreuses activités(corporelles ou sportives, artistiques) peuvent avoirune action psychologique. Elles ne constituent paspour autant des psychothérapies. On réserve ce termeà des traitements psychologiques réalisés dans lecadre d’une relation professionnelle par unpsychothérapeute formé à une technique psychothé-rapique et ayant un but thérapeutique de suppressionde symptômes, de modification de comportementsinadaptés ou qui favorise un développementharmonieux de la personnalité.

Parmi les psychothérapies, certaines s’adressent àun individu (les psychothérapies individuelles) etd’autres sont destinées à des groupes : le plus souventgroupe de patients ou groupe familial (couple, mère-enfant, famille). La seconde grande ligne de partageentre les différentes psychothérapies est celle de lathéorie freudienne : celles qui s’en inspirent visent àune reconstruction de la personnalité à travers unprocessus d’accès à la conscience de conflitsinconscients ; ces thérapies sont également appelées

reconstructives. Les autres méthodes psychothérapi-ques visent généralement à la disparition dessymptômes, à la modification d’attitudes rigides etinadaptées, par une action plus superficielle sur lastructure de la personnalité ; parmi elles, les thérapiescognitives et comportementales constituent le groupele plus important.

■Psychothérapies individuelles

(tableau I)

‚ Psychothérapies de soutienCe sont les psychothérapies les plus couramment

pratiquées. Elles sont en principe utilisées lors de touttraitement psychiatrique, en dehors des cas où uneautre forme de psychothérapie est entreprise, maissont également indiquées dans les pathologiessomatiques au cours desquelles un soutienpsychologique est nécessaire (en particulier lesaffections chroniques ou graves).

Les psychothérapies de soutien visent à obtenir uneamélioration des symptômes ou un assouplissementd’attitudes rigides, souvent en association avecd’autres moyens thérapeutiques (médicamentspsychotropes). L’action psychologique s’effectue parrenforcement des défenses psychologiques matures etadaptées du patient et sans rechercher deremaniement en profondeur de la personnalité. Laméthode employée est variable selon le thérapeute : ils’agit avant tout d’établir une relation ouverte etchaleureuse avec le patient, fondée sur la tolérance etl’empathie (le thérapeute s’interroge sur ce qu’éprouveson patient). Les interventions du thérapeute sontactives : conseils (dont l’usage doit rester prudent etnuancé sous peine d’infantiliser excessivement lepatient), encouragements et valorisation d’attitudespositives, suggestion et persuasion, aide à laverbalisation des sentiments.

Les entretiens peuvent également viser à informer,voire à éduquer le patient au trouble auquel il estconfronté afin de renforcer l’alliance thérapeutiqueavec le psychiatre ou le médecin. Le psychothérapeutepeut, s’il le juge nécessaire, intervenir surl’environnement du patient : rencontrer ses proches,contacter son milieu professionnel. Il n’existe pas derègles strictes quant à la fréquence des séances (quidoivent être suffisamment rapprochées lors de crisesaiguës : une à deux fois par semaine) et quand à ladurée de la prise en charge. Cependant le risque decette forme de thérapie « confortable » pour le patientest qu’elle ne débouche sur une dépendance du

patient envers son thérapeute et qu’il soit difficile d’ymettre un terme. C’est dire que malgré l’aspectpragmatique de ce type de prise en charge, uneformation ou une supervision de cas dans des groupesde type groupe Balint est nécessaire (cette modalité detravail proposée par Balint dans les années 1960consiste à discuter, en groupe et sous la supervisiond’un analyste, de cas de patients suivis et en secentrant sur la relation médecin-malade).

‚ Psychothérapies cognitiveset comportementales

Principes généraux

Il s’agit de méthodes thérapeutiques directementcentrées sur les symptômes ou comportementsinadaptés et reposant sur les principes duconditionnement des théories de l’apprentissage.Selon ces théories, les comportements et en particulierles comportements pathologiques seraient descomportements appris qui peuvent donc êtredésappris ; leur caractère stable et permanentrésulterait de renforcements par le milieu (parexemple, éviter d’affronter une situation renforce lacrainte initiale du caractère dangereux de cettesituation). Les thérapies comportementales proposentde modifier le registre des comportements desindividus en faisant disparaître les comportementsanormaux (et par là même leur renforcement) et enpermettant l’acquisition de comportements nouveaux.L’acquisition de ces nouveaux comportementsadaptés est initialement renforcée par le thérapeute oupar l’entourage du patient puis par le patient lui-même.Le développement de nouveaux comportementsstables, l’acquisition d’une compréhension dessituations occasionnant les difficultés et d’unautocontrôle permettent au sujet de changer sonimage de lui-même et de son entourage (par exemple,par la disparition de sa dépendance), d’acquérir unemeilleure autonomie et un élargissement de sescompétences.

Les thérapies cognitives ont des objectifscomparables tout en portant sur les actionsparticulières que sont les pensées. Il s’agit alors dedécrire les modes de pensées inadaptés et rigides et deleur substituer des modes de pensées adaptés et plussouples.

Ces thérapies sont donc strictement focalisées surles symptômes comportementaux sans prendre encompte leurs déterminants psychologiques éventuels.Aucun changement structural de la personnalité n’estvisé même si, à terme, des effets bénéfiques sur celle-cisont envisageables.

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Page 47: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Tableau I. – Principales caractéristiques des grands types de psychothérapies individuelles.

Types de psychothérapie Modalités Buts à moyen et long terme Principales indications

Psychothérapie de soutien Entretiens de durée et de rythme variable Réduire les symptômes en renforçant lapartie saine de la personnalité

Toutes les prises en charges psychiatriquesdans lesquelles une autre forme de psycho-

thérapie n’est pas indiquée

Instauration d’une relation chaleureuse Renforcer l’alliance thérapeutique Les états réactionnels d’intensité modérée

Interventions actives du thérapeute :conseils, suggestion et persuasion, aide à la

formulation des sentiments

Limiter les conséquences du trouble sur lesrelations familiales, sociales et

professionnelles

Les pathologies somatiques nécessitant unsoutien psychologique

Actions auprès de l’entourage

Association fréquente avec despsychotropes

Remboursement partiel possible par la SS

Psychanalyse : cure type 3 à 4 séances par semaine de 45 à50 minutes

Prise de conscience des besoins, affects etscénarii refoulés dans l’inconscient

Sujet normal

Neutralité bienveillante de l’analyste Modification de la personnalité dans lesens d’une plus grande souplesse et de

meilleures capacités d’adaptation

Troubles de la personnalité de typenévrotique

Règle de l’association libre Progrès dans ses capacités de réalisation Nécessité d’une bonne capacité d’introspec-tion, d’une certaine capacité à tolérer la frus-tration, d’un bon niveau intellectuel et d’une

forte motivationTravail sur le transfert et les interprétations

Financement intégral par le sujet

Psychothérapies d’inspirationpsychanalytique

1 à 2 séances par semaine de 1/2 heure à3/4 heure

Reconstruction de la personnalité grâce àla prise de conscience des besoins, affects

et scénarii refoulés dans l’inconscient

Indications beaucoup plus larges justifiantdivers aménagements techniques.

Règle de l’association libre

Disparition des symptômes et des attitudesrigides et inadaptées

Troubles de la personnalité, états limites,

Attitude plus active du thérapeute dont lesinterventions sont variées : suggestion, en-couragement à élaborer, clarification, inter-

prétation, travail sur le transfert

Conduites addictives et troubles des condui-tes alimentaires

Possibilité de prescription médicamenteuseassociée, le plus souvent délivrée par unautre praticien (double prise en charge)

Troubles névrotiques à symtomatologie mo-dérée

Remboursement partiel possible par la SS Troubles psychotiques si analyste formé à cetype de patients

Psychothérapie non directive deRogers

Reformulation des sentiments dans les ex-périences vécues anciennes et nouvelles

Acceptation de ses expériences, augmenta-tion de la souplesse des réponses psycholo-giques, développement du jugement person-

nel, ouverture à la réalité

En principe les mêmes que dans les psycho-thérapies d’inspiration psychanalytique :

troubles névrotiques, troubles de la personna-lité, conduites addictives.

Exploration de soi Cette forme de thérapie est davantage prati-quée dans les pays anglo-saxons

Ecoute chaleureuse et non directive par lethérapeute

Thérapies comportementales Une à deux séances par semaine de 3/4d’heure à 3 heures

Développement de capacités d’autocontrôleet d’autosuggestion

Principalement les troubles anxieux, les trou-bles obsessionnels compulsifs

Programmes de soin de 10 à 30 séances Réduction ou disparition des comporte-ments pathologiques

D’autres indications sont possibles : troublesdes conduites alimentaires, alcoolisme, étatsdéficitaires schizophréniques, certains trou-

bles sexuelsAnalyse fonctionnelle des comportements

anormaux cibles de la thérapie : liens avecl’environnement, les émotions et les pen-

sées du patient

Affırmation de soi du patient, modificationde son image de lui-même et de ses rela-

tions à autrui

Programme de soins utilisant les techni-ques spécifiques adaptées aux symptômes

Fréquente association à un traitement chi-miothérapique

Thérapies cognitives Elles sont en général couplées à une appro-che comportementale

Modification des systèmes de pensées et decroyance rigides

Principalement : états dépressifs d’intensitélégère à modérée

Analyse des systèmes de pensées sous-tendant des attitudes pathologiques et

rigides

Certains troubles obsessionnels compulsifs

Fréquente association à un traitementchimiothérapique

Relaxation et approchescorporelles

Une à deux séances par semaine, indivi-duelle ou en groupe

Réduction du niveau global d’anxiété Troubles anxieux avec expression somatiqued’angoisse

Exercices de concentration sur les sensa-tions corporelles visant à l’obtention d’un

état de détente

Contrôle des manifestations physiques dansdes situations stressantes ou anxiogènes

Pathologies somatiques : maladie asthmati-que, prévention de récidives d’infarctus du

myocarde

Hypnose Induction d’un état de dissolution de laconscience

Disparition des symptômes ou des compor-tements pathologiques cibles

Symptôme de conversion hystérique

Suggestion de modification de comporte-ments ou de symptômes

Etats anxieux et névrotiques peu sévères

Dépendance au tabac, aux psychotropes

Douleurs chroniques

7-0140 - Psychothérapies

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Page 48: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Modalités

Ce sont en général des thérapies brèves, d’unevingtaine de séances (en général de 10 à 30 selon lesindications) au rythme de une à deux par semaine.Comme dans toute thérapie, une all iancethérapeutique est nécessaire, ce d’autant que le patientdoit jouer un rôle très actif, en particulier en dehors desséances. Toutes les thérapies comportementales etcognitives se déroulent selon la même logique.

Le premier temps est celui du contrat de soin : ils’agit de définir les symptômes et comportementsgênants dont le patient souhaite la disparition. Puis lepsychothérapeute procède à l’analyse fonctionnelle.Les comportements gênants, cibles de la thérapie, sontprécisément décrits ainsi que la relation fonctionnelleentre ces comportements et l’environnement. Cetteanalyse comportementale détaillée est nécessaire afind’établir le programme de soins et de servirultérieurement de ligne de base pour permettre demesurer l’évolution. Les différents stimuli extérieursdéclenchant l’anxiété (lieux ou situations dans untrouble agoraphobique, toucher un objet supposé saledans un trouble obsessionnel compulsif) et les penséesou images perturbantes sont recensés ainsi que leurretentissement émotionnel. Les comportements misen place pour réduire l’anxiété (évitement, objetscontraphobiques, rituels) sont également notés : leurtype, leur fréquence, leur durée, leur degréd’interférence avec les activités quotidiennes. Cetteanalyse est complétée par l’évaluation dufonctionnement familial, social et professionnel dupatient. On recherche en particulier l’existenced’attitudes de l’entourage renforçant la pathologie dupatient.

Le deuxième temps consiste à quantifier lesobjectifs thérapeutiques que le thérapeute et le patientse proposent d’atteindre : le programme de soin estalors établi. Il est progressif, partant des objectifssupposés les plus faciles à atteindre jusqu’aux plusdifficiles. Les différentes étapes et le délai de leurréalisation sont précisés. Le patient doit durant lapériode du traitement effectuer des exercices endehors des séances, reproduisant ainsi seul ce qu’ilaura acquis avec son thérapeute. Ce programmethérapeutique en passe par l’application de techniquesspécifiques différentes selon le type de comportementcible à savoir une désensibilisation systématique, uneaffirmation de soi, etc.

Durant le traitement, de nombreuses évaluationssont pratiquées afin de permettre au patient demesurer les changements réalisés, d’apprendre às’observer lui-même et par là même à s’autosugges-tionner (par exemple, en valorisant les progrèsréalisés). Enfin à l’issue du traitement, une évaluationglobale reprenant les points notés lors de l’évaluationinitiale est réalisée afin de vérifier que le contrat desoin est rempli ou éventuellement de conseiller unautre traitement si les objectifs n’ont pas été atteints.

¶ Techniques des thérapies comportementalesen fonction des comportement cibles

Troubles phobiquesLes méthodes d’exposition visent à la disparition

des conduites d’évitement par habituation (extinction)des réponses émotionnelles.

L’exposition aux objets ou situations qui angoissentle patient se déroule de façon graduée. Cetteexposition répétée et suffisamment prolongée, avecl’aide éventuelle de techniques de contrôle desréactions émotionnelles (relaxation, contrôle de la

respiration) et le soutien du thérapeute ou depersonnes de l’entourage du patient, a pour objectif defaire disparaître la réponse émotionnelle. Pour êtreefficace, l’exposition doit se faire in vivo mais peut êtreprécédée par une exposition en imagination.Différentes variantes de cette technique ont été misesau point. La désensibilisation systématique consiste,après apprentissage d’une méthode de relaxation, àune exposition par imagination, le thérapeutesuggérant des situations de plus en plus anxiogènesjusqu’à l’arrêt par le patient. Entre les séances, lepatient doit se confronter en réalité aux situationsdésensibilisées en séances. La même technique peutêtre réalisée in vivo : le thérapeute peut alorsaccompagner le patient ou le précéder, tout enl’incitant rapidement à l’autonomie. Cependant, lesméthodes les plus rapides (exposition in vivo avecl’aide du thérapeute) semblent à terme moins efficaceque l’exposition progressive, gérée par le patient lui-même et réalisée avec l’aide de personnes de sonentourage.

Phobies socialesLes techniques de communication et de jeu de rôle

visent à une restructuration des croyances sous-tendant les peurs et à l’exposition à des situationsd’interaction sociale.

Des techniques d’affirmation de soi proposentl’analyse du système de croyances du sujet lors dessituations sociales qu’il redoute, par exemple, « je vaisparaître ridicule et tout le monde va me regarder, jen’ai pas le droit de paraître ridicule » et ledéveloppement de pensées tournées versl’affrontement des situations plutôt que leur évitement.

Des techniques de jeu de rôle permettent par larépétition d’acquérir une meilleur maîtrise desinteractions sociales posant problème au sujet. Lessituations jouées par le patient suivent un gradient dedifficulté croissante. Le thérapeute peut jouer lui-mêmele rôle, servant ainsi de modèle au patient. Là encore,le passage à l’exposition en situation réelle est l’étapedéterminante.

Troubles obsessionnels compulsifs aveccompulsions ritualisées

Les techniques d’exposition in vivo et de préventionde la réponse ritualisée visent à réduire la réponseanxieuse et les rituels.

Chez ces patients, les obsessions idéatives induisentun état d’anxiété que le sujet cherche à réduire par lamise en place de compulsions ou de rituels. Lorsque

ces rituels sont des comportements extérioriséscomme des rituels de vérification ou de lavage, lestechniques comportementales sont particulièrementindiquées.

L’exposition in vivo consiste comme dans lestroubles phobiques à exposer le patient de façongraduée aux objets et aux situations qui l’angoissent.Par exemple, lorsque l’obsession porte sur la crainte dela souillure, le patient doit de séance en séance,toucher des objets de plus en plus « sales » jusqu’àramasser un objet par terre. La séance doit durer aumoins 45 minutes pour que le sujet ait amorcé laredescente de sa courbe d’anxiété.

Une prévention de la réponse ritualisée estassociée, ainsi le patient doit résister à son besoin deritualiser, avec l’encouragement de son thérapeute. Cetapprentissage est prolongé par des tâches degénéralisation à effectuer à domicile. Autogérées par lepatient, elles sont rediscutées à chaque séance. Lepatient apprend ainsi à réduire ses rituels dans sa viequotidienne, à y résister, voire à les supprimercomplètement.

Troubles obsessionnels compulsifs avecprédominance d’obsessions

Des techniques cognitives visent à modifier lessystèmes de croyance sous-tendant les obsessions.

Les techniques comportementales sont en effetmoins pertinentes puisque le patient ne présente pasde rituels extériorisés. Certaines peuvent cependantêtre utilisées avec profit. La technique d’arrêt de lapensée consiste à intérioriser un « stop », initialementénoncé par le thérapeute, lorsque les idées obsédantesfont irruption pour arrêter leur déroulement. Latechnique d’implosion ou flooding consiste àconfronter le sujet en imagination à des situationsanxiogènes à leur niveau maximal jusqu’à ce quel’angoisse s’éteigne ; les séances doivent durer aumoins 45 minutes pour que le processus d’habituationse mette en place. Le sujet doit également effectuerdes séances quotidiennes à domicile. Une techniqueplus progressive consiste à utiliser des enregistrementsdes obsessions qui sont présentées de façon répétitiveau cours des séances puis au domicile du patient afind’obtenir une habituation.

Les thérapies cognitives proposent d’analyser lemode de pensée qui sous-tend les idées obsédantes etles rituels : en deçà de l’idée obsédante vécue commerépugnante, honteuse et étrangère au sujet ( proférerdes obscénités ou tuer son propre enfant), il existeraitune série de postulats, par exemple, « je dois resterconstamment vigilant par rapport aux dangers que jepeux provoquer et dont je serais totalementresponsable ». Les rituels automatiques ont pourfonction de neutraliser ces schémas de danger.L’analyse de ces pensées (isoler et discuter les postulatsde danger, réattribuer les responsabilités, discuter lachaîne des catastrophes que le patient imagine)permet leur remplacement progressif par descroyances plus rationnelles.

Troubles dépressifs d’intensité modéréeL’approche cognitive vise à modifier les croyances

négatives du sujet sur lui-même et sur le monde.Les sujets déprimés présentent des ruminations

mentales pessimistes et autodépréciatrices « je n’yarriverai jamais », « je ne suis pas quelqu’und’intéressant », qui sous-tendent leur position de replisocial et les conduisent à une solitude qui vientconfirmer leurs postulats de départ. En cas d’échec, unsujet déprimé a tendance à s’attribuer la totalité de laresponsabilité de l’échec, à considérer que cet échecest définitif et qu’il s’étendra aux autres domaines de

Déroulement d’une thérapie cognitiveet comportementale.✔ Qu’est-ce que le patient désirechanger ? définition des objectifsthérapeutiques et du contrat de soins.✔ Quels sont les liens entre lescomportements cibles du traitementet l’environnement, les pensées et lesémotions du patient ? c’est l’analysefonctionnelle qui permet d’établir leprogramme thérapeutique.✔ Déroulement de ce programme desoins avec applications de techniquesspécifiques en fonction descomportement cibles.✔ Développement des capacitésd’autocontrôle et d’autosuggestion.✔ Évaluation des résultats.

Psychothérapies - 7-0140

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Page 49: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

son existence, inférences et généralisations que ne faitpas le sujet normal. La thérapie cognitive vise à la prisede conscience par le sujet de ses penséesautomatiques et à la modification de ses processus dejugement (inférences arbitraires, généralisationsabusives, mauvaise évaluation des événements...).

Formes déficitaires de schizophrénieL’approche cognitive et comportementale vise à

lutter contre l’apragmatisme et l’inadaptation socialedes patients.

La méthode institutionnelle d’« économie dejetons » fonctionne sur la règle simple de paiement dejetons avec lesquels le patient peut acquérir cigarettesou avantages en nature non fournis par l’institution enéchange de la réalisation de comportements que l’onsouhaite développer : avoir une hygiène correcte,participer aux tâches de la vie en commun, etc. Cetteméthode a pour but de renforcer la motivation decertains patients très déficitaires.

Les patients schizophrènes présentent une perte desavoir-faire dans le domaine de la communication etdes relations sociales, qui contribue largement à leurévolution vers l’isolement et l’apragmatisme. Laméthode d’entraînement aux habiletés sociales par jeude rôle et apprentissage par imitation de modèlepropose d’aider les patients à mieux gérer leurinteractions sociales.

Indications

Les thérapies cognitives et comportementales sontsouvent associées à un traitement psychotrope dontelles complètent les effets : par exemple, dans letrouble agoraphobique avec attaque de panique, letraitement médicamenteux permet de prévenir lasurvenue des attaques de panique mais l’approchecomportementale est nécessaire pour aider le sujet àaffronter les situations qu’il évite. La stratégie« médicament et psychothérapie » est donc supérieureà l’un des traitements isolément. D’autre part,l’approche cognitive et comportementale pourrait,dans certains cas, permettre de réduire la posologie dutraitement médicamenteux et surtout la durée deprescription : ce serait par exemple le cas pour lestroubles anxieux et pour les troubles obsessionnelscompulsifs.

Les indications préférentielles des thérapiescognitives et comportementales sont les troublesanxieux et névrotiques :

– les troubles phobiques : agoraphobie, phobiessociales, phobies simples ;

– les troubles obsessionnels compulsifs ;– les troubles anxieux : trouble d’anxiété

généralisée et trouble panique ;– les états dépressifs d’intensité légère.Des techniques ont également été développées

pour la prise en charge de nombreux autres troubles :– certains troubles des conduites alimentaires et

certaines conduites alcooliques ;– les états déficitaires schizophréniques ;– certains troubles sexuels.En médecine, l’approche comportementale a

abordé avec succès certaines pathologiespsychosomatiques comme la prévention des rechutesde maladies cardiovasculaires (par apprentissage de lagestion du stress et de l’agressivité).

Alors que les indications des thérapies cognitives etcomportementales vont s’élargissant, certaines contre-indications demeurent, liées soit à la pathologie(schizophrénie en période productive, délireparanoïaque, épisodes maniaques ou mélancoliques

de la maladie maniacodépressive), soit à lapersonnalité du patient (incapacité à définir des butsthérapeutiques précis ou motivation insuffisante).Enfin, l’efficacité de cette approche tient, comme toutabord psychothérapique, à la qualité et à la formationdu thérapeute. Selon les critères de l’Associationeuropéenne de thérapie comportementale etcognitive, une année d’enseignement théorique etdeux années de supervision de cas sont nécessaires àla formation d’un thérapeute (et à l’obtention d’undiplôme universitaire).

‚ Psychanalyse et psychothérapiesd’inspiration psychanalytique.

Principes généraux

Le but essentiel du traitement psychanalytique estde rendre conscient ce qui est inconscient. Enopposition aux thérapeutiques symptomatiquescomme la psychothérapie de soutien ou les thérapiescognitives et comportementales, c’est une méthodequi vise à une action en profondeur afin d’obtenir unchangement de la personnalité du patient. Il s’agitd’ouvrir de nouvelles voies, d’élargir le champ desreprésentations du sujet (ce qu’il se représente de lui,de ses affects, de ses relations à autrui). La guérison dessymptômes et le mieux-être sont des conséquencesindirectes de ce travail.

Les bases théoriques de la psychanalyse ont étédonnées par Freud : il s’agit d’une méthoded’exploration de l’inconscient qui postule que certainscomportements, certains symptômes (les symptômesnévrotiques en particulier), les rêves, les actesmanqués ont un sens caché. Ils sont l’expression deconflits intrapsychiques inconscients constitués durantla vie du sujet et surtout lors de ses premières années.Les individus auraient tendance à répéter tout au longde leur vie un certain nombre de scénarii inconscientset inadaptés, source de satisfaction mais également detension et d’angoisse.

Lors d’une psychanalyse, le sujet est amené à seremémorer et à revivre ces scénarii inconscients. Pource faire, il est invité à exprimer librement aupsychanalyste tout ce qu’il pense ou ressent, sans sefocaliser sur l’exactitude ou la logique : c’est la règle del’association libre. Bien sûr apparaissent au cours de lacure des obstacles à une réelle liberté d’association,censure volontaire ou non, résistance du sujet àl’expression de ses conflits inconscients. En effet, cesconflits sont activement maintenus dans l’inconscientpar des forces psychologiques (le refoulement) quel’analyste s’efforcera de mettre à jour, d’expliciter etd’interpréter.

D’autre part, au cours de la cure, le sujet va établiravec son analyste des liens affectifs particuliers etintenses. Il va en effet avoir tendance à transposer surla personne de son analyste les sentiments encorevivants en lui qu’il a éprouvé durant son enfance àl’égard des personnages importants de celle-ci (et biensûr, avant tout, ses parents ou ceux qui en ont faitoffice) : c’est ce qu’on appelle le transfert. C’est ainsique les modes de relation que le sujet établit dans leprésent en reproduisant d’importants aspects de sonpassé vont s’inscrire dans sa relation à l’analyste etvont pouvoir être examinés en profondeur. A traversle transfert, le patient manifeste ce qu’il a vécu dans lepassé et comment ces expériences restent encorevivantes en lui. Le rôle du psychanalyste va être depermettre au sujet de prendre conscience et de sedégager de cette répétition : il peut par exempleverbaliser au sujet ce qu’il est en train de répéter (c’estune interprétation) ou prendre une position différentede celle que le sujet lui assigne dans son processus de

répétition. Ainsi, le patient va pouvoir opérer unedifférenciation entre le passé et le présent et sedégager de la répétition de ses conflits infantiles.

Lors du développement des applications de lapsychanalyse, un certain nombre de patientspsychiatriques se sont avérés inaptes à cette approche.En particulier, la régression vers des positions infantilesqu’impose la cure type a pu s’avérer dangereuse pourcertains patients qui perdaient alors le sens des limitesentre fantasmes et réalité. Divers aménagementstechniques ont été proposés par les psychanalystes enfonction de l’âge et de la pathologie : il s’agit alors depsychothérapies d’inspiration psychanalytique. Lecadre théorique freudien et l’utilisation du transfertrestent les éléments communs à ces différentesapproches.

Plus récemment, en réaction au caractèreintemporel de la cure psychanalytique (qui dureplusieurs années, voire davantage) et sans doute sousl’influence de facteurs socio-économiques derecherche d’efficacité à un moindre coût, despsychothérapies psychanalytiques brèves ont étéproposées. Diverses recherches ont en effet montréque les progrès les plus significatifs lors d’unepsychothérapie survenaient lors des premiers mois detraitement. Ces thérapies brèves sont focalisées surune problématique particulière du patient etnécessitent une position plus active de l’analyste quiva opérer une sélection pour ne s’intéresser qu’à ce quia trait à cette problématique.

Modalités

Psychothérapie d’inspiration psychanalytique etcure type sont pratiquées par des psychanalystes, nonnécessairement médecins, qui ont acquis uneformation approfondie sur un plan théorique etpersonnel (sous la forme d’une analyse personnelle) etqui sont en général affiliés à une école depsychanalyse.

Les différences entre la cure type et lespsychothérapies tiennent à des différences dans lesmodalités techniques :

– trois à quatre séances par semaine pour une curetype, deux ou le plus souvent une séance par semainepour une psychothérapie ;

– classique position allongée, le dos tourné àl’analyste pour la cure type et face à face pour unepsychothérapie ;

– financement intégral par le patient de sapsychanalyse, prise en charge partielle par la Sécuritésociale possible dans certains cas pour unepsychothérapie ;

– fréquente association à un traitementmédicamenteux dans les psychothérapiesd’inspiration psychanalytique. Ce traitement est alorssouvent dispensé par un autre praticien, dans le cadred’une double prise en charge. Cette précaution vise àlimiter les manipulations que le patient pourrait faireavec son traitement mais également à ne pas confinerle psychothérapeute dans un rôle médical (rôle de« bonne mère » réparatrice) afin de ne pas influencer etlimiter le transfert ;

– durée de plusieurs années pour une psychana-lyse, rarement au-delà de 3 ans pour unepsychothérapie.

Au-delà de ces différences techniques, la position etles interventions du psychanalyste diffèrent également :plus actif dans une psychothérapie, le psychanalysteaura plus volontiers recours à des attitudes desuggestion et de soutien même si ses interventionsvisent également, comme dans la cure type, à favoriserl’élaboration des conflits internes, à clarifier et àinterpréter les attitudes du patient. Le transfert sera utilisé

7-0140 - Psychothérapies

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Page 50: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

mais moins souvent verbalisé et interprété dans unepsychothérapie que dans la cure type et la régression dupatient sera contrôlée et limitée.

Indications

L’indication d’une cure type ou d’une psychothéra-pie doit être posée par un analyste, après un ouplusieurs entretiens d’évaluation. Quelques grandsprincipes généraux peuvent être cependant proposés.

Une cure type n’est indiquée que dans un nombrelimité de cas : elle nécessite en effet un fonctionne-ment psychologique suffisamment souple, pouvanttolérer la frustration qu’impose cette démarche, sanstendance importante au passage à l’acte et avec deslimites du Moi suffisamment solides pour bien tolérerla régression et le transfert au cours de la cure. Detelles capacités sont rencontrées dans lespersonnalités névrotiques (c’est-à-dire banales, voirenormales). Cependant, une tendance excessive à larégression (comme dans certaines personnalitéshystériques) ou à une intellectualisation excessive sansengagement affectif (comme dans certainespersonnalités obsessionnelles) peuvent constituer desobstacles au bon déroulement d’une analyse. D’autrepart, une cure type nécessite une forte motivation, ungoût ou un engagement personnel pour ce type dedémarche, des moyens financiers et des aptitudesintellectuelles suffisants. Les troubles limites de lapersonnalité, les troubles névrotiques sévères, lestroubles schizophréniques ou délirants chroniques, lesétats dépressifs d’intensité sévère, les états maniaquesou les états mélancoliques de la maladie maniacodé-pressive sont des contre-indications à la psychanalyse.

Les indications des psychothérapies d’inspirationpsychanalytique sont en revanche beaucoup pluslarges : elles peuvent être proposées dans le cas detroubles de la personnalité constituant une contre-indication à la psychanalyse : personnalitésnévrotiques fragiles ou états limites. Elles sontparticulièrement indiquées lorsque des difficultésrelationnelles permanentes amènent à des situationsd’échec ou semblent constituer des facteurs d’entretiende troubles névrotiques, anxieux ou dépressifs. Il estpréférable en cas de trouble psychiatrique actuel (parexemple un état dépressif) d’attendre la résolution del’épisode qui doit être traité sur un plan médical avantde proposer une psychothérapie d’inspirationpsychanalytique. Il existe deux raisons à ce délai :d’une part, une dépression entraîne une sidérationpsychique qui entraverait le travail psychothérapique,d’autre part, si la motivation du sujet estessentiellement liée au vécu douloureux de ladépression, aux sentiments d’échec et à la remise encause qui l’accompagnent, une interruption rapide dela psychothérapie est prévisible dès que l’épisode auraété résolu.

Enfin, des psychothérapies d’inspiration psychanalyti-que ont été proposées dans le cas de patientspsychotiques. Il s’agit d’une approche particulièrementdélicate qui ne peut être pratiquée que par desthérapeutes formés à ce type de prise en charge.

‚ Autres psychothérapies

Psychologie analytique de Jung

Selon Jung, les conflits des individus ne se situentpas en eux-mêmes mais dans leur relation avec lemonde extérieur. Cette thérapie vise à un meilleuraccord entre l’individu et la société par latransformation des idéaux individuels en idéauxconformes avec ceux d’un inconscient collectif

transparaissant dans les mythes, les grands courantsphilosophiques et les religions. L’analyse de lasymbolique des rêves est l’une des techniquesprivilégiées. Cette méthode implique une positionactive du thérapeute et le transfert n’est pas analysé.

Psychothérapie non directive de Rogers

Il s’agit d’une méthode développée par Rogers àpartir de 1951, fondée sur l’idée que tout patient estdoté de forces innées favorisant sa croissance et sespotentialités. Le thérapeute, par sa sollicitude et sonempathie, doit aider le patient à concilier l’image qu’il ade lui et son image idéale. Le travail psychothérapiqueest centré sur l’expression des émotions plus que surl’élaboration intellectuelle et sur l’ici et maintenant plusque sur les expériences passées.

Psychothérapies existentielles

Apparues dans les années 1950 dans la lignée del’analyse phénoménologique de Biswanger, ellesproposent d’aider le patient à infléchir son destin enl’affrontant. Le travail porte sur le moment présent etsur l’analyse de l’expérience vécue.

Rêve éveillé de Robert Desoille

Cette méthode a pour objectif l’exploration de la vieaffective du patient à partir de rêves éveillés quimobilisent les émotions, proposés par le thérapeute etque le patient poursuit en se laissant aller. Dans unsecond temps, les images du rêve sont interprétées avecle thérapeute selon des règles de symbolique des rêves.

Thérapie d’Adler

Selon Adler, les conflits humains sont avant toutd’origine sociale. Cette méthode ne fait donc que trèspeu appel à la notion d’inconscient. Sa technique estune action rééducatrice et stimulante qui vise àl’affirmation de la personnalité.

Méthodes corporelles et la relaxation

Elles visent par des exercices de concentration surdifférentes parties du corps à l’obtention d’un état dedétente et de relâchement physique. Cet apprentissagedoit permettre d’obtenir une réduction du niveau globald’anxiété et un contrôle des réactions physiquesd’angoisse dans des situations stressantes ou anxiogènes.Leur indications sont larges mais concernentparticulièrement les troubles à expressions somatiques etavant tout les états anxieux (trouble anxieux généralisé,troubles phobiques, trouble panique). Elles sont égalementutilisées dans la préparation à l’accouchement, certainespathologies somatiques comme l’asthme, la préventiondes accidents cardiovasculaires, etc. De très nombreusestechniques sont proposées, nous n’en citerons quequelques-unes.

■ Méthode de Jackobson : le sujet allongé sur ledos est invité à contracter puis décontractersuccessivement les différents groupes musculaire en seconcentrant sur les sensations corporelles de cet étatde décontraction.

■ Training autogène de Schultz : il propose ledéveloppement de capacités d’autohypnose et dedéconnection du monde extérieur en se concentrantsur les sensations corporelles.

■ Sophrologie : elle associe des techniques derelaxation et la recherche de modification de l’état deconscience (rétrécissement du champ de conscience)en se servant de l’évocation d’images ou de souvenirs.

■ Relaxation d’inspiration psychanalytique : lesujet est invité à parler de son vécu au cours de laséance de relaxation. Comme dans une psychothéra-pie, ces associations et la relation transférentielle sur lethérapeute sont l’objet d’interprétations.

Hypnose

Il s’agit d’une technique particulière de suggestion.Dans un premier temps, le thérapeute induit chez sonpatient un état de dissolution de la conscience danslequel le sujet perd conscience du monde extérieur :l’état hypnoïde. Lorsque cet état est suffisammentsolide, le sujet devient très sensible aux suggestions del’hypnotiseur. Cette suggestion peut alors être utilisée àdes fins thérapeutiques pour faire disparaître dessymptômes ou des comportements anormaux, leseffets de la suggestion persistant après le « réveil » dupatient.

L’indication la plus classique est le symptôme deconversion hystérique. L’hypnose a également pu êtreproposée dans des troubles anxieux ou névrotiquespeu symptomatiques, dans certaines dépendancestoxicomaniaques, certains troubles sexuels, commeappoint dans le traitement de douleurs chroniques.

Les états psychotiques et les troubles graves de lapersonnalité sont une contre-indication absolue.

Principes généraux utiles à la pratiquedes psychothérapiques

✔ Les prérequis pour la pratiqued’une psychothérapie

La pratique d’une psychothérapienécessite une formation à cettetechnique. Atitre d’exemple : selon lescritères de l’Association européennede thérapie comportementale etcognitive, une année d’enseignementet deux années de supervision de cassont nécessaires à la formation d’unthérapeute ; une cure psychanalytiquepersonnelle est nécessaire à lapratique d’une psychanalyse, voired’une psychothérapie psychanalytiquestructurée.

✔ Indications et choix d’unetechnique psychothérapique

Les indications d’une psychothérapiene se résument pas à l’existence d’unesouffrance psychologique chez unpatient mais imposent de tenir comptede la capacité du sujet de profiter dece moyen thérapeutique, capacité quitient plus à l’individu qu’auxsymptômes qu’il présente.Le choix de la techniquepsychothérapique qui sera bénéfiqueau patient nécessite une bonneconnaissance des différentestechniques psychothérapiques.L’indication d’une techniqueparticulière peut être posée par toutmédecin possédant les connaissancessuffisantes mais doit être confirméepar un professionnel de la techniquechoisie.Le médecin généraliste pourrasolliciter un avis spécialisé pourorienter son patient

Psychothérapies - 7-0140

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■Psychothérapies de groupe

S’inspirant des grands courants psychologiques quiont donné naissance aux différentes approchesindividuelles, les thérapies de groupe utilisentégalement la dynamique propre aux groupes humainset les mouvements relationnels au sein du groupecomme processus de changement. Elles sont destinéessoit à des groupes de patients, soit à des groupesnaturels comme la famille ou le couple.

‚ Psychothérapies familiales

Psychothérapies familiales systémiques

Ces psychothérapies sont fondées sur des principesthéoriques considérant le patient non plus isolémentmais comme une personne liée à un système familialqui fonctionne selon ses règles propres. Lamodification de l’état du patient a des conséquencessur le fonctionnement du système familial etréciproquement. Plus généralement, les théoriessystémiques invitent, pour comprendre lescomportements pathologiques, à se décentrer desdéterminants individuels supposés pour s’intéresser àla place de ces comportements dans les interactionsfamiliales.

Des dysfonctionnements dans les communicationsintrafamiliales ont été décrits et sont supposés être àl’origine de la décompensation de l’un (ou plusieurs)des membres de la famille, ou au moins jouer un rôledans l’évolution de sa pathologie. En effet danscertains cas, des règles de fonctionnement rigidesconduiraient à maintenir le patient dans une positionde « malade désigné » afin de permettre à l’ensembledu système familial de conserver un état d’équilibre.

Le déroulement de ces thérapies familiales consisteen des séances auxquelles participe l’ensemble desmembres de la famille. Un ou généralement plusieursthérapeutes interagissent avec le système familial pourmettre en évidence ses règles de fonctionnement et lesmodifier dans le sens d’une plus grande souplesse.

Psychothérapies familiales d’inspirationpsychanalytique

Elles s’adressent également au groupe familial maisleur cadre théorique est celui de la psychanalyse et

elles utilisent l’analyse du transfert des différentsmembres de la famille sur le thérapeute.

‚ Psychodrames

Psychodrame de Moreno

Fondé sur l’idée que l’action est révélatrice despotentialités humaines et sur les effets cathartiques duthéâtre, le psychodrame de Moreno propose aupatient des jeux de rôle dans le but de faciliterl’expression et la décharge des émotions, de lever lesinhibitions et de révéler le sujet à lui-même. Il s’agitd’une technique active centrée sur le renforcement descapacités d’affirmation de soi plutôt que surl’exploration ou la connaissance de soi. En pratique, lespatients sont invités à proposer successivement et àjouer des situations mettant en scène leurs difficultés.Des changements de rôle impromptus et diversestechniques dynamiques sont utilisés afin de favoriserla spontanéité.

Ses indications sont larges : toutes les difficultéspouvant bénéficier d’un effet de déchargeémotionnelle et d’une aide à leur expression.

Psychodrame d’inspiration psychanalytique

Cette technique allie les principes de la théoriefreudienne à ceux du psychodrame de Moreno.

A la différence de ce dernier, l’expression desattitudes dans le jeu est un moyen de favoriser la prisede conscience de l’existence d’un monde interne. Lesconflits, émotions et tensions ne sont pas seulementextériorisés dans le jeu mais la technique dupsychodrame psychanalytique vise à leurintériorisation et à leur intégration dans unepersonnalité restructurée. Comme dans les autrestechniques psychanalytiques, le transfert est largementutilisé comme moyen thérapeutique. Destinéinitialement à des groupes de patients, il est à présentpratiqué le plus souvent avec un seul patient qui jouedes scènes avec plusieurs thérapeutes, un meneur dejeu restant à l’extérieur du jeu et occupant la positionclassique de l’analyste.

Ses indications découlent de ses spécificitéstechniques : inhibitions massives, déni ou crainteextrême de la vie psychique, et doivent être posées parun analyste lors d’entretiens d’évaluation.

Autres psychothérapies de groupe

Ces différentes thérapies peuvent être destinées àdes patients dont l’abord individuel aurait été rendudifficile du fait d’une trop grande inhibition ou dedéfenses psychologiques trop rigides.

¶ Groupes de paroleIl existe de nombreux groupes thérapeutiques

visant à aider à l’expression des difficultéspersonnelles, à améliorer certains symptômes oucomportements pathologiques, à favoriser lesrelations sociales, à aider à résoudre des conflitspsychologiques. Ils peuvent être destinés à despersonnes présentant le même type de difficultés,par exemple : un alcoolisme, un comportementde joueur pathologique, des conduitesboulimiques...

L’action psychologique de ce type de groupe estsouvent liée à des mécanismes d’identification. Onpeut en rapprocher les groupes d’anciens buveurs(Alcooliques Anonymes, Croix d’or, Croix Bleue...), dejoueurs repentis, etc, qui fonctionnent clairement surdes mécanismes identificatoires dans la mesure oùseules les personnes ayant ou ayant eu ce type dedifficultés sont admises.

¶ Psychothérapies de groupes d’inspirationpsychanalytiqueCes thérapies associent des principes théoriques

psychanalytiques et l’analyse de la dynamique degroupe et, en particulier, des mouvementstransférentiels de chacun des membres du groupe surle thérapeute.

¶ Psychothérapies de groupe d’inspirationcognitive et comportementaleReposant sur les principes des thérapies

comportementales et cognitives, ces psychothérapiesproposent une acquisition collective du contrôle decomportements pathologiques. Les groupes sontconstitués sur la base de comportements pathologi-ques communs.

¶ Groupes centrés sur le corpsIl s’agit en particulier des méthodes de relaxation

collective.

Christine Passerieux : Praticien hospitalier,service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Psychothérapies.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0140, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

[1] Hardy-Baylé MC, Hardy PE, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeuti-ques en psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[2] Senon JL, Sechter DE, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-mann, Science et Pratique médicale, 1995

[3] Widlöcher DE, Braconnier A. Psychanalyse et psychothérapies. Paris : Flam-marion, Médecine-Sciences, 1996

7-0140 - Psychothérapies

6

Page 52: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Conduites addictives

L. Karila, S. Coscas, M. Lecacheux, F. Noble, S. Legleye, F. Beck, P. Dupont,A. Benyamina, R. Karmous, M. Reynaud

L’addiction est un trouble chronique caractérisé par un processus récurrent, comprenant l’intoxicationrépétée puis l’installation progressive d’une dépendance s’accompagnant d’une tolérance et d’un besoinirrésistible de consommer. L’évolution par rechutes est caractéristique de cette pathologie. L’usageprolongé de drogues et/ou d’alcool entraîne des modifications sur le plan cérébral à différents niveaux. Lacaractérisation des systèmes neuronaux activés lors de la prise d’une drogue a permis de mieuxcomprendre les différents phénomènes éprouvés par le consommateur, et les désordres biologiquesinduits. L’addiction est une pathologie complexe qui naît de l’interaction entre un individu, des facteursgénétiques et des facteurs environnementaux. Des processus cognitifs complexes sont égalementimpliqués dans ce trouble. Cette pathologie cérébrale est à prendre en charge dans sa globalité au mêmetitre qu’un syndrome coronarien ou un diabète. Dans cet article, nous nous intéressons spécifiquement àla clinique et à la prise en charge des addictions au tabac, au cannabis, à l’alcool, à la cocaïne, auxopiacés, à la métamphétamine et à l’ecstasy.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Addiction ; Dépendance ; Dopamine ; Alcool ; Drogues ; Pharmacothérapie ;Thérapies comportementales

Plan

¶ Épidémiologie et neurobiologie 1Données épidémiologiques 1Données neurobiologiques 1

¶ Modalités de consommation et facteurs de risque d’installationd’une conduite addictive 2

Modalités de consommation 2Modalités de consommation à risque 2Facteurs de risque individuels et environnementaux 3

¶ Tabac 3Clinique 3Prise en charge thérapeutique 3

¶ Alcool 5Clinique 5Prise en charge thérapeutique 6

¶ Cannabis 7Clinique 7Prise en charge thérapeutique 8

¶ Cocaïne 8Clinique 8Prise en charge 9

¶ Opiacés 9Clinique 9Prise en charge thérapeutique 9

¶ Métamphétamine et ecstasy 10Clinique 10Prise en charge thérapeutique 10

■ Épidémiologie et neurobiologie

Données épidémiologiquesLes niveaux d’usage des substances psychoactives et leurs

évolutions récentes peuvent être quantifiés grâce aux dernièresenquêtes représentatives en population générale en France.Cette observation s’appuie, en particulier, sur les différentesvagues de l’enquête sur la santé et les consommations lors del’appel de préparation à la défense (ESCAPAD), mise en placepar l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies(OFDT) depuis 2000 ainsi que sur les baromètres santé coordon-nés par l’Institut national de prévention et d’éducation pour lasanté (INPES) depuis le début des années 1990 [1, 2].

Le point commun au tabac, à l’alcool, et au cannabis qui sedessine est que la population des usagers réguliers apparaîtstable ou en hausse, dans un contexte où le nombre d’usagersmodérés ne croît plus, voire baisse selon les produits. Parmi lesautres substances psychoactives, beaucoup plus rarementconsommées, le niveau d’usage actuel de produits tels que lacocaïne, le poppers ou l’ecstasy apparaît en hausse, tandis queles niveaux des autres substances illicites sont restés stables cesdernières années.

Données neurobiologiquesLes composés psychoactifs capables de produire des modifi-

cations des états de conscience sont extrêmement nombreux.L’apport des connaissances neurobiologiques sur les mécanismesd’actions de ces drogues est indéniable. Ainsi, la caractérisationdes systèmes neuronaux activés lors de la prise d’une drogue a

¶ 7-0145

1Traité de Médecine Akos

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Page 53: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

permis de mieux comprendre le plaisir et la dépendancepsychique éprouvés par le consommateur, et la démonstrationde désordres biochimiques provoqués, qui submergeraientcertains mécanismes de régulation, pourrait expliquer ladifficulté de parvenir à l’abstinence.

■ Modalités de consommationet facteurs de risque d’installationd’une conduite addictive

Afin d’évaluer les risques d’une consommation de produitpsychoactif licite ou illicite, il est nécessaire de définir laconduite de consommation, de rechercher l’existence demodalités de consommation à risque et de facteurs de risqueindividuels et environnementaux.

Modalités de consommationElles sont définies par l’usage, l’usage nocif (utilisation nocive

pour la santé) ou l’abus et la dépendance.

Usage

Il s’agit d’une consommation socialement réglée de produitslicites comme l’alcool ou le tabac sans dommages sanitaires.

Utilisation nocive de substances psychoactivespour la santé (CIM 10) [3] ou abus (DSM IV-TR) [4]

Les critères d’utilisation nocive et d’abus d’une substance sontdécrits dans le Tableau 1.

Dépendance

Mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant àune altération du fonctionnement ou une souffrance, clinique-ment significative, caractérisé par la présence de trois (ou plus)des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’unepériode continue de 12 mois :• tolérance, définie par l’un des symptômes suivants :

C besoin de quantités notablement plus fortes de la substancepour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ;

C effet notablement diminué en cas d’utilisation continued’une même quantité de la substance ;

• sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestationssuivantes :C syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;C la même substance (ou une substance très proche) est prise

pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage ;• la substance est souvent prise en quantité plus importante ou

pendant une période plus prolongée que prévu ;• il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour

diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance ;• beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour

obtenir la substance (par exemple fumer sans discontinuer),ou à récupérer de ses effets ;

• des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importan-tes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation dela substance ;

• l’utilisation de la substance est poursuivie bien que lapersonne sache avoir un problème psychologique ou physi-que persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ouexacerbé par la substance (par exemple, poursuite de la prisede cocaïne bien que la personne admette une dépression liéeà la cocaïne, ou poursuite de la prise de boissons alcooliséesbien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du faitde la consommation d’alcool).Préciser si :

• avec dépendance physique : présence d’une tolérance ou d’unsevrage (c’est-à-dire des items 1 ou 2) ;

• sans dépendance physique : absence de tolérance ou desevrage (c’est-à-dire tant de l’item 1 que de l’item 2).

Modalités de consommation à risqueCes modalités de consommation à risque correspondent à

l’âge de début des consommations, au caractère autothérapeu-tique de la consommation, à l’usage solitaire ou massif deproduit psychoactif, à la répétition des consommations, aucumul de consommation des substances psychoactives et enfinaux conduites à risque sous l’emprise de produit.

Un âge de début précoce de la consommation est un facteurde risque pour le développement ultérieur d’une utilisationnocive pour la santé (ou abus) et/ou d’une dépendance, surtoutsi les consommations se répètent. Il faut être particulièrementattentif lorsqu’un usage est très précoce en raison des possiblesconséquences médicales, psychologiques, psychiatriques etsociales à long terme.

Tableau 1.Utilisation nocive de substances psychoactives pour la santé (CIM 10) [3] ou abus (DSM IV-TR) [4].

CIM 10 (1992)

Critères de l’utilisation nocive d’une substance pour la santé

DSM-IV TR (2004)

Critères d’abus d’une substance

Mode de consommation d’un produit préjudiciable à la santé.

Les complications peuvent être physiques (p. ex. hépatite) ou psychiques(p. ex. épisodes dépressifs secondaires à une forte consommation d’alcool).

Le diagnostic repose sur des preuves manifestes que l’utilisation de produita entraîné des troubles psychologiques ou physiques.

Ce mode de consommation donne souvent lieu à des critiques et a souventdes conséquences sociales négatives. La désapprobation par autrui ou parl’environnement culturel, et les conséquences sociales négatives (p. ex. unearrestation, la perte d’un emploi ou des difficultés conjugales), ne suffisenttoutefois pas pour faire le diagnostic.

Ce diagnostic n’est pas posé quand le sujet présente un syndromede dépendance, un trouble psychotique ou un autre trouble spécifique liéà l’utilisation de produit.

A. Mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une altérationdu fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, caracté-risé par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au coursd’une période de 12 mois :

- utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir desobligations majeures, au travail, à l’école, ou à la maison (p. ex. : absences ré-pétées ou mauvaises performances au travail du fait de l’utilisation de lasubstance, absences, exclusions temporaires ou définitives de l’école, négli-gence des enfants ou des tâches ménagères) ;

- utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela peut être phy-siquement dangereux (p. ex. : lors de la conduite d’une voiture ou en faisantfonctionner une machine alors qu’on est sous l’influence de la substance) ;

- problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (p. ex. :arrestations pour comportement anormal en rapport avec l’utilisation de lasubstance) ;

- utilisation de la substance malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux,persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de la substance(p. ex. : disputes avec le conjoint à propos des conséquences de l’intoxication,bagarres).

B. Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette classe de substance,les critères de la dépendance à une substance.

.

7-0145 ¶ Conduites addictives

2 Traité de Médecine Akos

Page 54: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

L’usage à visée autothérapeutique peut être révélateur detroubles psychopathologiques sous-jacents chez un certainnombre de sujets.

L’usage solitaire est souvent témoin d’une majoration de laconsommation.

La répétition des consommations est à prendre en considéra-tion car plus le nombre de consommation est important, plusle temps d’exposition aux effets du produit est grand au coursde la vie, plus le risque de survenue de complications augmente.L’effet recherché par la consommation fréquente et/ou enquantités élevées, par la consommation en dehors des condi-tions régulées socialement est celui d’une recherche de« défonce », d’anesthésie, d’oubli des réalités de la vie quoti-dienne. Les ivresses isolées ou mixtes peuvent être massives etfréquentes.

Certaines situations à risque comme la conduite de véhicules,les rapports sexuels non protégés, les troubles du comportementet la grossesse sous l’emprise de drogues et/ou d’alcool doiventêtre également recherchées [5].

Facteurs de risque individuelset environnementaux

Les facteurs individuels de risque comprennent des facteursgénétiques, psychologiques et psychiatriques.

Parmi les facteurs psychologiques, il est important de recher-cher la notion de tempérament et l’existence de certains traitsde personnalité comme la faible estime de soi, la timidité,l’autodépréciation, les réactions émotionnelles excessives, lesdifficultés face à certains événements, les difficultés à avoir desrelations stables et à résoudre les problèmes interpersonnels.

Parmi les facteurs psychiatriques, différentes pathologiespeuvent exister comme un trouble d’hyperactivité avec déficitde l’attention, un trouble de l’humeur (dépression, troublebipolaire), des tentatives de suicide à répétition, des troublesanxieux, un trouble du comportement alimentaire, un troublede la personnalité (personnalité antisociale, borderline...) [6].

Parmi les facteurs environnementaux, une corrélation statis-tiquement significative entre antécédents familiaux d’alcoolo-dépendance et âge de début précoce des consommations estretrouvée. Le fonctionnement intrafamilial, le mode d’éduca-tion, la tolérance des parents pour l’usage de produits et pourla transgression des règles et les événements de vie sont desfacteurs de risque d’installation d’une conduite addictive.Comme nous l’avons précédemment vu, le rôle des pairs estindiscutable dans l’initiation d’une consommation d’alcool, detabac ou d’autres drogues mais n’explique pas à lui seul lesconduites addictives. Enfin, la perte des repères sociaux commela misère, la précarité, le chômage, l’absence de scolarisation, lamarginalité est également un important facteur de risque [7-9].

■ TabacLe tabagisme est dans les pays industrialisés la première cause

de mortalité évitable. En France, elle est cause de 66 000 décèsprématurés par an [6].

CliniqueLe tabagisme est un comportement appris renforcé par une

dépendance physique dont la nicotine est le principalresponsable.

Prochaska et Di Clemente ont décrit les différents stadesd’évolution du fumeur [10] qui sont l’indétermination, l’inten-tion, la préparation, l’action, la consolidation et la rechute.

De l’étape de « fumeur consonant » ou « fumeur satisfait » àcelle d’ex-fumeur, le sujet tabagique selon les évènements devie, ses croyances, ses capacités et les informations reçues vaavancer plus ou moins rapidement sur ce chemin [10].

Après une phase d’apprentissage du tabagisme, les effetspsychoactifs positifs de la nicotine apparaissent aux nouveauxfumeurs : effet hédonique, anxiolytique, stimulant, antidépres-seur, anorexigène. La dépendance comportementale et cognitives’installe ainsi progressivement. Enfin, nous faisons l’hypothèse

que la construction d’une identité adulte avec la cigarette peutexpliquer une partie de la dépendance exprimée par certainsfumeurs (« je ne me vois pas sans cigarette ») [11]. Ce ne seraqu’après une longue période de motivation, pouvant durerplusieurs années, que le fumeur prendra la décision d’arrêter.

En 2005, 29,9 % des 12-75 ans déclarent fumer ne serait-ceque de temps en temps : 33,4 % des hommes et 26,6 % desfemmes [2]. La moitié de ces fumeurs environ déclarent avoirenvie d’arrêter. Certains le font seuls, sans aide car peu dépen-dants et motivés. D’autres, trop dépendants physiquement et/oupsychologiquement ou ayant une comorbidité anxiodépressiven’y parviennent pas seuls. L’autre moitié n’est pas prête àarrêter. Certains fumeurs pensent le faire « un jour », d’autres nel’envisagent pas.

Le praticien va donc rencontrer tous ces fumeurs différents aucours de ses consultations. L’interrogatoire de tous les patientssur leur tabagisme doit être systématique, dès le plus jeune âge,au même titre que l’interrogatoire sur les antécédents médicauxet chirurgicaux ou l’existence d’une allergie.

Il doit comprendre les items suivants :• statut tabagique : fumeur, non fumeur, ex-fumeur ;• nombre de cigarettes fumées par jour ;• âge du début du tabagisme régulier (une cigarette par jour au

moins) ;• si ex-fumeur, date d’arrêt, nombre de cigarettes fumées par

jour, durée du tabagisme.Face à ces patients identifiés comme fumeurs, le médecin doit

systématiquement demander s’ils souhaitent arrêter de fumer etdans la négative délivrer un conseil minimal qui peut être : « entant que professionnel de santé, je vous conseille d’arrêter defumer dès que cela vous semblera faisable ; je vous donne unebrochure qui vous expliquera comment cela est possible ». Il estbien démontré que dire quelque chose à un fumeur, vaut mieuxque ne rien dire du tout [12].

Après ce conseil minimal, si le fumeur souhaite arrêter, uneprise en charge adaptée (informative, thérapeutique, et de suivi)peut être pratiquée si elle s’avère nécessaire. Si le fumeur nesouhaite pas arrêter de fumer pour le moment, le médecin peutaider sa motivation à avancer plus vite.

Prise en charge thérapeutiqueElle est décrite dans la Figure 1.

Aide médicale à l’arrêt du tabac

Elle comprend trois étapes (Fig. 2) [14] :• la première étape est l’évaluation et le renforcement de la

motivation. Il est utile de rechercher dès cette étape d’éven-tuels troubles de la personnalité et/ou une comorbiditépsychiatrique qu’il est souhaitable de prendre en charge avantl’arrêt proprement dit ;

• la seconde étape est la période de sevrage proprement dite.Elle comporte l’évaluation et le traitement des dépendances,des troubles psychologiques associés et des autres conduitesaddictives. Cette période peut durer plusieurs mois. Lesprogrès dans la connaissance des mécanismes addictifs ontpermis de mettre en place des stratégies de prise en chargevalidées scientifiquement ;

• la troisième étape consiste à prévenir et à traiter les fréquen-tes rechutes dont les causes sont multiples.

Motivation

La motivation est composée de deux facteurs essentiels :l’importance que revêt pour soi le changement et la confianceen soi pour changer. Le médecin peut l’évaluer, vérifier lapertinence des motifs avancés au changement par le fumeur etla faire progresser par la technique des entretiens motiva-tionnels [15].

Sevrage

Tous les fumeurs étant différents les uns des autres au regardde la dépendance et des facteurs environnementaux, il ne

Conduites addictives ¶ 7-0145

3Traité de Médecine Akos

Page 55: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

peut exister de pilule miracle pour arrêter de fumer. La stratégied’aide à l’arrêt doit être définie conjointement par le fumeur etle professionnel de santé après un bilan précis du tabagisme. Cebilan comprend [15] :• une évaluation de la dépendance :

C le test de Fagerström donne un score sur 10 points etpermet de classer les fumeurs en trois catégories [16] :0-4 points (pas ou peu dépendant) ; 5-6 (moyennementdépendant) ; 7-10 (fortement dépendant) ;

C l’utilisation d’un analyseur de monoxyde de carbone (CO)n’est pas indispensable en pratique courante mais il peutaider à motiver un fumeur à s’arrêter et peut égalementêtre utile dans le suivi ;

• une évaluation psychologique à la recherche de troublespsychologiques qui risquent de rendre difficile l’arrêt dutabac [15] ;

• une évaluation comportementale et cognitive pour aider lepatient à rompre avec certaines habitudes [17]... ;

• la recherche d’une codépendance (alcool, cannabis, médica-ments...) afin de définir la stratégie de sevrage la plusappropriée ;

• choix et mise en place d’une stratégie thérapeutique.Le choix de la stratégie est fonction du résultat de ces

différents bilans (dépendance nicotinique, dépendance psycho-comportementale, rôle de l’environnement, existence ou non detroubles de la personnalité et/ou de troubles psychiatriques,existence d’une codépendance) et est donc entièrementpersonnalisé.

La conférence de consensus sur l’aide à l’arrêt du tabac [18] etle rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des produitsde santé (AFSSAPS) reconnaissent comme ayant prouvé leurefficacité : le traitement nicotinique de substitution (TNS), lebupropion (Zyban LP®) et les thérapies comportementales etcognitives (TCC) [19]. À ces traitements vient s’ajouter lavarénicline (Champix®) qui a obtenu l’autorisation de mise surle marché dans le sevrage tabagique [20] depuis février 2007.

Le patient fume-t-il ?Oui

Oui

Non

NonLe patientveut-il arrêter ? A-t-il fumé ?

Fournir un traitementefficace de ladépendance

Stimulerla motivation

Oui Non

Stratégies deprévention des

reprises

Pas de priseen charge

Figure 1. Arbre décisionnel. Prise en charge d’un sujet fumeur [13].

Fumeur motivé

Évaluation de la dépendanceTest de Fagerström

Dépendance moyenneet forte

Dépendance faible

Évaluer : le terrain, les comorbidités,le risque d'effets indésirableset de pharmacodépendances

Outils d'aide à la motivation ouTCC ou accompagnementpsychologique + traitement

pharmacologique de ladépendance

Outils d'aide à lamotivation ou TCC ou

accompagnementpsychologique +

automédication TNS

TNS Bupropion LPVarénicline

Prévention des reprises du tabagisme

Figure 2. Arbre décisionnel. Aide médicale à l’arrêt du tabac. TNS : traitement nicotinique de substitution ; TCC : thérapies comportementales et cognitives ;LP : à libération prolongée.

7-0145 ¶ Conduites addictives

4 Traité de Médecine Akos

Page 56: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Traitements de substitution nicotinique. Toutes les formesgaléniques de substituts nicotiniques ont une efficacité similaireà posologie égale. Le choix entre les différentes formes galéni-ques peut être fondé sur la sensibilité aux effets indésirables etla préférence du patient. Les fumeurs les plus dépendantsobtiennent plus de succès avec une gomme dosée à 4 qu’à2 milligrammes. L’association des substituts nicotiniques à uneprise en charge psychologique augmente le taux d’absti-nence [18].

Les posologies doivent être ajustées en fonction du score dutest de Fagerström et de l’existence de symptômes de surdosage(bouche pâteuse, diarrhée, palpitations, nausées, insomnie) oude sous-dosage (apparition d’un syndrome de sevrage avectristesse, insomnie, irritabilité, agitation, anxiété et augmenta-tion de l’appétit).

Certains effets indésirables peuvent être observés avec lesgommes et les comprimés. Si les gommes sont mâchées tropvite ou si les comprimés se délitent trop rapidement, il estfréquemment constaté des brûlures pharyngées, un hoquet, desbrûlures gastriques. Il convient de sucer les gommes plutôt quede les mâcher afin d’éviter ces effets secondaires. L’utilisationdes gommes à mâcher peut entraîner, chez certains patients, undécollement de prothèse dentaire.

Les patchs (dispositifs transdermiques), quant à eux, exposentdans 5 à 10 % des cas, au risque de dermite d’irritation avecprurit et d’eczéma de contact pouvant nécessiter un traitement.L’expérience montre qu’ils ne nécessitent un arrêt du traitementque dans de très rares cas. La pratique courante des consulta-tions de tabacologie et plusieurs études contrôlées montrent unebonne tolérance et parfois une plus grande efficacité de l’asso-ciation de deux substituts nicotiniques. Traditionnellement de3 mois, la durée d’un TNS est variable selon les patients (de6 semaines à 6 mois). Le traitement doit être diminué trèslentement, en particulier si les envies ressenties sont toujoursprésentes, nombreuses ou/et fortes [21].

Les TNS sont bien tolérés par les fumeurs atteints de patho-logies coronariennes ou d’accidents vasculaires cérébraux. Cetype de traitement doit être également proposé avant touteintervention chirurgicale, plusieurs études ayant montré quel’arrêt du tabac diminuait le risque postopératoire. Chezl’adolescent, les TNS peuvent être utilisés à partir de 15 ou18 ans selon les formes galéniques, en cas de dépendance à lanicotine [22].

Chez les femmes enceintes et en période d’allaitement,l’approche par thérapie cognitive et comportementale et la priseen charge psychologique doivent être proposées en premièreintention. Si un TNS est nécessaire pendant la grossesse, lesformes orales ou les patchs seulement sont utilisés pendant lapériode de veille avec une durée d’application de 16 heures aumaximum par jour sous surveillance médicale pendant lagrossesse. S’ils sont nécessaires pendant l’allaitement, untraitement pharmacologique utilisant des substituts nicotiniquespeut être envisagé (gommes après la tétée) [23].

Traitements médicamenteux.Bupropion, Zyban®. Le bupropion a obtenu sous une forme à

libération prolongée (LP) sa mise sur le marché français en2001 dans l’aide à l’arrêt du tabac. Son efficacité a été démon-trée chez des patients de plus de 18 ans en bonne santégénérale physique et psychologique (notamment absence detout état dépressif), fumant plus de 15 cigarettes par jour etmotivés à l’arrêt [24, 25]. Ce médicament est délivré uniquementsur ordonnance car il a de nombreuses contre-indications, effetssecondaires et précautions d’emploi. Le risque de convulsions(< 1/1000) est le plus redouté et les effets secondaires les plusfréquents sont les insomnies (> 1/100), les éruptions cutanées,les tremblements, les céphalées, les sensations vertigineuses, ladépression, l’agitation, l’anxiété, la fièvre et les troubles du goût.Il est contre-indiqué entre autres chez la femme enceinte ouallaitante.

La durée du traitement est de 7 à 9 semaines. La posologie estde 1 comprimé de 150 mg le matin pendant 6 jours, puis de1 comprimé matin et soir séparé d’un minimum de 8 heures(afin de limiter les risques d’effets secondaires), pendant les 7 à8 semaines suivantes.

L’association TNS et bupropion ne semble pas présenter debénéfices supplémentaires. Si elle est prescrite, il est recom-mandé de vérifier la tension artérielle toutes les semaines.

Varénicline, Champix®. La varénicline, agoniste partiel durécepteur nicotinique a4b2, est indiquée dans le sevragetabagique chez les sujets de plus de 18 ans, en France depuisfévrier 2007.

L’efficacité de la varénicline, versus placebo ou bupropion,dans le sevrage tabagique a été démontrée dans des essaiscliniques contrôlés impliquant des fumeurs chroniques [26-28].L’administration de la varénicline doit se faire 2 semaines avantla date de l’arrêt du tabac.

Les patients doivent être traités par varénicline durant12 semaines. Pour ceux qui ont réussi à arrêter de fumer à la findes 12 semaines, une cure supplémentaire de traitement de12 semaines par varénicline à 1 mg deux fois par jour peut êtreenvisagée.

La principale contre-indication de ce traitement est l’hyper-sensibilité au produit ou à l’un de ses constituants. Les princi-paux effets secondaires surviennent le plus souvent lors de lapremière semaine de traitement et sont principalement desnausées, les céphalées, l’insomnie et les rêves anormaux.

Thérapies cognitives et comportementales. Elles ont pourobjectif d’aider les fumeurs désireux d’arrêt de rompre plusfacilement avec certaines habitudes fortes et avec de nombreu-ses relations psychologiques nées des effets psychoactifs de lacigarette. Les TCC peuvent aussi traiter certains troubles de lapersonnalité et troubles psychiatriques. Les professionnels desanté non formés aux TCC peuvent toutefois, en appliquantquelques principes simples aider leur patient à rompre aveccertaines habitudes et/ou à modifier certaines cognitionserronées. Il est cependant parfois utile de faire appel à despsychologues ou des psychiatres formés aux TCC dans les casles plus compliqués [19].

L’expérience montre que la dépendance physique met quel-ques semaines à disparaître, la dépendance comportementalequelques mois. Le suivi pendant toute cette période est doncimportant afin de vérifier l’efficacité de la stratégie mise enplace, d’estimer la tolérance des traitements prescrits, d’évaluerle moral, vérifier le poids et évaluer la motivation et l’apparitionde bénéfices à l’arrêt.

Prévenir les reprises du tabagismeLes rechutes surviennent dans près de 50 % des cas après

l’utilisation des thérapeutiques médicamenteuses. Les causes deces rechutes à moyen et long terme sont multiples et chacuned’entre elles appelle des actions spécifiques : dépendancephysique insuffisamment traitée, états anxieux, états dépressifs,prise de poids, circonstances environnementales, ralentissementintellectuel et démotivation. Un suivi prolongé est nécessaireafin d’éviter ces rechutes qui ne doivent en aucun cas êtreconsidérées comme des échecs [29].

■ AlcoolClinique

L’identification des troubles liés à l’usage d’alcool peut sefaire soit de manière systématique, soit de manière fortuite lorsd’une consultation [30].

“ Point important

La dose recommandée est de 1 mg de varénicline deuxfois par jour après une semaine d’augmentationposologique comme suit :• jours 1-3 : 0,5 mg une fois par jour ;• jours 4-7 : 0,5 mg deux fois par jour ;• jour 8 - fin du traitement : 1 mg deux fois par jour.

Conduites addictives ¶ 7-0145

5Traité de Médecine Akos

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Le clinicien, dans un premier temps, recherche des informa-tions complètes sur la consommation (âge de début, premièreivresse, perte de contrôle, agenda des consommations...), lesmodalités d’usage à risque, les facteurs de gravité et de vulné-rabilité du patient. Puis, il pose le diagnostic de la conduite deconsommation (utilisation nocive pour la santé ou abus,dépendance) [31].

Le syndrome de sevrage, synonyme de dépendance physique,pouvant être favorisé par les infections, le stress, l’immunodé-pression, doit être diagnostiqué et pris en charge sur le planthérapeutique. La survenue de ce syndrome est secondaire àl’arrêt ou à la diminution de l’alcool, après une utilisationrégulière et importante. La symptomatologie du syndrome desevrage en alcool comprend des tremblements des extrémitésdistales, des sueurs profuses, des signes cliniques et/ou biologi-ques de déshydratation, des troubles du sommeil, des nausées,voire des vomissements, de l’anxiété, de l’irritabilité, la possibi-lité de crises convulsives généralisées [31]. Le delirium tremens,état confusodélirant hallucinatoire avec manifestations neuro-végétatives, en est la complication majeure. Pris en chargerapidement, son évolution est favorable. Les récidives sontcependant possibles ainsi que la survenue d’autres complica-tions (encéphalopathie de Gayet-Wernicke, syndrome deKorsakoff...).

Le clinicien doit rechercher des comorbidités psychiatriqueset/ou somatiques (cirrhose, pancréatite, hypertension artérielle,hépatite alcoolique aiguë, hypoglycémie, crises convulsives,déshydratation...), des comorbidités addictives (tabac, cannabis,autres substances psychoactives, jeu pathologique...) et faire uneévaluation de la situation sociale et de la qualité de vie de sonpatient.

L’utilisation de questionnaires standardisés, comme le DETA/CAGE [32], l’AUDIT [33], l’ADOSPA [34], est importante pour lerepérage des personnes à risque ou présentant des troubles liésà l’usage d’alcool ainsi que celles qui justifient une évaluationde leur mode de consommation.

Enfin, il faut évaluer la motivation du patient pour changerses habitudes de consommation.

Les complications de l’alcoolodépendance sont somatiques,psychiatriques et sociales. Parmi les complications somatiques,on retrouve la cirrhose hépatique, la pancréatite aiguë etchronique, les hépatites, les cancers, les atteintes neurologiques(encéphalopathie de Gayet-Wernicke, syndrome de Korsakoff,neuropathie, démence, maladie de Marchiafava-Bignami,myélinolyse centropontique...). Parmi les complications psy-chiatriques, on retrouve le syndrome d’alcoolisation fœtale,l’hallucinose des buveurs, les troubles dépressifs, les troublesanxieux, les troubles du sommeil et les trouble de la libido(origine mixte).

Prise en charge thérapeutiqueLes différentes recommandations des sociétés savantes et

conférences de consensus ont permis d’homogénéiser la prise encharge des patients alcoolodépendants [30, 35].

Sevrage thérapeutique

Il s’inscrit dans une prise en charge pluridisciplinaire. Iln’existe pas de contre-indications à sevrer un patient alcoolodé-pendant mais plutôt l’absence d’indication comme l’absence dedemande du patient, l’absence de motivation, l’absence deprojet thérapeutique et/ou social, le caractère d’urgence avecpression de l’entourage... Il existe des cas de sevrage contraintcomme par exemple lors d’une injonction thérapeutique ou descas de sevrage « non désiré » lorsque le patient est hospitalisépour un tout autre motif [36].

Sevrage thérapeutique ambulatoire

Cette modalité thérapeutique, en cas de syndrome de sevragemodéré, permet au patient de maintenir ses activités sociales,familiales et professionnelles. Elle doit être privilégiée enpratique clinique [37].

Sevrage thérapeutique institutionnalisé

Cette approche thérapeutique est indiquée en cas de comor-bidités somatiques ou psychiatriques ou de syndrome de sevrage

“ Points essentiels

Signes cliniques de la dépendance à l’alcoolSur le plan physique, il peut s’agir d’un aspect terreux etjaunâtre de la face, de télangiectasies des pommettes, desoreilles, des ailes du nez et des extrémités, d’un regardglobuleux, d’un œdème palpébral inférieur, d’une languesaburrale, de tremblements des extrémités, d’une pituite,de gastralgies, d’une fatigue, d’un amaigrissement, decrampes nocturnes.Sur le plan psychique, il peut s’agir d’une irritabilité, detroubles mnésiques et de troubles du sommeil.

“ Point important

Biomarqueurs utiles pour l’évaluation de l’évolu-tion du trouble lié à l’usage d’alcoolTransferrine désialylée ou carbohydrate deficienttransferrine (CDT) : marqueur le plus sensible et spécifiquepermettant de repérer une consommation de plus de6 verres d’alcool par jour.Gamma glutamyltransférase (c-GT) : permet de repérerune consommation aux alentours de 10 verres d’alcoolpar jour.Volume globulaire moyen (VGM) : sans anémie, ilaugmente plus tardivement lors des consommationsnocives.

“ Point important

Le principal objectif d’un sevrage thérapeutique en alcoolest l’entrée dans un processus d’abstinence durable.

“ Point important

Contre-indications au sevrage thérapeutique ambula-toire :• organiques (maladie sévère justifiant une hospita-lisation),• psychiatriques (syndrome dépressif ou autre pathologiepsychiatrique sévère associée),• addictologiques (dépendance associée à d’autresproduits, syndrome de sevrage en alcool sévère,antécédents de delirium tremens ou de crise convulsivegénéralisée, échec d’un sevrage thérapeutique ambula-toire en alcool),• environnementales (demande pressante de l’entouragefamilial ou professionnel, entourage non coopératif,situation précaire) [35].

7-0145 ¶ Conduites addictives

6 Traité de Médecine Akos

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sévère. Elle permet de soustraire le patient de son environne-ment habituel et une surveillance clinique continue. Il existedeux modalités de sevrage : le sevrage simple d’une durée de 7à 10 jours et le sevrage complexe (comorbidités somatiques,psychiatriques...) d’une durée de 3 semaines.

Pharmacothérapie et autres mesures thérapeutiques

Benzodiazépines. Cette famille thérapeutique doit êtreprescrite en première intention du fait de la réduction del’incidence et de la sévérité du syndrome de sevrage, des crisescomitiales et du delirium tremens. Les molécules à demi-vielongue comme le diazépam (Valium Roche®) ou le prazépam(Lysanxia®) préviennent mieux les crises convulsives. Enrevanche, elles présentent un risque accru d’accumulation encas d’insuffisance hépatocellulaire, d’âge avancé ou de grossesse.Dans ces situations, il demeure préférable de prescrire del’oxazépam (Séresta®) en raison d’un métabolisme non modi-fié [38]. D’autres benzodiazépines peuvent être prescrites maisdans ce cas, il faut prendre en compte l’équivalence avec lediazépam et la demi-vie de la molécule. La voie per os estpréférée. Différents schémas de prescriptions sont possibles,cependant la prescription au-delà de 1 semaine ne se justifiequ’en cas de dépendance aux benzodiazépines associée àl’alcoolodépendance [39].

Vitaminothérapie. La carence en vitamines B1 (thiamine)présente chez l’alcoolodépendant peut être source de complica-tions neurologiques ou cardiaques. En cas d’apport glucoséassocié, le sevrage peut également favoriser l’apparition d’unecarence en thiamine. L’administration de 500 mg/j de vitamineB1 per os doit être proposée en début de sevrage thérapeutique.La voie intraveineuse peut être proposée en cas de malnutritionou de malabsorption.

La vitamine B6 (pyridoxine) a un support physiopathologi-que. En effet, les carences en vitamine B6 peuvent favoriser lescrises convulsives. Sa prescription doit avoir une durée limitéeen raison du risque de polynévrite.

Les deux vitamines sont fréquemment associées, il fautprescrire de la vitamine PP qui agit en tant que cofacteur de lavitamine B1.

Addictolytique : acamprosate (Aotal®). Ne modifiant pas lesparamètres pharmacocinétiques du diazépam, il est justifié deprescrire cette molécule au début du sevrage thérapeutique enalcool. Des travaux récents suggèrent un effet neuroprotecteurde cette molécule et qu’il faille commencer ce traitement audébut du sevrage thérapeutique [40]. La posologie de l’acampro-sate est de 2 comprimés matin, midi et soir, pour un sujet depoids supérieur à 60 kg et de 2 comprimés le matin, 1 à midiet 1 le soir, pour un sujet de poids inférieur à 60 kg. La duréepréconisée du traitement est de 1 an. Il ne doit pas être prescritavant 18 ans et après 65 ans. Ce médicament n’est pas contre-indiqué lorsque le patient fait un faux pas.

Autres mesures thérapeutiques. Les apports hydriquesdoivent être suffisants (3 litres d’eau par jour per os si possible,la voie intraveineuse est rarement utilisée).

La prescription de magnésium n’est à envisager qu’en casd’hypokaliémie.

Les folates se prescrivent chez la femme enceinte pourdiminuer le risque de malformations fœtales ou en cas decarence documentée.

Les neuroleptiques de première génération et les antipsycho-tiques atypiques ne doivent pas être prescrits en premièreintention en raison d’une tolérance moins bonne que lesbenzodiazépines et de leur potentiel épileptogène. Ils peuventêtre prescrits secondairement en cas de delirium tremens(Tableau 2).

Les prises en charge psychologique et sociale occupent uneplace fondamentale. Différentes techniques, comme les théra-pies comportementales (entretiens motivationnels, préventionde rechute...) sont utilisées [41].

Projet thérapeutique postsevrageUne fois le sevrage thérapeutique réalisé, il est nécessaire de

proposer au patient alcoolodépendant un projet de maintiend’abstinence. Ce projet thérapeutique peut avoir lieu soit en

hôpital de jour spécialisé, soit en postcure, soit en combinantces deux armes thérapeutiques. Quoi qu’il en soit, le suiviambulatoire par un médecin et un(e) infirmièr(e), et un(e)psychologue est indispensable.

La première période où le risque de rechute est élevé se situedans les 3 mois après le sevrage (rechute précoce, 40 à 90 % descas). La fréquence des rechutes doit être indiquée au patientnon pas comme un risque important d’échec mais comme unedifficulté pouvant survenir et entraver le maintien de l’absti-nence. La prise en charge doit alors être réorientée.

La prescription de médicaments d’aide au maintien del’abstinence est un apport thérapeutique non négligeable quetout clinicien se doit d’utiliser. Parmi ces médicaments, onretrouve l’acamprosate (Aotal®), la naltrexone (Revia®, peut êtreprescrit à partir du 7e jour de sevrage) et l’antabuse disulfirame(Esperal®) prescrit en dernière intention. Outre l’utilisation detechniques comportementales [41], le soutien psychothérapeuti-que des soignants et l’implication des mouvements d’anciensbuveurs sont importants.

■ Cannabis

CliniqueLes effets psychopharmacologiques du cannabis sont essen-

tiellement dus à l’interaction du principe actif, le D9-tétrahydro-cannabinol (D9-THC) avec les récepteurs cannabinoïdes CB1.

Effets aigus du cannabis

Ivresse cannabique

Les effets du cannabis, le plus souvent fumé, surviennentdans les 2 heures après la prise [9, 42]. Les effets psychosensorielsdurent de 3 à 8 heures, et les perturbations cognitives peuventpersister 24 heures. L’ivresse cannabique se déroule classique-ment selon quatre phases : le bien-être euphorique, l’hyperes-thésie sensorielle avec désorientation spatiotemporelle eteuphorie, la phase extatique et le sommeil puis réveil. Il estconstaté une perturbation psychique à l’origine d’une variationde l’humeur, associée à un changement du vécu corporel. Il y aun sentiment de ralentissement du temps et un réel trouble dela coordination motrice. Le diagnostic est clinique retrouvantune tachycardie, une hypotension orthostatique, une sécheressebuccale, une démarche ébrieuse et une hyperhémie conjoncti-vale. Les analyses urinaires peuvent confirmer le diagnostic.

Attaque de panique (ou « bad trip »)

Véritable anxiolytique à court terme, le cannabis induitparadoxalement, des attaques de panique classiques avec lesentiment de perdre la maîtrise des effets du produit [43]. Ellespeuvent être à l’origine d’un arrêt des consommations, surtoutsi la crise d’angoisse survient au moment de la découverte duproduit, ou d’une démarche de soins.

Syndrome de dépersonnalisation

Un syndrome de dépersonnalisation peut survenir immédia-tement et peut durer quelques semaines après la prise. Ilcorrespond à une angoisse chronique, un sentiment de déréali-sation, d’étrangeté, de déjà-vu, associés à une asthénie, uneinsomnie et une humeur dépressive. Il y a un retentissementcognitif avec des troubles de la concentration et de lamémoire [36].

Tableau 2.Les médicaments qu’il ne faut plus prescrire.

Vitamine B12 (sauf en cas de carence documentée)

Méprobamate, Équanil® (pas d’activité anticonvulsivante propre, im-portant risque létal en cas d’intoxication volontaire)

Tétrabamate (efficacité anticomitiale moins bonne que celle des benzo-diazépines, risque important de toxicité hépatique)

Barbituriques

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7Traité de Médecine Akos

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Troubles psychotiques

La consommation de cannabinoïdes peut contribuer à laphysiopathologie des psychoses, rôle causal dans l’émergence dela schizophrénie chez des individus vulnérables en cas deconsommation importante et précoce. Cette cause n’est passuffisante mais un facteur parmi d’autres. Il a été individualiséde réelles bouffées délirantes aiguës liées à de fortes doses decannabis (psychose cannabique aiguë ou pharmacopsychosecannabique). L’évolution est brève (de 8 jours à 3 mois), et ledébut brutal. Les hallucinations visuelles sont prédominantesavec une impression de déjà-vu ou de dépersonnalisation.L’hétéroagressivité peut être importante liée à une désinhibitionpsychomotrice. La résolution sous neuroleptiques associés àl’arrêt des consommations est rapide avec une prise de cons-cience du caractère délirant de l’épisode [36]. La bouffée délirantepeut être un mode d’entrée dans un trouble psychotiquechronique. Il existe des sentiments persécutifs ou « effetparano » et des idées fixes qui sont bien critiqués et qui restentindépendants de la psychose aiguë. L’environnement devientmenaçant. Ces troubles cessent à l’arrêt de la consomma-tion [43]. Une désorganisation de la pensée doit faire rechercherune prise de toxiques de façon systématique.

Effets chroniques du cannabis

Dépendance

Les sujets à risque de dépendance sont les préadolescents ensituation d’échec scolaire et les patients présentant une comor-bidité psychiatrique. La dépendance apparaît liée à la durée del’usage, à l’abus, à une consommation solitaire et au retardscolaire. Ils correspondent à 5 % des consommateursréguliers [44].

Le syndrome de sevrage débute un jour après l’arrêt de laconsommation, a un pic symptomatique compris entre 2 et6 jours, et peut durer de 4 à 14 jours. Il est caractérisé par uneirritabilité, une anxiété, une humeur dysphorique, des troublesdu sommeil, une perte de l’appétit et dans certains cas, descomportements agressifs. De plus, on peut retrouver desnausées, des tremblements, des sueurs, des modifications de lafréquence cardiaque et de la tension artérielle, et des diarrhées.L’ensemble de ces symptômes débuterait après 24 heuresd’abstinence, avec un pic au quatrième jour, puis s’amenderaiten 3 semaines [45].

Troubles cognitifs et syndrome amotivationnel

Les troubles cognitifs et le syndrome amotivationnel ont unretentissement social lié à la consommation de cannabis.

Comorbidités psychiatriques

De 15 à 41 % des patients schizophrènes souffrent d’abus oude dépendance au cannabis.

Une vulnérabilité neurobiologique commune existe. Un âgede début précoce d’usage et des antécédents d’usage de cannabisapparaissent être des facteurs de risque pour le début d’uneschizophrénie, notamment chez les sujets vulnérables maiségalement chez ceux sans histoire clinique antérieure. Cepen-dant le cannabis n’est ni une cause suffisante ni une causenécessaire pour une schizophrénie mais une de ses multiplescomposantes étiologiques [46].

Les troubles de l’humeur sont fréquemment associés à l’usagede cannabis. La symptomatologie dépressive serait un facteur derisque d’usage de substances psychoactives, et le rôle dépresso-gène du cannabis est modeste mais accru en cas d’initiationprécoce et de consommation régulière. Il peut précipiter lepassage à l’acte suicidaire en aigu, de plus la gravité destentatives de suicide est corrélée à l’importance des conduitestoxicomaniaques et ce d’autant plus qu’il y a d’autres produitsassociés [6].

Les patients ayant un trouble anxieux généralisé ou untrouble panique peuvent se servir du cannabis à visée anxioly-tique mais il peut être aussi anxiogène comme nous l’avons déjàsouligné [47].

Troubles somatiques induits

Liés aux effets nocifs de la fumée de cannabis, ils sontimportants et à rechercher.

Prise en charge thérapeutique

Principes

Nous pouvons être amenés dans un premier temps à informerle sujet et l’entourage. Les premières consultations servent àévaluer la situation environnementale, psychopathologique etl’usage de cannabis dans ce contexte. Le clinicien recherche lesdifférents facteurs de risque et de vulnérabilité du sujet.L’utilisation de questionnaires de repérage, tels que l’ADOSPA etle CAST (Cannabis Abuse Screening Test, OFDT), peut s’avérerd’une grande utilité dans la pratique. Pour confirmer et évaluerla situation, la prescription d’un dosage biologique urinairequalitatif et quantitatif peut être nécessaire et peut être confir-mée par un prélèvement sanguin. Après cette étape, il estindispensable d’avoir une idée de la motivation et des propresintentions du patient afin de lui proposer un projet adaptécombinant traitement médicamenteux et psychothérapie [48].

L’abstinence ou une consommation contrôlée dans unpremier temps, avec une prise en charge ambulatoire (dans tousles cas) associée ou non à une prise en charge hospitalière sinécessaire peut être indiquée.

L’hospitalisation peut être l’occasion de faire un bilansomatique (radiographie du thorax, électrocardiogramme, bilanbiologique standard, échographie hépatique, consultationORL...) et un bilan des autres dépendances. Elle se poursuittoujours par un suivi ambulatoire pour consolider l’abstinence.

■ Cocaïne

Clinique

Effets cliniques aigus et dépendance

Les modalités de consommation et les effets de la cocaïnesont très variables d’un individu à l’autre et sont dose- et voied’administration-dépendants (voie intranasale [« sniff »], fumée[free base ou crack], injectée ou orale [très rare en France]).

