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Le marché du mariage et de la famille

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Economiste, Bertrand Lemennicier est né en 1943 à Paris. Marié et père de deux enfants, il enseigne à l'Université de Paris-Dauphine et à l'ESSEC. Parallèlement à ses activités pro­fessorales, il a mené des recherches au CREDOC dans les domaines de l'économie, de l'édu­cation, du travail et de la famille dont il a tiré de nombreux articles publiés dans des revues scien tifiq ues .

Cofondateur des Cercles d'Etudes liberta­riennes, il dirige actuellement le séminaire « Ethique et Liberté )) à l'Université de Paris­Dauphine.

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LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

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« LIBRE ÉCHANGE»

COLLECTION FONDÉE PAR

FLORIN AFTALION

ET GEORGES GALLAIS-HAMONNO

ET DIRIGÉE PAR FLORIN AFTALION

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LE MARCHÉ DU MARIAGE

ET DE LA FAMILLE

BERTRAND LEMENNICIER

Presses Universitaires de France

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ISBN 2 13041426 5

1UN 0292"'7020

pour Alexandra et Béatrice

Dépôt légal- Ire édition: 1988, Olars

@ Presse! Universitaires de France, 1988 108, boulevard Saint ... Germain, 7~006 Paris'

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Avant-propos. 7

Préface, 9

Introduction, 13

SOMMAIRE

1 - La nature de la famille, 19

2 - Qui « porte la culotte» dans le ménage, 35

3 - Le choix du conjoint, 53

4 - Le prix de la femme dans nos sociétés contemporaines, 69

5 - Le contrat de mariage, 101

6 - Le commerce des enfants, 121

7 - Le déclin de la fécondité, 139

8 - La politique familiale et démographique, 161

Conclusion, 197

Notes, 203

Bibliographie, 221

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Avant-propos

1 - Ce livre n'est pas l'œuvre d'un écrivain, mais celle d'un éco­nomiste. N'attendez pas de cet ouvrage qu'il soit écrit dans un style digne des plus grands auteurs de la littérature française. Si cela était, l'auteur essaierait de faire fortune comme écrivain et non comme professeur d'économie.

2 - Il ne s'agit pas d'un roman policier, le lecteur ne le lira pas d'une traite. Aussi, pour faciliter sa lecture, chaque chapitre est autonome et voulu comme tel. Il peut donc, s'Ule désire, commen­cer par le dernier chapitre. Cette autonomie a une contrepartie: elle impose une certaine redondance (reprise, par exemple, d'une même étude de cas ou d'arguments déjà présentés dans un autre chapitre).

3 - Il a été conçu pour familiariser le lecteur avec le point de vue de l'économiste sur des phénomènes touchant sa vie intime (mariage, divorce, procréation, etc.) et pour lui permettre d'incor­porer, sans effort, l'aptitude au raisonnement économique.

4 - Incorporer le raisonnement économique ne se fait pas sans répétition. Tout sport exige de répéter indéfiniment des gestes, ou des combinaisons de geste, qui deviendront des réflexes essentiels lors d'une compétition. Il en oblige à des itérations, de mots ou d'arguments (on violera ainsi une des règles sacro-sainte de l'écrivain),

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8 A V ANI·PROPOS

5 - Cet entraînement au raisonnement n'est pas toujours une partie de plaisir. Il faut parfois s'accrocher. Très souvent, les phrases sont du style AB, BC, CD c'est-à-dire transitives et il n'est pas tou­jours aisé, dans ce cas, d'éviter les lourdeurs syntaxiques. Dans cet ouvrage, l'idée ou le raisonnement prime l'expression. C'est un parti pris. La perfection, en ce domaine, a un coût d'opportunité: retarder la parution de l'ouvrage et mobiliser le temps de l'auteur à cette tâche au lieu de le consacrer à une autre activité (sous-entendu: plus rémunératrice).

6 - Pour rendre accessible le point de vue de l'économiste au lecteur sans qu'il ait besoin de sacrifier des années d'études pour maîtriser les dédales de la théorie moderne de l'utilité, de la firme, du marché ou de l'équilibre général, nous avons adopté un ton familier, une écriture proche du langage parlé et évité, dans la mesure du possi­ble, le jargon de la profession.