Les effets cliniques aigus de la cocaïne sont l’euphorie, lasensation de bien-être, l’augmentation de l’énergie et de l’estimede soi, une impression d’une plus grande efficience de lapensée, voire une tachypsychie, une communication et uncontact plus faciles, un débit verbal accéléré, une désinhibition,une hypervigilance, une hyperactivité motrice, une augmenta-tion de la libido, une insomnie, une anorexie et de possiblescomportements agressifs. Il est aussi retrouvé une tachycardie,des désordres tensionnels, une mydriase et une pâleur. Quand

“ Point important

Indications d’un sevrage thérapeutique hospitalierÉchec d’un ou de plusieurs sevrages ambulatoires.Patient demandeur d’une extraction du milieu pour lesevrage.Polyconsommations.Maladie somatique ou psychiatrique grave.Nécessité d’une évaluation psychiatrique pour les doublesdiagnostics.Les contre-indications d’un sevrage hospitaliern’existent pas, il s’agit plutôt de non-indicationscomme un patient non motivé au changement, un déni,une hospitalisation sous contrainte.

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il n’y a plus de cocaïne à disposition, un phénomène de crash,comprenant symptômes dysphoriques, perte d’énergie, hyper-somnie et altérations cognitives, s’installe. Ce phénomène peutêtre autogéré avec d’autres substances comme l’alcool (associa-tion fréquemment retrouvée), les benzodiazépines, le cannabisou les opiacés. Le retour à une humeur de base prend 3 à4 jours après l’épisode de consommation.

La dépendance à la cocaïne est un trouble d’installationrapidement progressive associé à des complications psychologi-ques, psychiatriques, somatiques, sociales et légales [49].

Prise en charge

Prise en charge pharmacologiqueLes traitements médicamenteux pouvant inverser les phéno-

mènes neuroadaptatifs induits par l’addiction à la cocaïneapparaissent être un choix logique dans le traitement del’addiction à la cocaïne. Des programmes de recherche auxÉtats-Unis ont testé plus de soixante médicaments ciblantdifférents systèmes de neurotransmission touchés par la cocaïne.Parmi ces pharmacothérapies, les plus prometteuses semblentêtre le modafinil, le topiramate, le disulfirame, le baclofène,l’aripiprazole et la N-acétyl-cystéine. L’immunothérapie antico-caïne est en cours de développement (vaccins, anticorpsmonoclonaux) [49].

Prise en charge psychothérapeutiqueLes thérapies comportementales (prévention de rechute,

thérapie motivationnelle, management des contingences) sontde véritables plates-formes pour les pharmacothérapies. Ellesjouent un rôle dans l’observance thérapeutique, stimulentl’abstinence et renforcent l’action des médicaments. Cesdifférentes techniques psychothérapeutiques peuvent êtrecombinées [50].

■ Opiacés

Clinique

Effets cliniques aigus et dépendance

Les différents opiacés sont cités dans le Tableau 3.Les effets de l’héroïne sont similaires à ceux de la morphine,

la différence étant au niveau de la durée d’action et de l’inten-sité de l’effet. Ils sont dominés par le flash qui survientimmédiatement après la prise et qui entraîne une sensationd’extase intense, suivie d’un état de sédation et de bien-êtreeuphorique. Elle a également un puissant pouvoir anxiolytiqueet antidépresseur.

Les différents médicaments opiacés peuvent faire l’objet d’unmésusage.

Leur injection intraveineuse provoque un flash proche decelui de l’héroïne alors que l’inhalation nasale provoque leseffets de sédation et d’euphorie sans le flash initial.

La dépendance aux opiacés est marquée par l’apparitiond’une tolérance, d’un syndrome de sevrage d’une durée de 5 à10 jours, d’un comportement compulsif de consommation oucraving. Des complications psychiatriques, physiques et socialesimportantes accompagnent souvent la consommation d’opiacésmais n’entraînent pas son arrêt [51].

Prise en charge thérapeutiqueElle s’organise autour d’un travail en équipe pluridisciplinaire

et de la mise en place d’un réseau impliquant différents acteurssanitaires et sociaux.

Évaluation bio-psycho-sociale

Elle associe [52] :• un examen physique et des examens complémentaires qui

comprennent au minimum un bilan sanguin avec numéra-tion de formule sanguine, fonction rénale et hépatique,sérologies hépatite B, C et virus de l’immunodéficiencehumaine (VIH) avec l’accord du patient, un dosage destoxiques urinaires, une radiographie pulmonaire et unélectrocardiogramme ;

• une évaluation psychiatrique qui explore la personnalité dupatient et les comorbidités psychiatriques ;

• une évaluation sociale qui resitue le patient dans un contextesociofamilial et recherche les dommages des conduitesaddictives.

Sevrage thérapeutique en opiacés

Il a lieu après que le patient ait déjà réalisé un certainparcours de soins. Il peut se dérouler en ambulatoire si lesconditions de vie du patient le permettent, ce qui implique unsuivi rapproché, tous les 2 ou 3 jours, voire initialement tous lesjours. Il peut également avoir lieu de manière contractuelle enmilieu hospitalier (service de médecine, service de psychiatriegénérale ou d’addictologie).

Plusieurs méthodes sont utilisées : sevrage dégressif avecdiminution régulière de la consommation sur une durée dequelques jours, semaines ou mois, utilisé notamment lors dessevrages ambulatoires, pour les médicaments opiacés et desubstitution, ou sevrage complet pour l’héroïne et lesmédicaments [53].

Deux situations particulières sont la grossesse et l’incar-cération.

La grossesse est un moment privilégié pour les demandes desevrage. Bien que cette question soit controversée, la substitu-tion est privilégiée, du fait du risque de souffrance fœtale quepourrait engendrer le sevrage. La buprénorphine haut dosage etla méthadone peuvent être prescrites en fonction du bénéficeattendu versus le risque pour la mère et le nouveau-né. Cepen-dant, une adaptation posologique peut être nécessaire.

L’incarcération : l’offre de sevrage médicalisé ou de touteautre modalité de soins doit pouvoir faire l’objet du choix dupatient et être intégrée dans un suivi médical effectif quipermette une réévaluation régulière.

Plusieurs types de traitements pharmacologiques peuvent êtreproposés pour réduire les symptômes de sevrage :• les traitements spécifiques s’opposant à l’hyperfonctionne-

ment adrénergique, considéré comme responsable des symp-tômes. Le produit le plus utilisé est la clonidine(Catapressan®), antihypertenseur adrénergique. La guanfacine(Estulic®), dérivé d’action de la clonidine, serait de manie-ment plus aisé ;

• les traitements symptomatiques antalgiques de palier I,antispasmodiques, antiémétiques, antidiarrhéiques, sédatifs ethypnotiques. Les produits sédatifs sont le plus souventindispensables, surtout dans les premiers jours. Il est préféra-ble de limiter l’utilisation des benzodiazépines, en raison durisque d’abus ou de dépendance. L’alternative peut êtrel’utilisation d’anxiolytiques non benzodiazépiniques ou deneuroleptiques sédatifs [53].

Traitements de substitution

À partir des années 1980, la pandémie du sida et les autresrisques infectieux, notamment celui de l’hépatite C, ontprovoqué un bouleversement de la prise en charge de ladépendance à l’héroïne. La réflexion s’est orientée vers lesstratégies de réduction des risques. C’est dans ce contexte quel’accès aux médicaments de substitution aux opiacés s’est élargien France : la méthadone à partir de 1995 et la buprénorphine

Tableau 3.Différents opiacés.

Héroïne (poudre, différentes voies d’administration)

Antalgiques palier III (sulfate de morphine, Skenan®, Moscontin® ; bu-prénorphine, Temgésic®) (comprimés ou gélules)

Médicaments de substitution (chlorhydrate de méthadone, Métha-done® ; buprénorphine haut dosage, Subutex® ; buprénorphine-naloxone, Suboxone®)

Médicaments antitussifs contenant de la codéine ou de la codéthyline(Codoliprane®, Néo-Codion®...)

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haut dosage à partir de 1996. En octobre 2006, la Suboxone®,association de buprénorphine et de naloxone, a obtenu l’auto-risation de mise sur le marché.

Les objectifs généraux de ces traitements sont les suivants [54] :• prévenir les complications somatiques et psychiatriques

secondaires à la dépendance aux opiacés ;• favoriser l’insertion des patients dépendants dans un proces-

sus de soins incluant la prise en charge des pathologiespsychiatriques et/ou somatiques associées à la dépendanceaux opiacés ;

• contribuer à leur insertion sociale ;• permettre aux personnes dépendantes des opiacés de se

dégager du centrage de leur existence sur les effets et larecherche délétères du produit, et de recouvrer tout ou partiede leur liberté et globalement une meilleure qualité de vie.En réduisant ainsi les divers dommages induits, ces stratégies

thérapeutiques répondent également aux attentes de la société.

Complications majeures des traitements de substitution

Il s’agit des décès par surdose de méthadone ou par potentia-lisation buprénorphine-benzodiazépines, surtout après injectionde buprénorphine.

L’augmentation de la prévalence de l’hépatite C, comparée àla décroissance de l’infection par le VIH, reste un problèmeimportant. La contamination peut être due à un plus fortpouvoir contaminant du VHC par voie intraveineuse et à saplus grande résistance dans le milieu extérieur. Le partage desseringues, du matériel de préparation d’injection et des paillesest impliqué et doit conduire à renforcer les programmes deréduction des risques [54].

Autres possibilités thérapeutiquesIl s’agit des agents anticraving et de la prescription médicalisée

d’héroïne.

■ Métamphétamine et ecstasy

Clinique

MétamphétamineLa métamphétamine est une substance fortement addictive et

porte différents noms comme meth, crystal et chalk. Elle peut seprésenter sous la forme d’une poudre ou d’une pâte, pure(blanche) ou coupée.

Ce produit est consommé per os, par voie intranasale, parvoie intraveineuse ou fumé. Lorsqu’elle est fumée, elle prend lenom d’ice, crank, crystal, glass ou Tina en raison de ses cristauxtransparents et stratifiés [37]. La fumée n’a pas d’odeur et laisseun résidu qui peut être, à son tour, fumé [55].

La métamphétamine est facile à synthétiser à partir deprécurseurs chimiques accessibles au grand public. L’expansiondes laboratoires clandestins (dans les cuisines des maisons, lesvoitures...) en est une conséquence logique. Face à ce problèmede taille, de nombreux pays ont restreint le commerce desproduits susceptibles d’êtres détournés pour sa synthèse.

Effets cliniques de l’intoxication aiguë

La clinique de l’intoxication aiguë à la métamphétamineassocie :• un état d’excitation psychique et physique pouvant être

associé à un syndrome délirant ;• des manifestations neurologiques symptomatiques d’un

accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique(spasmes, occlusions artérielles, hémorragies cérébralesspontanées quel que soit le terrain sous-jacent). Des mouve-ments anormaux de type choréiforme peuvent être observésen l’absence d’autres étiologies ;

• des manifestations cardiovasculaires : tachycardie, troublesélectrocardiographiques, hypertension artérielle, autrescomplications cardiovasculaires secondaires ;

• des manifestations pulmonaires à type de dyspnée, desifflement bronchique...Les atteintes hépatorénales ou d’autres viscères sont généra-

lement secondaires à l’hypoxémie, la rhabdomyolyse et le choccardiovasculaire. Leur traduction clinique varie en fonction dutype d’atteinte [55].

Syndrome de sevrage

Différentes phases le caractérisent :• une première phase, précoce ou crash, durant laquelle on

observe une dépression avec agitation, anxiété et une envieintense de consommer (dépendance psychique ou craving) ;

• une seconde phase, intermédiaire, durant laquelle s’installeune fatigue intense, une anhédonie et une perte d’intérêt. Cessymptômes augmentent en intensité pendant 12 heures à4 jours puis se stabilisent ;

• une phase tardive durant laquelle les symptômes de ladeuxième phase persistent pendant 6 à 18 semaines jusqu’à6 à 9 mois après l’arrêt du toxique [55].Les consommateurs de métamphétamine semblent être

victimes de complications plus sévères que les consommateursd’alcool ou de cannabis [56] (Tableau 4).

Prise en charge thérapeutiqueLa prise en charge thérapeutique de l’intoxication aiguë est

symptomatique et vise deux objectifs majeurs : contrôler lestroubles du comportement et préserver les fonctions vitales.

La prise en charge des complications chroniques nécessite lerecours à des spécialistes en fonction de l’appareil atteint.

En termes de pharmacothérapie, ce qui est utilisé pourl’addiction à la cocaïne est translaté au problème de l’addictionà la métamphétamine [57]. Les thérapies comportementales, enparticulier le management des contingences [58], sont efficaces.

Ecstasy (ou MDMA)L’ecstasy est une drogue de synthèse (3,4-méthylène-dioxy-

méthylamphétamine [MDMA]). Elle se présente le plus souventsous la forme d’un comprimé ou sous la forme d’une gélule de

“ Points importants

La métamphétamine a une demi-vie plasmatique del’ordre de 8 à 13 heures.La cocaïne a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 1 à3 heures.L’héroïne a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 3 à10 minutes.La morphine a une demi-vie plasmatique de l’ordre de 1,5à 4 heures.

Tableau 4.Complications de la métamphétamine.

Complications aiguës Complications chroniques

État d’agitation

État délirant aigu

Violences

Overdose

Confusion mentale

Accidents vasculaires cérébraux

Crises convulsives

Barotraumatismes

Hypertension artérielle

Cardiomyopathies aiguës

Choc cardiovasculaire

Risque d’IST

Psychose chronique schizophréni-forme

Précipitation de son éclosion chezles sujets vulnérables

Défaillances multiviscérales (trou-bles du rythme et de la fonctioncardiaque, trouble de la dynamiquerespiratoire, insuffisance rénale ethépatique...)

IST, sida

IST : infection sexuellement transmissible.

.

7-0145 ¶ Conduites addictives

10 Traité de Médecine Akos

Page 62: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

couleur, de forme et de taille variables, souvent orné d’un motifdont le nom sert à désigner son genre (Batman, Chamallow, DrE, Eve, Kermit, Love, Love potion 9, M&Ms, Mercedes).

La majorité des consommations se fait per os mais le recoursà la voie intranasale ou intraveineuse reste l’apanage de certainsusagers. Les modalités de consommation de l’ecstasy les plusfréquentes sont l’usage et l’abus, la dépendance est peu fré-quente. L’ecstasy est fréquemment associée à la consommationd’autres drogues ou d’alcool.

Effets cliniques

Ses effets apparaissent 30 à 60 minutes après une prise oraleet se prolongent quelques heures [37]. Ils sont marqués par unedésinhibition, un sentiment de bien-être, de liberté, d’énergie,une anorexie et surtout l’empathie. Paradoxalement, certainsconsommateurs vivent mal cette expérience ressentie commedésagréable (bad trip) puisque l’angoisse, la dépression del’humeur et les troubles somatiques (pics tensionnels, tachycar-die, sécheresse buccale, sueurs, trismus avec grincement desdents...) remplacent les effets souhaités. Lorsque le produit n’estplus disponible, il existe une descente avec épuisement etsymptômes dépressifs durant environ 8 heures. Ce phénomènepeut être géré à l’aide d’autres produits (cannabis, benzodiazé-pines, héroïne...).

Dans les cas de dépendance, le syndrome de sevrage semanifeste par l’installation au bout de quelques jours d’uneangoisse, d’une dépression et d’une grande fatigue.

Complications

Elles sont décrites dans le Tableau 5.

Prise en charge thérapeutique

Elle se fait en deux temps :• le premier temps permet de gérer l’urgence somatique en cas

d’intoxication (lavage gastrique pouvant s’envisager dansl’heure qui suit l’ingestion ; maintien des fonctions vitalesavec réhydratation parentérale, correction de l’hyperthermie,de l’hyperactivité neuromusculaire et de l’hypertensionartérielle...) ;

• le second temps concerne l’établissement d’un projet de suiviaddictologique avec une consultation spécialisée, une hospi-talisation au besoin. Il n’existe pas, à ce jour de traitementsubstitutif ou spécifique pour les amphétamines [51].

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Tableau 5.Complications de l’ecstasy.

Complications aiguës Complications chroniques

Hypertension artérielle

Tachycardie voire arythmie cardiaque

Mydriase

Déshydratation

Overdoses

Neurologiques : syndrome confusionnel,céphalées, vertiges, tremblements, pares-thésies, troubles de la marche, trismus etbruxisme, convulsions, mydriase

Syndrome hyperthermie - rhabdomyolyse(risque de décès +++)

Coagulation intravasculaire disséminée(CIVD)

Sécrétion inappropriée d’hormone anti-diurétique (SIADH)

Hépatite fulminante

Psychiatriques : attaque de panique, badtrip, état délirant aigu

Hépatite

Sécheresse buccale

Bruxisme

Caries dentaires

État délirant

Trouble de l’humeur

Flashback (réversible maispossiblement durable)

Troubles cognitifs de typemnésique

.

Conduites addictives ¶ 7-0145

11Traité de Médecine Akos

Page 63: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

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L. Karila ([email protected]).Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul-Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm-CEA U797, 12, avenuePaul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

S. Coscas.M. Lecacheux.Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm U669, 12, avenuePaul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

F. Noble.UMR 7157 CNRS, Inserm U 705, neuropsychopharmacologie des addictions, Université René Descartes, Paris, France.

S. Legleye.Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France.

F. Beck.Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), Saint-Denis, France.

P. Dupont.A. Benyamina.R. Karmous.M. Reynaud.Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions, Hôpital Paul Brousse, Université Paris XI, AP-HP, Inserm U669, 12, avenuePaul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Karila L., Coscas S., Lecacheux M., Noble F., Legleye S., Beck F., Dupont P., Benyamina A., Karmous R.,Reynaud M. Conduites addictives. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 7-0145, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com

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Informationssupplémentaires

Auto-évaluations

7-0145 ¶ Conduites addictives

12 Traité de Médecine Akos

Page 64: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Troubles anxieux et névrotiques

C Passerieux

L e concept de névrose, comme celui d’angoisse auquel il est étroitement lié, hérité de l’œuvre de Freud estaujourd’hui en plein remaniement. Les classifications actuelles ont opté pour un démembrement en divers

troubles dont l’homogénéité et la stabilité varient. Au-delà de ces problèmes de définition, des stratégiesthérapeutiques bien codifiées permettent une prise en charge satisfaisante de la plupart de ces patients.Quelles que soient les classifications de ces troubles anxieux et névrotiques, ils représentent une pathologie trèscommunément rencontrée en consultation de médecine générale puisqu’elle concernerait 15 à 20 % des consultantset que ces patients sont de grands consommateurs de soins.© Elsevier, Paris.

■Définition

‚ Point sur le concept de névrose

Historiquement regroupés dans la classe desnévroses, les troubles anxieux et névrotiques étaientjusqu’à récemment considérés comme des maladiesde la personnalité à l’origine desquelles des facteurspsychologiques joueraient un rôle majeur et dont lessymptômes, psychologiquement compréhensibles,seraient l’expression symbolique d’un conflitpsychique trouvant ses racines dans l’histoireinfantile du sujet. Un lien fort était donc supposéentre une organisation pathologique du caractère etles symptômes, l’un comme l’autre résultant desmêmes conflits inconscients. En se fondant sur cettehypothèse étiologique (névrose est synonyme demaladie de la personnalité), des tableaux cliniquesvariés sont rassemblés et quatre grands types denévrose sont isolés :

– la névrose d’angoisse ;– la névrose phobique ;– la névrose obsessionnelle ;– la névrose hystérique ;

Dans cette conceptualisation, l’angoisse née desconflits inconscients induit la mise en place demécanismes de défense qui conduisent à lasurvenue de symptômes variables selon lesdéfenses mises en place :

– dans la névrose d’angoisse, l’angoisse est« pure », non associée à d’autres symptômes ;

– dans la névrose obsessionnelle, l’angoisses’exprime dans le comportement : pensées (idéesobsédantes) ou actions (rituels) ;

– dans la névrose phobique, l’angoisse s’exprimedans les situations ;

– dans la névrose hystérique, l’angoisses’exprime dans le corps ;

– dans la névrose traumatique, l’angoisse estattachée à des situations passées.

Dans tous les types de névrose (comme dansd’autres pathologies que névrotiques) d’autressymptômes, moins spécifiques, peuvent seretrouver : anxiété, tristesse, troubles du sommeil,asthénie, inhibitions diverses, en particulier sexuelles.

Quoi qu’il en soit, ces symptômes ont encommun :

– d’être relativement constants, ou récidivants : lanévrose est une pathologie chronique, à ladifférence d’une réaction névrotique aiguë pouvantsurvenir en cas de situation de stress ;

– de ne pas avoir d’étiologie organiquedécelable ;

– d’avoir un certain nombre de caractères qui,schématiquement opposent les névroses auxpsychoses : conservation d’une bonne appréhensionde la réalité, conscience de l’état morbide, absencede troubles graves du comportement (même si lefonctionnement peut être sérieusement perturbé),caractère compréhensible des symptômes, absencede désorganisation de la personnalité ;

– l’importance des facteurs psychologiques dansleur genèse et leur déroulement.

Le modèle psychanalytique des névroses aété radicalement remis en cause par lapsychiatrie anglo-saxonne qui lui a préféré unmodèle biologique de l’anxiété, symptômecentrant l’ensemble de la pathologie névrotique,et une approche cognitivocomportementale dessymptômes névrotiques (se fondant sur les loisde l’apprentissage). Selon cette théorie, unsymptôme névrotique est le résultat deconduites inadaptées acquises par apprentis-sage : « faites disparaître le symptôme, vousfaites disparaître la névrose ». Nul besoin est derecourir à l’idée d’un trouble de la personnalitésous-jacent.

Devant l’incertitude concernant l’étiologie de cestroubles dits ″névrotiques″ la classification du DSM III(Manuel de l’Association Psychiatrique Américaine)en 1980 consacre la disparition du concept classiquede névrose due à un trouble de la personnalité et neretient que des groupements de symptômes pourrendre compte de ces pathologies.

Cependant, alors que certains de ces troubles,comme le trouble panique, les troubles phobiques etles troubles obsessionnels compulsifs, apparaissenthomogènes et stables dans leur évolution, d’autrescomme le trouble anxiété généralisée ou l’hystérie,posent davantage le problème de leurs limites et deleurs liens réciproques.

‚ Données épidémiologiques

Fréquence des troubles anxieux et névrotiques

Les troubles anxieux et névrotiques sont lestroubles mentaux les plus fréquents en populationgénérale puisqu’ils concernent selon les études 7 à

Résumé des principales donnéesépidémiologiques sur les troublesanxieux et névrotiques :

✔ prévalence élevée de 7 à 22 % surtoute la vie ;✔ prépondérance marquée chez lesfemmes jeunes ;✔ début des troubles à l’adolescenceou chez l’adulte jeune ;✔ survenue fréquente d’événementsde vie non spécifiques avant le débutdes troubles ;✔ comorbidité fréquente des troublesnévrotiques entre eux et avec ladépression.

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22 % des individus au cours de leur vie. Les chiffresde prévalence varient en fonction des critèresdiagnostiques mais sont retrouvés à peu prèsidentiques dans tous les pays, occidentaux ou non.

Ces chiffres augmentent chez les consultants enmédecine générale : on évalue que 15 à 20 %d’entre eux souffrent d’un trouble psychiquecaractérisé (essentiellement de nature anxieuse oudépressive) alors que plus de 40 % présenteraient uncertain degré de détresse psychologique.

L’étude de la prévalence sur 6 mois desprincipaux troubles anxieux et névrotiques montreles chiffres suivants :

– trouble panique : 0,5 à 1 % ;– trouble anxiété généralisée : 2,5 à 7 % ;– agoraphobie : 2,5 à 6 % ;– autres troubles phobiques (phobie simple et

phobie sociale) : 1,5 à 4 % ;– trouble obsessionnel compulsif : 0,5 à 2 %.

Comorbidité des troubles anxieux etnévrotiques

Les troubles anxieux et névrotiques sont trèssouvent associés entre eux (la survenue d’un de cestroubles prédispose à la survenue d’un autre) et avecles troubles dépressifs. Cette constatation a conduitcertains auteurs à poser la question d’un continuumentre troubles névrotiques et dépressifs et àréactualiser un concept unitaire de syndromenévrotique général. Les différents troubles anxieuxet névrotiques ne seraient alors que les expressionspolymorphes et variables au cours de l’évolutiond’une même perturbation fondamentale. Cettehypothèse est bien sûr du domaine de la rechercheet en pratique il reste essentiel de distinguercliniquement les différents troubles anxieux etnévrotiques et la dépression afin d’ajuster au mieuxles stratégies thérapeutiques.

Une association est également fréquente avec lesconduites alcooliques, l’apparition de la dépendanceà l’alcool étant secondaire aux troubles anxieux etnévrotiques dans la moitié des cas.

Facteurs de risque, facteurs prédisposantset environnementaux

Les troubles anxieux et névrotiques affectent plusles femmes que les hommes, avec un sex-ratiovariable selon le type de trouble et que l’on peutsituer à deux ou trois femmes pour un homme. Ilsconcernent également davantage les sujets jeunesou d’âge moyen : la tranche d’âge la plus vulnérableest celle des 25-44 ans. L’influence du statut marital(plus grande vulnérabilité des sujets veufs, séparésou divorcés) et du niveau socio-économique etsocio-éducatif (plus grande vulnérabilité des basniveaux) est en revanche diversement appréciéeselon les études.

Parmi les facteurs prédisposants, certains traits depersonnalité prémorbide sont plus fréquemmentassociés à certains troubles (par exemple, des traitsde passivité et de dépendance avec les troublesanxieux, phobiques et hystériques). Un facteurfamilial est retrouvé dans toutes les études : le risquemorbide est élevé dans la famille des patientssouffrant d’un trouble anxieux ou névrotique sansque le caractère génétique de ce lien soit clairement

démontré. La compréhension du poids respectifd’une éventuelle vulnérabilité génétique et desfacteurs environnementaux ne pourra se faire quepar l’étude des interactions entre ces différentsfacteurs.

Enfin, des événements de vie sont retrouvés avecune plus grande fréquence dans les semaines ou lesmois qui précèdent le déclenchement des troublesanxieux et névrotiques. Ces événements peuventrenvoyer à la notion de perte (décès d’un proche,divorce ou séparation, perte d’emploi...) ou dechangement important (modification de carrière, demode de vie familial, naissance, prise de drogue...).Une spécificité de ces événements de vie par rapportà d’autres troubles (comme la dépression) n’est pasclaire même si certains auteurs ont proposé la notionde danger à venir pour rassembler ces différentsévénements de vie.

■Troubles anxieux

L’anxiété est un symptôme très fréquent enconsultation de médecine générale. Lorsqu’ellerésume et organise le tableau clinique, il s’agit detroubles anxieux parmi lesquels on distingue letrouble panique et le trouble anxiété généralisée,distinction fondée sur une réactivité différente auxtraitements psychotropes. Si les nombreuses étudescherchant à valider cette distinction sur des critèrescliniques, évolutifs, génétiques ne permettent pas deconclure clairement à l’homogénéité de cessous-types cliniques, la pertinence thérapeutique dece découpage est claire puisque le trouble paniquerépond mieux aux antidépresseurs qu’auxanxiolytiques alors que ces derniers restent letraitement privilégié du trouble anxieux généralisé.Enfin, une troisième catégorie diagnostique estindividualisée : le trouble de l’adaptation avechumeur anxieuse, trouble réactionnel d’intensitémodérée.

Le principal diagnostic différentiel des troublesanxieux est la dépression. En effet, dépression ettrouble anxieux s’associent fréquemment chez unmême patient , soit successivement, soitconjointement.

Au-delà des problèmes théoriques que pose unetelle intrication, l’extrême fréquence de cette

association et les différences dans la prise en chargedes troubles anxieux d’une part et d’un troubledépressif d’autre part, impose devant tout syndromeanxieux de rechercher systématiquement un étatdépressif (cf chapitre « Syndrome anxieux »).

‚ Trouble panique

Ce trouble est de début précoce chez l’adultejeune : les premières attaques de paniquesurviennent avec un premier pic entre 15 et 19 anset un second moins important entre 25 et 30 ans.Cependant, moins d’un sujet sur trois développera letrouble. La prépondérance féminine est nette (deux àtrois femmes pour un homme) et les études évaluentsa prévalence sur la vie entière à 1,5 à 2,4 % (et sansdoute jusqu’à 4 % lorsque les formes avecagoraphobie sont incluses).

Outre les facteurs de risques évoqués pourl’ensemble des troubles anxieux et névrotiques,certains auteurs ont évoqué la survenue d’anxiété deséparation durant l’enfance d’une part et l’existenced’une séparation précoce de l’enfant d’avec l’un oules deux parents d’autre part, sans que ces facteurssemblent spécifiques puisqu’ils ont également étéretrouvés dans les antécédents de sujets souffrant detrouble anxieux généralisé, de trouble phobique etde trouble dépressif. Des traits de personnalitépathologique seraient plus fréquemment retrouvés(personnalité dépendante, évitante, histrionique etlimite). Cependant, ce profil n’est pas spécifique et onne retrouverait pas de différence par rapport auxtroubles dépressifs que ce soit en période évolutiveou lors des rémissions. D’une manière générale, cetrouble serait moins fréquemment associé à untrouble de la personnalité que le troubleobsessionnel compulsif ou les phobies sociales.

Enfin sur le plan somatique, l’associationfréquente décrite avec un prolapsus de la valvemitrale n’a pas été confirmée.

Les trois quarts des patients rapportent l’existenced’un facteur précipitant lors de leur première attaque

La comorbidité des troubles anxieux etdépressifs :

✔ 25 % des sujets anxieuxprésenteront un épisode dépressifmajeur ;✔ 40 % des sujets présentant unépisode dépressif majeurprésenteront un trouble anxieux.Dans une consultation de médecinegénérale, parmi les 15 % présentantun trouble anxieux généralisé, près dela moitié ont des antécédents dedépression.

Le trouble panique

Il est fréquent : sa prévalence sur lavie entière, sans doute sous-estimée,est de 1,5 à 4 %.Le médecin généraliste estparticulièrement concerné par ce typede trouble car les manifestationsphysiques (respiratoires etcardiovasculaires surtout) sont, le plussouvent, au premier plan du tableau.Son pronostic peut être très sombre dufait des complications évolutivespossibles et des risques de chronicité.Son traitement est aujourd’hui biencodifié et repose sur lesantidépresseurs et non lestranquillisants.Une guérison est possible. Le succèsthérapeutique repose sur un diagnosticet une prise en charge adéquateprécoces.

7-0150 - Troubles anxieux et névrotiques

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de panique. Cependant, pour certains auteurs, ladifférence avec un groupe contrôle de sujets sains nerésiderait pas dans le nombre « événements de viestressants survenus dans les mois qui précèdent ledébut du trouble » mais dans l’importance plusgrande de leur impact chez les futurs anxieux. Enrevanche, la survenue d’une perte ou d’uneséparation majeure durant l’année qui précède seraitassociée à un plus grand nombre de complicationsdépressives.

Clinique : les symptômesLe trouble panique se caractérise par la survenue

récurrente de crises d’angoisse aiguës, égalementnommées attaque de panique, généralementsévères, de survenue imprévisible et spontanée etnon exclusivement dans une situation particulière.Entre les crises persiste une peur de la survenue denouvelles crises d’angoisse ou anxiété anticipatoire.

Le déclenchement de la crise est soudain etl’accès peut durer de quelques minutes à quelquesheures, sa fin pouvant être difficile à repérer quandexiste une forte anxiété permanente. Lesmanifestations physiques sont le plus souvent aupremier plan lors des attaques de panique et lepatient recourra volontiers aux services d’urgence ouà son médecin généraliste, convaincu de souffrird’une maladie somatique. Au premier rang de cesmanifestations se trouvent des symptômesrespiratoires (sensation d’oppression thoracique,hyperventilation) et des symptômes cardio-vasculaires (palpitations, tachycardie, précordialgies).Peuvent également s’observer des sensationsd’étourdissement, de malaise ou d’évanouissement,des tremblements ou des secousses musculaires, desparesthésies des extrémités, des nausées, etc.

L’évocation du diagnostic devra faire rechercherles autres manifestations de l’attaque de panique :manifestations psychosensorielles comme dessentiments de dépersonnalisation (impression deperte ou de modification des limites corporelles, dedédoublement), de déréalisation (impressionsoudaine de perte du caractère familier del’environnement), de distorsion des perceptions etmanifestations psychiques d’angoisse, dontl’intensité souvent extrême justifie le terme depanique, comme une sensation angoissante de mortimminente alimentée par les manifestationsphysiques d’angoisse, une sensation de perte deconscience ou de devenir fou (alimentée par lessensations de dépersonnalisation ou dedéréalisation) ou une crainte de perdre le contrôle desoi. Un trouble du comportement durant la crise estexceptionnel, le sujet réagit le plus souvent parl’inhibition ou la recherche de réassurance,éventuellement auprès d’un médecin.

Diagnostics différentielsUne prise de toxique (abus de caféine, cannabis,

etc) ou un sevrage (alcoolique, médicamenteux etavant tout en benzodiazépines, cocaïne, etc) doiventêtre recherchés systématiquement. D’autre part, ilexiste de nombreuses affections organiquespouvant induire des manifestations paroxystiquesd’anxiété : angine de poitrine, troubles du rythme,dysthyroïdies, hyperparathyroïdies, phéochromocy-tomes, hypoglycémies, syndromes vertigineux, etc.

La survenue d’attaques de panique est trèsfréquente dans d’autres troubles psychiatriques etavant tout dans la dépression et les troublesnévrotiques. L’existence d’un syndrome dépressifdevra donc être recherchée.

Évolution et complications

L’évolution du trouble panique est encore assezmal connue faute d’étude prospective à long terme.Ces patients sont de grands consommateurs desoins : urgences hospitalières, généraliste maiségalement psychiatre. L’évolution sous traitementsemble globalement favorable pour une majorité depatients : deux tiers des patients suivis ou traitésguériraient ou seraient très améliorés. Cependant, uncertain nombre de formes sévères aurait uneévolution plus défavorable que la dépression. Unelongue durée d’évolution avant le début des soins etun faible niveau social seraient deux facteurs demauvais pronostic. Enfin, l’évolution spontanée sefait souvent vers une chronicisation et lorsque lesattaques de panique disparaissent, persiste unesymptomatologie résiduelle anxieuse, phobique oudépressive.

Les complications sont fréquentes et dans undouble registre psychiatrique et organique.

Sur le plan psychiatrique, une évolution vers uneagoraphobie s’observerait chez un tiers des sujetsmais avec un retentissement important chez 5 %d’entre eux. Les facteurs de risque de cettecomplication sont le sexe féminin et unepersonnalité dépendante avec tendance àl’évitement. L’apparition de préoccupationshypochondriaques est très fréquente avec parfoisapparition d’une véritable névrose hypochon-driaque. Les conduites addictives sont fréquentes :essentiellement l’abus d’alcool (chez 15 à 20 %) et detranquillisants.

Mais la principale complication psychiatrique estla dépression qui selon les études surviendrait chezun à deux tiers des patients. Elle doit donc être unepréoccupation constante du thérapeute qui larecherchera systématiquement.

Sur le plan organique, le trouble panique seraitassocié à un risque accru pour l’ulcère gastroduo-dénal et pour l’hypertension artérielle.

L’ensemble de ces complications est responsabled’une surmortalité chez ces patients : par maladiescardiovasculaires d’une part et par suicide d’autrepart. Dix-sept pour cent des patients atteints detrouble panique décéderaient par suicide ce qui estpresque équivalent à la dépression et bien supérieurà la population générale. Ce risque accru de suicideet de tentative de suicide est à mettre en relationavec les dépressions secondaires, l’alcoolisme etl’isolement en cas de trouble phobique.

Modèles explicatifs

L’hypothèse d’un lien entre les troubles anxieux etun trouble du métabolisme du calcium ou dumagnésium, proposée dans les années 1950, adonné lieu aux concepts de tétanie ou despasmophilie (entités presque exclusivementfrançaises) et n’a jamais été démontréeexpérimentalement. En revanche, le rôle del’hyperventilation et de l’alcalose qui en résulte dans

la genèse de certains des symptômes anxieux estreconnue et a donné lieu à certains programmes dethérapies comportementales axés sur le contrôlerespiratoire.

Le modèle actuellement dominant propose queles attaques de panique résulteraient d’un processusbiologique génétiquement déterminé (hypothèses’appuyant sur des études familiales et sur le fait quela concordance diagnostique de trouble panique estplus élevée chez les jumeaux homozygotes que chezles jumeaux hétérozygotes). L’anxiété anticipatoirede la survenue de nouvelles crises et les conduitesphobiques souvent associées apparaîtraientsecondairement selon les règles de l’apprentissageet du conditionnement.

‚ Trouble anxiété généralisée

Cette catégorie de trouble anxieux, définie pardéfaut et beaucoup moins étudiée, est proba-blement hétérogène. Ce trouble se caractérise parl’existence d’une anxiété ou de soucis injustifiés ouexcessifs et persistants, associés à divers symptômesde tension motrice (tremblement, tressautements,tension et douleurs musculaires, fébrilité, fatigabilité)et de troubles neurovégétatifs (palpitations, bouchesèche, mains moites, nausées, pollakiurie,étourdissements ou lipothymies, etc) et d’explorationhypervigilante de l’environnement (réactions desursaut, difficultés de mémoire ou de concentration,difficultés d’endormissement, irritabilité). Cetteanxiété évolue en dehors de symptômes spécifiquespropres aux troubles phobiques, au trouble paniqueou au trouble obsessionnel compulsif.

Les liens entre trouble anxieux généralisé ettrouble de la personnalité sont étroits et ce troublesemble autonome sur le plan familial et génétiquepar rapport au trouble panique.

Son principal diagnostic différentiel est le troublede l’adaptation avec humeur anxieuse, les formes depassage étant bien sûr nombreuses.

‚ Trouble de l’adaptation avec humeuranxieuse

Il ne se distingue pas du trouble anxiétégénéralisée par sa symptomatologie mais par le lienqu’il est possible de faire entre la survenue de signesanxieux et un événement stressant survenu quelquetemps auparavant et surtout par le caractèretransitoire des manifestations anxieuses (moins dequelques mois), la durée représentant ici un reflet dela sévérité du trouble. Le diagnostic ne doit pas êtreretenu si la perturbation constitue un mode deréaction habituel à tout facteur de stress.

‚ Stratégies thérapeutiques des troublesanxieux

Le but du traitement est d’obtenir la guérison,d’éviter la survenue de complications et le passage àla chronicité. Comme généralement, ce traitementest d’autant plus efficace qu’il est précoce. Cetraitement est avant tout médical, pragmatique etrelativement codifié en fonction de chaque type detroubles anxieux. Il en passe d’abord par untraitement médicamenteux et par l’information dupatient quant à la nature de ses symptômes. Desapproches psychothérapiques peuvent êtreassociées à cette prise en charge médicale.

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Traitement du trouble panique

Il est ambulatoire, l’hospitalisation n’étant en règlenécessaire que lors de complications dépressivesavec risque suicidaire.

La stratégie thérapeutique habituelle débute parun traitement préventif de la survenue d’attaques depanique : c’est le but de la chimiothérapie. Lestraitements antidépresseurs tricycliques restent laréférence dans le traitement de la récurrence desattaques de panique (Tofranilt, Anafranilt) maiscertains nouveaux antidépresseurs inhibiteurs de larecapture de la sérotonine ont fait la preuve de leurefficacité dans cette indication (Prozact, Deroxatt).

Ce traitement médicamenteux ne sera bienaccepté et bien suivi par ces patients hypervigilants àtout changement dans leur vécu corporel que s’il estassorti d’explications claires sur le but du traitementet prescrit dans le cadre d’une relation de confiance.Le patient doit être prévenu des effets secondairesqu’il risque de ressentir en début de traitement (pourles tricycliques, bouche sèche, palpitations, parfoismajoration transitoire des symptômes anxieux) etdoit pouvoir joindre son médecin par téléphone aumoindre problème durant cette phase délicate del’instauration du traitement. La posologie sera trèsprogressivement croissante (par exemple pour leTofranilt, 10 mg matin et soir à augmenter tous les 3à 4 jours jusqu’à 60 mg). La posologie efficace àatteindre est variable selon les patients de 50 à200 mg/j.

Un délai de 2 à 3 semaines est nécessaire pourjuger de l’effet thérapeutique dont le maximum sesitue à partir de la huitième semaine.

Lorsque l’anxiété permanente est trop forte et àfortiori si elle risque d’entraver une bonneobservance, une benzodiazépine peut êtretransitoirement associée (par exemple, Lexomilt :1/4 comprimé matin et soir) pendant les premièressemaines de traitement. D’autre part, avantl’apparition de l’action préventive sur les attaques depanique des antidépresseurs, les benzodiazépinesconstituent le traitement de la crise elle-même etsont d’autant plus efficaces qu’ils sont pris au débutde la crise. Au-delà de cette période initiale, lapoursuite de la prescription d’une benzodiazépinene se justifie pas.

La durée totale du traitement de fond parantidépresseur est en règle prolongée : onpréconise une durée de 6 à 12 mois de maintien dela posologie efficace, puis une réduction trèsprogressive des doses sous surveillance afin devérifier l’absence de réémergence symptomatique.

Les psychothérapies trouvent leurs indicationslorsque la réponse thérapeutique au traitementchimiothérapique est insuffisante. C’est le cas lorsquele trouble panique évolue depuis longtemps et/ouqu’il a donné lieu à une anxiété anticipatoireimportante s’accompagnant souvent de conduitesd’évitement. Dans ces cas, la réponse au traitementchimiothérapique peut être partielle ou des rechutessurvenir dès la réduction ou l’arrêt du traitement.

Les techniques psychothérapiques sontreprésentées essentiellement par les psychothé-rapies cognitives et comportementales, fondées surl’idée que certains troubles mentaux et en particulier

les troubles anxieux et phobiques sont des réponsesinadaptées et acquises par apprentissage et qu’il fautdonc « désapprendre » au profit de conduites plusadaptées. Certaines techniques sont basées surl’apprentissage d’un contrôle de la respiration. Dansle cas d’évitement phobique de certaines situationsdans lesquelles le sujet craint la survenue d’attaquesde panique, des techniques d’immersion graduelle etprogressive par des thérapeutes confirmés peuventpermettre une désensibilisation efficace.

Enfin, les psychothérapies d’inspirationpsychanalytique sont indiquées lorsque lessymptômes anxieux sont sous-tendus par desconflits intrapsychiques, s’accompagnent dedifficultés relationnelles et d’une organisationpathologique de la personnalité.

Traitement du trouble anxiété généralisée

Il est ambulatoire et associe traitementspsychotropes et psychothérapie.

Le trouble anxieux généralisé constitue une descibles privilégiées des traitements tranquillisants eten premier lieu des benzodiazépines. La conduited’un traitement tranquillisant dans cette indication sedoit de suivre des règles de prescription parfoisdifficiles à tenir. Le choix du médicament parmi lestrès nombreux produits existants se base sur leshabitudes du prescripteur, et surtout sur la notiond’une bonne réactivité à un traitement antérieur ; ilest préférable d’opter pour des molécules à demi-vielongue qui limiteraient les symptômes de sevrage etles rebonds anxieux. La posologie est très variabled’un sujet à l’autre et La susceptibilité de chaquepatient doit être déterminée par les réactions à unepremière prise « test » de faible posologie puis établiepar tâtonnement.

La grande difficulté du traitement réside dans sadurée et peut rencontrer deux écueils : trop court, iln’aura pas permis une réelle amélioration, ni la miseen place d’autres moyens thérapeutiques,psychothérapiques en particulier ; trop long, il risqued’induire une dépendance médicamenteuse. Unconsensus s’est dégagé quant à l’accroissement durisque de pharmacodépendance au-delà de 3 mois detraitement, durée de traitement préconisée par lesnouvelles références médicales opposables. L’arrêt dutraitement doit être très progressif, en respectant despaliers de 1 à 2 semaines afin d’éviter la survenue desymptômes de sevrage ou de rebonds anxieux.

Parmi les alternatives médicamenteuses auxbenzodiazépines, la buspirone semble avoir un effetanxiolytique comparable mais plus progressif etdifféré. Les bêtabloquants (Avlocardylt) ont étéproposés pour le traitement des manifestationssomatiques d’anxiété sur lesquelles ils ont uneefficacité indéniable mais il s’agit d’un détournementde leur indication principale. Leur intérêt dans lestroubles anxieux réside plutôt dans la préventionponctuelle de l’anxiété de performance (anxiété desituation dont l’exemple type est la prise de paroleen public). Enfin, les antidépresseurs ne sont pasindiqués en pratique courante dans le troubleanxieux généralisé et les neuroleptiques, comptetenu de la gravité potentielle de leurs effetssecondaires (neurologiques en particulier), nedoivent pas être utilisés dans cette indication.

La tendance à la chronicité du trouble anxieuxgénéralisé impose de limiter le recours auxmédicaments aux périodes d’exacerbationsymptomatique et de proposer des moyenspsychothérapiques aidant les patients à « gérer leurstress ». L’aide psychothérapique peut s’envisagersous la forme d’une psychothérapie de soutien quioffre au patient une écoute bienveillante etvalorisante. Des thérapies cognit ives etcomportementales peuvent être proposées encoreque leur efficacité semble meilleure lorsqu’existentdes symptômes phobiques ou obsessionnels. Enrevanche, les techniques de relaxation trouvent dansle trouble anxieux généralisé d’excellentesindications en permettant, en particulier parl’apprentissage de la maîtrise de la respiration, àcontrôler les manifestations somatiques de l’anxiétéet à rompre par là même le cercle vicieuxsymptômes physiques d’angoisse-anxiétépsychologique.

Enfin, les psychothérapies d’inspirationpsychanalytique sont indiquées lorsque l’anxiétés’inscrit dans le cadre d’un trouble de la personnalitéet de difficultés relationnelles que le sujet a le désirde comprendre.

Traitement du trouble de l’adaptationavec humeur anxieuse

Là encore, les traitements tranquillisants trouventune indication privilégiée, et ce d’autant plus que lerisque d’accoutumance est réduit du fait du caractèreréactionnel et transitoire de ce trouble. L’intérêt d’unabord médicamenteux dans cette situation est deréduire rapidement le niveau d’anxiété et permettreainsi au sujet de retrouver au plus vite ses capacitésde contrôle et de réaction face à l’événementstressant. Une telle action thérapeutique semblepouvoir, dans certains cas, éviter la chronicisation dutrouble anxieux. Les règles de prescription destranquillisants sont les mêmes que dans l’anxiétégénéralisée et le traitement sera bien sûr d’autantplus efficace qu’il sera prescrit dans une relationd’écoute chaleureuse et bienveillante.

■Troubles phobiques

Une phobie est la crainte irraisonnée et intense(voire extrême) d’un objet ou d’une situation n’ayantpas en soi de caractère dangereux. Contrairement àd’autres types de pensées angoissantes, la crainte eststrictement liée à la présence de l’objet ou de lasituation phobogène qui peuvent déclencher devéritable attaques de panique, toute angoissedisparaissant lorsque l’objet ou la situation ne sontplus là. C’est la raison d’une des principalesconséquences comportementales d’un troublephobique : l’évitement. Le sujet évitera toutesituation qui risquerait de lui faire rencontrer l’objetde sa phobie, ce qui peut le conduire jusqu’à uneréclusion presque totale. D’autres stratagèmes moinsradicaux peuvent également être utilisés : se faireaccompagner par une personne de confianceinvestie d’un pouvoir protecteur et dont le sujet setrouve alors dépendant. Parfois, un simple objet peut

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être symboliquement investi de ce pouvoirprotecteur (par exemple, une canne ou unparapluie).

Le diagnostic de trouble phobique est posé dèslors que les conséquences de la (des) phobie(s) et enparticulier l’évitement ont un retentissement familial,social ou professionnel pour le sujet.

‚ Trouble agoraphobie

L’agoraphobie correspond à un ensemble decraintes de situations « d’où il pourrait être difficile (ougênant) de s’échapper ou dans lesquelles on pourraitne pas trouver de secours en cas d’attaque depanique » (DSM IV). Les principales peurs rapportéespar les agoraphobes sont par ordre de fréquencedécroissante : la conduite automobile, les grandsmagasins, être seul, être dans la foule, quitter sondomicile ou s’en éloigner, les restaurants, lesmédecins et les dentistes, être enfermé, et s’associentde manière variable chez les patients.

Données épidémiologiques

Ce trouble débute en général chez l’adulte jeune,entre 18 et 40 ans. Les patients consultentgénéralement assez rapidement après le début dutrouble, vite invalidant. Il existe une netteprépondérance féminine estimée à deux femmespour un homme.

Les facteurs environnementaux semblentdavantage marqués par les conséquences dutrouble agoraphobique que par des particularités luipréexistant : les données concernant le statut maritalet le niveau socioculturel des patients sontcontroversées. En revanche, les femmesagoraphobes travaillent moins souvent que lamoyenne et, lorsqu’elles travaillent, soulignent lagène que leur trouble occasionne dans leur vieprofessionnelle.

Parmi les nombreux facteurs prédisposantsévoqués (surprotection maternelle, plus grandefréquence des divorces des parents ou deséparations précoces, manifestations d’angoisse deséparation dans l’enfance), aucun n’a été confirmélors d’études contrôlées. De même, l’existence chezles agoraphobes de traits de personnalitépathologique comme la faible estime de soi, lapassivité, une dépendance excessive vis-à-vis del’entourage semble plutôt une conséquence dutrouble qu’un facteur de vulnérabilité. En revanche,l’existence d’un trouble grave de la personnalitéconditionne le pronostic du trouble.

Évolution et complications

L’évolution du trouble est très variable d’un sujet àl’autre. Le mode de début peut être insidieux oubrutal, l’évolution est typiquement fluctuante, desrémissions complètes spontanées étant de plus enplus rares au fur et à mesure de l’évolution. Laprincipale complication est la dépression quisurviendrait dans un à deux tiers des cas : c’est dire,là encore, l ’ importance de sa recherchesystématique.

Diagnostic différentiel

Le trouble dépressif est également le principaldiagnostic différentiel du trouble agoraphobique (oudiagnostic associé lorsque les deux coexistent). On y

pensera systématiquement devant des symptômesphobiques d’apparition tardive qui feront égalementrechercher une phobie des espaces, symptomato-logie d’allure phobique liée à des troubles del’équilibre d’origine organique (neurologique, ORL ouvasculaire).

Modèles explicatifs

Selon le statut accordé aux crises d’angoisse dansl’agoraphobie, on peut opposer deux grandeshypothèses explicatives. Les tenants de la premièreconsidèrent l’agoraphobie comme une complicationcomportementale d’un trouble premier, d’originebiologique, le trouble panique. C’est parce que lesujet craint la survenue de nouvelles attaques depanique (anxiété anticipatrice) et parce qu’il crée desliens entre ce risque de survenue et des situationsqu’apparaissent l’évitement et les situationsphobogènes. La seconde hypothèse estcomportementale et considère que l’évitement et lacrainte phobique sont premiers. Les attaques depanique ne sont que situationnelles et surviennentlorsque le sujet n’a pas pu éviter certaines situationsspécifiques. Les données ne permettent pas detrancher entre ces deux hypothèses qui semblents’appliquer avec plus ou moins de bonheur selon lesmalades. Cette incertitude se reflète dans lesmodalités de prise en charge et en particulier dans laplace accordée aux antidépresseurs dans letraitement de l’agoraphobie.

‚ Phobies sociales

« Peur persistante d’une ou plusieurs situationsspécifiques dans lesquelles le sujet peut être exposéà l’observation attentive d’autrui et dans lesquelles ilcraint d’agir de façon humiliante ou embarrassante »(DSM IV). Sont ainsi redoutés : le fait de parler enpublic, de manger en présence d’autrui, d’utiliser destoilettes publiques, de rougir... Il ne s’agit pas d’unesimple timidité : ces craintes sont associées à desconduites d’évitement qui peuvent constituer unhandicap social majeur.

Données épidémiologiques

La prévalence est évaluée à 1,5 à 2 % de lapopulation générale, avec une fréquence identiquedans les deux sexes. Le trouble apparaît à la fin del’adolescence ou chez l’adulte jeune (entre 15 et 21ans) mais, au contraire du trouble agoraphobique,les patients ne consultent que plus rarement ettardivement, parfois plus de dix ans après le débutdes troubles. On retrouve souvent une timidité dansl’enfance, un milieu familial surprotecteur. Lespatients sont fréquemment célibataires.

Évolution et complications

La phobie sociale tend à évoluer sur un modechronique sans rémission. Ses complications sontfréquentes et sévères : on évalue de 40 à 70 % lerisque de survenue d’épisodes dépressifs majeurs.Les passages à l’acte suicidaire sont plus fréquentsque dans l’agoraphobie, éventuellement favoriséspar un épisode dépressif. L’association au troublepanique est également importante. D’autre part,jusqu’à 20 % des phobiques sociaux souffriraientd’une dépendance alcoolique.

Diagnostic différentiel

L’agoraphobie et les phobies sociales bien queclairement différentes dans leurs objets phobogènespeuvent parfois être confondues au premier abord,en particulier lorsqu’un évitement sévère aboutit àun même isolement. Il faudra alors bien fairepréciser le type de situation redoutée par le sujet.D’autre part, comme dans la personnalité schizoïde,le phobique social évite les contacts sociaux, mais àla différence des sujets schizoïdes qui manquentd’intérêt et de plaisir dans les relations sociales, lephobique les désire mais est inhibé par l’anxiété.Enfin, l’évitement social des schizophrènes estsouvent sous-tendu par des idées délirantes.

‚ Phobies simples

La crainte est limitée à un objet ou une situationtrès spécifiques et isolés. Les phobies simples les pluscommunes sont : la phobie des transports aériens,de certains animaux, des soins dentaires oumédicaux, du sang... L’intensité de l’angoisse en casde confrontation à l’objet phobogène peut êtreextrême et l’évitement peut constituer un handicapsocial important. Ces phobies sont généralementplus fréquentes chez la femme, débutent chezl’adulte jeune ou l’adolescent et ont tendance enl’absence de traitement à persister pendant la vieentière.

‚ Stratégies thérapeutiques des troublesphobiques

Le traitement vise à la disparition du symptômephobique et de l’évitement et à la prévention descomplications, dépressives en particulier. Sonefficacité sera variable en fonction de la duréed’évolution du trouble phobique et de l’existence defacteurs de mauvais pronostic comme un troublesévère de la personnalité. En revanche, la sévéritédes symptômes et du handicap ne représentent pasnécessairement des facteurs de mauvais pronostic,en particulier dans l’agoraphobie. En dehors desphobies simples pour lesquelles seul un traitementcomportemental est indiqué, la stratégiethérapeutique associe traitement médicamenteux etpsychothérapie.

Traitement du trouble agoraphobie

Les traitements médicamenteux répondent auxmêmes objectifs dans le traitement du troublepanique : leur but essentiel est de prévenir lesattaques de panique afin de réduire les réactionsd’angoisse lors de l’exposition à l’objet ou lasituation redoutés. Ils sont donc en principe plusparticulièrement indiqués dans les formesd’agoraphobie avec attaques de panique. L’actiondu traitement médicamenteux sur les conduitesd’évitement ne peut être que différée et nécessite leplus souvent la mise en oeuvre de thérapiescomportementales.

Les antidépresseurs (tricycliques et plusrécemment inhibiteurs de la recapture de lasérotonine) semblent efficaces aussi bien sur lesattaques de panique situationnelles que spontanées.La prescription répond aux mêmes principes quedans le trouble panique.

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Des benzodiazépines peuvent également êtreprescrites lorsque c’est l’anxiété anticipatoire que l’onsouhaite réduire.

Les traitements psychologiques sont essentiel-lement de type comportemental et reposent sur leprincipe d’une exposition progressive aux situationsphobogènes. Ces psychothérapies comportemen-tales ou cognitives sont bien codifiées et ne peuventêtre réalisées que par des thérapeutes formés. Ellesconsistent dans un premier temps à établir unprogramme d’exposition progressive aux stimulisanxiogènes, en allant du plus facile au plus difficile.L’aide du thérapeute peut être soit directe (ilaccompagne physiquement le phobique lors despremières expositions) soit plus indirecte en luiindiquant le programme à suivre et en l’aidant avecdes techniques de contrôle respiratoire et cognitif.Les thérapies comportementales seraient d’autantplus efficaces à long terme que l’exposition a étéprogressive et autogérée par le patient phobique.

Une psychothérapie d’inspiration psychanaly-tique peut également être proposée dans des formesd’intensité modérée et chez des patientsdemandeurs de compréhension psychologique deleur trouble.

Traitement du trouble phobie sociale

Le traitement est mixte : médicamenteux maissurtout psychothérapique.

Les médicaments ont les mêmes indications quedans le traitement de l’agoraphobie. Parmi lesantidépresseurs, les IMAO (Moclaminet) semblentavoir une particulière efficacité et peuvent êtreprescrits en première intention.

Les traitements psychologiques peuvent être detype comportemental. Deux techniques sontproposées : La désensibilisation par expositionprogressive aux situations phobogènes et lestechniques d’affirmation de soi. Dans le cas d’untrouble de la personnalité associé et d’un désir dusujet de comprendre son fonctionnement psychiqueet les conflits internes qui sous-tendent ses difficultésrelationnelles, une psychothérapie d’inspirationpsychanalytique trouve ici une indication de choix.

Traitement des phobies simples

Les médicaments sont ici inutiles et inefficaces. Letraitement doit être de nature psychologique :thérapie comportementale avec exposition à l’objetphobogène. Là encore, ce traitement doit être réalisépar un thérapeute formé aux techniquescomportementales.

■Trouble obsessionnel compulsif

‚ Clinique

Une obsession est une idée ou une image quis’impose de façon récurrente dans la penséeconsciente que le sujet considère commerépréhensible ou absurde mais qu’il reconnaîtcomme sienne et dont il ne parvient pas à contrôlerla survenue. Les obsessions ont un caractèreextrêmement pénible, le sujet lutte souvent

activement et avec une forte anxiété pour éviter leursurvenue qu’il ne contrôle pas. Le handicap estégalement lié à la perte de temps parfoisconsidérable qu’entraînent les obsessions et lesrituels.

Le thème des obsessions est variable d’un sujet àl’autre mais plusieurs grands types se retrouvent :intrusion d’idées, de mots ou d’images en généralobscènes ou répugnants, scrupules ou doutes,interminables débats de conscience (le sujet n’a-t-ilpas par inadvertance écrasé un passant, déclenchéun incendie, quelle est la vraie nature des choses,Dieu existe-t-il ?...). Un deuxième type est l’obsessionphobique : crainte obsédante de souffrir d’unemaladie (le cancer, le sida) ou d’avoir été contaminéou souillé par un contact salissant. Enfin, les phobiesd’impulsion sont la crainte angoissante decommettre contre sa volonté un acte absurde ourépréhensible, immoral ou agressif (pousserquelqu’un sous le métro, écrire des obscénités ensignant un contrat...)

Les rituels et les compulsions sont l’équivalentdans le domaine de l’action de ce que sont lesobsessions dans le domaine de la pensée : il s’agitd’actes répétitifs que le sujet se sent contraintd’effectuer alors qu’il les considère comme ridicules,gênants ou envahissants. Les compulsions sontsouvent étroitement liées à une obsession et ontinitialement la fonction de soulager l’angoisse liée àla pensée obsédante. Elles deviennent cependantelles-mêmes contraignantes et envahissantes, allantjusqu’à entraver toute autre activité. Les compulsionspeuvent être agies extérieurement (par exemple, selaver les mains en respectant un certain rituel pourannuler une souillure) ou être intériorisés, purementcognitives (comme le fait de répéter dans un ordreprécis et un certain nombre de fois une liste de motsou des calculs compliqués).

Le trouble obsessionnel compulsif (TOC),ancienne névrose obsessionnelle, associe de façonvariable plusieurs obsessions et compulsions : selonla prévalence des unes ou des autres, on distingueles formes compulsives, avec prédominance decompulsions ritualisées et qui bénéficient desthérapies comportementales et les formesmentalisées, avec prédominance de ruminationsobsédantes pour lesquelles l’apport des thérapiescognitives et comportementales est plus inconstant.

‚ Données épidémiologiques

Le TOC débute de façon variable, souventinsidieusement mais parfois brutalement (surtoutdans les formes avec rituels compulsifs) chez l’adultejeune et dans un tiers des cas avant l’âge de 15 ans.Les formes à début précoce sont plus fréquenteschez l’homme alors que ce trouble se répartitégalement dans les deux sexes. Alors que ce troublea longtemps été considéré comme rare, des étudesrécentes évaluent sa prévalence entre 2,5 et 3 % surla vie entière. Les liens entre le TOC et la personnalitéobsessionnelle ont été supposés très étroits, lapersonnalité obsessionnelle étant considéréecomme le terrain psychologique sur lequel lessymptômes obsessionnels apparaissent

Plus fréquente chez l’homme que chez la femme,la personnalité obsessionnelle associe trois traits decaractère : l’attachement à l’ordre et à l’économie etl’entêtement. L’amour de l’économie peut se voir àtous les degrés allant de la simple mesquinerie àl’avarice. L’attachement à l’ordre est autant matériel(soin excessif porté aux objets, souci de propretéexagéré) que moral (perfectionnisme, sens du devoir,scrupulosité, r igidité morale) . Les sujetsobsessionnels sont peu aptes à exprimer leurssentiments et apparaissent volontiers sérieux, froids,conventionnels. Ils sont obstinés, peu influençableset volontiers autoritaires. Enfin une tendance auxdoutes et à l’indécision est fréquente et constitue dessymptômes frustes.

Des études systématiques conduites sur les liensentre TOC et personnalité obsessionnelle n’ont pastotalement confirmé les modèles théoriques quisoulignaient ces liens : des traits de personnalitéobsessionnelle sont fréquemment retrouvés maisaussi de personnalité dépendante, évitante etschizotypique. D’autre part, ces traits de personnalitépathologique n’aurait pas de spécificité et seraientretrouvés également chez des patients déprimés ouagoraphobes.

‚ Évolution et complications

L’évolution naturelle du TOC est assez sévèreavec une forte tendance à la chronicité, desfluctuations d’intensité étant alors fréquentes avecune aggravation en période de stress et parfois enpériode prémenstruelle chez la femme.

La complication la plus fréquente est ladépression qui survient chez plus de la moitié dessujets (dans près de 80 % des cas dans certaines

Les TOC aujourd’hui

L’origine probable de ces troubles estbiologique.L’efficacité du traitementantidépresseur a transformé leurpronostic.Si le traitement psychologique associédonne de bons résultats, il n’est plusau cœur de la prise en charge qui estcentrée sur les antidépresseurs.La recherche des symptômesobsessionnels doit être soigneuse, lespatients, conscients de leur caractère« irrationnel » pouvant les dissimuler.

Données épidémiologiques sur lesTOC

✔ La prévalence de ce trouble estestimée entre 2,5 et 3 %.✔ Le début est précoce, dans un tiersdes cas avant l’âge de 15 ans,surtout chez l’homme.✔ Il existe une association fréquenteavec des traits de personnalitépathologique sans réelle spécificitéde la personnalité.

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études). Le diagnostic en est parfois difficile car ladépression peut n’apparaître que commel’accentuation de certains symptômes : indécision,ruminations, dévalorisation, retrait social. Lesobsessions et compulsions s’aggravent fré-quemment au cours ou à l’issue d’un épisodedépressif mais l’inverse peut également s’observer.La fréquence de cette association entre épisodedépressif majeur et TOC a fait évoqué l’existenced’un substratum biologique commun entre ces deuxtroubles. Cependant, même si un certainchevauchement dans les facteurs biologiquessous-tendant l’un et l’autre trouble est probable, ils’agit de troubles hétérogènes et distincts quant àleur distribution et leurs facteurs de risque.

Une association avec un trouble anxieux estégalement fréquente : trouble panique, phobiesimple et phobie sociale surtout. Enfin, chez Lafemme, on peut observer une comorbidité avec destroubles des conduites alimentaires, anorexiementale et boulimie.

‚ Diagnostic différentiel

La survenue tardive d’une symptomatologieobsessionnelle devra faire rechercher un épisodedépressif durant lequel de tels symptômes peuventapparaître, surtout des obsessions, plus rarement descompulsions. Des symptômes obsessionnels sontfréquents dans les troubles schizophréniques (dansun tiers des cas) : ils ont alors souvent un caractèred’étrangeté et s’accompagnent d’idées délirantes.Cependant, la distinction sur la symptomatologieobsessionnelle elle-même est loin d’être aisée(certaines obsessions dans d’authentiques TOC étanttotalement absurdes) et c’est l’ensemble du tableauclinique qui oriente le diagnostic. Enfin, unesymptomatologie obsessionnelle est très fréquentechez les déficients mentaux.

‚ Modèles explicatifs

L’hypothèse d’une origine biologique trouve desolides arguments dans deux ordres de faits :l’efficacité spécifique d’antidépresseurs sérotoniner-giques (comme l’Anafranilt et les inhibiteurs de larecapture de la sérotonine) et le lien étroit entre leTOC et certains troubles neurologiques impliquantdes structures cérébrales de la base (séquellesd’encéphalite épidémique ou toxique, chorée deSydenham, syndrome de Gilles de la Tourette. Lesmodèles comportementaux et cognitifs s’attachent àdécrire un style cognitif rendant compte du maintiendes symptômes : les patients obsessionnelscompulsifs accepteraient moins bien que des sujetsnormaux l’intrusion d’idées inconvenantes ouabsurdes qu’ils jugeraient inacceptables et qu’ilscondamneraient plus fortement.

‚ Stratégies thérapeutiques

Le traitement, en général ambulatoire, associetraitements médicamenteux et psychologiques. Ildébute en général par le traitement médicamen-teux : ce sont les antidépresseurs qui agissentpréférentiellement sur le système sérotoninergiquequi ont fait la preuve de leur supériorité : soit

classiquement Anafranilt, soit IRS : Prozact,Floxyfralt, Deroxatt. La posologie moyenne et ledélai d’action sont souvent plus élevés que dans lecas d’un trouble dépressif : 75 à 300 mg pourl’Anafranilt et 40 à 60 mg pour le Prozact parexemple, la réponse au traitement apparaissant engénéral à partir de la quatrième semaine et parfoisau-delà du deuxième mois. Du fait de la fortetendance à la chronicité du TOC et de la fréquencedes rechutes à l’arrêt du traitement, ce dernier seramaintenu sur de longues périodes et ce d’autant plusque ce TOC est ancien.

Parmi les autres psychotropes, les benzodiazé-pines peuvent être associées transitoirement durantdes périodes d’anxiété généralisée importante. Lesneuroleptiques n’ont dans le TOC que desindications marginales et leur emploi, compte tenudes risques d’effets secondaires neurologiques, doitêtre réservé aux spécialistes.

Les traitements psychothérapiques sontessentiellement comportementaux et cognitifs. Leurbut est symptomatique : réduire l’intensité et le degréd’envahissement d’une obsession ou d’un rituelclairement identifié. Les thérapies comportementalessont particulièrement indiquées dans le cas decompulsions ritualisées : il s’agit d’aider le patient àne pas faire ses rituels dans les situations qui lesdéclenchent (par exemple, contenir ses rituels delavage alors qu’il a été exposé à une souillure). Dansles TOC avec prédominance d’obsessions, destechniques comportementales (arrêt de la pensée,satiation qui consiste à répéter l’idée obsédantedurant de longues périodes ce qui la vide de sonsens) ou cognitive (aider le patient à mieux connaîtreson style cognitif) peuvent apporter une certaineamélioration.

Enfin, les psychothérapies d’inspirationpsychanalytique longtemps préconisées dans le TOCont limité leurs indications à des formes peu sévèreset chez des sujets désireux de connaître leurs conflitsinternes.

■Hystérie

‚ Clinique

De définition particulièrement difficile, le termed’hystérie recouvre en réalité plusieurs faits cliniquesde nature différente : premièrement, la personnalitéhystérique, qui qualifie une façon d’être au monde etde relation à autrui particulière, deuxièmement, lessymptômes de conversion hystériques, manifesta-tions symptomatiques très variées et pouvant êtreobservées dans diverses pathologies psychiatriques,et troisièmement, la névrose hystérique qui associeune perturbation des relations à autrui et dessymptômes de conversion hystériques. Ce conceptde névrose hystérique a disparu des classificationsinternationales actuelles qui proposent sonéclatement en divers troubles ( t roublessomatoformes et troubles dissociatifs) pour lesquelsun déterminisme psychologique n’est pas toujourssupposé.

Personnalité hystérique

Plus fréquente chez la femme que chez l’homme,on en décrit deux formes dont les traits peuvents’associer à des degrés divers chez un même sujet.

■ La personnalité histrionique (ainsi nommée enréférence à l’histrion ou mauvais acteur) associe unégocentrisme, un désir de paraître avec rechercheconstante de l’attention d’autrui, une dramatisationde l’expression des sentiments qui sont labiles, uneplasticité en fonction de l’interlocuteur, uneérotisation des relations aux autres masquant desdifficultés sexuelles.

■ La personnalité passive dépendante associeune dépendance à autrui, une attitude passive desoumission à autrui ou d’attente face auxévénements, une immaturité affective qui s’exprimedans une quête infantile de protection parl’entourage.

Une vulnérabilité aux troubles psychiatriques estplus marquée chez les sujets présentant des traitspassifs dépendants que chez les patientshistrioniques, plus actifs et qui trouvent plusfacilement un équilibre à travers des positionssociales valorisées (tâches altruistes). Les principalescomplications psychiatriques observées sont lestroubles dépressifs, les troubles anxieux etphobiques et les accidents de conversion.

Symptômes hystériques ou accidentsde conversion hystérique

Les symptômes hystériques peuvent varier àl’infini et portent souvent la marque de l’époque etdu milieu dans lesquels évolue le patient. Ondistingue les symptômes somatiques : durables(paralysies, contractures, troubles de la sensibilité,douleurs) ou paroxystiques (crises « convulsives »,accès léthargiques, crises d’agitation), et lessymptômes psychiques : manifestat ionsdissociatives (amnésies, états crépusculaires, étatsseconds) ou mimant un trouble psychiatrique(pseudodépression ou pseudodélire).

Aucune manifestation n’est spécifique mais lessymptômes de conversion ont en commun uncertain nombre de caractéristiques :

– ils ne sont expliqués par aucune causeorganique : mimant une affection somatique, ilsenfreignent les lois de l’anatomie ou de laphysiologie. Cependant, un point d’appel somatiqueest fréquent : le symptôme hystérique vient alorsamplifier les manifestations d’un trouble organiqueréel ;

– les symptômes hystériques imitent desmaladies affectant la vie relationnelle : le symptômehystérique se voit, attire l’attention de l’interlocuteur ;

– le symptôme hystérique n’est pas sous lecontrôle volontaire du patient : il ne s’agit pas d’unesimulation (encore que symptôme hystérique etsimulation peuvent coexister chez un mêmemalade) ;

– les symptômes hystériques sont volontierslabiles, intermittents, mobiles. Il existe cependant dessymptômes particulièrement persistants ;

– des facteurs psychologiques semblent jouer unrôle majeur dans leur déclenchement et leurpersistance. Le terme de « conversion » est issu de lathéorie freudienne qui a proposé un modèle

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explicatif complexe des symptômes hystériques :l’angoisse issue d’un conflit interne serait déplacéesur le corps et ″convertie″ en innervation somatique.

Névrose hystérique

La névrose hystérique se définit par la survenuede symptômes hystériques chez un sujet présentantune organisation de la personnalité de typehystérique. Deux types de situation clinique serencontrent : le symptôme de conversion unique etle syndrome dit de Br iquet (névrosepolysymptomatique).

¶ Symptôme de conversion uniqueIl est le plus souvent d’allure neurologique et

posant un problème diagnostique avec unepathologie neurologique. Un ou plusieursépisodes de même type (avec éventuellementune symptomatologie différente d’un épisode àl’autre) peuvent parfois être retrouvés dans lesantécédents. La personnalité peut être de type

hystérique (plutôt passive dépendante) maiségalement normale ou plutôt subnormale carune investigation psychologique approfondieretrouve souvent un fonctionnement marqué pardes mécanismes psychologiques de typehystérique. L’évolution est variable : brève oudurable, épisode isolé ou évolution périodique.Ce trouble semble relativement rare et concerneautant les hommes que les femmes. Le premierépisode survient en général chez l’adule jeune ouà l’adolescence.

¶ Syndrome de Briquetil s’agit d’un tableau clinique très riche, les

symptômes de conversion somatique s’accompa-gnant de nombreuses plaintes : algies diverses,spasmes, fatigue, troubles de la mémoire et de laconcentration, troubles des conduites alimentaires,troubles sexuels. Le trouble de la personnalité estmanifeste : hyperémotivité, exaltation imaginativesouvent dès l’enfance, théâtralisme, érotisation de la

relation, parfois traits psychopathiques. Lescomplications dépressives et les tentatives de suicidesont fréquentes. Le risque est également celui desoins médicaux excessifs (investigations intrusivesinutiles, abus médicamenteux) ou d’acteschirurgicaux abusifs.

‚ Diagnostic différentiel

Des symptômes hystériques peuvent s’observerdans de très nombreuses pathologies

En premier lieu les états dépressifs

Le lien entre la survenue de symptômeshystériques et l’existence d’un état dépressif estsouligné par certains auteurs actuels qui préconisentun recours systématique à un traitementantidépresseur devant une symptomatologiehystérique. D’une manière plus restrictive, lasurvenue de symptômes de conversion somatiqueau cours d’une dépression avérée est banale :astasie-abasie ou incapacité à se tenir debout et àmarcher, aphonie, pseudoconfusion. Cessymptômes disparaissent en règle avecl’amélioration thymique mais ils peuvent justifier uneattitude thérapeutique spécifique. La questiondemeure de la personnalité des patients déprimésqui développent ce type de symptômes : il s’agit leplus souvent de femmes et des traits de personnalitépassifs dépendants sont fréquemment retrouvés.

La survenue tardive d’un symptôme deconversion hystérique chez un(e) patient(e) indemnede ce type d’antécédent devra tout particulièrementfaire rechercher les signes d’un syndrome dépressif.

Troubles schizophréniques

Des plaintes somatiques sous-tendues par desidées délirantes hypochondriaques sont fréquenteschez les schizophrènes et doivent être différenciéesdes plaintes somatiques multiples de la névrosehystérique. Ils peuvent également présenter dessymptômes de conversion (paralysies, crises...). C’estl’existence d’une symptomatologie schizophrénique(délire, contact bizarre, froid, discours étrange,hermétique ou inadapté) qui permet de faire lediagnostic.

Certains troubles neurologiques

La survenue d’un symptôme de conversionhystérique peut compliquer le tableau clinique d’unepathologie neurologique (traumatisme crânien,tumeur, épilepsie...) voire faire méconnaître l’origineorganique d’une partie des symptômes. Une notedépressive est fréquemment associée.

États de stress post-traumatiques

Ils peuvent survenir au décours d’un traumatismed’une exceptionnelle intensité. Ils comportentfréquemment une symptomatologie hystérique quisera d’autant plus rebelle au traitement que letraumatisme est plus ancien.

‚ Stratégies thérapeutiques

Il faut distinguer le traitement des symptômes deconversion qui dépend du trouble psychiatriquedans lequel ils surviennent et qui peuvent justifier, de

Principaux symptômes hystériques

✔ Symptômes somatiques :Les douleurs : très fréquentes, de siège variables, elles sont généralement continues,ne perturbent pas le sommeil mais entraînent une impotence fonctionnelleimportante. On peut en rapprocher les troubles de la sensibilité : anesthésies ouhyperesthésies dont la localisation ne respecte pas les territoires anatomiques.Les atteintes motrices : il peut s’agir de paralysies, de contractures ou demouvements anormaux. On décrit ainsi des troubles de la coordination, desparalysies de fonction (incapacité à se tenir debout et à marcher, aphonie) desfaiblesses musculaires ou paralysies de membres, des paralysies généralisées, descontractures fonctionnelles (crampe de l’écrivain) ou localisées (torticolis, plicaturedu tronc), etc.Les crises : pseudocrise d’épilepsie, crise d’agitation ou simple « crise de nerf ».Les troubles sensoriels : cécité transitoire ou permanente, rétrécissement du champvisuel, diplopie, surdité, etc.Les perturbations neurovégétatives : vomissements, toux, rétention d’urine, grosventre hystérique qui peut s’associer à un arrêt des règles et un gonflement des seins(grossesse nerveuse).✔ Les symptômes psychiques :Inhibition intellectuelle : très fréquente, elle peut faire croire à une débilité alors queles capacités intellectuelle sont normales.Amnésies : incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants, de caractère leplus souvent stressant, désagréable ou honteux, absence de souvenirs avant l’âge de14 ans.Illusions de mémoire : souvenirs de scènes, souvent traumatiques et à caractèresexuel, qui n’ont pas été réellement vécues.États crépusculaires ou pseudoconfusionnels, états seconds, états de transe durantlesquels la conscience est altérée : le champ des perceptions est rétréci et le sujet ades comportements ou des mouvements stéréotypés qu’il ressent comme échappant àson contrôle. Il peut également éprouver la sensation d’une identité nouvelle qu’ilattribue en général à l’influence d’un esprit, d’une puissance extérieure.on décrit enfin des fugues dissociatives (dans lesquelles le patient est amnésique desa propre identité et en adopte une autre) et les personnalités alternantes oumultiples (exceptionnelles).✔ Les peudoaffections mentales :Pseudodépressions, souvent difficiles à distinguer d’authentiques états dépressifs,fréquents chez les personnalité hystériques. Les symptômes subjectifs (tristesse, perted’intérêt, idées suicidaires) sont présents mais pas les symptômes objectifs(autoaccusation, ralentissement psychomoteur, amélioration vespérale, insomnie dupetit matin).Enfin, des pseudodélires ont été décrits.

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mesures thérapeutiques spécifiques le plus souventde courte durée et la prise en charge au long coursde la névrose hystérique polysymptomatique.

Traitements des symptômes de conversion

Ils sont avant tout de type rééducatif : il s’agit derééduquer le plus rapidement possible unefonction perdue afin de forcer « l’oubli » dont elleest l’objet. Peuvent être utilisées dans ce but : lasuggestion (suggestion simple, hypnose), destechniques de stimulation, exceptionnellementdans des formes graves une stimulation électriquedouloureuse (faradisation). Différentes formes depsychothérapie sont proposées qui allient le plussouvent la suggestion visant à la disparition dusymptôme et l’approche psychanalytique visant àla prise de conscience de la fonction du symptôme.Lorsqu’un souvenir traumatisant semble à l’originedu symptôme, des techniques centrées sur laremémoration et l’expression des affects liés à cetévénement sont préconisées par certains.

Lorsque le symptôme hystérique apparaît dans lecours évolutif d’un trouble psychiatrique (enparticulier dépressif), c’est le traitement de ce troubleet la résolution de l’accès qui permettra de fairedisparaître le symptôme.

Traitement de la névrose hystérique(syndrome de Briquet)

Le traitement des formes chroniques etmultisymptomatiques de l’hystérie est dominé par leprincipe « primum non nocere » et son corrélât delimiter les investigations et les thérapeutiqueslorsque le diagnostic a été posé.

La prise en charge repose sur une approchepsychologique dont les ambitions devront le plussouvent rester modestes : psychothérapie de soutienvisant à aider le patient à mieux traverser les crises etles conflits qu’il génère souvent, à mieux gérer sesréactions émotionnelles intenses et mal contrôlées.Plus rarement, une psychothérapie structuréed’inspiration psychanalytique pourra être proposée :elle nécessite un thérapeute expérimenté qui devrasavoir gérer les tendances régressives massives de cespatients fragiles.

Les traitements médicamenteux doivent êtreréservés aux traitements des complications, enparticulier des complications dépressives, fréquentes,souvent assez rebelles au traitement et récidivantes.Les règles usuelles de traitement des états dépressifsdoivent être suivies.

■État de stress post-traumatique

Il s’agit d’états névrotiques survenant à la suited’un traumatisme psychologique d’une intensitéexceptionnelle (attentat, viol, faits de guerre). En effetet contrairement à des traumatismes de moindre

intensité dont l’impact semble dépendre de lavulnérabilité éventuelle du sujet qui les subit, destraumatismes extrêmement intenses semblentpouvoir déclencher un trouble d’allure névrotiquechez des sujets sains et dont le fonctionnementantérieur semblait harmonieux.

Les traumatismes susceptibles d’être à l’origined’un état de stress post-traumatique sont dessituations exceptionnelles dans lesquelles le sujeta craint pour sa vie, son intégrité corporelle oucelle d’autrui, voire même dans lesquelles desindividus ont été gravement blessés ou sontmorts. Cet événement a été vécu avec unsentiment d’horreur et d’impuissance :l’impossibilité à prévoir, à contrôler ou à faire faceà l’événement traumatique semble particuliè-rement déterminante pour la survenue detroubles ultérieurs.

La réaction immédiate après un tel traumatismeest variable : souvent très expressive avec angoissemassive, agitation ou sidération de toutcomportement, confusion avec perte des repères detemps et de lieu, perplexité et troubles de l’attention,troubles de la mémoire immédiate. Parfois, aucontraire , le sujet semble conserver uncomportement normal, poursuit ses activités commesi de rien n’était, comme par automatisme. Laremémoration du traumatisme et l’émotion quil’accompagne sont alors différées de quelquesheures.

En principe différé par rapport au traumatisme,l’état de stress post-traumatique se constitue dans lesheures, les jours ou les semaines qui le suivent.

‚ Clinique

L’état de stress post-traumatique associe dessignes spécifiques et constants (les phénomènes deremémoration), un réarrangement de la personnalitéet des signes non spécifiques, dépendants de lastructure de personnalité antérieure du sujet.

Les phénomènes de remémoration prennentdiverses formes :

– souvenirs envahissants et répétitifs de lasituation traumatique, interrompant les activités dusujet, sous la forme de pensées ou d’images, parfoishallucinatoires, entraînant un sentiment intense dedétresse ;

– rêves ou cauchemars répétitifs dans lesquels letraumatisme est revécu sans cesse, avec une forteanxiété et dans lesquels le sujet est toujoursimpuissant ;

– impressions de danger imminent, comme si letraumatisme allait se répéter, voire illusions derevivre la scène en flash-back ;

– angoisse intense lors de l’exposition à desstimuli en relation avec la situation traumatique.Cette angoisse peut conduire le sujet à éviter toutesituation risquant de favoriser la remémoration :activités, lieux ou personnes ayant un rapport avecle traumatisme.

Le remaniement de la personnalité va dans lesens d’une régression vers une position infantile :apparition d’un comportement infantile de passivitéet de dépendance à autrui, de revendicationscaractérielles, d’une recherche de considération et deréparation (avec éventuellement revendicationd’une compensation financière).

Les symptômes non spécifiques sont divers :– émoussement des affects avec sensation

d’éloignement par rapport aux autres ;– réduction des activités souvent sous-tendue par

un évitement des situations évoquant letraumatisme ;

– asthénie, troubles de la mémoire et de laconcentration ;

– symptômes somatiques hystériques (douleursdiverses, troubles d’allure neurologique, etc)

– crises d’angoisse, symptômes phobiques.

‚ Stratégies thérapeutiquesLes stratégies thérapeutiques visent à l’expression

des affects liés au traumatisme et à la réduction dessymptômes.

La précocité de la mise en route des mesuresthérapeutiques est essentielle et conditionne pourune large mesure leur efficacité.

Dans les suites immédiates du traumatisme, unenvironnement sécurisant doit être créé autour dusujet. Un traitement tranquillisant (benzodiazépines)peut aider à réduire le choc émotionnel intense. Uneprise en charge psychologique précoce estsouhaitable afin de permettre au sujet de verbaliserson expérience, d’exprimer les émotions qui lui sontliées et d’aider ainsi le sujet à élaborer letraumatisme.

Au décours du traumatisme et dans les états destress post-traumatiques constitués, la prise encharge associe souvent traitement psychologique etpsychotropes.

Les traitements psychologiques proposés sont dedeux ordres :

– psychothérapies visant à la déchargeémotionnelle d’affects liés au traumatisme, contenusou réprimés jusqu’alors, afin de permettre au sujetde reconstruire son histoire et de retrouver à traversce récit verbal une certaine maîtrise de l’événementqui a alors totalement débordé ses capacités decontrôle ;

– thérapies comportementales qui visent àaider le sujet à se confronter au souvenirtraumatique, aux stimuli en rapport avec cettesituation et à réduire ainsi les conduites d’évitement.Des méthodes de désensibilisation sont proposées :après apprentissage de techniques de relaxation, lesujet est exposé très progressivement à la situationtraumatique en imagination, ou à des stimuli qui luisont liés.

Des traitements psychotropes sont souventassociés : traitements tranquillisants, antidépresseursen cas de crises d’angoisse aiguë ou decomplications dépressives particulièrementfréquentes.

Troubles anxieux et névrotiques - 7-0150

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Christine Passerieux : Praticien hospitalier,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Passerieux. Troubles anxieux et névrotiques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0150, 1998, 10 p

R é f é r e n c e s

[1] Ades J, Rouillon F. Les états névrotiques (ouvrage collectif coordonné par JAdes et F Rouillon). Upjohn, 1992 : 1-300

[2] American Psychiatric Association. Mini DSM IV. Critères diagnostiques(Washington DC, 1994). Traduction française par JD Guelfi et al. Paris : Masson,1996 : 1-384

[3] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Paris : Doin, 1986

[4] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiquesen psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[5] Senon JL, Sechter DE, Richard D. Thérapeutique psychiatrique. Paris : Her-mann Science et Pratique médicale, 1995

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Troubles de la personnalité

N Gluck-Vanlaer

L a personnalité pathologique d’un individu se définit comme un ensemble de traits de caractères relativementstable dans le temps mais qui le conduit à échouer dans les buts qu’il se fixe et à faire souffrir son entourage. La

prévalence des troubles de la personnalité est estimée de 6 à 10 % de la population générale.© Elsevier, Paris.

■Généralités et définitions

Les troubles de la personnalité constituent uneentité particulière au sein de la nosographiepsychiatrique, car l’établissement d’un diagnostic depersonnalité pathologique ne passe pas commehabituellement par le repérage de véritablessymptômes psychiatriques présents à un momentdonné, mais par le regroupement en une constellationparticulière des caractéristiques psychologiques d’unindividu. Ces caractéristiques correspondent à unemanière d’être régulière de la personne, semanifestant dans ses comportements relationnels vis-à-vis des autres, dans sa façon d’utiliser sa pensée, deressentir et d’exprimer ses émotions, dans sa manièred’affronter, de réagir et de s’adapter aux objets,personnes et situations rencontrés tout au long de lavie.

On estime la prévalence des troubles de lapersonnalité autour de 6 à 10 % de la populationgénérale.

‚ De la personnalité normaleà la personnalité pathologique

Chaque individu ayant « son » style de vie, « sa »manière d’être avec autrui, la frontière entre normal etpathologique est difficile à établir. Il n’existe pas dedéfinition satisfaisante de la personnalité normale ; lanormalité définie en termes de conformisme social estun concept dangereux quand on considère l’évolutiondes mœurs au fil des siècles ou la disparité deshabitudes culturelles de par le monde. Le concept leplus utile pour le médecin est sans doute celui denormalité fonctionnelle, définie par la capacité du sujetà s’adapter à son environnement et à utiliser au mieuxles ressources de sa personnalité pour contribuer à sonépanouissement personnel et à son bien-êtrerelationnel. Par opposition, la personnalitépathologique d’un individu se définit alors comme unensemble de traits de caractères relativement stablesdans le temps qui le conduisent à échouer dans lesbuts qu’il se fixe et à faire souffrir son entourage, cecien dépit de sa volonté et malgré parfois une certaineconscience de ses troubles.

‚ De la personnalité pathologiqueau trouble psychiatrique

Un autre problème épineux est celui de la frontièreentre personnalité pathologique et maladie mentale,certains troubles du comportement pouvant, enfonction de leur intensité ou du contexte, constituer unvéritable symptôme psychiatrique (par exemple laméfiance exagérée d’une personnalité paranoïaqueest parfois difficile à différencier d’une idée délirantepersécutive). De même la personnalité dépressiveproposée par certains est sujette à caution carcorrespond peut-être à une dysthymie d’intensitémodérée. De plus, il existe une comorbidité nonnégligeable entre certains troubles de la personnalitéet certains troubles psychiatriques avérés.

Selon Foulds (cité par Guelfi), certains élémentspermettent la distinction :

– l’universalité des traits de caractères paropposition à la contingence des symptômes(beaucoup plus variables selon les cultures) ;

– le caractère égosyntonique des traits depersonnalité, alors que les symptômes sontégodystoniques, c’est-à-dire incongrus pour le Moi(mais ceci est plus vrai pour certains traits comme lestraits narcissiques que pour d’autres) ;

– la stabilité des traits de personnalité au cours dutemps alors que les symptômes sont variables etintermittents, leur présence se limitant à la duréedéfinie de chaque épisode psychiatrique.

‚ Des hypothèses étiopathogéniquesà la catégorisation nosographique

On considère habituellement que la personnalitése constitue progressivement au cours du développe-ment. À partir de prédisposit ions innées(vraisemblablement héréditaires), les traits decaractères se façonnent au gré de multiples influences,tant générales (milieu socioculturel, événements del’époque), qu’individuelles (personnalité et styleéducatif des parents, composition de la constellationfamiliale et place au sein de celle-ci, événements de vieprécoces). Il est toutefois difficile d’évaluer précisémentle poids respectif de ces facteurs, et les différenteshypothèses physiopathologiques des troubles de lapersonnalité ont donné lieu à nombre de controversesscientifiques entre généticiens, psychanalystes,

comportementalistes, systémiciens et sociologues.Aucune de ces hypothèses ne paraît a priori à rejeter,d’autant que chacune d’elles peut ouvrir desperspectives thérapeutiques préventives et curatives. Ilconvient donc de les explorer à l’aide des différentsoutils mis à notre disposition afin d’établir la stratégiethérapeutique la plus appropriée.

La multiplicité des catégories nosographiques detroubles de la personnalité reflète bien la diversité deshypothèses théoriques et l’évolution de la réflexiondans ce domaine.

On peut citer ainsi la division classique en grandescatégories : personnalités névrotiques, psychotiques,névroses de caractère, états-limites. Elle est issue à lafois d’une réflexion psychodynamique traditionnelle etd’une approche quantitative tendant à considérer lestroubles de la personnalité comme des maladiesmentales a minima, par opposition à l’approchequalitative qui considère les traits pathologiquescomme une exagération des traits de caractères lesplus courants (telles la timidité, l’indifférence, laméfiance, la paresse...).

Issues des théories psychanalytiques, différentescatégories repèrent les personnalités pathologiques enfonction soit du stade du développement libidinalauquel l’angoisse du sujet semble s’être fixéepréférentiellement, déterminant un mode privilégié derelation d’objet (personnalités orales où l’avidité traduitl’angoisse de manque, personnalités anales dominéespar le besoin de maîtrise de l’environnement, sous-tendu par l’angoisse de perte de contrôle symboliséepar le relâchement sphinctérien, personnalitésphalliques organisées autour de l’angoisse decastration) ; soit de leurs mécanismes de défensepsychodynamiques prévalents (par exemple lapersonnalité obsessionnelle par son recours àl’isolation, l’annulation, l’intellectualisation ; ou lespersonnalités psychotiques avec le déni, le clivage, laprojection...). Des tests projectifs comme le test deRorschach (étudiant les réponses évoquées par laprésentation d’un matériel visuel peu structuréconstitué de taches d’encre), ou le TAT (qui présentedes images plus structurées évoquant diversessituations relationnelles) peuvent contribuer à l’étudede la personnalité dans ces perspectivespsychodynamiques.

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Les cognitivocomportementalistes s’attachent plusà décrire les personnalités pathologiques par le typede croyance intime prévalent de l’individu (supérioritédu paranoïaque, nécessité d’être aimé des autres del’hystérique), croyance qui induit des stratégiescomportementales interpersonnelles particulières.

Une autre approche, issue de la psychologieexpérimentale, a tenté de définir des profils depersonnalité à partir du regroupement de traitsidentifiés lors de la passation de certains tests,autoquestionnaires et hétéroquestionnaires. Ceux-ciutilisent généralement des listes de phrases oud’adjectifs qualifiant les comportements et les attitudesmentales du sujet, le traitement statistique parl’analyse factorielle des réponses permettant ensuited’extraire les principales dimensions de lapersonnalité.

Différents outils psychométriques ont été élaborés.Les uns visent à la description la plus exhaustivepossible de la personnalité (Cattell, Eysenck), etpeuvent contribuer aux hypothèses de recherchegénétiques par l’identification de dimensionsprésentes de façon universelle dans les personnalités« normales » et pathologiques (déviations quantitativesou qualitatives). Par exemple le modèle de Cloningerisole quatre dimensions fondamentales (recherche dela nouveauté, évitement du danger, dépendance à larécompense, persévérance), et tente de les corréler àdes profils neurobiologiques particuliers. Les autres, àvisée plus clinique, se proposent d’aider au repéragedes principales catégories de personnalitéspathologiques.

C’est ainsi que la classification américaine du DSMIV propose d’établir sur son Axe II des diagnostics depersonnalité pathologique par regroupementstatistique d’items qui ont été choisis de manièreathéorique en principe, pour décrire des conduitesmanifestes. Le diagnostic de troubles de lapersonnalité requiert des critères généraux (tableau I).

Les troubles de la personnalité sont ensuiteprésentés en trois groupes (A, B, et C).

■ Le premier comprend les personnalités aucomportement bizarre ou original, et regroupe lespersonnalités paranoïaques, schizoïdes, etschizotypiques (correspondant à peu près auxpersonnalités psychotiques de la nomenclaturetraditionnelle).

■ Le deuxième comprend les personnalités dontles attitudes et les comportements sont théâtraux,excentriques, bruyants et dramatisés ; et regroupe lespersonnalités histrioniques, narcissiques, antisocialeset limites (borderline).

■ Le troisième comprend les personnalitésanxieuses et craintives, au comportement effacé etfuyant. Il regroupe les personnalités obsessionnellescompulsives, dépendantes et évitantes. On peutconsidérer que les classiques personnalitésnévrotiques, les névroses de caractère et les étatslimites se répartissent dans ces deux derniers groupes.Il faut noter que la personnalité hystérique n’existe pasen tant que telle dans le DSM IV, mais on retrouve plusou moins son pôle génital dans la personnalitéhistrionique et son pôle oral dans la personnalitédépendante.

Dans sa dernière version, la classificationeuropéenne CIM 10 se rapproche considérablementdes descriptions du DSM IV. Ces classifications ont lemérite, outre leur clarté et leur simplicité, de balayer lechamp de la clinique traditionnelle (on peut y retrouverles personnalités pathologiques les plus universelle-ment reconnues et les mieux individualisées). Le DSMIV, qui soutient une démarche de recherche, ouvre de

plus quelques catégories « à l’étude », dont la validationest en cours, comme les personnalités dépressives oupassives-agressives.

‚ En pratique

Comment poser le diagnostic de troublede la personnalité ?

Le diagnostic est basé sur la présence de certainstraits de comportement qui peuvent apparaître évidentsau premier entretien clinique, surtout quand le praticienposséde bien les critères diagnostics. Il oriente etcomplète un entretien informel ou purement médicalpar quelques questions ciblées sur la vie affective,relationnelle, professionnelle ou sur l’histoire du sujet.

Bien souvent ces traits sont d’intensité fluctuante. Ilest parfois nécessaire, même au psychiatre, d’attendrel’établissement d’une relation de confiance et uncertain temps de cheminement thérapeutique pourasseoir un diagnostic de trouble de la personnalité.

L’entourage est parfois mieux placé que le patientlui-même pour repérer ces traits car il n’a souvent pasconscience de ses troubles.

À côté des personnalités pathologiques typiques,on rencontre fréquemment des personnalitéscomposites, qui présentent soit plusieurs personnalitéspathologiques associées, soit des critères appartenantà différentes personnalités pathologiques sans réunirun tableau complet, constituant une sorte de« mosaïque ».

Un diagnostic de personnalité pathologique ne doitêtre porté qu’à distance d’un trouble psychiatriqueaigu, car certains traits de caractère sont exagérés ougommés par l’épisode en cours. En cas de doute il fautréevaluer la personnalité à distance de l’épisode ; ceciest particulièrement vrai dans les états dépressifs.

Même ainsi le diagnostic reste parfois difficile et lepraticien demandera alors un bilan psychologique.

Principes généraux de traitementdes troubles de la personnalité

La psychothérapie est théoriquement le traitementde choix des troubles de la personnalité, mais elle n’estpas indiquée dans tous les cas, et parfois mêmecontre-indiquée.

La première, et sans doute la meilleure, desindications est la demande spontanée du patient quiressent une souffrance intime et pressent qu’elle est denature psychologique. Parfois cette demande n’est pasexprimée clairement car le patient, gêné et culpabilisé,ne s’autorise pas à demander de l’aide. Si le praticien laperçoit et l’exprime verbalement au patient, il a lasurprise de constater que celui-ci paraît soulagé etabonde aussitôt dans son sens.

Dans d’autres cas, si la pathologie de lapersonnalité saute aux yeux du médecin, sespropositions d’aide psychologique sont violemmentrepoussées, ou restent lettre morte. Le praticien doitalors rester prudent et se cantonner dans son rôle degénéraliste, en espérant qu’à la longue il pourragagner la confiance de son malade et lui faire peu àpeu admettre l’idée d’une psychothérapie.

Lorsque le principe en est accepté par le patient denombreux types de psychothérapies existent, qui nesont d’ailleurs pas incompatibles entre elles,(psychanalytiques, cognitivocomportementales,relaxation...), et le choix est affaire de spécialiste.

Toutefois le généraliste proposera toujours, aumoins dans les débuts, de maintenir le lien avec sonpatient en attendant que le processus psychothérapi-que s’installe.

Le lien médical est un soutien important pour cespatients, surtout lorsque le médecin a bénéficié d’uneformation psychologique, ou reçoit l’aide indirected’un psychothérapeute, par exemple dans le cadred’un groupe Balint.

Le généraliste doit bien connaître les psychiatres etpsychologues auquels il adresse ses patients afin defaciliter le relais thérapeutique. Si possible il auraplusieurs correspondants, d’âge et de sexe différentscar quels que soient la compétence et le savoir duthérapeute, ces paramètres peuvent compter dansl’établissement de l’alliance thérapeutique

Les principales personnalités pathologiques sontexplicitées ci-après.

■Personnalité hystérique

Bien que classiquement décrite chez la femme, lapersonnalité hystérique existe aussi chez l’homme,avec des particularités cliniques qui la font souventméconnaître et sous-évaluer.

‚ Description clinique de la forme typiqueElle regroupe comme traits principaux l’histrionisme

et la facticité des affects, la prévalence du mode depensée imaginaire, l’hyperréactivité émotionnelle, lasuggestibilité et la mythomanie, la dépendanceaffective, et les troubles de la sexualité.

Histrionisme

Considéré comme le trait central de la personnalitéhystérique, l’histrionisme correspond au désir deparaître afin de capter l’attention d’autrui. L’hystériquesemble en permanence jouer un rôle, qu’elle adapteau gré de la demande supposée de l’interlocuteur. Ils’agit souvent d’un hyperconformisme au stéréotypeféminin en vigueur selon la culture et l’époque, afin de

Tableau I. – Critères diagnostiques générauxdes troubles de la personnalité.

A. Modalité durable de l’expérience vécue et desconduites qui dévie notablement de ce qui est at-tendu dans la culture de l’individu. Cette déviationest manifeste dans au moins deux des domainessuivants :

- la cognition (c’est-à-dire la perception et lavision de soi-même, d’autrui et des événements)

- l’affectivité (c’est-à-dire la diversité, l’inten-sité, la labilité et l’adéquation de la réponse émo-tionnelle)

- le fonctionnement interpersonnel- le contrôle des impulsions.

B. Ces modalités durables sont rigides et envahis-sent des situations personnelles et sociales trèsdiverses.

C. Ce mode durable entraîne une souffrance clini-quement significative ou une altération du fonc-tionnement social, professionnel ou dans d’autresdomaines importants.

D. Ce mode est stable et prolongé et ses premièresmanifestations sont décelables au plus tard àl’adolescence ou au début de l’âge adulte.

E. Ce tableau n’est pas mieux expliqué par lesconséquences d’un autre trouble mental.

F. Ce mode durable n’est pas dû aux effets physio-logiques directs d’une substance (par exemple unedrogue donnant lieu à abus ou un médicament) ouà une affection médicale générale (par exemple untraumatisme crânien).

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se couler dans le désir de chaque homme vécucomme partenaire potentiel. On parle ici d’érotisationdes rapports sociaux. Ce jeu théâtral où les sentimentset les émotions sont exprimés de façon exagérée,dramatisée, donne au spectateur, plus ou moins séduitet conquis suivant sa propre personnalité, uneimpression d’inauthenticité, de facticité (dans lescritères du DSM IV on retrouve les termes desuperficiel, vaniteux, et exigeant). L’hystérique, quin’est pas dépourvue de sentiments sincères, peut seretrouver prise à son propre jeu inconscient et ressentirun vécu d’incompréhension, d’insatisfaction, source demalentendus et d’échecs relationnels.

Mode de pensée imaginaire

La réalité est perçue par l’hystérique de manièredéformée par le filtre de ses représentationsimaginaires érotisées. Elle a du mal à prendre encompte les sentiments réels de ses partenaires (ce quipeut la faire taxer d’égocentrisme).

Relations de l’hystériqueavec les « objets » réels

Les relations de l’hystérique avec les « objets » réels(relations amicales, amoureuses, ou sociales,professionnelles) sont émaillées d’élans passionnés etde volte-faces soudaines. Les déceptions entraînentsouvent un repli dans un monde imaginaire,l’hystérique perd son temps en rêveries amoureusessur des partenaires aussi idéalisés qu’inaccessibles etnéglige de faire évoluer sa vie réelle.

Hyperréactivité émotionnelle

Elle associe hyperémotivité, impulsivité, et labilitéémotionnelle qui donnent au comportement del’hystérique un aspect changeant, voire chaotique,émaillé de crises de colère ou de larmes, de ruptures,de gestes suicidaires impulsifs, souvent dans uncontexte manipulatoire de chantage affectif.

Parfois la violence de la revendication affectivelorsqu’elle se fixe sur un objet qui se dérobe a faitparler de personnalité hystéroparanoïaque.

Ailleurs des conduites d’évitement se développenten réaction à l’hyperémotivité, faisant parler decaractère hystérophobique. L’inhibition masque alorsune hypervigilance permanente et empêchel’aboutissement des engagements relationnels(évitement de la sexualité en particulier). Plus rarementdes conduites de fuite en avant, souvent dans desactivités de sublimation, permettent aussi d’éviterl’accomplissement de la relation perçue commedangereuse ainsi que la remise en cause qui pourraitdécouler de la prise de conscience de la problématiquefantasmatique.

Suggestibilité et mythomanie

Classiquement intégrés à la personnalitéhystérique, ces traits sont actuellement discutés.L’apparence de suggestibilité donnée par la diversitédes rôles joués par l’hystérique en fonction de sonenvironnement n’est souvent pas confirmée lorsqu’ontente d’utiliser la suggestion à des fins thérapeutiques.Quant à la mythomanie, si le riche monde imaginairede l’hystérique peut parfois affleurer dans son discoursréel pour enjoliver son histoire et mieux capterl’attention de l’auditoire, les véritables constructionsmythomaniaques stables et persistantes traduisentsouvent des structures moins névrotiques.

Dépendance affective

Elle est constante chez l’hystérique, mais à desdegrés très divers. C’est ainsi que plusieurs auteurs, eten particulier le DSM IV distinguent deux catégories, la

personnalité histrionique, et la personnalité passive-dépendante. La dépendance affective est certesprésente chez l’histrionique sans cesse à la recherchede l’attention d’autrui, incapable de supporterl’indifférence ou la frustration. Mais elle peut êtrebeaucoup plus marquée chez un autre typed’hystériques caractérisé par un puérilisme important,un manque d’autonomie matériel et psychiquepouvant confiner à l’invalidité sociale. Ces personnes,passives et peu sûres d’elles, attendent des autrestoutes les prises de responsabilités ; elles se mettent enposition de soumission apparente, mais peuvent seretourner agressivement contre le décideur qui a déçuleur attente. Elles exhibent leurs inaptitudes, maisconsacrent leurs potentialités à la manipulation subtilede leur entourage.

Troubles de la sexualité

On observe fréquemment chez l’hystérique destroubles tels que la peur des relations sexuelles, lafrigidité (plus ou moins permanente), le dégoût de lasexualité, ou même l’oubli, la négligence affichée de cedomaine considéré comme étranger à soi. Cestroubles sont parfois masqués derrière une hyper-sexualité apparente, surtout chez les plus jeunes quipar une sorte de conformisme culturel et par besoin deréassurance peuvent apparaître comme desnymphomanes collectionnant des relations en faitinsatisfaisantes.

Éthiopathogénie de la personnalité hystérique

Pour les psychanalystes, la problématique deshistrioniques se situe au niveau de l’angoisse decastration, de la perte de pouvoir, alors que lesdépendantes seraient fixées de manière plusarchaïque au stade oral avec des angoisses demanque affectif, d’abandon.

‚ Personnalité hystérique chez l’hommePour des raisons culturelles (l’hystérie qui dérive du

grec signifiant utérus est traditionnellement associée àla femme), ce diagnostic est certainement sous-évaluéchez l’homme, d’autant que le tableau cliniqueprésente des particularités. On repère deux grandstypes d’hommes hystériques (Lempérière).

Homme histrionique

Il tente lui aussi de coller au stéréotype de son sexeet affiche une hypermasculinité théâtrale avec uncomportement de séducteur. Ce donjuanisme cacheen fait une angoisse de la performance et une difficultéà établir des relations affectives matures. Derrière uneapparente assurance, on découvre une instabilité, qui,associée à l’impulsivité, peut entraîner des passages àl’acte auto- ou hétéroagressif plus ou moins violents(souvent sous l’emprise de l’alcool, complicationfréquente dans cette pathologie), voire des conduitesmarginales ou délictueuses pouvant en imposer àpremière vue pour une psychopathie. L’hommehystérique reste cependant plus adapté que lepsychopathe, c’est un « faux-dur » qui mène uneexistence souvent parasitaire aux crochets de sonentourage et qui a recours en cas de problème à diverséchappatoires (fuite, somatisations...).

Homme passif-dépendant

Ce sont des hommes immatures, inhibés, assumantmal la compétition sociale et la maturité sexuelle(impuissance, éjaculation précoce, crainte del’homosexualité). Ils vivent souvent des vies rétrécies,97bloqués par des manifestations anxieuses etphobiques, et restent très dépendants de la figurematernelle. Le recours à l’alcool est là aussi fréquent,dans un but de déshinibition.

‚ Évolution et complications

¶ Traits hystériques chez l’enfantChez l’enfant la présence de traits hystériques fait

partie du développement normal car l’enfant est unêtre fondamentalement dépendant de l’adulte, dont ila besoin d’attirer l’attention et de rechercher lasollicitude et l’affection. Il va donc cherchernaturellement à plaire, à briller, ou à se faire plaindrepour être rassuré sur l’amour que lui portent sesparents. Chez certains, ces traits sont plus accentués,souvent quand le contexte familial est insécurisant ouqu’il a sous les yeux des modèles comportementauxsemblables ; et l’on pourra porter le diagnostic depersonnalité histrionique, en sachant que ce tableauest sans doute temporaire (la stabilité dans le tempsdes troubles de la personnalité de l’enfant et même del’adolescent est insuffisamment étudiée mais nesemble pas très bonne).

À l’adolescence les comportements bruyants etdramatisés sont banaux, chez certains cependant letrouble de la personnalité existe en germe et vas’affirmer au fil des années.

Avec l’âge plusieurs évolutions sont possibles.

Quelle attitude adopter devant unepersonnalité hystérique ?

✔ La personnalité hystérique est unedes personnalités pathologiques lesplus fréquentes mais il convient derespecter strictement ses critères afinde ne pas en faire un diagnosticfourre-tout.✔ Il faut aussi se garder d’yadjoindre une connotation péjorativecar la souffrance psychique y estréelle, et les plaintes somatiquesparfois fondées, l’hystérie neprotégeant malheureusement pas desautres maladies.✔ Le diagnostic de conversion ou desomatisation doit toujours rester,même sur ce terrain, un diagnosticd’élimination. Le praticien doits’assurer tant par l’examen cliniqueque par les examenscomplémentaires qu’il ne passe pas àcôté d’une maladie physique. Il doitcependant se méfier de ne pasrépéter des bilans déjà faits et passéssous silence par le patient.✔ Outre le traitement decomplications (dépressives enparticulier), la démarche essentielleest l’écoute attentive qui permet, autravers de l’établissement d’unealliance thérapeutique, de rassurer,de faire la part entre le somatique etle psychique, et d’aider à la prise deconscience de l’origine psychique decertaines plaintes. De là dépendra lesuccès du relai psychothérapeutiqueéventuel.

Troubles de la personnalité - 7-0180

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¶ Traits histrioniquesIls peuvent persister, voire paraître s’aggraver car le

vieillissement va rendre caricatural et de plus en plusinefficace et inadapté le comportement d’hyper-séduction, d’autant que les cibles visées souvent nevieillissent pas avec l’hystérique (homme ou femme).

Ailleurs ces traits peuvent s’atténuer progressive-ment, surtout quand l’hystérique trouve dessublimations valorisantes dans la réussite d’unecarrière artistique ou politique, ou dans des activitésaltruistes (œuvres sociales, bénévolat...).

Cependant les décompensations anxieuses etdépressives ne sont pas rares, avec fréquence desplaintes somatiques et des gestes suicidaires souventthéâtraux et manipulatoires mais parfois aboutis. Lesabus de toxiques sont courants, alcool et anxiolytiquesen particulier. Ces dépressions sont souventpersistantes et rebelles aux traitements mais peuvents’améliorer spectaculairement à l’occasion de certainsévènements de vie, parfois a priori défavorables (décèsdu conjoint par exemple). L’hystérique peut alors faireface avec une détermination surprenante pour unepersonne habituellement dolente et inefficiente.

¶ Personnalités passives-dépendantesElles ont un pronostic plus sombre, leur inhibition,

leurs tendances phobiques et leur manqued’autonomie s’accentuent avec l’âge. Elles deviennentde plus en plus tributaires d’un entourage peu à peuexcédé par la lourdeur de la charge. C’est ainsi que l’onpeut voir des placements en maison de retraiteprécoces et mal acceptés se compliquer dedépressions graves, la patiente ne comprenant pas lerejet dont elle se sent la victime.

¶ Névrose hystériqueElle n’est pas une complication en soi de la personnalité

hystérique, le concept de névrose hystérique tendd’ailleurs actuellement à être démembré. Dans le DSM IVles troubles de la personalité (histrionique, dépendante),sont classés à part des troubles de conversion ou desomatisation. Les symptômes de conversion somatiques,les états crépusculaires et les troubles anxioconversifscomme les classiques « crises de tétanie » de lanosographie française sont certes fréquents chez lespersonnalités hystériques (les conversions seraient surtoutle fait des personnalités dépendantes). On peut cependantles observer chez d’autres personnalités pathologiques oumême de façon réactionnelle chez des personnalitésnormales. De même, le cours évolutif des personnalitéshystériques ne comprend pas toujours la survenue« d’accidents » hystériques.

■Personnalité obsessionnelle

Plus fréquemment diagnostiquée chez l’homme,elle mélange à des degrés divers des traits appartenantà plusieurs formes classiques de personnalitépathologique que sont la personnalité compulsive, lapersonnalité psychasthénique (de P Janet), le caractèreanal (selon S Freud, dont la description repose sur letrépied : ordre, entêtement, économie).

‚ Description cliniqueLes principaux traits de cette personnalité sont :■ le besoin excessif d’ordre, matériel et moral.

Dans l97e domaine matériel, cela se traduit par unegrande méticulosité et ponctualité, un perfectionnismeexagéré (les tâches sont exécutées avec soin, souci dudétail même s’il est sans importance, et respect desrègles mais souvent au détriment d’une vision

d’ensemble du problème), une horreur de la saleté etdu désordre (entraînant des comportements deménage et de rangement ritualisés pour lesquels ladistinction avec un trouble obsessif-compulsif n’est pastoujours évidente), une tendance à la planification del’existence où rien ne semble être laissé au hasard.Dans le domaine moral il existe un attachementexcessif à l’« ordre établi », sorte de refuge contre lesincertitudes et les angoisses existentielles, donnant àces patients un aspect sérieux et conventionnel quibannit toute fantaisie ;

■ le goût pour l’économie. Là aussi, il se traduit surun plan matériel et sur un plan affectif. Sur un planmatériel, ce sont des sujets parcimonieux, détestanttout gaspillage, voire avares, tant par crainte demanquer que par goût du pouvoir que l’argentprocure. Ils sont réticents à partager, aimentaccumuler, collectionner. Sur un plan affectif, ilsexpriment peu d’émotions tendres et chaleureuses.Contrairement aux schizoïdes, ils ont généralementdes relations affectives, mais elles sont empreintes defroideur et ils consacrent plus de temps à leur travailqu’à cultiver l’amitié ou la vie de famille ;

■ l’entêtement : ces sujets sont obstinés, peuinfluençables, dans la crainte de se « faire avoir », etchangent difficilement de position. Ils aspirent à lamaîtrise d’eux-mêmes et d’autrui, exigeant comme lerelève le DSM IV que « les autres se soumettent à leurpropre manière de faire les choses, sans prêterattention aux sentiments provoqués chez autrui par cetype de comportement » ;

■ de manière fréquente, mais inconstante,s’exprime le pôle psychasthénique sous forme d’unetendance au doute et à l’indécision. Ces sujetsscrupuleux sont sans cesse en proie à desinterrogations (par exemple sur l’ordre des priorités,l’utilité ou le bien-fondé de leurs démarches), des crisesde conscience, et à des ruminations (la frontière avecdes obsessions idéatives n’est pas toujours aisée àdéterminer). L’action concrète et la prise de décisionleur demande un effort pénible, sans doute par craintede se tromper, et elles sont souvent évitées ouretardées.

La rigidité planificatrice de l’obsessionnel peutparaître à première vue s’opposer à l’indécision et à laprocrastination (tendance à remettre au lendemain) dupsychasthène, mais elles peuvent en pratiquecoexister, soit simultanément, l’une tendant àcombattre l’autre, soit sous forme de phasesalternantes posant le problème d’une décompensa-tion dépressive d’une personnalité obsessionnelle.

Étiopathogénie de la personnalitéobsessionnelle

Le trépied clinique « ordre, entêtement, économie »correspond pour Freud à la résultante des formationsréactionnelles contre les pulsions anales. L’excitationqui vient de la zone érogène anale, banale chez le petitenfant, va peu à peu susciter honte et dégoût sous lapression de l’éducation. La sublimation de la rétentions’exprime dans la parcimonie, l’avarice, l’argent étantun symbole classique des matières fécales. Le goût dela maîtrise personnelle et interpersonnelle transcendela difficuté d’acquisition et le plaisir du contrôlesphinctérien.

La prééminence de la pensée sur l’action retrouvéechez les psychasthènes est considérée par lespsychanalystes comme une conséquence de larépression de pulsions agressives.

Pour Janet, la psychasthénie traduisait une fatigue,une « baisse de la tension psychique ».

‚ Évolution et complications

L’évolution vers la classique névrose obsession-nelle, c’est-à-dire la survenue sur une personnalité dece type de véritables obsessions et compulsions estpossible, mais pas du tout obligatoire. Par ailleurs, lestroubles obsessifs-compulsifs, s’ils surviennent plussouvent sur personnalité obsessionnelle, peuventaussi se rencontrer sur d’autres personnalitéspathologiques (voire chez des psychotiques, ce quecertains considèrent comme un mode de « cicatrisa-tion »), ou sur des personnalités normales.

Quelle attitude adopter avec lespersonnalités obsessionnelles ?

Dans sa relation avec le praticien,l’obsessionnel se comporte souventcomme un « bon » malade, décrivantavec précision ses troubles physiquesou psychiques, et observantscrupuleusement les prescriptions.Cependant il lasse parfois son auditeurétouffé par un luxe de détails inutiles,parfois présentés sous forme decahiers d’auto-observation.✔ Chez ces patients les plaintessomatiques ne sont pas rares,notamment autour de la sphèredigestive (constipation chronique,colopathie fonctionnelle...). Il faut segarder de les traiter avec négligence,car une pathologie organique réellepeut toujours exister ou surveniraprès des années de symptomatologiefonctionnelle.✔ L’équilibre est donc difficile entreune démarche de réassurance et debanalisation des troubles et lesinvestigations cliniques etparacliniques nécessaires àl’élimination d’un troubleorganique. Chez ces patients le« nomadisme » médical n’est pasrare et il importe de bien se fairepréciser les bilans antérieurs pouréviter les répétitions inutiles.✔ Si dans le traitement descomplicationsles antidépresseurs et les thérapiescognitivocomportementales sont lesprincipaux recours, le traitement defond des personnalitésobsessionnelles est plutôt lapsychanalyse ou la psychothérapied’inspiration analytique. Leurcaractère organisé et respectueuxdes protocoles peut être un atoutlorsqu’ils acceptent ce type detraitement, mais leur tendance àl’intellectualisation peut à la longuele stériliser en un monologueinterminable et ritualisé surlequel lethérapeute a peu de prise.

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En revanche, il n’est par rare de voir sur lespersonnalités obsessionnelles d’autres complicationscomme des épisodes dépressifs, volontiersmélancoliformes, ou une dépression chronique, del’anxiété, de l ’hypochondrie, ou certainesdécompensations somatiques (ulcère gastrique parexemple).

En dehors de ces complications avérées,l’obsessionnel peut mener une vie relativement stable,souvent monotone et socialement appauvrie. Certains(surtout des hommes) resteront célibataires par craintedes bouleversements que peut entraîner une relationaffective trop proche. Ils trouveront leur équilibre dansdes carrières peu aventureuses où leur perfection-nisme et leur sens de la hiérarchie peuvent êtrevalorisés.

■Personnalité paranoiaque

‚ Description clinique

Elle repose sur quatre traits fondamentaux.■ L’hypertrophie du moi, considérée comme

trouble princeps par les auteurs français mais peu priseen compte dans la description du DSM IV, correspondà la croyance intime du sujet en sa propre supériorité.Elle se traduit par un orgueil démesuré et un méprisdes autres qui font le lit de l’intolérance et dufanatisme, souvent associé au prosélytisme ; ainsi quepar une psychorigidité entraînant une obstinationinébranlable (parfois utile dans l’accomplissement decertains parcours : c’est le cas de certains autodidactes,mais aussi source de souffrance pour l’entourage).

■ La fausseté du jugement. Ces sujets ont tendanceaux interpétations fausses (la limite diagnostique avecle délire est parfois ténue), fonctionnent enpermanence avec des a priori, et sont incapablesd’objectivité bien qu’ils se targuent de logique et derationnalité.

■ La méfiance pathologique, placée au cœur de ladescription du DSM IV, est caractérisée par une attitudesoupçonneuse systématique vis-à-vis d’autrui, vécucomme a priori hostile. Il s’attend à être trompé parson entourage le plus proche, d’où une jalousieinjustifiée envers son conjoint, une réticence à seconfier même à ses amis ou associés, et une tendanceà déformer les évènements et à interpréter les proposen croyant y percevoir des significations cachéesmenaçantes ou méprisantes. Ceci peut confiner audélire de persécution.

■ L’inadaptation sociale découle des traitsprécédents. Le sujet est sans cesse en conflit avec sonentourage professionnel ou familial, et ne reconnaîtjamais ses torts. Sûr de son bon droit, il tient les autrespour responsable de ses échecs, et garde unerancunes tenace lorsqu’il se sent lésé, insulté oudédaigné. Ceci peut installer un cercle vicieux,l’entourage excédé tendant peu à peu à le craindre età le rejeter.

Éthiopathogéniede la personnalité paranoïaque

Selon S Freud, le caractère paranoïaque serait unsystème de défense contre une homosexualité latente,que la conscience rejette comme inacceptable ; lesdésirs inavouables seraient projetés sur autrui donnantnaissance aux sentiments de persécution.

Pour d’autres, la personnalité paranoïaque résulted’une défaillance de l’organisation narcissiqueprimaire, avec fixation prégénitale prépondérante au

stade anal (sous-stade de réjection), ce qui n’est pastrès éloigné de la structure obsessionnelle. En effet, cespersonnalités partagent quelques traits, comme lafroideur ou la rigidité, et les rationnalisations pseudo-logiques du paranoïaque peuvent en imposer pourdes ruminations obsessionnelles ; mais d’autres traitsles départagent, et l’adaptation au réel et aux relationsest tout de même meilleure chez l’obsessionnel.

‚ Formes cliniques

À la suite d’auteurs comme K Schneider ou EKretschmer on peut individualiser certaines formescliniques.

¶ Personnalité paranoïaque de combatElle est caractérisée par sa quérulence. Le sujet,

opiniâtre et fanatique, cherche des querelles et desprocès à tout propos.

¶ Personnalité paranoïaque de souhaitElle correspond à des sujets originaux et isolés

ayant une haute idée d’eux-mêmes, qui défendentune idée ou une cause sans pour autant faire preuvede combativité, et sans qu’il s’agisse d’une causepersonnelle.

¶ Personnalité sensitiveElle est sensiblement différente. Le sujet est aussi en

proie à des interprétations négatives sur lecomportement de son entourage, il se sent facilementvisé, blessé, humilié, mais au lieu de réagir par la lutte,il se replie dans une attitude d’introspectiondouloureuse et dans des ruminations pénibles de sessentiments d’échec. Ces personnalités réservées,volontiers délicates et scrupuleuses, peuvent êtresujettes à des décompensations dépressives délirantesde type délire de relation.

Toutes ces formes cliniques ont en commun unevulnérabilité profonde de la personnalité dissimuléederrière la carapace caractérielle agressive et rigide, quia fait comparer le paranoïaque au « colosse aux piedsd’argile ».

‚ Évolution et complications

Le caractère paranoïaque paraît malheuresementtrès stable dans le temps et très peu sensible aux prisesen charges psychothérapeutiques, qu’il ne recherched’ailleurs pas, voire rejette violemment, le problèmeétant selon lui situé chez « les autres ».

Outre l’inadaptation sociale dont nous avons parléqui perturbe souvent gravement la vie familiale etprofessionnelle, on peut voir des complications à typede procès interminables, voire d’actes médicolégaux àtype d’agressions diverses ou même de meurtres« pour que justice soit faite ».

On peut voir aussi des effondrements dépressifs(pouvant mener au suicide qui est souvent ici autanthétéro- qu’autoagressif) à l’occasion d’échecs, parexemple lorsqu’un entourage familial longtempscompliant ou soumis par la terreur se rebelle ouéchappe. Ces moments sont théoriquement fécondspour tenter une mobilisation thérapeutique de lastructure, mais en pratique, une fois l’épisodesymptomatiquement traité la carapace se refermebien souvent et le sujet redevient inaccessible.

Un véritable délire paranoïaque peut survenir surune personnalité paranoïaque, mais ceci n’a rien desystématique, et dans ces délires d’autres types depersonnalité peuvent s’observer. Parmi ces délires, lepraticien peut être plus particulièrement confronté audélire hypocondriaque dans lequel le patient se croitatteint d’une affection bien précise et est dans unequête inlassable d’un traitement curatif (souvent

chirurgical), dont la mise en œuvre par le médecin, deguerre lasse, n’entraîne généralement que déceptionet revendication.

■Personnalité psychopathique

Appelée aussi personnalité antisociale, ellerecouvre un ensemble d’anomalies du caractère et desconduites à début précoce (avant 15 ans pour le DSMIV) avec non-prise en compte des règles sociales,impulsivité et instabilité, qui n’appartient véritablementni à une structure névrotique ni à une structurepsychotique. Pour certains, elle fait partie du tronccommun des états-limites.

‚ Description cliniqueCe diagnostic paraît plus fréquent, ou peut-être

mieux repéré chez l’homme. Il regroupe les traitsprincipaux suivants

Instabilité et impulsivité

L’instabilité est majeure, donnant à la biographie dusujet une allure bien particulière qui est en-soi unsymptôme. Dès l’enfance ou le début de l’adolescenceon repère des manifestations caractérielles aveccolères explosives, opposition aux adultes et bagarresavec les pairs, le refus de toute discipline et l’absencede persévérance dans l’effort entraînent généralementun échec des apprentissages malgré une intelligencenormale, surtout utilisée de manière concrète. Lecursus scolaire est émaillé de nombreux changementsd’établissements, voire d’une désinsertion scolairetotale avant l’âge légal de fin des études. Leschangements répétés d’orientation (engouementssubits pour une voie tout aussi vite abandonnée) nepermettent en général pas au psychopathe d’acquérir

Quelle attitude adopter avec unepersonnalité paranoïaque ?✔ En pratique le médecin généralistesera sans doute plus souventconfronté au besoin de soutien d’unconjoint ou aux plaintes d’unentourage qu’à la demandethérapeutique du paranoïaque.Celui-ci en revanche pourra l’aborderdans une démarche procédurière dedemande de certificats divers, vis-à-visdesquels il faudra se montrer prudent.Le paranoïaque cherche en effet à sefixer sur une personne et peut seretourner agressivement contre celuiqui l’a déçu, même involontairement.Une attitude neutre et un peu distanteoù le praticien expose d’emblée seslimites est donc recommandée.✔ Il faut cependant se méfier desdiagnostics abusifs de personnalitéparanoïaque portés trop facilement àl’encontre de personnes coléreusesou protestataires, mais qui ont enfait surtout le défaut de ne paspartager les vues ou de se mettre entravers des intérêts de celui qui lesstigmatise ainsi.

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une véritable formation professionnelle ou undiplôme. Sur ce tableau se greffent assez vite desfugues, de la petite délinquance (graffitis, vols demobylettes), voire des passages à l’acte plus graves(agressions, prostitution, toxicomanie, deal) quil’amènent parfois devant le juge pour enfant, à desplacements spécialisés, voire en prison.

À l’adolescence ces troubles du comportementsdeviennent patents ; le service national, lorsqu’il esteffectué, est soit émaillé d’incarcérations et autressanctions disciplinaires pour fugues, rixes, conduitesd’opposition, soit avorté par une réforme précoce.L’instabilité se poursuit chez le jeune psychopatheadulte, qui n’arrive jamais à se fixer durablement dansun cadre déterminé. Bien qu’il dise souvent aspirer àune vie tranquille et confortable, il change sans cessed’emploi, d’activité, de profession, de domicile. Cecitient à son impulsivité qui l’empêche de réfléchir, dedifférer la mise en acte de son inspiration du moment,à son intolérance à la frustration qui l’empêche depersévérer dans ses projets à la première difficultérencontrée, mais aussi à son incapacité à tirer desleçons de l’expérience vécue (il ne comprend pas cequi lui arrive et ne s’y intéresse d’ailleurs pas, ou rejetteses échecs sur les autres, la société). Il vit souvent decombines, en parasitant son entourage, sans rienconstuire, en marge, voire carrément dans l’illégalité.Sa vie affective est aussi instable, émaillée d’aventureset de ruptures. Il est guidé par l’impériosité de sesdésirs, mais leur réalisation ne le satisfait jamais, il veut« tout, tout de suite ». Sans s’en rendre compte, il est enfait très dépendant des autres, et très influençable dansses désirs.

Classiquement, cette instabilité et ces troubles desconduites tendent à régresser avec l’âge, lepsychopathe va peu à peu se « ranger », se calmer.

Agressivité

Elle peut avoir plusieurs dimensions. Il existe uneagressivité verbale et physique qui découle del’impulsivité et de l’intolérace à la frustration. Il s’agitalors d’insultes, de bagarres, de crises clastiques,souvent dans une atmosphère de menace, dechantage ou de vengeance. Dans ce cadre se situentaussi des passages à l’acte autoagressifs (conduites derisque, tentatives de suicide avec souvent auto-mutilations : phlébotomies, ingestion de diversmatériaux piquants ou tranchants). Ces manifestationsagressives sont souvent dramatisées, théâtrales, lepsychopathe emprunte alors des traits auxpersonnalités hystériques et paranoïaques. Lamarginalité est agressivement affichée (stylevestimentaire, coupe de cheveux, tatouages). Onobserve parfois des passages à l’acte beaucoup plusgraves (viols, agressions, ou même meurtres, engénéral peu prémédités).

Dans d’autres cas, l’agressivité est beaucoup plusélaborée. Soutenue par le mépris d’autrui (considérécomme inférieur), et de la société (dont les règles sontrejetées), elle va se manifester par des actes dedéliquance plus réfléchis et structurés (escroqueries,vols prémédités, enlèvements), pouvant revêtir unedimension perverse où le goût de la transgression semanifeste par le plaisir de faire du mal, ou de le fairefaire par d’autres.

Inaffectivité

En apparence le psychopathe est souvent agréableet charmeur. Il est capable de prendre une apparenceconforme à ce qui plaît à l’autre, et de le séduire par undiscours souvent mensonger ; mais contrairement àl’hystérique qui cherche à se faire aimer, lepsychopathe vise des gratifications beaucoup plus

matérielles et immédiates. Une fois obtenu l’argent oul’avantage recherchés, il se désintéresse totalement deson interlocuteur. Les conséquences de ses actes surautrui ne semblent pas générer en lui de sentiments deculpabilité. Il se comporte de manière égocentrique etsuperficielle, ce qui explique la grande instabilité de savie affective. Il change souvent de partenaire par goûtde la nouveauté, refus de l’engagement, mais aussilorsque l’autre n’a plus rien à lui apportermatériellement ou narcissiquement, ou lorsqu’il atrouvé mieux ailleurs. Les troubles des conduitessexuelles ne sont pas rares (sadisme, masochisme,sexualité de groupe, prostitution) mais résultent plusde l’impulsivité et du goût de la provocation que d’unscénario stable, élaboré et contraignant commme chezle véritable pervers sexuel. Ils sont donc plus labiles.Même s’il en parle de manière touchante, il nes’occupe généralement pas de ses enfants, ou defaçon impulsive et très épisodique. Quant aux parentset amis, les relations avec eux sont en généralutilitaires.

AnxiétéL’absence d’anxiété est classique chez le

psychopathe et lui permet parfois une sorted’héroïsme dans des actes de bravade qui effraieraientn’importe qui. Cependant plusieurs études ont montréque l’anxiété n’est pas rare chez le psychopathe, avecsouvent des manifestations somatiques. Mais elletrouve souvent à se résoudre dans des passages àl’acte plus ou moins cathartiques, dans desconversions hystériques, ou dans le recours auxdrogues et à l’alcool. On retrouve aussi une instabilitéthymique à type d’épisodes dysphoriques brefs lorsd’un échec ou d’une rupture, pouvant entraîner destentatives de suicide.

‚ Étiopathogénie de la psychopathieElle reste discutée.Si la classique théorie de la dégénérescence paraît

dépassée, on a cherché des arguments en faveurd’une prédisposition génétique, mais elle reste àl’heure actuelle trop peu étayée.

L’hypothèse d’un dysfonctionnement biologique àl’origine de l’impulsivité est séduisante, mais de peu deportée thérapeutique vu la mauvaise compliance deces sujets.

Parmi les hypothèses psychodynamiques, il fautciter celles qui invoquent une carence du narcissismeprimaire. La carence ou la distorsion des relationsmère-enfant précoces entraîne un déficit destructuration de la personnalité, avec défaut defantasmatisation et absence d’intériorisation desconflits. Les tensions pulsionnelles se résolvent alorsen « court-circuit » par le passage à l’acte, sans recours àla pensée ou au langage.

‚ Évolution et complicationsOn a vu que sur ce terrain les épisodes dépressifs et

les tentatives de suicide (parfois « réussies ») ne sont pasrares, de même que les abus de drogues, psychotropeset alcool, pouvant se compliquer de dépendance,d’overdose, de maladies somatiques (cirrhose,hépatite, sida...). De même, on peut voir des séquellesdes passages à l’acte (accidents, automutilations,défenestrations, bagarres).

Quand les psychopathes ont réchappé à cescomplications on peut, dans les bons cas, voire uneprogressive stabilisation comportementale après latrentaine, le psychopathe trouvant une insertionrelative dans des milieux socioprofessionnelmarginaux.

Enfin des décompensations délirantes brèvespeuvent s’observer chez les psychopathes, soit sous

l’emprise de drogues (pharmacopsychoses) soitlorsqu’ils sont placés dans certaines situationsextrêmes (incarcération par exemple). Ces étatsrégressent vite sous traitement, ce qui les distingue desautres psychoses ; en effet, il faut mentionner d’unepart que la personnalité psychopathique est retrouvéedans certaines études épidémiologiques plusfréquemment présente chez les parents de premierdegré de schizophrènes (suggérant un trait génétiquecommun), et d’autre part l’existence d’une formeclinique de schizophrénie d’allure pseudopsychopathi-que appelée l’héboïdophrénie.

■Personnalités limites

ou « borderline »

Cette catégorie tente de rendre compte del’existence de patients chez qui dominent l’angoisse,l’instabilité, et divers symptômes d’allure névrotique,mais qui se comportent lors des thérapies analytiquescomme des stuctures psychotiques par leursmécanismes de défense et leur mode de décompensa-tion. Ils semblent donc se situer à la « frontière » de lanévrose et de la psychose, d’où le terme de borderline.

‚ Description cliniqueLe tableau clinique est hétérogène et polymorphe.

Les traits les plus constants sont les suivants.

Angoisse

Elle est diffuse, constante, envahissante. Il ne s’agitni d’une angoisse névrotique banale, ni d’uneangoisse de morcellement schizophrénique, mais d’unsentiment de vide, de manque, qui, associé à uneperturbation du sens de l’identité (incapacité à établirune image de soi stable et nuancée), entraîne undéfaut de la cohérence interne qui donne un sens à lavie. Les crises d’angoisses aigües sont fréquentes,souvent accompagnées de dépersonnalisation. Laprésence d’une personne attentionnée aideconsidérablement à la résolution de ces crises. Demême, ces patients sont souvent déstabilisés parl’entretien médical ou psychiatrique, maiscontrairement aux psychotiques, ils sont très sensiblesà la réassurance et se « restructurent » en coursd’entretien. C’est pourquoi ils sont si vulnérables auxséparations et abandons qu’ils tentent désespérémentd’éviter. Ils tentent de compenser leur perturbation du

Quelle attitude adopter avec unpsychopathe ?✔ En dehors des milieux carcérauxl’instabilité majeure du psychopathemet en échec les psychothérapies,déjà compromises par le manqued’introspection et les tendancesprojectives du psychopathe.✔ On ne peut que répondre au couppar coup et de façon symptomatiqueà leurs demandes thérapeutiques, ense gardant d’être manipulé. Enpratique par exemple on évitera deprescrire des produits entraînant unepharmacodépendance, ou risquantd’être détournés de leur usage (pourl’anxiété par exemple, on préfèrerade petites doses de neuroleptiquessédatifs aux benzodiazépines).

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sens de l’identité par l’emprunt de personnalitésfactices, ils s’essayent à paraître normaux mais cettefausse image reste une façade derrière laquelle secachent les angoisses et l’inconsistance de lapersonnalité. Pour décrire cela on a proposé les termesde personnalité « as if » c’est à dire « comme si », destructuration en « faux-self ».

Instabilité et impulsivité

Elles sont quasi constantes, avec facilité du passageà l’acte. La biographie de ces patients comportesouvent de nombreuses ruptures sentimentales, engénéral mal tolérées, l’insertion socioprofessionnelleest fragile. Divers symptômes et comportementsdécoulent de ce trait, comme les conduites de risque,les gestes suicidaires et automutilatoires, les dépensesinconsidérées, la kleptomanie, la boulimie, latoxicomanie, l’alcoolisation souvent intermittente maisparfois massive, les fugues, les conduites sexuellesmarginales et dangereuses. Ce trait rapproche lesborderlines des psychopathes, mais il existe desdistinctions cliniques. En effet, même si le borderline nepeut s’empêcher de passer à l’acte, il est a posteriori endésaccord avec sa conduite qu’il critique et regrette. Ilparaît en un mot plus doué de sens moral que lepsychopathe. Il exprime des sentiments de culpabilitéet de dégoût de soi, ce qui n’empêche malheureuse-ment pas les récidives. Ceci est néamoins importantcar ces sentiments peuvent être travaillés dans le cadred’une psychothérapie pour essayer de briser le cerclevicieux de la répétition, alors que ce n’est pas possiblechez le psychopathe.

Mode de relation à autrui

Il est caractérisé par son instabilité, mais aussi par lamassivité des affects. Ces patients oscillent entrel’idéalisation extrême et la dévalorisation, celui qui lesa déçu choit comme une idole de son piédestal.Contrairement à l’instabilité relationnelle del’hystérique ou du psychopathe, ces revirements et cesruptures sont sources de souffrance profonde au pointde remettre en cause l’existence même. Ces patientsn’ont en fait pas d’autonomie psychique, incapablesde supporter la solitude, ils sont en quête d’unerelation de complétude parfaite, voire de fusion, qui estsans cesse déçue.

Dysphorie

Ces patients ressentent en permanence dessentiments de désespoir, d’impuissance, de vide,d’ennui, mais aussi de rage, de colère qu’ils ont du malà contrôler. De véritables décompensationsdépressives ne sont pas rares, ainsi que le suicide.

Symptômes névrotiques

Ils sont fréquents, mais généralement multiples etchangeants. On peut voir ainsi des phobies, dessymptômes de conversion, des préoccupationshypocondriaques ou obsessionnelles (mais avec peuou pas de lutte anxieuse). Contrairement aux névrosesstructurées, le patient limite passe d’un symptôme àl’autre sans se fixer.

‚ Étiopathogénie des états-limitesDivers auteurs, psychanalystes en général, se sont

penchés sur la signification et la genèse de cestroubles. Pour Kernberg, les états limites correspon-dent à une véritable organisation de la personnalité,caractérisée par le recours à certains mécanismes(plutôt psychotiques) de défense comme le clivage,l’idéalisation, l’identification projective, le déni. Pour luices troubles sont liés à des frustrations précocesextrêmes, et s’accompagnent toujours de pulsions

agressives intenses. Pour Bergeret, ces mécanismesseraient mis en place pour lutter contre une angoissedépressive de perte d’objet, d’abandon. D’autresauteurs soulignent la fréquence des abus sexuels subisdans l’enfance par ces patients.

‚ Évolution et complications

Outre les décompensations anxieuses, dépressives,les passages à l’acte et les complications qui peuventen résulter, on peut voir chez ces patients, à l’occasionde stress, des décompensations psychotiques aiguës etbrèves à type de délire persécutif, ou des symptômesdissociatifs sévères. L’évolution permettra le diagnosticdifférentiel car en période aiguë on peut prendre cespatients pour des schizophrènes.

■Personnalité narcissique

Rangée par certains avec les borderlines, d’autresles distinguent, comme le DSM IV qui soulignecependant leur association fréquente chez un mêmepatient. Dans sa forme typique et pure la personnaliténarcissique regroupe les critères suivants.

Image mégalomaniaquede sa propre personne

Elle est aussi appelée Soi-grandiose. Le sujet a lesentiment d’être exceptionnel (sans que sesréalisations ne viennent véritablement soutenir cetteidée), il pense que ses problèmes personnels sontuniques et qu’il ne peut être compris que par des gensspéciaux et de haut niveau. Il a le sentiment d’avoirdroit à des traitements de faveur, pense que tout lui estdû, et s’attend à ce que ses désirs soient automatique-ment satisfaits. Cela lui donne volontiers un abordarrogant ou hautain.

Besoin excessif d’être reconnu et admiré

Ce besoin recouvre en fait une vulnérabilité de lapersonnalité avec estime de soi fragile et fluctuante. Sesrêveries sont envahies de préoccupations de succès etde gloire, de pouvoir, de beauté ou d’amour idéal.

Relations avec les autres

Ses relations avec les autres sont marquées par lemanque d’empathie, c’est-à-dire la difficulté à semettre à leur place pour leur venir en aide. Il atendance à exploiter plus ou moins consciemment lesautres pour servir ses propres fins, il est envieux de ceque les autres sont ou possèdent et a tendance à croireque les autres l’envient.

Dans sa forme pure, isolée, la personnaliténarcissique est souvent bien adaptée sur le plan socialet présente peu de symptômes psychiatriques, surtoutquand ses capacités intellectuelles, ses donspersonnels ou les hasards de sa naissance et de lafortune la place dans une situation enviable qui vientconforter et alimenter sa mégalomanie. Cependant safragilité se révèle en situation d’échec ou de déception,et l’on voit survenir des réactions violentes de colère etde rage destructrice. La décompensation dépressiveest beaucoup plus rare que chez le borderline grâce àla mise en jeu de défenses projectives (la faute estrejetée sur les autres).

Cette personnalité se rapproche de la personnalitéborderline comme on l’a vu, de la personnalitéhistrionique par son côté exhibitionniste, de lapersonnalité paranoïaque par sa surestimation de soiet ses tendances projectives. Elle semble pourtantdevoir être individualisée, car elle correspond bien àdes observations cliniques non exceptionnelles.

‚ Étiopathogéniedes personnalités narcissiques

Pour Kernberg ces personnalités partagent avec lesborderlines une origine commune dans desfrustrations précoces extrêmes qui font le lit de lacarence narcissique, mais elles s’en distinguent par laconstitution du Soi-grandiose qui n’est pas présent oude manière trop intermittente chez les borderlines.

■Personnalité schizoïde

Elle caractérise un mode particulier de relationsaffectives et sociales, caractérisé par le détachement, leretrait, et la pauvreté des expressions émotionnelles.

■ Le sujet ne paraît ni apprécier ni rechercher lesrelations amicales, amoureuses, sexuelles oufamiliales.

■ Il a peu de centres d’intérêt et se cantonne à desactivités solitaires.

■ Il semble indifférent aux éloges comme à lacritique, et paraît froid, distant, et peu adapté dans soncontact.

Quelle attitude adopter avec unétat-limite ?✔ La relation thérapeutique avec cetype de malades est généralementdifficile. Le médecin peut être« choisi » par un patient qui val’idéaliser massivement après unpremier contact où il aura appréciéla chaleur et la disponibilité dumédecin. Mais il peut soudainementle « désidéaliser » à la suite d’unepetite frustration (retard, report derendez-vous, refus d’un médicamentde « confort », d’un arrêt de travailpeu justifié...).Il sera souvent long et difficile depasser le relais au psychiatre car lepatient peut vivre cela comme un rejet.✔ Sur le plan thérapeutique ondistinguera le traitementsymptomatique des épisodes aiguspar antidépresseurs, neuroleptiques,ou anxiolytiques, en se méfiant desrisques d’abus et de dépendance ; dutraitement « de fond » qui repose surles psychothérapies. Ces patientspeuvent souvent tirer profit dethérapies analytiques, mais la curetype est en général tropcontraignante au regard de leurinstabilité, et susceptible deprovoquer des décompensationspsychotiques vu la massivité dutransfert. Le psychothérapeute devradonc aménager le cadre de la priseen charge (thérapie en face à face,ou techniques particulières comme lepsychodrame analytique).

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Cette attitude évoque le repli autistique duschizophrène, d’autant que lorsqu’on parvient à entreren relation de confiance avec ces sujets, on s’aperçoitque leur pauvreté relationnelle contraste souvent avecune richesse de leur vie imaginaire dont le contenu estplutôt original, fait de pensées abstraites, mystiques oumétaphysiques. Cependant le schizoïde ne présente ni

délire ni trouble formel de la pensée ou trouble patentdu comportement, ce qui le distingue du schizophrène.

Dans le DSM IV est aussi individualisée unepersonnalité schizotypique, caractérisée par un retraitsocial et surtout des croyances bizarres, une penséemagique, des idées de référence (non délirantes) etune tendance à se sentir persécuté, des perceptions

inhabituelles, et un comportement excentrique. Bienque rangée parmi les troubles de la personnalité, cettepathologie pourrait correspondre à une formemineure de schizophrénie.

■Personnalité évitante

Comme la précédente elle est caractérisée par unretrait social, mais celui-ci est source de souffrancesubjective et non fruit de l’indifférence. Ce retrait estsous-tendu par le sentiment de ne pas être à la hauteuret la crainte du ridicule et de la désapprobationd’autrui. En langage courant cette personnalité seprésente comme d’une timidité exacerbée, et entraveconsidérablement les capacités de réalisation socialeset professionnelles du sujet. Elle n’ose ni prendre derisques ni se mettre en avant et laisse ainsi passer desopportunités dont elle a conscience. Sur le plan amicalet affectif, sa crainte du rejet et de la critique l’empêchede s’impliquer à moins de garanties importantes sur lasolidité du lien.

Cette catégorie diagnostique pose des problèmesde frontière avec la phobie sociale, rangée parmi lestroubles anxieux ; pour le DSM IV les deux diagnosticspeuvent coexister même si cela paraît redondant.

La prise en charge thérapeutique repose surtout surdes thérapies cognitivocomportementales de typeaffirmation de soi, mais certains antidépresseurs sontpréconisés dans la phobie sociale.

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,service de psychiatrie du Professeur Chevalier, centre hospitalier de Versailles, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Troubles de la personnalité.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0180, 1998, 8 p

R é f é r e n c e s

[1] CIM-10/ICD 10. Classification internationale des troubles mentaux et destroubles du comportement. Paris : Masson, 1993 : 1-305

[2] Debray Q. Le psychopathe. Nodules.Paris : PUF, 1981 : 1-79

[3] Guelfi JD, Boyer P, Consoli S, Olivier-Martin R. Psychiatrie. Paris : PUF,1987 : 1-996

[4] Hardy-Bayle MC. Le diagnostic en psychiatrie. Paris : Nathan, 1994 : 1-127

[5] Kernberg O. Les troubles limites de la personnalité. Paris : Privat, 1979 :1-287

[6] Kernberg O. La personnalité narcissique. Paris : Privat, 1980 : 1-191

[7] Lempérière T, Féline A. Psychiatrie de l’adulte. Paris : Masson, 1977

[8] MINI-DSM IV. Critères diagnostiques (Washington DC 1994). Traductionfrançaise par Guelfi JD et al. Paris : Masson, 1996 : 1-384

Quelle attitude adopter avec une personnalité narcissique ?✔ La relation médecin-malade avec ces patients ne pose pas trop de problèmesquand la demande reste centrée sur une pathologie organique, ce sont simplementdes patients exigeants qui s’attendent à être traités avec égards et risquent derompre la relation s’ils s’estiment déçus.Les adresser au psychiatre est souvent plus problématique et ne peut être tenté que sil’on sent une demande réelle.✔ En effet, sur le plan psychothérapeutique la prise en charge est difficile car cespersonnalités pensent rarement trouver un thérapeute à leur hauteur. De plus, endehors des épisodes d’échecs, la souffrance subjective est faible ou absente etl’« insight » pauvre. Il arrive que ces personnes fassent une demande de cureanalytique mais le propos en est plus un renforcement narcissique par la possibilitéd’acquérir une position d’analyste vécue comme instrument de pouvoir et dereconnaissance, qu’une véritable demande d’aide et de soin. Selon Kernberg il nefaut pas a priori rejeter ces demandes car des possibilités d’évolution etd’aménagement plus névrotiques existent, mais il faut pouvoir déceler tôtl’organisation narcissique afin de les adresser à des thérapeutes rôdés à ce type depersonnalité.

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Page 82: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Troubles de l’humeur

Cédric Zeitter

■Introduction

Les troubles thymiques, ou troubles de l’humeur,comprennent l’ensemble des perturbations del’humeur rencontrées en pathologie psychiatrique.On distingue essentiellement deux types de troubles,en fonction de la polarité de l’humeur : la manie et ladépression. Si l’état maniaque pose peu deproblèmes en matière de diagnostic, et dedélimitation dans le champ psychiatrique (il s’intègreen règle générale dans un trouble bien identifié : lamaladie maniacodépressive ou trouble bipolaire), iln’en est pas de même pour l’état dépressif. Laclassique dichotomie psychogène (dépressionsnévroticoréactionnelles) - endogène (maladiemaniacodépressive uni- ou bipolaire) desdépressions est actuellement rediscutée, et denouvelles entités sont décrites, qui posent desquestions sur le plan des limites entre normal etpathologique, entre personnalité et maladie, sur lesplans de l’étiologie, de la pathogénie, des rapportsentre les différentes formes de dépression, et entrel’anxiété et la dépression : dépressions brèvesrécurrentes, dépressions subsyndromiques, troublesmixtes anxiodépressifs.

Cependant, un consensus se dégage pourindividualiser deux formes principales dedépression : la dysthymie, forme chronique dedépression d’intensité moyenne, et l’épisodedépressif majeur. Ces deux formes font partie desmaladies de l’humeur, ont un déterminismebiologique au moins partiel, et réagissent autraitement antidépresseur.

Un bref historique des conceptions permettrad’éclairer les discussions actuelles sur les tentativesde délimitation du champ des troubles de l’humeur.

■Historique

Falret et Baillarget, vers le milieu du XIXe siècle,sont parmi les premiers à accorder aux troubles del’humeur une place particulière dans la nosographiedes troubles mentaux, en individualisant commeexpression d’une maladie distincte la successiond’états maniaques et dépressifs.

Kraepelin, à la fin du siècle dernier, décrit lapsychose maniacodépressive, en s’appuyantessentiellement sur ses caractéristiques évolutives,qui la différencie des autres formes de psychose, eten particulier de la schizophrénie, pour laquelle il

considère que l’élément diagnostique principal estl’évolution progressive vers un état déficitaire.

Le concept de « psychose unique » est ainsi battuen brèche, et Kræpelin établit une distinction entreles psychoses non thymiques, schizophrénie etparanoïa, d’évolution chronique, et vers unedétérioration terminale des fonctions intellectuellespour la schizophrénie, et la psychose maniacodé-pressive, caractérisée par une évolution par accèsavec restitution intégrale entre les accès, sansaffaiblissement progressif.

Kræpelin individualise ainsi un groupe de troublesde l ’humeur, dits « endogènes », et dontl’« endogénicité » repose sur deux critères principaux :le cours autonome et l’évolution périodique desaccès. Cependant, il reconnaît en 1913 ledéclenchement possible d’accès de la maladie pardes facteurs psychoenvironnementaux. Le seulcritère distinctif reste alors celui de la périodicité oudes récurrences, qui par définition ne peut êtreobtenu qu’après plusieurs accès. Certains auteurs ontnéanmoins cherché à déterminer des critèressymptomatiques d’endogénicité, qui permettraientde différencier dès le premier accès un état dépressifendogène d’une dépression psychogène : intensitéde la symptomatologie dépressive, qualitéparticulière de l’humeur, anhédonie, ralentissement,symptômes somatiques (asthénie, anorexie, perte depoids, insomnie, fluctuations nycthémérales de lasymptomatologie).

La psychanalyse introduit une distinction entredépress ions névrot iques et dépress ionsréactionnelles, reposant sur le caractère actuel ounon de l’événement psychologique qui estresponsable de la dépression. Ces deux formes sontcependant souvent associées et regroupées endépressions psychogènes.

Deux groupes de dépressions sont doncdistingués : dépressions endogènes (PMD etdépressions récurrentes) , et dépressionspsychogènes, cette distinction étant actuellementcontroversée, les éléments symptomatiquesévoqués ci-dessus ne permettant pas de valider cettedistinction.

Les classifications psychiatriques récentes du DSMIV (anglo-américaine) et de la CIM10 (européenne)reflètent assez fidèlement les conceptions actuellesdes troubles de l’humeur. Ces classifications reposentsur la notion de « troubles », définis par l’associationd’un certain nombre de critères objectifs :symptômes, durée, retentissement.

Elles distinguent essentiellement deux types detroubles dépressifs : l’épisode dépressif majeur, et ladysthymie. La distinction repose sur des critères

d’intensité (moindre pour la dysthymie), mais surtoutsur des critères de durée et d’évolution. L’anciennepsychose maniacodépressive est qualifiée « troublebipolaire », et séparée de la forme unipolaire, le« trouble dépressif récurrent ».

Bien que le statut de la dysthymie soit discuté(névrose à expression dépressive, trouble de lapersonnalité, trouble atténué de l’humeur), ladistinction dépression endogène-psychogènen’apparaît plus. Les dépressions « réactionnelles »peuvent pour beaucoup d’entre elles être inclusesdans le groupe des « troubles de l’adaptation », et nesont donc pas systématiquement considéréescomme un trouble spécifique de l’humeur.

■Épidémiologie des troubles

de l’humeur

‚ Généralités

Il existe une certaine hétérogénéité des résultatsd’enquête, liée probablement à des différencesméthodologiques : variabilité des critères dediagnostic, des instruments utilisés pour le recueildes données, défauts de représentativité deséchantillons. Cependant, les études les plus récentesen population générale, s’appuyant sur desentret iens standardisés et des systèmesdiagnostiques internationaux, permettent unemeilleure comparaison de ces données, et montrentde manière consensuelle une prévalence élevée dela dépression. Cette prévalence est au troisième rangdes troubles mentaux, derrière les troublesphobiques, et l’abus ou la dépendance alcoolique, etéquivaut à celle des troubles anxieux.

Pour les épisodes dépressifs majeurs (EDM), sur 1an, elle tourne autour de 3 %, avec un rapportfemmes / hommes de 2/1. La prévalence dans uneétude française récente est de 6 % pour les femmeset 3,4 % pour les hommes.

Sur la vie, elle se situe entre 5 % et 10 % selon lesétudes, l’étude française donnant là encore deschiffres élevés, avec 10,7 % pour les hommes et22,4 % pour les femmes.

Pour la dysthymie, la prévalence sur la vie entièrese situe entre 2 et 4 %.

En résumé, si l’on prend en compte l’ensembledes syndromes dépressifs, on peut considérer que ladépression va concerner au cours de son existence,entre un sujet sur dix et un sujet sur cinq.

La prévalence du trouble bipolaire sur la vieentière qui se dégage des différentes études estd’environ 1 %.

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‚ Facteurs sociodémographiques

Sexe

L’ensemble des études montre une prédomi-nance féminine de la dépression avec un sex ratiode 2/1. Si certains facteurs comme unereconnaissance plus facile des symptômes chez lafemme, un recours aux services de soins plus aiséont pu être évoqués pour expliquer cette différence,des études ont montré qu’ils n’étaient pas à l’originede cette surmorbidité. Les facteurs génétiques etendocriniens ne le seraient pas davantage, mais lesfacteurs psychosociaux pourraient jouer un rôle, unprofil à haut risque dépressif se dégageant ainsi chezles femmes de classe ouvrière, au foyer, et gardantdes enfants.

Âge

Les EDM sont plus fréquents chez l’adulte jeune(18 - 44 ans), alors que la dysthymie montre un picaux âges moyens (45 - 64 ans), particulièrementchez la femme.

Statut marital

Le mariage jouerait, chez les hommes, un rôleprotecteur par rapport à la dépression, ce qui n’estpas le cas chez la femme dans la mesure où lesfemmes célibataires (jamais mariées) ont les taux deprévalence les plus bas. Les taux les plus élevésconcernent les sujets veufs, séparés, divorcés.

Niveau socio-économique

Il n’y aurait pas de relation entre dépression etniveau social défavorisé. L’augmentation deprévalence retrouvée dans quelques études pour cessujets pourrait être liée à une insuffisance de prise encharge, facteur reconnu de chronicisation destroubles dépressifs.

Facteurs ethnoculturelsLes EDM seraient plus fréquents en zone rurale.Les pays du sud-est asiatique ont des taux de

prévalence bas (Taïwan et Corée), tant pour les EDM,le trouble bipolaire, que pour la dysthymie.

■Clinique et évolution

des accès thymiques

‚ Clinique de la dépression

Elle est décrite au chapitre consacré auxsyndromes dépressifs. Rappelons toutefois quel’identification d’un syndrome dépressif pâtit souventde l’existence de deux idées préconçues concernantla dépression :

– le sujet déprimé est triste ;– la dépression survient à la suite d’un

événement douloureux.Si la tristesse est effectivement un élément du

diagnostic de dépression, elle ne suffit pas à poser cediagnostic, et peut en outre être absente. Un sujetpeut être triste sans être déprimé, pour des raisonscontextuelles tout à fait légitimes. La tristesse dudéprimé revêt quant à elle certaines caractéristiquesparticulières, qui la font qualifier de tristessepathologique.

À l’inverse, un sujet déprimé peut ne pas exprimerde tristesse, mais éprouver une anesthésie desaffects, tout autant caractéristique de l’humeur dudéprimé.

L’existence d’un événement pouvant expliquerune tristesse ne constitue pas un argument en faveurd’une dépression. Un deuil, une séparation, uneperte d’emploi sont source de tristesse chez unindividu, qui peut présenter des symptômes dedépression sans pour autant être déprimé au senspsychiatrique du terme.

En revanche, de telles circonstances sontpourvoyeuses de dépressions authentiques, (le deuilest l’événement de vie le plus souvent retrouvé dansles mois précédant l’apparition d’un syndromedépressif) avec un risque de méconnaissance de telsétats, pouvant être considérés à tort comme desréactions « normales » à un événement douloureux.

Ainsi, du fait d’un risque majeur d’erreursdiagnostiques, tant par excès que par défaut, il estimpératif d’avoir recours à des critères objectifs etconsensuels permettant de poser un diagnostic dedépression.

La nosographie psychiatrique actuelle, dans lesclassifications internationales (européenne - CIM10 -et américaine - DSM IV -), distingue en matière dedépression deux types de troubles : EDM, et ladysthymie.

L’EDM se caractérise par une certaine sévérité dessymptômes dépressifs, une permanence de ceux-cid’un jour à l’autre pendant au moins 15 jours. Ledébut est souvent brusque et la récupération debonne qualité dans la majorité des cas, à la faveurdu traitement.

La dysthymie est une forme de dépressiond’intensité moindre, où les symptômes varient d’unjour à l’autre, pouvant être totalement absentspendant plusieurs jours, mais dont la caractéristiqueessentielle est une évolution chronique, d’au moins2 ans.

Les formes cliniques de dépression ont étédétaillées dans le chapitre sur le syndrome dépressif.

‚ Modalités évolutivesdes troubles dépressifs

La caractéristique évolutive majeure des troublesdépressifs est la tendance à la récidive. Après unpremier épisode dépressif, le taux de récidive estestimé à 50 % dans les 2 ans, et à 80 % sur la vieentière.

Les modalités évolutives sont détaillées dans lafigure 1.

Au total, on obtient :– 30 % d’EDM (états dépressifs majeurs) isolés ;– 40 % d’EDM récurrents ;– 10 % d’EDM récurrents avec symptômes

résiduels (double dépression) ;– 20 % d’évolutions chroniques.

‚ Clinique des états maniaques

La sémiologie des états maniaques a été décriteau chapitre des états d’excitation. Les élémentsprincipaux du diagnostic sont rappelés ici.

Formes cliniques des accès maniaques

¶ Formes symptomatiques

Accès hypomaniaqueL’accès hypomaniaque représente une forme

atténuée de manie, où le nombre et l’intensité dessymptômes sont moindres. Le retentissement surl’environnement du sujet est moindre et peut parfoisêtre positif. Le sujet hypomane est un sujet jovial,plein d’humour mais parfois sarcastique,dynamique, qui ressent un bien-être, une grandeénergie, et une augmentation de ses performancesintellectuelles et créatrices. L’estime de soi estaugmentée, l’optimisme souvent démesuré. Le sujetpeut là aussi se lancer dans de multiples projets, dontla plupart ne vont pas être menés à leur terme, mais,dans certains cas, l’hypomanie est productive(certains artistes de renom ont ainsi créé des œuvresadmirables à l’occasion de telles périodes). En étathypomaniaque, le sujet peut paraître tout à faitnormal aux yeux d’un interlocuteur inconnu, dans la

ÉPISODE DÉPRESSIF MAJEUR

20 % 80 %

CHRONICITÉ GUÉRISON

50 %

RECHUTES

75 % 25 %

RÉMISSIONCOMPLÈTE

RÉMISSIONINCOMPLÈTE

1 Modalités évolutives d’un épisode dépressif.

Principaux élements du diagnosticd’un accès maniaque

✔ Humeur expansive, euphorique.✔ Excitation motrice.✔ Excitation intellectuelle.✔ Signes somatiques :– insomnie ;– perte de poids ;– hypergénésie (augmentation de lalibido) ;✔ Rupture par rapport aufonctionnement antérieur.

7-0160 - Troubles de l’humeur

2

Page 84: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

mesure où il garde une certaine capacité de contrôlesur ses troubles. L’aide au diagnostic viendra alorssurtout de l’entourage, qui peut ressentir unépuisement à côtoyer au quotidien un sujet aussidébordant d’énergie, et surtout qui aura pu constaterune rupture par rapport au fonctionnement habitueldu sujet.

Manie délirante

Plus de la moitié des patients présentant unépisode thymique dans le cadre d’un troublebipolaire ont des idées délirantes, et environ 25 %ont des hallucinations.

Dans le cadre de l’accès maniaque, il s’agitessentiellement d’idées de grandeur, mégaloma-niaques, d’idées religieuses ou mystiques où le sujets’attribue un rôle central messianique, d’idées defiliation grandiose. Les mécanismes délirants sontsurtout d’ordre imaginatif, sans constructiondélirante très élaborée. Des thèmes de persécutionsont parfois rencontrés, les persécuteurs venant faireobstacle à la réalisation des projets ou missions dupatient.

Les hallucinations sont le plus souvent auditives,acousticoverbales, parfois intrapsychiques, et leurcontenu en rapport avec les préoccupationsdélirantes (voix divines guidant le sujet dans samission, syndrome d’influence associé à unethématique persécutive).

La manie délirante requiert un traitement enurgence et une hospitalisation.

Manie furieuse

L’agitation et l’agressivité dominent le tableau, lesujet est menaçant, s’attaque aux objets et auxpersonnes, perd tout contrôle. L’hospitalisations’impose et est réalisée sous contrainte, le patient nepouvant dans ce cas donner son consentement auxsoins (hospitalisation d’office ou à la demande d’untiers).

Manie stuporeuse

Cette forme se caractérise par une sidération, liéeà l’impossibilité pour le sujet de mettre en action lesmultiples projets, tant au niveau du discours que ducomportement. Elle fait partie pour certains auteursdes états mixtes. La sismothérapie est indiquée.

¶ Formes évolutives particulières

Manie de deuil

Un épisode maniaque peut survenir au décoursd’un deuil, et représenter un nouvel accès dans lecours évolutif d’une maladie maniacodépressivedéjà connue, ou l’épisode inaugural d’entrée danscette maladie. Le traitement est celui d’un accèsmaniaque typique, auquel s’ajoutera une approchepsychothérapique afin de favoriser le travail de deuiln’ayant pu s’effectuer en raison de la survenue del’épisode psychopathologique.

Formes saisonnières

D’une manière générale, on décrit unerecrudescence des troubles thymiques auxintersaisons. Ainsi, les épisodes dépressifs sont plusfréquents en automne, tandis que les épisodesmaniaques se déclenchent fréquemment auprintemps.

‚ Évolution des accès maniaques

L’accès maniaque signe l’entrée dans la maladiemaniacodépressive (la réserve concernant lesmanies secondaires est discutée au chapitre desétats d’excitation), et son évolution sera traitée aveccelle des troubles bipolaires.

‚ Clinique des états mixtes

Les états mixtes ont été décrits dès le début dusiècle par Kræpelin, qui en distinguait six types, enfonction de l’association des symptômes thymiques,moteurs, et anxieux. Les critères de définition sontactuellement variables d’une classification à l’autreet discutés. Il ressort des études, probablement enraison du manque d’uniformité des critères dedéfinition, une prévalence variant de 5 à 70 %d’états mixtes dans les troubles bipolaires.

Classiquement, il s’agit d’états où coexistent oualternent rapidement (en quelques heures) dessymptômes maniaques et des symptômesdépressifs. Le DSM IV impose la présence simultanéedes critères nécessaires pour porter les diagnosticsd’épisode dépressif majeur et d’épisode maniaque.

On différencie les états mixtes des états évolutifsd’un accès maniaque ou dépressif en traitement, oùpeuvent coexister des symptômes des deux lignées,à l’occasion d’un virage de l’humeur, où lessymptômes s’améliorent ou changent de polarité defaçon séquentielle. On les différencie également desformes à cycles rapides, où peuvent alterner defaçon rapprochée (sur quelques jours parfois) desépisodes maniaques et dépressifs francs.

Cliniquement ces sujets se présentent souventcomme très anxieux, agités, avec de grossesdifficultés de concentration et d’attention, unetachypsychie, une humeur labile pouvant passerrapidement de la douleur morale à l’euphoriemorbide, et des contenus de pensée alternant idéesde catastrophe, d’indignité, et mégalomanie. Lesidées de suicide sont très fréquentes, et l’anxiété etl’agitation de ces sujets leur confèrent un potentielsuicidaire majeur. L’hospitalisation est indispensable.

■Trouble bipolaire, maladie

maniacodépressive, troubles

thymiques primaires

‚ Introduction

Le trouble bipolaire correspond à l’anciennepsychose maniacodépressive définie par Kræpelin,rebaptisée maladie maniacodépressive, afin d’éviterune ambiguïté liée au terme de psychose. Cespatients, en dehors des accès thymiques, ont en effetun fonctionnement psychique tout à fait normal, etne peuvent être qualifiés de psychotiques, avec ceque ce terme introduit d’une altération du contactavec la réalité.

La conception kræpelinienne de la maladiemaniacodépressive repose essentiellement sur descritères évolutifs qui la distingue de la démenceprécoce ou schizophrénie :

– évolution par accès avec intervalles libres debonne qualité ;

– absence de détérioration intellectuelleterminale.

Les définitions actuelles reposent également surla récurrence d’accès thymiques. On distingue lesformes unipolaires (accès récurrents uniquement depolarité dépressive), des formes bipolaires (présenced’au moins un accès maniaque). La récurrence estdéfinie à partir de la survenue du deuxième accèsthymique. Les classifications actuelles (CIM 10 etDSM IV) distinguent alors le trouble bipolaire (unaccès maniaque plus un autre accès thymique), dutrouble dépressif récurrent (au moins deux épisodesdépressifs majeurs sans accès maniaque).

Récurrence, forme des accès, symptômesintercritiques sont les éléments principauxpermettant de caractériser les différentes formes detroubles thymiques primaires.

Deux positions s’affrontent actuellement, autourde la question de la nature de ces troublesthymiques. Dans une première conception, lesformes dépressives pures sont d’une naturedifférentes que celles où sont présents des accèsmaniaques. Dans la seconde (conception unitaire),l’ensemble des troubles thymiques primaires sont demême nature. Les études s’attachant à cettequestion tentent essentiellement d’apporter desarguments expérimentaux en faveur ou en défaveurd’une distinction entre formes unipolaires et formesbipolaires de la maladie maniacodépressive.

La distinction entre formes bipolaires (BP) etunipolaires (UP) repose sur les critères suivants :

– hérédité plus « chargée » pour les BP, ethomotypie (transmission plus fréquente de la mêmeforme d’une génération à l’autre) ;

– concordance des jumeaux monozygotes parrapport aux dizygotes plus élevée pour les BP ;

– sex ratio de 1 pour les BP, prédominanceféminine pour les UP ;

– âge de début plus précoce des BP ;– nombre d’épisodes plus élevé pour les BP ;– durée des épisodes plus courte pour les BP ;– handicap social plus important pour les BP ;– taux de divorces plus élevé pour les BP ;– meilleure réponse au lithium des BP.Certains auteurs remettent donc en question cette

distinction, et considèrent que les formes BP et UP

Formes évolutives des troublesthymiques primaires

✔ Épisodes dépressifs uniques.✔ Épisodes maniaques uniques(exceptionnels).✔ Dépressions récurrentes (MMDunipolaire).✔ Épisodes maniaques récurrents(formes monopolaires,exceptionnelles).✔ Récurrences d’accès dépressifs etmaniaques (MMD bipolaire).✔ Dépression récurrentes avec accèshypomaniaques.✔ Dépressions récurrentes avechypomanie intercritique.✔ Dépressions récurrentes avecdysthymie (formes chroniques).

Troubles de l’humeur - 7-0160

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Page 85: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

relèvent d’un déterminisme commun. Lesdifférences évoquées plus haut entre ces formespourraient s’expliquer par d’autres facteurs qu’unepathogénie différente. En particulier, le taux dedivorces plus élevé des BP, le handicap social plusimportant pourraient relever d’une tolérance del’entourage moins grande pour les accès de typemaniaque, et seraient donc à interpréter comme desconséquences de la polarité et non comme desvalidateurs externes d’une différence de pathogénie.L’âge de début plus précoce, le nombre plus élevéd’épisodes des BP pourraient être en rapport avecune sévérité, une gravité accrues de la forme BP,forme plus sévère d’une même maladie. La gravitépourrait elle-même être le résultat d’une plus grandepénétrance dans la forme bipolaire des gênesimpliqués, expliquant le « poids génétique » plusimportant des BP, révélé par la concordance desjumeaux monozygotes, le sex ratio, et l’héréditéfamiliale.

Des études restent à mettre en place, notammentfamiliales et prospectives sur du long terme.

Certains patients, au cours de l’évolution dutrouble, vont « changer » de forme. Unipolaires, ilsvont présenter un accès maniaque et devenir ainsibipolaires. On les appelle les faux ou pseudo-unipolaires. Leur taux parmi les unipolaires estestimé à environ 20 %, chiffres assez constants dansles études.

Des « critères de bipolarisation » ont étérecherchés, permettant de prédire l’évolution d’untrouble unipolaire vers un trouble bipolaire.

‚ Évolution du trouble bipolaire

Le taux de récurrence après un premier accèsdépressif ou maniaque est extrêmement élevé, etjustifie donc systématiquement une prise en chargeattentive et une bonne information du patient.

Évolution spontanée de la maladiemaniacodépressive

L’évolution naturelle est difficile à apprécier. Lesétudes naturelles avant l’ère médicamenteuse ontdes faiblesses méthodologiques (définition descritères, recueil des données), qui les rendent moinsexploitables et comparables entre elles que lesétudes les plus récentes.

Quant aux études récentes, elles concernent despatients sous traitement, et ne peuvent donner quedes arguments indirects pour l’évolution spontanéedu trouble.

L’âge de début, qui était estimé en moyenne à 28ans dans les études du début du siècle, est ramené à18 ans environ dans les études les plus récentes. Ce« rajeunissement » de la population bipolaire estvraisemblablement lié aux conditions de recueil desdonnées, et non à une aggravation des formes de lamaladie au cours du siècle.

On repère un premier pic de fréquence de débutdans la tranche 15 - 19 ans, et un second plus faibledans la tranche 20 - 24 ans.

La longueur des cycles semble raccourcir quandl’âge augmente. Ainsi la longueur du quatrièmecycle représenterait la moitié de celle du premier. Demême, les études récentes vont à l’encontre de lanotion classique d’extinction de la maladie avecl’âge. Au contraire, les épisodes auraient tendance àdevenir plus fréquents. De même, le taux derechutes à 2 ans après un premier épisode sembleaugmenter avec l’âge de début : de 20 % pour undébut à 20 ans, il passe à 80 % pour un début après45 ans.

La durée des épisodes est classiquement estiméede 3 à 12 mois. Cependant, elle est mal connue dufait du raccourcissement des épisodes par lestraitements disponibles actuellement.

Évolution sous traitement

La comparaison des enquêtes de cohortepratiquées avant et après l’introduction du lithium audébut des années 1970 a montré une réductionnette des accès après cette introduction. Laméthodologie de ces enquêtes est critiquable,cependant il se dégage actuellement un consensussur la réduction d’intensité des épisodes de lamaladie sous lithiothérapie, avec réductionapparente de leur durée.

L’efficacité apparente du lithium sur la réductiondu nombre des épisodes pourrait être liée àl’existence d’épisodes subsyndromiques souslithium, et donc non repérés.

L’arrêt d’un traitement par lithium ayant permisune stabilisation des troubles sur une longue périodeentraîne un taux élevé de rechutes (plus de 50 % à 2ans), souvent alors plus résistantes au traitement.Certains auteurs évoquent le développement d’unerésistance au lithium après arrêt de celui-ci ettentative de réintroduction.

L’évolution au long cours est marquée par deuxrisques essentiels : le suicide et le handicapsocioprofessionnel.

Le suicide concerne environ 15 % à 20 % despatients maniacodépressifs. Les bipolaires auraient

un risque plus élevé. Le suicide survient surtout dansles 10 premières années de la maladie. Le traitementpar lithium semble diminuer la mortalité par suicidechez les bipolaires.

Le handicap psychosocial paraît plus importantpour les bipolaires, et est surtout fonction du nombredes épisodes, de leur gravité, de leurs conséquences(actes commis pendant l’accès). Le sexe masculin, lesconduites alcooliques, la mauvaise observancethérapeutique, l’irrégularité du suivi sont des facteursdéfavorables pour l’évolution du trouble.

Enfin, si pour environ 80 % des patients, lepronostic est bon ou modéré, la chronicité est unemodalité évolutive non négligeable puisqu’elleconcerne 20 % des patients.

‚ Étiologie des troubles de l’humeur

Les conceptions actuelles des troubles del’humeur font intervenir dans leur genèse unpluridéterminisme, avec différents niveaux d’actiondes facteurs impliqués. On distingue ainsi les facteursprédisposants, constitutionnels, d’ordre génétique etbiologique, et les facteurs précipitants des accès,facteurs psychologiques et événements de vie. Ledéclenchement des accès peut en outre être aussi dedéterminisme biologique, non réactionnel(autonomisation des cycles dans le paradigme dePost par exemple : cf infra, « Modèle du kindling »).

Facteurs génétiques

Une agrégation familiale a été mise en évidencepour les troubles uni- et bipolaires. Les apparentés depatients unipolaires et bipolaires ont ainsi un risquemorbide plus élevé que les apparentés de sujetssains. Ce facteur familial est cependant insuffisantpour prouver une origine génétique. On utilise alorsdes études de jumeaux ou des études d’adoptionpour la démontrer.

¶ Études de jumeauxElles reposent sur la comparaison du taux de

concordance des paires de jumeaux (deux jumeauxatteints) pour les troubles de l’humeur, entre lesjumeaux monozygotes ayant le même capitalgénétique, et les jumeaux dizygotes. Uneconcordance significativement plus forte pour lesmonozygotes signe une influence génétique, ce quiest le cas pour les troubles de l’humeur : elle est dedeux à cinq fois plus élevée pour les monozygotes(50 à 70 %) par rapport aux dizygotes (15 à 30 %).

¶ Études d’adoptionElles vont dans le même sens, montrant une

fréquence de troubles de l’humeur plus élevée chezles parents biologiques de patients thymiques, quechez leurs parents adoptifs.

Le mode de transmission n’est pas encore connu,et si les techniques de biologie moléculaire ontpermis d’identifier des régions pouvant contenir desgènes de vulnérabilité (chromosomes 11, 18, et 21),le niveau d’intervention de ces gènes n’est pasprécisé.

L’hérédité des troubles de l’humeur estprobablement une hérédité complexe, non liée à

Critères de bipolarisation

✔ Hypomanie pharmacologique.✔ Histoire familiale de bipolarité.✔ Forte charge héréditaire.✔ Dépression avec hypersomnie etralentissement.✔ Transmission familialemultigénérationnelle continue.✔ Début en post-partum.✔ Début avant 25 ans.

Taux de récurrence après un premierépisode dépressif ou maniaque

✔ Après un premier épisodedépressif : environ 50% à 2 ans et80 % sur la vie entière.✔ Après un premier épisodemanique : il est de l’ordre de 80 à90 %, et atteint pratiquement 100 %sur la vie entière (pour un début auxâges jeunes ou moyens).

7-0160 - Troubles de l’humeur

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Page 86: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

un gène unique. Cette complexité peut être enrapport avec différents facteurs tels qu’unepénétrance incomplète, une hétérogénéitégénétique (plusieurs mutations produisent un mêmephénotype), une polygénicité (il faut l’intervention deplusieurs gènes pour produire le phénotype).

Facteurs biologiques

Les systèmes biologiques les plus étudiés sont lessystèmes monoaminergiques, sur lesquels agissentles molécules antidépressives.

¶ Système noradrénergiqueSi certaines études mettent en évidence une

baisse des métabolites de la NA en périodedépressive, les résultats ne sont pas univoques enparticulier pour les dosages dans le liquidecéphalorachidien (LCR). Les contradictions desétudes tiennent probablement à des différencesméthodologiques, et à un manque d’homogénéitédes populations étudiées. Un consensus semblecependant se dégager pour les patients bipolaires :les taux de métabolites de la NA sont bas en périodedépressive, et élevés en période maniaque.

¶ Système sérotoninergiqueDe nombreuses études apportent des résultats en

faveur de son implication dans la dépression. Onretrouve généralement des taux abaissés desérotonine et de ses métabolites dans le tissucérébral en post mortem de sujets déprimés, unediminution du taux du métabolite principal (5 HIAA)dans le LCR, une diminution des concentrationsplaquettaires de sérotonine chez les sujets déprimés.L’efficacité des nouvelles molécules antidépressivesinhibitrices de la recapture de la sérotonine est unargument supplémentaire.

¶ Système dopaminergiqueLes études retrouvent une diminution des taux

des métabolites de la dopamine dans le LCR dessujets déprimés.

Les trois systèmes monoaminergiques semblentdonc impliqués dans les troubles de l’humeur. Onpense actuellement qu’on ne peut résumer laphysiopathologie des troubles thymiques ni lemécanisme d’action des antidépresseurs audysfonctionnement de l’un de ces systèmes, dont onsait qu’ils interagissent entre eux.

Des modèles sont testés, qui postulent l’existenced’effets de cascade, le dérèglement d’un systèmeinduisant le dérèglement d’un autre, la perturbationde chacun de ces systèmes pouvant produirecertains symptômes. La sérotonine interviendraitainsi sur l’humeur et l’anxiété, la noradrénaline surl’activité, la dopamine sur l’hédonie. Lesantidépresseurs, aussi spécifiques d’un systèmesoient-ils, agiraient également en cascade,expliquant l’amélioration séquentielle bien connuedes différents symptômes de dépression.

¶ Systèmes neuroendocriniensDes anomalies de fonctionnement de la thyroïde

et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien ontété retrouvées dans de nombreuses études, avec desrésultats non univoques. Deux éléments enressortent néanmoins :

– les anomalies de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien seraient en rapport avec uneplus grande vulnérabilité à la chronicisation de ladépression ;

– les anomalies du fonctionnement thyroïdiensont observées surtout chez les patients bipolaires, etseraient assez spécifiques des cycles rapides.

¶ Modèle du « kindling » (embrasement)Ce modèle fait l’hypothèse d’une vulnérabilité à la

dépression qui s’accroît avec la répétition desépisodes dépressifs. Les modifications biologiques àcourt terme pourraient induire des remaniements deplus en plus durables de facteurs de transcription dela synthèse protéique, à mesure que les épisodes serépètent, remaniements qui constitueraient une plusgrande vulnérabilité à la dépression. Ce paradigmerend ainsi compte de constatations cliniques surl’intervention de plus en plus limitée de facteursstressants dans le déclenchement des épisodes de lamaladie, au cours de son évolution.

Facteurs environnementaux :les événements de vie

L’influence des événements de vie sur les troublesde l’humeur a été étudiée au moyen d’échellesévénements de vie, et en particulier de la LEDS (Lifeevents and difficulties schedule), qui répertorie desévénements portant sur les différents champs de lavie d’un sujet (travail, budget, logement, santé, vieaffective) et leur attribue un « poids » quantifié. Cetype d’études s’inscrit dans un mouvement quiconteste l’idée que le déclenchement des épisodesd’un trouble bipolaire est indépendant de facteursexogènes, défend une conception unitaire destroubles de l’humeur, et remet en cause la distinctiondépression exogènes réactionnelle - dépressionsendogènes.

Il ressort de ces études que les patients présentantun épisode thymique ont trois fois plusd’événements de vie dans les 6 mois précédantl’accès, que des sujets contrôles. À l’inverse, les sujetssubissant un événement de vie à caractère stressantont six fois plus de risque de développer unedépression que les sujets non exposés. Lesévénements de vie ainsi identifiés ne semblentcependant pas spécifiques de la dépression,puisqu’on les retrouve fréquemment dans les moisprécédant le déclenchement d’épisodes maniaques.

Concernant la nature de ces événements« précipitants », on trouve au premier rang perte etséparation. D’autres événements ont également uneimportance, comme les interactions sociales etprofessionnelles, des événements incontrôlables(catastrophes), et des événements à caractère« positif », comme une promotion professionnelle, unmariage, une grossesse.

La présence d’un événement de vie avant unaccès thymique ne semble pas avoir de valeurprédictive sur l’évolution de l’accès. En revanchel’existence événements de vie négatifs ou dedifficultés durables après le début de l’accès,lorsqu’ils sont indépendants, constituent un facteurde risque important de chronicisation du trouble.

En ce qui concerne l’influence des événements devie sur les récidives à plus long terme, le modèle du

kindling de Post semble trouver ici une illustrationdans le fait que le pourcentage de patients dontl’épisode est précédé d’un événement de vie tend àdécroître au fur et à mesure que se répètent lesaccès.

Facteurs psychologiques :personnalité et troubles de l’humeur

Les rapports entre personnalité et troubles del’humeur peuvent être envisagés dans le cadre decinq modèles psychopathologiques.

¶ La personnalité comme facteurde prédisposition à un trouble de l’humeur

L’école psychanalytique s’inscrit dans cetteconception, qui met les épisodes cliniques affectifs etle « caractère » du patient dans un rapport decausalité. Les psychanalystes insistent surl’association d’un caractère anal (ordre, rigidité,parcimonie, méticulosité) avec des traits marquésd’oralité (dépendance à l’autre), comme facteursprédisposant à l’apparition d’épisodes de dépression.Ces hypothèses n’ont cependant pas donné lieu dela part des psychanalystes à des études tentant deles valider au moyen d’une méthodologiescientifique rigoureuse.

Les études les plus récentes, rétrospectives oumême prospectives, ne permettent pas davantagede conclure, à l’existence d’un ou plusieurs types depersonnalité prédisposant aux troubles de l’humeur,car elles n’offrent pas de résultats concordants.

¶ La personnalité modifiant l’expressiondes troubles thymiques

Certaines études ont tenté d’évaluer le caractèreprédictif de certains traits de personnalité sur laréponse au traitement, sans résultats satisfaisants.

Sur un plan pratique, la « coloration » d’un épisodethymique par des traits de personnalité peutreprésenter un piège pour le clinicien, tell’obsessionnel qui parvient à contrôler son discoursdans un état maniaque, et l’hystérique dont le côtéhistrionique et théâtral vient masquer lasymptomatologie dépressive.

¶ La personnalité comme séquelleou complication d’un trouble de l’humeur

Certains « traits » de personnalité peuvent êtreconsidérés comme des symptômes témoignantd’une guérison incomplète de l’épisode, de lapersistance de troubles neurophysiologiques, carrepérés dans le court terme : il s’agit essentiellementde difficultés d’ajustement dans les rôlesprofessionnels et conjugaux, d’un manque deconfiance en soi. Il justifient la poursuite desantidépresseurs, peuvent bénéficier d’une approchepsychothérapique, et mettent souvent plusieurs moisà régresser, après la rémission clinique de l’épisode.

D’autres traits de personnalité s’installent dans lelong terme, après répétition des accès, mais nesemblent pas spécifiques des troubles affectifs, et serencontrent également dans d’autres pathologieschroniques : dépendance, démoralisation,pessimisme, manque d’assurance, sentimentd’insécurité.

Troubles de l’humeur - 7-0160

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Page 87: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

¶ La personnalité comme forme atténuéede trouble de l’humeurKraepelin postulait déjà un continuum entre

certaines personnalités et les troubles de l’humeur. Ilconsidérait les personnalités dépressive, maniaque,irritable, cyclothymique comme les basestempéramentales des différentes formes de lapsychose maniacodépressive.

Les auteurs qui défendent actuellement cetteposition incluent les personnalités cyclothymique,hyperthymique, voire dysthymique dans le spectredes troubles de l’humeur. Il ne s’agit donc plus depersonnalités, mais d’une forme atténuée d’untrouble de l’humeur, avec un déterminisme et unepathogénie communs. Ils s’appuient pour cela surl’existence de données communes en matièred’antécédents familiaux, et de réponses auxtraitements médicamenteux.

¶ La personnalité comme dimensionorthogonale, indépendanteLa personnalité est ici envisagée selon l’influence

qu’elle peut exercer sur le cours évolutif de lamaladie.

La personnalité va conditionner le rapport dupatient à sa maladie, les relations qu’il va pouvoirnouer avec son thérapeute, sa compliance autraitement, qui sont autant de facteurs déterminantspour l’évolution des troubles de l’humeur. Lapersonnalité a également une influence sur leséventuels bénéfices que peut retirer le patient desaccès thymiques : régression lors des épisodesdépressifs avec mobilisation de l’entourage,bien-être, créativité et dynamisme accrus lors desépisodes maniaques ou hypomaniaques. Il est donccapital de faire une évaluation de la personnalité detout patient présentant un trouble de l’humeur, afinde lui proposer une prise en charge adaptée quitienne compte de cette dimension importante.

■Traitement des troubles

de l’humeur

Il associe de manière systématique un traitementmédicamenteux et une prise en chargepsychologique, cette dernière étant à adapter àchaque patient, et pouvant consister en unepsychothérapie structurée (psychanalyse, thérapiecognitivocomportementale), ou en une psycho-thérapie de soutien.

‚ Traitements médicamenteux

Traitement curatif des accès thymiques

¶ Traitement de l’accès dépressifIl repose sur la prescription d’antidépresseurs. Les

antidépresseurs doivent être prescrits à uneposologie efficace, sur une longue période, quicorrespond à ce que l’on pense être l’évolutionspontanée de l’accès dépressif, de l’ordre de 3 à 12mois. Par conséquent, le durée minimale préconiséeest d’au moins 6 mois, la tendance actuelle étant demaintenir le traitement antidépresseur pendant 8mois à 1 an. La posologie d’entretien après guérisonclinique doit en outre être celle qui a permis laguérison. La diminution progressive des doses ne

s’effectuera qu’au-delà de la période de traitementévoquée ci-dessus. Néanmoins, une réduction desposologies peut s’effectuer pendant la période deconsolidation si des effets secondaires gênants semanifestent.

Les antidépresseurs constituent le traitement defond de la dépression, et seront également efficacesur la symptomatologie d’accompagnement,notamment sur les troubles du sommeil, et surl’anxiété. Cependant, leur délai d’action, de l’ordre de15 jours à 3 semaines, justifie parfois de ne pasrespecter la règle de la monothérapie, et d’associerun anxiolytique et un hypnotique. Cette associationa pour but non seulement de procurer un confort etun soulagement plus rapide au patient, mais aussi,dans les formes anxieuses, de limiter le risque depassage à l’acte suicidaire.

En ce qui concerne le choix de l’antidépresseur,les études n’ont pas encore permis d’identifier desfacteurs prédictifs d’une réponse à un type donnéd’antidépresseur. Il reste donc empirique. Le seulélément permettant d’espérer l’efficacité d’unemolécule est son efficacité lors d’un accès antérieurde dépression. Un traitement qui a été efficace lorsd’un accès antérieur doit donc être repris lors d’unnouvel accès.

Les antidépresseurs ont pour certains des effetslatéraux qui peuvent guider le choix du produit. Ondispose ainsi d’antidépresseurs à polarité plutôtsédative et anxiolytique, à utiliser dans lesdépressions à forte composante anxieuse, etd’antidépresseurs à polarité désinhibitrice, indiquésdans les dépressions où le ralentissementpsychomoteur prédomine.

Tous les antidépresseurs semblent avoir uneefficacité comparable, d’environ 70 %, mais lestricycliques, avec un recul plus important, restent lesproduits de référence.

Les effets secondaires potentiels peuventconstituer un critère de choix. Ainsi, la bonnetolérance des inhibiteurs de la recapture de lasérotonine (IRS) les fait souvent préférer auxtricycliques, en première intention, en ambulatoire,lorsque l’on veut limiter les éventuels effets sur lavigilance, et les autres effets classiques destricycliques, et ainsi favoriser une bonne observancedu patient.

L’efficacité d’un antidépresseur ne peut s’évaluerqu’après plusieurs semaines. On recommande degarder une molécule pendant 6 semaines à doseefficace avant d’envisager d’en changer. Cependant,l’absence de tout signe d’amélioration après 3semaines de traitement, surtout lorsque persiste unrisque suicidaire, peut amener à un changement plusprécoce.

Lorsque l’on change de produit, il est préférablede choisir le nouveau produit dans une famillechimiquement différente. Il semblerait qu’un relaisd’un IRS par un tricyclique donne de meilleursrésultats que l’inverse, autrement dit qu’en casd’échec d’un tricyclique, la probabilité d’efficacitéd’un IRS soit fortement diminuée. L’efficacité desassociations d’antidépresseurs reste discutée, lesétudes insuffisantes, et elles doivent être réservéesaux spécialistes.

Les principaux antidépresseurs sont mentionnésdans le tableau I.

En cas d’anxiété importante, et surtoutlorsqu’existe un risque suicidaire, un traitementanxiolytique complémentaire est indiqué. Il consiste

Tableau I. – Principaux antidépresseurs.

Principaux antidépresseurs

Anafranilt Cp 25 et 75 mg Posologie progressivementcroissante sur 1 semaine pouratteindre 100 à 150 mg

Tricyclique(Clomipramine) Ampoules 25 mg Intermédiaire

(Perfusions IV)

Tofranilt Cp 25 mg Idem Tricyclique(Imipramine) Ampoules 25 mg Moyennement désinhibi-

teur(Injections IM)

Laroxylt Cp 25 et 50 mg Idem Tricyclique(Amitriptyline) Gouttes 4 % 1 mg/g Sédatif et anxiolytique

fortement hypotenseurAmpoules 50 mg(Perfusion IV)

Prothiadent Gél à 25 mg Posologie de 150 à 225 mg Tricyclique(Dosulépine) Cp à 75 mg Anxiolytique

Prozact Gél à 20 mg 20 à 60 mg IRS(Fluoxétine) Intermédiaire

Deroxatt Cp à 20 mg 20 à 60 mg IRS(Paroxétine) Intermédiaire

Floxyfralt Cp à 100 mg 100 à 300 mg IRS(Fluvoxamine) Anxiolytique

Athymilt Cp à 10, 30, et 60 mg 60 à 120 mg Anxiolytique et inducteurdu sommeil(Miansérine)

Moclaminet Cp à 150 mg 300 à 600 mg IMAO sélectif(Moclobémide) Intermédiaire

Cp : comprimé ; Gél : gélule ; IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine ; IMAO : inhibiteur de la mono-amine-oxydase.

7-0160 - Troubles de l’humeur

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Page 88: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

en des benzodiazépines (Lexomilt : 1-2 /j, Xanaxt :1,5-3 mg/j, Témestat : 3-4 mg/j, Lysanxiat :40-80 mg/j, Tranxènet : 50-100 mg/j), mais lesneuroleptiques sédatifs sont parfois indiqués(Terciant : 50-100 mg/j). Le traitement anxiolytiquesera limité dans le temps, en évitant de dépasser 4semaines, avec une réduction progressive des doses.

Les troubles du sommeil peuvent égalementjustifier un traitement d’appoint, qu’on tentera delimiter à 1 ou 2 semaines. Les réveils précoces sontpeu sensibles aux hypnotiques classiques, sauf àutiliser des produits à très longue durée d’action,entraînant des réveils difficiles.

¶ Traitement de l’accès maniaque

Thymorégulateurs

Les thymorégulateurs ont une efficacité curativesur l’accès maniaque, qu’il s’agisse des sels delithium, de la carbamazépine, ou du valpromide.Cependant, en raison de la nécessité d’un bilanpréalable à leur prescription, et d’un délai d’action,les troubles du comportement du patient maniaquenécessitent souvent le recours aux neuroleptiques.

Neuroleptiques

La monothérapie sera privilégiée, en utilisant desneuroleptiques polyvalents (Largactilt : 100 à500 mg/j, Loxapact : 100 à 300 mg/j), la voieinjectable (IM) étant parfois nécessaire en raison del’agitation ou de la réticence du patient.

Dans le cadre des manies délirantes, l’associationd’un neuroleptique incisif, antiproductif à unneuroleptique sédatif est couramment pratiquée(Haldolt : 15 à 30 mg/j et Terciant : 100 à 300 mg/j).

Le traitement devra être poursuivi pendantplusieurs mois (durée théorique de l’évolutionspontanée de l’accès), avec une adaptationprogressivement décroissante des doses, en fonctionde l’état clinique et de la tolérance du patient.L’instauration rapide d’un thymorégulateur, enphase aiguë, permet en règle générale une réductionplus rapide des neuroleptiques, une réduction deleurs effets secondaires, et un meilleur confort pourle patient.

¶ Traitement des états mixtesLe traitement de ce type d’accès est particuliè-

rement délicat. L’association d’antidépresseurs et deneuroleptiques pour agir sur les deux versants de lasymptomatologie a une efficacité modérée. Onprivilégie dans ce cas les thymorégulateurs, seuls ouen association avec des benzodiazépines. Lessismothérapies constituent cependant le traitementde référence des états mixtes.

¶ Sismothérapie (les électrochocs)La sismothérapie est le traitement le plus efficace

de la dépression, avec 90 % de succès (contre 70 %de bons résultats avec les antidépresseurs). Elle est letraitement de référence des états mixtes, et donneégalement de bons résultats dans les étatsmaniaques.

Elle consiste en le déclenchement, sousanesthésie générale et curarisation, au moyen d’uncourant électrique de faible intensité délivré auniveau de deux électrodes temporales, d’une crised’épilepsie généralisée. L’anesthésie dure quelques

minutes. Les séances sont répétées entre deux ettrois fois par semaine, pour un nombre totald’environ huit à neuf séances, parfois douze.

La s ismothérapie comporte moins decontre-indications que les antidépresseurs, et aussimoins d’effets secondaires. Les contre-indicationssont les processus expansifs intracrâniens, lesantécédents d’accidents vasculaires cérébrauxhémorragiques, l’hypertension artérielle sévère etmal contrôlée, les pathologies rachidiennescomportant un risque élevé de fractures, et lescontre-indications liées à l’anesthésie. Les effetssecondaires se limitent à quelques troublesmnésiques (amnésie de fixation), transitoires, etrégressant toujours intégralement au maximum enquelques mois.

Son action est rapide, et elle représente parconséquent le traitement de choix en premièreintention des dépressions à fort risque suicidaire, desdépressions avec un risque vital lié à un refusalimentaire, des dépressions du sujet âgé (nécessitéd’une action rapide et contre-indications fréquentesaux antidépresseurs).

Traitement préventif des accès dépressifset maniaques

Il repose sur la prescription de moléculesqualifiées de thymorégulatrices (régulateurs del’humeur), dont l’effet est de réduire la fréquence descycles de la maladie maniacodépressive, et leurintensité. Il s’agit d’un traitement au long cours, sinonà vie. Trois produits sont actuellement utilisés danscette indication : les sels de lithium (Téralithet ouNeurolithiumt), carbamazépine (Tégrétolt), levalpromide (Dépamidet).

Dans les formes unipolaires, les antidépresseursau long cours sont parfois préférés aux thymorégu-lateurs par certains auteurs. Cependant, les étudesayant montré leur efficacité dans la prévention desaccès dépressifs sont limitées à un suivi relativementbref (2 ans). En outre, les antidépresseurs tricycliquesont été suspectés d’induire une accélération descycles de la maladie.

La question de la posologie des antidépresseursen traitement préventif des dépressions récurrentesn’est actuellement toujours pas résolue. On retiendraen pratique une posologie minimale efficace,

c’est-à-dire avec laquelle les symptômes dépressifsne sont plus présents, et qui limite au maximum leseffets secondaires des produits.

Certaines formes de maladie maniacodépressivepeuvent justifier de la pratique de sismothérapiesdites « d’entretien », en particulier lors de résistancesou de contre-indications aux régulateurs classiquesde l’humeur.

¶ Sels de lithiumOn utilise essentiellement le Téralithet, qui existe

sous deux formes, une forme simple dosée à250 mg, nécessitant deux à trois prises par jour, etune forme d’action prolongée (Téralithe LPt400 mg), permettant une prise unique vespérale.

La prescription de lithium nécessite un bilanpréthérapeutique (cf article sur les psychotropes), etune surveillance régulière des taux plasmatiques enfonction desquels la posologie est établie, de lafonction rénale, et de la fonction thyroïdienne. Lestaux plasmatiques efficaces sont compris entre 0,6 et1 mEq/L pour la forme simple, entre 0,8 et 1,2 mEq/Lpour la forme LP.

Le lithium serait plus efficace dans les formesbipolaires, et en particulier dans celles caractériséespar un cycle manie - dépression - intervalle libre. Laprésence d’antécédents familiaux de bipolarité estégalement un facteur de sensibilité au lithium.

Le début d’un traitement par lithium peuts’envisager dès le premier accès maniaque, où il estsouvent instauré lors de la phase aiguë, en vertu deses propriétés curatives de l’accès, ou après deux àtrois épisodes dépressifs majeurs. La présenced’indices d’évolution vers la bipolarité (cf supra) peutêtre un argument pour le prescrire lors du premieraccès dépressif majeur.

Le traitement par lithium est théoriquement à vie,dans la mesure où la vulnérabilité aux accès persistependant toute la vie d’un patient présentant unemaladie maniacodépressive. Cependant, certainspraticiens proposent un arrêt du lithium après aumoins 5 ans de stabilisation, sans accès, pour peuque le patient soit informé des risques, dessymptômes de rechute, et soit à même de faireimmédiatement appel à son psychiatre en casd’alerte.

Certaines études récentes ont toutefois montré unfort taux de récidives à l’arrêt du lithium, de l’ordrede 50 % dans les 2 ans suivant l’arrêt. En outre,certains auteurs évoquent l’hypothèse d’unerésistance secondaire au lithium après interruptiondu traitement, ayant constaté une moindre efficacitéde celui-ci lors de sa réintroduction pour récidivesaprès un arrêt.

¶ Carbamazépine (Tégrétolt)Produit prescrit dans l’épilepsie, il s’est également

avéré efficace dans la prévention des récidives de lamaladie maniacodépressive. Il est souvent prescriten seconde intention, lorsque le lithium ne s’est pasmontré efficace, ou en association avec le lithium.

On peut cependant le privilégier dans certainesformes de la maladie, ou dans certains typesd’accès :

– états mixtes ;– cycles rapides (plus de quatre accès par an) ;

Indications des sismothérapies :

✔ dépression sévère avec risquemajeur de suicide ;✔ dépression du sujet âgé avec risquevital ;✔ dépression délirante ;✔ contre-indication au traitementmédicamenteux ;✔ dépression résistante auxantidépresseurs ;✔ état maniaque délirant ;✔ manie furieuse ;✔ manie résistante ;✔ état mixte.

Troubles de l’humeur - 7-0160

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– formes associées à un trouble de lapersonnalité dans laquelle prédominent l’impulsivité,l ’ instabi l i té , la tendance aux déchargesémotionnelles violentes et la facilité du passage àl’acte.

L’adaptation de la posologie est surtout clinique,mais peut également s’appuyer sur des dosagesplasmatiques de la carbamazépine. Les fourchettesd’efficacité correspondent à celles utilisées dansl’épilepsie (4 à 12 µg/mL).

La surveillance en début de traitement porte sur lafonction hépatique et sur la formule sanguine(toxicité hépatique et leuconeutropénie).

¶ Valpromide (Dépamidet)Molécule proche du valproate de sodium

(Dépakinet), le valpromide est également utilisédans le traitement préventif de la maladiemaniacodépressive. Il est plutôt prescrit en secondeintention, en cas d’échec ou d’intolérance aux autresthymorégulateurs, mais peut l’être d’emblée, commela carbamazépine, dans les états mixtes ou lesformes à cycles rapides. L’adaptation posologiqueest clinique, les posologies se situant préférentiel-lement entre 1 200 et 1 800 mg (4 à 6 comprimés à300 mg en deux prises).

¶ ECT d’entretienEn cas d’efficacité des sismothérapies pour les

accès de la maladie, mais de la persistance derécidives malgré l’essai de plusieurs traitementsthymorégulateurs bien conduits, on peut être amenéà proposer au patient un autre traitement préventif,qui consiste en la pratique de sismothérapiesd’entretien, au long cours. La fréquence des séancesest à définir pour chaque patient, en fonction de ladurée de maintien d’une humeur stable. Elle estgénéralement mensuelle, mais il est parfoisnécessaire de pratiquer les séances d’ECT toutes les3 semaines, voire toutes les 2 semaines.

‚ Prise en charge psychologique

Les psychothérapies n’ont qu’une placeextrêmement limitée lors des accès de la maladiemaniacodépressive, à l’exception des thérapiescognitives de la dépression dans les formes

d’intensité légère à modérée de dépression, seulesou en association aux antidépresseurs.

Le sujet profondément déprimé, du fait d’unralentissement psychique important, d’une altérationde ses capacités de concentration, est en effetincapable de se livrer à un travail d’élaborationpsychique qui demande précisément la mobilisationde ses ressources intellectuelles et psychiques. Lesujet maniaque, tachypsychique et distractible, et lesujet mixte, anxieux et dispersé, sont évidemmentincapables de bénéficier de ce type d’approche.

La priorité est donc, lors d’un accès, au traitementmédicamenteux.

En revanche, la prise en charge psychologique aune importance capitale en dehors des accès. Lesobjectifs que l’on peut lui fixer en matière de troublesde l’humeur sont les suivants :

– aide au réaménagement psychologique audécours d’un accès ayant constitué une rupture dansla vie du sujet, afin d’en limiter les séquelles ;

– soutien dans l’acceptation d’une vulnérabilitéaux accès dans le cadre des troubles récurrents del’humeur ;

– aide au repérage et à la meilleure gestion dessituations conflictuelles et de stress, situations àrisque dans le déclenchement d’un nouvel accès ;

– aide à l’entourage et en particulier au conjoint,afin de favoriser l’adaptation du couple à la maladie,de limiter les séquelles de la maladie et lescontre-attitudes du conjoint.

Le suivi psychothérapique avec ses objectifs ainsidéfinis est en règle générale assuré par le psychiatreprescripteur.

Les psychothérapies structurées, en dehors de lapsychothérapie cognitive de la dépression(psychothérapie analytique ou d’inspirationanalytique, psychothérapie systémique familiale),peuvent trouver une indication dans la prise encharge de patients souffrant de troubles de l’humeur,surtout lorsqu’existe un trouble de la personnalitéassocié. Mais l’indication se porte alors par rapport àla personne malade, et non par rapport audiagnostic de trouble de l’humeur, qui ne justifie pasen soi de psychothérapie structurée.

‚ Place de l’hospitalisation

Place de l’hospitalisation dans la dépressionNombre de dépressions peuvent être suivies en

consultation ambulatoire, lorsque certainesconditions sont réunies :

– bonne collaboration du patient et complianceau traitement ;

– contrôle du risque suicidaire ;– environnement favorable.La sévérité d’une dépression n’est pas un critère

d’hospitalisation.

Place de l’hospitalisation dans l’accèsmaniaque

L’hospitalisation est souvent nécessaire en raisondes troubles du comportement. Néanmoins, certainspatients peuvent être suivis en ambulatoire, si lescirconstances suivantes sont réunies :

– lucidité du patient par rapport à ses troubles ;– compliance au traitement proposé ;– absence de troubles du comportement ou

compatibilité avec le maintien à l’extérieur ;– environnement familial informé, averti et

coopérant, capable de tolérer les manifestationspsychopathologiques ;

– suivi rapproché de l’ordre de deux à troisconsultations par semaine.

Place de l’hospitalisation dans les états mixtesL’hospitalisation est la règle, en raison de

l’agitation anxieuse fréquente, du risque suicidaireélevé, de l’instabilité de ces états, et des difficultésthérapeutiques que le malade représentent.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Cédric Zeitter. Troubles de l’humeur.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0160, 1998, 8 p

R é f é r e n c e s

[1] APA. DSM IV. Critères diagnostiques (Washington DC, 1994). Traductionfrançaise par JD Guelfi et al. Paris : Masson, 1996

[2] OMS. CIM 10. Traduction de l’anglais par CB Pull. Paris : Masson, 1993

[3] Hardy-Baylé MC. Enseignement de la psychiatrie. Sémiologie et logique dé-cisionnelle en psychiatrie. Paris : Doin, 1986

[4] Olié JP, Poirier MF, Loo H. Les maladies dépressives. Paris : FlammarionMédecine-Sciences, 1995

[5] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiquesen psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[6] Lempérière T. Les troubles bipolaires. Paris : Masson, 1995

[7] Olié JP, Hardy P, Akiskal H, Féline A, Gorog F, Loo H et al. Psychosesmaniaco-dépressives.Encycl Med Chir(Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-220-A-10, 1990 : 1-32

Indications d’hospitalisation✔ Mauvaise collaboration et forteprobabilité d’une mauvaisecompliance.✔ Risque suicidaire important.✔ Pronostic vital engagé (altérationde l’état général).✔ Dépression délirante.✔ Retentissement important surl’entourage avec mauvais ajustementde celui-ci, ou mauvaise tolérance del’entourage avec développement decontre-attitudes délétères.

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Troubles mentaux liés

à une pathologie somatique

Y Sarfati

U n certain « cloisonnement » des pratiques psychiatriques et médicales ne favorise pas la double prise encharge nécessaire à ces patients.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les troubles mentaux liés à une pathologiesomatique posent des problèmes diagnostiques etthérapeutiques. Dans un certain nombre de cas, c’estl’affection somatique qui prend un masquepsychiatrique : le problème est essentiellementdiagnostique, et le traitement de la maladie physiquesuffit à supprimer les symptômes psychiatriques. Leplus souvent, les intrications sont plus complexes. Unedouble prise en charge, médicale et psychiatrique peuts’avérer nécessaire. Enfin, le médecin omnipraticienpeut être amené à gérer seul les complicationspsychiatriques des maladies somatiques, le plussouvent dépression et anxiété. À sa charge alors, dereconnaître le trouble et d’adapter une stratégiethérapeutique adaptée.

Il peut arriver que les troubles psychiatriques soientintriqués avec des affections organiques. Les carencesdiagnostiques et thérapeutiques chez les patientsprésentant ce type de « double » pathologie ne sontpas rares. Ces insuffisances ont plusieurs causes. D’unepart, les erreurs d’orientation sont possibles ; ainsi lespremières expressions d’une sclérose en plaquespeuvent passer pour un symptôme conversif et lespatients être adressés au psychiatre. D’autre part, uncertain « cloisonnement » des pratiques psychiatriqueset médicales ne favorise pas la double prise en chargeque ces patients nécessiteraient. Les psychiatres neprocèdent que rarement à l’examen physique de leurpatient et peuvent être tentés d’expliquer lessymptômes physiques par la psychopathologie. Lessomaticiens ne sont pas toujours prêts à consacrer letemps nécessaire à ces patients souvent complexes, etqui suscitent un sentiment d’incompréhension ou decrainte.

Trois cas de comorbidité peuvent se présenter. Ilsseront ici envisagés successivement :

– maladie somatique ayant une expressionexclusivement psychiatrique ;

– maladie psychiatrique augmentant le risque (laprobabilité) de maladie somatique ;

– trouble psychiatrique venant compliquerl’évolution d’une maladie somatique.

■Épidémiologie

‚ Généralités

Une étude portant sur 553 patients examinés encabinet par des omnipraticiens répartit, comme suit, lessujets examinés :

Cette étude montre qu’un quart des patients d’uneconsultation généraliste présentent à la fois destroubles psychiatriques et des troubles somatiques.

‚ Fréquence des troubles mentauxdans les affections organiques

Il est très difficile d’établir si une maladie estdirectement à l’origine de troubles psychiatriques.Cette relation de causalité ne peut être prouvée quelorsque le traitement de la maladie somatique faitdisparaître les symptômes psychiatriques. Les étudesstatistiques réalisées dans différentes structures desoins psychiatriques (hôpitaux, consultations,urgences) montrent tout de même que, dans 20 à40 % des cas, l’affection organique peut êtreconsidérée comme responsable du troublepsychiatrique.

‚ Fréquence des affections organiquesdans les troubles mentaux

Il a été prouvé qu’il existait une plus grandefréquence de maladies somatiques chez les patientspsychiatriques que dans la population générale. Cettecomorbidité n’est pas associée à une pathologiepsychiatrique en particulier, ni au sexe. En revanche, et

comme on peut s’y attendre, elle augmente avec l’âge.Cette sur-représentation des troubles somatiques chezles patients psychiatriques reste en partie inexpliquée.On a pu avancer une vulnérabilité biologiqueparticulière induite par la maladie mentale, etl’existence de nombreux facteurs de risquesintermédiaires (au premier rang desquels l’alcoolismeet la toxicomanie).

Entre 30 et 40 % des patients consultant ouhospitalisés en psychiatrie sont porteurs d’unemaladie somatique active, s’exprimant par dessymptômes physiques, et nécessitant des soins et unsuivi médical. Fait capital, dans la moitié des cas, lespatients psychiatriques négligent leurs symptômessomatiques et ne se préoccupent pas de les soigner.C’est pourquoi, chez ses patients, les pathologiessomatiques sont souvent découvertes fortuitement, àl’occasion d’un bilan systématique.

‚ Fréquence des complicationspsychiatriques des affections organiques

Là encore, il est difficile de faire la part des chosesentre les troubles psychologiques faisant intrinsèque-ment partie d’un trouble somatique, et les troublespsychiatriques avérés, venant se surajouter à unemaladie physique. Toute la difficulté repose sur lescritères plus ou moins stricts que l’on choisit pourdifférencier le « simple trouble psychologiquetransitoire » (qui ne nécessite pas de traitementpsychiatrique) et le trouble psychiatrique franc, apparudans les suites de la maladie physique et évoluantensuite pour son propre compte (et qui nécessite alorsun traitement).

Néanmoins, toutes les études, quelle que soit laméthode utilisée, montrent la sur-représentation destroubles anxionévrotiques et dépressifs dans lespopulations médicochirurgicales. Selon les études, lechiffre varie bien sûr avec la sévérité des symptômes,exigée avant de parler de trouble psychologique vrai.En moyenne, 40 % des patients des structures de soinsprimaires ayant une maladie somatique pure,présenteraient secondairement un troublepsychologique (la maladie somatique est reconnueresponsable de l’émergence ou du maintien de lapathologie psychique). En milieu hospitalier, ce chiffreest plus élevé, et monte à 50 %. Dans 50 à 90 % descas, il s’agit de troubles anxiodépressifs.

✔ maladie physique pure : 45,6 % ;✔ maladie physique avec troublepsychiatrique associé : 10,1 % ;✔ maladie psychiatrique avecsymptômes somatiques : 9,4 % ;✔ maladies physiques et psychiatriquesindépendantes : 5,5 % ;✔ maladie psychiatrique pure : 7,8 % ;✔ parent d’enfant malade : 16,8 % ;✔ pas de maladie, inclassable : 4,9 %.

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■Troubles mentaux dans

les affections organiques

‚ Affections neurologiques

Sclérose en plaques

La sclérose en plaques est la pathologieneurologique la plus sujette évoquer, à tort, undiagnostic psychiatrique.

L’hystérie est fréquemment diagnostiquée au débutde la maladie, d’autant que les points communs avecles accidents de conversion sont nombreux :

– femme jeune ;– symptômes neurologiques ;– survenue brusque ;– signes régressifs ;– optimisme par rapport au symptôme (qui peut

passer pour une « belle indifférence »).La dépression est extrêmement fréquente, mais elle

est plus souvent une complication secondaire de lamaladie qu’une manifestation initiale et isoléepouvant égarer le diagnostic.

Tumeurs cérébrales

Dans certaines localisations, les tumeurs cérébralespeuvent avoir, pour seule expression, un troublepsychiatrique, évoluant isolément et sans troubleneurologique associé.

Les syndromes les plus fréquemment évoqués sontla dépression et le trouble caractériel. Plus rares sontles tableaux délirants ou maniaques.

Un état dépressif peut être évoqué alors qu’apparaîtun « état akinétique », marqué par un ralentissementpsychomoteur pseudodépressif associant :

– état akinétique (évoquant une tumeur frontale,calleuse ou mésodiencéphalique) ;

– réduction de l’activité motrice ;– perte des initiatives ;– stéréotypies ;– pauvreté mimique, amimie ;– inertie.« Le syndrome psycho-organique » peut en passer

pour un trouble caractériel. Il est fréquent dans toutesles localisations, et peut être le seul signe révélateur dela tumeur.

Il s’exprime par :– des troubles caractériels (agressivité, colères,

crises de larmes) ;– une indifférence pour l’entourage et les plaisirs

habituels ;– des troubles des pulsions (relâchement

pulsionnel) ;– des comportements socialement inadaptés ;– une méfiance, voire des idées de persécution.

Maladie de Parkinson

La dépression est étroitement associée à la maladiede Parkinson. Souvent, elle apparaît comme unecomplication du cours naturel de la maladie (40 % descas de Parkinson). Ce cas, qui est celui d’unedépression secondaire à un trouble organique, esttraité plus loin.

Parfois, la dépression peut inaugurer la maladie deParkinson. Pendant plusieurs mois, les signesneurologiques peuvent être frustres ou absents, tandisque les symptômes psychiatriques sont au premierplan. Dans ce cas, le traitement antidépresseur estsouvent inefficace et provoque d’importants effetssecondaires, qui préfigurent l’installation de lapathologie neurologique (tremblements, raideur, etc).

Plus rarement, un état confusionnel peut révéler lamaladie de Parkinson.

‚ Endocrinopathies

Le tableau I résume les affections endocriniennesles plus fréquemment en cause.

‚ Pathologies somatiquesà manifestations anxieusesprédominantes

Les troubles anxieux peuvent constituer lamanifestation principale (et parfois le seul pointd’appel) de plusieurs pathologies somatiques,certaines fréquentes, d’autres anecdotiques (tableau II).

■Affections organiques

dans les troubles mentaux

Les maladies les plus fréquemment diagnostiquéessont de trois types :

– cardiovasculaires ;– neurologiques ;– endocriniennes et métaboliques.Les types d’intrications entre trouble somatique et

trouble psychiatrique sont infinis et ne peuvent êtredétaillés. Cependant, quelques associationsparticulièrement fréquentes ont été mises enévidence ; ce sont elles que nous présentons ci-après.La prise en charge de ces affections médicales doit sefaire selon les mêmes modalités que celles pour despatients non psychiatriques.

‚ Schizophrénie

Chez les patients schizophrènes, il existe un risqueaccru pour plusieurs pathologies : on parle de lien« positif ». Ce risque accru se traduit par une

En pratique :un syndrome dépressif réagissant malà plusieurs chimiothérapiesantidépressives bien conduites doitfaire suspecter une étiologie organiquesous-jacente et faire pratiquer un bilanneurologique.

En pratique :✔ Erreur à ne pas commettre :entamer un bilan endocriniencomplet pour éliminer une originesomatique à une dépression.✔ Il est légitime, devant tout épisodedépressif avec quelques pointsd’appel somatiques, de pratiquer unbilan thyroïdien (dosage TSH-ultrasensible). L’hypothyroïdie est laseule endocrinopathie pouvantfréquemment passer pour unedépression.

Tableau I. – Endocrinopathies.

Trouble endocrinien Manifestations psychiatriques lesplus fréquentes

Caractéristiques marquées

Hypothyroïdie Dépression IndifférenceInstabilité émotionnelleBradypsychieInsomnieSomnolence diurne

Hyperthyroïdie Dépression Troubles caractérielsManie AgitationAnxiété Insomnie

Insuffısance surrénale aiguë Confusion mentale majeure

Insuffısance surrénale chronique Dépression Troubles caractérielsAsthénie majeureÉventuel délire

Maladie de Cushing Dépression Éventuels délires aigusManie Troubles caractérielsÉtat confusodélirant

Insuffısance antéhypophysaire Dépression Délire aigu ou chroniqueAnorexie

Hypoparathyroïdie Dépression Tétanie

Hyperparathyroïdie Confusion mentale IrritabilitéAnorexie

Diabète Peu de manifestations psychiatri-ques(hors décompensation aiguë)

Tableau II. – Affections ou toxiques pouvantinduire des manifestations psychiatriques.

Hyper- ou hypothyroïdiePhéocromocytomeHypoglycémieHypercorticismePrise de substances psychoactives :

- caféine- cocaïne- amphétamines- sevrages (alcool, tranquillisants)

Tumeurs cérébrales du 3e ventriculeÉpilepsies diencéphaliquesEmbolies pulmonairesBronchopneumopathies obstructivesPancréatite

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surmorbidité (plus de maladies) et une surmortalité(plus de décès dus à ces maladies) que dans lapopulation générale. Les affections liées positivementà la schizophrénie sont, par ordre décroissant :

– les maladies respiratoires ;– les maladies cardiovasculaires ;– les maladies cérébrovasculaires ;– certains cancers.Pour expliquer la grande fréquence de ces maladies

chez les patients schizophrènes, on a incriminé le rôlejoué par le tabac (les schizophrènes sont souvent degros fumeurs) et l’inactivité, voire, mais sans preuve,l’effet des traitements.

D’autres pathologies sont surreprésentées, et plusspécifiquement liées aux effets de la chimiothérapieneuroleptique au long cours :

– iléus ;– pyélonéphrite ;– hypertrophie prostatique ;– diabète.Notons enfin qu’il existe une association négative

entre certaines pathologies somatiques et laschizophrénie, c’est-à-dire que les patientsschizophrènes seraient proportionnellement moinstouchés que la population générale :

– polyarthrite rhumatoïde ;– maladies psychosomatiques surtout.

‚ Troubles de l’humeurToutes les recherches de comorbidité entre trouble

de l’humeur et pathologie somatique se sont avéréesnégatives. Les résultats obtenus ne sont pas probantsou sont trop contradictoires d’une étude à l’autre pourêtre pris en considération. La mortalité naturelle est lamême chez les patients déprimés et dans lapopulation générale.

La seule association positive retrouvée avec unecertaine constance, concerne l’augmentation du risquecardiovasculaire chez les patients maniacodépressifs.Contrairement à ce qui avait été un moment avancé,(influence néfaste des antidépresseurs tricycliques), lerisque accru serait dû à des facteurs non spécifiques,comme le tabagisme, plus important chez ces patientsque dans la population générale.

‚ AnxiétéDans le groupe hétérogène constitué par les

patients « anxieux » au sens large (incluant lesdifférentes formes de la symptomatologie anxieuse),les études montrent l’existence d’un surcroît d’ulcèresgastroduodénaux et d’hypertension artérielle.

Les patients présentant un trouble panique(attaques de panique à répétition), seraient plus sujetsaux accidents vasculaires cérébraux qu’un groupecontrôle.

■Complications psychiatriques

des affections organiques

‚ États dépressifs réactionnelsLes troubles dépressifs observés chez les patients

médicochirurgicaux peuvent être de tous types. Le plussouvent, ils sont d’intensité modérée. Les médecinssomaticiens ont tendance à sous-évaluer l’intensité destroubles dépressifs, qu’ils mettent volontiers sur lecompte d’une tristesse naturelle en rapport avec lamaladie somatique, alors qu’il s’agit de troublesdépressifs vrais, autonomes, et méritant une prise encharge spécialisée. On estime ainsi que 50 % desaffections psychiatriques présentées par lesconsultants en médecine générale ne sont pasidentifiées.

Les facteurs favorisant l’émergence d’unedépression, en cas de pathologie somatique sont :

– les âges extrêmes (jeune ou vieux) ;– le sexe féminin ;– le bas niveau socioéconomique ;– l’isolement social.Dans les maladies chroniques et de pronostic

sombre, on a pu montrer que c’était l’invalidité,l’intensité de la douleur et la rapidité du déclin quiprovoquaient le plus souvent des réactionsdépressives, véritables réactions psychologiques à laprogression d’une maladie à l’issue létale.

Il est très important de noter que la gravité de lapathologie n’entre pas en ligne de compte de manièreunivoque. Une dépression sévère peut venircompliquer une pathologie somatique bénigne,pourvu qu’elle produise un important sentimentd’impuissance et d’insatisfaction. À l’inverse, unepathologie sévère (cancer, sida, interventionschirurgicales lourdes) peut ne pas entraîner desymptomatologie dépressive. Dans ce cas, lediagnostic de dépression est fait plus volontierslorsque le praticien se sent débordé par la souffrancephysique de son patient, que lorsque celui-ci sedéprime réellement. Il faut donc veiller, dans cescirconstances, à ne pas transférer sur le patient lesimpressions négatives que produisent les situationsd’allure désespérée.

Certaines pathologies ont été reconnues commeparticulièrement dépressogènes. Elles sont figuréesdans le tableau III.

Dans le cas particulier représenté par les accidentsvasculaires cérébraux, la reconnaissance de ladépression peut être rendue difficile en raison desperturbations induites par le trouble de la conscience,l’aphasie, l’anosognosie et toutes les autresmanifestations de l’atteinte organique. Ces épisodesdépressifs risquent donc d’être méconnus. Cetteméconnaissance est aggravée par la tendance àmettre sur le compte d’une « réaction psychologiquenormale » les symptômes dépressifs consécutifs à unelésion du cerveau.

Les symptômes dépressifs ne sont pas corrélés àl’étendue de l’atteinte organique, mais plutôt avecl’importance du handicap et avec le territoire concernépar la nécrose. Quoique les données soient parfoiscontradictoires, les localisations les plus susceptiblesd’engendrer une dépression sont, par ordredécroissant :

– lésions antérieures gauches ;– lésions postérieures gauches ;– lésions postérieures droites.Plusieurs éléments, certains atypiques dans la

dépression, doivent faire garder ce diagnostic à l’espritdans les 4 mois qui suivent l’accident :

– récupération fluctuante ;– aggravation après amélioration ;– négligence pour les soins ;– rééducation difficile à mener ;

– syndrome psycho-organique ;– alternance inexpliquée de rires et de pleurs ;– anorexie ;– insomnie.

‚ États anxieux

Le dépistage, en médecine générale, des étatsanxieux secondaires à une pathologie somatique,paraît encore inférieur à celui des états dépressifs. Ilssont pourtant fréquents, et apparaissent de façon nonspécifique quelle que soit la pathologie somatique.Leur prise en charge améliore souvent le pronosticgénéral de l’affection somatique associée.

‚ Syndrome subjectifdes traumatisés du crâne

Il s’agit d’une complication psychiatriquetraditionnellement décrite après des traumatismescrâniens, même minimes. Il n’existe aucune corrélationentre la gravité du traumatisme et la survenue dusyndrome.

Il se caractérise par des plaintes subjectives dans lesjours, les semaines ou les mois qui suivent l’accident.Ces plaintes motivent naturellement, initialement, unnouveau bilan somatique, qui s’avère normal. Lesyndrome subjectif des traumatisés du crâne doit êtreévoqué dès lors que des plaintes subjectives persistent,alors que le bilan neurologique est objectivementnormal.

Il se manifeste le plus souvent sous la forme d’unsyndrome dépressif, rarement franc, le plus souventatypique et bâtard. Il est plus fréquent chez les sujetsde faible niveau socioculturel, mal insérésprofessionnellement. Certaines caractéristiquesdoivent aider à faire le diagnostic et inciter à limiter lesexplorations complémentaires :

– sensations vertigineuses ;– douleurs persistantes de topographie incertaine ;– troubles neurovégétatifs ;– irritabilité, intolérance au bruit et à la lumière ;– désintérêt, asthénie ;– troubles du sommeil, cauchemars ;– revendications en rapport avec l’accident ;– parfois, symptômes du registre dépressif ;– insensibilité aux antalgiques, mais réactivité aux

antidépresseurs.

■Stratégies thérapeutiques

‚ Troubles mentaux dans les affectionsorganiques

Dans tous les cas de figure envisagés, la prise encharge et le traitement de la pathologie organiquedoivent amender la symptomatologie psychiatriquequi en était l’expression.

La difficulté n’est là, pas tant thérapeutique quediagnostique.

‚ Affections organiquesdans les troubles mentaux

Les affections organiques survenant chez lespatients psychiatriques doivent être traitées en elles-mêmes, de même que la pathologie psychiatrique, quidoit être traitée selon son évolution propre.

‚ Complications psychiatriquesdes affections organiques

Les complications psychiatriques des troublessomatiques doivent, elles aussi, faire l’objet d’une prise

Tableau III. – Pathologies particulièrementdépressogènes.

Douleur chronique (mais qui peut être une dépres-sion masquée)CancerPathologie gastro-intestinaleInsuffısance rénaleMaladie auto-immuneAVC*

* AVC : accidents vasculaires cérébraux ;

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en charge pour leur propre compte. Néanmoins,certaines spécificités thérapeutiques sont à prendre encompte.

Les états dépressifs réactionnels à un troublesomatique doivent pouvoir faire l’objet, une foisreconnus, d’une prise en charge en bonne et dueforme. Compte tenu du pourcentage important d’étatsdépressifs méconnus ou sous-estimés, c’est uneconduite à tenir qu’il faut toujours garder à l’esprit.Toutes les études montrent qu’un état dépressifsecondaire à une pathologie somatique vient péjorerle pronostic de celle-ci. Quelle que soit la pathologiesomatique envisagée, le traitement de la dépressionqui s’y associe (une fois encore, rappelons que c’est defaçon parfois masquée) améliore le suivi et lacoopération avec le médecin, le confort de vie, etaccélère l’amélioration clinique physique.

Cette prise en charge peut nécessiter, dans laplupart des cas, la prescription d’antidépresseurs.Néanmoins, le sentiment d’impasse ou d’échec danslequel se trouve le médecin (souvent dans les cas demaladies graves) peut le conduire, à tort, à laprescription d’antidépresseurs qui vient obturer ledialogue. Dans ce cas, c’est bien plutôt le médecin quise sent soulagé ou rassuré, plutôt que le patient. Dansles situations les plus désespérées, la nécessité d’uneécoute de qualité est l’action thérapeutique la plussouhaitable. Ainsi, c’est à travers l’abord des questionsessentielles, que le patient pourra trouver uneréassurance, ou débuter un travail de deuil d’un « idéalde bonne santé ». Le pronostic, le traitement, l’espoir, lasurvie, la mort sont autant de thèmes difficiles que lemédecin devrait pouvoir aborder avec son patient. S’ilse sent débordé, le recours à un soutien psychologiquespécialisé est toujours possible, mais doit êtremûrement réfléchi et discuté. En effet, il peut être vécupar le patient comme un abandon ou un rejet de lapart de son médecin, comme s’il ne pouvait faire faceavec lui.

Le soutien psychologique se fait, la plupart dutemps, sous la forme de thérapies de soutien, quipeuvent être brèves. Certaines techniques peuventinclure la réduction des conduites à risque (telle que letabagisme dans le domaine des atteintes cardiovascu-laires et cancéreuses, par exemple). À titre illustratif,rappelons que toutes les études (menées notammentpar les compagnies d’assurance et l’administration

fédérale américaine) montrent que le soutienpsychologique des patients hospitalisés pour maladiegrave permettait d’améliorer le vécu général des soinset de réduire très significativement la durée (donc lecoût) de l’hospitalisation des patients bénéficiant d’unetelle prise en charge. Dans cette optique, on a montréque de simples interventions psychologiques étaient

capables de diminuer de 20 % la durée d’hospitalisa-tion pour infarctus du myocarde et de favoriser leretour à domicile des sujets âgés hospitalisés aprèsfracture du col du fémur.

Le tableau IV résume les quelques spécificités desprescriptions dans certains cas de troublespsychiatriques et somatiques associés.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Troubles mentaux liés à une pathologie somatique.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0190, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Benjamin S, Barnes D, Falconer G, Hoare E. The effect of illness behaviouron the apparent relationship between physical and mental disorders.J PsychosomRes1984 ; 28 : 387-395

[2] Hardy P. Épidémiologie des associations entre troubles mentaux et affectionsorganiques. Paris : PUF, 1993

[3] Lépine JP, Godchau M, Brun P, Teherani M. Évaluation de l’anxiété et de ladépression chez des patients hospitalisés dans un service de médecine interne.AnnMed Psychol (Paris)1985 ; 143 : 175-189

Tableau IV. – Exemples de prescriptions dans certains cas de troubles psychiatriques et somatiquesassociés.

Pathologie somatique Pathologie psychiatrique secon-dairement associée

Traitement à privilégier

Parkinson Hallucinations ou délire Largactilt 50 à 200 mg/jDogmatilt 100 à 200 mg/j(les autres neuroleptiques sont neurologique-ment mal tolérés)

Epilepsie

Dépression Anafranilt 50 à 75 mg/j si possibleSinon : IRS, Athymilt, Vivalant

Troubles du caractère Vérifier l’effıcacité du traitement anticomi-tial. Si besoin, adjonction d’anticomitiauxTégrétolt : 400 à 800 mg/jDépakinet chrono 500 : 500 à 1000 mg/j

Impulsivité, aggressivité Dipipéront 1 à 3 cp/jNeuleptilt fort 5 à 20gouttes/jHaldolt 3 à 10 mg/j

Dépression Seul antidépresseur n’abaissant pas le seuilépileptogène :Vivalant 100 à 300 mg/j(attention, risque de crise convulsive en casd’arrêt brutal)Sinon : antidépresseur tricyclique en aug-mentant le traitement anticomitial et souscontrôle électroencéphalogramme

AVC Dépression Il existe peu d’études statistiquement fiablespour prouver la supériorité d’un antidépres-seur par rapport à un autre. Privilégier :Anafranilt 50 à 150 mg/jProzact20 mg/j

Trauma crânien Syndrome subjectif± Importance du traitement psychologiquespécialisé

Dépression Doses faibles de tricycliques (25 à 50 mg/j)sur une longue période (12 à 18 mois)

Douleur chronique Dépression Laroxylt : 50 à 150 mg/jAnafranilt : 25 à 100 mg/j

7-0190 - Troubles mentaux liés à une pathologie somatique

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Troubles psychotiques :

troubles schizophréniques

et troubles délirants chroniques

V Olivier

L es états psychotiques désignent différentes pathologies psychiatriques autonomes ayant en commun laprésence de signes dits psychotiques : idées délirantes, hallucinations ou dissociation mentale (incohérence,

désorganisation du discours). Les deux principaux groupes diagnostiques regroupés sous ce terme sont les troublesschizophréniques et les troubles délirants chroniques. Les symptômes psychotiques ne sont toutefois pas spécifiquesdes troubles schizophréniques et délirants chroniques, mais peuvent apparaître au cours d’autres pathologiespsychiatriques (cf chapitre « Démarche diagnostique devant un syndrome délirant »), en particulier thymiques(troubles dépressifs ou maniaques délirants). Cependant, même si des signes de dissociation peuvent apparaître aucours d’états non schizophréniques, ces signes restent, dans la clinique traditionnelle française, considérés commespécifiques des troubles schizophréniques.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Le médecin généraliste constitue souvent lepremier interlocuteur consulté par le patientlui-même ou plus souvent par sa famille pour desdifficultés pouvant faire évoquer un troublepsychotique. À ce titre, son rôle dans la prise encharge précoce de la maladie est fondamental. Il estde reconnaître et de rechercher les signes pouvantfaire évoquer une entrée dans une maladiepsychotique, ces signes précurseurs n’étant pastoujours des symptômes typiques de la maladie. Ilest cependant important de ne pas faire undiagnostic de trouble psychotique de manièreabusive devant tout adolescent présentant desdifficul tés scolaires ou des troubles ducomportement.

Souvent, le médecin généraliste est amené àaider le patient et/ou sa famille à prendre unedécision d’hospitalisation (sous contrainteéventuellement) ou de consultation chez unpsychiatre. Il est important d’éviter un délai trop longentre les premiers signes de la maladie et letraitement de celle-ci, la précocité de la prise encharge thérapeutique étant un facteur pronostiqueimportant. Certaines manifestations doivent attirerparticulièrement l’attention et conduire à uneconsultation spécialisée.

La prise en charge au long cours des patients« psychotiques » est souvent lourde et complexe. Elleest fonction de la maladie psychiatrique. La prise encharge des troubles schizophréniques nécessitel’élaboration d’un projet de soins en milieuspécialisé, de préférence sur le secteur psychiatriquecar celui-ci dispose de structures de soins diverses(hôpitaux de jour et/ou de nuit , centresmédicopsychologiques, appartements thérapeu-tiques, réalisation de visites à domicile...). Le dispositifde secteur permet d’assurer une prise en chargeassociant des traitements biologiques, psychothéra-piques, sociothérapiques ainsi qu’une prise encharge familiale.

Le médecin généraliste a un rôle important àjouer tout au long de la maladie schizophrénique. Ildoit être informé des mesures thérapeutiques misesen place pour son patient afin qu’une collaborationde bonne qualité puisse s’établir avec l’équipepsychiatrique. Son rôle est de soutenir son patient etsa famille, d’aider la famille à mieux comprendre et àmieux vivre la maladie, de dépister les signes derechutes, d’évaluer la compliance et la tolérance dutraitement.

Le médecin généraliste est, en général, plusdirectement impliqué dans la prise en charge destroubles délirants chroniques, en particulier desdélires paranoïaques, en raison de l’évolutionprogressive et à bas bruit des troubles et du dénid’une pathologie mentale par le patient.

■Troubles schizophréniques

Les troubles schizophréniques sont des troublesmentaux chroniques affectant 1 % de la population.Le terme de schizophrénie a été créé par Bleuler en1910, pour désigner un groupe de maladiesrattachées à une même pathogénie : la dissociationmentale, trouble pathogénique fondamental,organisateur de la maladie, qui permettaitd’expliquer les symptômes cliniques observés(théorie explicative de la maladie), mais dont lesétiologies pouvaient être multiples. Bleuler définissaitainsi la schizophrénie : « il s’agit d’un groupe depsychoses qui évolue tantôt sur le mode chronique,tantôt par poussées, qui peut s’arrêter ou rétrocéderà n’importe quel stade, mais qui ne permet sansdoute pas de restitutio ad integrum complète. Cegroupe est caractérisé par une altération de lapensée, du sentiment et des relations avec le mondeextérieur d’un type spécifique et que l’on nerencontre nulle part ailleurs ».

Avant Bleuler, Kraepelin (1887, 1898) avaitregroupé sous le terme de « démence précoce »(dementia praecox), trois grandes formes cliniquesde psychose : la forme paranoïde, l’hébéphrénie et lacatatonie, dont les deux caractéristiquesfondamentales étaient une évolution chronique

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inéluctable vers un état démentiel et un troublefondamental défini par un appauvrissementémotionnel.

Depuis les description de Kraepelin et Bleuler, laschizophrénie a été l’objet d’un nombreconsidérable de travaux et de controverses sur sescritères diagnostiques, ses limites nosographiques,ses causes et ses mécanismes. Ces travaux n’ontcependant pas permis d’aboutir à un réel consensusentre les différentes écoles psychiatriques sur ladéfinition et l’étiopathogénie de la maladie.Cependant, l’origine biologique de la maladie ne faitplus aucun doute aujourd’hui ; selon les dernièreshypothèses, la schizophrénie serait liée à undysfonctionnement de structures cérébralesd’origine biologique.

La clinique traditionnelle française garde uneconception assez restrictive de la maladie, centréesur deux critères clefs : la présence d’un syndromedissociatif et le caractère chronique des troubles,même si ceux-ci peuvent varier en intensité au coursde l’évolution, avec une évolution à long termeparfois déficitaire.

Les expressions cliniques de la schizophrénie sonttrès variées d’un malade à l’autre, et fluctuent avec letemps. Les nombreux signes cliniques décritspeuvent être regroupés autour de trois grandesdimensions syndromiques : la dissociation, le délireet l’autisme. Bien qu’aucun de ces signes ne soitpathognomonique de la maladie, le syndrome dedissociation reste un signe relativement spécifiquede la schizophrénie. Ces signes peuvent ou nons’associer de façon variable au cours de la maladie.

‚ Description clinique traditionnelle

Le diagnostic de schizophrénie repose sur troisgrandes dimensions sémiologiques : la dissociationmentale, le délire et l’autisme.

Trois autres critères sont nécessaires audiagnostic : une évolution de la symptomatologiependant au moins 6 mois, un début des troublesavant l’âge de 40 ans et une détérioration du niveaude fonctionnement antérieur.

Dissociation mentale

La dissociation mentale reste considérée commele trouble fondamental de la schizophrénie. Elledésigne une dislocation des fonctions psychiques,une perte d’unité de la personnalité du sujet. Elles’exprime au niveau clinique dans les différentsdomaines d’activité du sujet : activité mentale,comportementale, affectivité. Les symptômes dedissociation ou de discordance sont variables dans letemps et peuvent s’associer à des performancesintellectuelles tout à fait remarquables.

La dissociation de la pensée s’exprimantcliniquement par les troubles formels de la penséeou les troubles du cours de la pensée restent aucentre de la description de la schizophrénie dans laclinique traditionnelle française. Il s’agit d’unedésorganisation des activités mentales s’exprimantavant tout au niveau du discours. Le déroulement dela pensée est souvent perturbé par desralentissements, voire des interruptions inexplicablesdu discours, le classique barrage, signe supposépathognomonique, mais de reconnaissance très

difficile, par des phénomènes de persévérations oude stéréotypies (le cours de la pensée reste bloquésur une idée ou le malade ne cesse de revenir surune même idée). Le discours est perturbé par laprésence de brusques ruptures de sens, descontaminations d’une idée par une autre, descontradictions, des coq-à-l’âne, des associationsabsurdes, une diffluence avec des digressions sansrapport entre elles. Le pensée apparaît ainsi insoliteet le raisonnement illogique, impénétrable.

Les troubles du langage reflètent également lemanque de cohérence de la pensée : ralentissementintermittent du débit de la voix (fading), accès demutisme ou de semi-mutisme (entrecoupé de gestesbrusques ou d’impulsions verbales), accès deverbigération. La pauvreté ou la perte despontanéité du langage peut se traduire par unelatence des réponses, une pauvreté du discourset/ou de son contenu. Les composants élémentairesdu langage peuvent être également atteints :utilisation de mots nouveaux n’existant pas dans lalangue (néologismes), mots créés pour exprimer desconcepts obscurs et personnels, mots utilisés àmauvais escient dans une phrase (paralogismes),mauvaise utilisation des règles syntaxiques(agrammatisme), au maximum, langage totalementdéformé et incompréhensible, aboutissant à unparalangage absolument hermétique, interdisanttout communication (schizophasie).

D’autres particularités de la pensée schizophré-nique rendent le discours du patient obscur etimpénétrable : la tendance au symbolisme,c’est-à-dire le recours à des métaphores et desimages donnant aux expressions du schizophrèneun caractère bizarre, maniéré et flou, une tendance àmanipuler des concepts abstraits, sans portéepragmat ique, un rat ional isme morbide ,raisonnement pseudologique d’allure scientifique ouphilosophique totalement détaché du réel.

Dans le champ affectif, la dissociation peuts’exprimer soit par un appauvrissement del’affectivité et des réactions émotionnelles, soit parune inappropriation des affects (affect gai avecpropos tristes), soit par une ambivalence affective(expression simultanée de deux sentimentscontraires : amour et haine, désir et rejet, fusion etséparation).

Dans le champ des comportements, des troublespsychomoteurs expriment l’ambivalence et la pertede l’unité de la vie psychique : maniérisme etmaladresse des gestes, bizarrerie de la mimique,caractère contradictoire ou absurde de certainsmouvements qui semblent involontaires. Lesyndrome catatonique, actuellement rare, associe unensemble de troubles moteurs tels qu’unnégativisme (résistance voire opposition active, repli),une inertie (suspension des gestes, passivité), desstéréotypies (répétitions de mêmes gestes ou demêmes conduites), des hyperkinésies (souventagressives ou clastiques), une catalepsie (perte del’initiative motrice, flexibilité cireuse, plasticité, etconservation des attitudes imposées).

Les conduites sociales sont souvent perturbées :isolement social progressif, comportementsinadaptés, impulsifs, auto- ou hétéroagressifs.

Bien que considéré comme non spécifique et dediagnostic difficile (car de définition floue et peuobjective) par les psychiatres américains, lesyndrome de dissociation reste pour les cliniciensfrançais un signe fondamental de schizophrénielorsqu’il survient en dehors d’un trouble thymique(maniaque ou dépressif) et qu’il persiste au moins6 mois. Il permet d’autre part de distinguer laschizophrénie des délires chroniques, la majorité deces délires sont rattachés, dans les écolespsychiatriques anglosaxones, à la schizophrénie.

Délire

Le syndrome délirant schizophrénique, dit délireparanoïde, est un délire polymorphe, nonsystématisé, souvent extrêmement flou, illogique etincompréhensible. Tous les mécanismes délirantspeuvent être observés, mais les plus fréquents sontles hallucinations, le plus souvent acousticoverbales,et l ’automatisme mental (hal lucinat ionsintrapsychiques). Les thèmes délirants sont variés etsouvent intriqués, centrés sur des idées depersécution, de menace, d’influence, pouvants’associer à des thèmes mégalomaniaques,d’érotomanie, de devination, de catastrophe. Laparticipation émotionnelle au délire est variable : onpeut retrouver une indifférence affective ainsi qu’unefroideur ; un sentiment d’angoisse (sentimentd’hostilité de l’ambiance, de menace), parfoisd’euphorie (sentiment de toute puissance). En cas deforte participation émotionnelle au délire, unehospitalisation s’avère en général indispensable enraison de troubles de comportement associés.

Les caractéristiques du délire peuvent se modifierau cours de l’évolution. Lors des accès aigus de lamaladie, il prend l’allure de bouffées délirantesnécessitant une hospitalisation. En dehors des accès,on observe un certain appauvrissement des thèmes.

Autisme

L’autisme est la conséquence directe de ladissociation qui oblige le schizophrène àréaménager ses rapports avec le monde : leschizophrène reconstruit un monde à lui,indépendant de la logique de la réalité et del’existence des autres, dans lequel ses désirs sontexaucés et les obstacles exclus. L’autisme estcaractérisé par deux phénomènes : une évasion dela réalité (perte de contact avec la réalité) et uneprédominance relative ou absolue de la vieintérieure. Le retrait du monde se traduithabituellement par un apragmatisme, uneindifférence et une pauvreté affective, un désintérêtet un retrait social.

Lorsque le retrait autistique est majeur etempêche toute activité et tout contact avec le mondeextérieur, une hospitalisation continue en institutionspécialisée est nécessaire.

Ces trois syndromes sont d’intensité variable etpeuvent ou non s’associer au cours de l’évolution.Les signes dits positifs ou productifs, délire etdissociation, apparaissent généralement en début demaladie, alors que les signes dits négatifs oudéficitaires (retrait autistique) surviennentgénéralement plus tardivement.

7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

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Page 96: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

À ces signes peuvent s’associer d’autres signesmoins spécifiques.

L’angoisse est fréquente et souvent intense. Ellepeut s’exprimer sous la forme d’une angoisse dedépersonnalisation (le malade ne se reconnaît plus)ou de déréalisation (le malade ne reconnaît plus sonenvironnement).

‚ Diagnostic dansles classifications internationales

La nécessité pour la recherche clinique etfondamentale d’homogénéiser les pratiquesdiagnostiques entre cliniciens, entre chercheurs etentre pays, a amené, ces dernières années, destentatives d’homogénéisation des critèresdiagnostiques des troubles mentaux et la création desystèmes critériologiques internationaux. Devantl’absence de consensus quant à l’étiopathogénie destroubles mentaux, les auteurs des principalesclassifications ont utilisé une approche dite« a-théorique », c’est-à-dire purement descriptive,pour définir les troubles mentaux. Le choix descritères diagnostiques a été basé sur la clarté de leurdéfinition, plutôt que sur leur spécificité.

Le choix de critères précis et objectifs (afind’améliorer la fidélité interjuge) a eu pourconséquence, pour la clinique de la schizophrénie, lerejet au second plan du concept bleulérien dedissociation mentale, jugé de définition floue et peuobjective. Le poids diagnostique du syndrome dedissociation a donc considérablement chuté dans lesprincipaux systèmes critériologiques internationaux(DSM IV, système critériologique américain ; CIM 10,classification internationale des maladies del’Organisation mondiale de la santé [OMS]), au profitde critères de définition plus clairs et plus objectifstels que les hallucinations et le délire. Le diagnosticde schizophrénie repose ainsi essentiellement sur lessymptômes productifs : le délire et les hallucinations.

Malgré l’abandon, au moins partiel, du conceptde dissociation comme critère fondamental dudiagnostic de schizophrénie, les cliniciens françaiscontinuent d’utiliser ce concept pour porter lediagnostic de schizophrénie. Ce concept permetégalement à l’école française de distinguer au seindes troubles psychotiques chroniques, laschizophrénie et les autres délires chroniques, délireschroniques non hal luc inatoi res (dél i resparanoïaques et délires imaginatifs) et la psychosehallucinatoire chronique, distinction non reconnuepar les deux principaux systèmes critériologiquesactuels (DSM IV, CIM 10). L’école américaine intègrela psychose hallucinatoire chronique et les déliresimaginatifs au sein des troubles schizophréniques.

Il n’existe donc pas actuellement de réelconsensus entre les différentes écoles psychiatriquessur la définition et les limites diagnostiques destroubles schizophréniques.

‚ Modes d’entrée dans la schizophrénie

L’importance d’une mise en route précoce desmesures thérapeutiques impose de savoirreconnaître les formes de début de la maladie.Certains signes évoquant une entrée dans lamaladie doivent conduire à une consultationspécialisée afin d’établir le diagnostic.

La schizophrénie débute généralement chezl’adolescent ou l’adulte jeune. L’entrée dans lamaladie peut s’effectuer, soit de manière brutale etbruyante par l’émergence d’un trouble aigu, soit demanière insidieuse et progressive.

Au début de la maladie, le diagnostic est souventdifficile à poser, car les signes francs deschizophrénie n’apparaissent qu’après plusieursmois ou années d’évolution. Le diagnostic ne doitpas être porté de façon abusive chez tout adolescentqui présente des troubles du comportement ou desdifficultés scolaires mais il ne doit pas non plus êtrenégligé en raison de la nécessité d’un traitementprécoce.

Troubles insidieux et progressifs

Les formes à début progressif sont un peu plusfréquentes que les formes à début aigu. Elles sontcaractérisées par une rupture dans la vie du sujet :changement incompréhensible de caractère,d’intérêt, de comportements, difficultés scolaires.

Différents symptômes non spécifiques peuventconstituer le premier symptôme de la maladie. Ilpeut s’agir de troubles de la concentration entraînantune baisse du rendement scolaire ou professionnel,de signes d’autisme avec retrait et isolement social,perte progressive des intérêts, perte des activités,aboulie, apragmatisme, indifférence affective, parfoishostile à l’entourage. Les périodes d’apragmatismepeuvent être entrecoupées par des actes impulsifs(auto ou hétéro-agressifs), des engouements subitespour des sujets inhabituels, parascientifiques,religieux ou ésotériques. Certaines manifestationsdoivent attirer particulièrement l’attention telles quedes troubles des conduites alimentaires, etparticulièrement l’anorexie mentale (20 à 30 %évoluent vers la schizophrénie). Des manifestationsd’allure névrotique, et particulièrement desmanifestations pseudophobiques sous-tendues pardes idées délirantes hypocondriaques concernant lefonctionnement du corps (nosophobie, éreuto-phobie, surtout dysmorphophobie) ou l’identité

sexuelle ; et des manifestations obsessionnellesannonciatrices de l’automatisme mental, sontfréquentes en début de maladie. On parle deschizophrénie pseudonévrotique. Des conduitespsychopathiques peuvent également annoncer lamaladie : délinquance, recours à l’alcool et auxdrogues. On parle d’héboïdophrénie.

Ces symptômes initiaux doivent conduire à uneconsultation spécialisée qui cherchera à mettre enévidence les premiers signes de dissociation oul’ébauche d’une activité délirante. On pourraégalement s’appuyer sur les informations apportéespar la famil le ainsi que par des testspsychométriques.

Le rôle du médecin de famille est d’aider le patientet sa famille à accepter une consultationpsychiatrique en insistant sur la nécessité d’une priseen charge précoce, en informant le patient surl’existence de traitements médicamenteuxspécifiques très efficaces et l’intérêt de cestraitements et d’un soutien psychologique.

Troubles aigus

Deux types de symptomatologie aiguë peuventinaugurer une schizophrénie : un épisode délirantaigu (bouffée délirante aiguë) ou des épisodesd’allure maniaque ou dépressive.

Un épisode délirant aigu (bouffée délirante aiguë)peut inaugurer la maladie schizophrénique. Lepronostic d’un tel épisode est presque impossible àdéterminer pendant l’épisode lui-même. Cependant,certains arguments sont en faveur d’un pronosticdéfavorable et prédictifs d’une évolution vers laschizophrénie :

– un début moins brutal, précédé d’une phaseprodromique insidieuse ;

– l’absence de trouble de l’humeur avant etpendant l’épisode aigu, avec appauvrissement etrestriction des affects ;

– une personnalité prémorbide pathologique detype schizoïde ;

– une résolution incomplète de l’accès aveccritique partielle du délire.

La persistance ou l’apparition de signes dedissociation au décours de l’épisode permettront deconfirmer le diagnostic.

Des épisodes thymiques, maniaques oudépressifs, dits atypiques, peuvent égalementinaugurer la maladie. Ces états associent unesymptomatologie thymique à des signes dissociatifset des idées délirantes non congruentes à l’humeur,fréquemment persécutives. Devant un tel épisodesurvenant chez un adolescent, il est cependantimportant de ne pas porter un diagnostic deschizophrénie de façon abusive. Un diagnostic detrouble de l’humeur (psychose maniacodépressive)doit également être envisagé, compte tenu de lapossibilité d’un traitement préventif par unthymorégulateur. L’antériorité d’apparition dessignes maniaques ou dépressifs sur les signesatypiques oriente plutôt vers un diagnostic depsychose maniacodépressive (PMD). La persistancede signes dissociatifs et/ou délirants après l’épisodeaigu oriente plutôt vers une schizophrénie.

Il est fondamental de savoirreconnaître les signes précurseurs dela maladie schizophrénique car lespossibilités thérapeutiques sont enpartie fonction de son dépistageprécoce.

Certaines manifestations doiventparticulièrement attirer l’attention dumédecin généraliste chez unadolescent présentant des troubles ducomportements et/ou un changementincompréhensible de caractère : dessignes hypocondriaques, unedysmorphophobie (transformationcorporelle), des troubles des conduitesalimentaires (anorexie avec régimesbizarres), des phobies socialess’accompagnant de la crainte d’êtreobservé ou influencé par autrui.

Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

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Page 97: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

‚ Formes cliniques

Les formes cliniques sont très diverses. Quatreformes classiques ont été individualisées : la formeparanoïde associant un délire et une dissociationplus ou moins prononcée, la forme hébéphréniquecaractérisée par la prédominance d’unesymptomatologie déficitaire et dissociative, le délireétant absent ou discret, la forme catatonique, plusrare, définie par une discordance psychomotriceprévalante et la schizophrénie simple réduite à unerestriction des intérêts et des relations et uneambivalence affective, sans délire ni troublesdissociatifs importants.

Les deux formes cliniques les plus fréquentes sontla forme hébéphrénique ou déficitaire ou « négative »et la forme paranoïde ou productive ou « positive ». Ilest important de reconnaître ces deux types deschizophrénie car ils ont une évolution, un pronosticet une réactivité au traitement distincts.

La forme hébéphrénique est caractériséecliniquement par la prédominance de symptômesdéficitaires : une pauvreté et un retrait affectif, unrepli social, un apragmatisme, un désintérêt. Le délireest soit absent, soit peu exprimé. L’évolution est engénéral rapidement chronique vers un étatdéficitaire croissant et d’appauvrissement social,affectif et intellectuel. Même si des améliorationspeuvent s’observer, cette forme est en généralassociée à un mauvais pronostic car peu sensibleaux traitements médicamenteux. Elle nécessiteprécocement une prise en charge institutionnelledont le rôle est de stimuler le patient.

La forme paranoïde est caractérisée par laprésence prédominante de symptômes productifs(idées délirantes et hallucinations) et d’un syndromedissociatif. Elle apparaît classiquement au décoursd’un ou de plusieurs accès délirants aigusincomplètement résolutifs. L’évolution est faite depoussées processuelles entrecoupées de périodes derémissions partielles, au cours desquelles le patientpeut retrouver un bon niveau d’adaptationprofessionnelle, au moins en début de maladie.Cette forme, de meilleur pronostic, est plus sensibleaux traitements neuroleptiques qui permettent demieux contrôler l’évolution.

‚ ÉvolutionL’évolution de la schizophrénie est très variable et

peu prévisible. Elle est parfois sévère. Certainspatients évoluent rapidement vers un état déficitairecroissant empêchant toute activité et tout contactavec le monde extérieur. D’autres patients, trèsdissociés, présentent une désorganisation de leuractivité mentale entravant de façon majeure lacommunication avec autrui. Enfin, d’autres patientsencore s’enferment dans un délire de plus en plusincohérent, résistant au traitement.

Le pourcentage d’évolutions sévères vers un étatdémentiel et une hospitalisation continue acependant considérablement diminué depuisKraepelin, grâce aux progrès des thérapeutiques(médicamenteuses, institutionnelles) et au dépistageprécoce de la maladie. Même des formes déficitairesmarquées peuvent s’améliorer et retrouver unerelative adaptation sociale.

La majorité des patients se stabilisent au bout dequelques années.

Enfin, dans 25 % des cas environ, l’évolution de lamaladie est très favorable. Les facteurs de bonpronostic qui tendent à prédire une évolutionfavorable sont : un début tardif de survenue aiguë, laprésence de facteurs déclenchants manifestes,l’existence d’une personnalité prémorbide bienadaptée sur le plan social et familial, une bonneréactivité au traitement médicamenteux d’unépisode aigu avec résolution complète de l’accès.

L’évolution dépend de l’efficacité du traitement(médicamenteux, psychothérapique, institutionnel),mais également d’autres facteurs tels que le soutienet la collaboration de l’entourage familial, lesévénements de vie auxquels sont soumis le patient,la personnalité du schizophrène. Les facteurspsychologiques influencent grandement l’évolutionde la maladie ; en particulier des événements de viestressants, l’expression d’une hostilité ou desentiments négatifs de l’entourage, des situationsd’humiliation, l’éloignement d’un être cheraugmentent les risques de rechute.

‚ Hypothèses étiopathogéniquesde la maladie

De nombreux travaux ont été réalisés pourétudier les causes et les mécanismes de la maladie(la pathogénie). Plusieurs modèles pathogéniques ethypothèses étiologiques ont été proposés maisaucun, à lui seul, ne permet d’expliquer la maladie.Les modèles actuels postulent l’existence deplusieurs facteurs étiologiques intervenant àdifférents niveaux (clinique, cognitif, génétique...).

L’intervention de facteurs génétiques dans laschizophrénie paraît bien démontrée, cependant lemode de transmission reste discuté et le lien entreles facteurs génétiques et les autres facteurs de lamaladie est peu clair. Les études d’adoption vontdans le sens d’un risque accru de schizophrénie dansla famille au premier degré d’un patientschizophrène. Les études de jumeaux montrent unrisque plus élevé pour la schizophrénie chez lesjumeaux homozygotes que les hétérozygotes.

L’origine biologique de la maladie ne faitégalement plus aucun doute aujourd’hui.L’hypothèse d’un dysfonctionnement du systèmedopaminergique a été la première hypothèsebiologique retenue. Elle reposait sur le fait que lesneuroleptiques agissaient en bloquant les récepteursdopaminergiques et qu’à l’inverse, les agonistesdopaminergiques aggravaient les symptômesschizophréniques. Cependant, tous les symptômesne pouvaient être expliqués par une hyperdopami-nergie. L’hypothèse d’une hypodopaminergiesous-tendant les symptômes négatifs est venuecompléter le modèle dopaminergique de la maladie.Depuis, d’autres systèmes neurotransmetteurs ontété explorés et semblent jouer également un rôledans la maladie. Même si aucun de ces modèles nepermet à lui seul d’expliquer l’ensemble de lasymptomatologie schizophrénique, ces travauxconfirment l’existence d’anomalies biologiquessous-tendant la maladie schizophrénique etpermettent d’orienter les recherches psychopharma-cologiques vers de nouveaux produits.

Des hypothèses neuroanatomiques ontégalement été avancées. Les études d’imageriecérébrale (scanner et imagerie par résonancemagnétique [IRM]) ont, dans un premier temps, misen évidence des anomalies structurales du cerveauchez les schizophrènes déficitaires, et en particulierun élargissement des ventricules cérébraux. Au vudes résultats d’études plus récentes, l’hypothèsed’anomalies lésionnelles a été remplacée par celled’anomal ies fonct ionnel les du cerveau,n’apparaissant que lorsque certaines fonctions sontsollicitées. Ces anomalies fonctionnelles ont étémises en évidence grâce aux nouvelles techniquesd’enregistrement de l’activité cérébrale, montrantune hypoactivité dans certaines régions cérébraleslors de la passation de tâches expérimentalesmettant en jeux une fonction cognitive donnée.

Plus récemment, l’hypothèse d’une anomalieneurodéveloppementale a été postulée, permettantd’expliquer les anomalies cognitives desschizophrènes. D’après cette hypothèse, certainescapacités cognitives « de haut niveau » (organisationde l’action, conscience de l’action, attributiond’intentions) permettant un bon ajustement du sujetà son milieu et à autrui, ne se mettraient pas enplace normalement à l’adolescence chez leschizophrène. Ce déficit neurodéveloppementalpourrait être d’origine génétique, mais égalementvirale.

Enfin, les facteurs environnementaux et enparticulier familiaux jouent également un rôle dansla survenue du trouble. L’attitude de l’entouragefamilial et notamment l’expression d’émotions

L’établissement d’un diagnosticprécoce est fondamental. Lespossibilités thérapeutiques sont enpartie fonction de la précocité dudépistage de la maladie. Il est doncimportant de savoir reconnaître lesformes de début de la maladie.✔ Début aigu : bouffée déliranteaiguë, épisode maniaque oudépressif atypique, épisodecatatonique (rare).✔ Début insidueux et progressif :forme déficitaire (asthénie, difficultésintellectuelles, désintérêt, retrait etisolement affectif et social), formepseudonévrotique (manifestationsphobiques et obsessionnellesatypiques), forme déliranteprogressive (idées hypocondriaques,transformation corporelle,dysmorphophobie, troubles desconduites alimentaires atypiquesavec régimes bizarres).Ces signes doivent conduire à uneconsultation spécialisée, voire à unehospitalisation, pour une observationet un bilan qui confirmeront ou nonun diagnostic de schizophréniesouvent très délicat à poser.

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négatives, hostiles, rejetantes vis-à-vis duschizophrène, influencent la fréquence des rechuteset l’évolution de la maladie.

L’ensemble de ces facteurs participent à desdegrés divers à l’étiopathogénie de la maladie.

‚ Moyens et stratégies thérapeutiques

La schizophrénie est une maladie chronique etinvalidante, nécessitant une prise en chargespécialisée, prolongée et adaptée à chaque patientet sa famille. La chronicité des troubles impose uneprise en charge ambulatoire et hospitalière desecteur, où l’intervention de toute une équipepluridisciplinaire permet un dépistage précoce desrechutes, prévient le recours à l’hospitalisation etaide à maintenir une insertion socioprofessionnelle.Il n’existe pas de traitement « codifié » valable pourtout patient. Le traitement est fonction de la formeclinique de la maladie, du stade évolutif, de lapersonnalité du sujet, de la qualité de l’entouragefamilial, des possibilités de réinsertion sociale... Il doitêtre le plus précoce possible.

Le projet thérapeutique doit inclure troisdimensions : un traitement médicamenteux, unepsychothérapie individuelle, une prise en chargedu « milieu » (prise en charge familiale, sociale).

L’hospitalisation est nécessaire dans différentessituations : pour une évaluation diagnostique,symptomatique et thérapeutique, pour instaurer unerelation thérapeutique durable avec l’équipe desecteur lors d’une recrudescence délirante associée àdes troubles du comportement.

Le traitement médicamenteux repose sur lesneuroleptiques qui agissent sur les phases aiguës dela maladie (hallucinations et délire) et, lors despériodes de rémission, préviennent les rechutes. Desneuroleptiques d’action prolongée peuvent êtreadministrés par voie injectable (une injectionintramusculaire par mois), en traitement d’entretienau long cours. Ils permettent d’augmenter lacompliance du traitement qui est souvent mauvaisedans ce type de trouble.

Un soutien psychologique doit être systémati-quement associé au traitement médicamenteux. Cetteaide psychologique consiste à soutenir, réassurer lepatient, lui donner des explications sur sa maladie etson traitement, ainsi que des conseils. Cettepsychothérapie permet d’instaurer une relation deconfiance avec le patient qui améliore la complianceau traitement. Des psychothérapies plus structurées,individuelles ou de groupe, peuvent être égalementenvisagées (psychothérapie cognitivocomporte-mentale, psychodrame, ateliers d’expression,psychothérapie analytique « aménagée »).

Différentes modalités de prise en charge familialesont possibles et fonction de différents facteurs(demande familiale, importance de la pathologiefamiliale...). Il peut s’agir d’entretiens, de conseils etde soutien, de visites au domicile, de groupes deparents, voire de thérapies familiales plus structuréesvisant à traiter l’ensemble du « système » familialdans ses perturbations relat ionnel les etcommunicationnelles. Lorsque le maintien dans lemilieu familial devient difficile, il est possible deproposer un hôpital de nuit, un foyer ou unappartement thérapeutique.

Des mesures sociothérapiques ambulatoirespermettent de faciliter la réinsertion sociale, voireprofessionnelle, des patients schizophrènes :hôpitaux de jour, foyers de postcure, clubssociothérapiques, ateliers professionnels protégés,centres d’aide pour le travail (CAT).

Le rôle du médecin généraliste, dans la prise encharge d’un patient schizophrène, est important. Ilest de faciliter un diagnostic précoce, parfois enaidant la famille à prendre une décisiond’hospitalisation (sous contrainte éventuellement) oude consultation chez un psychiatre devant desdifficultés pouvant faire évoquer une schizophrénie.Au cours de la maladie, il est de soutenir le patient etsa famille en collaboration avec le psychiatre, d’aiderla famille à « vivre avec la maladie » pour que le foyersoit un soutien et non une menace, d’encourager lepatient à poursuive son traitement. L’environnementfamilial doit être à la fois suffisamment stimulantpour que le malade puisse progresser, mais sansqu’il soit fixé de buts irréalistes. L’entourage doit êtreassez tolérant aux bizarreries de comportement ouau délire, éviter d’exprimer des émotions trophostiles et négatives vis-à-vis du patient, accepterl’existence de troubles résiduels chroniques,collaborer avec l’équipe soignante.

■Troubles psychotiques chroniques

non schizophréniques

ou délires chroniques

Les délires chroniques se définissent comme destroubles délirants permanents, survenant à l’âgeadulte (classiquement plus tardivement que dans laschizophrénie), et qui se distinguent des troublesschizophréniques par l’absence de signes de

dissociation et la rareté ou l’absence de signesdéficitaires importants. Bien qu’ils ne soient pasreconnus par les systèmes diagnostiquesinternationaux, les délires chroniques restentconsidérés, dans l’école psychiatrique française,comme une catégorie diagnostique bien définie etautonome.

En fonction du mécanisme prévalent du délire, ondistingue trois types de délire chronique :

La schizophrénie est liée à undysfonctionnement biologique desstructures du cerveau. Différentsfacteurs étiologiques participent, à desdegrés divers, à l’étiopathogénie de lamaladie, mais le lien entre cesdifférents facteurs reste mal défini :facteurs génétiques,neurodéveloppementaux, cognitifs.

Le rôle du médecin généraliste, dansla prise en charge d’un patientschizophrène, est fondamental.✔ Faciliter un diagnostic précoce.✔ Assurer un rôle d’intermédiaireentre le patient et sa famille, et lemilieu psychiatrique.✔ Soutenir le patient et sa famille encollaboration avec l’équipepsychiatrique de secteur (conseils àla famille, explications etinformations sur la maladie et sontraitement).✔ Participer au dépistage précoce desrechutes.

La distinction de ces trois types dedélires chroniques s’impose du fait deleurs différences évolutives et de priseen charge. En effet, ces différentsdélires ont un pronostic (conséquencessocioprofessionnelles, légales) et uneréactivité au traitement distinctes etpar conséquent conduisent à des prisesen charge distinctes, bien codifiées.✔ La PHC est une pathologie rare.Elle nécessite le plus souvent unehospitalisation en début detraitement du fait de la convictiondélirante, des troubles ducomportement et de lanon-reconnaissance des troubles.Elle est caractérisée par une trèsbonne réactivité aux neuroleptiquesantiproductifs qui permettent demaintenir une adaptationsocioprofessionnelle satisfaisante.✔ Les délires paranoïaques sontcaractérisés par la dangerosité despatients. Ils impliquent souvent lemédecin généraliste du fait du dénide toute atteinte mentale par lespatients, de l’apparition souventprogressive de l’activité délirante etde l’évolution à bas bruit destroubles. La conduite à tenir estfonction du type de délireparanoïaque. Les neuroleptiquessont en général peu efficaces surl’activité délirante. La prise encharge psychiatrique débute souventaprès une hospitalisation souscontrainte, effectuée à l’occasion detroubles du comportement (acteshétéro agressifs) en rapport avec ledélire.✔ Les délires imaginatifs sont d’unepart rares, d’autre part « rarementobservés » en consultation, car ilscoexistent avec une remarquableadaptation à la réalité quotidienne età la vie sociale et professionnelle dufait d’une activité délirante biencirconscrite qui se juxtapose à laréalité. On parle de bipolarisation dela vie psychique du paraphrène. Lesneuroleptiques sont souvent peuefficaces et risquent d’induire desmouvements dépressifs.

Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

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– la psychose hallucinatoire chronique (PHC)(mécanisme hallucinatoire) ;

– le délire chronique d’imagination ouparaphrénie (mécanisme imaginatif) ;

– les délires paranoïaques (mécanismeinterprétatif).

‚ Description clinique

Psychose hallucinatoire chronique

Dans la PHC, le mécanisme délirant prévalent estl’hallucination.

Le début des troubles est relativement tardif, entre30 et 50 ans. La PHC serait plus fréquente chez lafemme que chez l’homme, et surviendrait sur unepersonnalité prémorbide, caractérisée par des traitsde personnalité sensitifs ou psychasthéniques.

Le mode d’entrée dans la maladie est souventbrutal, par un épisode délirant aigu, richementhallucinatoire, avec d’emblée un automatismemental. L’installation des troubles peut être plusprogressive, s’accompagnant de phénomènescénesthésiques pénibles, ou d’un sentimentd’automatisme de certaines fonctions psychiquesdont le caractère pathologique n’est pas d’embléeévident pour le sujet. Un facteur déclenchantpossible (décès, éloignement ou maladie dans lestrois années précédentes) apparaît dans 40 % descas.

Dans la phase de délire installé, la PHC secaractérise par l’importance et la richesse deshallucinations. Les hallucinations sont variées,psychosensorielles (essentiellement auditives, maiségalement cénesthésiques, olfactives et gustatives)et psychiques (automatisme mental). Les thèmessont également variés, souvent mégalomaniaqueset persécutifs. Au cours de l’évolution, le délire peuts’enrichir de mécanismes imaginatifs ouinterprétatifs. Le plus souvent, le délire apparaît bienorganisé, logique et cohérent. Cette organisationpeut se relâcher lorsque les thèmes se multiplient oulorsque des éléments imaginatifs viennent enrichir ledélire. La conviction délirante est souventimportante, ce qui conduit à des comportementspathologiques (conduites de fuite, protectionsdiverses, insonorisation de pièces, changement deserrures ou de domicile, plaintes à la police...). Cestroubles du comportement doivent conduire à unehospitalisation. En revanche, les réactions agressivescontre les persécuteurs sont relativement rares. Leretentissement de ces comportements sur la vierelationnelle et professionnelle est souventimportant. Les patients se retrouvent rapidement ensituation d’isolement social.

L’absence de signes de dissociation et de signesdéficitaires est également un élément en faveur dudiagnostic de PHC et contre celui de schizophrénie.Le contact avec ces patients est en général de bonnequalité. Il ne manifeste pas la réticence du délirantparanoïaque. Une note thymique de type dépressifest fréquente.

L’évolution se fait par poussées, au coursdesquelles le délire se réactive (« moments féconds »),entrecoupées de rémissions plus ou moinsmarquées. Spontanément, le délire a tendance à

s’étendre, à s’enrichir d’autres mécanismes,imaginatifs ou interprétatifs, envahissant de plus enplus la vie mentale et sociale du sujet.

Comme pour tout épisode délirant aigu, le rôledu médecin généraliste est de faciliter l’hospitali-sation, avec la collaboration de la famille, pour uneévaluation diagnostique et thérapeutique. La priseen charge initiale d’une PHC nécessite le plussouvent une hospitalisation, du fait de la convictiondélirante, des troubles du comportementfréquemment associés et de la méconnaissance destroubles par le patient qui rend difficile l’observancethérapeutique.

Les traitements neuroleptiques antiproductifspermettent une régression plus ou moins complètedes phénomènes hallucinatoires et, plutôt qu’unecritique du délire, une mise à distance de celui-ci(enkystement du délire). Parfois, les neuroleptiquesentraînent une disparition complète du délire.

Le traitement permet en général de maintenir uneadaptation sociale et professionnelle correcte.

Compte tenu de la chronicité des troubles et de lapermanence du système délirant (rechute délirantequand interruption du traitement), les PHC doiventêtre orientées, au décours de l’hospitalisation, versune prise en charge ambulatoire de secteur.

Délire chronique imaginatif ou paraphrénie

La paraphrénie est définie comme un délirechronique dans lequel les mécanismes imaginatifsprédominent sur les autres mécanismes délirants,dont les thèmes sont volontiers grandioses etfantastiques, dont l’organisation est peusystématisée et qui ne comporte pas dedétérioration intellectuelle ou affective importante.

Le début des troubles est souvent difficile à dater,mais se situe généralement entre 30 et 45 ans. Il estle plus souvent progressif, s’exprimant discrètementpar des comportements bizarres ou un certain retraitaffectif.

Le délire installé se caractérise par sa richesse, soncaractère très imaginaire, et son manque decohérence. Il est fréquemment associé à unecertaine exaltation thymique. Classiquement, ondistingue deux formes cliniques de paraphrénie : laforme imaginative (paraphrénie confabulante oudélire d’imagination) et la forme fantastique(paraphrénie fantastique).

Dans la forme imaginative, les mécanismes sontessentiellement imaginatifs et peu hallucinatoires.Le délire s’élabore comme une fabulationprogressive, qui s’enrichit des apports de la réalitéextérieure : lectures, événements de l’actualité, faitshistoriques. Les créations délirantes restent plus oumoins reliées entre elles par un certain degré delogique et restent compréhensibles. Les thèmes sontle plus souvent des thèmes de grandeur, de richesse,de filiation.

La forme fantastique est caractérisée parl’intrication de mécanismes imaginatifs ethallucinatoires. Les thèmes sont grandioses,cosmiques, riches en fiction, extravagants. Le délireapparaît peu organisé, peu logique, les liens entre lesthèmes délirants sont assez flous et souventincompréhensibles.

Étonnement, l’investissement affectif du délirereste souvent discursif et l’adhésion assez lâche. Ledélire est plus parlé que réellement vécu. Il n’entraînegénéralement pas de troubles du comportement.

Le délire du paraphrène reste bien circonscrit etcoexiste en général avec une remarquableadaptation à la réalité quotidienne et à la vie socialeet professionnelle. On parle de « bipolarisation de lavie psychique » du paraphrène qui sait faire la partdu réel et celle de ses imaginations délirantes.

L’évolution est chronique, faite de périodesfécondes où l’activité délirante s’enrichit, et depériodes de relative rémission.

L’absence habituelle de conséquencessocioprofessionnel les et de troubles ducomportement en rapport avec le délire font que laparaphrénie est une pathologie rarement observéeen médecine.

Comme pour tout trouble délirant, la suspiciond’un délire paraphrénique impose une consultationspécialisée. Les traitements neuroleptiques sont peuefficaces sur le délire proprement dit, maispermettent de contrôler l’exaltation thymique, lesphénomènes hallucinatoires et les pousséesdélirantes. Ils permettent d’obtenir une mise àdistance et un enkystement du délire. Ils doivent êtreprescrits avec discernement du fait d’un risqued’induction de trouble dépressif.

Délires paranoïaques

Les délires paranoïaques sont des délireschroniques dont le mécanisme prévalent estl’interprétation. Ils s’installent le plus souvent defaçon insidieuse et progressive chez des sujets d’âgemoyen (35 à 45 ans). L’élément caractéristique dudélire paranoïaque est le type de personnalitéprémorbide sur lequel survient le délire. Il s’agit d’unepersonnalité paranoïaque ou sensitive dont les traitsessentiels sont la psychorigidité, la méfiance etl’interprétativité.

Les thèmes délirants sont le plus souvent issus dela réalité quotidienne du sujet (jalousie, persécutionsociale). Le délire paranoïaque est caractérisé par undegré de systématisation maximal. Le délire apparaîtlogique, cohérent, compréhensible, emportantparfois la conviction d’autrui. Il se développehabituellement à partir d’un seul thème ou lorsquedeux thèmes s’associent, ils restent liés de manièretrès logique. La gravité du délire paranoïaque est liéeà l’importance de l’investissement affectif du délirepar le patient et la conviction de celui-ci, ce qui renddangereux le paranoïaque et l’amène à despassages à l’acte hétéroagressifs contre lepersécuteur désigné (le persécuté peut tenter de tuerson persécuteur). En dehors du secteur délirant, leparanoïaque reste bien adapté à la réalité.

Actuellement, la psychiatrie française distinguetrois types de délire dans le groupe des déliresparanoïaques :

– les délires interprétatifs ;– les délires de relation des sensitifs ;– les délires passionnels : de revendication, de

jalousie, l’érotomanie.

Ces trois types de délire paranoïaque neconduisent pas à la même prise en charge.

7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

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¶ Délire interprétatifLe mécanisme central du délire est l’interprétation

qui va construire peu à peu un système cohérent. Ledélire s’étend en intégrant de façon logique, claire etcohérente, de nouvelles interprétations touchantl’ensemble de l’univers du sujet (extension enréseau) et qui tendent à tout expliquer en fonction del’idée prévalante qui sert de thème central au délire.Le thème central est le plus souvent une persécutionou un préjudice. La conviction et la cohérence sontparfois telles qu’elles peuvent entraîner l’adhésionde l’entourage (délire à deux). Pour reconnaître lecaractère délirant des idées de persécution ou depréjudice, le médecin peut nécessiter la collaborationde plusieurs personnes de l’entourage du patient.Les projets de défense et de menace de passage àl’acte du sujet doivent être pris au sérieux. En effet,les actes à conséquences médicolégales ne sont pasexceptionnels. Lorsque de tels projets sont présents,une hospitalisation sous contrainte s’impose avecl’aide du service psychiatrique de secteur, en raisonde la dangerosité du patient.

Généralement, l’adaptation socioprofessionnellereste bonne, malgré l’importance du délire.

L’évolution est chronique, ponctuée de momentsféconds, faits de réactivation délirante et d’excitationthymique, ou de moments dépressifs, propices à unecertaine demande d’aide et à un début detraitement.

¶ Délire de relation des sensitifsLe délire de relation se développe sur des

personnalités sensitives, habituellement à la suited’événements d’échecs, de frustration ou de rejets,ou de situations de conflits pénibles, d’isolement,entraînant des sentiments de honte, d’humiliationou de culpabilité, dans un secteur relationnel biencirconscrit, souvent le cadre professionnel. Lesinterprétations délirantes sont de thème persécutif :impression d’hostilité, de moquerie, de brimade. Ledélire se renforce en certitude, mais ne s’étend guèreau delà du domaine relationnel. Il est ponctuéd’épisodes dépressifs et/ou de rechutes délirantes,de plaintes hypocondriaques, rarement decomportements quérulents. Il reste compatible avecune adaptation subnormale.

L’évolution se fait vers une extinction délirante.L’évolution à long terme est le plus fréquemmentrécurrente.

En période de rechute dépressive et/ou délirante,l’hospitalisation n’est, en général, pas nécessaire, carle délire est le plus souvent limité au lieu de travail. Ilsuffit de proposer un arrêt de travail, d’encourager lepatient à consulter un psychiatre pour entreprendreun traitement ambulatoire associant neuroleptiqueet antidépresseur et une prise en chargepsychologique de soutien, visant à aider le patient àmodifier son cadre de vie professionnel (parfois, seulun changement de travail fera cesser l’activitédélirante).

¶ Délires passionnelsLes délires passionnels rassemblent des délires

dont les thèmes sont divers (érotomanie, délire dejalousie, délire de revendication), mais qui ont encommun une structure et des mécanismesconstants. Ce sont des délires dits « en secteur », car

ils ne concernent qu’une partie limitée de la vie dusujet, dans laquelle il investit toute sa chargeaffective et son énergie. Les mécanismes délirantssont l’interprétation et l’intuition. Le délire s’installesouvent à partir d’une brusque intuition venant toutà coup éclairer une période de doutes etd’interrogations dans le domaine affectif. À partir decette révélation, des interprétations secondairesviendront confirmer le postulat de base etdévelopperont la trame du délire. Des mécanismesimaginatifs et des illusions peuvent participer audélire, mais il n’y a pas d’hallucinations. Laparticipation émotionnelle au délire est toujours trèsimportante, la conviction est totale. Les délirespassionnels, dont la dangerosité est réputée,s’accompagnent de revendications affectives etd’actes procéduriers (lettres, menaces, procès, voirepassages à l’acte hétéroagressifs).

Parmi les délires passionnels, on a individualisé :– les délires érotomaniaques (illusion délirante

d’être aimé), dont le développement se fait en troisphases : espoir, dépit, rancune ;

– les délires de jalousie ;– les délires de revendication, relativement

fréquents, de début brutal, provoqués par unecirconstance extérieure et la conviction d’unpréjudice subi (« les quérulents processifs », « lesinventeurs méconnus », « les idéalistes passionnés »,« les délirants hypocondriaques » après uneintervention chirurgicale ou un diagnosticinsatisfaisant, « les sinistroses délirantes » après unaccident).

La prise en charge initiale d’un délirant passionnelconcerne souvent le généraliste car le patient déniegénéralement toute atteinte mentale et refuse deconsulter un psychiatre. L’abord de ces patientsnécessite une grande prudence compte tenu de leurgrande méfiance et de leur susceptibilité et du risqueconstant d’être englobé dans leur système persécutif.Le rôle du médecin généraliste sera d’établir unerelation de relative confiance en restant « neutre » età faire accepter au patient une aide spécialisée àl’occasion d’une dépression secondaire. En cas detroubles du comportement sous-tendus par l’activitédélirante (passage à l’acte hétéroagressif envers lepersécuteur), une mesure d’internement, typehospitalisation d’office, s’impose en raison de ladangerosité du patient pour autrui. Cettehospitalisation pourra être effectuée avec l’aide duservice psychiatrique de secteur.

‚ Hypothèses étiopathogéniques

Même s’ils sont regroupés au sein d’un mêmegroupe diagnostique, distinct de la schizophrénie, lestroubles inclus dans le groupe des délires chroniquesapparaissent trop différents pour constituer uneentité clinique homogène. Cependant, la majoritédes études sur les troubles psychotiques s’estconsacrée à la schizophrénie et peu d’entre elles auxdélires chroniques dont les mécanismesétiopathogéniques demeurent mal connus.Différents facteurs dont le poids est variable,semblent intervenir dans la survenue de cestroubles : facteurs génétiques, facteurs depersonnalité, facteurs de stress psychosociaux.

‚ Traitement

Le traitement est fonction du type de délire.L’hospitalisation est souvent nécessaire lors des

périodes de recrudescence délirante. Elle peut êtreeffectuée sur le mode de la contrainte lorsque ledélire s’accompagne de troubles du comportementou d’une dangerosité du patient. Le rôle du médecingénéraliste est de savoir reconnaître et de rechercherdes manifestations délirantes et/ou une dangerositéd’un patient, proposer une hospitalisation au patientou aider une famille à prendre une décisiond’hospitalisation sous contrainte. Pour les déliresparanoïaques et passionnels, une hospitalisationd’office est nécessaire et représente souvent lepremier contact avec la psychiatrie. Elle permet demettre en place une prise en charge ambulatoire desecteur, comporte un traitement médicamenteux etun suivi psychothérapique. Des décompensationsdépressives sont également des moments propices àune certaine demande d’aide et à un début detraitement.

Le traitement des délires chroniques repose surles neuroleptiques au long cours (l’interruption dutraitement conduit souvent à une reprise de l’activitédél i rante ) et sur l ’abord psychologique(essentiellement psychothérapie de soutien) lorsquecelui-ci est possible. L’efficacité des neuroleptiquesest variable selon le type de délire : excellente dansla PHC, partielle dans les délires paraphréniques etfaible dans les délires paranoïaques. Même si lesneuroleptiques sont en général peu efficaces sur lesinterprétations délirantes, ils permettent d’atténuer laconviction délirante, de réduire la sténicité etl’agressivité du patient et contrôler son angoisse. Laprescription de neuroleptiques d’action prolongée,sous la forme d’une injection mensuelleintramusculaire, permet d’assurer un traitementminimum efficace et d’améliorer la compliance autraitement.

La survenue d’un épisode dépressif dans le coursévolutif d’un délire chronique nécessite la mise enplace d’un traitement antidépresseur.

L’indication des neuroleptiques et/ou desantidépresseurs dans les différents types de délireschroniques doit être évaluée par le spécialiste (risquede recrudescence délirante sous antidépresseur). Lachronicité des troubles et la permanence de l’activitédélirante justifient une prise en charge ambulatoirede secteur où toute une équipe de soin peutintervenir pour prévenir les rechutes et maintenirl’insertion professionnelle de ces patients.

Le rôle du généraliste, dans la prise en charge àlong terme, est d’aider au dépistage précoce desrechutes, de soutenir et de conseiller l’entouragefamilial.

■Conclusion

Les troubles psychotiques, schizophréniques etnon schizophréniques, sont des troubles chroniqueset souvent invalidants, nécessitant une prise encharge spécialisée, associant la prescription depsychotropes au long cours, des psychothérapies

Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques - 7-0225

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personnelles et familiales, des mesures deréinsertion sociales et professionnelles.

Le rôle du médecin généraliste est, avant tout, dereconnaître et de rechercher ces troubles devant des

difficultés évoquant de tels troubles, et d’amener lepatient et sa famille à consulter un psychiatre pourmettre en route le plus précocement possible untraitement. La prise en charge au long cours des

patients schizophrènes doit s’effectuer dans unservice spécialisé de secteur qui pourra mettre enplace les différentes stratégies thérapeutiquespermettant de stabiliser la maladie.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0225, 1998, 8 p

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7-0225 - Troubles psychotiques : troubles schizophréniques et troubles délirants chroniques

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Page 102: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Urgences psychiatriques

C Zeitter, Y Sarfati

L es urgences psychiatriques représentent 10 % des urgences accueillies dans les hôpitaux. Elles se définissentcomme une rupture : rupture dans l’équilibre habituel du patient ou rupture du patient par rapport à son

entourage. L’essentiel pour le soignant est d’établir une relation avec le patient et de pouvoir proposer rapidementun cadre de soins.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Si la psychiatrie est une discipline médicale quiprivilégie la parole et l’écoute, et qui doit se donnerdu temps, tant pour évaluer que pour voir évoluerun patient et son entourage, il est alors difficile deconcevoir dans cette discipline la notion d’urgence,avec ce qu’elle implique, à savoir essentiellementl’action rapide, immédiate, et évaluable dans undélai très bref.

Pourtant, certaines situations vont amener lemédecin à solliciter de façon urgente l’avis duspécialiste psychiatre, lorsqu’existent des troubles dela relation ou du comportement à caractère aiguchez une personne qui interpelle ainsi sonentourage. On a donné à ce type de situation le nomde « crise », qui se définit comme une rupture dansl’équilibre habituel du sujet lui-même, ou du sujetavec son entourage. Cette rupture ne préjuge pas dela qualité de cet équilibre habituel. On peut ainsiobserver des crises « existentielles », résultat dubouleversement d’un équilibre de bonne qualité parun événement extérieur tel un deuil, une séparation,une perte, des crises liées à la difficulté pour un sujetde gérer une situation donnée, en raison de troublesde la personnalité ou des crises liées à l’exacerbationaiguë d’une pathologie psychiatrique.

Il va alors souvent être demandé au psychiatred’agir, comme il est habituel d’agir face à uneurgence, alors que la réponse à la crise ne peut êtrefournie d’emblée. L’autre demande adressée auspécialiste psychiatre est celle d’une lecturecompréhensible de la crise. Or c’est précisémentcette demande qui va nécessiter une évaluation dupatient et de son entourage, s’inscrivant dans unedurée qui va dépasser celle qui est octroyée aupsychiatre pour « faire quelque chose ». Il en résulteque la réponse immédiate à une situation de criseaiguë peut se limiter à une action purementsymptomatique, et donc partielle. Cependant, il estessentiel d’avoir pu procéder à une évaluationsoigneuse médicale et psychiatrique, afin de tenterde préciser la nature de la crise, et ainsi de pouvoir

proposer une orientation vers un lieu de soinsapproprié, la crise étant rarement traitée « dansl’urgence ».

■Notions d’épidémiologie

Les urgences psychiatriques concernent environ1 % de la population chaque année, et représentent10 % des urgences accueillies dans les hôpitauxpublics. La répartition de ces urgences se fait de lafaçon suivante :

■ 20 % d’états d’agitation (alcoolisme etproblèmes somatopsychiques) ;

■ 15 % de tentatives de suicide ;■ 40 % d’états dépressifs ou anxieux ;■ 15 % d’états psychotiques ;■ 10 % de problèmes médicosociaux et

toxicomanie.Sur le plan clinique de la forme de la crise, on

distingue les crises extériorisées, bruyantes, et lescrises plus intériorisées. Les crises extériorisées secaractérisent soit par des conduites d’agitation, avecexpression éventuelle d’une agressivité tournée versles autres ou vers soi-même, soit par des conduitesde fuite, fugues, surdosages toxiques. Ce type decrise interpelle rapidement l’entourage, et débouchele plus souvent vers une demande d’interventionrapide.

Les crises intériorisées, se caractérisant surtoutpar le repli, l’apathie, sont souvent plus longtempstolérées, et il faut parfois attendre que lesconséquences sociales soient déjà importantes pourqu’une intervention soit sollicitée.

Les deux formes de crise évoquées ci-dessuscorrespondent aux deux principales situationsd’urgence psychiatrique rencontrées en pratiquecourante :

■ l’état d’agitation ;■ l’état dépressif.On évoquera également le patient toxicomane,

dont la prise en charge, en dehors des casd’overdose, ne peut se faire dans l’urgence, mais quila provoque régulièrement.

■États d’agitation

‚ Prise en charge initiale des étatsd’agitation

Mal tolérés en raison du caractère « bruyant » etdes désordres entraînés, les états d’agitation sontsouvent générateurs d’une anxiété dans l’entourage,familial, mais aussi parmi le personnel soignantsollicité, anxiété qui peut entraîner un renforcementde l’agitation.

Il est nécessaire de pouvoir proposer rapidementun cadre de soins, qui pourra par lui-même avoir deseffets thérapeutiques. Il faut pour cela savoir repérerquelques indices, et obtenir un minimum derenseignements qui pourront orienter le praticiendans la conduite à tenir.

L’entourage peut ainsi apporter un certainnombre de données anamnestiques importantes :antécédents psychiatriques et médicaux du patient,traitements suivis, événements de vie récents,circonstances de début des troubles, prise d’alcool,de médicaments, de toxiques. L’entretien avec lafamille doit éviter deux écueils : en présence dupatient, la prolongation d’une confrontationconflictualisée qui risque de majorer l’agitation, et, enl’absence de celui-ci, une interprétation négative parle patient du contact entre ses proches et le médecin,avec qui le contact sera plus difficile. Il est ainsipréférable de faire une synthèse rapide avec lafamille présente, puis de lui demander de s’éloignerpour tenter avec le patient un accrochagethérapeutique.

✔ Recueil des donnéesanamnestiques.✔ Recherche des signes dedangerosité.✔ Examen clinique, recherche dessignes de confusion.✔ Proposer un cadre de soins etétablir une relation avec le patient.

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Le degré d’agitation, la nature de l’agitation, laprésence d’éléments de dangerosité vont déterminerla qualité de la relation qu’il va être possible d’établiravec le patient.

Certaines agitations, dans un registre névrotiqueet plus particulièrement hystérique, se caractérisentpar une dimension théâtrale, une grande sensibilitéà l’ambiance, et ont tendance à s’aggraver enprésence de l’entourage. L’éloignement de celui-ci, laréduction du nombre de soignants impliqués dans laprise en charge, la proposition d’un espace dedialogue limité et sans spectateurs permettent déjàd’atténuer l’agitation.

D’autres agitations vont en revanche requérir desmesures de sécurité, notamment lorsque l’on repèredes signes de dangerosité :

■ agitation clastique, état de fureur ;■ hostilité, opposition à tout contact ;■ intoxication alcoolique ou liée aux drogues ;■ vécu délirant persécutif ;■ violence persistant après l’éloignement de

l’entourage, ou majorée lors de l’intervention dupersonnel soignant et du médecin.

Ce type d’agitation nécessite alors une présencephysique importante en nombre de personnes. Ladétention d’armes par le patient impose le recours àla force publique. Le nombre suffit dans certains casà contenir l’agitation. Cependant, il faudra parfoisavoir recours à des mesures de contention etd’isolement, qui outre la sécurité qu’elles vontapporter pour le patient et pour l’entourage, ont desvertus thérapeutiques. Elles donnent en effet aupatient qui a perdu le contrôle de lui-même deslimites qu’il n’est plus en mesure de se fixerlui-même, et qui doivent donc être restaurées par unintervenant extérieur.

L’examen médical du patient agité, lorsquel’agitation reste modérée, peut être pratiquéd’emblée, et avoir un effet positif sur l’établissementd’un lien, d’une relation avec le patient. La prise detension, l’examen clinique par un soignant dont lafonction est de prendre en considération lasouffrance d’autrui peuvent déjà apporter unsoulagement de l’anxiété du patient agité. Il lui est deplus proposé un espace protégé où il pourra êtreécouté, où une aide médicalisée est possible.

Une agitation trop importante entrave parfois laréalisation de cet examen et nécessite des mesuresde contention et de sédation immédiate. L’examensera pratiqué lorsque le traitement symptomatiqueaura fait son effet, car il doit être systématique, enraison des nombreuses causes médicales aux étatsd’agitation, évoquées plus bas.

L’examen du patient agité doit en premier lieus’attacher à la recherche de signes de confusion,dont la présence signe dans la majorité des cas uneorigine médicale à l’agitation. Ces signes sontrappelés dans le tableau I.

La présence de signes de confusion impose alorsla pratique d’un bilan étiologique clinique etparaclinique.

‚ Causes des états d’agitation

Causes médicalesLes principales causes médicales des états

d’agitation sont résumées dans le tableau II.

Causes psychiatriques

¶ Agitations délirantes

Bouffée délirante aiguë

Explosion délirante chez un sujet souvent jeune,elle se caractérise par l’irruption brutale d’un délireriche dans sa thématique et faisant appel à diversmécanismes (intuition, interprétation, hallucinations).Les hallucinations sont au premier plan, auxdifférents modes , psychosensor ie l les etintrapsychiques. Le délire s’accompagne d’uneperplexité anxieuse, de fluctuations de l’humeur,d’une note confusionnelle, et parfois d’agitation.

Exacerbation d’un délire chronique

L’agitation s’intègre chez le schizophrène à uneactivité délirante paranoïde, ou à la désorganisationde son comportement. Chez le paranoïaque, ellerevêt un côté sthénique, avec hétéro-agressivité, ets’intègre dans un vécu délirant persécutif.

Manie délirante

La thématique délirante est grandiose,mégalomaniaque, et associée à l’excitationpsychomotrice caractéristique, à la perturbation del’humeur où l’euphorie peut cependant être absente,et remplacée par une agressivité.

¶ Agitations des troubles de l’humeurExacerbation de l’excitation psychomotrice,

l’agitation peut se rencontrer aussi bien dans lesformes simples de manie, que dans les formesdélirantes (cf supra). Dans la pathologie dépressive,on rencontre des formes agitées de dépression oùl’anxiété est au premier plan et le risque suicidairemajeur. Les états mixtes se manifestent égalementpar une agitation anxieuse désordonnée.

¶ Agitations dans la pathologie névrotiqueet dans les troubles de la personnalité

Le plus souvent elles apparaissent dans le coursdes pathologies suivantes.

Attaque de paniqueCrise d’angoisse aiguë, elle se manifeste par

l’association d’une anxiété psychique (peur d’unecatastrophe imminente, peur de devenir fou, peur demourir, sentiments de dépersonnalisation et dedéréalisation), et d’une anxiété somatique (dyspnée,tachycardie, sueurs, troubles digestifs) avec tensioninterne importante et agitation fréquente.

Agitation de l’hystériqueElle revêt un côté spectaculaire, théâtral, est très

sensible à l’ambiance, et peut se nourrir de laréceptivité des spectateurs. Elle est considérée

Tableau I. – Signes cliniques de confusion mentale.

Troubles de la vigilance, obtusion intellectuelle, obnubilation, réponses à côté, ralentissement idéique, délaide latence important avant la réponse aux questions posées

Désorientation temporospatiale

Troubles mnésiques : amnésie antérograde

Fausses reconnaissances

Perplexité anxieuse, aspect égaré, hébété

Manifestations délirantes oniriques : le délire est agi avec une participation intense, les hallucinations vi-suelles sont fréquentes, changeantes, souvent terrifiantes

Troubles du comportement en rapport avec l’activité délirante : fuite, agitation, risque de défenestration

Tableau II. – Causes des états d’agitation.

Neurologiques Hémorragies méningées, cérébroméningéesHématomes intracérébrauxTumeurs frontales

Œdème cérébral Traumatisme crânien : hématome extradural et sous-duralMéningites, encéphalitesÉpilepsie : crises temporales

Cardiovasculaires et pulmonaires Collapsus, état de chocInfarctus du myocardeTachycardies supraventriculairesInsuffısance rénale aiguëEmbolie pulmonaire, pneumothorax

Troubles métaboliques et endocriniens HypoglycémieTroubles calciquesTroubles de l’hydratationBasedowCushing

Médicaments et Intoxications Toxicomanies : amphétamines, LSD, cocaïne, syndrome de man-queMédicaments : anorexigènes, corticoïdes, tricycliques, barbituri-ques, benzodiazépines, lithium...

7-0220 - Urgences psychiatriques

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Page 104: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

comme un mode corporel d’expression de conflitspsychologiques qui ne peuvent être élaborés dans lapensée ou verbalisés.

Agitation des psychopathes et des états limitesAgitation caractérielle dans le cadre d’une crise

clastique, réactionnelle à une frustration chez lepsychopathe, elle revêt un côté manipulateur avecrecherche d’un but précis, mise en cause del’interlocuteur, expression fréquente de menacesauto- ou hétéroagressives.

L’agitation des états limites (personnalitésborderline) a également un aspect réactionnel, maiss’intègre davantage dans une violente déchargeémotionnelle d’un sujet qui perd le contrôle delui-même, incapable de trouver en lui des limitescontenantes.

¶ États d’agitation chez l’alcooliqueL’agitation se rencontre chez l’alcoolique dans

différentes situations.

Ivresse aiguëSimple ou pathologique, dont on décrit trois

formes (excitomotrice avec agitation clastique,hallucinatoire et délirante, ivresse avec troubles del’humeur et en particulier excitation d’aspectmaniaque).

SevrageLe prototype en est le delirium tremens, délire

onirique avec son cortège de manifestationshallucinatoires en particulier visuelles, et le risquevital qu’il représente en raison des perturbationsneurovégétatives.

‚ Traitement médicamenteuxsymptomatique

Le traitement des états d’agitation est celui de lacause de l’agitation, et déborde donc largement cechapitre. L’agitation en elle-même, lorsqu’elleentrave toute communication, toute possibilité derétablir un lien avec le patient, nécessite cependantun traitement symptomatique.

Les benzodiazépines sont utilisées dans le cadredes agitations névrotiques. La voie d’administrationdépend de la coopération du patient, la voieintramusculaire (IM) pouvant être nécessaire. Elle n’acependant aucun avantage pharmacocinétique parrapport à la voie orale, en particulier en matière derapidité d’action. La voie sublinguale estparticulièrement efficace.

On peut ainsi proposer : Lexomilt 6 mg, Xanaxt0,5 mg, Lysanxiat 40 mg, Tranxènet 50 mg,Sérestat 50 mg.

Les carbamates sont proposés dans l’agitationchez l’éthylique, par voie orale ou intramusculaire sila crase sanguine le permet : Équanilt, 2 ampoulesIM.

Les neuroleptiques sont le traitement deréférence des agitations délirantes, de l’agitationchez le maniaque, des agitations confuses. Ils sontégalement utilisés dans les autres formes d’agitationoù les benzodiazépines sont insuffisantes. L’agitationclastique peut nécessiter l’emploi d’un neuroleptiquepuissant d’action rapide (Droleptant : 1/2 à 1ampoule IM), mais sa forte potentialité hypotensiveimpose une surveillance tensionnelle rigoureuse, et

limite son emploi dans les ivresses agitées. Onpréfère alors le Loxapact : 2 à 6 ampoules en IM.

La monothérapie est préférable, en utilisant desneuroleptiques sédatifs ou polyvalents : Nozinant50 à 100 mg, ou 2 ampoules IM, Terciant 50 à100 mg ou 1 ampoule IM, Largactilt 50 à 100 mg,ou 2 ampoules IM. L’association d’un produit incisifet d’un produit sédatif est également utilisée dans lescas d’agitation délirante : Haldolt 5 mg et Terciant50 mg (1 ampoule de chaque produit en IM).

Dans le cadre des agitations confuses, lesneuroleptiques de la famille des benzamidessubstitués sont utilisés, et en particulier le Dogmatilt :1 à 2 ampoules IM.

■État depressif et risque suicidaire

Derrière un risque suicidaire, il existe unemultitude de facteurs et de pathologies possibles. Unrisque suicidaire est un symptôme psychiatrique, quipeut venir révéler aussi bien une « simple » rupturesentimentale qu’une schizophrénie. Si ce n’est lanature faussement simplificatrice de la formule, il estbon de retenir qu’il existe » différents risquessuicidaires ». Les différentes conduites à tenir devantles gestes suicidaires sont détaillées dans le chapitre« positions inadéquates face à l’acte suicidaire ».

Le risque suicidaire chez un patient déprimé faitpartie des situations d’urgence, raison du risquetoujours très élevé d’une issue fatale de ce geste. Letaux de suicide réussi est de 30 fois supérieur chezles patients déprimés que dans la populationgénérale. Les « autopsies psychologiques » réaliséesaprès la mort à partir de différentes sourcesd’informations montrent que 60 % des sujetsdécédés par suicide souffraient de dépression. Ceschiffres soulignent à la fois la fréquence et la gravitédu risque suicidaire chez les patients souffrant detroubles dépressifs. Il est donc toujours important derechercher l’existence d’une dépression chez lespatients suicidaires ou supposés tels - etinversement, d’un désir de mort chez un patientdéprimé. Même si le sujet ne verbalise passpontanément son intention suicidaire (un patienttrès déterminé aurait même tendance à la cacherpour ne pas risquer qu’un proche vienne entraverson plan), il suffit bien souvent au médecind’interroger son patient pour connaître l’intensité deson désir de mort. Il faut lui demander s’il a envie demourir et comment il ferait pour se tuer.

Le diagnostic de dépression avec risque suicidairedoit alors s’accompagner d’un soutient extrêmementrappoché et/ou spécialisé, voire, au moindre doutesur la qualité de l’entourage, d’une hospitalisation.

Plusieurs arguments plaident en faveur d’undanger imminent pour la vie du patient. Il estmalheureusement parfois diffici le d’avoirconnaissance de tous ces éléments avant le geste.Mais ces indices de gravité et d’urgence doiventtoujours être recherchés.

La présence d’un seul signe de gravité doitalarmer le médecin ayant à charge le patient.L’entourage doit être immédiatement prévenu du

risque suicidaire. Une hospitalisation doit êtreproposée, éventuellement en envisageant unemesure de placement sous contrainte (hospitalisa-tion à la demande d’un tiers). Il est important alors,pour ne pas perdre de temps, de préparer en bonneet due forme les certificats qui seront exigés par leservice hospitalier d’accueil pour garder le patientcontre sa volonté.

■Patient toxicomane

Le patient toxicomane sollicite régulièrement uneintervention médicale sur le mode de l’urgence. Cemode de demande est souvent générateur decontre-attitudes, qui sont liées à plusieurs facteurs :

■ connotation péjorative de la pathologietoxicomaniaque ;

■ agitation et éventuelle agressivité du patient ;■ anxiété des interlocuteurs soignants ;■ hostilité à l’égard du toxicomane perçu comme

manipulateur, demandeur de produits et non desoins, liée souvent à une idée préconçue du soignantqu’il risque de « se faire avoir », et qui correspondessentiellement à un sentiment d’impuissance.

L’hostilité ou les attitudes de rejet à l’égard dupatient toxicomane peuvent avoir des conséquencesnéfastes : on voit par exemple des états d’agitationclastique induits par un effet de résonance del’agitation initiale du patient, qui aurait sans doute puêtre contrôlée alors qu’elle était encore modérée, etqui débouchent sur des hospitalisations souscontrainte en milieu psychiatrique, inadaptées etinjustifiées par rapport à la demande initiale.

Il est donc essentiel de proposer rapidement unentretien au patient toxicomane qui souhaite voir lemédecin, afin de préciser au mieux la nature de sademande.

Indices de gravité d’un geste suicidaire✔ Existence de signes de dépressionmajeure ou de mélancolie.✔ Premiers jours d’un traitementantidépresseur (levée de l’inhibitionmotrice).✔ Désir de mort exprimé avecauthenticité.✔ Geste suicidaire prémédité dans leplus grand secret.✔ Organisation d’un plan et del’après décès (héritage, fermeture decomptes bancaires).✔ Isolement ; absence de secourspotentiel sur le lieu du geste.✔ Utilisation d’une méthode violenteou radicale : arme à feu, gaz, armeblanche, pendaison, défenestration,noyade, empoisonnement, anti-vitamine K, caustiques, injection desubstances dangereuses (insuline,air) saut sous le métro ou un train,accident volontaire de la voiepublique.

Urgences psychiatriques - 7-0220

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Page 105: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

‚ Demande urgente de produits

Le pat ient réclame des médicaments ,principalement des benzodiazépines, en exposantdes symptômes de manque, et souhaitant qu’on lesoulage rapidement. Bien que l’état de manque (endehors du sevrage aux benzodiazépines dans les casde toxicomanie polymédicamenteuse) ne représenteaucun risque vital, il est nécessaire de proposer uneréponse au patient, qui ne soit pas un refus d’embléede toute prescription.

L’état de manque aux opiacés peut ainsi êtretraité par une association de neuroleptiques.

En ce qui concerne la demande souvent insistantede benzodiazépines, la règle est de refuser cesproduits, et en aucun cas de les prescrire surordonnance. Certains psychiatres spécialisésestiment néanmoins qu’un patient toxicomane quidemande des benzodiazépines est en fait déjàengagé dans une démarche de substitution, et queleur prescription peut être envisagée. Elle doit alorss’effectuer sous forme de délivrance directe descomprimés nécessaires pour la journée, avec uneorientation sur un centre spécialisé. Il faut éviter lesbenzodiazépines qui sont réputées à fort potentieltoxicomanogène, comme le Rohypnolt, leTranxènet, le Témestat, et privilégier d’autresproduits comme le Lysanxiat, le Sérestat. Ce type deréponse doit rester exceptionnel, et ce caractèreexcep t ionne l

soit être signifié au patient, afin d’éviter la répétitionchez le toxicomane de démarches qui n’aboutiraientpas à un suivi.

‚ Demande de sevrage

Souvent exprimée dans l’urgence, elle doitrecevoir une réponse qui sort du contexte del’urgence, faute de quoi l’échec est constant. Endehors des situations où s’associe une pathologiepsychiatrique qui justifierait par elle-même une priseen charge hospitalière immédiate, l’hospitalisationen urgence pour un sevrage est donccontre-indiquée.

On peut alors proposer au patient un traitementambulatoire (cf supra), et l’orienter vers un centrespécialisé, qui pourra travailler avec lui sa demandede sevrage, en préparer les conditions en luiproposant un cadre adapté, ou l’engager dans unprotocole de substitution.

Il y a urgence à proposer un espace de dialogueet d’écoute au patient toxicomane qui adresse unedemande au médecin, mais il n’existe pas deréponse dans l’urgence qui, à la fois satisfasse lademande immédiate du patient, et soit efficace dansle long terme : il est « urgent d’attendre », c’est- à-direde réintroduire chez le patient toxicomane la notionde temps, qui pourra lui permettre d’apprendre àdifférer la satisfaction de ses désirs.

■Rappel des modalités

d’hospitalisation psychiatrique

sous contrainte

‚ Hospitalisation d’office (HO)

‚ Hospitalisation sur demande d’un tiers(HDT)

Cédric Zeitter : Assistant des hôpitaux.Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant.

Service de psychiatrie du professeur JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter et Y Sarfati. Urgences psychiatriques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0220, 1998, 4 p

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[2] Goumilloux R. Législation psychiatrique. Abrégé Masson. Paris : Masson,1991

[3] De Clercq M, Ferrand I, Andreoli A. Urgences psychiatriques et psychiatriedes urgences.Encycl Med Chir(Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-678-A-10, 1996 :1-13

[4] Larcan A, Laprevote-Heully MC. Urgences médicales. Abrégé Masson. Pa-ris : Masson, 1987

Traitement de l’état de manque auxopiacés✔ Neuroleptiques : Terciant : 100 à300 mg/j.✔ Antalgiques : Viscéralgine Fortet :3 cp/j.✔ Antispasmodiques : Spasfont : 6cp/j.✔ Hypnotiques : Théralènet : 30 à 50gouttes au coucher.

Procédure d’urgenceArticle L 343 DU CSP✔ Maire de la commune oucommissaires de police à Paris.✔ Notoriété publique et avis médical.✔ Nécessité d’en référer dans les 24heures au préfet, la mesure devenantcaduque au bout de 48 heures.

Article L 333 DU CSP✔ L’état de santé du malade rendimpossible son consentement etimpose des soins immédiats assortisd’une surveillance constante enmilieu hospitalier.✔ Demande d’admission manuscritesignée par un membre de la familleou de l’entourage.✔ Deux certificats médicaux, dont undoit émaner d’un médecin extérieurà l’établissement d’accueil,descriptifs des troubles, justifiant lanécessité d’hospitalisation, etattestant l’impossibilité du patient àdonner son consentement aux soinsou son refus.✔ Piece d’identité du demandeur.

Procédure d’urgenceArticle L 333-2 du CSPEn cas de péril imminent pour la santédu patient.Certificat médical : un seul suffit, etpeut être émis par un médecin del’établissement d’accueil, qui doitjustifier la notion de péril imminent.Demande manuscrite de l’entourage etpièce d’identité doivent être produitescomme pour la procédure habituelle.

7-0220 - Urgences psychiatriques

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Page 106: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Maniement des actes

médicolégaux en psychiatrie

NGluck-Vanlaer

D ans diverses circonstances relevant de la pathologie psychiatrique, le praticien peut être amené à établir descertificats et donner des avis qui engagent sa responsabilité, imposant donc prudence et discernement.

© Elsevier, Paris.

■Mesure de protection

Il faut aborder ici le rôle du médecin traitantdans la mise en route d’unemesure de protectiond’un malade qui s’avère, du fait de troublespsychiques, incapable de gérer ses biens etd’apprécier les conséquences des actes qu’ilpourrait être amené à signer. Il peut s’agir d’étatstransitoires (manie, mélancolie, boufféedélirante...) dans lesquels on peut espérer, soustraitement, une amélioration, voire uneguérison, des troubles et la récupération descapacités de jugement et de gestion. Dansd’autres cas, le handicap est vraisemblablementdéfinitif (schizophrénie, démence, retard mental),c’est pourquoi divers régimes de protection sontprévus par la loi du 3 janvier 1968.

■Sauvegarde de justice

C’est la mesure la plus légère, elle est toujoursprovisoire (elle cesse automatiquement au boutde 2 mois, sauf si interviennent des renouvelle-ments, par tranches de 6 mois). Cette mesuren’empêche pas le patient de faire un actejuridique, qu’il soit d’administration ou dedisposition, mais permet d’en demanderl’annulation ou l’atténuation (par exemple en casde dépense inconsidérée). Dans le cas d’unpatient non hospitalisé, le médecin traitant peutadresser au procureur de la République uncertificat attestant de la nécessité d’une mise

sous sauvegarde de justice. Si le médecin traitantest un généraliste, un autre certificat émanantd’un spécialiste doit être également envoyé pourque la demande prenne effet. L’effet est alorsimmédiat. Le médecin se doit d’avertir le patientet/ou son entourage de cette démarche, sonprincipal effet est d’ailleurs dissuasif. Cette mesureest indiquée pour des troubles aigus et sévèrespour lesquels on peut légitimement espérer unerécupération sous traitement (état maniaque,mélancolique, bouffée délirante), ou pour destroubles plus chroniques, en attendant l’ouvertured’une tutelle ou d’une curatelle (en vue d’unesauvegarde, le médecin écrira dans son certificatqu’il pense nécessaire qu’une autre mesureprenne le relai).

■TutelleC’est la mesure la plus lourde, frappant le

patient d’une complète incapacité. C’est sontuteur qui gère ses affaires avec l’avis du conseilde famille et le représente dans les actes de lavie civile. Cette mesure a pour indication leshandicaps sévères et permanents (retardmental, démence évoluée). La requête ne peutémaner que du patient, de son conjoint ou deses parents au premier degré, du curateur (dansle cas d’une curatelle qui s’avère devoir êtrealourdie), ou d’un magistrat (procureur ou jugedes tutelles). Cependant, le médecin traitantpeut adresser un certificat au juge à titred’information, charge à ce dernier de se saisird’office s’il l’estime justifié.

■CuratelleC’est une mesure intermédiaire qui frappe le

malade d’incapacité partielle. Il existe d’ailleursplusieurs degrés selon l’incapacité du patient(curatelle simple, curatelle 512). C’est la mesure laplus utilisée pour lesmaladesmentaux chroniques(schizophrènes, délires chroniques). La procédured’ouverture est la même que pour la tutelle.

■Difficile responsabilité

Comme dans toute autre pathologie, le médecin peutêtre sollicité par le patient ou son entourage afind’établir toutes sortes de certificats et d’attestations pourobtenir divers avantages. Il doit se montrer trèscirconspect en cette matière. Il doit en particulier seméfier des demandes faites (souvent sur le conseil deleur avocat) par des personnes en instance de divorcequi se disputent la garde de leurs enfants. Ils demandentpar exemple au médecin de leur délivrer un certificatattestant la perturbation psychique de l’enfant au retourd’un week-end passé chez « l’autre ». Le médecin doit segarder d’accéder à des demandes qui violeraient lesecret professionnel et n’auraient pas de valeur. En effet,en cas de litige, le juge ne se fondera pas sur de telsarguments risquant d’être partiaux, mais ordonnera uneenquête sociale et des expertises psychiatriques qui luipermettront de trancher. En revanche, si le médecinconstate d’importantes perturbations de l’enfant, il doiten apprécier les risques réels, car il lui est fait obligationde signaler au procureur ou à l’autorité sanitaire toutenfant en danger afin que des mesures de protectionpuissent être mises en route (il s’agit ici d’une dérogationobligatoire au secret professionnel).

Page 107: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Pièges d’une médicalisation

des troubles psychiatriques

C Zeitter

L a médicalisation des troubles psychiatriques peut aboutir à une focalisation excessive du clinicien sur lamaladie au détriment de l’individu lui-même.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

La médicalisation des troubles psychiatriques doitcertainement être envisagée comme une évolutionfavorable de la prise en charge des troublesmentaux. La psychiatrie s’intègre ainsi aux autresspécialités médicales. Son objet est le cerveau,organe pouvant présenter des altérations, desdysfonctionnements. Dans un modèle médicalappliqué à la psychiatrie, une perturbation ducerveau produit des symptômes s’organisant ensyndromes et en maladies, qui requièrent chacun untraitement spécifique. La singularité de la psychiatriepar rapport aux autres disciplines, dans l’utilisationdu modèle médical, réside dans l’absence de lésionobjectivable cliniquement ou à l’aide d’examenscomplémentaires, à l’origine des symptômesobservés. Cependant, les niveaux sous-jacents dumodèle conservent une pertinence.

Les classifications actuelles s’appuient sur unmodèle similaire, en remplaçant la notion demaladie par celle de « trouble ». La notion de maladieest écartée dans la mesure où elle renvoie à unepathogénie spécifique, imprécise pour la majoritédes troubles psychiatriques. Le trouble se définit parune association de symptômes, et se caractériseégalement par des données épidémiologiques, desdonnées évolutives, et une réactivité à certainstraitements.

La médicalisation des troubles psychiatriques seplace dans une double perspective historique :

– développement au cours du siècle de lapharmacopée psychiatrique avec possibilitésnouvelles de traitement des troubles psychiatriques(techniques de choc du début du siècle dont seulesles sismothérapies sont conservées, essor despsychotropes : neuroleptiques, antidépresseurs,benzodiazépines, lithium) ;

– évolution de la conception de ces troubles,considérés comme des maladies atteignant unepersonne, au même titre que d’autres pathologiesmédicales.

Le statut du malade mental change ainsi, demême que la réponse apportée à ses troubles. Il nes’agit plus d’extraire de la société un individu qui ne

peut s’y insérer, présente des troubles ducomportement, est éventuellement dangereux, enlui proposant un lieu de vie (l’asile), mais de traiter unindividu malade, en souffrance, en lui proposant unprogramme de soins, qui lui permette de retrouverune place au sein de la société.

Les progrès considérables effectués ces 50dernières années (découverte de la chlorpromazineLargactilt en 1952) dans la prise en charge destroubles psychiatriques, sont donc intimement liés àla médicalisation de ces troubles.

Cependant, cette médicalisation des troublespsychiatriques peut aboutir à une focalisationexcessive du clinicien sur la maladie dont souffrel’individu, au détriment de l’individu lui-même. Lesconséquences peuvent être variables selon lapathologie considérée, avec toutefois des aspectscommuns :

– réponse médicale (médicamenteuse) exclusiveà des troubles impliquant des facteurs psycholo-giques (réponse insuffisante) ;

– déresponsabilisation du patient dans la gestionde sa maladie ;

– utilisation de la maladie et des médicamentscomme « solution » à des conflits psychologiques.

Les troubles anxieux et dépressifs servirontd’exemples pour illustrer les pièges de lamédicalisation des troubles psychiatriques.

■Médicalisation

des troubles anxieux

La réponse médicale à l’anxiété est d’uneefficacité remarquable dans le court terme. L’anxiétéaiguë (attaque de panique), l’anxiété généraliséesont accessibles de manière spectaculaire auxbenzodiazépines, abondamment prescrites enFrance. Le soulagement ressenti par le patient estquasi immédiat, et les benzodiazépines dans letraitement de l’anxiété généralisée apportent unconfort appréciable, en améliorant la qualité de viedu patient.

Un premier écueil à éviter est de confondreanxiété normale et anxiété pathologique. Lamédicalisation du concept d’anxiété, en partie liée à

la disponibilité de traitements anxiolytiques, aboutiten effet à des prescriptions abusives, pour uneanxiété non pathologique. L’anxiété fait partie de lanature humaine, et ne devient pathologique quelorsqu’elle entraîne des réactions non appropriées àla situation anxiogène : fuite, évitement, sidération.C’est alors et alors seulement qu’elle justifie uneintervention médicale.

Dans le cadre de l’anxiété pathologique, letraitement permet de réduire les manifestationssubjectives et comportementales de l’anxiété. Outreles conséquences bien connues d’un traitement aulong cours par benzodiazépines (habituation,tolérance, dépendance, impossibilité du sevrage,développement d’une toxicomanie médicamen-teuse), on peut voir se développer chez le patient unapprentissage délétère dans la gestion de sesmanifestations anxieuses, dont il résulte uneintolérance à l’anxiété. La réponse uniquementmédicale peut ainsi amener un objectif pour lepatient d’une absence totale d’anxiété, qu’il tenterad’atteindre en multipliant les prises médicamen-teuses, en augmentant les doses.

Cette analyse doit permettre de lui faire accepterun certain niveau d’anxiété, et de développerd’autres stratégies, d’autres aménagements. Le butest de l’impliquer le plus possible dans le traitement,afin d’éviter que la réponse médicale symptoma-tique n’entrave la mobilisation des ressourcespsychologiques du sujet.

L’implication du sujet dans la thérapie est, parexemple, un principe fondamental des thérapiescognitives et comportementales, qui trouvent denombreuses indications dans les troubles anxieux, etparticulièrement dans les troubles anxieuxsituationnels :

– phobie sociale ;

Il est donc indispensable de fixerd’emblée les objectifs d’un traitementanxiolytique, en matière de durée deprescription, d’intérêt et de résultatsescomptés du produit, mais aussi depréciser les relations entretenues parle patient avec son anxiété.

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– phobies simples (avion, ascenseur) ;– agoraphobie.

Dans le cadre de ces thérapies, il est établi avec lesujet un programme de soins qui l’impliquedirectement dans l’apprentissage d’une meilleuregestion des situations anxiogènes.

■Médicalisation

des troubles dépressifs

Le développement des molécules antidépressivesa permis depuis une trentaine d’années de traiterefficacement la pathologie dépressive. En dehors desformes de dépression d’intensité légère à modérée,qui sont accessibles aux thérapies cognitives, etpeuvent parfois s’améliorer sans prescriptionmédicamenteuse, le recours aux antidépresseursdoit être systématique dès lors que le diagnostic desyndrome dépressif est posé.

La possibil ité d’une réponse médicale,médicamenteuse, aux troubles dépressifs a participéà la conceptualisation de la dépression comme unemaladie à part entière, ce qui change le statut dusujet déprimé. Il n’est plus un sujet qui en quelquesorte « produit » des symptômes dépressifs, maisdevient un individu confronté à un processusmorbide qui le dépasse et altère ses capacitésd’adaptation, de réaction, d’ajustement.

Pour autant, cette réponse ne doit pas êtreisolée. Il est impératif d’y associer une prise encharge psychologique. Les objectifs de cette prise encharge sont décrits dans le chapitre consacré auxtroubles thymiques. Une prise en chargeexclusivement médicalisée tend à trop dissocierl’individu de sa maladie. Il ne s’agit pas de traiter unemaladie, mais de soigner un individu confronté à

une maladie. Les objectifs de la prise en chargepsychologique de la dépression illustrent cettenécessité, lorsqu’il s’agit d’aider le sujet et sonentourage à s’aménager autour de la maladie, de laconnaître, de repérer les situations à risque, d’enlimiter les séquelles.

Si les facteurs biologiques ont un poids prévalenten matière de troubles dépressifs, et amènentlogiquement la médicalisation, les facteurspsychologiques ont également une influence nonnégligeable sur le cours évolutif de ces troubles :facteurs précipitants d’accès, facteurs d’entretien,facteurs de chronicisation. Le risque majeur de lamédicalisation exclusive est donc de ne pas prendreces facteurs en compte, les conséquences pouvantalors se mesurer en termes de fréquence de rechutesou de chronicisation de la dépression.

La dépression comporte assez régulièrement unecomposante de régression. Elle place le sujet dansune position de demande affective importante, àtype surtout de maternage. Cet aspect régressif peutêtre renforcé par la prise en charge médicale : le sujetse remplit, on le « nourrit » avec des médicaments, eten cas d’hospitalisation, nombre de tâchesquotidiennes sont effectuées à sa place, et ilbénéficie d’un entourage protecteur maternant. Lerisque est alors l’installation dans cette situation derégression, avec instauration d’une dépendance, etpassage à la chronicité. Le patient régressé attendque le médecin fournisse la réponse à sa souffrance,sans participer lui-même à son rétablissement. Lavigilance s’impose donc lorsque l’on propose unprojet de soins à un patient déprimé, et en particulierune hospitalisation. Il est alors impératif de repérercertains indices au cours de l’évaluation du patient,qui pourraient faire craindre une telle évolution,notamment des traits de personnalité névrotique telsun haut niveau de dépendance, une immaturité.L’intervention médicale doit s’ajuster de telle sorteque le patient soit responsabilisé dans le traitementde ses troubles.

Le patient déprimé peut également trouver desbénéfices à sa maladie lorsqu’elle mobilisel’entourage, ou lorsque la rupture dépressive vientinterrompre une situation conflictuelle. Là encore,une intervention focalisée sur la maladie, ne prenant

pas en compte son inscription dans une perturbationdes relations avec l’entourage, pourra avoir commeconséquence une utilisation par le patient de sadépression pour éviter de gérer les situationsconflictuelles, avec donc des rechutes ou unechronicisation.

Enfin, le sujet ayant fait l’expérience d’unedépression va spontanément avoir tendance à luidonner un sens, une explication. Il faut alors savoirrespecter cette démarche, qui n’est pas incompatibleavec l’acceptation du concept de maladie. Si le sujetpeut accepter que la rupture dépressive représenteune maladie, que cette maladie apporte unchangement en lui, dans son « être au monde », il estnéanmoins important pour lui de restaurer unecontinuité, des liens entre l’avant, le pendant, l’aprèsdépression. Pour cela, il va chercher à donner unsens, une raison à cette rupture. Même si les raisonsalors évoquées n’ont pas valeur de « véritépsychologique », il est important de les respecter, ouplus exactement de respecter la démarche del’individu qui tente ainsi de restaurer des liens quiavaient été rompus pendant la dépression, aveclui-même et avec son entourage. Le respect de cettequête de sens, suppose là encore que le clinicien« assouplisse » une position trop médicalisée quis’attacherait davantage au trouble, qu’à l’inscriptionde celui-ci dans la trajectoire vitale du patient.

■Conclusion

Les aspects évoqués dans les troubles anxieux etdépressifs, les plus fréquemment rencontrés enconsultation de médecine générale, se rencontrentaussi dans d’autres champs de la pathologiepsychiatrique. D’une manière générale, on peutrésumer les aléas de la médicalisation des troublespsychiatriques de la manière suivante :

– la focalisation du clinicien sur la maladiepsychiatrique en tant que telle conduit à négliger desfacteurs psychologiques déterminant dansl’évolution de celle-ci. On ne traite pas un troublepsychiatrique, mais un individu confronté à unemaladie psychiatrique, qui doit être associé à sontraitement.

Cédric Zeitter : Assistant,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Pièges d’une médicalisation des troubles psychiatriques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0250, 1998, 2 p

Il est essentiel pour le patient que leclinicien puisse l’aider à intégrer lefait que la dépression est une maladie.La prescription médicamenteuses’inscrit dans cette logique.

7-0250 - Pièges d’une médicalisation des troubles psychiatriques

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Page 109: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Poids des actes médicosociaux

en psychiatrie

N Gluck-Vanlaer

E n pathologie psychiatrique, les intrications de problèmes médicaux et sociaux sont monnaie courante, d’unepart parce que les maladies psychiatriques entraînent presque toujours un handicap social plus ou moins

important (difficulté pour les schizophrènes de s’insérer dans le monde du travail par exemple), et d’autre part parceque des facteurs sociaux peuvent jouer un rôle très important dans l’apparition ou la décompensation de troublespsychiques (chômage et dépression par exemple). Enfin, dans des pathologies actuelles ayant un potentiel dechronicisation, la stratégie sociale peut influer considérablement sur le pronostic.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Le médecin peut intervenir dans cette stratégiesociale à plusieurs niveaux. Il importe qu’il soit bienaverti des droits et législations existants pour bienaider son patient, parfois trop perturbé et isolé pourfaire par lui-même des démarches, ou à l’inverse,pour éviter de se faire manipuler par des patientsplus au courant que lui de ces matières et quirecherchent des bénéfices injustifiés par leur état oudes avantages à court terme qui hypothèquentpeut-être leur avenir.

■Demandes de prise en charge

La demande de prise en charge à 100 % de lamaladie par la Sécurité sociale permet au patientd’être exonéré du ticket modérateur pour les soinsrelatifs à l’affection et à elle seule. Les troublespsychiatriques y ouvrant droit (cités dans la liste des30 affections de longue durée ou ALD) sont lespsychoses, les troubles graves de la personnalité etl’arriération mentale. On voit donc qu’unedépression, qui peut entraîner des hospitalisationscoûteuses pour les patients sans mutuelle (il n’y aprise en charge à 100 % de l’hospitalisation que sicelle-ci dépasse 30 jours) et des soins ambulatoirescoûteux (« nouveaux » antidépresseurs), ne pourrarelever d’une ALD que si cette dépression s’inscritdans le cadre d’une psychose ou d’un trouble gravede la personnalité. Le médecin doit donc y songerlors de la rédaction de la demande, après avoir peséle bien-fondé d’une telle demande ; il peut alorsécrire que cette dépression s’inscrit dans le cadred’une psychose maniacodépressive (terme sansdoute impropre mais encore couramment utilisé), ouque cette dépression vient compliquer un troublegrave de la personnalité.

Pour ce qui est du suivi ambulatoire, il fautrappeler que les soins dispensés en Centremédicopsychologique (CMP) sont gratuits, tant lesconsultations psychiatriques que les psychothérapieset les soins infirmiers, et que tout le monde peut yavoir accès.

■Arrêts de travail

Ils sont souvent indispensables dans les affectionspsychiatriques (convalescence au décours d’unehospitalisation, traitement ambulatoire d’un étataigu ; pour certains auteurs, une dépression sévèremet en moyenne 6 mois à s’améliorer suffisammentpour permettre une reprise professionnelle efficace,d’autant plus que les traitements peuventinitialement entraîner une somnolence et des effetssecondaires difficilement compatibles avec l’exercicede certaines professions).

Il faut toutefois se garder de trop les prolongerchez certains phobiques qui craignent la reprise dutravail, surtout quand au décours d’une dépression,persistent quelques sentiments d’incapacité ; il faut àun moment leur exposer que de nouveaux délaisrisquent d’accroître encore leur appréhension (lesdispositions spéciales de prise en charge de longuemaladie des fonctionnaires ou de certaines autresprofessions sont un bienfait pour certains maladesgraves et chroniques, mais peuvent aussi être unfacteur de chronicisation pour des affections moinssévères).

Il faut aussi tenir compte des impératifssocioéconomiques et de la situation profession-nelle du patient au cas par cas, afin de ne pasrisquer de compromettre son avenir professionnel(faire préciser son statut, son ancienneté, saprotection sociale).

Il faut aussi peser les cas de patients très isolés etdéprimés pour lesquels l’arrêt de travail va aggraverla solitude et avoir des effets pervers ; il faut alors

réfléchir à l’opportunité d’une hospitalisation, si lapoursuite du travail est vraiment impossible.

Il faut aussi savoir dépister les cas où le facteurdéclenchant de la décompensation est un conflit autravail, car cette circonstance peut être banalisée oupassée sous silence par le patient, et le médecin peutêtre en position d’arbitrer un différend sans le savoiret laisser ainsi son patient s’enfermer dans unprocessus d’évitement immature dont il risqueensuite de faire les frais.

■Maisons de repos, cures

et postcures

Elles font aussi partie des demandes fréquentesdes patients psychiatriques. Leur utilité estindiscutable dans de nombreux cas, en particulier audécours de certaines hospitalisations en aigu, pourpermettre une étape de transit ion et deréadaptation. Cependant, sans parler des personnescherchant plus un lieu de vacances qu’un lieu desoins, dans le cadre d’une prise en charge de laSécurité sociale, il est des patients pour lesquels cetype de séjour peut être contre-indiqué malgré unevéritable maladie psychique, car la demande est pluscelle d’une mise à distance des problèmes, que lepatient retrouvera identiques, voire pire, à sonretour. Il faut alors en discuter ouvertement avec lepatient afin qu’il change de projet ou qu’il règle,préalablement à son départ, les problèmes les plusimportants (famille, emploi, problèmes financiers...).

■Allocation adultes handicapés

(AAH)

Elle concerne les personnes dont le tauxd’invalidité reconnu est d’au moins 80 % ou qui sontdans l’impossibilité de se procurer un emploi du faitde leur handicap. Les décisions d’attribution

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dépendent de la deuxième section de laCommission technique d’orientation et dereclassement professionnel (COTOREP). Elleconcerne les français, de plus de 20 ans (ou plus de16 ans pour ceux qui ne sont plus à la charge deleurs parents), dont les ressources ne dépassent pasun certain plafond (l’AAH est une allocationdifférentielle). Elle est attribuée pour une périodelimitée (1 à 10 ans), mais renouvelable. Elle donneautomatiquement droit à l’affiliation à la Sécuritésociale. Son montant était de 3 392,50 F par mois en1997. Elle peut se cumuler avec l’allocationlogement et peut ainsi permettre aux maladesmentaux chroniques (psychotiques principalement),que leur famille ne peut ou ne veut entretenir, depouvoir avoir une vie autonome, dans desconditions certes assez précaires. La constitutiond’un dossier de demande auprès de la COTOREPnécessite un certificat médical établissant lehandicap. Le médecin a donc un rôle à jouer et doitagir au cas par cas. En effet, pour certains jeunespsychotiques, il est préférable de différer lademande pour ne pas démotiver d’éventuelsprojets de réinsertion professionnelle. Il est souventpossible à leur famille de les aider temporairement,et ils peuvent trouver d’autres moyens d’être affiliésà la Sécurité sociale (statut d’étudiant, assurancevolontaire). De même, le médecin peut se retrouverconfronté à une demande abusive d’un jeune(directement ou par sa famille) sans travail et sansressources, trop jeune pour bénéficier du RMI (lerevenu minimum d’insertion ne peut être attribuéqu’à partir de 25 ans). Il faut d’ailleurs savoir que,

pour ceux qui peuvent en bénéficier, le montant duRMI était de 2 374,50 F en 1997 pour une personneseule, et donc inférieur de près de 1000 F à l’AAH, cequi peut rendre l’AAH plus « attractive », au détrimentde la dynamique de réinsertion afférente au RMI(évaluations régulières de la situation, propositionsde travail en contrat emploi solidarité...).

■Allocation compensatrice

Également attribuée par la deuxième section de laCOTOREP, elle est destinée aux handicapés ayantbesoin de l’aide d’une tierce personne. Elle estrarement justifiée pour les patients psychiatriques.

■Carte d’invalidité

Celle-ci, attribuée au vu d’un certificat médical parla deuxième section de la COTOREP, n’estgénéralement pas demandée par les maladesmentaux pour l’accès aux places réservées destransports en commun, mais pour les avantagesfiscaux qu’elle procure (exonération de la vignetteautomobile, de la redevance télévis ion,augmentation d’une demi-part ou d’une part dequotient familial pour le calcul de l’impôt sur lerevenu). Sa justification se discute au cas par casdans les maladies psychiatriques.

■Reconnaissance

de travailleur handicapé

Cette reconnaissance relève de la premièresection de la COTOREP. Elle propose aussi uneorientation, éventuellement en s’appuyant sur destests psychotechniques (il existe plusieurs catégoriesde travailleurs handicapés et plusieurs orientationspossibles : reclassement, emploi protégé, centred’aide par le travail...). Il faut toujours préciser aupatient et à son entourage que le fait d’être reconnuhandicapé ou invalide, et même de toucher unepension ou une allocation, n’empêche nullementune initiative individuelle de recherche d’emploi« normal », qui, si elle aboutit, fera automatiquementtomber la qualification d’handicapé. Au cas où cetteexpérience échouerait après quelques temps, soitpar rechute, soit du fait du travail lui-même(licenciement économique par exemple), il restepossible de réintroduire une demande auprès de laCOTOREP.

■Conclusion

En tout état de cause, le médecin pourra se faireaider des conseils d’une assistante sociale, soit celledépendant de la circonscription d’action sociale dupatient, soit celle dépendant de l’hôpital ou du centremédicopsychologique dont le patient dépendlui-même.

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Poids des actes médicosociaux en psychiatrie.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0290, 1998, 2 p

R é f é r e n c e s

[1] Goumilloux R. Législation psychiatrique. Paris : Masson, 1991

7-0290 - Poids des actes médicosociaux en psychiatrie

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Page 111: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Prise en charge

des troubles psychiatriques

C Zeitter

D ix pour cent seulement des déprimés sont reconnus comme tels et reçoivent un traitement approprié.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Le médecin généraliste se trouve régulièrementconfronté à des troubles psychiatriques, avec troisniveaux d’intervention :

– repérage (attribution de symptômes à unepathologie psychiatrique) ;

– orientation (initiation d’un projet de soinslorsqu’une pathologie psychiatrique est repérée, oulorsqu’une demande de soins psychiatriques estformulée directement par un patient et/ou sonentourage) ;

– traitement (prise en charge du trouble).La première étape est essentielle, et appartient

quasi exclusivement au médecin généraliste, premierinterlocuteur d’un patient en souffrance. Elle estessentielle dans la mesure où la majorité des troublespsychiatriques sont accessibles à un traitement et àune prise en charge adaptée, et où la rapiditéd’intervention et d’instauration d’un traitement est unfacteur pronostic majeur pour l’évolution des troublespsychiatriques, quelle qu’en soit la nature.

Les deux étapes suivantes sont décrites dans leschapitres consacrés aux troubles psychiatriques.

Pourtant, il semble que les troubles psychiatriquessoient insuffisamment repérés dans le cadre desconsultations de médecine générale. Concernant lapathologie dépressive, il s’avère que sur 100 patientsdéprimés, seuls 50 % sont reconnus commeprésentant une souffrance psychologique, et 25 %comme déprimés. En outre, parmi les patientsdéprimés identifiés, seul un sur deux reçoit untraitement adapté (antidépresseurs à doses efficaces etsur une période suffisamment longue). Ainsi, environ10 % des déprimés seulement sont reconnus commetels et reçoivent un traitement approprié.

Certains facteurs sont évoqués, qui interviennentdans l’identification ou la non identification destroubles psychiatriques :

– l’absence de plainte psychologique oupsychiatrique (seuls 25 % des déprimés expriment unetelle plainte) ;

– les conséquences sociales, familiales ;– la sévérité des symptômes ;– l’existence de facteurs de stress (l’absence

d’événement déclenchant diminue le taux dereconnaissance d’un trouble psychiatrique) ;

– la présence d’un diagnostic somatique, quidiminue également le taux de reconnaissance.

Il est donc capital, dans la mesure où la plaintepsychologique ou psychiatrique n’est que rarementexprimée, de repérer certains symptômes,couramment évoqués dans le champ de laconsultation de médecine générale, pouvant évoquerun trouble psychiatrique, et amenant ainsi unerecherche approfondie.

■Symptômes d’alerte

Ils sont constitués, d’une part, des symptômessomatiques que l’on rencontre dans diversespathologies psychiatriques, d’autre part de symptômesde dysfonctionnement du sujet dans son environne-ment habituel, qui sont la conséquence du troublepsychiatrique, son retentissement sur les plans social,relationnel, familial, professionnel. La rupture dans lefonctionnement habituel du sujet dans ces différentschamps est un élément particulièrement important dudiagnostic de trouble psychiatrique.

Les symptômes d’alerte sont résumés dans letableau I.

‚ Symptômes somatiques

Insomnie

On la retrouve essentiellement dans les troubles del’humeur, et dans les troubles anxieux.

Dans la pathologie anxieuse, il s’agit essentielle-ment d’une insomnie d’endormissement,accompagnée de ruminations anxieuses sur lesévénements à venir, anticipés de façon négative.

Dans la pathologie dépressive, elle est typiquementdu petit matin, à type de réveils précoces vers 3-4heures du matin, sans possibilité de retrouver lesommeil. Le sujet déprimé est immédiatement assaillide ruminations dépressives, tournées vers le passé,s’accompagnant volontiers de reproches sur lesactions passées, de sentiments d’incapacité, dedévalorisation. Les réveils sont pénibles, le sujet n’apas le sentiment d’avoir récupéré. Les dépriméspeuvent néanmoins présenter une insomnied’endormissement ou des réveils nocturnes, surtoutlorsqu’une anxiété s’y associe.

L’insomnie fait également partie de la symptomato-logie typique de l’état maniaque. Il s’agit alors plutôtd’une réduction du temps de sommeil, le sujetn’éprouvant pas le besoin de dormir. Il se consacrealors aux nombreuses activités qui s’inscrivent dansl’état d’excitation psychomotrice caractéristique, sanséprouver de fatigue.

Enfin, l’insomnie apparaît dans des états délirants,surtout aigus, associée à une anxiété majeure ou à uneactivité délirante, par exemple à thématiquepersécutive (conviction que des ennemis vont pénétrerchez le sujet pendant son sommeil et l’attaquer).

Anorexie

L’anorexie se rencontre dans les troubles anxieux etdépressifs. Elle s’accompagne volontiers d’une perte depoids dans la pathologie dépressive, qui peut êtreimportante et rapide. La perte de poids est un élémentimportant du diagnostic de dépression. Le bilan

La pathologie psychiatrique représenteune part considérable de laconsultation de médecine générale. Lapathologie dépressive à elle seuleconstitue en effet 10 % des motifs deconsultation généraliste.

Tableau I. – Symptômes d’alerte.

Symptômes somatiques

InsomnieAnorexieAsthénie ± perte de poidsDouleursCrises de tétanie

Retentissement

Repli affectif (réduction des intérêts pour les dis-tractions, les activités habituelles, les contacts so-ciaux)Diffıcultés professionnelles (conflits, baisse desperformances)Échec scolaire chez l’enfant, l’adolescent, l’étu-diantConflit familialConflit conjugaldRupturedans le fonctionnement habituel du sujet

La prescription d’hypnotiques ne peutse faire qu’après analyse sémiologiquerigoureuse. Le traitement del’insomnie repose avant tout sur letraitement de son étiologie. Uneprescription de somnifères à titrepurement symptomatique devientrapidement inefficace, masque lasymptomatologie sous-jacente, etamène un retard au traitement del’affection responsable.

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étiologique d’un amaigrissement doit comprendre larecherche de signes de dépression, surtout si lesantécédents somatiques et l’examen clinique sontsans particularités.

Le terme d’anorexie définit également unepathologie psychiatrique, l’anorexie mentale. Enréalité, les patients anorexiques n’éprouvent aucuneperte de l’appétit, mais luttent contre une sensation defaim, avec le besoin de la maîtriser. Le motif deconsultation est d’ailleurs le plus souvent, dans lecadre de l’anorexie mentale, l’inquiétude des parentsd’une adolescente qui perd du poids. La gravité decette pathologie impose la recherche des signesclassiques, et une orientation précoce vers une prise encharge spécialisée.

Asthénie

Symptôme régulier de la dépression, elle estsouvent, dans cette pathologie, à prédominancematinale. Elle est typiquement aggravée lors d’effortsde concentration, ou lors de situations de conflitpsychologique, de stress. Elle peut se réduire à unesimple fatigabilité, ou, dans les formes extrêmesaboutir à la clinophilie.

À la différence du sujet psychasthène chez qui elleest présente de manière chronique et s’intègre dans letrouble de la personnalité, l’asthénie du sujet dépriméa un début repérable, et représente une rupture parrapport à son fonctionnement habituel.

¶ Douleurs et autres plaintes somatiquesEn l’absence d’une pathologie organique pouvant

les expliquer, ou lorsque leur intensité estdisproportionnée par rapport à une lésion objective,l’orientation diagnostique repose sur la recherche decertains éléments :

– histoire chronologique des douleurs,circonstances d’apparition, facteurs favorisants etfacteurs atténuants ;

– relation du patient à sa douleur : origineattribuée, conviction d’une atteinte organiqueincurable, ou indifférence ;

– relation au médecin : aspect plaintif, demandeaffective, demande technique d’explorationscomplémentaires, revendication, sthénicité ;

– retentissement de la douleur sur les aptitudes dusujet ;

– modifications induites par la douleur dans ladynamique familiale ;

– recherche des signes classiques de dépression.L’analyse de ces éléments permettra ainsi d’orienter

le diagnostic vers une pathologie névrotiquehystérique ou hypocondriaque, vers une pathologieanxieuse, vers une pathologie délirante (hypocondriedélirante), ou vers une dépression pouvant êtremasquée (la plainte somatique est au premier plan dutableau. Il est essentiel de ne pas passer à côté d’undiagnostic de dépression, les antidépresseurspermettant alors une amélioration spectaculaire.

¶ SpasmophilieSouvent attribuées à un hypothétique trouble du

métabolisme du calcium ou du magnésium, les crisesde tétanie représentent en fait les manifestationsphysiques d’une anxiété aiguë.

On les rencontre dans la pathologie hystérique, oùon peut les considérer comme des symptômes

conversifs, s’intégrant dans un jeu relationnel avecautrui, mais il faut évoquer systématiquement lediagnostic d’attaques de panique (crise d’angoisseaiguë). Les attaques de panique, lorsqu’elles serépètent, constituent une maladie qualifiée de troublepanique, qui justifie l’introduction d’un traitementspécifique, à base d’antidépresseurs, ayant une actionpréventive sur la survenue des crises.

Les attaques de panique se rencontrent égalementdans la pathologie dépressive, survenant au coursd’un épisode dépressif et accompagnant les autressignes de dépression, ou pouvant constituer,lorsqu’elles surviennent isolément et par périodes, unvéritable « équivalent » dépressif, qui justifie bienévidemment un traitement antidépresseur.

‚ Modifications du fonctionnementhabituel du sujet

Changements de caractère

Des modifications du caractère d’un sujet serencontrent fréquemment au cours des épisodesdépressifs. Ces modifications peuvent être signaléespar l’entourage qui le trouve différent, changé, ou parle sujet lui-même. Le patient se montre plus irritable,susceptible, voire agressif, intolérant au bruit,« supporte » moins bien ses proches. Il peut présenterdes réactions de colère inhabituelles.

Chez des patients déprimés présentant un troublede la personnalité, on peut observer, soit unchangement caractériel, soit une expression accentuéedes traits pathologiques de leur personnalité. C’estainsi que l’on peut passer à côté du diagnostic dedépression chez une personnalité hystérique, quiprésente une labilité thymique accentuée, unhistrionisme plus marqué.

Événements de vie négatifs et situationsde crise

Lorsqu’un sujet manifeste des troubles psychologi-ques à l’occasion d’un événement important, il esttentant de les trouver légitimes, de les considérercomme une réaction d’adaptation à une situationnouvelle. Or les événements de vie sont des facteurspouvant précipiter des troubles psychiatriques avérés,et en particulier des épisodes dépressifs : deuils,ruptures sentimentales, pertes d’emploi. Il convientdonc systématiquement, dans ce genre de situation,d’en rechercher les signes spécifiques.

Par ailleurs, les sujets déprimés peuvent induire desévénements de vie négatifs. Les modifications decaractère induites par la dépression peuvent en effetentraîner des conflits avec les proches, avec leconjoint, et provoquer une rupture, qui n’est alors pasle facteur dépressogène, mais une conséquence dutrouble.

De même, les difficultés de concentration, la baissedes performances intellectuelles d’un déprimé peuventavoir un retentissement majeur sur son activité

professionnelle, conduire à un licenciement, qui làencore sera conséquence et non cause de la dépression.

Il est donc important d’évaluer l’état du sujetantérieur à l’événement de vie.

Situations d’échec scolaire

L’échec scolaire est un motif fréquent deconsultation chez le pédiatre ou le médecin généralistepour un enfant, un adolescent ou un adulte jeuneétudiant. La demande est alors souvent de traiter cequ’on suppose être une banale fatigue, par desstimulants, des vitamines.

Or l’adolescence et le début de l’âge l’adulte sont lesâges de début de nombreuses pathologiespsychiatriques, et notamment les troubles de l’humeuret la schizophrénie.

Ainsi l’échec scolaire peut être le premier symptômeobjectif d’un adolescent déprimé, morose et irritable,restreignant également ses activités de loisir, replié,éprouvant des difficultés à se concentrer, dormant mal,devenant plus coléreux, pouvant développer uneappétence nouvelle pour les toxiques.

L’échec scolaire peut aussi s’intégrer dans un débutde schizophrénie, alors caractérisé par un repli social,des difficultés de communication, un émoussementdes affects, une bizarrerie, des préoccupationsnouvelles ésotériques, philosophicoreligieuses,hermétiques.

■Conclusion

Le rôle du médecin généraliste est donc essentieldans le repérage des signes pouvant constituer dessymptômes d’un trouble psychiatrique nécessitant uneprise en charge spécifique. Il doit pouvoir proposer aupatient un programme de soins adaptés, en sachantd’emblée poser les limites de son intervention, de tellesorte qu’un éventuel recours au confrère psychiatre, enfonction de la nature du trouble psychiatrique et de sescompétences, ne soit pas vécu comme un abandon,un désaveu, ou une mauvaise prise en considérationde la souffrance du patient.

Le recours au psychiatre doit évidemments’envisager sous l’angle d’une collaboration et d’uneconfiance réciproque, qui s’appuiera sur une définitionclaire des champs d’intervention des deux médecins.On peut ainsi, de façon schématique, concevoir quatremodalités de collaboration :

– Le médecin généraliste qui en a les compétencesassure la prise en charge psychiatrique et sollicite lepsychiatre pour un avis (en matière de dépression parexemple).

– Le médecin généraliste assure la prescription despsychotropes s’il possède les connaissances requises,le psychiatre assurant une prise en chargepsychothérapique.

– Le psychiatre intervient comme prescripteur etconfie au médecin généraliste qui possède laformation requise une prise en chargepsychothérapique.

– Le médecin généraliste confie la prise en chargeau psychiatre et intervient pour alerter celui-ci lorsqu’ilest inquiet pour son patient.

Cédric Zeitter : Assistant des Hôpitaux,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : C Zeitter. Prise en charge des troubles psychiatriques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0260, 1998, 2 p

Toute modification du caractère d’unsujet doit donc faire évoquer untrouble psychiatrique, et en particulierune dépression.

7-0260 - Prise en charge des troubles psychiatriques

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Règles de prescription des

psychotropes pendant la grossesse

V Olivier, C Passerieux

L a question de la prescription de psychotropes, et plus largement de la prise en charge de troubles psychiatriquesdurant la grossesse, est une situation fréquente et souvent difficile. La possibilité d’un diagnostic anténatal

d’éventuelles malformations a sans doute favorisé le recours à des psychotropes, que le recul permet également demieux connaître du point de vue de leurs répercussions sur l’enfant à venir. Cependant, l’évaluation de la nécessitéde soins pour la mère, des risques éventuels si ces soins ne lui sont pas prodigués et des risques pour le fœtus, est unexercice difficile qui justifie pleinement le recours à un avis spécialisé.© Elsevier, Paris.

■Principes généraux

‚ Quelle est la tendance évolutive despathologies psychiatriques pendantla grossesse ?

La grossesse a longtemps été considérée commeun facteur plutôt protecteur vis-à-vis des troublespsychiatriques. En fait, l’évolution des principalespathologies psychiatriques est mal connue et paraîtvariable : aggravation, stabilisation ou amélioration.La prévalence des troubles dépressifs chez la femmeenceinte est identique à celle en dehors de lagrossesse et la survenue d’une dépression durant lagrossesse est fortement prédictive d’une dépressiondu postpartum. Plus généralement, la période dupostpartum est une période à risque de rechute destroubles psychiatriques.

‚ Quels sont les risques pour le fœtus de laprescription de psychotropes durantla grossesse ?

Classiquement on décrit plusieurs périodesconcernant ce risque :

– durant la période initiale des deux premièressemaines, avant que la grossesse ne soit connue,l’effet toxique éventuel des médicaments se feraitselon la loi du tout ou rien. Un produit très toxiqueentraînera un avortement précoce, les effetséventuels d’un produit moins toxique pourront êtrecompensés lors des divisions ultérieures de l’œuf ;

– durant la période embryonnaire (de j 15 à j 60),le risque tératogène est maximal ;

– durant la période fœtale et périnatale, ladifférenciation des principaux organes est réalisée àl’exception des organes génitaux qui ne s’achèvequ’à la fin du quatrième mois. Des malformationssévères ne sont plus à craindre mais des effetstoxiques sont possibles et peuvent être redoutables.Ils se manifesteront après la naissance ;

– enfin, des effets à long terme ont été suspectésavec les psychotropes : troubles parkinsonnienséventuels avec les neuroleptiques, « tératogenèse dudéveloppement » (retard psychomoteur, instabilité,retard intellectuel) dont la mise en évidence estparticulièrement difficile.

Les données sur les effets sur l’enfant à venir desprincipaux psychotropes sont mieux établies pourles psychotropes les plus anciens (tableau I).

‚ Quelles sont les règles généralesde prescription des psychotropespendant la grossesse ?

Évaluer la nécessité du maintien ou de laprescription de psychotropes pendant la grossesseimpose d’évaluer les risques encourus par le fœtusd’une part et les risques encourus par la mère (etsecondairement par le foetus) en cas d’évolutionnon traitée de son trouble psychiatrique : risquesuicidaire ou de conduites à risque, risque lié à un

éventuel manque de suivi pendant la grossesse,risque lié au vécu psychologique de la grossesse etconcernant l’investissement affectif de l’enfant àvenir, risque d’évolution du trouble psychiatriquependant le postpartum, etc. La décision deprescription d’un traitement psychotrope doit, autantque faire se peut, être prise en concertation avec lapatiente et avec le futur père. Cette évaluation,souvent difficile, ainsi que le choix éventuel dupsychotrope doit être l’objet d’un avis spécialisé.

Lorsque la décision est d’initier ou de poursuivreun traitement psychotrope, il est recommandéd’utiliser les doses efficaces les plus faibles pendantla période nécessaire la plus brève. Cependant, en

Tableau I. – Risques pour le fœtus de l’emploi pendant la grossesse des principaux psychotropes.

Famillemédicamenteuse

Effet tératogène Toxicité néonatale Séquelles comportemen-tales postnatales

Neuroleptiques ++ ++ ?risque évalué à 0,4 %,

pas de malformation spé-cifique identifiée ; ont étéparticulièrement incrimi-nées les phénothazines à

3 carbones

Hypertonie, irritabilité,agitation, mouvementsanormaux, diffıcultés à

l’alimentation, ictère néo-natal, occlusion

fonctionnelle

séquelles observées chezl’animal et non retrouvées

chez l’enfant (évaluéesjusqu’à 5 ans)

Antidépresseurs + ++ ?pour antidépresseurs tri-

cycliques et fluoxétine (lesplus étudiés)

tachycardie, détresse res-piratoire, myoclonies,somnolence, cyanose,

hypothermie, convulsions

pas de séquelles observéesmais peu d’études

Benzodiazépines ++ ++ quelques données suggè-rent un retard développe-

mentalanomalies de la voûte

palatine et bec de lièvre,malformations cardiovas-culaires et des membres

syndrome de sevrage :hypotonie, irritabilité,

diffıcultés à s’alimenter,hypothermie, apnées

Sels de lithium ++ ++ ?risque évalué à 0,1 %

(malformation cardiaque)cyanose, hypothermie,

hypertoniePas de séquelles

observées

Autres régulateursde l’humeur

+++ + ?risque évalué à 0,5 à 1 %

de spina bifida pour lacarbamazepine et à 1 à

5 % pour l’acidevalproïque

Pas de séquellesobservées

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raison de modification du métabolisme pendant lagrossesse, il peut être nécessaire d’augmenter lesposologies par rapport aux doses habituelles. Enfin,sauf exception, on optera pour une monothérapie.

‚ Qui doit assurer le suivi de la patientependant la grossesse ?

Chez une patiente stabilisée, si la décision demaintien du traitement est du ressort du psychiatre,le suivi peut être assuré au moins partiellement parle généraliste. Il nécessitera alors une étroitecollaboration avec le psychiatre d’une part etl’obstétricien d’autre part. La surveillance de lapathologie psychiatrique devra être particulièrementattentive à la recherche de signes précurseurs derechute, et en veillant à la bonne tolérancematernelle et fœtale du traitement. Le suiviobstétrical devra être assuré dans un servicehospitalier spécialisé et comportant un service deréanimation néonatale. Il justifiera souvent laprescription d’examens complémentairessupplémentaires (échographie, monitoring fœtal...) àceux d’une grossesse banale. Une rechute de lamaladie psychiatrique pendant la grossesse ou aucours de la période puerpérale nécessite un avisspécialisé et impose le plus souvent unehospitalisation et un traitement en urgence. Uneconsultation psychiatrique sera systématique dansles suites immédiates de l’accouchement afin devérifier l’absence de rechute dans cette période àhaut risque.

Dans le cas d’une décompensation psychiatriquedurant la grossesse, posant le problème de la miseen route éventuelle d’un traitement psychotrope etde la prise en charge du trouble psychiatrique, unsuivi spécialisé est nécessaire jusqu’à la rémissiondes symptômes et l’obtention d’une bonnestabilisation. Un relais peut alors être pris par legénéraliste, la consultation du postpartum restantnécessaire.

■Règles générales de conduite

en fonction de la pathologie

‚ Troubles dépressifs majeurs

Dans quelles situations faut-il prescriredes antidépresseurs ?

D’après des études récentes, la grossesse nesemble pas être un facteur protecteur de dépressioncomme on l’a longtemps supposé. Il est doncimportant d’observer un suivi psychiatrique régulierdes femmes enceintes ayant des antécédents dedépression.

L’indication d’un traitement antidépresseur lors dela survenue d’une dépression pendant la grossessedépend en grande partie de la sévérité de lamaladie. Bien qu’il n’y ait pas de risque tératogèneélevé avec la plupart des antidépresseurs, àl’exception des inhibiteurs de la mono-amine-oxydase (IMAO), les femmes enceintes préfèrent nepas prendre de traitement pendant leur grossesselorsque les symptômes sont peu sévères. Lorsque lapatiente ne présente pas d’antécédent dépressif, unesurveillance étroite et une prise en chargepsychothérapique pourra être alors proposée. Chezdes patientes débutant une grossesse sousantidépresseur et présentant des antécédentsdépress i fs modérés , i l est recommandé

d’interrompre le traitement au moins pendant lepremier trimestre de la grossesse. Le traitementmédicamenteux peut alors être remplacé par untraitement psychothérapique.

Lorsque les symptômes dépressifs sont d’intensitémodérée à sévère ou si le trouble dépressif persisteaprès le premier trimestre, l’utilisation d’untraitement médicamenteux est préconisée. Lesantidépresseurs tricycliques et certains inhibiteurs dela recapture de la sérotonine peuvent être utilisés. Larègle de la prescription en monothérapie(antidépresseur seul) est fortement recommandée.

Dans le cas d’une dépression sévère (présenced’idées suicidaires envahissantes, d’idées délirantes,d’une anorexie sévère), une hospitalisationd’urgence en milieu spécialisé s’impose. En milieuhospitalier, on pourra opter soit pour un traitementmédicamenteux, soit pour des électrochocs.

Combien de temps faudra-t-il poursuivrele traitement ?

Là encore, l’attitude dépendra du degré desévérité de l’état dépressif, du moment oùl’antidépresseur a été introduit et du degréd’amélioration de l’état dépressif (rémission rapidede tous les symptômes ou non). Les femmes ayantdes antécédents dépressifs ont un risque élevé dedépression du postpartum (25 %). De même, lasurvenue d’un état dépressif pendant la grossesseest hautement prédictive d’une dépression dupostpartum. La surveillance psychiatrique devra

donc être particulièrement rapprochée dans lessemaines qui suivent l’accouchement (et jusqu’à unan après).

Lorsqu’un antidépresseur a été introduit pendantla grossesse et surtout si la patiente a desantécédents dépressifs, il est recommandé depoursuivre le traitement antidépresseur pendanttoute la grossesse et après l’accouchement afin deprévenir le risque de dépression du postpartum.

Dans le cas d’une patiente ayant des antécédentsde dépression majeure récurrente ou de dépressiondu postpartum, la réintroduction d’un antidépresseurrapidement après l’accouchement, voire durant letroisième trimestre de la grossesse est recom-mandée par certains auteurs.

‚ Troubles bipolaires

Dans quelles situations faut-il poursuivreun traitement par le lithiumpendant la grossesse ?

L’évolution des troubles bipolaires pendant lagrossesse est mal connue. En revanche, la périodedu postpartum (et jusqu’à 12 mois aprèsl’accouchement) est une période à risque majeur derechute (le risque est multiplié par 8 pendant lepremier mois).

Lorsqu’une patiente bipolaire sous lithiumenvisage une grossesse, l’évaluation de la nécessitédu maintien de son traitement prophylactique doitêtre réalisée par la patiente, son conjoint et lepsychiatre. Les attitudes préconisées sont lessuivantes :

– chez une femme ayant fait des épisodesdépressifs ou maniaques isolés entrecoupés delongues périodes normothymiques, le lithium doitêtre arrêté avant le début de la grossesse. Comptetenu d’un risque élevé de rechute à l’arrêt de lalithiothérapie, surtout lorsque le traitement est arrêtébrutalement, un arrêt progressif sous surveillance

Antidépresseurs préconisés dans le casd’une dépression nécessitant untraitement psychotrope✔ Dans la mesure du possible,différer le traitement au deuxièmetrimestre de la grossesse.✔ Choisir parmi les antidépresseursceux pour lesquels les données sontles mieux établies :– soit un tricyclique : par exemple,clomipramine (Anafranilt) oudésipramine (Pertofrant) moinshypotenseur que la clomipramine ;– soit un inhibiteur de la recapture dela sérotonine : plutôt la fluoxétine(Prozact) pour lequel on a le plus derecul.✔ Un cas particulier est celui d’unepatiente poursuivant un traitementantidépresseur pour une dépressiond’intensité faible à modérée etsouhaitant poursuivre le traitementdurant la période de conception : sison antidépresseur a une demi-viecourte, le poursuivre, sinon opterpou un antidépresseur à demi-viecourte (parmi les inhibiteurs de larecapture de la sérotonine, choisir lasertraline ou la paroxétine(Deroxatt) plutôt que le Prozact. Letraitement est alors interrompu dèsle début de la grossesse.

Règles de surveillance obstétricaledurant une grossesse sous régulateursde l’humeur✔ Dans le cas d’un traitement parsels de lithium pendant le premiertrimestre de la grossesse, uneéchocardiographie fœtale entre laseizième et la dix-huitième semainede grossesse doit être réalisée à larecherche d’une malformationcardio-vasculaire (Maladie deEbstein).✔ Dans le cas d’un traitement parcarbamazépine (Tégrétolt) ou acidevalproïque (Dépamidet etDépakinet) certains auteursrecommandent une administrationquotidienne de folates (4 mg/j)quatre semaines avant la conceptionet jusqu’à la fin du premier trimestre(MRC Vitamin Study ResearchGroup, 1991). D’autre part, il estrecommandé d’effectuer unesurveillance ultrasonographiquefoetale entre la seizième et la dix-neuvième semaine de gestation.

7-0240 - Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse

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rapprochée est conseillé avant l’arrêt de lacontraception. La lithiothérapie doit être si possibleinterrompue pendant toute la grossesse. Si unerechute intervient, le lithium peut être réintroduit àpartir du second trimestre ;

– chez une femme ayant un trouble bipolairesévère, avec un risque important de rechute à l’arrêtdu lithium, et désirant une grossesse, il estrecommandé d’arrêter temporairement lalithiothérapie pendant la période de l’embryo-genèse, c’est-à-dire entre la quatrième et ladouzième semaine d’aménorrhée. En cas de rechute,le lithium doit être réintroduit associé ou non à unautre psychotrope ;

– chez une femme présentant un troublebipolaire très sévère rendant la lithiothérapieindispensable, le traitement par le lithium peut êtremaintenu.

La poursuite de la lithiothérapie lors d’unegrossesse, ses avantages et ses risques, doivent êtrediscutés avec la patiente et son conjoint. Ils doiventêtre informés du risque plus élevé de malformationcardiovasculaire (Maladie d’Ebstein) et de la nécessitéd’une surveillance fœtale.

Qu’en est-t-il des autres régulateursde l’humeur ?

L’exposition à d’autres thymorégulateurs(carbamazépine ou acide valproïque) pendant lepremier trimestre de la grossesse est associée à unrisque plus élevé d’anomalie du tube neural (liée enpartie à une diminution des folates maternelles).L’utilisation des doses efficaces les plus basses réduitle risque de spina bifida.

Les règles proposées pour le traitement par lessels de lithium peuvent s’appliquer dans ce cas.

Il ne semble par ailleurs pas justifié, compte tenudes risques respectifs des différents thymorégula-teurs, de substituer un traitement à un autre chezune patiente stabilisée et ayant un projet degrossesse.

‚ Troubles anxieux et névrotiques

Trouble panique

L’évolution d’un trouble panique pendant lagrossesse est variable. Certaines études ontdémontré que la grossesse était un facteurprotecteur du trouble, d’autres un facteur aggravant.Lorsqu’une femme traitée pour un trouble paniquedésire une grossesse, il est recommandé de diminuerprogressivement le traitement médicamenteuxjusqu’à son arrêt et de le remplacer par une thérapiecognitivo-comportementale. Si la tentative desevrage échoue, il est possible de réintroduire unantidépresseur tricyclique ou sérotoninergique(fluoxétine) ou une benzodiazépine. Les tricycliquessont le traitement de choix du trouble paniquependant la grossesse. Chez une femme présentantun trouble panique sévère nécessitant un traitementpermanent, le traitement médicamenteux serapoursuivi pendant la grossesse.

Troubles obsessionnels-compulsifs

Certaines femmes débutent un troubleobsessionnel-compulsif lors de leur premièregrossesse. Selon certains auteurs, jusqu’à la moitiédes patientes ont présenté leurs premierssymptômes au cours de leur première grossesse. Cestroubles doivent être traités de préférence par desmoyens psychothérapiques (thérapie cognitive)plutôt que médicamenteux au cours du premiertrimestre. En cas d’échec des traitementspsychologiques ou de formes graves de la maladie,un traitement médicamenteux par fluoxétine(Prozact) ou clomipramine (Anafranilt) est indiqué.Le second a l’inconvénient d’aggraver l’hypotensionorthostatique pendant la grossesse.

‚ Schizophrénie et délires chroniques

L’apparition d’un syndrome délirant pendant lagrossesse est une urgence médicale et obstétricaleen raison des risques majeurs de comportementsimpulsifs, dangereux pour la mère et l’enfant, et

d’une fréquente absence de suivi obstétrical pendantl’épisode délirant. Une hospitalisation en milieuspécialisé s’impose.

Lorsque les symptômes délirants sont modérés etapparaissent chez une femme sans antécédentspsychotiques, il est conseillé d’éviter de prescrire desmédicaments antipsychotiques pendant le premiertrimestre de la grossesse. Si le délire persiste après lepremier trimestre, un traitement neuroleptique seraintroduit à partir du second trimestre

À l’inverse, chez des patientes suivies pour unepsychose chronique et rechutant régulièrement à lasuite d’une réduction du traitement ou d’unemauvaise observance, il est recommandé depoursuivre le traitement neuroleptique avant etpendant la grossesse. Le maintien du traitementpendant la grossesse permettra d’éviter d’exposer lefœtus à des doses plus élevées de neuroleptiquesnécessaires en cas de rechute. Le traitementneuroleptique doit être maintenu pendant et aprèsl’accouchement en raison d’un risque dedécompensation accru pendant le post-partum.

■Conclusion

Un traitement psychotrope peut être maintenuchez une femme enceinte ou désirant une grossessesi ce traitement est indispensable, c’est-à-dire si lesrisques de rechute de la pathologie psychiatriquematernelle non traitée sont majeurs. Plusieurs étudesont confirmé la possibilité d’un effet tératogène,mais faible, des psychotropes. Par conséquent, lapoursuite d’un traitement lors d’une grossesse(surtout pendant le premier trimestre) imposed’avertir la patiente de l’existence d’un risque detératogénicité et d’assurer la surveillance maternelleet foetale nécessaire.

Quelle que soit la décision prise par la patiente etson psychiatre, de maintenir ou non un traitementpsychotrope, il est recommandé d’assurer unesurveillance et un suivi psychiatrique attentifs tout aulong de la grossesse et dans le postpartum qui sontdes périodes à risque important de rechute.

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant.Christine Passerieux : Praticien hospitalier.

Service de psychiatrie, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier et C Passerieux. Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0240, 1998, 3 p

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Règles de prescription des psychotropes pendant la grossesse - 7-0240

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Refus de soins psychiatriques

NGluck-Vanlaer

E n pathologie psychiatrique, le praticien se retrouve fréquemment confronté au refus des soins de la part dupatient, généralement peu conscient de la nature et de la gravité de ses troubles. Cependant, en raison de la

nature même des troubles, qui altèrent le jugement du malade, le médecin ne peut se contenter d’entériner son refuspar respect du libre arbitre sous peine de non-assistance à personne en danger (danger pour le patient lui-même,mais aussi pour son entourage).Quand les troubles psychiques sont graves, intenses et/ou aigus, se pose le problème de l’hospitalisation souscontrainte en milieu psychiatrique.© Elsevier, Paris.

■Troubles psychiatriques graves

Il s’agit principalement des accès délirants aigus(bouffée délirante, poussée processuelle deschizophrénie) et des troubles graves de l’humeur(accès maniaque, mélancolie). Plus rarement leproblème se pose devant un délire paranoïaque,une pharmacopsychose, un alcoolique dangereux.

‚ Évaluation de la dangerosité

La première étape est diagnostique et comporteune évaluation de la dangerosité.

Le diagnostic est parfois aisé, quand le médecinse trouve devant un malade exprimantspontanément son délire, pour lequel desantécédents similaires sont connus, voire une notionde rupture de traitement.

Le problème est plus complexe lorsque le patientest mutique, réticent, ou qu’il dissimule son troublelors de l’examen.

Enfin, parfois, les troubles sont rapportés parl’entourage, mais le malade refuse l’entretien. Lemédecin doit alors interroger très soigneusement lesdifférents membres de l’entourage pour former unehypothèse diagnostique, et doit égalementrassembler le maximum de documents (écritsbizarres du malade, comptes rendus de traitementsantérieurs) avant d’envisager une action concertéeau cours de laquelle il entrera en contact avec lemalade afin de confirmer le diagnostic et, dans unmême temps, de l’amener à l’hôpital.

Outre le repérage des symptômes psychiatriqueset la réflexion sur le cadre nosographique auquel ondoit les rattacher, il importe de vérifier que cestroubles altèrent le jugement du patient et lerendent incapable de consentir aux soins (ou, s’il

consent dans l’immédiat, qu’il ne risque pas dechanger d’avis dans les heures qui suivent).L’évaluation de la dangerosité potentielle se fait

sur les comportements manifestes du patient :discours suicidaire, incohérent ou menaçant pourautrui, troubles de comportement à type detentatives de suicide, fugues, voyages pathologiques,violences sur l’entourage, achat d’armes, conduitesdangereuses (au volant, dans la maison, au travail).On prend également en compte les antécédents depassages à l’acte du patient.

‚ Hospitalisation sous contrainte

Une fois établie la nécessité d’intervenir pourhospitaliser le patient contre son gré, il convient d’enorganiser le processus. Deuxmodes d’hospitalisationsous contrainte existent : l’hospitalisation à lademande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office(HO).

Hospitalisation à la demande d’un tiers

La procédure d’HDT est justifiée lorsque lemaladeprésente un trouble psychique qui, selon les termesdéfinis dans l’article L-333 de la loi du 27 juin 1990,« rend impossible son consentement », et « imposedes soins immédiats assortis d’une surveillanceconstante enmilieu hospitalier ».Les documents suivants doivent être fournis :– demande d’admission faite par le tiers ;– deux certificats médicaux ;– une pièce attestant l’identité du patient

¶ Demande d’admissionElle est généralement faite par un membre de la

famille mais, lorsque cela est impossible (absence defamille ou désir de celle-ci de ne pas s’impliquerjuridiquement, même si elle souhaite l’hospitalisationdu malade), toute personne agissant dans l’intérêtdu malade peut la faire à condition de ne pas faire

partie du personnel soignant de l’établissementd’accueil et d’avoir réellement rencontré le maladeau moment de la demande. Le tiers peut ainsi êtreun ami, un voisin, un curateur, une assistante sociale,y compris celle de l’hôpital, car elle n’est pasconsidérée comme faisant partie des soignants ausens strict du terme. Ces possibilités sont précieusescar les malades mentaux sont souvent isolés, voirerejetés par leur milieu familial.

Il est généralement nécessaire de rassurer le tiersen lui expliquant bien le cadre juridique de l’HDT eten lui précisant qu’il ne porte pas seul laresponsabilité de l’hospitalisation, puisque lemédecin doit aussi s’engager par un certificat, qu’àl’hôpital, le patient sera réexaminé par un spécialistequi devra confirmer le bien-fondé de la procédure,qu’il pourra à tout moment demander la levée de lamesure s’il estime qu’elle n’est plus justifiée, et qu’ilne doit pas craindre la rancune du patient qui, aprèsdes soins adaptés, reconnaît généralementvolontiers qu’il en avait besoin, enfin, que vu l’étatdu patient, les soins sont indispensables et que cettemesure est donc une nécessité ; il faut lui expliquerégalement que l’établissement de la demande ne luiimpose pas d’autres responsabilités, comme deprendre en charge ensuite le patient ou se portergarant de ses dettes.

La demande (tableau I) doit être entièrementrédigée à la main sur papier libre, elle doitcomporter les nom, prénom, profession, date denaissance et domicile du patient et du demandeur,ainsi que la nature de leur relation (degré de parenté,par exemple). La demande sera datée et signée, avecmention du lieu de rédaction, elle est ainsi valable15 jours. Le demandeur doit également être enmesure de fournir une pièce attestant de sonidentité, dont le numéro sera noté en référence sur lademande.

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EncyclopédiePratiquedeMédecine

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©Elsevier,Paris

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Page 117: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

¶ CertificatsmédicauxDeux certificats médicaux concordants, pouvant

émaner de tout médecin, spécialiste ou non, sontnécessaires. En revanche, ils ne doivent pas êtreparents ou alliés au quatrième degré inclusivement,ni entre eux, ni du patient, ni du demandeur, ni dudirecteur de l’hôpital receveur. Le premier certificatdoit émaner d’un médecin n’exerçant pas dansl’hôpital receveur, le deuxième, par contre, peut êtrerédigé par unmédecin de l’hôpital, mais, dans ce cas,il ne pourra pas rédiger le certificat de 24 heures.

Le certificat doit comporter l’identité du médecinet attester qu’il a examiné effectivement le maladeau jour dit. Il doit ensuite indiquer « l’état mental etles particularités de la maladie », c’est-à-dire décrireles symptômes constatés par le médecin (et nonrapportés par l’entourage s’il ne les a pas lui-mêmevérifiés), en insistant sur ceux qui attestent de sadéraison et de la perturbation de son jugement, ainsique de sa dangerosité potentielle (exemple : «M Xme dit être le fils de Dieu et exprime son désir desacrifier sa vie ainsi que celle des membres de safamille, qu’il appelle ses apôtres, pour sauver legenre humain », ou bien : «Mme Y se dit victime detentatives d’empoisonnement qu’elle combat en nese nourrissant que de pain et de café soluble, régimequ’elle applique également à son enfant mineur »).En revanche, il n’est pas nécessaire de faire mentiond’un diagnostic. La rédaction d’un tel certificat estune des dérogations légales au secret professionnel.Le certificat doit faire état de la nécessité d’unehospitalisation sans consentement du malade, il estlui aussi valable 15 jours (tableau II).

¶ Pièce attestant de l’identité dumaladeElle est théoriquement nécessaire, mais son

absence ne doit pas entraver la procédure en casd’urgence.

¶ Réalisation du placementEn pratique, elle n’est pas envisagée par la loi. Le

personnel de l’hôpital n’est pas tenu d’intervenir, demême que les pompiers, la police ou la gendarmerie.C’est théoriquement au demandeur qu’il incombed’amener le malade à l’hôpital. Dans certains cas, eneffet, il est possible, avec l’aide d’un serviced’ambulance, de transférer directement le patient àl’hôpital, en particulier lorsque le médecin connaîtbien le patient et parvient, par persuasion, à luiadministrer un sédatif. Dans d’autres cas, la pratiqueest plus difficile : le malade est très agité ou barricadédans un lieu dont personne n’a la clef... Le médecinpeut alors se faire aider de l’équipe du secteurpsychiatrique dont dépend le patient. Il peut aussiconseiller à la famille de faire appel à la police eninvoquant le danger couru par le patient (car seul unofficier de police pourra légalement donner accès aupatient si celui-ci est enfermé chez lui), il faudraensuite avoir prévu le déroulement des opérationsen coordonnant l’intervention des forces de l’ordreavec la présence du demandeur, dumédecin et dutransporteur.

Lorsque le médecin est appelé directement par unpatient isolé pour une raison quelconque et qu’ilconstate des troubles imposant l’HDT, il doit en outres’enquérir d’un tiers potentiel (interroger le patientsur sa famille, tenter d’en obtenir les coordonnées,contacter le secteur psychiatrique, l’assistante socialede circonscription...). Lorsque rien de cela n’estpossible et que la dangerosité potentielle est forte, ilpeut également alerter le maire de la communeet/ou le préfet avec un certificat médical en vued’une procédure d’HO.

Hospitalisation d’office

La procédure d’HO est réservée auxmalades dont« les troubles mentaux compromettent l’ordre publicou la sûreté des personnes ».

Elle est ordonnée par le préfet (à Paris, par lepréfet de police). Cependant, le maire de lacommune où se déroulent les faits (à Paris, les

commissaires de police) peut ordonner provisoi-rement l’hospitalisation en cas de danger imminent« attesté par un avis médical ou, à défaut, par lanotoriété publique » (un certificat médical n’est doncpas absolument indispensable au départ). Le maire aobligation d’en référer au préfet dans les 24 heures,à charge pour lui de prononcer ou non un arrêtédéfinitif, faute de quoi les mesures provisoires sontcaduques après 48 heures.

Tableau I. – Modèle de demande de tiers.

Je soussigné M X, né le..., demeurant..., profes-sion..., demande, en ma qualité de... (père, ami...),l’admission de M Z, né le..., demeurant..., profes-sion..., à l’hôpital de Y, selon les termes de l’arti-cle L-333 du code de la Santé publique.Fait à..., le...Signature

Tableau II. – Certificat médical d’HDT.

Je soussigné Dr X certifie avoir examiné ce jourM Y, né le..., demeurant..., profession..., et avoirconstaté ce qui suit : il présente un état... (d’agi-tation extrême, de prostration...), il dit..., il fait...En conséquence, son état nécessite des soins im-médiats assortis d’une surveillance constante enmilieu hospitalier, soins auxquels il n’est pas àmême de consentir. Son état impose donc son ad-mission selon les termes de l’article L-333 ducode de la Santé publique.Fait à..., le...Signature

HDT : hospitalisation à la demande d’un tiers.

En cas d’urgence, il peut être difficilede réunir deux médecins. La loiprévoit « à titre exceptionnel, en cas depéril imminent pour la santé dumalade dûment constaté par lemédecin » la possibilité d’effectuer uneHDT d’extrême urgence avec un seulcertificat médical, qui peut mêmeémaner d’un médecin de l’hôpitalreceveur. Le certificat doit alors êtrecomplété par la mention : « Cet étatconstitue un péril imminent pour lasanté de M X et impose sonhospitalisation selon les termes del’article L-333-2 du code de la santépublique. » La demande du tiers est enrevanche toujours indispensable et nediffère pas du cas précédent.

Le médecin généraliste face à laprocédure d’HDT

Lorsque le médecin est appelé par unmembre de l’entourage auprès d’unpatient manifestant des troublespsychiques sévères avec refus de soins,il doit :✔ examiner le malade le pluscomplètement possible afind’éliminer une étiologie organique,de réunir les éléments de lasémiologie psychiatrique, d’établirles risques prévisibles pour le patientet pour autrui (dangerosité, degréd’urgence), dont l’existence vadéterminer la nécessité de laprocédure, de constater le refus desoins du patient ;✔ exposer à l’entourage sesconclusions et expliquer la nécessitéd’une hospitalisation en psychiatriemalgré la réticence du patient ;✔ faire rédiger au tiers demandeur sademande écrite. Pour cela il estgénéralement nécessaire d’expliciterle cadre juridique de l’HDT afin derassurer le tiers ;✔ établir le premier certificat médicald’HDT, ou le certificat d’HDTd’extrême urgence le cas échéant.✔ prendre contact avec l’hôpitalreceveur pour préparer l’arrivée dupatient et vérifier qu’un médecin del’hôpital pourra établir le deuxièmecertificat. Dans le cas contraire, ils’enquerra, avec l’accord du tiers,d’un confrère susceptible de l’établir(confrère généraliste, urgentiste,psychiatre du secteur concerné, oupsychiatre traitant le cas échéant) ;✔ organiser le transport du patientvers l’hôpital (ambulance, aideéventuelle du secteur psychiatrique,de la police) ;✔ administrer, si besoin, un sédatif(neuroleptique sédatif, injectable leplus souvent, type Loxapact...) afinde permettre de bonnes conditions detransport.

7-0227 - Refus de soins psychiatriques

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Page 118: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

L’arrêté préfectoral doit être motivé par l’existencede troubles mentaux, il se fonde pour cela sur uncertificat médical qui ne peut émaner d’un psychiatrede l’établissement d’accueil (mais cela peut être unmédecin non-psychiatre de l’établissement d’accueil,si celui-ci en comporte). En pratique, n’importe quelmédecin peut être requis par le préfet pour examinerun patient pour lequel se pose le problème d’uneHO. N’importe quel médecin constatant des troublesgraves chez un patient, qui lui paraissent releverd’une HO, peut adresser un certificat au préfet,charge à lui de prendre la décision qui s’impose.Lorsque l’entourage interpelle le médecin au sujetd’un patient auquel le médecin ne peut avoirdirectement accès, il ne peut que leur conseiller designaler au maire ou au préfet la situation enquestion. L’arrêté préfectoral doit être égalementmotivé par la dangerosité du patient et doit« énoncer avec précision les circonstances qui ont

rendu l’hospitalisation nécessaire ». Il faut donc quele médecin dans son certificat, outre la descriptiondes symptômes attestant d’un trouble mental,précise les éléments cliniques de dangerosité qu’ilrepère (tableau III).

En pratique, relèvent d’une HO essentiellementdes troubles délirants avec passage (ou fort risquede passage) à l’acte (héboïdophrénie, paranoïa...),

pour lesquels l’entourage se dérobe généra-lement à la demande d’HDT par crainte dereprésailles ultérieures (ceci est plus rarement lecas pour les bouffées délirantes, les maniaquesdélirants, et même pour beaucoup deschizophrènes, qui éprouvent une réelleamélioration sous traitement et conviennentvolontiers ultérieurement que l’hospitalisationétait nécessaire).

Nathalie Gluck-Vanlaer : Praticien hospitalier,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : N Gluck-Vanlaer. Refus de soins psychiatriques.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0227, 1998, 3 p

Tableau III. – Certificat médical en vue d’une hospitalisation d’office.

Je soussigné Dr X certifie avoir examiné ce jour M Y, né le..., demeurant..., profession..., et avoir constaté cequi suit : il présente un état... (décrire les troubles et la dangerosité).En conséquence, M Y présente des troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et/ou pour autruiet doit donc être admis en hospitalisation d’offıce dans un établissement régi par la loi du 27 juin 1990, se-lon les termes de l’article L-343 du code de la Santé publique.Fait à..., le...Signature

Refus de soins psychiatriques - 7-0227

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Page 119: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Risque iatrogène des médicaments

psychiatriques : existe-t-il ?

Y Sarfati

■Introduction

Les médicaments psychiatriques ont parfoismauvaise presse. Ils sont tour à tour accusés defavoriser une forme d’aliénation, de devoir être pris àvie, d’engendrer des effets secondaires invalidants,de provoquer des troubles des fonctions supérieures.Aucune de ces critiques n’est tout à fait vraie, aucunen’est tout à fait fausse. Mais les mauvais procès sontfréquents. Nous souhaitons dans ce chapitre faire lapart des choses, et examiner les responsabilitésrespectives des différentes classes de médicamentspsychiatriques dans les critiques qui leurs sont faites.

■Ce qui est faux : les idées reçues

‚ Les psychotropes induisentune dépendance

Les psychotropes induisant une dépendancephysique sont rares. La croyance selon laquelledébuter un traitement médicamenteux psychiatriquec’est « mettre le doigt dans un engrenage sans fin »est fausse. Les psychotropes bien prescrits, avec unebonne collaboration du patient, n’entraînent pasplus de dépendance que toute autre chimiothérapie.

Les psychotropes susceptibles d’engendrer unedépendance sont essentiellement les benzodiazé-pines. Toutefois, la survenue de cette dépendancepeut être tout à fait évitée par le respect desréférences médicales opposables et l’information dupatient avant le début du traitement.

Exceptionnellement, certains antidépresseurspeuvent induire une dépendance. Le plusfréquemment (et presque le seul) incriminé est leSurvectort, avec l’apparition possible d’unetoxicomanie progressive. C’est pourquoi il fautdéconseiller la prescription de ce produit auxpatients ayant un terrain ou une appétencetoxicomaniaque.

S’il est classiquement recommandé d’interrompreprogressivement un traitement antidépresseur, c’estpour prévenir d’éventuelles rechutes dépressives etnon par crainte d’un phénomène de sevrage(comme c’est le cas avec les benzodiazépines).Néanmoins, des réactions physiques sont toujourspossibles à l’arrêt de certains traitementsantidépresseurs (exemple : Deroxatt). Elles sont alorsimproprement appelées « phénomènes de sevrage ».

Il s’agit d’une symptomatologie clinique suivant dequelques jours l ’ interrupt ion brutale del’antidépresseur associant :

– vertiges ;– troubles sensoriels ;– troubles du sommeil ;– agitation ;– anxiété ;– nausées ;– sudation.Devant ces signes, une réintroduction du produit

est conseillée, suivie d’une interruption progressive.

‚ Les psychotropes empêchentde travailler et de se concentrer

Les tranquillisants, les neuroleptiques et lesantidépresseurs, quel que soit leur type, peuventprovoquer une somnolence en début de traitement.Dans certains cas, cet effet peut être recherché(mélancolies anxieuses, épisodes psychotiquesféconds ou états d’agitation), mais, hormis ces casextrêmes nécessitant souvent une hospitalisation, lasomnolence est considérée comme indésirable. Laplupart du temps, le patient (ou son entourage) s’enplaint. Cet effet sédatif est à la fois transitoire etdose-dépendant. Il est toujours possible de diminuerla dose du produit, et secondairement del’augmenter progressivement, par pallier, selon latolérance, jusqu’à la posologie minimale efficace. Ilfaut l’expliquer au patient, en précisant que cette

somnolence n’est pas un effet secondaire propreaux médicaments psychiatriques (exemple :antihistaminiques).

Les patients (ou leur entourage) ont fréquemmentl’idée qu’un traitement psychotrope anéantit touteréactivité et empêche d’assurer les activitéshabituelles et le travail. Il s’agit d’une crainteirrationnelle. Cette crainte est nourrie par des imageset des fantasmes qui ont différentes origineshistoriques : anciens traitements barbituriques,« cures de sommeil », hospitalisations répressives,« camisole chimique » etc. Le cinéma et le courantantipsychiatrique se sont fait les relais de cette imaged’une psychiatrie qui rend les patients « deslégumes », selon l’expression populaire. Le médecinprescripteur doit reconnaître ces craintes chez sonpatient, car le moindre doute de la part de celui-cirisque de compromettre l’observance de sontraitement. Il faut expliquer clairement le rapportbénéfice à long terme-effets secondaires à courtterme, pour lever la réticence du patient.

Les troubles de la concentration, l’avolition,l’inhibition, le ralentissement, ne sont pas des effetsdes traitements psychotropes. Ils sont laconséquence de la maladie (schizophrénie,dépression, anxiété) pour laquelle ils sont prescrits.

‚ Les psychotropes altèrent la mémoire

Les remarques faites précédemment s’appli-quent : ce ne sont pas les antidépresseurs quialtèrent la mémoire, mais la dépression.

Une exception cependant : on sait bien,désormais, que les benzodiazépines provoquent,surtout chez le sujet âgé, lorsqu’elles sont absorbéesau long cours et à fortes doses, une diminution desperformances mnésiques (amnésie antérograde).Certaines molécules ont été particulièrementincriminées dans la survenue d’ictus amnésiques,comme, par exemple, l’Halciont. C’est cette raisonqui a conduit à en limiter la prescription dans letemps (arrêté du 7 octobre 1991).

‚ Les psychotropes provoquentdes changements de personnalité

De façon très irrationnelle, certains patientspensent que les médicaments psychiatriques

Quelques règles permettent de limiterl’apparition de l’accoutumance et del’assuétude.✔ Prescription de durée brève.✔ Plus faible posologie efficace.✔ Pas d’association debenzodiazépines.✔ Rappel préalable de la nécessité durespect des doses et de la durée.✔ Information du patient sur lesrisques d’une dépendance.✔ Non-renouvellement systématiqued’ordonnance.✔ Prescription d’anxiolytiques oud’hypnotiques non benzodiazépiniquessi un traitement prolongé estnécessaire.✔ Traitement de fond du troublemotivant la prescriptiond’anxiolytiques ou d’hypnotiques.

Le patient a tendance à mettre sur lecompte des médicaments psychiatriquesdes symptômes qui sont en fait dus àson trouble psychiatrique.

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auraient le pouvoir de toucher à l’intégrité et à lastabilité de leur être, à leur personnalité. Cette idéefait régulièrement l’objet de publications dans lapresse grand public.

Les produits antidépresseurs ont été plus souventincriminés que d’autres (exemple : Prozact). En fait,les prétendus changements de personnalité sousantidépresseurs sont à mettre sur le compte desmodifications du caractère intervenant après laguérison d’un état dépressif. La personnalité n’est enrien remaniée, mais l’expression comportementalede l’humeur se modifie.

Le lithium a été également mis en cause dansl’induction d’un changement de personnalité. Ils’exprime généralement sous forme d’unémoussement affectif, d’une plus grande difficulté àressentir les émotions, d’une sorte de froideur etd’anesthésie désagréables. S’il ne s’agit pas àproprement parler d’un « changement depersonnalité », cet effet indésirable est parfoissuffisamment mal vécu (par le patient ou sonentourage qui trouve ses réactions modifiées) pourconduire à la diminution ou au changement detraitement.

■Ce qui est vrai : les effets

indésirables

‚ Risques liés au terrain psychologique

Trouble conversif

Toutes les études portant sur le traitement destroubles conversifs montrent qu’il est important dene surtout pas centrer la prise en charge sur lesymptôme, mais au contraire, de se soucier plutôtdes conditions psychosociales générales danslesquelles se trouve le patient. Tout traitement neprenant en compte que le symptôme conversifaboutit au « renforcement » de ce symptôme.

Dans ces conditions, plusieurs types de prises encharge ont montré leur efficacité, sans qu’aucune,d’ailleurs, ne montre de supériorité réelle par rapportà une autre : psychothérapie d’inspirationanalytique, thérapie comportementale, thérapiefamiliale, hypnose, etc. En revanche, le traitementmédicamenteux (psychiatrique ou non) reste la pireréponse à apporter au patient souffrant de troublesconversifs, puisqu’il se centre sur le symptôme. Ilrisque de chroniciser la plainte somatique en évitantau patient d’aborder tout problème d’ordrepsychologique.

Somatisations sans lésions organiques

D’une manière générale, si la conviction d’unesomatisation est acquise, il devient important, mêmesi cela semble délicat ou difficile, d’informer le patientdu caractère psychiatrique du trouble, voire de lanécessité d’une prise en charge psychiatrique. Laprescription « honteuse » de psychotropes est tout àfait néfaste, et risque d’induire des réactionsparadoxales aboutissant à une aggravation de lasymptomatologie.

Personnalités hystériquesCertains patients (le plus souvent des femmes)

expriment une intolérance physique à touttraitement médicamenteux psychiatrique (maiségalement aussi, souvent, à d’autres produits). Cespatientes se plaignent d’effets secondairesnombreux dès qu’un psychotrope, quel qu’il soit,leur a été prescrit. Il s’agit alors d’effets à mettre surle compte de la personnalité, souvent hystérique,

Erreurs à éviter face à unesomatisation sans lésion organique✔ Ne pas évoquer la naturepsychiatrique du trouble.✔ Empêcher ainsi le patientd’exprimer verbalement lesdifficultés psychiques à l’originede son symptôme.

Tableau I. – Effets indésirables des médicaments psychiatriques les plus fréquemment rencontrésen pratique courante.

Effets indésirables Produits incriminés

Dystonies aiguës NeuroleptiquesSyndrome extrapyramidal

Dyskinésies tardives Neuroleptiques

Hypotension orthostatique NeuroleptiquesAntidépresseurs tricycliques

Hyperprolactinémie Neuroleptiques

Photosensibilisation Neuroleptiques

Sécheresse de bouche NeuroleptiquesAntidépresseurs tricycliques

Constipation NeuroleptiquesAntidépresseurs tricycliques

Nausées, vomissements Antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la séro-tonineLithium

Troubles de la fonction sexuelle : Antidépresseurs- diminution de la libido- retard à l’éjaculation- anorgasmie

Troubles de la conduction et du rythme cardiaque Antidépresseurs tricycliquesLithiumCarbamazépine

Bouffées de chaleur Antidépresseurs tricycliquesSueurs profuses

Crises convulsives NeuroleptiquesAntidépresseurs tricycliquesLithium

Tremblements NeuroleptiquesAntidépresseurs tricycliquesLithiumCarbamazépine

Insuffısance rénale aiguë Lithium

Hypothyroïdie Lithium

Indifférence affective LithiumDiminution de la capacité à ressentir les émotions

Agranulocytose CarbamazépineClozapine

Hépatites cytolytiques CarbamazépineNeuroleptiques

Polyuropolydypsie Lithium

Dépendance BenzodiazépinesSurvectort

Troubles de la vigilance Benzodiazépines

Somnolence Antidépresseurs en début de traitement

Troubles mnésiques Benzodiazépines

Désinhibition BenzodiazépinesActes impulsifs ou automatiques

7-0230 - Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ?

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Page 121: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

et non sur celui des psychotropes. Quelquesarguments doivent faire évoquer cette hypothèse.Il est important de pouvoir reconnaître cespatientes, dans la mesure où il est, la plupart dutemps, inutile de tenter d’introduire de nouvellesmolécules, qui sont tout aussi vouées à l’échec queles précédentes.

‚ Risques liés au produit

Le tableau I résume les effets indésirables desmédicaments psychiatriques les plus fréquemmentrencontrés en pratique courante.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ?Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0230, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Hardy-Baylé MC, Hardy P, Dantchev N. Stratégies et moyens thérapeutiquesen psychiatrie. Paris : Doin, 1993

[2] Zarifian E. Le prix du bien-être. Paris : Odile Jacob, 1996

Arguments devant laisser prévoir une intolérance à tout médicament psychiatrique.✔ La patiente dit avoir eu tous les effets secondaires décrits sur les notices destraitements.✔ La patiente se plaint de sensations non spécifiques et difficiles à rapporter autraitement, tels que vertiges, nausées, brûlures, tremblements, douleursabdominales.✔ Les effets sont décrits comme immédiatement consécutifs à la prise.✔ Les effets peuvent être très invalidants, voire spectaculaires (perte deconnaissance, « crises de tétanie »).✔ La description de la plainte est souvent théâtrale (véritables allergies, douleursfulgurantes, brûlures envahissantes, etc).

Risque iatrogène des médicaments psychiatriques : existe-t-il ? - 7-0230

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Page 122: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Troubles sexuels et psychiatrie

Y Sarfati

L es troubles sexuels peuvent être subjectifs (par exemple, manque de désir) ou objectifs (impuissance). Dans lesdeux cas, ils peuvent faire l’objet de plaintes de la part du patient (sexopathie simple) ou de son partenaire

(sexopathie associée à une conjugopathie), et amener à consulter.© Elsevier, Paris.

■Introduction

Il est extrêmement rare que le psychiatre soitd’emblée sollicité, les patients souffrant de troublessexuels ayant toujours une tendance à mettre sur lecompte de perturbations organiques leur déficit desexualité. C’est donc le plus souvent au médecingénéraliste, à l’endocrinologue, à l’urologue ou augynécologue que la souffrance est exprimée.

Deux types de difficultés se posent au médecinsollicité. La première est celle de pouvoir conduire uninterrogatoire complet qui soit rigoureusementinformatif mais non indiscret. La seconde est celle derattacher le trouble sexuel à une éventuellepathologie plus générale.

À l’exception de l’éjaculation précoce, il est rareque les troubles sexuels existent isolément. Ilspeuvent être l’expression d’un dérèglementbiologique et être symptomatiques de troublessomatiques très divers, comme l’hypertensionartérielle ou le diabète, qu’il faudra toujours éliminer.

Ils peuvent également être intriqués avec desdifficultés psychologiques. Il peut s’agir d’unepathologie psychiatrique avérée, comme un troubledépressif ou anxieux, un alcoolisme, voire, plusrarement, une schizophrénie. Ils peuvent aussirévéler un conflit intrapsychique, des difficultésinterpersonnelles, un état de stress important. Ils’agira donc de reconnaître ces différentes causes detroubles sexuels, afin de pouvoir les traiter ouorienter le patient.

■Données générales concernant

la consultation en médecine

générale pour troubles sexuels

‚ Épidémiologie

La plupart des études qui ont été menées dans ledomaine concernent l’impuissance masculine. Leschiffres sont probablement sous-estimés, le médecinn’étant certainement consulté que dans unpourcentage minime de cas. Lorsqu’une demandeest faite au médecin, le trouble est souvent déjàancien, et a déjà eu des conséquences et un

retentissement sur la vie affective du sujet.Actuellement, la prévalence de 15 à 20 % dedifficultés dans le déroulement de l’acte sexuel estcelle retenue pour la population générale.

Une étude italienne a réparti comme suit lesétiologies des impuissances sur un échantillon desujets âgés de 23 à 60 ans et consultant en centrespécialisé : un tiers ont une origine organiqueprouvée ; un tiers une origine psychogène quasicertaine ; un tiers ont une origine douteuse. Uneautre enquête étiologique de 189 impuissancesclasse comme suit les causes d’impuissance : 1 =iatrogène (25 %) ; 2 = psychique (14 %) ; 3 =neurologique (7 %) ; 4 = urologique (6 %).

L’intrication avec le retentissement psychologiquede l’impuissance a été analysée. On a constaté quel’étiologie de l’impuissance influençait peu la façondont elle était vécue, et qu’une impuissanceorganique pouvait être tout aussi bien (ou mal)vécue qu’une impuissance psychogène. Sans qu’il yait d’a priori sur le lien entre impuissance et troublepsychiatrique, on a constaté que, toutes étiologiesconfondues, un tiers des patients impuissantsn’avaient aucun retentissement psychologique, untiers souffraient d’un syndrome dépressif, et untiers de troubles anxieux.

‚ Entretien général

La forme de l’entretien que le médecin aura avecson patient consultant pour troubles sexuelsdifférera selon qu’une étiologie somatique sera ounon suspectée. Toute cause organique flagrantedevra être éliminée avant de pouvoir s’avancer surle terrain des « troubles psychogènes de lasexualité ». Un entretien bien mené prend du temps,mais il permettra d’épargner un nombre conséquentd’examens complémentaires.

L’omnipraticien devra, comme toujours, exclure,dans un premier temps (même si ce n’est jamais toutà fait avec certitude), les étiologies organiques lesplus probables, en fonction du terrain, du sexe, del’âge et des données médicales au sens large. À titred’illustration, citons une étude américaine récentesur la prévalence de l’impuissance masculined’origine organique : le nombre d’Américains ayantune impuissance secondaire au diabète = 2 millions ;

aux troubles cardiovasculaires = 1,5 million ; auxfractures pelviennes et rachidiennes = 400 000 ; auxtraitements chirurgicaux (prostatectomies,colostomies, etc) = 650 000. Ces causes fréquentesd’impuissance doivent être détectées par le simpleinterrogatoire.

Le tableau I rappelle les pathologies organiquesse compliquant fréquemment de troubles sexuels.Elles sont à rechercher systématiquement.

Le médecin généraliste, beaucoup plusque le psychiatre, peut être confronté àune demande de son patient touchantà un trouble de la sexualité. Une telledemande est souvent complexe et ne serésume pas à un seul signe pourlequel il s’agirait de donner un simpletraitement symptomatique. La prise encharge du problème doit être globaleet commencer par une écouteattentive, bienveillante et discrète. Unefois éliminées les possibles étiologiessomatiques, le médecin devra prendreen compte l’ensemble des origines,mais aussi des conséquences,psychiatriques du trouble sexuel. C’estplus précisément aux particularités decette prise en charge à l’interface de lapsychiatrie et de la sexualité que cechapitre veut rendre compte.

Tableau I. – Pathologies organiques se compli-quant fréquemment de troubles sexuels.

DiabèteInsuffısance rénaleHypertension artérielleHyperprolactinémieFacteurs de risque vasculaire (hypercholestérolé-mie)MyélitesTraumatismes rachidiensTraitement chirurgicalTraitement radiothérapique

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‚ Spécificités de l’entretiendes troubles sexuels

Dans un deuxième temps, le médecin devraconduire son interrogatoire en vue de préciser lesaspects cliniques psychiques du trouble sexuel et dedétecter toute problématique d’ordre psychiatrique.

Nous évoquerons ici les particularités d’unentretien centré autour d’un trouble sexuel que l’onsoupçonne lié à une origine psychogène. Letableau II résume les objectifs et les modalités d’untel entretien. Il s’agit d’un entretien particulièrementstructuré, c’est-à-dire où le praticien doit poser, avec

rigueur et de façon plutôt systématique, un certainnombre de questions destinées à guider sonjugement diagnostique. L’entretien libre dans saforme, de type « psychothérapique », sansintervention du médecin est à proscrire tant qu’unehypothèse diagnostique n’a pu être émise. Toute ladifficulté réside dans la présentation sans a priorides questions, le patient ne devant y sentir nijugement moral ni curiosité.

Chez les sujets qui ont une inhibition massivevis-à-vis de la sexualité, les difficultés rencontréesdans la réalisation de l’acte sexuel sont l’expression

de troubles psychiatriques graves. Chez ces sujets,une extrême prudence s’impose dans l’interroga-toire : la question la plus anodine peut être malinterprétée, et un interrogatoire intrusif peutdécompenser une structure psychologique fragile.Au moindre doute, l’entretien concernant unesexopathie dont la nature organique a été excluedoit être confié à un psychiatre.

Il paraît raisonnable de procéder dans l’ordre quiest suggéré par le tableau II. L’entretien doitprogresser souplement, d’abord afin de pouvoirmettre le patient à l’aise, ensuite afin de repérer trèsvite l’existence d’un trouble psychiatrique qui suffiraità expliquer le trouble. (Il se peut, par exemple, qu’unjeune schizophrène vienne consulter pour unesimple plainte subjective en rapport avec sasexualité ; il semble alors inutile, voire dangereux,que l’interrogatoire aille au-delà de l’étape 6, voire 3.)Il n’est pas nécessaire, si de forts arguments pour untrouble psychiatrique apparaissent évidents, depoursuivre trop longtemps l’entretien. Il faudra alorsprendre garde à ne pas heurter le patient par uninterrogatoire trop bref qui pourrait lui faire croireque sa souffrance est négligeable.

Un entretien bien conduit doit pouvoir aboutir àune vision suffisamment nette de la problématiquepour apprécier la gravité du trouble et permettred’aborder les propositions thérapeutiques.

■Aspects cliniques des troubles

sexuels psychiques

Il est traditionnel de classer les troubles sexuelsselon la séquence de l’acte sexuel qui se trouvealtérée : désir, excitation, orgasme, résolution.Comme toute classification, celle-ci est arbitraire, lestroubles pouvant coexister.

‚ Troubles du désir et du plaisir

Épidémiologie

La fréquence du trouble du désir sexuel est difficileà estimer pour deux raisons : d’une part, ce troublerepose pour beaucoup sur une impression subjectived’insatisfaction de la vie sexuelle, d’autre part, il peutbien souvent masquer un autre dysfonctionnementde la sexualité.

On a évalué à 20 % de la population le nombrede sujets atteints d’une diminution du désir sexuel,sans que cette diminution implique forcément unenotion pathologique. Plusieurs études indiquent que8 à 33 % des couples stables disent avoir desrelations sexuelles moins d’une fois par mois. Uneenquête britannique portant sur des sujetsconsultant en médecine générale montre que 25 %des sujets n’ont aucune activité sexuelle la plupart dutemps, sans forcément en souffrir.

Clinique

Il faut distinguer la simple diminution du désirsexuel (hypoactivité transitoire) de l’aversion pour lasexualité (évitement persistant ou répété descontacts génitaux).

Tableau II. – Entretien préalable devant un trouble sexuel.

Étape Objectifs En pratique

1 Mettre le patient à l’aise en début d’entretien Attitude dépourvue de tout jugement moral àpropos de ses valeurs, pratiques et idées sur lasexualitéDiscrétion, attentionÊtre sensible à la gêne éprouvée par le patientSe satisfaire initialement de réponses métaphori-ques ou imagées (« c’est pas la joie... »)Petit à petit, ne pas hésiter à solliciter des ren-seignements plus complets

2 Connaître les diffıcultés actuelles Faire préciser le trouble qui motive la consulta-tionLe handicap est-il total ou partiel, durable ouinconstant ?Fréquence, durée, intensité de l’acte sexuelQuelle séquence de l’acte sexuel est affectéeConnaître le retentissement sur le couple

3 Évaluer l’existence d’une étiologie psychiatri-que avérée

Existe-t-il :- un trouble grave de la personnalité ?- une dépresssion ?- un alcoolisme ?- une psychose ?- une toxicomanie ?

4 Savoir si le trouble est primaire ou secondaire Un trouble « primaire » existe depuis les toutpremiers rapports sexuelsUn trouble « secondaire » s’est installé secon-dairement à une période sans anomalie

5 Évaluer les répercussions sur le partenaire Partenaire indifférent ou satisfaitPartenaire compatissant ou bienveillantPartenaire revendicatif, humiliant ou menaçantÉventuellement, entretien de couple

6 Apprécier le type habituel de sexualité Type, fréquence des rapportsMasturbationMoyen de contraceptionPrésence de relations extraconjugalesDegré d’intimité avec le partenaire habituel

7 Faire un « historique » de la sexualité Type de relations sexuelles par le passéSituations de répétitionSexualité au début de la relation actuelleConduites à risque (transmission du VIH)

8 Connaître la vision générale du couple Attentes prémaritalesImpact de la naissance des enfantsAspects satisfaisants ou frustrants de la vie decouple

9 Estimer le contexte socioéducatif Type d’éducation reçueModèle parental du coupleEnseignement religieuxSexualité fortement culpabiliséePratique de la masturbation« Éthique » concernant la sexualité

10 Connaître les opinions générales sur la sexua-lité

Opinions sur les relations extraconjugales, l’ho-mosexualité, l’avortementPosition par rapport au sida

7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

2

Page 124: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

La diminution du désir sexuel, lorsqu’elle estsecondaire, transitoire et isolée de tout autre troublesexuel, est fréquemment la conséquence de facteursconjoncturels (tableau III).

L’aversion pour la sexualité se décrit comme unerépugnance ou une phobie. Elle s’accompagne destratégies actives pour éviter d’être confronté à unerelation sexuelle. Il n’est pas rare de retrouver desantécédents de traumatisme sexuel ou un trouble dela personnalité pouvant partiellement rendrecompte du dégoût affiché de la sexualité (tableau IV).

‚ Troubles de l’excitation chez la femme

Épidémiologie

Dans une enquête réalisée chez des couplesdécrivant leur mariage comme heureux, 33 % desfemmes décrivaient une difficulté à maintenir uneexcitation sexuelle satisfaisante lors de leursrapports.

Clinique

Chez la femme, le trouble de l’excitation se définitcomme une difficulté ou une incapacité à maintenirune lubrification vaginale satisfaisante et compatibleavec la réalisation de l’acte sexuel jusqu’à son terme.

Le trouble de l’excitation est rarement isolé chezla femme. Il est volontiers associé à un trouble dudésir et/ou à un trouble de l’orgasme, voire à unedyspareunie. C’est chez la femme postménopauséeque le trouble est le plus fréquemment rencontré.

De nombreuses recherches ont été réalisées pourtrouver des explications à cette anomalie. Lesrésultats sont très contradictoires. Les donnéesbiologiques mettent en cause diversement les tauxde testostérone, de prolactine, d’œstrogène, dethyroxine. Les données psychologiques retrouvent(sans que cela ait une valeur explicative) une crainteexagérée des réactions physiologiques corporellespendant l’acte sexuel.

‚ Troubles de l’excitation chez l’homme,impuissance

Épidémiologie

L’impuissance touche un français sur dix. Mêmesi le phénomène n’est pas strictement corrélé àl’avancée en âge, il est évident que les hommesjeunes sont moins touchés que les vieux. L’âgecharnière, où la peur anticipée de l’impuissance peutdevenir prévalente et induire une impuissancefonctionnelle secondaire, semble être 40 ans.

Toutes les études retrouvent une incidence del’impuissance avant 40 ans autour de 4 %. Leschiffres retrouvés ensuite sont indexés sur l’âge :40 % après 40 ans, 50 % après 50 ans, 70 % après70 ans, et 77 % après 80 ans.

Rappelons que les statistiques s’accordent pourdire que 20 à 50 % des impuissances ont une origineorganique qui doit être recherchée.

Clinique

¶ Impuissance psychogène : définitionL’impuissance (ou trouble de l’excitation, ou

encore dysfonction érectile) se définit commel’incapacité récurrente ou prolongée de maintenirpartiellement ou totalement une érection compatibleavec la pénétration ou l’accomplissement completde l’acte sexuel.

Plusieurs arguments de l’interrogatoire doiventorienter vers une origine psychogène del’impuissance et épargner la mise en routed’examens complémentaires complexes, coûteux ettraumatisants tels que la pléthysmographie ou lestests pharmacologiques associés à une analyse parrigidimètre. Rappelons ici toute l’importance àaccorder au recueil d’informations grâce à l’entretienclinique préalable à toute investigation spécifique(tableau V).

On pourra nettement distinguer les impuissancesprimaires des impuissances secondaires.

¶ Impuissances primairesLes impuissances primaires surviennent chez les

hommes jeunes souffrant d’une inhibition globalede la sexualité. La masturbation est vécue commeextrêmement culpabilisante ; elle peut avoir ététotalement absente, ou au contraire n’avoir

représenté, pendant très longtemps, que la seuleforme possible de sexualité. Il n’existe pasd’antécédents de pollutions nocturnes ; la viefantasmatique est pauvre et très désinvestie, que cesoit en scénarios diurnes qu’en rêves nocturnes. Ilexiste souvent des rationalisations (justifications),sous forme de craintes hypocondriaques diverses,une peur des maladies sexuellement transmissibles,une crainte de l’échec ou du ridicule. Il peutégalement exister des préoccupations concernant laforme ou la taille du pénis.

Le diagnostic psychiatrique que l’on peut évoquerface à une impuissance primaire est la schizoph-rénie. Néanmoins, ce diagnostic doit impérativementêtre posé avec une très grande prudence, d’une partparce qu’i l est extrêmement rare qu’uneschizophrénie se révèle par un simple trouble de lasexualité, d’autre part parce qu’il s’agit d’undiagnostic grave, ayant des conséquences pour lavie entière du sujet. Au moindre doute devant uneimpuissance primaire du jeune adulte, un avispsychiatrique doit être demandé.

¶ Impuissances secondairesLes impuissances psychogènes secondaires

surviennent après une phase plus ou moins longuede sexualité vécue comme satisfaisante. Ellesimposent de rechercher avec soin les événementsde vie pouvant plus ou moins expliquer leursurvenue. Elles imposent aussi de rechercher desmaladies psychiatriques (tableau VI).

Il existe plusieurs facteurs pronostiques del’impuissance (tableau VII).

‚ Troubles de l’orgasme,troubles de l’éjaculation

Épidémiologie

Selon les données du rapport Kinsey, 5 % desfemmes mariées, âgées de plus de 35 ans, nepeuvent jamais atteindre l’orgasme, contre 39 %chez les femmes non mariées. Une étude américainerécente décrit l’existence d’une anorgasmie, tousâges confondus, chez un quart des femmes mariéeset un tiers des femmes non mariées.

L’éjaculation précoce toucherait 30 % de lapopulation mâle. Les statistiques montrent que 40 %des hommes traités pour troubles sexuels ont pourplainte essentielle l’éjaculation précoce.

L’orgasme prématuré chez la femme, tout commel’éjaculation tardive chez l’homme, ne fait pas l’objetde données statistiques, peut-être en raison de sarelative rareté. Néanmoins, une étude américainechiffre à 10 % les femmes se plaignant d’atteindrel’orgasme trop vite.

Tableau III. – Facteurs conjoncturels impli-qués dans des troubles sexuels secondaires.

Surmenage professionnel ou chômageStress importantConditions de vie diffıcilesMésentente de couple

Tableau IV. – Troubles psychologiques pouvant être impliqués dans le trouble sexuel.

Trouble psychologique Caractéristiques de l’aversion pour la sexualité

Personnalité hystérique Inhibition sexuelle qui contraste avec une hyper-sexualisation apparente des relations socialesConduites de séduction suivies d’un refus de prati-quer l’acte sexuelProlongation des préliminaires

Phobies Peur du rapport physique, éventuellement rationali-sée (par exemple, par une peur des maladies sexuel-lement transmissibles)Préférence marquée pour la masturbation

Psychasténie Défaut de désir pour autrui s’inscrivant dans uncadre plus global de pauvreté des relations affectivesSouvent associée à une inhibition sexuelle globale

Antécédents de traumatismes Antécédent de violAntécédent d’abus sexuels dans l’enfanceExpériences répétées de coïts douloureux

Tableau V. – Arguments en faveur d’une ori-gine fonctionnelle de l’impuissance.

Pathologie organique absente ou négligeableCirconstances psychoaffectives favorables (infidé-lité, nouvelle partenaire, etc.)Présence d’érections matinales (ou d’érectionsautomatiques obligatoires pendant les phases desommeil paradoxal)Érections possibles pour la masturbationImpuissance sélective en fonction des partenaires

Troubles sexuels et psychiatrie - 7-0280

3

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Clinique

¶ DéfinitionUn trouble de l’orgasme isolé se définit comme

une absence d’orgasme, ou un orgasme survenantdans des délais anormalement brefs ou longs aprèsune période d’excitation normale dans sondéroulement et son intensité.

Le trouble de l’orgasme et le trouble del’éjaculation ne recouvrent pas tout à fait le mêmeconcept. Néanmoins, la dissociation des deux paraîtsuffisamment rare pour ne pas en faire ici l’objetd’une description détaillée.

¶ Anorgasmie fémininePour la femme, le trouble de l’orgasme consiste le

plus souvent en une anorgasmie. Le femme estincapable d’atteindre l’orgasme, ni par pénétrationvaginale, ni par stimulation clitoridienne. La capacitéà atteindre l’orgasme a été étroitement corrélée à laqualité de vie d’un couple. Elle augmente chez lesfemmes âgées de plus de 35 ans, probablement parune inversion de la balance entre inhibitionpsychique et expérience sexuelle.

¶ Éjaculation précoceChez l’homme, le trouble le plus fréquent est de

loin l’éjaculation précoce. Elle est considérée commephysiologique chez l’adolescent (surtout s’il estétudiant) ainsi que dans les premiers rapports avecune nouvelle partenaire, et doit s’estomperprogressivement. Dans le cas contraire, unesouffrance psychologique peut s’installer,

accompagnée d’une humiliation et d’une culpabilitéqui peuvent se transformer en agressivité à l’égardde la partenaire. Il est classique de considérer quel’éjaculation précoce est fortement indexée auconditionnement éducatif et à des facteurs culturels(sexualité culpabilisée, rapports précoces avec desprostituées, premiers rapports sexuels sous le toitparental). Le rôle joué par la partenaire est ensuitecapital pour entretenir ou au contraire amoindrir latendance aux rapports sexuels au terme précipité.

¶ Éjaculation tardiveLes hommes souffrant d’éjaculation tardive sont

beaucoup moins nombreux. S’ils sont considéréscomme des partenaires très performants, ce n’estsouvent qu’au prix de scénarios fantasmatiquescomplexes et pervers qu’ils peuvent atteindrel’orgasme. Il est classique de retrouver cetteparticularité chez des patients psychasthènes etsouffrant de troubles obsessionnels compulsifs. Parailleurs, les causes médicamenteuses d’éjaculationtardive sont nombreuses et plus ou moinshandicapantes.

‚ Troubles sexuels iatrogènesmédicamenteux

Épidémiologie

Une enquête récente portant sur 1 180 hommesconsultant en médecine générale montrait qu’untiers d’entre eux étaient impuissants. Cetteimpuissance fut corrélée, dans 25 % des cas, à une

étiologie médicamenteuse, ce qui en fait lapremière étiologie des impuissances.

D’une manière plus générale, les troubles de lasexualité induits par des médicaments sont assezpeu documentés quant à leur fréquence. Il esttoujours délicat de pouvoir incriminer unmédicament dans la survenue d’un trouble de lasexualité. Il existe en effet de fréquentesinterférences entre l’état de la fonction sexuelle dansla pathologie traitée (surtout pour les troublespsychiatriques ou vasculaires) et le traitement deladite pathologie (traitements psychotropes etcardiovasculaires).

Produits responsables de troubles sexuels

Beaucoup de médicaments ont été incriminésdans la survenue de troubles sexuels. Dans letableau VIII figurent les produits les plusfréquemment incriminés. Il nous a semblé importantd’y souligner la fréquence des médicamentspsychotropes. Dans le cas particulier de laprescription de psychotropes, le clinicien peut êtredans l’incapacité de faire la part de ce qui revient autrouble psychiatrique proprement dit (dépression,par exemple) et au traitement (antidépresseur, parexemple). Seul l’interrogatoire de la chronologied’apparition du trouble sexuel (sa survenue est-ellecontemporaine ou non de la prescriptionmédicamenteuse ?) permettra de trancher.

Rappelons enfin le rôle joué par les toxiques dansla survenue de troubles sexuels. Sont en premier lieuà évoquer l’alcool (hormis dans le début de l’ivresseaiguë où la désinhibition prédomine) et l’héroïne.

■Traitement

‚ Quels soins peut proposerle médecin de famille ?

Traitement de toute cause médicaleintercurrente

Il va sans dire que toute étiologie organique d’untrouble sexuel devra être traitée en elle-même.

Par ailleurs, tout facteur organique pouvantintervenir, même partiellement ou indirectement,dans la survenue d’un trouble sexuel psychogènedevra être traité.

Établissement d’une bonne relationmédecin-malade

La position du généraliste et la relation qu’il vaétablir avec son patient sont fondamentales dans laprise en charge des troubles sexuels. Premièrementparce que le patient va avoir tendance à s’enremettre complètement à l’avis de son médecin et àen attendre réassurance. Deuxièmement parce quede simples conseils ou avis peuvent, en matière detroubles sexuels, avoir une action thérapeutiquenette. Troisièmement parce que le médecingénéraliste sera souvent amené à prendre seul encharge un problème pour lequel son patient refuserad’aller consulter quelqu’un d’autre.

Dans un certain nombre de cas, cependant, il seranécessaire de recourir au spécialiste :

Tableau VI. – Événements de vie et maladies psychiatriques à rechercher dans la survenue d’im-puissance secondaire.

Causes possibles d’impuissance psychogène secon-daire

À rechercher

Événements de vie InfidélitéConflit conjugalStress professionnel, chômageRetraiteSéparations prolongées (migrants)

Maladie psychiatrique DépressionAlcoolisme chroniqueSevrage alcooliqueToxicomanie (héroïne++)Névrose

Tableau VII. – Facteurs pronostiques de l’impuissance.

Facteurs de bon pronostic Facteurs de mauvais pronostic

Impuissance partielle Impuissance totale

Impuissance situationnelle pour une partenaire dé-terminée

Impuissance permanente, quelle que soit la parte-naire

Impuissance secondaire avec longue période préala-ble de vie sexuelle satisfaisante

Impuissance primaire sans aucune période de rap-ports sexuels

Impuissance récente ayant encore peu d’impact Impuissance ancienne ayant abouti au remaniementdes relations conjugales

Homme en couple Homme sans partenaire fixe

Couple uni, jeune Dysfonctionnement ancien de couple

Femme compréhensive, non culpabilisante Femme méprisante, culpabilisante

Maintien d’une sexualité régulière, même insatisfai-sante

Absence totale de sexualité

7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

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Page 126: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

– soit que le symptôme sexuel masque uneproblématique beaucoup plus vaste que le patient adu mal à aborder ;

– soit, comme cela peut arriver, que le patient neveuille pas modifier le trouble sexuel pour lequel ilvient paradoxalement consulter ;

– soit que le trouble sexuel s’inscrive dans unelourde problématique névrotique ;

– soit que les soins engagés avec le médecintraitant n’aboutissent à aucun résultat au bout decinq ou six séances.

Dans tous ces cas, le recours au psychiatre sera àenvisager.

En revanche, dans une majorité de situations, lemédecin traitant peut avoir un rôle à la fois rassurantet déculpabilisant. En dédramatisant le problème,sans surtout le minimiser, et grâce à un examenclinique initial très soigneux, le médecin peut avoirtrès rapidement une action positive. L’examenclinique initial, outre l’exclusion de toute causeorganique, aura la vertu de faire admettre au patientque son trouble est probablement d’originepsychique.

Dans un nombre non négligeable de cas, lemédecin pourra conclure que l’acte sexuel neprésente pas de troubles dans sa fréquence, ni dansson déroulement, ni dans la satisfaction qu’il procureau partenaire. Ce constat peut tout à fait rassurer leconsultant, le médecin intervenant alors comme untiers rassurant à un moment de doute ou de crise.Répétons que cette conclusion ne doit être portéequ’après examen clinique et interrogatoirerigoureux.

Toutefois, très souvent, les réassurances dumédecin peuvent ne pas suffire, soit qu’il existeréellement un trouble psychologique associé, soitque le patient continue subjectivement d’êtreinsatisfait de son comportement sexuel. Dans cedernier cas, il ne faudra surtout ni négliger nibanaliser cette insatisfaction, même si elle paraîtabsurde ou immotivée. Tout subjectif qu’il est, il s’agitd’un trouble sexuel qui devra être pris en comptecomme tel.

Recommandations

En matière de troubles sexuels, quelquesrecommandations au patient peuvent être fort utiles.Elles seront bien entendu modulées en fonction duterrain.

Il n’existe pas de traitement ou de formulemiracle. Il sera bon de le rappeler au patient pour nepas décevoir ses attentes. En effet, le patient venantconsulter pour troubles sexuels a tendance àattendre une solution rapide et efficace de la part deson médecin, investi d’un pouvoir illimité.

Le médecin doit pouvoir informer et conseiller surla pratique de la vie sexuelle dans le couple. Endonnant des indications « statistiques », il peutcontribuer à réduire frustrations et culpabilité.

Le médecin doit pouvoir diminuer les tensions etl’agressivité engendrées par l’émergence de troublessexuels dans le couple. Une écoute attentive, unintérêt marqué pour la plainte du patient, mais aussipour la souffrance du partenaire, doivent aider àdédramatiser des situations parfois explosives.

Il est possible de délivrer des prescriptionsverbales dites « paradoxales ». Par exemple, lemédecin peut demander à son patient, en attendantque le traitement qu’il préconise fasse effet, den’avoir aucune relation sexuelle. Cette recomman-dation peut avoir, à elle seule, un effet desoulagement. Elle peut aussi inciter le patient àtransgresser positivement l’interdit.

Chimiothérapies

L’indication des chimiothérapies doit être peséeavec discernement. Le médecin doit savoir que, dansle domaine de la sexualité, l’effet placebo a étédémontré comme jouant un rôle majeur. C’est direque la prescription d’une chimiothérapie, quellequ’elle soit, devra être assortie d’une excellenterelation médecin-malade, meilleur gage d’uneréussite du traitement. Par ailleurs, le patient doitsavoir que leur effet peut se faire attendre quelquessemaines (tableau IX).

L’usage de chacune des substances proposées dansce tableau devra être régulièrement révisé. Car si toutesles drogues y figurant ont initialement de multipleseffets positifs sur la sexualité (diminution de l’inhibition,augmentation de la puissance sexuelle, diminution del’anxiété), leur usage prolongé pourra avoir les effetsinverses. Leur utilisation doit surtout faire « passer unmauvais cap », redonner confiance au patient et briser laspirale des répétitions échec/angoisse.

Notons enfin que les hormones mâles sont trèssouvent prescrites, mais que leur effet sur la fonctionsexuelle masculine n’a pas été prouvé.

Les troubles de la sexualité en rapport avec unsyndrome dépressif (et ils sont nombreux)répondront favorablement à un traitementantidépresseur qui sera réservé à cette indication. Onpréviendra le patient des possibles effets adversesportés par l’antidépresseur lui-même.

‚ Quelles orientations proposer ?

Psychanalyse

La psychanalyse peut être une solution de choixpour explorer les conflits inconscients à l’origine d’untrouble sexuel. Mais ses indications sont, dans ledomaine, délicates. D’une part, le patient ayant unepeur ancienne de la sexualité peut très bien trouverun substitut aux rapports sexuels dans la situationanalytique qui peut alors s’éterniser. D’autre part, lesréponses apportées par l’analyse sont souventdifférées, alors que la souffrance du patient exige unsoulagement rapide.

Il sera bon de confier à un psychiatre le soin de poserl’indication d’une psychanalyse pour troubles sexuels.

Psychothérapies d’inspiration analytique

Beaucoup plus souples que la cure typeanalytique, les psychothérapies peuvent apporterune solution de choix pour explorer, à l’aide d’unspécialiste, les troubles de la sexualité et leurs

Tableau VIII. – Quel produit responsable de quel trouble sexuel ?

Anomalie Produits incriminés

Hypolubrification vaginale AntihistaminiquesAnticholinergiques (antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques, IMAO)

Impuissance Antidépresseurs tricycliques*IMAONeuroleptiques (surtout les phénotiaziniques, sulpiride, réserpine)MéthadoneLithium (rarement)Médicaments cardiovasculaires (clonidine, guanéthidine, vérapamil,bêtabloquants)Antiandrogènes (acétate de cyprotérone, spironolactone, cimétidine)

Anorgasmie féminine Antidépresseurs tricycliques (surtout Tofranilt, Anafranilt)IMAOAntidépresseurs IRSNeuroleptiques (thioridazine, trifluopérazine)

Éjaculation tardive Antidépresseurs tricycliquesAntidépresseurs IRSNeuroleptiques (thioridazine ++)

Anéjaculation Antidépresseurs tricycliques

Orgasme spontané associé àbaillements irrépressibles

AnafraniltProzact

IMAO : inhibiteur de la monoamine-oxydase.IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine (Prozact, Deroxatt, Zoloftt, Séropramt).* Surtout antidépresseurs tricycliques fortement anticholinergiques. Beaucoup moins pour la désipramine.

Erreurs à ne pas commettre✔ Éviter impérativement les formulestoutes faites banalisant le trouble dutype : « ce n’est pas grave »,« prenez-vous du bon temps », « c’estla vie », « ça passera ». Elles sonttoujours vécues comme rejetantes.✔ Ne jamais faire l’économie d’unexamen clinique complet etsystématique à la recherche d’uneétiologie organique.

Troubles sexuels et psychiatrie - 7-0280

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Page 127: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

ramifications dans le psychisme. Le patient doit êtredemandeur d’un tel travail de réflexion, en sachantque l’écoute attentive du thérapeute sera à l’origined’un soulagement plus ou moins rapide.

Thérapies comportementales

Les thérapies comportementales sontnombreuses en matière de sexualité, plus ou moinsapparentées à la sexothérapie.

Elles sont basées sur l’apprentissage, le condition-nement et le dépassement des situations d’échec. Uneffet bénéfique peut se faire sentir en 3 à 4 mois.

Autres traitements

Le traitement chirugical de l’impuissance et lesinjections péniennes sont à envisager après avisspécialisé.

Les thérapies de groupe, très prisées auxÉtats-Unis, sont plus rares en Europe. Elles sont àréserver aux couples qui y sont très favorables, et àproscrire en cas de réticence de l’un ou de l’autre despartenaire ou en cas de trouble psychiatrique avéréà l’origine du trouble sexuel.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Troubles sexuels et psychiatrie.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0280, 1998, 6 p

R é f é r e n c e s

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[3] Virag R. Impuissance. Orientation diagnostique.Rev Prat1991 ; 41 : 1399-140

Tableau IX. – Traitements chimiothérapiques des troubles sexuels.

Trouble sexuel Chimiothérapie possible

Éjaculation précoce Neuroleptiques sédatifs à très faible dose(Mellerilt 10 : 1 cp/jour)Antidépresseur tricyclique ou IRS à faible dose(Anafranilt 10 : 2 cp/j ou Prozact gouttes : 5 à10 mg/j)Yohimbine Houdét : 3 cp 3 fois par jour (effet alpha-bloquant)

Baisse de la libido et éjaculation tardive sous traite-ment antidépresseur (tricyclique ou IRS)

Baisse progressive de l’antidépresseurAdjonction de cyproheptadine (Périactinet : effetsantihistaminique et antisérotoninergique)Adjonction de méthylphénidate (Ritalinet : effetadrénergique)

Trouble sexuel en rapport avec une anxiété et uneinhibition majeures au moment du rapport

Benzodiazépine à faible dose d’action rapide (Ly-sanxiat 10 : 1 cp sublingual avant les préliminaires)

Impuissance Yohimbine Houdét : 3 cp 3 fois par jour (effet alpha-bloquant)

Défaut de sécrétion vaginale Lubrifiants vaginaux

Appréhension de nouveaux échecs Benzodiazépine à faible dose d’action rapide (Ly-sanxiat 10 : 1 cp sublingual avant les préliminaires)

IRS : inhibiteur de la recapture de la sérotonine.

7-0280 - Troubles sexuels et psychiatrie

6

Page 128: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Urgences psychiatriques à domicile

C. Sanchez-Valero, P. Planas, T. Pascual-Sanchez

Environ 10 à 15 % des appels auprès des services médicaux d’intervention à domicile correspondent à desurgences psychiatriques. Le praticien non spécialiste est confronté à des tableaux cliniques différents etvariables, parmi lesquels la souffrance psychique (par exemple, dépression, anxiété et idées suicidaires)et/ou les troubles du comportement sont au premier plan. Outre l’examen médical pour écarter uneéventuelle étiologie organique et l’évaluation des symptômes psychiatriques, le médecin d’urgence doitêtre attentif au contexte de la demande de soins (par exemple, situation de crise interpersonnelle). En plusd’une réponse aux principaux symptômes, le clinicien doit veiller à offrir au patient une orientationthérapeutique adaptée au trouble psychiatrique et au contexte de crise éventuel.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Urgences psychiatriques ; Suicide ; Dépression ; Anxiété ; Violence ; Agitation ; Crise

Plan

¶ Introduction 1

¶ Patient dépressif 1Tableaux cliniques 2Prise en charge en urgence 3Conduite à tenir 4Messages essentiels 4

¶ Patient suicidaire 4Appel téléphonique du patient suicidaire et/ou de son entourage 4Évaluation des idées suicidaires 4Prise en charge à domicile 5Conduite à tenir 5Messages essentiels 5

¶ Patient anxieux 5Tableaux cliniques 6Prise en charge à domicile 7Conduite à tenir 8Messages essentiels 8

¶ Patient agité et/ou violent 8Tableaux cliniques 8Prise en charge à domicile 9Conduite à tenir 10Messages essentiels 10

■ IntroductionLe nombre d’urgences psychiatriques ne cesse d’augmenter

dans la plupart des pays industrialisés. [1] Il est estimé qu’envi-ron 10 à 15 % des appels auprès des services médicaux d’inter-vention à domicile correspondent à des urgences psychiatriques.

Le médecin non spécialiste se rendant au domicile du patientest alors confronté à des situations dans lesquelles la souffrancepsychique (dépression, anxiété, idées suicidaires) et/ou lestroubles du comportement sont au premier plan de la plaintedu malade ou de son entourage. Lors de son intervention, lepraticien a souvent affaire à des tableaux cliniques différents,variables et imprégnés dans la grande majorité des cas d’uneforte tonalité émotionnelle.

Le rôle du praticien durant ce type d’intervention est d’écar-ter une éventuelle étiologie organique, d’évaluer les symptômespsychiatriques et de poser un diagnostic générique. [2] Danscertaines situations complexes, ce diagnostic préliminaire seracomplété dans un deuxième temps. Le médecin doit êtreparticulièrement attentif au contexte de la demande de soins(par exemple, crise interpersonnelle). En plus d’une réponse auxsymptômes (médicaments, conseils, psychoéducation), leclinicien doit veiller à offrir au patient une orientation théra-peutique adaptée au trouble psychiatrique et/ou à la criseinterpersonnelle motivant la demande de soins en urgence.Dans ce type d’interventions, le médecin non spécialiste doitéviter de se sentir d’office incompétent et doit être conscientque ces interventions prendront plus de temps que d’autresinterventions urgentes. Sa présence auprès du malade, sonécoute attentive et dépourvue de jugement de valeur sont desingrédients qui lui permettent d’établir des conditions favora-bles afin de mieux cerner la demande de soins.

■ Patient dépressifLa prévalence annuelle de la dépression dans la population

générale est estimée à environ 4 à 10 %. [3] Souvent sous-diagnostiqués, la dépression et/ou les symptômes dépressifsreprésentent un motif fréquent d’appel en urgence. Lors de

¶ 7-0226

1Traité de Médecine Akos

Page 129: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

l’évaluation, le médecin peut être confronté à des situationsdiverses qui vont d’états dépressifs majeurs à des dépressionspsychotiques, en passant par des dépressions secondaires à desmaladies et à des événements de vie difficiles.

Tableaux cliniques

Évaluation de l’état dépressif

Elle doit se baser sur :• l’anamnèse actuelle ;• l’évaluation du contexte de crise ;• l’examen clinique ;• les critères diagnostiques ;• l’évaluation de l’intensité symptomatique (encadré 1).

Les critères diagnostiques du Diagnostic and statistical manualfor mental disorders (DSM) IV [4] sont utiles pour une évaluationsystématique des symptômes dépressifs. Dans ce sens, l’avoir àportée de la main peut aider le clinicien à poser un diagnosticpréliminaire qui devra être confirmé suite à l’interventiond’urgence par le médecin qui prendra en charge le patient. Cescritères diagnostiques sont présentés dans l’encadré 2.

Le médecin se déplaçant à domicile a affaire en règle généraleà des états dépressifs d’intensité de modérée à sévère. L’échellede Hamilton dépression (HAD) s’avère être un bon outil pourévaluer l’intensité symptomatique. D’après cette échelle,l’intensité peut être subdivisée en :• légère : HAD inférieure à 17 ;• modérée : HAD entre 17 et 23 ;• sévère : HAD supérieure à 23.

Trouble dépressif réactionnelà un événementde vie

Il survient à la suite d’un ou plusieurs facteurs événementielsqui débordent les capacités du patient et/ou de l’entourage poury faire face. Des situations de pertes (deuil, chômage, sépara-tion), de conflits (problème conjugal, tensions familiales) ou demaladies peuvent déboucher sur une symptomatologie dépres-sive d’intensité variable. [5] Dans ce type d’interventions, lacomposante anxieuse de la dépression tend à prédominer etcolorer le tableau clinique. Les idées de suicide sont souventprésentes et leur intensité n’est pas forcément proportionnelleà la gravité de l’événement. Des facteurs autres, tels que lastructure de la personnalité du patient et l’appui de l’entourage,jouent un rôle primordial dans ce type d’urgences.

État dépressif avec symptômes psychotiques

Autrefois appelé « mélancolie », l’état dépressif s’accompa-gnant de symptômes psychotiques représente une urgencemaximale au vu du très haut risque suicidaire qui lui est associé.Lors de l’évaluation à domicile, le clinicien met en évidence untableau dépressif sévère, le patient se présentant soit fortementralenti, soit habité par une forte anxiété. Le contenu de lapensée se caractérise par des idées délirantes de culpabilité,d’incurabilité, ainsi que d’autoaccusations. La tonalité affectiveest foncièrement pessimiste et colorée d’un sentiment d’indi-gnité. Certains de ces patients sont alités, immobiles, voirecatatoniques. Un vécu délirant de leur corps (impression d’êtrepourri à l’intérieur de son corps) peut être présent. Il arrivefréquemment que l’entourage informe le médecin que le patientrefuse de manger et qu’il s’automutile. Les idées suicidaires sontextrêmement fréquentes, la mort étant perçue comme le seulmoyen d’échapper à cette souffrance. Il arrive que certainspatients masquent les idées suicidaires et présentent un déta-chement et une froideur affective qui doivent constituer unsignal d’alarme pour le clinicien ; [5] en effet, ceux-ci peuventêtre le signe que la décision de se donner la mort a été prise.Enfin, une idéation morbide dite « altruiste » à l’encontre del’entourage peut également être présente (par exemple, tuer sonconjoint avant de se suicider), le patient dans son vécu dépressifdélirant espérant ainsi préserver son entourage de la souffrancedépressive.

Dépression dans le cadre d’une maladie organique

Certaines maladies systémiques peuvent être à l’origine desymptômes dépressifs, voire d’une dépression majeure. [5]

Parfois, le trouble de l’humeur peut être même la premièremanifestation de la maladie (par exemple, tumeur de la tête dupancréas). Certaines estimations considèrent que de 5 à 18 %

Encadré 1

“ Symptômes nécessitant uneévaluation d’un état dépressifsous-jacent

• Fatigue, manque d’énergie• Irritabilité, tristesse, humeur labile• Idées suicidaires• Troubles de l’appétit• Troubles du sommeil• Troubles de la mémoire et de l’attention• Abus d’alcool et de médicaments psychotropes• Douleurs diffuses et/ou chroniques

Encadré 2

“ Critères d’état dépressifmajeur d’après le DMS-IV

Au moins cinq des symptômes suivants doivent êtreprésents pendant une période d’au moins 2 semaines etreprésenter un changement par rapport aufonctionnement antérieur ; au moins un des symptômesest soit une humeur dépressive, soit une perte d’intérêt etde plaisir.• 1. Humeur dépressive présente pratiquement toute la

journée, presque tous les jours, signalée par le sujet ouobservée par les autres.

• 2. Diminution marquée de l’intérêt pour toutes oupresque toutes les activités.

• 3. Perte ou gain de poids significatif en l’absence derégime, ou augmentation ou diminution de l’appétitpresque tous les jours.

• 4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.• 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur.• 6. Fatigue ou perte d’énergie.• 7. Sentiment de dévalorisation ou culpabilité excessive

ou inappropriée (qui peut être délirante).• 8. Diminution de l’aptitude à penser, à se concentrer ou

indécision presque tous les jours.• 9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires avec

ou sans plan précis.

7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

2 Traité de Médecine Akos

Page 130: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

des dépressions ont une origine organique. Il arrive fréquem-ment que la coexistence de symptômes physiques et thymiquesamène le médecin à négliger l’évaluation de la dépression. Enoutre, la présence d’un trouble dépressif réactionnel à unemaladie systémique représente toujours une complication etnon une réponse normale à la maladie de base.

Lors de l’évaluation d’urgence, certains indices peuventévoquer l’éventualité d’une cause organique (encadré 3). Parmiceux-ci, soulignons la présence de troubles neurocognitifs et larapidité de l’installation en l’absence de facteurs de crise.

Certaines pathologies présentent une prévalence élevée desymptômes dépressifs. Citons en exemple la maladie d’Alzhei-mer (65 %), la sclérose en plaques (50 %), la maladie deParkinson (de 40 à 50 %), l’épilepsie (20 %) et la tumeurcérébrale (10 %).

Des médicaments, drogues et substances toxiques peuventégalement être à l’origine de symptômes dépressifs, principale-ment :• parmi les médicaments, la réserpine, les bêtabloquants, la

ranitidine, les digitaliques, la cimétidine, la théophylline, lescorticoïdes, les amphétamines ;

• pour les substances toxiques, la cocaïne, le cannabis, l’alcool,le mercure, les hallucinogènes.

Dépression chez la personne âgée

Les symptômes observés chez le patient âgé sont similaires àceux de l’adulte. Toutefois, l’anhédonie, les troubles cognitifs etla perte pondérale tendent à être plus accentués. [1] Un desobstacles fréquents dans l’évaluation et le diagnostic de ladépression chez ces patients est la tendance à situer la sympto-matologie dépressive comme une réponse normale aux aléasaffectifs de cette étape de la vie (pertes, crainte de mourir,besoin accru d’être accompagné). De plus, une évaluationsoigneuse de la suicidalité est essentielle dans cette tranched’âge, le taux de suicide étant plus élevé que chez l’adulte. Uneattention particulière doit être portée au diagnostic différentielavec une pathologie organique sous-jacente, et/ou l’aggravationd’une maladie chronique qui accompagne, participe ou est àl’origine de l’état dépressif.

Dépression chez l’adolescent

L’épisode dépressif chez l’adolescent s’évalue selon les mêmescritères que pour l’adulte. Toutefois, il convient d’être attentif àplusieurs particularités. Tout d’abord, la porte d’entrée sympto-matique (cf. encadré 1, présence de deux critères principaux del’état dépressif) est fréquemment l’anhédonie plutôt que dessentiments dépressifs verbalisés, l’adolescent luttant souvent

activement contre ces derniers et pouvant être à peine conscientde leur présence (alors qu’ils remplissent par ailleurs tous lescritères pour un épisode dépressif majeur). La dépression ou lessymptômes dépressifs peuvent également se manifester princi-palement par des troubles du comportement (crises clastiques,désinvestissement de la scolarité et/ou de la vie familiale). Unedes premières manifestations peut également être un repli et unisolement affectif progressif qui tendent souvent à passerinaperçus par l’entourage. Face à un adolescent présentant dessymptômes dépressifs, il est central de procéder à une évalua-tion minutieuse de la suicidalité, ces patients présentant en effetun haut risque de passage à l’acte autoagressif. L’obstacle majeurà une évaluation correcte se situe dans la quasi systématiquebanalisation des idées suicidaires par le patient et son entou-rage. [1] Lorsqu’une idéation suicidaire est présente, elle doitfaire l’objet de questions claires et directes, et être verbalisée parle médecin comme étant un risque à prendre au sérieux, ce qui,de plus, procure au patient le sentiment d’être entendu dans sasouffrance (sentiment qui lui fait fréquemment défaut). Lors del’examen à domicile, le médecin doit également faire preuved’une attitude empathique mais égalitaire concernant le patientet son entourage, qui puisse lui permettre une évaluationsystématique sans céder à des éventuelles pressions de l’entou-rage, soit dans le sens d’une mise à l’écart immédiate (parexemple, un internement psychiatrique pour se débarrasser dupatient), soit d’une relativisation inadaptée de la suicidalité(« l’adolescent fait seulement une crise d’adolescence plusmarquée »).

Prise en charge en urgence

États dépressif d’intensité légère (HAD inférieureà 17) et modérée (HAD entre 17 et 23)

Le patient et l’entourage doivent être informés du diagnosticet des possibilités de traitement ambulatoire. Ils sont encouragésà prendre dès le lendemain un rendez-vous chez leur médecinde famille. Les patients modérément déprimés qui verbalisentune idéation suicidaire active doivent être orientés vers unservice d’urgences de l’hôpital général.

En cas d’anxiété importante, le médecin peut éventuellementprescrire une médication ponctuelle à savoir :• un somnifère : flurazépam (Dalmadorm®), de 15 à 30 mg per

os ;• un anxiolytique si l’anxiété s’avère importante : oxazépam

(Séresta®), de 15 à 30 mg per os ou lorazépam (Témesta®), de1 à 2 mg per os.La prescription d’un traitement antidépresseur en urgence ne

se justifie pas et est réservée au médecin qui prendra en chargele patient suite à l’intervention à domicile.

États dépressif sévère (HAD supérieure à 23)avec idéation suicidaire active ou passive

Dans ces cas, le patient devrait être orienté vers un serviced’urgences psychiatriques. Une évaluation spécialisée a commeobjectif de mieux préciser la psychopathologie, l’étendue del’idéation suicidaire et l’éventuel contexte de crise. Le choix dutransport vers l’hôpital dépend de l’état du patient, tantpsychique que physique, de la fiabilité de l’entourage et de ladistance à parcourir. Au moindre doute quant à la fiabilité deces facteurs indicatifs, le patient devrait être transféré enambulance. Il arrive que le clinicien soit confronté au refus dupatient et/ou de l’entourage concernant le transfert vers uneunité d’urgences psychiatriques. Un temps de négociation estsouvent nécessaire et la nécessité d’une évaluation plus com-plète par un spécialiste doit être soulignée. Dans le cas d’uneidéation suicidaire active et d’un refus persistant d’un transfertvers une unité d’urgences psychiatriques, le médecin n’a pasd’autre alternative que procéder à une hospitalisation d’officedans l’hôpital psychiatrique afin de protéger le patient.

Encadré 3

“ Indices d’une origineorganique de la dépression

• Troubles neurocognitifs déficitaires• Absence de facteurs de crise• Premier épisode après 40 ans• Rapidité de l’installation• Absence de douleur morale• Indifférence affective• Résistance au traitement et fluctuation rapide de

l’humeur

Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

3Traité de Médecine Akos

Page 131: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Pour le patient présentant une idéation suicidaire passive etrefusant l’évaluation à l’hôpital, c’est la présence d’un entouragejugé fiable s’engageant à rester auprès du patient en attendantune évaluation spécialisée ambulatoire qui offre au médecin desgaranties raisonnables quant à la sécurité du patient. Pourcespatients, une médication telle que l’olanzapine (Zyprexa®), àraison de 2,5 à 5 mg per os, peut être prescrite en cas d’anxiétéimportante.

États dépressif avec symptômes psychotiques

Dans ces situations, le praticien doit procéder sans tarder àune hospitalisation en milieu psychiatrique. L’internement enmilieu spécialisé étant une démarche médico-légale, le médecindoit informer le patient et son entourage des raisons le condui-sant à prendre une telle décision. Le transport du patient atoujours lieu en ambulance. Afin de respecter les directiveslégales régissant ce type d’hospitalisation, il est recommandéde les porter dans la valise de garde et d’y se référersystématiquement.

Conduite à tenirElle est développée dans le Tableau 1.

Messages essentiels• Évaluer systématiquement la suicidalité chez le patient

dépressif.• En cas de doute diagnostique quant à la sévérité des symptô-

mes dépressifs ou de l’intensité des idées morbides, orienterle patient vers une unité d’urgences psychiatriques.

• Hospitaliser en milieu spécialisé le patient mélancolique.• Ne pas instaurer un traitement antidépresseur en urgence.

■ Patient suicidaireParadigme de l’urgence psychiatrique, l’expression d’une

idéation suicidaire nécessite de la part du médecin se rendant àdomicile une évaluation minutieuse du contexte dans lequelelle survient et de la symptomatologie psychiatrique quil’accompagne. En Europe, l’incidence estimée du taux de suicidevarie selon les pays, mais elle est d’environ de 5 à 23 pour100 000 habitants par an. [1] Le nombre de tentatives de suicideest de dix à 25 fois supérieur. La grande majorité des tentativesde suicide (80 %) surviennent dans des contexte de criseinterpersonnelle et la plupart (90 %) sont associées à un troublepsychiatrique (trouble dépressif ou anxieux principalement). [1]

Appel téléphonique du patient suicidaireet/ou de son entourage

Tout appel d’un patient suicidaire doit être pris au sérieux. Cetype de demandes tendant à générer une certaine anxiété chezle médecin ou le personnel paramédical qui reçoit l’appel, il estindispensable dans ce cas de garder une attitude calme etréceptive, afin de saisir au mieux la problématique du patient.Outre les éléments de base (nom, adresse, numéro de téléphone,

etc.), le médecin ou le personnel paramédical doivent inviter lepatient ou le proche qui fait la demande à décrire succincte-ment l’état du patient ainsi que l’intensité des idées suicidaires.Le médecin doit rapidement signifier son intention d’évaluer lepatient, d’établir une stratégie d’urgence tenant compte de lagravité des idées suicidaires, des éventuelles ressources dupatient pour ne pas passer à l’acte et de l’éventuel contexte decrise. L’entourage du patient est invité à rester auprès du lui enattendant l’arrivée du médecin. Dans le cas où la menace d’unacte autoagressif déborde ses capacités de contention ou cellesde l’entourage (par exemple, menaces de défenestration), il estconseillé de signaler la situation à la force publique tout en serendant rapidement au domicile du patient. Si le patient a déjàfait une tentative de suicide, il est hautement recommandéd’envoyer une ambulance sur place, anticipant l’arrivée dumédecin. Certains patients suicidaires ne souhaitent pasd’évaluation médicale à domicile. Dans ces cas, il est alorsconseillé de s’octroyer un temps de négociation pour compren-dre les raisons du refus. Si la négative du patient persiste, lemédecin lui signale les limites pour lui venir en aide dans cesconditions, tout en veillant à lui transmettre sa disposition pourune évaluation ultérieure. [2]

Évaluation des idées suicidairesÀ l’arrivée du médecin, il est important que celui-ci puisse

d’abord s’entretenir seul avec le patient et l’éventuel entouragepeut être invité à s’associer à l’entretien dans un deuxièmetemps. Le médecin procède à l’évaluation du status mental, del’ampleur de l’intensité des idées morbides. [2] Le clinicien doitposer au patient des questions claires et ouvertes sur la naturedes idées suicidaires (encadré 4), leur chronologie et leurcontexte d’apparition. La psychopathologie et les éventuelsfacteurs de risque (Tableau 2) sous-jacents sont systématique-ment évalués et mis en relation avec les pensées morbides. Lecontexte de crise est ensuite abordé en essayant d’explorer lesressources personnelles et/ou familiales qui permettront uneréponse adaptée à la situation.

Le clinicien doit garder à l’esprit que, contrairement aux idéesreçues, l’évaluation de la suicidalité ne risque pas de précipiterun passage à l’acte chez le patient ; bien au contraire, elle a

Tableau 1.Conduite à tenir devant un patient dépressif.

État dépressif léger (HAD inférieur à 17) Réévaluation ambulatoireÉtat dépressif modéré (HAD entre 17 et 23) sans idéation suicidaire

État dépressif modéré (HAD entre 17 et 23) avec idéation suicidaire active Service d’urgences psychiatriques, hôpital généralÉtat dépressif sévère (HAD supérieur à 23) avec idéation suicidaire active ou passivePrésence d’un ou plusieurs facteurs de risque : isolement, antécédents de suicide,abus d’alcool et/ou de drogues, situation de perte, affection somatique grave, patient adolescent

État dépressif avec symptômes psychotiques Hôpital psychiatrique

HAD : échelle de Hamilton dépression.

Encadré 4

“ Caractéristiques des idéessuicidaires

• Type d’idéation suicidaire : sporadique ou persistante,active ou passive

• Présence d’un scénario suicidaire élaboré (prise demédicaments, pendaison, défenestration)

• Désespoir et/ou pessimisme face à l’avenir• Détermination et attribution positive au geste/com-

portement suicidaire

7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

4 Traité de Médecine Akos

Page 132: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

fréquemment pour effet de soulager le patient qui peut enfinmettre des mots sur une souffrance souvent longtempscachée. [6] Une autre croyance erronée concerne l’idée que le faitd’en parler protège du passage à l’acte. Une attitude ouverte,empathique, claire et dépourvue de jugement de valeur de lapart du clinicien favorise la qualité de l’évaluation.

Le recours à une échelle standardisée d’évaluation de lasuicidalité peut s’avérer utile pour mieux cerner l’intensité desidées morbides. L’item « idées de suicide » de l’échelleMontgomery-Asberg depression rating scale (MADRS) composéede sept points est un outil simplifié et facile à utiliser commecomplément à l’évaluation du suicidant (encadré 5).

Prise en charge à domicile

Idéation suicidaire passive et faible potentielsuicidaire (MADRS égal ou inférieur à 2)

Le médecin invite le patient et son entourage à fixer rapide-ment un rendez vous avec le médecin de famille pour quecelui-ci réexamine le patient et évalue la nécessité d’une priseen charge spécialisée. En attendant, le médecin d’urgence peutéventuellement prescrire une médication anxiolytique. Dans cecas de figure, les neuroleptiques à faibles doses comme l’olan-zapine (Zyprexa®), à raison de 2,5 mg per os, ou la thioridazine(Melleril®), de 10 à 30 mg per os, sont utiles pour calmerl’anxiété associée à une idéation morbide.

Idées suicidaires actives et important potentielsuicidaire (MADRS égal ou supérieur à 3)

Le patient dans ce cas doit être adressé au service d’urgencespsychiatriques le plus proche. Une évaluation spécialisée pluscomplète et systématique de tous les facteurs participant à

l’émergence de l’idéation morbide (pathologie psychiatrique,contexte de crise) est en effet nécessaire dans ces situations.L’entourage est invité à accompagner le patient à l’hôpital et àparticiper aux entretiens avec les soignants du service depsychiatrie. Deux situations peuvent néanmoins amener lemédecin à demander une hospitalisation psychiatrique pour cespatients dont l’état est inquiétant, à savoir le manque decollaboration du patient pour une évaluation spécialisée etl’impossibilité de demander en urgence une évaluationpsychiatrique.

Patient ayant fait une tentative de suicideà domicile

Le patient doit être transféré sans tarder vers le serviced’urgences de l’hôpital. En aucun cas le praticien ne doitbanaliser le passage à l’acte du patient. L’expérience auprès despatients qui décident d’en finir montre que la gravité ducontexte de crise et celle de leur trouble psychiatrique ne sontpas forcements proportionnelles à la létalité du geste suici-daire. [2] Dans ce contexte, le praticien doit garder à l’esprit quedes patients livrés à eux-mêmes peuvent récidiver très rapide-ment. Enfin, il ne faut pas oublier qu’un patient souhaitantmourir peut donner de fausses informations par rapport aunombre de comprimés avalés. Une évaluation somatique s’avèreindispensable dans ces cas, laquelle doit être suivie d’uneévaluation par le psychiatre de garde.

Conduite à tenirElle est définie dans le Tableau 3.

Messages essentiels• L’évaluation systématique et empathique favorise la verbali-

sation d’une idéation morbide et soulage le patient suicidaire.• Ne jamais banaliser ou minimiser une idéation suicidaire ou

une tentative de suicide.• Chez le patient ayant passé à l’acte, le degré de désespoir ou

la gravité du trouble psychiatrique ne sont pas forcément liésà la gravité des lésion ou au nombre de comprimés avalés. [2]

• Rechercher systématiquement les facteurs de risque et lessymptômes d’alarme.

• La dépression est la pathologie la plus associée à l’apparitiond’une idéation suicidaire, voire d’une tentative de suicide.

■ Patient anxieuxL’anxiété est un symptôme non spécifique qui peut se

présenter dans une multitude de situations cliniques. [3, 4] Ils’agit d’une expérience subjective et d’un vécu familier à tousles êtres humains. Elle peut être définie comme un état émo-tionnel de « discomfort » et de tension dans lequel coexistent descomposants cognitifs (peur, vigilance excessive, angoisse, etc.) et

Tableau 2.Facteurs de risque de suicide et de tentative de suicide.

Facteurs de risque de suicide Facteurs de risque de tentative de suicide

Sexe masculin Présence d’une idéation suicidaireÂge : adolescents et patients au-dessus de 40 ans Sexe fémininAntécédents de tentative de suicide Âge entre 15 et 40 ansAntécédents familiaux de suicide Dépression et anxiétéIsolement affectif Situation de crise interpersonnelleAffections psychiatriques : dépression majeure, mélancolie, dépression réac-tionnelle, psychose décompensée, bouffée délirante, troubles anxieux, trou-bles de la personnalité, dépendance à l’alcool et aux drogues, troubles psycho-organiques

Pertes (séparation, chômage, rupture sentimentale)

Personnalité fragile (par exemple, dépendante, impulsive)

Abus ou dépendance de substances psychoactives (alcool, drogues)

Encadré 5

“ Score du Montgomery-Asbergdepression rating scale

• 0 Jouit de la vie ou la prend comme elle vient• 1 (entre 0 et 2)• 2 Fatigue de la vie, idées suicidaires occasionnelles• 3 (entre 2 et 4)• 4 Il voudrait être mort. Les idées de suicide sont

courantes et le suicide est considéré comme unesolution possible, mais sans projet ou intention précis

• 5 (entre 4 et 6)• 6 Projets explicites de suicide si l’occasion se présente.

Préparation de suicide• 7 Début de mise en œuvre du projet suicidaire létalCoter le patient sur l’échelle de 0 à 7

Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

5Traité de Médecine Akos

Page 133: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

somatiques avec hyperactivité neurovégétative (tachycardie,palpitations, dyspnée, sudation, etc.). Le caractère normal oupathologique de l’anxiété dépend de l’intensité, de la durée (aupoint de perturber grièvement le fonctionnement quotidien dupatient) et la congruence avec des évènements déclencheurs.Lors des interventions à domicile, il est courant de voir despatients qui présentent des troubles anxieux et qui exprimentfondamentalement des plaintes somatiques. Le Tableau 4résume les principaux motifs d’intervention d’urgence àdomicile dont l’anxiété est au premier plan.

Tableaux cliniques

Attaque de panique/trouble panique

Les attaques paroxystiques d’anxiété avec ou sans facteurdéclenchant représentent un motif fréquent d’appel en urgenceet d’intervention à domicile. Ces attaques sont généralementautolimitées dans le temps (entre 2 minutes et 2 heures aumaximum) et se caractérisent par une symptomatologie neuro-végétative et cognitive. Généralement, le patient décrit uneanxiété soudaine avec palpitations, oppression thoracique,sentiment d’étouffement et hyperventilation, paresthésies etsensation de vertige Ces symptômes évoluent in crescendo trèsrapidement et le patient est de plus en plus submergé par unétat de panique qui s’accompagne fréquemment d’un sentimentde mort imminente (par exemple, peur d’avoir un infarctus)et/ou d’une peur de perdre la maîtrise de soi. Des sensations dedéréalisation ou de dépersonnalisation peuvent compléter letableau clinique. Une anamnèse d’attaques de panique récur-rentes associées à une appréhension de nouvelles attaques doitfaire évoquer le diagnostic de trouble panique. Dans ce typed’urgences, le diagnostic différentiel avec une étiologie organi-que ou un abus de substances psychoactives est primordial.

Stress aigu

Le médecin peut être amené à intervenir à domicile auprèsd’un patient ayant subi un stress récent (généralement dans lesheures précédant l’urgence médicale) qui a mis en danger sonintégrité physique ou psychique. Généralement, il s’agitd’accidents de la route, d’agressions physiques (par exemple,violence conjugale) ou sexuelles (viol, attouchements). Letableau clinique se caractérise par un état de choc psychique quipeut être accompagné par une hébétude et une symptomatolo-gie anxiodépressive diffuse. Parfois, le patient peut présenter unétat dissociatif (amnésie et stupeur). Les symptômes tendent àêtre fluctuants au cours de la journée.

Syndrome de stress post-traumatique

Dans ce syndrome, l’anamnèse met en évidence l’existenced’un traumatisme physique et/ou psychique qui peut mêmeremonter à des mois, voire à des années en arrière. L’événementtraumatique est en permanence revécu par le patient sous formede souvenirs répétés et envahissants, ainsi que de cauchemars.Une hyperactivité neurovégétative avec un état d’hypervigilancesont présents. La demande d’urgence peut être motivée par uneintensification du syndrome déclenché par un événementextérieur qui rappelle au patient l’événement traumatique. Ellepeut également émaner des complications fréquentes observéeschez ces patients (dépression, idées suicidaires, abus d’alcool).

Dépendance aux benzodiazépines

Vu l’importante consommation de tranquillisants dans lapopulation générale (de 10 à 12 % environ), [2, 3, 7] les deman-des d’intervention en urgence pour une symptomatologie demanque ou crainte de l’être sont de plus en plus fréquentes. Lessymptômes de manque se caractérisent par une anxiété diffuseet progressive. L’examen met surtout en évidence une hyperac-tivité sympathique. Le symptôme signal motivant l’appel enurgence est fréquemment l’insomnie. Un tableau confusionnel,voire de crises comitiales, peut parfois apparaître, notammentsuite à un arrêt brutal chez un patient dépendant de longuedate aux benzodiazépines.

Anxiété dans le contexte de situation de crise

Certaines urgences à domicile sont motivées par des deman-des d’évaluation dans le cadre de conflits conjugaux ou fami-liaux. Dans ce type d’interventions, le médecin est confronté àune ou plusieurs personnes qui manifestent des symptômesanxieux d’intensité variable. Lors de l’évaluation, il est possibleque d’autres symptômes (notamment dépressifs) se surajoutentà une atmosphère de grande tension, ou des récriminations, deséclats de colère ou règlement de comptes mettent le médecin àdure épreuve. Le clinicien doit garder à l’esprit que l’objectifprincipal dans ces situations, outre de contenir et apaiser ce

Tableau 3.Conduite à tenir devant un patient suicidaire.

Idéation suicidaire passive avec MADRS égal ou inférieur à 2 Réévaluation ambulatoireAbsence de facteurs d’alarmeCapacité à redemander de l’aide en cas d’aggravation des idées suicidairesAppui de l’entourage

Toute tentative de suicide Urgences psychiatriques, hôpital généralUn ou plusieurs des symptômes d’alarme suivants : idéation suicidaire active, déterminationet attribution positive de l’idéation suicidaire, désespoir, mise en place d’un scénario suicidairePrésence d’un ou plusieurs facteurs de risque : score MADRS égal ou supérieur à 3, dépression avecun score HAD > 23, maladie chronique ou affection médicale sévère, isolement social, conflit ouvertavec l’entourage, abus/dépendance à l’alcool ou aux drogues, antécédents de tentative de suicide,patient âgé ou adolescent

Idéation suicidaire active et absence de collaboration pour une évaluation dans un serviced’urgences psychiatriques

Hôpital psychiatrique

MADRS : Montgomery-Asberg depression rating scale ; HAD : échelle Hamilton dépression.

Tableau 4.Motifs principaux de demande d’intervention pour anxiété.

Anxiété situationnelleConflit de familleConflit de coupleProblèmes financiers ou professionnelsDeuil récent, divorce, séparation, rupture sentimentale

Anxiété secondaireÀ des troubles psychiatriques (dépression, psychose, etc.)Abus d’alcool ou de drogues(cannabis, cocaïne, LSD, amphétamines, ecstasy)Syndrome de sevrageMaladies systémiques, douleur chronique

Troubles primaires de l’anxiétéTrouble paniqueStress aiguSyndrome de stress post-traumatique

7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

6 Traité de Médecine Akos

Page 134: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

climat de tension, consiste moins à trouver des réponses qu’àposer de bonnes questions concernant la crise, la perception decelle-ci par les patients, d’évaluer leurs ressources en attendantun rendez-vous ambulatoire ou spécialisé.

Anxiété liée à des maladies systémiquesou chroniques

Diverses affections systémiques s’accompagnent d’une anxiété(encadré 6) qui peut parfois en être l’un des premiers symptô-mes. L’anamnèse, l’examen physique et certains indices (âgesupérieur à 35 ans, absence de facteurs de crise, absenced’antécédents de troubles anxieux, absence de réponse auxtranquillisants) aident le clinicien dans le cadre du diagnosticdifférentiel. Par ailleurs, certains patients atteints de maladies oude douleurs chroniques peuvent solliciter le médecin en urgenceen raison d’une anxiété liée à leur état. Des facteurs tels que laréponse au traitement, le pronostic, l’intensité de la douleur etles conséquences sur la qualité de vie de leur affection sontessentiels pour une compréhension de leur anxiété.

Prise en charge à domicile

Attitude du médecin

À la différence de la dépression, pour les résultats de l’échelleHamilton anxiété, il n’y a pas de seuil d’anxiété à partir duquelil est recommandé de transférer le patient en milieu hospitalier,l’anxiété étant en effet plus instable que les symptômes affectifs.Ainsi, c’est plutôt le contexte dans lequel elle se situe et laréponse à l’intervention qui vont participer à la prise de ladécision d’un transfert. Une attitude calme, rassurante, empa-thique de la part du clinicien est l’élément relationnel fonda-mental durant l’évaluation en urgence du patient anxieux.

Techniques de relaxation et de contrôlerespiratoire

Certaines techniques simples sont souvent efficaces pouratténuer les symptômes en urgence.

Relaxation : demander au patient, allongé ou assis conforta-blement, de trouver un rythme respiratoire agréable et de seconcentrer sur une relaxation musculaire progressive, des piedsjusqu’à la tête.

Contrôle respiratoire de l’attaque de panique : demander aupatient d’inspirer par le nez (chez certains individus, ceciaugmente l’impression d’étouffer et on peut également leurproposer d’inspirer l’air par la bouche) en gonflant le ventreafin de provoquer une hyperpression abdominale qui doit être

maintenue de 3 à 5 secondes. Ensuite, expirer par la bouchedurant le même temps et recommencer de nouveau. Exercice àrépéter une dizaine de fois.

Quelques techniques simples de contrôle cognitif peuventêtre proposées, qui visent à contrecarrer les pensées intrusivesde mort, d’infarctus, de perte de contrôle : on propose aupatient de fixer son attention sur un objet qui se trouve autourde lui et de le décrire minutieusement.

Éléments psychoéducatifs

L’information a une valeur thérapeutique en soi. Le patientprésentant un trouble panique doit être informé du fait qu’ils’agit d’un trouble bien connu, gênant pour le patient mais quine présente pas, contrairement à ses craintes, de risque létal. Ilest en effet utile de prendre quelques minutes pour expliquer aupatient et à son entourage le mécanisme des attaques depanique. On peut initier cet exposé en comparant les symptô-mes de la crise avec ceux présentés dans une situation qui faitnormalement peur (par exemple, « si vous étiez en face d’unlion votre cœur battrait très fort, la respiration se seraitaccélérée, votre corps aurait commencé à trembler et vos mainsà transpirer…. il n’y avait bien sûr pas de lion quand vous avezeu votre crise et c’est sûrement parce que il n’y avait pas decause identifiable pour vous que vous avez commencé à vousdemander ce qu’il vous arrivait…. vous avez alors pensé à unmalaise cardiaque, ce qui vous a fait très peur et a augmentédavantage vos symptômes »). Lors d’une première crise, il estrecommandé de faire participer le patient au raisonnement surce qui lui est arrivé plutôt que de le rassurer simplement. Enfin,il est important d’informer le patient et son entourage despossibilités de soins à court et à moyen terme. En cas desituation de crise conjugale ou familiale, l’orientation vers desstructures ambulatoires (centres de crise, consultations desecteur) est conseillée afin de procéder à une évaluation plusapprofondie de la crise et de mettre en place des éventuellesconsultations de couple/famille.

Évaluation de l’intensité

Pour évaluer l’intensité des symptômes d’anxiété actuels,l’échelle de Hamilton anxiété (HA) est un bon outil d’évalua-tion. Le calcul de l’échelle HA peut coter assez haut rapidement,ce qui est compatible avec le fait qu’en situation d’urgence lessymptômes anxieux sont souvent aigus. Par ailleurs, il est toutà fait habituel que l’échelle HA cotée à la fin de l’interventionsoit plus basse qu’au début de celle-ci :• HA inférieure à 5, intensité négligeable ;• HA entre 5 et 14, intensité mineure ;• HA supérieure à 14, intensité majeure.

Traitement pharmacologique

Il doit être réservé à l’anxiété incoercible qui ne répond pasaux autres mesures citées ci-dessus (entretien, relaxation,contrôle respiratoire). Par principe, le traitement administré doitêtre en dose unique, évitant si possible la prescription d’uneordonnance. [2]

Le médicament de choix est une benzodiazépine à demi-vieintermédiaire. Les anxiolytiques à longue demi-vie, tels que lediazépam (Valium®) ou le clorazépate dipotassique (Tranxi-lium®) sont à éviter en règle générale et plus particulièrementchez les personnes âgées. Les doses sont les plus basses possibleschez ces dernières en raison d’une plus importante prédisposi-tion à présenter des effets indésirables (somnolence, effetdépresseur sur le centre respiratoire, réaction paradoxale, étatconfusionnel).

Il convient également d’éviter les benzodiazépines à demi-viecourte tels que l’alprazolam à cause de leur risque élevé dedépendance.

Encadré 6

“ Quelques affectionssystémiques à l’origine d’uneanxiété (liste non exhaustive)

• Insuffisance coronarienne, troubles du rythmecardiaque

• Hyperthyroïdie, hypothyroïdie, syndrome de Cushing• Asthme, maladie pulmonaire obstructive chronique• Hypoglycémie• Épilepsie• Phéochromocytome

Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

7Traité de Médecine Akos

Page 135: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

On peut prescrire :• oxazépam (Séresta®), de 15 à 30 mg per os (10 mg per os

pour la personne âgée) ;• Séresta Expidet®, 15 mg per os ;• lorazépam (Témesta®), de 1 à 2 mg per os (0,5 mg per os

pour la personne âgée) ;• Témesta Expidet®, 1 mg per os.

En cas de stress aigu ou de stress post-traumatique à fortecomposante psychosensorielle (flash-back, réminiscences), unealternative aux benzodiazépines est la prescription d’un neuro-leptique à faible dose, tel que• olanzapine (Zyprexa®), de 2,5 à 5 mg per os ;• rispéridone (Risperdal®), de 0,5 à 1 mg per os.

Conduite à tenirElle est rapportée dans le Tableau 5.

Messages essentiels• L’anxiété est un symptôme non spécifique qui peut être

provoqué par des causes organiques, psychiatriques ousituationnelles.

• Garder une attitude calme, emphatique et rassurante face àun patient anxieux.

• Écarter une éventuelle pathologie organique avant de traiterle patient avec une médication anxiolytique.

• Éviter de prescrire des ordonnances de tranquillisants durantles interventions d’urgence. [1, 2, 6, 10]

■ Patient agité et/ou violentL’agitation psychomotrice est un état caractérisé par une

augmentation de l’activité motrice, associée à des états émo-tionnels intenses tels l’anxiété, la tristesse, la panique, l’eupho-rie, etc. Dans certaines situations, l’agitation s’associe à uncomportement violent ou imprévisible, et certains facteurs derisque de comportement hétéroagressif sont à prendre encompte lors des interventions à domicile (encadré 7).

Comme l’anxiété, l’agitation est d’abord un comportementnon spécifique qui peut être provoqué par des causes organiqueset/ou psychiatriques. [8]

Tableaux cliniques

Décompensation psychotique

Elle se caractérise par une perturbation dans la perception dela réalité (hallucinations, délires, désorganisation de la pensée).La schizophrénie fait partie des psychoses dites chroniques dontle tableau clinique se caractérise par l’existence de symptômesproductifs mais également par une détérioration cognitive. Ilexiste d’autres troubles psychiatriques dans lesquels nouspouvons observer des symptômes psychotiques comme lestroubles affectifs (manie ou dépression sévère) ou la paranoïa.

La présentation clinique habituelle se caractérise par uncomportement désorganisé, associé ou non à une auto- ou à

une hétéroagressivité. À l’examen, on constate une éclosiondélirante et productive sous forme de délire à thématiquediverse, de persécution, de grandeur ou à thème mystique.Durant l’évaluation, le patient peut se montrer peu collaborantet adopter des attitudes d’écoute qui sous-tendent la présenced’hallucinations auditives. L’hygiène corporelle et l’apparencepersonnelle sont souvent déficitaires et l’affect émoussé ouinapproprié. Le discours est fréquemment illogique, avec desassociations d’idées incohérentes. Le médecin du serviced’urgence est souvent alerté par l’entourage, voire le voisinagedu patient.

Il n’est pas rare que l’examen se déroule au poste de policeen raison de troubles du comportement. Les antécédents demultiples hospitalisations en milieu spécialisé, la notion d’untraitement neuroleptique au long cours et la précarité psycho-sociale sont des éléments qui vont dans le sens d’un diagnosticde psychose décompensée. En revanche, un âge trop avancé(premier épisode après l’âge de 45 ans), l’absence d’antécédentspsychiatriques, toute altération de la conscience ou n’importequelle altération neurologique ainsi que la présence d’halluci-nations visuelles, olfactives, gustatives ou tactiles doivent nousmettre sur la piste d’une affection organique sous-jacente.

Trouble de la personnalité en situation de crise

Le clinicien qui se déplace à domicile est parfois confronté àdes crises d’agitation psychomotrice d’origine caractérielle dansle contexte de crises interpersonnelles. Ce type d’urgence esttrès fréquent chez des patients présentant des troubles de lapersonnalité, où le déficit du contrôle des impulsions se situe aupremier plan. Cliniquement, le patient peut se présenter agité,colérique, verbalisant des demandes irréalistes comportant demultiples revendications à l’égard de son entourage ou de lasociété (autorités, employeur). Très souvent, le contexte de criseest celui d’une menace de perte (divorce, rupture sentimentale).L’abus d’alcool n’est pas rare et le patient tend à présenter uneattitude provocatrice à l’égard du médecin de garde. Le passage

Tableau 5.Conduite à tenir devant un patient anxieux.

Attaque de panique Prise en charge à domicile et réévaluation ambulatoireTrouble paniqueDépendance à l’alcool et à des substances psychoactivesAnxiété situationnelle modérée

Syndrome de stress post-traumatique Service d’urgences, hôpital généralStress aiguAnxiété situationnelle sévèreSevrage d’alcool et de substances psychoactivesAnxiété associée à un état dépressif sévère

Encadré 7

“ Facteurs de risque decomportement hétéroagressif

• Sexe masculin• Âge entre 15 et 39 ans• Antécédents de comportement agressif• Abus d’alcool ou de drogues• Pathologies psychiatriques : paranoïa, troubles

psychotiques, état maniaque, troubles de lapersonnalité (par exemple, borderline, antisociale)

• Faible support familial, conflit de couple et/ou defamille

7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

8 Traité de Médecine Akos

Page 136: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

à l’acte hétéro- ou autoagressif est particulièrement à craindredu fait de la difficulté à supporter la frustration qui est souventliée à des angoisses massives d’abandon (particulièrement chezle patient présentant un trouble de la personnalité borderline).

Ivresse aiguë

Le médecin est généralement confronté aux stades 2 et 3 del’intoxication alcoolique, à savoir :• deuxième stade (alcoolémie de 0,2 à 0,3 %) : incoordination

motrice, dysarthrie, agressivité physique et verbale ;• troisième stade (alcoolémie supérieure à 0,3 %) : coma avec

hypothermie et dépression respiratoire.

Sevrage d’alcool

Chez un patient dépendant à l’alcool, le syndrome d’absti-nence commence habituellement (90 %) dans les 24 heures quisuivent l’arrêt de la consommation. Les symptômes évoluent surquatre stades :• premier stade : sueurs nocturnes ou matinales associées à un

discret tremblement ;• deuxième stade : les sueurs deviennent abondantes, les

tremblements plus importants, atteignant même les lèvres ;des myoclonies peuvent apparaître aux membres inférieurs ;présence de troubles digestifs tels que diarrhée et vomisse-ments ; à ce stade, l’agitation motrice devient souventimportante, le patient luttant contre une anxiété croissante ;

• troisième et quatrième stades : aggravation progressive del’état du patient qui devient de plus en plus agité, hallucinéet confus, entrant dans un stade de pré-delirium tremens quipeut s’accompagner de convulsions tonicocloniques générali-sées et qui aboutit sans traitement à une urgence médicalevitale, le delirium tremens avec déshydratation, confusionextrême, fièvre et crises d’épilepsie.

Bouffée délirante

La bouffée délirante se caractérise par une éclosion soudained’une symptomatologie délirante à thèmes multiples (délire depersécution, de grandeur) chez un patient qui, en apparence, neprésentait pas jusqu’alors de symptômes psychiatriques. Desphénomènes psychosensoriels tels que les hallucinationsauditives peuvent être présents et vécus avec une forte adhésionet angoisse. L’état de conscience peut être légèrement déstruc-turé avec un certain détachement, mais il est rare que l’onassiste à une véritable désorientation temporospatiale. Lecomportement est hautement imprévisible et les raptus auto- ouhétéroagressifs fréquents. Dans ce type de situations, le diagnos-tic différentiel avec une pathologie organique ou un abus desubstances psychoactives est fondamental.

Décompensation maniaque

Celle-ci se caractérise par une humeur expansive avec eupho-rie, une hyperactivité motrice (agitation incessante, désinhibi-tion sexuelle) et intellectuelle (logorrhée, fuite des idées, coq-à-l’âne, distractibilité, jeux de mots et ludisme). Des thèmes degrandeur, de toute-puissance et une irritabilité importantecomplètent le tableau. Les proches du patient décrivent souventun comportement social irresponsable (par exemple, achatsinconsidérés), ainsi qu’une insomnie durable. Ce trouble dusommeil est souvent un des premiers signes d’alarme d’une crisemaniaque. Au moment de la décompensation, la conscience dela maladie est fortement diminuée et la mise en place del’hospitalisation en milieu psychiatrique donne lieu fréquem-ment à des réactions d’opposition avec agitation et/ou violence.

État confusionnel aigu

La confusion se caractérise par des troubles de la vigilance, del’attention et surtout par le signe princeps de cet état, à savoirune désorientation temporospatiale sur trois axes : le sujet ne

reconnaît plus les lieux, les dates ni les personnes. Parallèle-ment, le discours du patient est incompréhensible, imprécis.Une agitation motrice est aussi fréquente. Des troubles de lamémoire antérograde et rétrograde accompagnent la sympto-matologie. Des phénomènes psychosensoriels tels que desillusions et des hallucinations (visuelles, tactiles ou cénesthési-ques) peuvent être présentes, ainsi qu’un délire désorganisé.L’état de confusion mentale tend à s’aggraver le soir ou avecl’obscurité. Certains patients sont plus exposés que d’autres àl’apparition d’une confusion mentale (encadré 8).

Devant ce type de tableau clinique, le médecin doit d’abordpenser à une étiologie organique comme principale hypothèsediagnostique (encadré 9).

Prise en charge à domicile

Attitude du médecin

Face à un patient agité et/ou potentiellement violent, il estimportant que le médecin adopte une attitude calme, et puissetransmettre au patient un désir de comprendre sa situation etde venir à son aide. [1-4, 8-10] Par ailleurs, des consignes desécurité doivent être respectées par le clinicien lors de sonintervention (encadré 10). Certaines situations peuvent évoluerde façon très satisfaisante, et l’agitation parvient à être traitée etatténuée. En revanche, dans certains cas, l’intervention de laforce publique ou de personnel qualifié (infirmier, ambulancier,etc.) s’avère nécessaire pour procéder au transfert du patient versune unité hospitalière. Le médecin se rendant au domicile doitêtre attentif à consacrer du temps pour un entretien auprès del’entourage qui est fréquemment ébranlé dans ce typed’urgences.

Traitement pharmacologique

Il varie selon les situations cliniques (Tableau 6).Pour le traitement de sevrage d’alcool, la décision de la prise

en charge ou non à domicile peut s’avérer difficile pour lemédecin. Si le médecin estime que les conditions pour la miseen place d’un traitement ne sont pas réunies (le patient refusele traitement, risque de consommation rapide d’alcool, absenced’entourage, etc.), il vaut mieux que le patient reprenne saconsommation habituelle d’alcool en attendant un rendez-vousauprès de son médecin pour organiser un éventuel sevrageambulatoire ou hospitalier plutôt que de se risquer à unmélange d’alcool et médicaments. [2, 8, 10] Si les conditions debase pour le traitement sont présentes, une couverture desevrage par oxazépam (Séresta®), à raison de six fois 30 mg/j peros avec un schéma dégressif sur 5 jours, doit être associée à unebonne hydratation et une vitaminothérapie du groupe B.

Encadré 8

“ Patients à risque d’étatconfusionnel

• Personnes âgées, en particulier sous médicaments,ayant des déficits visuels/auditifs ou présentant uneinfection sous-jacente

• Enfants avec un état fébrile• Patients dépendants d’alcool ou de substances

psychoactives• Patients atteints de syndrome immunodéficitaire acquis

Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

9Traité de Médecine Akos

Page 137: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Conduite à tenirElle est rapportée dans le Tableau 7.

Messages essentiels• L’agitation est un comportement non spécifique qui peut être

provoqué par des causes organiques ou psychiatriques.

• Hospitaliser en milieu psychiatrique le malade décompensésur le plan maniaque ou psychotique.

• Réaliser un examen physique et évaluer le contexte de criseavant de se précipiter pour traiter un patient.

• S’entourer des mesures nécessaires face à un patient agité oupotentiellement violent pour garantir la sécurité du patient,celle de son entourage et du médecin intervenant.

Encadré 10

“ Consignes de sécurité face à un patient agité et/ou potentiellementviolent (d’après Sanchez et al. [2])

• Pas de prise de risques ni de mesures héroïques. Si, lors de la demande d’intervention, le patient est décrit comme très agité etviolent, se coordonner avec la force publique et les ambulanciers afin de préparer une stratégie d’intervention qui puisse permettreune évaluation médicale et garantir la sécurité.

• Le médecin doit se présenter calmement en expliquant avec des mots simples et clairs le motif de sa présence. Éviter de se laissergagner par un sentiment de peur.

• Le contenu des explications doit être cadrant, en évitant à tout prix de faire la surenchère dialectique avec le patient.• Si le patient est capable de mener une conversation, lui proposer de s’asseoir et lui demander quel est son point de vue sur ce qui lui

arrive. Si une ébauche de communication est possible, essayer de lui faire transmettre que vous êtes là pour l’aider et soulager sonanxiété.

• Se situer toujours côté porte pour s’assurer une voie de sortie en cas de nécessité.• La distance entre le médecin et le patient doit être d’au moins deux bras.• Appeler souvent le patient par son nom de famille.• Éviter de fixer trop longtemps le regard sur le patient. Certains patients, notamment sous les effets de l’alcool, prennent ceci

comme un défi.• Si le patient est armé, lui demander tranquillement de déposer son arme. S’il n’obéit pas, surtout ne pas essayer de la lui enlever.

Dans ces situations, partir au plus vite et demander de l’aide à la force publique.• Face à un patient très agité, délirant et menaçant, il faut rapidement le calmer par une injection parentérale d’un psychotrope avec

l’aide de tierces personnes (entourage, police, ambulanciers) et éviter d’entrer dans une discussion ou de longues palabres.

Tableau 6.Traitement en urgence d’un patient agité et/ou violent.

Situation clinique Médicament Posologie et forme galénique Remarques

Patient très agité et/ou violent Halopéridol (Haldol®) de 5 à 10 mg i.m. Effets secondairesLorazépam (Témesta®) de 1 à 5 mg i.m. L’association du lorazépam à l’halopé-

ridol peut être efficace pour les agita-tions ne répondant pas à l’halopéridol

Patient ivre et agité Clotiapiane (Entumine®) de 40 à 80 mg i.m. Chute tensionnelleÉviter les benzodiazépines car ellespotentialisent les effets de l’alcool

Patient agité dans le contexte d’unesituation de crise ou d’un troublede la personnalité

Olanzapine (Zyprexa®) de 2,5 à 5 mg p.o. Pas de disponibilité actuelle de formesinjectables

Risperidone (Risperdal®) de 2 à 4 mg p.o.

i.m. : voie intramusculaire ; p.o. : per os.

Encadré 9

“ Causes fréquentes d’état confusionnel

• Médicaments : anticholinergiques, benzodiazépines, méthyldopamine, digitaline, corticoïdes• Syndrome de sevrage à l’alcool et aux benzodiazépines• Surdosage de psychotropes et de substances psychoactives• Troubles métaboliques : hypo- et hyperglycémie, hyponatrémie, encéphalopathie hépatique• Infections, notamment encéphalites et méningites• Neurologiques : traumatisme cranioencéphalique, hématome sous-dural, état postcritique• Causes endocriniennes : hypo- et hyperthyroïdisme, syndrome de Cushing• Intoxication au monoxyde de carbone• État démentiel chez la personne âgée

7-0226 ¶ Urgences psychiatriques à domicile

10 Traité de Médecine Akos

Page 138: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

■ Références[1] De Clercq M. Urgences psychiatriques et intervention de crise.

Bruxelles: De Boeck Université; 1997.[2] Sanchez C, Pascual Sanchez T, Planas P, Amezaga I, Colombo S.

Urgences psychiatriques à domicile. Genève: éditions Médecine etHygiène; 2003.

[3] Hyman S. Manual of psychiatric emergencies. Boston: Little Brown;1994.

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[5] Grivois H. Urgences psychiatriques. Paris: Masson; 1986.

[6] Clark D. The evaluation and management of suicidal patient. In:Emergencies in mental health practice. London: The Guilford Press;1998. p. 75-94.

[7] Schatberg A, Cole J, De Battista C. Emergency room treatment. In:Manual of clinical psychopharmacology. Washington: AmericanPsychiatric Press; 1997.

[8] Tardiff K. Assessment and management of violent patients.Washington: American Psychiatric Press; 1996.

[9] Haefliger T, Borgeat F, Zullino. Traitement des états d’agitation. MédHyg 2003;61:1743-9.

[10] Shader R. Manual of psychiatric therapeutics. Boston: Little Brown;1994.

C. Sanchez-Valero, Psychiatre-psychothérapeute, ancien premier chef de clinique de l’unité d’urgences psychiatriques, hôpitaux universitaires de Genève,Suisse.14, rue du Conseil Général, 1205 Genève, Suisse.

P. Planas, Psychiatre-psychothérapeute, ancien chef de clinique du centre psychosocial de la Chaux de Fonds, Neuchâtel, Suisse.168-174 Gran Sant Andreu, 8030 Barcelone, Espagne.

T. Pascual-Sanchez, Psychologue-psychothérapeute.Service médico-pédagogique, 8, rue du XXXI Décembre, 1204 Genève, Suisse.

Tableau 7.Conduite à tenir devant un patient agité et/ou violent.

Dépendance à l’alcool ou à des substances psychoactives sans syndrome de sevrage et absence d’étatconfusionnel

Réévaluation ambulatoire

Situation de crise répondant bien à l’intervention du médecin

Agitation d’origine inconnue Service d’urgence, hôpital psychiatriqueIvresse aiguë stade 2-3Sevrage d’alcool ou de substances psychoactivesÉtat confusionnelTrouble de la personnalité et/ou situation de crise avec agitation incoercibleBouffée délirante

Décompensation maniaque Hôpital psychiatriqueDécompensation psychotique

Disponibles sur www.emc-consulte.com

Arbresdécisionnels

Iconographiessupplémentaires

Vidéos /Animations

Documentslégaux

Informationau patient

Informationssupplémentaires

Auto-évaluations

.

Urgences psychiatriques à domicile ¶ 7-0226

11Traité de Médecine Akos

Page 139: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Interruption des traitements

en psychiatrie

V Olivier

L ’interruption des traitements par le malade entraîne fréquemment des rechutes de la maladie.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Les interruptions de traitement peuvents’effectuer de deux manières : soit elles s’inscriventdans le cadre d’un projet thérapeutique élaboré avecle patient, soit elles sont effectuées par le patientlui-même contre l’avis de son psychiatre.

Les premières nécessitent certaines précautionsen fonction du cadre diagnostique et du produitutilisé. Sans être précisèment codifiées, elles fontl’objet de règles générales de conduite.

Les secondes posent plus de problèmes. En effet,la compliance au traitement est mauvaise pourl’ensemble des psychotropes, à l’exception desbenzodiazépines. Les interruptions de traitemententraînent fréquemment des rechutes de la maladiedont les conséquences peuvent être graves(conséquences professionnelles, familiales,conjugales, financières, légales...) Les principauxfacteurs de non-compliance sont les effetsindésirables des traitements psychotropes. Desconduites de prise en charge ont été proposées afind’améliorer la compliance aux psychotropes(informations sur la maladie et son traitementdonnées au patient et à sa famille, psychothérapiesindividuelle et/ou de groupe, prise en charge ducouple, surveillance régulière de dosage sanguin dumédicament...). En cas d’interruption du traitement, ilest important de maintenir un lien thérapeutique etde négocier la reprise du traitement avec le patient.

L ’ interrupt ion de certaines classes demédicaments pose des problèmes spécifiques : lesyndrome de sevrage des benzodiazépines déjàlargement débattu, les syndromes de sevrage auxantidépresseurs et lithium moins reconnus, le risquede résistance ultérieur au lithium après interruptiond’une lithiothérapie.

Dans ce chapitre, nous traiterons de différents casd’interruption de traitement, en fonction de la classemédicamenteuse et/ou du cadre diagnostique. Lesmodalités d’interruption des traitements ne serontabordée que succinctement dans la mesure où ellessont présentées dans les chapitres des grandstroubles psychiatriques.

■Interruption d’un traitement

antidépresseur

‚ Interruption du traitementaprès guérison d’un accès dépressif

L’interruption d’un traitement antidépresseur nepeut se concevoir qu’au terme d’un traitementpréventif d’une rechute d’une durée d’environ 4 à 6mois à partir de la guérison de l’accès dépressif(celle-ci étant définie par l’absence de toutsymptôme dépressif ou la récupération du niveaud’adaptation habituelle). Elle se fera de manièreprogressive en 2 mois environ. Dans certains cas, enparticulier lorsque la tolérance au produit estmauvaise et le risque présumé de rechute minime, ladiminution de la posologie pourra s’effectuer plusprécocement, 3 à 6 semaines après la guérison del’accès ; la diminution de la posologie s’effectueraalors plus progressivement, s’étalant sur 3 à 5 mois.Cette méthode d’interruption permet deréaugmenter la posologie en cas de signe derechute. En effet, l’apparition de signes de rechute aucours de cette période d’interruption doit conduire àréaugmenter les doses jusqu’au dosage efficace etattendre une nouvelle stabilisation avantd’envisager une nouvelle décroissance. Le suivi dupatient doit se prolonger durant 6 à 12 mois aprèsl’arrêt du traitement antidépresseur, en raison d’unrisque de rechute ; il est particulièrement élevédurant les 2 premiers mois.

‚ Interruption au coursde troubles anxieux oude troubles obsessionnels compulsifs

La durée du traitement antidépresseur est engénéral plus longue ; mais les modalitésd’interruption de ce traitement sont les mêmes quedans le cadre d’un trouble thymique : l’interruptionse fera de manière progressive.

‚ Interruption par le patient lui-même,contre-avis médical

Lorsque le traitement antidépresseur estinterrompu par le patient lui-même, il est importantde maintenir le suivi et la surveillance en raison d’unrisque de rechute. Lorsque l’interruption du

traitement est secondaire à la survenue d’effetsindésirables gênants, plusieurs alternatives peuventêtre proposées : reprise du même antidépresseur,mais à posologie réduite (la posologie peut êtreadaptée, pour certains produits, en fonction dudosage sanguin de l’antidépresseur) ; prescription decorrecteurs des effets indésirables pouvantsupprimer ou atténuer ces effets ; changementd’antidépresseur. Dans tous les cas, il est importantd’encourager le patient à reprendre un traitementantidépresseur du fait d’un risque précoce derechute.

Ce syndrome est en pratique peu reconnu par lescliniciens car il est le plus bénin et peu spécifique. Lessyndromes de sevrage des antidépresseurs sont dequatre types :

– trouble somatique général et gastro-intestinal(nausées, vomissements, douleurs abdominales,anorexie, diarrhée, malaises, frissons, sensation defatigue, myalgies, céphalées), associé à de l’anxiétéet de l’agitation ;

– troubles du sommeil à type d’insomnies dedébut et de milieu de nuit, ainsi que descauchemars ;

– troubles moteurs à type d’akathisie ou desyndrome parkinsonien ;

– manie ou hypomanie.Le syndrome de sevrage peut également se

manifester par d’autres signes, plus rares tels que desattaques de panique, une arythmie cardiaque, uneconfusion mentale.

Les facteurs de risque d’apparition du syndromede sevrage des antidépresseurs sont : un traitementprolongé avec de fortes doses, l’utilisationd’antidépresseurs particulièrement anticholi-nergiques.

Les principaux diagnostics différentiels sont unerechute dépressive, des effets indésirables des

En cas d’arrêt brutal d’un traitementantidépresseur par tricycliques ouIMAO, il existe un risque de syndromede sevrage. L’incidence de cesyndrome est de 21 à 55 % selon lesétudes.

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antidépresseurs, un syndrome de sevrage desbenzodiazépines ou des barbituriques.

La pathogénie de ce syndrome demeure malconnue. Les explications concernant la pathogéniedu syndrome procèdent d’un raisonnementanalogique. Les auteurs comparent les effets desagonistes ou des antagonistes cholinergiques ounoradrénergiques aux signes de sevrage desantidépresseurs. Les signes de sevrage seraient liés àun phénomène de rebond entraînant unehyperactivité cholinergique et noradrénergiqueessentiellement.

Le meilleur traitement est la reprise du traitementantidépresseur.

■Interruption d’un traitement

neuroleptique

‚ Interruption après guérisond’un épisode maniaque

L’évolution sous traitement d’un accès maniaqueest très variable. Aucun critère ne permet de prévoirla durée du traitement. En pratique, la duréemoyenne du traitement d’un accès maniaque est de3 à 4 mois.

L’interruption du traitement se fait de manière trèsprogressive et sous surveillance étroite. Ladiminution des doses est guidée par deux facteurs :d’une part, l’apparition de signes d’intolérance(signes de sédation notamment) ; d’autre part,l’apparition de signes cliniques de rechute maniaqueou de virage dépressif.

‚ Interruption au sortir d’un épisodepsychotique aigu n’entrant pasdans le cadre d’un trouble thymique

Pour un épisode psychotique aigu réactionneldont la guérison est complète

La majorité des auteurs proposent une durée detraitement de 6 mois avec un suivi d’une année. Encas d’interruption du traitement contre avis médicallors de cette période, le patient devra être encouragéà reprendre le traitement en raison d’un risque derechute à court terme.

L’interruption du traitement en accord avec lepsychiatre traitant devra se faire de manière trèsprogressive. Elle pourra s’effectuer en fonction dedeux paramètres : d’une part, apparition d’unemoins bonne tolérance au traitement (notamment,apparition d’une sédation) ; d’autre part, larésurgence de signes cliniques (réapparition d’uneactivité délirante par exemple).

Pour un épisode psychotique aigu entrantdans le cadre d’un trouble schizophrénique

Le traitement neuroleptique ne doit pas êtreinterrompu au décours de l’accès. Un traitementneuroleptique d’entretien est poursuivi à dosesminimales permettant de contrôler lasymptomatologie.

Dans certains cas, une interruption de traitement,de plus ou moins longue durée, peut être envisagéeaprès une durée minimale de 2 ans de traitement,tout en maintenant une surveillance et un suivi

réguliers. Les indications médicales d’interruption detraitement restent mal codifiées et affaires de casparticuliers. Les risques et les avantages d’uneinterruption de traitement sont à évaluer pourchaque patient par le psychiatre traitant, encollaboration avec la famille. Ces interruptionspeuvent s’effectuer sous différentes modalités(fenêtres thérapeutiques, interruptions prolongéesde traitement).

En cas d’interruption du traitement par le maladelui-même, il est important de maintenir un lienthérapeutique avec le malade et de l’accompagnerdans ce moment évolutif. L’utilisation deneuroleptiques à action prolongée diminue le risqued’interruption du traitement.

Interruption d’un traitement neuroleptiquedans le cadre d’un délire chronique

Les traitements neuroleptiques doivent être engénéral poursuivi au long cours, même si leurefficacité est variable selon le type de délire. Untraitement neuroleptique ne doit donc pas êtreinterrompu dans ce cadre diagnostique, en raisond’un risque de recrudescence délirante.

■Interruption d’un traitement

thymorégulateur

‚ Interruption dans le cadred’un projet thérapeutique

Elle peut être envisagée et négociée avec lepatient au bout de 3 ans de traitement sans rechute.Elle sera accompagnée d’une surveillance étroite enraison d’un risque de rechute, maniaqueessentiellement, précoce.

‚ Interruption par le patient lui-même,contre l’avis médical

Les patients thymiques interrompent fré-quemment leur traitement thymorégulateur. Lestaux de non compliance varient de 30 à 70 % selonles études. Les principaux facteurs de non-compliance sont d’une part, les effets indésirables dutraitement, et en particulier, les effets délétères dutraitement sur le fonctionnement psychologique ;d’autre part, les avantages liés à la maladie, etnotamment aux phases hautes de celle-ci.

Le risque principal d’une interruption detraitement est une rechute précoce (maniaque ouhypomaniaque surtout). Pour le lithium, il existeraitégalement selon certains auteurs, un risque desyndrome de sevrage à l’arrêt brutal, ainsi qu’unrisque de résistance ultérieure à la reprise dutraitement.

Des conduites de prises en charge ont étéproposées et démontrées efficaces pour améliorer lacompliance : une alliance thérapeutique de bonnequalité, une information détaillée sur la maladie etson traitement au patient et à sa famille, despsychothérapies de groupe et/ou personnelle, uneprise en charge du couple (allant d’un simple soutienà une psychothérapie plus structurée). Lorsque leseffets indésirables du lithium sont trop gênants etfacteurs de non-compliance, une baisse de la

posologie peut être proposée et permettre laréduction, voire la suppression de ces effets qui sonten général dosedépendants. Lorsque ces effetsrestent trop invalidants, on peut proposer unchangement de thymorégulateur.

■Interruption d’un traitement

benzodiazépinique

Les benzodiazépines sont des anxiolytiques bientolérés et efficaces ; elles sont de ce fait largementprescrites et ne font pas l’objet de problèmes decompliance comme les autres psychotropes. Leproblème n’est donc pas tant celui de la complianceau traitement, mais à l’inverse celui d’unesurconsommation. Lors de l’instauration d’untraitement anxiolytique, le patient sera prévenu quece traitement devra être transitoire dans le mesuredu possible.

Même en l’absence de surconsommationmanifeste, les benzodiazépines peuvent être àl’origine, lors de l’interruption du traitement, desymptômes somatiques et psychiques divers : signesde rechute ou rebond anxieux, signes de sevrageinduits par l’arrêt du traitement.

Les rebonds anxieux correspondent à laréapparition des symptômes anxieux présents avantle traitement ; ils peuvent être plus sévère que lessignes anxieux initiaux. Les signes de sevrage sontdes symptômes différents de ceux dont souffrait lepatient avant la prescription d’anxiolytiques. Ilsapparaissent en même temps que les signes derebond ou de rechute et sont de ce fait difficiles àdistinguer.

Les symptômes de sevrage sontmultiples et peu spécifiques ; ilsapparaissent dans les 3 jours suivantl’arrêt des benzodiazépines. Les signesles plus fréquents sont l’anxiété,l’insomnie, les étourdissements,l’agitation, l’irritabilité et la tensionmusculaire. Mais d’autres symptômespeuvent également s’observer tels quedes nausées, une perte de l’appétit, uncoryza, une hypersensibilité au bruit,des sueurs, des tremblements, desdouleurs diverses, des cauchemars, destroubles de la vision. Dans les formessévères, on retrouve des crisescomitiales, des étatsconfusohallucinatoires, des étatsdélirants. Certains symptômesapparaissent plus spécifiques : unehypersensibilité aux stimuli sonores,visuels et olfactifs, à la douleur, desaccès de dépersonnalisation et dedéréalisation, une sensation de goûtmétallique dans la bouche etl’impression que les objetsenvironnants se meuvent alors qu’ilssont immobiles.

7-0320 - Interruption des traitements en psychiatrie

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Page 141: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

Le mécanisme physiopathologique du syndromede sevrage des benzodiazépines est unedésinhibition centrale secondaire à une diminutionbrutale du fonctionnement GABAergique résultantde l’arrêt de la stimulation des récepteursGABAergiques par les benzodiazépines. Cettedésihinibition centrale entraîne une hyperactivité desneurotransmetteurs cérébraux, et en particulier de lanoradrénaline, à l’origine des signes cliniques etbiologiques du syndrome de sevrage.

En cas d’interruption de benzodiazépineshypnotiques, peut survenir une « insomnie desevrage » marquée par un allongement du délaid’endormissement, un sommeil fragmenté, et uneaugmentation de l’activité de rêve correspondant àun rebond de sommeil paradoxal. Un deuxièmetype de troubles du sommeil à l’arrêt deshypnotiques a été appelé insomnie de rebond. Ils’accompagne d’une diminution du temps desommeil total et de réveils précoces.

Les facteurs de risque du syndrome de sevragesont les suivants :

– des posologies élevées, comme pour la plupartdes autres médicaments ;

– une durée prolongée de traitement ; après 4 à8 mois de prise quotidienne, le risque de syndromede sevrage est important ;

– des antécédents de dépendance auxbenzodiazépines ou à l’alcool ;

– une maladie chronique somatique oupsychiatrique ;

– les troubles de la personnalité de typedépendant ou borderline.

Les benzodiazépines à demi-vie courten’induisent pas plus souvent des syndromes desevrage, mais les sevrages qu’elles peuventprovoquer sont plus précoces.

Le traitement du syndrome de sevrage desbenzodiazépines est avant tout préventif, consistanten un « sevrage protégé », c’est-à-dire une diminutiontrès progressive de la posologie. Les patients traitésau long cours à doses thérapeutiques par desbenzodiazépines devront être informés qu’ils nedoivent pas interrompre brutalement leurstranquillisants, et ce d’autant qu’ils présentent unemaladie somatique ou psychiatrique chronique ; etprévenus des risques de syndrome de sevrage encas d’arrêt brutal du médicament.

Les conditions de sevrage varient en fonction dumode de consommation des benzodiazépines. Plusle traitement a été prolongé et à doses élevées, plusle sevrage s’effectuera progressivement.

Le risque d’apparition d’un syndrome de sevrageest rare. Il ne doit donc pas conduire à interrompre

un traitement par benzodiazépines lorsque celui-cis’avère indispensable pour équilibrer un troubleanxieux chronique ou une anxiété paroxystique detype panique.

■Interruption d’un traitement

psychotrope dans des situations

particulières

‚ Pendant la grossesse

Ce sujet fait l’objet d’un chapitre à part (« Règles deprescription des psychotropes pendant lagrossesse »).

‚ Confusions mentalesd’origine médicamenteuses

L’ensemble des psychotropes peuvent induireune confusion mentale (antidépresseurs,thymorégulateurs, antiparkinsoniens, voireneuroleptiques et benzodiazépines), surtout surcertains terrains fragilisés (personnes âgées) et danscertaines conditions spécifiques selon les produits(déshydratation pour le lithium). Le traitementrepose alors sur l’arrêt du produit incriminé et letraitement symptomatique de la confusion enévitant d’aggraver celle-ci (lorsque la confusion estsecondaire à la prise de benzodiazépines ou deneuroleptiques).

Véronique Olivier : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : V Olivier. Interruption des traitements en psychiatrie.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0320, 1998, 3 p

R é f é r e n c e s

[1] Goodwin F, Jamison KR. Medication compliance. In : Manic-depressive ill-ness. New York : Oxford University Press, 1990 : 746-762

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Interruption des traitements en psychiatrie - 7-0320

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Médicaments pharmacologiquement

inactifs en psychiatrie

V Olivier

L es anxiolytiques ne permettent en aucun cas de traiter correctement un trouble dépressif.

© Elsevier Paris.

■Introduction

Certaines formes cliniques de maladie mentalesont de diagnostic difficile, car elles sont caractériséespar une symptomatologie non spécifique(psychiatrique ou somatique) masquant ouremplaçant les signes spécifiques de la maladie. Deplus, ces signes peuvent être difficiles à mettre enévidence parce que le patient et/ou son entourageles ignorent, voire les nient lorsqu’il existe uneréticence à admettre la présence d’une maladiementale. Enfin, certains signes spécifiquesn’apparaissent qu’après plusieurs mois ou annéesd’évolution.

Pour ces différentes raisons, il est parfois difficilede déterminer la nature des troubles présentés parun patient ; le délai de prise en charge de certainspatients souffrant d’une pathologie psychiatrique estdonc souvent important. Dans certains cas, untraitement symptomatique peut être rapidementproposé pour soulager le patient, mais ce traitementne sera pas actif sur le trouble lui-même et risqueramême de l’aggraver.

La prescription de médicaments « pharmacologi-quement inactifs » chez un patient consultant pourune souffrance ou des difficultés psychologiques estsouvent liée à une mauvaise orientationdiagnostique.

■Risque de méconnaissance

d’un trouble psychiatrique

Ce risque ainsi qu’une prise en charge inadéquatesont, en médecine générale, fréquents pour lestroubles dépressifs. En effet, un diagnostic dedépression peut être difficile à poser, principa-lement pour deux raisons.

■ D’abord, certaines difficultés psychologiquespeuvent apparaître réactionnelles à un ou desévénements de vie stressants, et de plus êtreminimisées ou banalisées par le patient.

■ Ensuite, plusieurs formes cliniques dedépression sont particulièrement trompeuses : la« dépression masquée », où les symptômesdépressifs sont au second plan, masqués par unesymptomatologie différente, le plus souventsomatique (surtout algique), les « équivalentsdépressifs », où des troubles d’allure névrotiqued’apparition récente remplacent les signesdépressifs, les « dépressions anxieuses », où l’anxiétéest au premier plan, masquant le ralentissementdépressif ; les dépressions chez le sujet âgé, où dessignes d’allure démentielle (altération des fonctionscognitives, troubles du comportement) peuventmasquer la symptomatologie dépressive...

■Traitement

Un trouble dépressif peut ainsi passer inaperçu, etseuls les signes apparents rapportés par le patientseront traités :

– traitement anxiolytique d’un état anxieux ;– traitement antalgique d’une douleur chronique,

persistante, de cause inconnue ;– traitement symptomatique d’un état démentiel ;– cure de vitaminothérapie et/ou de sels

minéraux (magnésium) dans des états de fatigueprolongée, sans cause organique retrouvée...

Lorsque ces traitements symptomatiquess’avèrent inefficaces ou partiellement efficaces, ilfaudra suspecter un trouble dépressif et effectuer unentretien psychiatrique attentif afin de mettre enévidence des signes dépressifs spécifiques.

‚ Médicaments

Les plus fréquemment prescrits dans les étatsanxiodépressifs sont les anxiolytiques, et en particulierles benzodiazépines. De nombreuses dépressionsd’intensité « modérée » sont traitées par desanxiolytiques au long cours qui ne peuvent permettrequ’une amélioration transitoire de l’état dépressif enagissant sur la composante anxieuse de la dépression.Ces médicaments ont l’avantage d’être rapidement

« efficaces » (ils soulagent rapidement les patients deleur anxiété) et d’être bien tolérés. Cependant, ils n’ontaucune action antidépressive spécifique.

Ils ne permettent donc en aucun cas de traitercorrectement un trouble dépressif, au contraire, ilsfavorisent les principales complications desdépressions : rechutes et récidives dépressives,suicides, dépressions chroniques et/ou résistantesaux antidépresseurs, séquelles psychologiques.

Certaines dépressions majeures ne sont traitéesqu’avec des anxiolytiques (19 % des dépressionsmajeures selon une étude récente), continuant ainsià s’aggraver, et sont par ailleurs associées à unrisque de passage à l’acte suicidaire important facilitépar l’effet désinhibiteur de ces médicaments.

■Conclusion

Les anxiolytiques font l’objet de règles deprescription bien codifiées. Dans tous les cas, laprescription d’un anxiolytique doit être transitoire etde courte durée ; l’indication d’un tel traitement doitêtre régulièrement réévaluée. Son inefficacité ou sonefficacité partielle doivent faire suspecter unedépression et imposent un réajustementthérapeutique.

Les anxiolytiques sont desmédicaments pharmacologiquementinactifs dans la dépression.

Un trouble anxieux ou d’allurenévrotique d’apparition récente etréagissant mal à un traitementanxiolytique bien conduit doit fairesuspecter une dépression et imposeune consultation spécialisée.

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Positions inadéquates

face à l’acte suicidaire

Y Sarfati

L e rôle du généraliste dans la prise en charge du suicide est central.

© Elsevier, Paris.

■Introduction

Avant le geste, le médecin généraliste est souventsollicité par son patient, sans d’ailleurs que celui-ci luiparle forcément de ce qu’il prémédite. Pendant lapériode de crise que représente le geste suicidaire,quelle que soit son issue, il est à l’interface desdifférents intervenants (patient, spécialistes, famille).Après le geste, lorsqu’il n’est pas létal, il est confrontéà la prise en charge d’une situation psychiatriqueambiguë, qui n’a pas les caractéristiques d’une« maladie » à proprement parler. Ce chapitre sepropose d’éclaircir les positions possibles face à l’acte—ou à la menace d’acte— suicidaire.

Trois arguments doivent suffire à prouverl’importance du rôle du généraliste devant uneconduite suicidaire.

Premièrement, la plus grande majorité des sujetsfaisant une tentative de suicide (TS) n’a aucuncontact ni avec un établissement psychiatrique, niavec aucune structure hospitalière. C’est donc biensouvent les familles et leur médecin qui ont à« gérer » la situation. On évalue à 25 % seulement laproportion d’adolescents ayant, après TS, unequelconque prise en charge spécialisée, sociale oupsychologique.

Deuxièmement, il a été prouvé qu’il existaitréellement une demande d’aide préalable au suicide.Cette demande peut être formulée auprès d’unprêtre, d’une assistante sociale, d’un psychiatre, maisc’est le plus souvent le généraliste qui la reçoit. Uneétude britannique a montré 80 % des suicidantsconsultent leur médecin de famille dans le mois quiprécède leur geste, et 50 % dans la semaine quiprécède leur geste. Une étude finlandaise montreque les sujets ayant l’intention de se suicider enparlait souvent à leur médecin : dans un quart descas avant une première tentative, dans la moitié descas chez les récidivistes.

Troisièmement, une étude suédoise a montréqu’une formation spécifique aux médecinsgénéraliste d’une île permettait de réduire dansl’année qui suivait le taux de suicide de 50 %.

Le médecin de famille joue donc un rôle deprévention secondaire du suicide, par le soutien, lestraitements qu’il propose, l’accès aux soins qu’ilpermet. Il joue surtout un rôle de préventionprimaire en ayant le pouvoir d’influer sur quelquesparamètres fondamentaux autant pour la fréquence

que pour la gravité du suicide : l’attention qu’il porteà la menace suic idaire , la disponibi l i té(éventuellement téléphonique) qu’il peut avoir, laréduction de la prescription de produits dangereux,l’amélioration du diagnostic et du traitement destroubles psychiatriques.

La position à adopter est souvent délicate,toujours individuelle et répond aux seuls expérienceet bon sens cliniques. Dans un certain nombre decas, le bon sens peut conduire à des attitudesantithérapeutiques. La banalisation ou ladramatisation du geste suicidaire ne sont jamaisanodines et ont toujours un impact sur les patients,même à retardement. Nous garderons à l’esprit queles chiffres, les études sociologiques et les conduitesà tenir sont d’un faible recours face à un gestesuicidaire qui n’est qu’un drame personnel, etqu’aucune loi établie sur des généralités nes’applique directement à un individu. Néanmoins,quelques situations présentées ci-après, bienévidemment réductrices et schématiques doiventpouvoir rendre compte des stratégies possibles faceau suicide, et des erreurs à éviter.

■Épidémiologie

‚ Suicide

La France se situe pour le taux de suicideslégèrement au-dessus de la moyenne européenne,qui est à 17 pour 100 000. Avec un taux récemmentévalué à 22 cas pour 100 000, notre pays doit faireface à un grave problème de santé publique,d’autant que ce chiffre est en constanteaugmentation. En 1993 et 1994, donc, plus de12 000 personnes décédaient chaque année parsuicide en France.

‚ Tentatives de suicide

Le taux des TS est beaucoup plus considérable, etprobablement très sous-évalué. Il est difficiled’obtenir une estimation fiable, puisqu’il n’existeaucun recueil statistique officiel des tentatives desuicide. Une étude de l’Organisation mondiale de lasanté (OMS) parue très récemment et concernant lapériode 1989-1992 estime le taux de TS en Europe à136/100 000 pour les hommes et 186/100 000pour les femmes. En France, où les taux moyens sontplus élevés, on chiffre à au moins 100 000 lenombre de TS annuelles.

‚ Cas particulier des adolescents

Ce fléau touche majoritairement par sa fréquenceet par son impact social la tranche d’âge 15-24 ans.Plusieurs chiffres sont particulièrement parlants.Dans cette tranche d’âge, le taux de suicide aaugmenté —entre 1950 et 1983— de 100 % pour lesfemmes et de 150 % pour les hommes. Toujoursdans cette tranche d’âge, le suicide représente ladeuxième cause de mortalité (10 à 20 % des décès)derrière les accidents de la voie publique qui sontparfois des TS déguisées (40 % des décès). Enfin, onestime entre 5 et 9 % les jeunes entre 12 et 24 ansqui font au moins une tentative de suicide, ce qui estconsidérable. En données absolues, on estime à40 000/an les gestes suicidaires dans cette tranched’âge.

■Différentes présentations

‚ TS et trouble mental

Le taux de suicide réussi est 10 fois supérieur chezles patients psychiatriques que dans la populationgénérale et 30 fois supérieur si l’on considère le seulsous-groupe des patients déprimés. Parmi lespatients morts par suicide, les chiffres retrouvent enmoyenne : 60 % de sujets souffrant de dépression(dont 10 % de patients maniacodépressifs), 10 % deschizophrènes, 10 % de psychotiques nonschizophrènes. Toutes les études réaliséesconfirment que 90 % à 95 % des sujets morts parsuicide souffriraient d’un trouble mental caractérisé.

Tous ces chiffres, dont certains sont à prendreavec précaution, puisque dans certaines études, lesdiagnostics de maladie mentale sont posés après lamort, soulignent néanmoins de façon éclatante lafréquence et la gravité du suicide chez les patientssouffrant de troubles mentaux avérés.

Il est important de toujours rechercher l’existenced’un trouble mental (le plus fréquemment unedépression) chez les patients suicidaires ou supposéstels. Le diagnostic de trouble mental (quel qu’il soit)avec risque suicidaire doit s’accompagner d’unsoutien extrêmement rapproché et/ou spécialisé,voire d’une hospitalisation. Il a été prouvé que lessoins et le suivi psychiatrique diminuaient lamortalité par suicide chez les patients souffrant detroubles mentaux sévères.

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‚ TS et rupture sentimentale

Prônée par les Romantiques ou totalementbanalisée, la TS après rupture sentimentale a unstatut particulier. Aujourd’hui encore, une conduitesuicidaire dans ce contexte est socialement perçuepositivement. Les enquêtes montrent que les fillesvalorisent plus ce recours que les garçons,expliquant une partie de la sur-représentationféminine chez les sujets faisant une ou plusieurs TS.

Ni forcément dramatique, ni forcément anodine,la TS après rupture sentimentale doit être replacéedans chaque contexte individuel. Contrairement àune tendance qui paraîtrait naturelle « TS simple, carla cause en paraît immédiatement décelable », elledoit inciter à ne pas faire l’économie d’uneévaluation psychiatrique. Celle-ci doit repérer,notamment, l’intensité de la dépression sous-jacenteet du désir de mort, les capacités qu’aura le sujet àsurmonter le deuil que représente la séparation. Unentourage de mauvaise qualité ou absent, un faibleniveau intellectuel, une mauvaise capacité deréflexion et d’introspection, une insertionsocioprofessionnelle insatisfaisante sont de mauvaispronostic et doivent faire redoubler de prudence(risque de récidive).

‚ TS dite « grave »

Les TS dites « graves » démontrent une volontéfarouche de mourir. Plusieurs éléments peuvent êtredes indices de l’intensité du désir de mort.

‚ TS dite « appel à l’aide »

Des études épidémiologiques montrent qu’unefrange de TS peut être qualifiée d’« appel à l’aide » oude « SOS », voire de « chantage » à l’égard del’entourage. Ces gestes ont été décrits comme unphénomène de société (étant entendu par ailleursque les facteurs culturels ont une influenceconsidérable sur le taux de suicide selon les pays).

Dans les sociétés occidentales modernes, les êtresprennent une autonomie plus grande, s’individua-lisent et deviennent responsables seuls. Cette« libération » a ses revers de médaille : chaque

individu est plus isolé face aux difficultés qu’ilrencontre. Il peut de moins en moins compter sur unmilieu proche, familial, professionnel, religieux.

Certains sociologues ont pu juger que la TSpouvait être un moyen commode pour provoquerune aide, pour mobiliser un entourage plus oumoins proche. La société moderne aurait malgré ellefavorisé ce mode d’expression chez certains sujetsfragiles pour obtenir le réconfort, le maternage, ou lesecours qu’ils n’obtiendraient pas sans cela. Cessujets ont pu être appelés des « parasuicidants ».Dans cette optique, l’aide apportée à court et àmoyen terme aux parasuicidants peut devenirantithérapeutique : elle peut favoriser lecomportement suicidaire et/ou la récidive. Certainsont pu même suggérer que les réseauxinstitutionnels d’aide aux parasuicidants (urgencesdes hôpitaux, services de psychiatrie, soutientéléphonique, etc) incitaient aux TS et contribuaient àaccroître leur nombre d’année en année.

Ces considérations, entre sociologie etphilosophie, sont valables à l’échelle d’unepopulation et sont des éléments intéressants deréflexion. Elles sont peu « pratiques » dans le cas d’unsujet pris individuellement et ne doivent, bien sûr,pas inciter à ne pas répondre aux « appels à l’aide »des parasuicidants. En revanche, elles doiventamener à se poser la question du bénéfice que peuttirer un sujet à exprimer sa détresse sur ce seulmode, sans qu’il y ait d’autre trouble mental associé.Il faudrait alors dans ce cas, ne pas dramatiser, etinciter le sujet à s’exprimer verbalement, plutôt qued’avoir recours à un « passage à l’acte ». Cetteindication est d’autant plus difficile à tenir que cesont ceux qui ont, justement, le moins de capacité à« verbaliser » qui ont le plus volontiers recours à la TSpour se soulager de tensions internes.

‚ TS à l’adolescence

Les 75 % des actes suicidaires chez l’adolescentsont précédés par un facteur déclenchant. Certainsde ces facteurs sont spécifiques à l’adolescence :

– pour les plus jeunes : échec scolaire, mauvaisenote ;

– pour les plus âgés : perturbation de ladynamique familiale (chômage, divorce, alcoolismeou maladie psychiatrique d’un des parents, décès) ;manque de communication dans la famille, voireviolences familiales.

Les TS chez l’adolescent ont souvent étéconsidérées, à tort, comme un « appel à l’aide » ouune « fuite ». Trop fréquente aussi la tendance quiconsiste à expliquer la conduite suicidaire du jeunepar l’équation : facteur causal + impulsivité =passage à l’acte. Le risque de cette interprétation,c’est de banaliser l’acte. Une TS chez un adolescentest toujours un geste grave, qui ne doit absolumentjamais être banalisé. Toutes les études montrent queles suites d’une première TS chez les adolescentssont marquées par plusieurs risques.

Il existe un consensus pour préconiserl’hospitalisation systématique de toute TS àl’adolescence, qui doit avoir plusieurs buts :

– réaliser une évaluation psychiatrique ;– évaluer le contexte sociofamilial ;– lutter contre le déni de l’adolescent de la gravité

de son geste ;– lutter contre la banalisation de la famille ;– amorcer un lien thérapeutique.Actuellement, cet objectif est loin d’être atteint.

Seulement 25 % des adolescents entrent dans un

système de soins spécialisés après TS ; seulement20 % sont hospitalisés. Parmi ceux qui arrivent auxurgences des hôpitaux, 17 % ne sont pashospitalisés, pour différentes raisons.

Un des problèmes posés par l’hospitalisation enurgence des adolescents suicidants est ladisponibilité des services pédopsychiatriques, lieuxd’accueil bien sûr idéaux mais souvent débordés parla demande. Il ne faudra pas hésiter alors à proposerune hospitalisation en service de psychiatrie adulteou, mieux, en service de pédiatrie qui offre souventun meilleur environnement.

Meilleure sera la prise en charge initiale, plusgrandes seront les chances de suivi ultérieur. Lacompliance au suivi psychiatrique après TS (chez laportion des adolescents qui y ont eu accès) estmauvaise : 60 à 70 % de rupture de suivi. Le rôle dumédecin de famille doit donc être clairement incitatifen la matière.

‚ TS du sujet âgé

Les TS du sujet âgé sont en augmentation cesdernières années. En 1992, près de 50 % des 12 000suicides réussis étaient le fait de sujets âgés de plusde 55 ans (dont plus d’un tiers au-dessus de 75 ans).

Le vieillissement de la population explique enpartie cet accroissement. La TS des sujets âgésapparaît beaucoup moins comme un appel à l’aideque comme une fuite dans la mort de situationsinsupportables et accumulées : isolement, deuils,infirmités, maladie, etc. Le désespoir, la volonté demourir est, par conséquent, souvent intense, nonavouée, et le risque de récidive réussie est important.

La TS du sujet âgé ne peut donc être considéréecomme une « lubie », et ne doit pas être mise sur lesimple compte d’une « perte des facultés ».L’évaluation de la présence d’un syndrome dépressifest primordiale.

‚ Première TS

La première TS est un moment capital dans la vied’un sujet et doit être considérée comme uneeffraction brutale dans la vie psychique d’un sujet. Lepremier geste suicidaire et bien souvent marqué parle sentiment d’impuissance, à minima, l’impressiond’« impasse », au pire, le désir de mort intense. Lecaractère manipulatoire, de chantage oud’insatisfaction n’est qu’exceptionnellement présent.Par conséquent, il ne faut jamais négliger un premiergeste suicidaire, et ne pas le banaliser, comme celapeut parfois s’envisager pour les tentatives suivantes.

Par ailleurs, la première TS est un moment fortpour espérer avoir une action sur le devenir du sujet.

Indices de « gravité » de l’actesuicidaire

✔ Geste prémédité dans le plus grandsecret.✔ Organisation d’un plan et de« l’après-décès » (héritage,obsèques).✔ Isolement ; absence de secourspotentiel sur le lieu du geste.✔ Utilisation d’une méthode violenteou radicale :Arme à feu ; gaz ; arme blanche ;pendaison ; défenestration ; noyade ;empoisonnement (antivitamine K,caustiques, etc) ; injections desubstances dangereuses (insuline, air,etc) ; saut sous le métro, sous untrain ; accident volontaire de la voiepublique.✔ Présence d’un troublepsychiatrique avéré (dépression oupsychose).

Les risques prévisibles associés à unepremière TS chez un adolescent :✔ très grande fréquence des récidives,(toutes les données convergent pourprédire que 40 à 60 % vontrecommencer) ;✔ mortalité plus élevée par suicide etpar mort violente que dans lapopulation générale ;✔ troubles du comportement etconduites à risque ;✔ difficultés psychosociales ;✔ émergence de troublespsychiatriques dans 80 à 95 % des cas.

7-0350 - Positions inadéquates face à l’acte suicidaire

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Le premier contact avec le système de soins estprimordial est conditionne l’accrochage théra-peutique futur. Par ailleurs, « seulement » 40 % dessujets ayant fait une seule TS récidivent, alors qu’àpartir de trois TS, le risque de récidive est de 100 %.La prévention secondaire prend donc tout son senschez les sujets n’ayant qu’une seule TS à leur actif.

‚ « Nième » TS

Chez certains sujets, la TS peut devenir un moded’expression et de soulagement privilégié face à desdifficultés, des conflits, un sentiment de tensioninterne. Il s’agit le plus souvent de sujets présentantun trouble de la personnalité marquée parl’immaturité, l’impulsivité, la fragilité narcissique.Alors, les antécédents de TS ne se comptent plus.Une attitude fréquente est la lassitude de l’entourageet des soignants ayant à charge le sujetmultirécidiviste. Le risque est donc l’apparitioninéluctable d’une banalisation du geste. Celle-ci peutbien souvent paraître légitime, comme la seuleréponse face au sentiment général d’échec queconstituent les tentatives réitérées de suicides.

Néanmoins, il faut toujours garder à l’esprit qu’ilexiste une étroite corrélation entre suicide et TS.L’existence d’antécédents de TS est un des pluspuissants facteurs prédictifs de suicide réussi : 10 %des parasuicidants décèdent par suicide dans les 10ans qui suivent leur première TS.

‚ TS et hospitalisation

L’hospitalisation peut s’imposer immédiatementaprès le geste suicidaire. Soit qu’une surveillancemédicale soit nécessaire ; soit que le risquepsychiatrique soit au premier plan. En cas depassage en service de médecine, la rencontre avecun psychiatre ou un soignant spécialement formé

(psychologue, infirmier) se fait dans 75 % des cas.Elle peut aboutir sur une orientation secondaire enpsychiatrie. Le recours à l’hospitalisation souscontrainte peut s’avérer nécessaire. Le généralistepeut alors être sollicité pour appuyer la décisionauprès de la famille. Il devra alors veiller à collaborerétroitement avec le psychiatre, afin d’éviter lespositions paradoxales vis-à-vis du patient et de safamille.

Le sortir de l’hospitalisation est une périodeextrêmement sensible, et à haut risque suicidaire, etce alors même que le sujet semble aller beaucoupmieux à sa sortie de l’hôpital. L’augmentation defréquence des tentatives de suicide au décoursimmédiat d’une hospitalisation en psychiatrie estbien connue pour les patients schizophrènes et lespatients borderline. L’information et l’implication del’entourage et de la famille sont des points capitauxà ne pas négliger pour éviter ce type d’accidents.

‚ Intentions exprimées de TS

Il n’existe aucune corrélation entre les intentionsproférées et le passage à l’acte suicidaire. Un sujetdéterminé, mélancolique, parfaitement silencieuxsur ses intentions et masquant sa dépression à sonentourage est certainement plus dangereux qu’unsujet assurant à son conjoint avec force théâtralitéson intention de se tuer s’il ne cède pas à sonchantage.

Rappelons toutefois qu’une étude finlandaisemontre que les sujets ayant l’intention de se suicideren parlait souvent à leur médecin : dans un 25 % descas avant une première tentative, dans 50 % des caschez les récidivistes. Ce taux « d’information »augmenterait si les médecins eux-mêmes prenaitl’initiative de demander à leur patient, devant unchangement de comportement ou des signesdépressifs a minima, s’ils ont envie de mourir. Il a étéprouvé que cette question, difficile en soi, n’était pas

assez fréquemment posée au moindre doute, parpudeur et à tort. Les formules pourtant ne manquentpas : « faire une bêtise », « idées noires », « rejoindreceux que vous aimez », « disparaître », etc. Si certainspatients ne peuvent s’empêcher de pleurer face àune telle question (ce qui trahit assez en générall’intensité de leur désir et leur honte), il est rare que lesujet esquive la réponse et ne se sente pas soulagépar l’aveu.

Enfin, dans ce registre, il faudrait garder à l’espritque le sujet le plus secret peut toutefois émettre desremarques laconiques et sibyllines concernant le peude jours qu’il lui reste à vivre. Ces remarquesannonciatrices sont souvent négligées et réinter-prétées par l’entourage après la mort. Il faut y êtresensible, autant que faire se peut, et ne pas lesbalayer d’un déni affectueux « mais non, qu’est ceque tu racontes... », mais regrettable.

■Évaluation prédictive du suicide

Identifier un risque suicidaire pour un patientdonné et établir une stratégie préventive adaptéereprésentent un des problèmes les plus difficilesrencontrés en médecine. L’identification des facteursde risque peut être d’une certaine aide. Cependant,aucune échelle d’évaluation du risque suicidaire n’a,à ce jour, pu supplanter l’impression clinique.L’appréciation clinique est primordiale, l’analyse desfacteurs de risque ne saurait être qu’un appoint.

‚ Facteurs de risque suicidaire (tableau I)

Tableau I. – Facteurs de risque suicidaire (Extrait de : Paes de Sousa M. L’Encéphale, 1996, Sp IV : 28-34. Tableaux reproduits avec l’autorisation del’auteur).

Biomédicaux Psychologiques Socioculturels et environnementaux Symptomatiques

— Génétiques (antécédents familiauxde trouble affectif, de schizophrénie,d’alcoolisme, de suicide)

— Accumulation d’émotions — Sexe masculin — Idées de suicides

— Crises biologiques (puberté, gros-sesse, période puerpérale, climatère)

— Accroissement d’agressivité — Âge> 45 ans — Humeur dépressive sévère

— Maladie somatique grave, chroniqueet/ou conduisant à une invalidité

— Limitation progressive de la person-nalité (existentielle, interpersonnelle)

— Classes sociales hautes et basses — Insomnie

— Maladie psychiatrique : — Foyer détruit ou désuni pendantl’enfance

— Perte d’intérêt sévère

• dépression — Isolement social — Pessimisme• alcoolisme et toxicodépendance • célibataires, séparés, divorcés, veufs — Sentiments d’insuffısance• schizophrénie • échec sentimental — Culpabilité ou auto-accusation• anxiété • absence d’enfant — Agitation ou ralentissement• perturbation de la personnalité • éloignement de la famille — Sociabilité diminuée• maladie cérébrale organique • perte de rapports humains — Rage ou resssentiment

• déracinement, migragion — Autonégligence• emprisonnement — Mémoire diminuée• hospitalisation— Habitat socialement désorganisé— Chômage, conflit professionnel,difficultés économiques, retraite— Manques de buts et d’une tâchedans l’existence— Décès récent d’un proche— Printemps— Suicide dans l’entourage(suggestion)

Remarque : il s’agit des facteurs de risque objectivés pour le suicide ; les facteurs de risque pour la tentative de suicide en diffèrent quelque peu (par exemple, les facteurs socioculturels et environnementaux. cf texte).

Positions inadéquates face à l’acte suicidaire - 7-0350

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‚ Quels médicaments prescrire en casde risque suicidaire ?

Le praticien peut être contraint ou tenté deproposer une prescription médicamenteuse à unsujet chez qui il a, par ailleurs, repéré des facteurs derisque suicidaire. Ce cas de figure est fréquentlorsqu’une dépression (avec les idées suicidaires quivont avec) est diagnostiquée. Dans ce cas, letraitement antidépresseur paraît légitime, mais iln’est pas sans danger. Légitime, car c’est sur lui querepose le traitement du désir de mort et de sonorigine (l’état dépressif) ; dangereux, par l’utilisationque le sujet peut faire du traitement prescrit.

Le praticien doit garder à l’esprit que l’utilisationde psychotropes dans un but suicidaire représente lagrande majorité des TS. C’est, classiquement, lemoyen autolytique choisi chez la femme. Dans prèsde 100 % des cas, le patient ingère de manièreimpulsive les médicaments qui sont à sa portée. Lesexceptions sont le fait de TS longuementpréméditées et des TS des professions médicales etparamédicales, qui peuvent obtenir facilement lesproduits sans prescription. Une étude déjà anciennedémontrait que dans la moitié des cas, le patientingère les médicaments qui lui ont été prescrits, dansla semaine qui précède son geste, par son médecin.Le choix du produit et de sa létalité potentielle àfortes doses est donc un point crucial devant guiderla prescription.

Le chiffre élevé de passages à l’acte dans les joursqui suivent le début d’un traitement antidépresseurest une donnée maintenant bien connue. Toutes lesétudes montrent que les traitements antidépresseursprovoquent ce qu’on a appelé « une levéed’inhibition » qui favorise la réalisation d’un suicidejusque-là uniquement présent sous forme d’idéessuicidaires. Cette « levée d’inhibition » n’est pas oupeu observée sous placebo. Aucune différence entreles antidépresseurs n’a été à ce jour mise enévidence.

Des règles simples doivent pouvoir permettre deréduire le risque létal qu’induit le début de traitementantidépresseur chez un patient ayant une idéationsuicidaire marquée.

Ces précautions en tête, on se souviendrapremièrement que les risques auxquels exposent lesantidépresseurs sont dérisoires comparés à ceuxqu’induisent un état dépressif non traité.Deuxièmement que 75 % des suicides souspsychotropes sont constatés chez des patientsrecevant des doses inadéquates antidépresseurs(fréquent sous-dosage).

‚ Quand hospitaliser ?

L’hospitalisation s’impose dès que sont présentsles critères de gravité, tels qu’ils ont été définis dansla rubrique ci-dessus.

Dans le doute, l’avis d’un psychiatre peuts’imposer après un geste suicidaire, soit à domicile sil’état somatique le permet, le plus souvent en milieuhospitalier.

L’hospitalisation sous contrainte peut s’imposer. Sil’on prévoit une hospitalisation à la demande d’untiers, la rédaction du premier certificat médical et de

la demande de la famille avant d’adresser le patientaux urgences peut s’avérer, si elle est possible,extrêmement profitable à la suite de la prise encharge.

‚ Existe-t-il des « causes » aux TS ?

Il n’existe aucune cause connue aux tentatives desuicides. En dépit de nombreuses recherches de parle monde sur la transmission biologique du risquesuicidaire, ni le mode de transmission, ni le statutgénét ique ne sont connus. Les facteurspsychologiques ne peuvent plus être considéréscomme des « causes », même si les situations de« grand stress vital » ont pu être considérées commetelles.

Il n’existe donc que des facteurs épidémiolo-giques « de risques » ou de « vulnérabilité ». Ainsi, on apu montrer que le cumul de trois facteurs de risquesaugmentait par sept le risque suicidaire.

Yves Sarfati : Chef de clinique-assistant,service de psychiatrie du Pr JF Chevalier, hôpital Richaud, 1, rue Richaud, 78000 Versailles, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Y Sarfati. Positions inadéquates face à l’acte suicidaire.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 7-0350, 1998, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Baechler J. Une théorie stratégique du suicide.Encephale1996 ; n° spécialIV : 4-9

[2] Bourgeois ML. Les autopsies psychologiques dans l’étude du suicide.Encephale1996 ; n° spécial IV : 46-51

[3] Bouvard MP, Doyen C. Le suicide chez l’adolescent.Encephale1996 ; n°spécial IV : 35-39

[4] Granboulan V, Durand B. Prise en charge des jeunes suicidants à l’hôpital.Perspectives Psychiatriques1994-1995 ; 45 : 258-262

[5] Lejoyeux M, Léon E, Rouillon F. Prévalence et facteurs de risque du suicide etdes tentatives de suicide.Encephale1994 ; XX : 495-503

[6] Pokorny A. Prediction of suicide in psychiatric patients.Arch Gen Psychiatry1983 ; 40 : 249-257

[7] Vedrine J, Soubrier JP. Signification et prévention du suicide.Rev Prat1987 ;XXXVII : 711-718

Règles simples pour réduire la mortalité des TS médicamenteuses

✔ Éviter la prescription de psychotropes toxiques à fortes doses. Les plus incriminésdans les décès par surdosage sont :– les tricycliques, surtout amitryptiline (Elavilt, Laroxylt), doxépine (Quitascont,Sinequant), dibenzépine, désipramine (Pertofant), dothiépine ;– les neuroleptiques, surtout phénothiazine (Largadilt) ;– les carbamates.✔ Préférer la prescription antidépresseurs moins dangereuses :IRS essentiellement ;Si un tricyclique s’impose : clomipramine, imipramine, iprindole, trimipramine,maprotiline.✔ Éviter la coprescription de produits dangereux à fortes doses (paracétamol,salicylés, bêtabloquants...).✔ Adjoindre un traitement anxiolytique par benzodiazépine en début de traitementantidépresseur.✔ S’assurer éventuellement du soutien de l’entourage, sans toutefois infantiliser lepatient (fermeture de l’armoire à pharmacie).✔ Avoir recours à l’hospitalisation dès que le risque paraît grand.

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Anorexie mentale

S Criquillion-Doublet, MN Laveissiere-Deletraz

C ’est une pathologie fréquente et grave, deuxième cause de mortalité chez les adolescents.

© 1999 , Elsevier, Paris.

■Introduction

Les troubles du comportement alimentaire, etplus spécifiquement l’anorexie mentale et laboulimie, ont suscité un nombre très important detravaux de recherche depuis une quinzained’années.

Sur le plan épidémiologique, les études récentesindiquent une augmentation de leur fréquence, lagravité potentielle de la maladie anorexique, et sonrisque de chronicisation. Les récents travauxneurobiologiques soulignent le rôle des interactionsentre systèmes monoaminergiques, peptidiques etneuroendocriniens, ainsi que l’existence de facteursgénétiques probables.

Sur le plan psychopathologique, même si l’onretrouve chez ces sujets certains traits de caractèrecommuns, aucun type de personnalité spécifique nepeut être individualisé, l’anorexie se « greffant » surdes personnalités variées, éventuellementnévrotiques ou psychotiques.

Quel est l’impact réel des facteurs socioculturels,environnementaux, nutritionnels et familiaux sur ledéveloppement de la maladie ? Quel type detraitement faut-il proposer et dans quel cadre ? Quelssont les facteurs de pronostic ?

■Définition

L’anorexie mentale est définie selon les critèresdiagnostiques de la classification américaine desmaladies mentales DSM IV par :

– le refus de maintenir un poids corporelau-dessus d’un poids minimal normal pour l’âge et lataille (par exemple, perte de poids conduisant aumaintien du poids à au moins 85 % du poidsattendu, ou incapacité à prendre du poids pendant lapériode de croissance, conduisant à un poidsinférieur à 85 % du poids attendu) ;

– la peur intense de prendre du poids ou dedevenir gros, alors que le poids est inférieur à lanormale ;

– l’altération de la perception du poids ou de laforme de son propre corps, l’influence excessive dupoids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi,ou le déni de la gravité de la maigreur actuelle ;

– chez les femmes, absence d’au moins troiscycles menstruels consécutifs (aménorrhée primaireou secondaire). (Une femme est considérée commeaménorrhéïque même si les règles ne surviennentqu’après l’administration d’hormones, typeprogestatifs).

L’anorexie peut être de type restrictif : restrictionalimentaire stricte, sans recours à des crises deboulimie, aux vomissements provoqués, ou à laprise de purgatifs. Elle peut être de type boulimieavec vomissements ou prises de purgatifs demanière régulière.

■Rappels physiologiques

‚ Au cours de l’anorexie mentale

L’aménorrhée observée est dite hypothalamo-hypogonadotrope-hypoœstrogénique. Les progrèsrécents de la neuroendocrinologie ont profon-dément modifié nos connaissances sur les troublesdu fonctionnement hypothalamohypophysaire danscette maladie. On le sait, toute modification de poidsimportante induit une régression fonctionnelle dugonadostat, qui va atteindre au maximum un niveauprépubertaire.

À l’amaigrissement, principalement en cause,s’associent d’autres facteurs non négligeables : letype et l’intensité de la restriction alimentaire,l’hyperactivité physique, les facteurs psychoaffectifset l’âge (l’axe hypothalamohypophysaire estd’autant plus fragile qu’on est proche del’adolescence).

Les troubles ovariens observés ne sont que laconséquence d’un défaut de stimulationhypophysaire, lui-même lié à l’effondrement de lagonadotrophin releasing hormone (GNRH).

‚ À la phase avancée (maigreurmaximale)

Les taux de follicle stimulating hormone (FSH) etluteinizing hormone (LH) sont effondrés (LH/FSH = 1).La réponse à la GNRH est positive, mais de faibleamplitude. La pulsatilité de la sécrétion de LHn’existe plus. Les ovaires sont petits et sans signed’activité à l’échographie. Les taux des œstrogènes,de la progestérone et des androgènes (hormis ceuxdu SDHA [sulfate de déhydroandrostérone]) sonteffondrés.

■Aspects épidémiologiques

Un certain nombre de facteurs sont à l’origined’une sous-estimation de l’incidence réelle destroubles des conduites alimentaires, en particulierpour l’anorexie mentale. Trente pour cent despatients ne sont vus qu’une fois, dans des conditionsdiverses : chez le médecin généraliste, chez lespécialiste ou en milieu hospitalier à l’occasion decomplications somatiques. Un certain nombre demalades, par ce biais, échappent ainsi aux étudesmenées en milieu spécialisé.

Ces données soulignent la difficulté des enquêtesépidémiologiques qui permettent pourtant depréciser les différents facteurs de risque,l’organisation et l’attribution de thérapeutiquesadaptées. Il en va de même pour la boulimie, entiténosographique relativement récente. L’incidence del’anorexie mentale paraît augmenter depuis 20 ans,passant de 1/100 000 à 4/100 000, même si l’onprend en compte l’effet d’âge (c’est-à-dire laproportion de jeunes entre 15 et 25 ans dans lapopulation générale qui a augmenté ces 10dernières années), l’effet de cohorte (population d’unâge donné, soumise aux mêmes influencesculturelles, sociales ou économiques), ou encorel’effet de période (augmentation de l’intérêtmédico-socio-économique pour les troubles ducomportement alimentaire ces dernières années).

Ces effets semblent influer sur la fréquenceapparente ou réelle des troubles. L’anorexie toucheune population féminine, dans la proportion de dixfilles pour un garçon. L’âge de début se situe enmoyenne entre 16 et 17 ans. La moyenne d’âge dessujets dans les études cliniques est de 19 ans.L’incidence de l’affection pour les femmes se situantdans la tranche d’âge 16-25 ans est de 30/100 000.Dix pour cent des anorexies se révèlent avant l’âgede 10 ans. Classiquement, ce sont ces dernièresformes qui seraient les plus graves, par l’importancedes troubles de la personnalité associés et les retardsde croissance qu’elles occasionnent.

La prévalence de l’anorexie mentale (non plusl’incidence), en considérant que la durée moyenned’évolution est de 4 ans, serait de 1/100 000 chezles femmes entre 16 et 25 ans, 1/250 entre 14 et 18ans, 6,5/100 chez les danseuses et les mannequins.

L’épidémiologie clinique nous donne aussi desinformations sur l’évolution de la maladie : le

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pronostic à 3 ans est à peu près de un tiers deguérison, avec cependant 50 % de formeschroniques. Avec un suivi de 24 années, s’il existeenviron 60 % de guérison, le pourcentage de décèsest important (20 % des cas), alors que le nombre dedécès attendu pour cette population d’âge estd’environ 2 % : c’est la deuxième cause de mortalitédans la population adolescente.

■Facteurs étiologiques

L’origine multifactorielle de l’anorexie mentalesemble la plus probable.

‚ Facteurs génétiques

Les études récentes effectuées par l’équipe duprofesseur Russel plaident en faveur d’un facteurgénétique dans l’anorexie mentale. En effet, selon lesétudes, la concordance pour l’anorexie mentale chezles sujets monozygotes est de l’ordre de 50 à 60 %,contre 5 à 10 % chez les sujets hétérozygotes, et 5 %des femmes apparentées au premier degré de sujetsanorexiques ont eu une histoire d’anorexie.

‚ Facteurs physiologiques et nutritionnels

De nombreux travaux sur les mécanismesneurochimiques intracérébraux ont montré qu’ilexiste un grand nombre de systèmes deneurotransmission en jeu dans la régulation de l’étatnutritionnel et du comportement alimentaire. Cessystèmes monoaminergiques, neuropeptiques etneuroendocriniens (axe hypothalamohypophysaire)interviennent dans la mise en place d’ajustementsalimentaires qualitatifs et quantitatifs appropriés,sans que l’on puisse établir de façon formelle unerelation de causalité entre une dysrégulationneurochimique et l’existence de troublesanorexiques.

Les perturbations endocriniennes et métaboliquesobservées ne peuvent pas s’expliquer par la seuleperte de poids.

‚ Facteurs familiaux

L’approche des familles d’anorexiques n’a pas misen évidence d’éléments spécifiques, mais il estfrappant de constater, rappelle P Jeammet, l’absenced’autonomie de ces jeunes filles dans ces familles,l’enchevêtrement des liens affectifs, l’empiétementdes générations, la dérive incessante des relationstriangulaires vers des relations duelles plus ou moinsalternantes avec l’un ou l’autre parent, l’absence deleadership, la crainte et la non-expression desconflits au sein de la famille, seuls garants d’unecertaine « homéostasie » familiale.

‚ Facteurs culturels

Les facteurs socioculturels jouent un rôleindéniable dans la genèse de l’anorexie, du moinssont-ils largement incriminés comme facteursfavorisant l’éclosion de la maladie. Sans réduirel’anorexie mentale à un effet de mode esthétique defemme mince (l’anorexie existait déjà aux XVIIIe etXIXe siècles), l’image idéalisée du corps mince,maîtrisé et contrôlé, correspond sans aucun doute àune recherche de maîtrise des sensations, de mêmeque la recherche de performances physiques etintellectuelles se fait au détriment des échangesaffectifs.

‚ Facteurs de personnalitéCliniquement, certains traits de caractère

communs sont souvent retrouvés chez la jeunefemme anorexique : surinvestissement intellectuel,insatisfaction personnelle, manque de confiance ensoi, manque d’aisance sociale, sentimentd’insécurité, sans arrêt combattus par des attitudesperfectionnistes, méticuleuses et exigeantes, une vierelationnelle marquée par un comportementparadoxal avec maintien de relations dedépendance, attachement vis-à-vis de l’entouragefamilial, et tentative de suppléer à cette dépendancepar le déni de cet attachement. La sexualité estcomplètement désinvestie et la notion de plaisirn’existe pas.

Les difficultés d’expression verbale et d’expressiondes affects sont souvent présentes. Sur le planpsychopathologique, on ne retrouve pas depersonnalité « type » de l’anorexique. Les premièresdescriptions de jeunes filles anorexiques faisaientétat de structure hystérique ou obsessionnelle.Actuellement, toutes les études effectuées à l’aide dequestionnaires de personnalité retrouvent despersonnalités très diverses, allant des structuresnévrotiques à d’authentiques schizophrénies.

■Aspects cliniques

‚ Signes cliniques précocesLe début des troubles se situe classiquement à

l’adolescence (dans 8 % des cas seulement en phaseprépubertaire).

L’âge moyen de début est de 17 ans. Ledéclenchement des conduites restrictives survientalors qu’il existe une prise de poids souvent modéréeau moment de la puberté, associée ou non à desconduites de grignotages, ou même à unedésorganisation alimentaire fréquente dans cettepopulation d’âge. La décision d’effectuer un régime« sérieux » est souvent encouragée par l’entouragefamilial, du moins au début. Ensuite, une attitudeparticulière à l’égard de la nourriture, et de façonplus générale, du corps, puis de la relation à l’autrese développe au détriment des échanges affectifs.

La nourriture, ou plutôt son absence, devient unenjeu à l’insu de la famille. L’obsession de sentir soncorps de plus en plus mince génère des attitudesparticulières : la jeune fille saute des repas, stocke lesaliments dans ses poches, mâchonne, coupe enmenus morceaux, sélectionne et trie les aliments,tout en imposant à ses proches des prisesalimentaires riches et volumineuses. La restrictionalimentaire s’accompagne alors de vomissementscachés après les repas, parfois de prisesintempestives de laxatifs ou de diurétiques, et d’uneconsommation excessive de boissons.

De véritables rituels se mettent en place parrapport à la nourriture, aux repas familiaux, auxhoraires, mettant en relief une irritabilité croissante,un repli sur soi, et une tension qui deviennentinsoutenables pour la famille.

À ceci s’ajoute une hyperactivité, d’abordphysique, qui traduit cette obsession de maigrir, lesouci de maîtrise et la volonté d’aller au-delà deslimites du corps et de l’esprit. Dans un premiertemps, le déni est tel qu’elles rejettent en bloc l’idéed’une quelconque aide médicale. La demande deconsultation chez le médecin généraliste ou legynécologue est souvent à l’initiative des parents.

Ceux-ci signalent alors un symptôme isolé,comme les troubles menstruels (retard pubertaire,oligoménorrhée, aménorrhée primaire ousecondaire), qui reste modéré à ce stade et souvent« masqué » par la jeune fille qui se camoufle derrièreplusieurs épaisseurs de pull-overs.

Ils profitent de cette consultation dans undeuxième temps pour exprimer leur malaise devantleur enfant, jeune adolescente qui leur échappe etdont ils ne comprennent pas le changement decomportement : « elle était sans problème et atoujours eu envie de nous faire plaisir. » Ils décriventune enfant devenue soucieuse, morose ou triste, nesouriant plus, s’isolant de plus en plus, renfermée, demoins en moins expressive et spontanée, indécise,abandonnant un à un ses centres d’intérêt pour nes’intéresser qu’aux études, anxieuse et supportant deplus en plus mal de ne pas maîtriser le temps, le sienet celui des autres.

C’est au médecin d’être attentif et de savoir parleravec tact à cette mère anxieuse, puis de recevoir seulcette jeune fille qui paraît à la fois fragile etdéterminée à « maîtriser » ce corps dont elle neperçoit pas les limites et qu’elle souhaite le plusmince possible.

Cette prise de contact est extrêmement difficile,mais essentielle, car elle va largement conditionnerla suite de la prise en charge. Dès à présent, l’objectifde ce premier entretien est :

– d’évaluer l’importance du trouble alimentairesur le plan clinique par un examen physiquecomplet, souvent subnormal à ce stade : seule lapesée, difficile à accepter par la patiente, peut déjàrévéler un poids nettement inférieur à celuiannoncé ;

– de repérer l’existence de stratégies decontrôle du poids et d’expliciter à la jeune fille lagravité de ces conduites (hypokaliémie, œsophagite,problèmes dentaires), l’existence de conduitesboulimiques associées ou d’un mérycisme débutant,l’importance des troubles du schéma corporel (lajeune fille dit se sentir grosse au niveau du ventre,des fesses et des cuisses), la présence de troublespsychologiques associés (dysphorie, tristesse, voireplus rarement syndrome dépressif caractérisé), estparfois le seul point d’attache qui permet de nouer ledialogue lorsque le déni des difficultés alimentairesest au premier plan, l’intensité de l’anxiété (del’anxiété sociale, la peur de la sexualité et, plusgénéralement, la peur du passage à la vie adulte) ;

– enfin, d’apprécier le retentissement de lamaladie au sein de la famille ou de l’entourageproche, l’existence de graves conflits avec la famillepouvant eux-mêmes faire poser l’indication d’unehospitalisation rapide.

Les examens biologiques de base prescrits sontles suivants : numération formule sanguine (NFS)(anémie, discrète thrombocytopénie et leucopénieavec lymphocytose liée aux diurétiques et auxlaxatifs), ionogramme à la recherche d’unehypokaliémie et d’une hyperazotémie, protidémie etglycémie à jeun à la recherche d’une hypoglycémie,ferritine et fer sérique (anémie par carence ferrique),thyroid stimulating hormone (TSH) (syndrome debasse T3), amylasémie (élevée ou à la limitesupérieure de la normale lors de vomissements,boulimies associées ou mérycisme), électrophorèsedes protéines de nutrition (chute de protéine C) etélévation plus tardive du cholestérol plasmatique.

Ces examens permettront d’organiser unedeuxième consultation qui aura pour objectifs :

3-0775 - Anorexie mentale

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Page 149: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

– de faire prendre conscience, clinique (pesée) etbiologie à l’appui, de la réalité du trouble ducomportement alimentaire, de sa gravité et du risquede chronicisation ;

– de faire le lien entre l’existence de ces difficultésalimentaires et le « malaise psychologique » ressentiqui nécessite dès à présent une prise en chargespécifique par un psychiatre spécialisé dans letraitement des troubles du comportementalimentaire.

‚ Signes cliniques « tardifs »

Ce sont les manifestations d’une anorexie quiévolue depuis plusieurs années, celles que lapsychiatrie « adulte » découvre lors du premierentretien chez les jeunes filles ayant un cursusmédical déjà bien rempli : du médecin généralisteconsulté par les parents pour un conseil pendantl’adolescence, au médecin endocrinologue, puisgynécologue, puis dermatologue. Les consultationsauprès de spécialistes sont multiples et déclenchéespar la survenue de complications somatiquespréoccupantes.

Une grande partie de ces troubles sont liés à ladénutrition et aux stratégies de contrôle du poidsmises en place souvent précocement chez la jeunefille anorexique. La tolérance de l’organisme peutêtre extrême et les complications ne survenirqu’après une longue évolution.

L’amaigrissement est souvent spectaculaire,dépasse 25 % du poids initial, jusqu’à 50 % du poidsidéal théorique pour l’âge et la taille : le corps estefflanqué, anguleux, la silhouette est androïde, lafonte musculaire est massive.

La peau est sèche, écailleuse, les cheveux sontsecs, cassants, clairsemés, les ongles striés. On noteune hypertrichose avec un aspect de lanugo.

Les caries sont fréquentes, associées à uneérosion de l’émail dentaire plus marquée sur lesincisives supérieures (dents plus blanches) chez lesvomisseuses chroniques (depuis au moins 4 ans).

Les œdèmes sont fréquents : périorbitaires et auniveau des membres inférieurs, ils traduisent unabus de sel, l’excès d’apport liquidien (unepotomanie de plusieurs litres d’eau par jour esthabituelle), un trouble de la natrémie et/ou unehypoprotidémie.

Les troubles circulatoires se manifestant par uneacrocyanose des extrémités. L’hypotension artérielleet une bradycardie sont fréquentes.

Les troubles digestifs sont secondaires à larestriction alimentaire et souvent l’un des uniquesmotifs de consultation : constipation chroniqueaggravée par la prise intempestive de laxatifs quifavorise une stéatorrhée, une déperdition protéiqueet l’apparition de saignements intestinaux. Le retardde la vidange gastrique explique les sensations deballonnement intestinal et la difficulté à digérer dontse plaignent les anorexiques après l’ingestion denourriture.

L’aménorrhée est constante : elle succède à unamaigrissement net dans 25 % des cas, apparaît aumoment où le sujet commence à maigrir dans 55 %des cas, et débute avant la restriction alimentairedans 15 % des cas. Elle persiste le plus souvent,même après normalisation du poids. Les étudescatamnestiques récentes montrent que 55 %seulement des anorexiques retrouvent des cyclesmenstruels réguliers.

Les autres manifestations cliniques, telles quel’hypothermie et la frilosité, sont la conséquenced’une hypothyroïdie fonctionnelle (syndrome debasse T3).

L’ostéoporose est la principale complication quel’on doit redouter. Elle concerne en effet l’avenirosseux de la patiente et les séquelles, en particuliertardives, pourront être lourdes de conséquences.

On le sait, la masse osseuse totale (ou pic demasse osseuse) se constitue au cours de l’enfance etde l’adolescence, pour être définitivement acquisequelques années après l’apparition des règles et semaintenir jusqu’à 35 ans. Toute carence dudéveloppement osseux dans cette période sera doncirrécupérable par la suite.

Le rôle des hormones sexuelles sur laminéralisation du squelette est bien établi, maisd’autres facteurs interviennent. Chez l’anorexique, àl’aménorrhée hypo-œstrogénique sont associées laperte de poids avec la réduction de la massemusculaire, des carences nutritionnelles sévères etune hypercortisolémie.

La mesure de la masse osseuse permetd’apprécier l’importance de la déperdition osseusequi est abaissée en moyenne de 25 % par rapport àcelui des femmes témoins. En revanche, larenutrition avec reprise de poids, même avant leretour des cycles menstruels, entraîne une netteamélioration, sans que l’on puisse mesurerpleinement encore la qualité et la rapidité de cetterécupération qui reste le plus souvent partielle.

Les troubles cognitifs prennent la forme detroubles de l’attention, de la mémoire et de laconcentration, et se traduisent à l’examentomodensitométrique par une atrophie cortico-sous-corticale réversible, avec un élargissement des sillonset une dilatation ventriculaire.

‚ Complications

Peu fréquentes mais graves, elles se manifestenttardivement par rapport à l’état clinique dedénutrition dans lequel se trouvent ces sujets.

Mortalité

Les études récentes indiquent un taux demortalité allant de 5 à 18 % des cas à 15 ansd’évolution de la maladie. Parmi les causes de cetteévolution péjorative, ce sont les complications de ladénutrition (cachexie, infections et septicémies,insuffisance cardiaque ou rénale) et les troubleshydroélectrolytiques (arrêt cardiaque) quiprédominent. Le suicide est en revancherelativement rare (6 % des décès).

Troubles cardiaques

Cinquante pour cent des anorexiques présententdes signes particuliers à l’électrocardiogramme(même en l’absence d’hypokaliémie) : bradycardiesinusale avec inversion de l’onde T, aplatissement deT et sous-décalage de ST, bloc auriculoventriculaire,et parfois, tachycardie ventriculaire et arrêt cardiaque(hypokaliémie majeure).

L’œdème aigu du poumon survient lorsque laréalimentation (avec apport liquidien trop important)est conduite trop vite.

Complications infectieuses

Il s’agit essentiellement d’infections cutanées,urinaires et pulmonaires (herpès, mycoses à Gramnégatif et tuberculeuses). Elles sont majorées par la

perte de l’immunité cellulaire, se manifestentsouvent à bas bruit et sont traitées tardivement.

Crises convulsives

Elles sont rares et liées à une hypoglycémie aiguëou à une absorption liquidienne massive (supérieureà 10 L/j).

■Éléments du pronostic

Sont de mauvais pronostic les facteurs suivants :– le déclenchement de l’anorexie en phase

prépubertaire ou en fin d’adolescence ;– une durée longue de la maladie et de

nombreuses hospitalisations antérieures, même sil’on observe des rémissions tardives après plus de8 ans d’évolution de la maladie ;

– le déni massif des troubles ;– l’importance des troubles du schéma corporel ;– le degré d’amaigrissement et la rapidité de la

perte de poids ;– l’existence de conduites boulimiques et de

stratégies de contrôle de poids telles que lesvomissements et la prise intempestive de laxatifs ;

– la prise en charge tardive des troubles ;– l’existence de difficultés de communication et

d’expression des émotions au sein de la famille ;– la coexistence de troubles psychologiques

associés.

■Conduite à tenir

L’hospitalisation est indispensable lorsque leretentissement de l’anorexie menace le pronosticvital. Si celle-ci n’a pas été préparée au coursd’entretiens préalables, elle est souvent refusée parla jeune fille qui n’en comprend pas la nécessité, oumême par les parents qui souhaitent lerétablissement rapide de leur enfant tout ensupportant difficilement l’idée de la séparation lorsde l’hospitalisation.

L’hospitalisation « en urgence » ne doit êtreréservée qu’aux cas extrêmes, nécessitant aupréalable un séjour dans une unité de réanimationafin de pallier au plus vite les complications de ladénutrition et des troubles hydroélectrolytiques.

Pendant ce séjour en réanimation, si l’axethérapeutique est centré sur la réalimentation(celle-ci devra s’effectuer par voie entérale le plus tôtpossible, en limitant les perfusions aux correctionsdes troubles ioniques), il est extrêmement importantde préparer dès ce stade l’hospitalisation dans uneunité de soins spécialisée dans le traitement destroubles des conduites alimentaires.

En effet, l’hospitalisation ne se déroulera dans debonnes conditions que si la malade, la famille etl’entourage proche comprennent la nécessité dutraitement, adhèrent aux modalités de soinsproposées et inscrivent ce séjour hospitalier commeune première étape du traitement qui se poursuivraen ambulatoire pendant plusieurs mois ou mêmequelques années. Cette préparation, dans notreexpérience clinique, est fondamentale pour la suitedu traitement.

Les objectifs du traitement, en consultationexterne ou en hospitalisation, sont triples.

Anorexie mentale - 3-0775

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Page 150: Le Manuel Du Généraliste - Psychiatrie

‚ Réalimentation

Elle doit se faire de façon progressive et tenircompte des troubles quantitatifs et qualitatifs del’alimentation de la patiente. Une évaluation desconduites alimentaires individualisée est nécessaireà partir d’un questionnaire portant sur lespréférences alimentaires d’une part, et les choixalimentaires d’autre part. Un travail sur larediversification de l’alimentation s’avère aussifondamental que celui portant sur l’augmentationdu poids et doit s’effectuer très progressivement, enréintroduisant peu à peu les aliments considérés parla patiente comme étant de plus en plus difficiles àingérer.

En début d’hospitalisation, des supplémentscaloriques liquidiens sont parfois nécessaires.

‚ Reprise de poids

C’est un objectif essentiel, mais si cette reprise depoids ne s’accompagne pas d’une modificationdurable des habitudes alimentaires de la patiente,elle ne sera que de courte durée. Il est très importantde fixer avec la patiente, dès les premiers entretiens,le poids à atteindre qui tiendra compte du poidsidéal théorique (body mass index [BMI] = poids/taille2

entre 20 et 25) et du poids antérieur « stable » avantle début des troubles restrictifs.

‚ Moyens thérapeutiques utilisés

Deux phases sont prévues dans le contratthérapeutique qui mentionne les objectifs globaux ethebdomadaires.

La première phase est marquée par l’abordmédical des troubles somatiques et biologiques, uneréalimentation active mais pas trop rapide avec unereprise de poids de l’ordre de un tiers du poids àgagner, et la mise en place d’une approchepsychothérapeutique en fonction des éléments dubilan clinique et psychologique. C’est à cette phaseque se décide l’indication d’une éventuellehospitalisation si la réalimentation initiale n’est pasobtenue en ambulatoire.

La deuxième phase doit aboutir à unerestauration du poids et correspond à la mise en

place d’un traitement psychothérapique adapté ;selon le cas, on proposera une psychothérapiecomportementale ou comportementale et cognitive,centrée sur le comportement alimentaire, s’il existede grosses perturbations quantitatives et surtoutqualitatives de l’alimentation, des idées irrationnellesconcernant celle-ci ou de l’estime de soi. La thérapiefamiliale vise à modifier la structure familiale maladaptée à la résolution des conflits. Selon leprofesseur Russel, les thérapies familiales semblentefficaces lors de la prise en charge de sujets jeunes(< 19 ans) vivant dans leur famille ; leur efficacitéserait même supérieure à une prise en charge enpsychothérapie individuelle. Si l’indication dethérapie familiale ne se pose pas, des entretiensfamiliaux sont indispensables, comme laparticipation des familles au groupe de parents quipermet l’émergence d’émotions qui jusque-là n’ontpu être exprimées, même à l’intérieur de la famille.

La psychothérapie d’inspiration psychanaly-tique individuelle est associée le plus souvent àd’autres techniques : thérapies de relaxation lorsquela composante anxieuse est au premier plan et queles troubles du schéma corporel sont dominants,techniques d’affirmation de soi s’il existe un défautd’assertivité, et thérapie de groupe qui doitencourager la perception, l’identification etl’expression des affects afin d’assouplir lefonctionnement de chacune et de renforcer par là lesentiment de l’identité.

Par ai l leurs , v is -à-vis des trai tementsmédicamenteux, l’ensemble des travaux surl’anorexie mentale n’a permis de prouver ni l’intérêt,ni l’efficacité d’une quelconque chimiothérapie àlong terme.

L’avantage de la prescription de psychotropes sesitue dans leur effet anxiolytique qui aide à dépasserla peur de manger, favorise le gain de poids etdiminue l ’hyperact iv i té ; la prescr ipt iond’antidépresseurs peut être proposée chez des sujetsanorexiques présentant un épisode dépressif majeurassocié à des conduites restrictives. En pratique, lesanxiolytiques et les hypnotiques ne seront prescritsque ponctuellement, et de toute façon à court

terme ; les neuroleptiques ne sont indiqués quelorsqu’il existe une symptomatologie d’allurepsychotique associée. La prescription d’œstroproges-tatifs peut permettre l’installation de cycles artificiels,mais surtout la prévention osseuse.

■Conclusion

L’anorexie mentale, et plus généralement lestroubles du comportement alimentaire, suscitent uneattention croissante des médecins et de tous ceuxqui sont concernés par la santé publique, à la foisparce qu’il s’agit d’une pathologie en augmentationconstante dans les pays occidentaux, mais aussid’une affection grave, deuxième cause de mortalitéchez les adolescentes.

L’anorexie mentale est une affection essentiel-lement féminine, neuf fois sur dix chez la jeune fille,associant une restriction délibérée de nourriture, unamaigrissement important et une aménorrhée,sous-tendus par des troubles du schéma corporel etla hantise de grossir.

Un certain nombre de facteurs étiopathogéniquesont été proposés : facteurs génétiques, facteursbiologiques (réponse favorable de certains sujets auxantidépresseurs), facteurs neurobiologiques, facteurssocioculturels, mais aussi facteurs individuels et depersonnalité, bien qu’il n’y ait a priori pas depersonnalité prémorbide spécifique.

Le pronostic de cette affection est réservé : si untiers des sujets guérissent, une anorexique sur deuxprésente une forme chronique et l’évolution estmortelle dans 6 à 18 % des cas sur une période de15 ans.

L’approche thérapeutique est longue, complexe,spécialisée et multidisciplinaire. Elle doit êtreindividualisée : abord nutritionnel approprié,techniques comportementales et/ou cognitives,approche corporelle par les thérapies de relaxation,prescription éventuelle d’antidépresseurs, enfin, aidepsychothérapique individuelle et familiale. Lesrésultats ne seront appréciés qu’avec un reculsuffisant de plusieurs années.

Sophie Criquillion-Doublet : Praticien hospitalier,service du Professeur B Samuel-Lajeunesse, centre hospitalier Sainte-Anne, clinique de la faculté, 100, rue de la Santé, 75674 Paris cedex 14, France.

Marie-Noëlle Laveissiere-Deletraz : Attachée,service du Professeur Dubuisson, groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, 27, rue du Faubourg St-Jacques, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : S Criquillion-Doublet et MN Laveissiere-Deletraz. Anorexie mentale.Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, MG-30775, 1999, 4 p

R é f é r e n c e s

[1] Doublet S. Anorexie mentale.Reprod Hum Horm1993 ; 6 :341-348

[2] Eisler I, Dare C, Russell GF, Szmukler G, Le Grange D, Dodge E. Family andindividual therapy in anorexia nervosa. A 5-year follow-up.Arch Gen Psychiatry1997 ; 54 : 1025-1030

[3] Jeammet PH. Anorexie.Encycl Méd Chir(Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-350-A-10, 1984 : 1-16

[4] Samuel-Lajeunesse B, Foulon C. Les conduites alimentaires. Paris : Masson,1994

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Anorexie mentale du nourrisson, du jeune enfant, du grand enfant prépubère et de l'adolescent

Pédiatrie/Maladies infectieuses [4-101-G-40] (1998)

Pierre Ferrari : Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à la faculté de médecine Paris-Bicêtre, médecin-chef du Centre de psychiatrie infantileFondation Vallée, 7, rue Bensérade, 94257 Gentilly cedex France

Résumé

Dans cet article, l'auteur décrit les différentes formes de l'anorexie mentale :

du nourrisson et du jeune enfant (forme commune et formes graves : dépressives, d'inertie, psychotiques et phobiques) ;

du grand enfant et de l'enfant prépubère (les différentes formes d'anorexie prépubère, les anorexies lors des dépressions) ;

de l'adolescent (clinique, épidémiologie, données environnementales et familiales, psychopathologie et thérapeutique).

L'auteur s'efforce de décrire les différentes formes cliniques de l'anorexie mentale, de la naissance à la fin de l'adolescence, de dégager une compréhension psychopathologique de chacune de ses formes et de relier cette compréhension aux données développementales ainsi qu'aux données environnementales et relationnelles. L'auteur précise enfin les facteurs étiologiques qui peuvent être mis en cause ainsi que les divers retentissements somatiques de ces anorexies. Enfin, est envisagée la conduite thérapeutique dans chacune de ces différentes formes d'anorexie.

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INTRODUCTION

On désigne généralement sous ce terme d'anorexie un ensemble de troubles du comportement alimentaire aboutissant à une restriction alimentaire, voire à un refus plus ou moins complet d'alimentation. La disparition de la sensation de faim n'apparaît que dans les formes graves d'anorexie. Habituellement, il s'agit le plus souvent de comportements d'opposition à la nourriture avec conservation de la sensation de faim. Le retentissement sur le poids est variable selon les formes : majeur dans les formes d'anorexie mentale de l'adolescence, il est classiquement considéré comme très modéré dans les anorexies du second semestre.

Bien que de rares cas d'anorexie de la petite enfance aient pu se prolonger jusqu'à l'adolescence, on admet généralement qu'il n'existe pas de lien direct ni sur le plan évolutif, ni sur le plan psychopathologique entre les différentes formes d'anorexie aux différentes périodes de la vie. Chacune de ces formes d'anorexie apparaît liée à une structure psychopathologique spécifique ainsi qu'à des conditions développementales et environnementales particulières.

Nous distinguerons :

les anorexies du nourrisson et du très jeune enfant ; les anorexies chez le grand enfant et l'enfant prépubère ; les anorexies chez l'adolescent.

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ANOREXIE MENTALE DU NOURRISSON ET DU JEUNE ENFANT

L'anorexie mentale est le plus fréquent des troubles alimentaires du nourrisson avec le mérycisme et les vomissements psychogènes. Ces derniers sont souvent associés à l'anorexie, lui succédant ou la remplaçant au bout de quelques temps.

Il convient d'emblée de distinguer deux types d'anorexie mentale : l'anorexie mentale commune, la plus fréquente, et les formes graves et complexes d'anorexie, beaucoup plus rares. Il existe peu de données épidémiologiques sur la fréquence des troubles anorexiques durant la petite enfance. Les enquêtes de Lindberg [19] sur une population de 841 et de 567 enfants, âgés respectivement de 30 et 71 semaines montrent une fréquence de 1,4 à 3,2 % des troubles anorexiques durant la première enfance. Il semble cependant que, actuellement, on assiste à une diminution de

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fréquence tant des formes graves que bénignes, en rapport avec les progrès de la puériculture et un meilleur dépistage des troubles interactionnels précoces.

Anorexie mentale commune du second semestre

C'est la forme la plus typique. Elle se présente comme une conduite plus ou moins intense et plus ou moins explicite de refus alimentaire, dans un cadre général d'opposition à la mère. Les travaux de Lelong et Kreisler ont confirmé l'individualisation de cette forme psychologique d'anorexie chez l'enfant.

Tableau clinique

Les modalités utilisées par l'enfant pour refuser ou retarder le moment de l'alimentation sont variées : refus catégorique et bruyant ou, parfois, refus moins bruyant mais tout aussi persistant et tenace. Les stratagèmes utilisés par la mère pour faire accepter la nourriture sont des plus variés, mais ils aboutissent tous à une attitude plus ou moins ouvertement contraignante de la mère entraînant entre elle et l'enfant une lutte autour de l'alimentation. Celle-ci se termine généralement par la victoire de l'enfant et l'abandon de la mère et, parfois, par un vomissement provoqué, notamment lorsqu'il y a eu forçage alimentaire.

L'enfant est souvent décrit comme un enfant vif, très attentif au monde extérieur et ayant parfois même une certaine précocité dans son premier développement.

L'anorexie de l'enfant et le conflit quotidien autour de l'alimentation entraînent, chez la mère, un profond sentiment d'échec qu'elle peut vivre sur un mode anxieux, dépressif ou agressif et qui peut ébranler considérablement sa confiance en ses capacités maternelles.

Bilan

La constatation d'une telle anorexie impose :

l'élimination d'une cause organique à l'anorexie ; la recherche de facteurs déclenchants, l'analyse minutieuse des

circonstances qui ont entouré les premières manifestations d'anorexie : poussée dentaire, sevrage, épisode infectieux, vaccination. On analysera la façon dont le refus alimentaire s'est organisé à partir de chacun de ces incidents ;

la recherche des troubles associés : insomnies particulièrement

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fréquentes, conduites d'opposition et de colère, voire spasmes du sanglot ;

l'examen du comportement du bébé qui montre, dans l'ensemble, un enfant dont l'éveil et le développement psychomoteur sont normaux et le contact généralement assez facile ;

l'examen de la personnalité de la mère et de ses modalités interactives avec le bébé ainsi que de ses habitudes éducatives. Au terme de cet examen, le praticien se sera fait une idée plus approfondie de ce qui se joue lors des échanges entre la mère et son bébé : la façon dont celle-ci peut induire, sans en être consciente, certains dégoûts chez son enfant, la façon dont elle peut être amenée à procéder à des projections inconscientes sur son enfant. Corrélativement, le praticien s'efforcera de sentir comment l'enfant perçoit les messages maternels et s'organise autour d'eux.

Evolution

L'évolution est essentiellement variable.

Certaines anorexies guérissent rapidement du fait des modifications du comportement de la mère liées au traitement : diminution de son inquiétude dans sa relation à l'enfant, prise de conscience de certains fantasmes et identifications en jeu dans la relation mère-enfant, plus grande confiance enfin de la mère dans ses capacités à être « une mère suffisamment bonne ».

Cependant, d'autres fois, l'anorexie peut se perpétuer assez longtemps. Il n'y a pas de véritable amaigrissement mais la prise de poids reste faible. Les troubles comportementaux de type oppositionnel peuvent s'étendre à d'autres modalités et la symptomatologie s'enrichir d'autres manifestations, insomnies, spasme du sanglot, tout trouble dont la pérennisation témoigne de la mise en place d'une organisation psychopathologique. Parfois, certaines anorexies précoces peuvent se prolonger dans la seconde enfance, voire même, mais assez rarement, jusqu'à l'adolescence.

Certains auteurs américains [6] soulignent la fréquence du retentissement des refus alimentaires sur la croissance avec perte de poids et exigent même, pour porter le diagnostic d'« anorexie nerveuse infantile », un retentissement sur la croissance.

Anorexies néonatales bénignes

Certaines anorexies néonatales bénignes surviennent dans les premières semaines de vie, généralement dans un contexte particulier, par exemple au

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véritable conduite d'opposition à l'alimentation avec refus de succion si des contraintes alimentaires intempestives sont mises en oeuvre ou si sont utilisées prématurément des techniques de gavage.

Formes graves d'anorexie précoce

Nous reprendrons ici la classification qu'en a donné Kreisler et qu'il a proposé de regrouper sous le terme d' « anorexie complexe du premier âge ». Ces formes sont relativement rares comparativement à l'anorexie mentale commune mais correspondent, généralement, à des troubles psychopathologiques plus structurés. Leur évolution est plus sévère et fonction des troubles qui les déterminent.

Anorexies mentales dépressives

Elles sont caractérisées par le contexte dans lequel elles surviennent (tableau de dépression anaclitique de Spitz, ou tableau d'atonie dépressive de Kreisler). Il ne s'agit plus ici d'un simple refus alimentaire mais d'une véritable atteinte de l'appétit et de la sensation de faim. L'anorexie apparaît là comme un symptôme au sein d'un tableau clinique complexe, fait d'inertie, de retard de croissance et de retard du développement psychomoteur. Le contexte dans lequel surviennent ces anorexies dépressives au cours du second ou du troisième semestre, est très caractéristique : dépression maternelle, séparation précoce, troubles graves de l'investissement affectif de l'enfant de la part d'un environnement sociofamilial défaillant. Certaines de ces formes peuvent mettre en jeu le pronostic vital.

Anorexie d'inertie de Kreisler

Kreisler a décrit, sous ce terme, une forme rare mais grave de pathologie mentale sévère s'organisant dès la naissance. Le comportement du nourrisson est fait d'une grande passivité, l'enfant semblant ne pas éprouver de sensation de faim, ne manifester aucun attrait pour la succion et présenter un désintérêt presque total pour toutes les activités orales habituelles (lallation, succion, explorations buccales). Les troubles du contact sont constants, marqués par une grande pauvreté des échanges et une hypervigilance. Dans ce même contexte, l'auteur a décrit une forme plus active avec refus actif de la succion. Les circonstances de survenue sont généralement celles d'une défaillance massive de l'environnement. Le traitement de ces formes nécessite, le plus souvent, l'hospitalisation en raison des risques encourus mais les explorations orodigestives doivent rester limitées au strict nécessaire.

Ces deux types d'anorexies dépressives et d'inertie nécessitent des prises en

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charge conjointes (mère-bébé) pédiatriques et pédopsychiatriques.

Anorexies psychotiques

Ces formes d'anorexie sont très particulières, en raison du tableau clinique dans lequel elles s'inscrivent. Les troubles graves et précoces de la personnalité s'accompagnent souvent, à un moment ou à un autre de leur évolution, de symptômes anorexiques. Il peut s'agir d'un tableau autistique avec absence d'activités autoérotiques orales, difficultés de la succion et absence d'exploration buccale. D'autres fois, il s'agit d'un enfant un peu plus âgé présentant un tableau de dysharmonie psychotique avec difficulté à la mastication et à la déglutition, phobies à se servir de la moitié antérieure de la bouche (« phobie du museau » de Soulé) [17].

Dans ces pathologies graves, l'anorexie apparaît comme la conséquence d'une difficulté à un investissement normal de la bouche et de l'oralité au sein de troubles relationnels intenses. Elle relève d'une prise en charge essentiellement pédopsychiatrique.

Anorexies mentales phobiques

Elles apparaissent généralement au décours de la seconde année. Il s'agit d'une attitude phobique générale vis-à-vis de l'alimentation avec refus de la nourriture solide et liquide, le contact avec les aliments entraînant une attitude générale de crainte. Elle correspond, le plus souvent, à un déplacement sur la nourriture de l'angoisse de l'étranger. Ce type d'anorexie s'accompagne volontiers d'autres symptômes phobiques et peut nécessiter des mesures d'urgence, voire une hospitalisation en raison des risques de déshydratation et du fait de l'anxiété parentale souvent très grande. Ces formes sont à distinguer des phobies alimentaires mineures que l'on peut observer chez un enfant normal avec dégoût pour certains aliments et qui évoluent favorablement.

En conclusion, il faut opposer la fréquence et le pronostic généralement bon de l'anorexie habituelle du nourrisson dite « anorexie d'opposition », aux autres formes d'anorexie, plus rares mais plus graves, et qui traduisent, le plus souvent, un trouble psychopathologique plus sévère.

Signalons cependant qu'il existe peu d'études sur le devenir, à long terme, des anorexies habituelles et que nous ne connaissons pas les liens de celles-ci avec le développement d'éventuels troubles ultérieurs de la personnalité, pas plus que nous ne connaissons clairement les liens entre troubles alimentaires précoces du jeune enfant et troubles ultérieurs des conduites alimentaires de l'adolescent ou du jeune adulte.

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ANOREXIES CHEZ LE GRAND ENFANT ET L'ENFANT PRÉ PUBÈRE

Contrairement à la période de l'adolescence, il existe peu de données épidémiologiques sur l'incidence des troubles des conduites alimentaires durant cette période de la vie. Il semble cependant que celle-ci soit en augmentation et qu'il existe une surreprésentation des garçons par rapport aux filles au contraire de ce qui se passe au moment de l'adolescence. Une étude de Maloney [20] montre que, sur une population d'enfants âgés de 8 à 13 ans, étudiés par l'échelle CH-EAT, 7 % présentent des « scores anorexiques » et qu'un pourcentage d'enfants plus important aurait des préoccupations concernant le poids l'amenant à des réductions alimentaires.

Anorexie mentale prépubère

Une forme d'anorexie mentale prépubère, proche dans sa symptomatologie des anorexies mentales de l'adolescence, s'en distingue cependant par le fait qu'elle se développe antérieurement à la puberté mais alors que s'ébauche déjà les premières modifications corporelles. Cette forme où l'aménorrhée est primaire serait de meilleur pronostic que les formes postpubères. Cependant, certaines anorexies prépubères surviennent plus précocement en pleine phase de latence, le plus souvent sur un fond de trouble sérieux de la personnalité marqué par des traits obsessionnels. Leur pronostic est plus sévère. Pour Jeamment [12], ces anorexies prépubères méritent d'être individualisées du fait du retentissement fréquent sur la croissance et de leur sévérité psychopathologique. Les dosages hormonaux effectués dans ces cas montrent un taux abaissé de l'hormone de croissance et de l'activité de la somatomédine plasmatique [24]. Ce tableau se rapproche du nanisme psychosocial.

Dans l'étude de Bryant-Waugh [2], les indicateurs de mauvais pronostic sont notamment le jeune âge de début de l'affection, l'importance de la dépression associée et de la pathologie familiale.

Dépression et anorexie prépubère

La dépression est un symptôme fréquemment associé au tableau des anorexies prépubères. Sur 13 anorexiques prépubères, Mouren-Simeoni [29]

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généralement antérieurs à la dépression, laquelle n'explique pas la conduite anorexique qui persiste généralement même si la dépression s'améliore.

En revanche, d'authentiques dépressions de l'enfant prépubère peuvent s'accompagner de troubles de l'alimentation avec un éventuel retentissement pondéral (15 à 20 % dans les études de Bryant [2] et Mitchell [23]).

Vomissements psychogènes

Des vomissements psychogènes peuvent s'observer chez les enfants en période prépubère, isolés ou associés à une anorexie avec un éventuel retentissement pondéral. Ces symptômes sont généralement considérés comme des symptômes de conversion rattachés à une structure névrotique hystérique. Ils ne s'accompagnent pas de troubles de l'image du corps ni de préoccupations obsédantes concernant le régime, ni de stratégie pour contrôler le poids. Ces troubles sont ainsi très différents de ceux rencontrés dans l'anorexie mentale vraie.

Troubles anorexiques rencontrés au cours des maladies organiques

Les troubles anorexiques sont fréquents au cours des pathologies organiques de l'enfant. Ils sont souvent négligés et rapportés à tort à la seule maladie organique dont, cependant, ils aggravent souvent le pronostic, du fait de leur retentissement somatique. Ils traduisent en fait souvent l'anxiété liée à la maladie, à ses conséquences réelles ou imaginaires. Signalons à ce propos la fréquence des troubles anorexiques et des vomissements dans les pathologies cancéreuses. Ceux-ci ne sont liés qu'en partie à la chimiothérapie. Leur existence vient souligner la nécessité d'une prise en charge conjointe, pédiatrique et pédopsychiatrique de l'enfant dans les maladies sévères et au long cours.

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ANOREXIE MENTALE DE L'ADOLESCENT

épidémiologie

Il est classique de souligner l'augmentation de fréquence de l'anorexie mentale dans les sociétés occidentales durant les dernières décennies et

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américaine).

L'incidence de l'affection est souvent sous-évaluée du fait de la négation par les malades de leurs troubles et de la banalisation de ceux-ci par l'entourage.

D'une façon générale, deux à huit cas pour 100 000 habitants seraient recensés, chaque année, dans les sociétés occidentales. Schwabe [26] a avancé le chiffre de un cas pour 200 parmi les adolescentes dans les sociétés occidentales. En France, l'incidence de l'anorexie mentale est évaluée entre 2 000 et 6 000 cas annuels [25].

L'anorexie mentale touche le sexe féminin dans plus de 90 % des cas. L'âge moyen de début se situe entre 15 et 17 ans, le moment du diagnostic étant cependant parfois retardé de plusieurs années.

Diagnostic positif et symptomatologie

Le DSM-IV [1] exige pour le diagnostic positif d'anorexie mentale, cinq critères :

une perte de poids de plus de 25 % ; un âge de début avant 25 ans ; l'existence de troubles importants du comportement alimentaire ; l'absence de toute pathologie organique ou psychiatrique autre ; la peur intense de devenir obèse.

Connue de longue date et décrite déjà au siècle dernier par Gullen en Angleterre (anorexia nervosa) et Lasegue en France (anorexie hystérique), l'anorexie mentale, dans sa forme typique, comporte une triade symptomatique originale (aménorrhée, amaigrissement, anorexie) à laquelle il convient d'ajouter certaines caractéristiques psychologiques et certaines modifications biologiques.

Amaigrissement

L'amaigrissement est souvent important, dépassant 25, voire dans certains cas 50 %. L'amaigrissement est souvent impressionnant au moment de la première consultation et s'accentue progressivement en cours d'évolution donnant finalement à la jeune fille un aspect parfois squelettique. La fonte musculaire et graisseuse atténue les formes féminines, notamment au niveau des seins, des hanches et des fesses. Les modifications des phanères accentuent l'aspect émacié (cheveux rares et secs, ongles striés, cassants, lanugo). Il existe souvent des troubles circulatoires avec une tension

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satisfaction de par le sentiment de triomphe que lui procure la maîtrise sur son propre corps, la vue de celui-ci, de l'image qu'elle en donne à autrui et que ce dernier lui renvoie. Insensible à toute explication rationnelle sur les conséquences possibles de son comportement et sur les risques mortels qu'elle court, la jeune anorexique ne se sent en accord avec elle-même qu'à la condition qu'elle puisse s'assurer de la maîtrise de son corps, la perte de cette maîtrise, notamment lors des impulsions boulimiques, la menaçant de mouvements dépressifs.

Anorexie

L'anorexie est un symptôme capital. Il s'agit, en fait, d'une restriction alimentaire tout à fait délibérée qui s'accompagne d'un régime draconien et de préoccupations obsédantes et quasi exclusives pour l'alimentation. La restriction alimentaire porte électivement sur les aliments réputés caloriques. Un régime a souvent été instauré initialement par la patiente pour lutter contre un embonpoint souvent des plus discrets. Si une véritable perte d'appétit peut, à la longue, s'installer, la conduite anorexique est avant tout une lutte contre une sensation de faim qui reste conservée et une lutte contre le sentiment d'une possible dépendance à l'égard de la nourriture. La conduite anorexique est une composante d'un ensemble de comportements visant tous au contrôle du poids et à la lutte contre une hypothétique obésité : contrôle méticuleux des aliments, vomissements provoqués, tentative d'accélérer l'élimination intestinale et urinaire par la prise de laxatifs et de diurétiques mais aussi exercices physiques intenses et prolongés (course, natation, danse). Cette hyperactivité vise à favoriser les éliminations et à assurer la maîtrise du corps. Toute prise de poids est immédiatement compensée par une recrudescence du régime ou de l'activité physique.

Aménorrhée

L'aménorrhée est constante au cours de l'évolution. Dans la plupart des cas (environ la moitié), elle coïncide avec le début de la maladie mais, parfois, elle peut précéder celui-ci ou le suivre. L'aménorrhée peut être primaire ou secondaire. Elle n'est pas la conséquence directe de l'amaigrissement, peut le précéder ou lui survivre, constituant ainsi souvent un symptôme tenace et lent à disparaître. La patiente est souvent soulagée de cette absence de signe de sa féminité que constitue, à ses yeux, la survenue des règles.

Psychologie

Les aspects psychologiques de la maladie font partie intégrante de l'affection et leur identification est capitale tant pour le diagnostic que pour la conduite du traitement.

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Le déni de l'amaigrissement est souvent considéré comme la conséquence d'un trouble important de perception de l'image du corps expliquant l'absence d'inquiétude des patientes au sujet de leur état, voire même leur sentiment de bien-être. Même si certains auteurs contestent l'importance centrale d'un tel trouble de l'image du corps, il n'en reste pas moins que le fantasme angoissant d'un corps trop gros et déformé et la crainte phobique de grossir sont très prégnants chez les anorexiques et s'accompagnent d'une idéalisation de la minceur et de la fermeté du corps.

La méconnaissance des besoins et exigences corporelles avec tentative de maîtrise de l'appétit et l'érotisation parallèle de la sensation de faim, l'appauvrissement du vécu émotionnel et affectif, la pauvreté des activités oniriques, le refoulement massif des exigences pulsionnelles et de la sexualité génitale, l'absence d'activités autoérotiques constituent également des caractéristiques importantes de la personnalité anorexique.

Le surinvestissement de l'activité physique et de la motricité avec méconnaissance des besoins corporels, notamment de la sensation de fatigue s'inscrivent dans le désir de maîtrise du corps si caractéristique de l'anorexique.

Les modalités de la vie relationnelle sont centrées autour d'une lutte contre le sentiment de dépendance vis-à-vis d'autrui dans un fantasme d'autosuffisance. Selon Jeammet [12], le dilemme existentiel central pourrait se résumer ainsi : « comment tenir le plus à distance de soi ce dont on ne peut se passer ». Cette problématique explique, selon cet auteur, les caractéristiques suivantes de la personnalité :

o difficulté d'un réel engagement affectif dans la relation à autrui expliquant l'isolement et l'apparente indifférence dans les relations sociales ;

o maintien d'une relation de dépendance et d'attachement aux objets d'investissement infantiles, notamment parentaux dans une relation quasi symbiotique évitant la reconnaissance de la séparation d'autrui et la reconnaissance de son altérité ;

o le fonctionnement intellectuel est classiquement considéré comme excellent et s'accompagne souvent de bons résultats scolaires avec une avidité pour l'emmagasinement des connaissances aux dépens de l'épanouissement de la créativité avec repli sur des positions défensives, d'intellectualisation à outrance.

Troubles de l'humeur

Classiquement, ils n'existent pas et l'on considère comme nécessaire au

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études). Certains auteurs se sont même interrogés sur l'existence d'une éventuelle parenté entre anorexie mentale et la psychose maniacodépressive . En fait, des moments dépressifs peuvent apparaître en cours d'évolution, notamment lors de certaines prises de poids liées à des accès boulimiques ou lors d'une reprise pondérale liée à une amélioration clinique ou encore lors de la perspective d'un retour au domicile.

Modifications biologiques

Certaines de ces modifications sont secondaires à la dénutrition et peuvent, dans certains cas, conduire à la nécessité d'une réanimation : baisse du métabolisme de base, troubles hydroélectrolytiques avec hypokaliémie, hypovolémie avec hypotension, troubles de la conduction cardiaque, hypoglycémie, hypercholestérolémie, anémie hypochrome.

D'autres troubles relèvent d'un dysfonctionnement hypothalamo-hypophysaire, diminution de l'hormone thyroïdienne T3 et T4 avec un taux sanguin normal de TSH, abaissement du taux sanguin des hormones ovariennes avec un taux de FSH (follicle stimulating hormone) et de LH (luteinizing hormone) inférieur à la normale. Les facteurs de croissance plasmatique sont abaissés.

Le tableau biologique ainsi décrit correspond à une anorexie déjà constituée. Il varie bien sûr en fonction des moments évolutifs de la maladie.

Milieu familial

Il faut distinguer les réactions du milieu familial à l'apparition des troubles et l'éventuelle psychopathologie familiale préexistant à ceux-ci et ayant pu, partiellement, contribuer à leur genèse.

Réactions du milieu familial

Le développement inexorable des conduites anorexiques entraîne un vif désarroi de la famille et un profond bouleversement dans l'équilibre familial. L'insensibilité de la jeune anorexique aux pressions familiales et à toute tentative de raisonnement logique, la méconnaissance du danger vital qu'elle court et de la signification mortifère de ses conduites sont, pour les parents, à l'origine d'une angoisse intense et de profondes blessures narcissiques. Les agressions du cadre familial et le défi lancé au pouvoir

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psychologique de l'affection et les réactions excessives de dramatisation.

Psychopathologie familiale

Elle a pu jouer un rôle dans la genèse des troubles mais il faut se garder de ne voir dans le trouble que le seul reflet du dysfonctionnement familial. Des études ont mis en évidence certaines caractéristiques familiales qui ont pu être retrouvées sans qu'il s'agisse là pourtant de données absolument constantes.

Relation à la mère

Bruch a fait jouer un rôle (de façon peut-être en partie excessive) à l'inadéquation dans les premières relations mère-fille : méconnaissance des besoins corporels de l'enfant, entraînant de la part de la mère, des réponses inadaptées à l'origine chez l'enfant d'une méconnaissance ou d'une confusion dans ses besoins corporels et d'une perturbation dans l'élaboration de son image du corps.

Il est classique de souligner l'importance et la particularité de la relation de la jeune anorexique à sa mère. Plusieurs points ressortent des différentes études, notamment les particularités de l'investissement par la mère de son enfant et la place que celle-ci occupe dans la vie fantasmatique de sa mère : nature profondément narcissique de l'investissement maternel avec, corrélativement, survalorisation des performances sociales et scolaires aux dépens de l'expression des manifestations émotionnelles et affectives ainsi que de la vie imaginaire . La mère vivrait ainsi sa propre fille comme un double d'elle-même dans sa relation en fait ambivalente à sa propre mère [12]. Il ne serait pas rare, par ailleurs, derrière des attitudes apparemment fixées et rigides de la mère, de percevoir, chez elle, à certains moments de l'évolution de la jeune fille, des mouvements dépressifs, notamment lorsque s'amorcent des signes d'autonomisation de la fille qui ne correspondent plus aux images idéalisées que s'en fait la mère.

Relation au père

Celle-ci a été moins bien identifiée que la relation à la mère : elle est plus variable et se fait tantôt sur le mode d'attitude contre-oedipienne, tantôt sur celui d'un évitement relationnel et du repli narcissique. Pour Jeammet, les pères des jeunes anorexiques présentent souvent des difficultés à assumer la position d'autorité à l'intérieur du cadre familial dont ils se sont sentis mis à l'écart et présentent, dans certains cas, une grande fragilité psychologique.

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Fonctionnement familial

La théorie systémique a mis en évidence certaines caractéristiques du fonctionnement du groupe familial et a dégagé certaines modalités de communication à l'intérieur de celui-ci . Le fonctionnement familial se caractériserait ainsi :

souci d'une excessive harmonie familiale tendant à l'évitement de tout conflit et limitation des échanges affectifs. La bonne entente apparente du couple masquerait, en fait, des conflits difficiles à exprimer et à verbaliser ;

le caractère flou et incertain des limites entre les individus à l'intérieur du groupe familial, l'enchevêtrement et le manque de distance entre les membres de la famille et de différenciation entre les personnes s'alliant souvent à une confusion entre les générations.

étiologie

Il est habituel de considérer l'étiologie de l'anorexie mentale comme plurifactorielle, mêlant en proportions variables des facteurs physiques, psychologiques, familiaux et socioculturels.

Facteurs génétiques

En l'état actuel des recherches, il n'existe pas d'arguments formels en faveur d'une étiologie génétique de l'anorexie mentale. Les études comparatives des jumelles non concordantes, monozygotes et dizygotes montrent, tout au plus, qu'il pourrait exister chez les jumelles monozygotes non concordantes quelques traits psychologiques communs comme l'insatisfaction vis-à-vis du corps ou le perfectionnisme. Quoi qu'il en soit, en l'état actuel des connaissances, même s'il existe des cas familiaux incontestables d'anorexie mentale, il ne semble pas possible d'affirmer l'existence d'un déterminisme génétique univoque dans la survenue de l'affection même si des prédispositions génétiques ne sont pas exclues.

Facteurs somatiques

Les troubles hypothalamiques et diencéphalohypophysaires sont fréquents, au moins dans les formes sévères mais ils sont, le plus généralement, considérés comme secondaires, soit au trouble psychique lui-même, soit à la dénutrition. Cette dernière peut, d'ailleurs, être elle-même, secondairement, à l'origine de certaines modifications psychologiques : parfois sentiment de dépersonnalisation, apathie psychique avec restriction des champs d'intérêt, appauvrissement de la vie imaginaire.

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Facteurs psychopathologiques individuels

Ces facteurs ont une importance capitale dans la genèse de l'anorexie mentale ; ils participent à la survenue du trouble sans pour autant être des facteurs étiologiques uniques. Ils s'inscrivent dans l'histoire individuelle du sujet en liaison avec les événements qui ont marqué son enfance et la nature de ses échanges intrafamiliaux.

Des auteurs comme Jeammet [12] insistent sur deux types de facteurs psychopathologiques :

le type de personnalité ayant précédé l'éclosion de la maladie et, notamment, le développement d'une personnalité en « faux self » telle qu'a pu la décrire Winnicott [30]. Il s'agit d'une personnalité qui se développe dans la dépendance aux désirs et aux attentes de l'adulte, dans un souci d'aconflictualité avec l'entourage, cette évolution se faisant aux dépens du développement de la personnalité propre de l'enfant [7] ;

l'importance de l'impact traumatique sur le psychisme de l'adolescent, des modifications physiologiques et psychologiques de la puberté. Nous rappellerons simplement ici quelques-uns de ces bouleversements pubertaires : modification de l'image du corps et intensification des exigences pulsionnelles faisant vivre à l'adolescent son propre corps comme un objet étranger, voire persécuteur, bouleversement des rapports aux images parentales avec réactivation de la problématique oedipienne, modification de structure de l'idéal du Moi, tentative de rompre la dépendance aux images parentales.

Facteurs culturels

Les facteurs culturels interviennent également dans la mesure où ils peuvent peser sur les modalités éducatives et contribuer à donner forme aux idéaux individuels et familiaux. L'idéal de minceur, de perfection des formes corporelles proposé fréquemment dans nos sociétés comme modèle idéal de la féminité et les conduites permettant d'accéder à une telle forme idéale (régimes, activités musculaires et sportives intensives) peuvent apparaître comme des modèles identificatoires à des personnalités au narcissisme défaillant et en quête identitaire. En même temps, comme le souligne Jeammet [12], le recentrage culturellement favorisé sur les préoccupations corporelles peut venir souligner la valorisation sociale des idéaux de perfection corporelle et de performances individuelles, aux dépens des échanges affectifs et relationnels intrafamiliaux et sociaux.

Soulignons également que les conduites alimentaires sont englobées depuis

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la petite enfance, au sein des échanges affectifs et relationnels intrafamiliaux. C'est dans cette perspective, comme le souligne Winnicott que l'on pourrait comprendre l'absence de l'anorexie mentale dans les sociétés noires où l'allaitement au sein tient une importance très grande.

Des études épidémiologiques portant sur des groupes sociaux particuliers (danseurs, mannequins, etc) où le corps est l'objet d'un investissement particulier, centre de l'activité professionnelle, ont montré la fréquence des troubles alimentaires de type anorexique dans ces groupes.

Identité structurale psychopathologique de l'anorexie mentale

On considère actuellement que l'anorexie mentale de l'adolescent possède une certaine spécificité et une certaine autonomie structurales par rapport aux autres affections de la nosographie psychiatrique.

L'anorexie mentale est considérée comme une forme particulière de pathologie narcissique qui la rattache aux pathologie « limites ».

Des traits de personnalité, voire des symptômes hystérophobiques, obsessionnels, pervers ou schizoïdes sont parfois notés, mais ils ne constituent pas l'essentiel de l'affection, jouant souvent seulement le rôle de mécanisme de défense.

Anorexie mentale

Elle doit être distinguée :

des anorexies rencontrées dans le cadre de la névrose hystérique, très différentes et dont la problématique principale est constituée par une lutte défensive contre l'érotisme oral, lieu de déplacement de la conflictualité oedipienne ;

des autres formes de névroses. Même si des traits de personnalité ou des symptômes, phobiques ou obsessionnels, peuvent parfois se rencontrer, ils ne représentent que des mécanismes défensifs au sein de la structure plus complexe de l'anorexie ;

des épisodes dépressifs qui, émaillent son évolution. L'anorexie a pu être considérée par certains comme une organisation défensive contre la dépression. La survenue d'une dépression marque souvent l'abandon de l'attitude de déni de la maladie et de défi. Elle peut être le début d'une introjection de l'objet et d'une élaboration de la perte de celui-ci. à ce titre, la dépression peut apparaître comme un moment positif dans l'évolution, contemporaine parfois d'une amélioration symptomatique ;

des anorexies qui peuvent inaugurer certaines schizophrénies débutantes.

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Principales caractéristiques psychopathologiques de l'anorexie mentale

Importance des caractéristiques personnelles prémorbides et de celle du milieu familial telles qu'elles sont définies aux paragraphes correspondants.

Importance de la pathologie narcissique avec sentiments de vide intérieur et de non-valeur contre lesquels s'organisent défensivement les fantasmes de toute puissance et d'indépendance et les attitudes de défi.

Importance de la conflictualité autour de la problématique autonomie/dépendance [12]. L'anorexique déplace sur l'objet nourriture sa lutte contre la dépendance et ses tentatives de sauvegarde de son autonomie. Elle reste aliénée dans une relation conflictuelle à l'objet primaire maternel, non pas symbolisé de façon métaphorique par la nourriture, mais remplacé par elle, objet dont elle ne veut pas dépendre mais dont, en même temps, elle ne peut se séparer et qu'elle ne peut perdre. L'anorexie mentale traduit ainsi l'échec d'une intériorisation de l'objet qui permettrait la séparation d'avec l'objet externe et, d'une façon plus générale, l'échec de la mise en place de représentations mentales qui permettrait l'élaboration intrapsychique des conflits. Pour toutes ces raisons, l'anorexie mentale a pu être rattachée aux conduites d'addiction toxicomaniaques. Ceci rend compte de la difficulté de l'abord psychothérapique de cette affection ainsi que de la difficulté de mise en place de processus identificatoires en raison d'un désinvestissement des relations objectales et d'une dédifférenciation des imagos parentales (qui organisent habituellement la vie pulsionnelle).

Vécu corporel : le traumatisme pubertaire. Les modifications pubertaires sont perçues de façon persécutive. Le corps, dans son ensemble, est vécu comme objet de haine. Les signes de la féminin, et, d'une façon générale, du corps pulsionnel féminin, objet possible du désir d'autrui, sont perçus comme des intrusions persécutrices et ne peuvent être intégrés au fonctionnement du Moi. Le corps apparaît ainsi clivé du reste du Moi. En ce sens, l'anorexie mentale traduit une incapacité à intégrer et à accepter les transformations corporelles de la puberté. Le corps représente ainsi le lieu d'un possible débordement pulsionnel par des pulsions libidinales ou violentes, non accessibles à un travail de représentation psychique. Le corps est ainsi l'objet d'un double processus :

o déconnecté de sa vie pulsionnelle, il devient l'objet d'une sorte d'idéalisation défensive à tonalité mégalomaniaque. C'est un objet désincarné, asexué, tout puissant, indestructible dont les besoins, voire les formes, sont l'objet d'une maîtrise absolue. Il devient ainsi le symbole de l'identification à la toute-puissance maternelle ;

o paradoxalement, comme le souligne Brusset [5], certaines

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parties de ce corps peuvent faire l'objet d'un investissement narcissique à la recherche de sensations corporelles, pures, isolées et déconnectées de toute représentation (par exemple recherche de la sensation de réplétion gastrique lors des boulimies, impression d'ivresse procurée par la sensation de faim).

incapacité d'assumer les différentes transformations pubertaires aboutissant à une régression et à une déstructuration de la vie pulsionnelle [14]. L'organisation pulsionnelle est essentiellement centrée autour d'une perversion masochiste où le plaisir n'est tiré que de la non-satisfaction des besoins et dont la forme la plus élaborée est l'érotisation du sentiment de faim « orgasme de faim ». On constate une relative indistinction entre les diverses zones érogènes avec des confusions fréquentes entre activités orales, anales, génitales, l'intérieur du corps étant vécu comme un tube aux orifices et aux activités interchangeables. L'accès boulimique, lorsqu'il existe, permet l'irruption brutale d'une satisfaction pulsionnelle régressive sur un mode orgiaque avec arrêt des processus de mentalisation et sentiment consécutif de honte.

La vie fantasmatique de l'anorexique est souvent, dans un premier temps, peu accessible, recouverte et cachée par l'importance des rationalisations défensives. En témoigne par ailleurs la pauvreté apparente de la vie onirique dans les périodes aiguës de la maladie, laissant seulement apparaître, parfois, des expressions fantasmatiques crues de dévoration ou d'engloutissement.

Rapport à l'image du corps et au regard. L'image du corps reste mal intégrée au sujet et dépendante du regard d'autrui. En même temps qu'elle exhibe de façon souvent provocante, son corps décharné, l'anorexique attend de ce que lui renvoie le regard de l'autre, confirmation de sa propre identité et de son emprise omnipotente sur autrui et notamment sur son milieu familial.

Dimension mortifère. Elle résulte de l'ensemble des comportements visant à méconnaître les besoins corporels mais peut se manifester également dans les tentatives de suicide qui peuvent émailler l'évolution de l'affection.

Formes cliniques

Anorexie mentale du garçon

Bien que beaucoup plus rare, l'anorexie mentale du garçon peut être considérée comme un équivalent structurel de celle de la jeune fille, l'aménorrhée étant remplacée par les troubles de la libido. Son existence est reconnue de longue date. Sa fréquence, en augmentation, se situe entre 5 et 10 %.

La symptomatologie de ces formes d'anorexie n'est pas très différente de

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celle de l'anorexie féminine : à signaler cependant la fréquence plus grande de symptomatologie obsessionnelle, voire parfois schizoïde. Certains auteurs pensent d'ailleurs que, souvent, se dissimulerait derrière certaines de ces anorexies masculines, une psychose, voire une authentique schizophrénie. Quoi qu'il en soit, le pronostic est généralement considéré comme plus sévère que dans le cas d'anorexie mentale féminine.

Jeammet [12] évoque plusieurs facteurs possibles pour expliquer la plus grande fréquence chez la jeune fille : notamment importance des modèles culturels de la féminité, précocité de la puberté chez la jeune fille, différence d'investissement du corps et de la motricité chez le garçon et chez la fille, plus grande dépendance de la fille à l'égard de la mère.

Formes frustes

Elles sont très fréquentes. Elles ne rassemblent généralement pas tous les symptômes, notamment l'amaigrissement y est souvent peu important ou inexistant. Elles sont marquées essentiellement par des restrictions alimentaires, l'importance des préoccupations corporelles et des troubles de l'image du corps.

Formes tardives

Habituellement sont exclues du syndrome d'anorexie mentale les formes débutant après 25 ans. Cependant, certaines formes, à début apparemment tardif, au-delà de cet âge, chez des jeunes femmes, voire des jeunes mères, existent. Dans ces cas, un épisode anorexique discret a, le plus souvent, pu exister à l'adolescence mais être méconnu.

Formes boulimiques

La fréquence des anorexies avec accès boulimiques suivis de vomissements est relativement importante même si les études effectuées en apprécient diversement la fréquence (25 à 50 %). Certains traits psychopathologiques seraient plus volontiers associés à ces formes d'anorexie (notamment la dépression et les conduites psychopathologiques à type de kleptomanie ou d'alcoolisme). Il n'y a pas de consensus absolu sur la question de savoir s'il existe une continuité entre les formes d'anorexie pure, les formes mixtes anorexiques et boulimiques et les formes boulimiques pures sans restrictions alimentaires. Si certains pensent qu'il existe une séparation nette reposant sur des mécanismes psychopathologiques différents, la plupart des

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concomitants, la boulimie serait alors primaire. Certains auteurs pensent qu'une longue période de recul est nécessaire pour affirmer qu'une anorexie se développe complètement en l'absence de vomissements et d'accès boulimiques.

Formes prépubères

Elles ont été étudiées au paragraphe précédent.

évolution

Hormis quelques rares cas (il s'agit en général de formes mineures) qui s'améliorent apparemment spontanément, mais en réalité sous l'effet de réaménagements de l'environnement et de réponses plus adaptées de l'entourage à la pathologie de l'adolescente, l'évolution sans traitement se fait vers l'aggravation et l'installation dans un état de chronicité. Le poids se stabilise dans des zones très inférieures à la normale, les relations sociales et les échanges familiaux s'appauvrissent en même temps que s'abrase l'agressivité de la relation mère-fille. L'équilibre apparent ainsi obtenu est d'une grande fragilité et peut être, à tout moment, interrompu par une issue fatale, soit du fait de la dénutrition, soit du fait d'une tentative de suicide. Le taux général de mortalité se situe aux environs de 5 %.

L'évolution sous traitement bien conduit est fort différente. Même si elle reste difficile à systématiser, elle s'avère bien meilleure, fonction entre autres de la qualité et de la continuité du suivi thérapeutique et des modifications intrapsychiques qui auront pu ou non se faire jour.

Jeammet [27] souligne, malgré la sévérité globale du pronostic et l'absence de critère absolu de pronostic, que toute anorexie même sévère « reste potentiellement susceptible de guérir ». « Le meilleur facteur de pronostic semble bien être la nature, la qualité, la cohérence et la durée du traitement. On peut y adjoindre la personnalité antérieure au déclenchement de la conduite anorectique ». Les facteurs de mauvais pronostic sont le déclenchement en fin d'adolescence, le caractère limité des relations sociales, la gravité des troubles psychopathologiques sous-jacents.

L'évolution de l'anorexie est souvent ponctuée de rechute (10 à 50 % des cas), d'hospitalisation, de rupture de traitement puis de reprise de celui-ci, d'accès boulimique, de tentative de suicide. Les études sur le devenir au long cours montrent cependant [13] une évolution favorable des principaux symptômes dans près de trois quarts des cas et une quasi-guérison dans près de la moitié des cas. Dans les cas favorables, la jeune anorexique peut reprendre une vie sociale satisfaisante, voire fonder une famille et assumer une maternité.

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Dans les autres cas, la vie sociale et affective reste réduite et insatisfaisante, le déficit pondéral demeure important, la souffrance peut alors s'exprimer dans des manifestations phobo-obsessionnelles, dans des états dépressifs, dans des tentatives de suicide, dans des conduites toxicomaniaques ou psychopathiques.

Conduite thérapeutique

Hospitalisation

Elle est absolument indispensable lorsque l'amaigrissement a atteint un point critique tel qu'il menace gravement la santé, voire la vie. Le pronostic vital est alors en jeu.

Cependant, celle-ci peut être envisagée même hors de cette perspective pour permettre la mise en place d'un dispositif thérapeutique tenant compte tantdes conséquences somatiques de la maladie que de ses composantes psychopathologiques et relationnelles.

Les objectifs de l'hospitalisation sont les suivants :

la réalimentation peut apparaître parfois comme une urgente nécessité lorsque l'état somatique est considérablement dégradé. La renutrition peut se faire alors par sonde gastrique ou par voie parentérale, de préférence dans une unité de réanimation adaptée. Dans les autres cas, lorsqu'elle est décidée, l'hospitalisation doit se faire préférentiellement dans un service de psychiatrie spécialement adapté à la prise en charge institutionnelle des jeunes anorexiques ;

la séparation du milieu familial. L'isolement a longtemps été considéré, depuis Lasegue, comme un traitement symptomatique essentiel de l'anorexie. Cette séparation du milieu familial permet de rompre le système des interactions pathogènes entraînées par la conduite anorexique. Elle permet également, face à la dénégation par la jeune anorexique de ses troubles, de rappeler la réalité de la maladie et de ses conséquences ;

le contrat d'hospitalisation constitue un élément essentiel du cadre thérapeutique dont il importe de maintenir la solidité, la résistance et la continuité. Le contrat d'hospitalisation implique un arrêt complet des relations directes et indirectes entre la jeune anorexique et sa famille et ce, jusqu'à ce que soit obtenu un poids à partir duquel les visites seront autorisées et un poids à partir duquel sera envisagée la sortie.

Ce contrat constitue une règle de référence qui s'impose à toutes les parties, la patiente, sa famille et l'équipe soignante. Le respect du contrat est la condition de son efficacité. Il constitue le cadre à l'intérieur duquel pourra se dérouler un véritable processus thérapeutique ;

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la thérapie institutionnelle vise à introduire des modifications de fond dans l'économie psychique de la patiente, à favoriser et à diversifier les échanges relationnels avec les autres adolescents et avec les soignants, à éviter le repli narcissique, à favoriser le réinvestissement du corps et à retrouver une dimension de plaisir dans le rapport de l'adolescente à celui-ci, à favoriser enfin des mouvements identificatoires. C'est dans cette perspective de déplacement des préoccupations exclusivement alimentaires vers d'autres modalités d'expression des conflits que s'inscrira la reprise progressive de l'alimentation, en sachant cependant que des règles d'alimentation rigoureuses doivent être maintenues durant toute la durée de l'hospitalisation. La thérapie institutionnelle implique l'engagement des divers soignants et une coordination du travail de ceux-ci dans le cadre des réunions institutionnelles prévues. La prise en charge institutionnelle peut s'aider de diverses médiations : sociothérapie, psychothérapie, activités scolaires à l'intérieur du service d'hospitalisation [21].

La durée de l'hospitalisation est généralement longue mais variable suivant les cas, entre 3 et 6 mois le plus souvent. Dans certains cas graves, celle-ci peut atteindre plusieurs années. Une interruption prématurée de l'hospitalisation, même si elle est ardemment souhaitée par la patiente et la famille, entraîne souvent une reprise des troubles. Après une phase de réticence, voire de protestation, la patiente accepte généralement le cadre qui lui est proposé et qui constitue pour elle un cadre contenant et rassurant.

Autres méthodes thérapeutiques

Elles peuvent être mises en place au cours de l'hospitalisation et devront, généralement, être poursuivies lors du suivi thérapeutique après l'hospitalisation.

La chimiothérapie. Elle n'a que peu d'indications dans l'anorexie mentale. Les médicaments les plus utilisés sont les antidépresseurs que certains utilisent de façon systématique mais que la plupart réservent aux syndromes dépressifs caractérisés. Les thérapies par le lithium sont préconisées par ceux qui rapprochent anorexie mentale et psychose maniacodépressive. Les traitements anxiolytiques peuvent, à certains moments, constituer un appoint utile au traitement.

Approche familiale. L'alliance thérapeutique avec les parents constitue un élément essentiel du traitement. L'engagement de ces derniers est, en effet, nécessaire pour éviter une rupture thérapeutique dans le traitement dont les parents doivent comprendre la nécessité et accepter les modalités. Le travail avec les parents vise également à aider ceux-ci à modifier leurs modalités d'investissement de l'adolescente et les aider à en accepter les

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mouvements d'autonomisation, à tolérer les modifications comportementales qui accompagnent fréquemment l'abandon des conduites anorexiques, à les aider enfin à dépasser leur propre sentiment de culpabilité. L'approche familiale peut se faire suivant des modalités particulières : entretiens familiaux répétés, groupes de parents, thérapies familiales.

Les thérapies comportementales et cognitives. L'approche qu'elles proposent peut être intégrée dans la prise en charge institutionnelle lors de l'hospitalisation. Selon Divac [8], la thérapie comportementale vise essentiellement à modifier les conduites alimentaires : diminution de la fréquence des comportements mal adaptés (comportements alimentaires ritualisés, stratégies de contrôle du poids) et à augmenter la fréquence des comportements adaptés (introduction progressive d'aliments nouveaux antérieurement évités, augmentation de la prise alimentaire, de la durée des repas, acceptation de repas pris en commun). L'instauration de ces nouveaux comportements est généralement intégrée au contrat thérapeutique lors de l'hospitalisation. Cette thérapie vise aux changements des comportements alimentaires par modification des cognitions erronées sur lesquelles sont censées reposer ces comportements. Le réapprentissage alimentaire s'accompagne d'entretiens cognitifs sur l'objet aliment, sur le contrôle du poids, sur l'image du corps et de soi. S'appuyant sur la constatation que les comportements anorexiques s'accompagnent volontiers d'une anxiété dans les rapports sociaux, certains auteurs ont couplé ces thérapies cognitives à des thérapies d'affirmation de soi, visant à l'atténuation des comportements d'évitements sociaux.Certaines méthodes comportementales ont fait l'objet de critiques. On leur reproche d'accroître l'isolement des patients et de ne prendre en compte que le seul symptôme manifeste. Certaines de ces techniques peuvent, cependant, être utilisées dans le cadre de prises en charge diversifiées à condition que soit bien précisée la finalité et la signification au sein de l'ensemble du dispositif thérapeutique.

La psychothérapie individuelle. La psychanalyse dans sa forme classique n'est généralement pas indiquée.

La psychothérapie d'inspiration psychanalytique aménagée est, en revanche, le plus souvent, très utile. Elle se doit cependant d'être prudente, visant, dans un premier temps, à analyser les modalités relationnelles actuelles de la patiente, pour n'envisager qu'ultérieurement l'interprétation des contenus fantasmatiques, des conflits pulsionnels et des manifestations transférentielles.

L'aménagement d'une relation thérapeutique tolérable pour la patiente est essentielle pour éviter une rupture toujours menaçante. Cette relation peut être rapidement vécue par la jeune anorexique comme une relation de dépendance envers le thérapeute qui la confronte trop brutalement à son avidité affective et à ses désirs de maîtrise ou comme une relation trop intrusive, vécue alors comme persécutrice. La psychothérapie vise à

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l'ouverture et à l'aménagement d'un espace psychique investi narcissiquement par la patiente et où pourront être évoqués progressivement les différents conflits sous-jacents à ses troubles.

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