- Enfin, l'auteur dégage toute responsabilité si après avoir lu ce livre, le lecteur regarde d'un œil différent son conjoint et décide d'en changer ...

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PRÉFACE

Contrairement à ce que peut suggérer le rapprochement entre le titre de la collection « Libre échange» et le titre de ce livre, les pages qui suivent ne sont pas celles d'un ouvrage permettant aux lecteurs de découvrir les mille et une façons d'échanger sa femme contre une autre pour le plaisir d'une nuit, mais d'un livre «docte» et, nous l'espérons, non ennuyeux sur ce que les économistes appelle les marchés «du mariage, de la famille ou des enfants».

Comme pour toute œuvre intellectuelle, la préparation d'un livre entraîne une dette à l'égard d'un grand nombre de gens. Je voudrais utiliser cette préface pour exprimer ma gratitude à tous ceux qui, à un stade ou à un autre de ce travail, m'ont aidé.

Ma curiosité pour les phénomènes démographiques n'est pas purement accidentelle. Elle a pour origine les recherches empiriques que j'ai effectuées au cours des années 1977-1983 au sein du Labora­toire de Microéconomie Appliquée digiré par Louis Levy-Garboua au CREDOC (Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des conditions de vie) conjointement avec mes activités d'enseignement et de recherches à l'Université de Paris Dauphine. Ce centre dispose depuis de nombreuses années d'enquêtes suries conditions de vie des ménages qui offrent l'occasion de tester les théories de Gary Becker, professeur au département d'économie de l'Université de Chicago, sur la fécondité, le mariage et le divorce. Cet ouvrage n'est pas un résumé ou une synthèse de mes travaux empiriques mais plutôt le fruit d'une nouvelle réflexion visant à susciter chez tous ceux qui ont

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pour profession de traiter des problèmes familiaux, un intérêt pour un point de vue peu courant sur ces thèmes: celui de l'analyse éco­nomique.

Ma dette est donc immense à l'égard de Louis Levy-Garboua. D'une part, il m'a permis de travailler sur ce sujet, d'autre part, il a toujours soutenu mes efforts à l'encontre de cet environnement hostile à toute innovation qu'est devenu l'université française. J'ai bénéficié pendant ces années passées au CREDOC des longues dis­cussions que nous avons eu ensemble sur ces théories. Je tiens ici à ce qu'il soit remercié en premier. A Louis Levy-Garboua j'associerai son équipe: Madame Durand, Mrs. N'Guyen Khan et J.-P. Jarousse sans oublier Mlle M. Feuillet chargée de la bibliothèque du CREDOC et qui a fait de cet instrument intellectuel un outil d'une très grande qualité.

Ces recherches sur la famille, réalisées au CREDOC, ont été financées pendant plusieurs années par la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales) et le CGP (Commissariat Général au Plan). Que ces organismes en soient remerciés.

Ma dette est tout aussi immense à l'égard de Pascal Salin qui, lorsqu'il était jeune professeur frais émoulu du concours d'agréga­tion de l'Enseignement Supérieur, et moins connu qu'aujourd'hui, m'a fait découvrir le plaisir qu'il y a à pratiquer le raisonnement économique. Sans ce hasard, je ne serais jamais devenu un écono­miste et encore moins un universitaire.

En ce qui concerne plus directement l'ouvrage, mes remercie­ments vont d'abord à mes étudiants d'Economie Appliquée à l'Uni­versité de Paris Dauphine. Ils ont constitué pendant deux ans un banc d'essai pour voir comment les idées développées dans ce livre pou­vaient passer auprès d'un public intéressé à l'économie et à la pros­pection d'un futur conjoint. Ensuite, ils vont à Henri Lepage avec lequel j'ai eu de longues discussions sur la théorie des contrats et des droits de propriété. A ces remerciements j'associerai Jacques Garello qui m'a permis de présenter plusieurs fois lors des Universi­tés d'été de la Nouvelle Economie à Aix-en-Provence les théories de ce livre à un public plus large que celui des initiés. Je tiens aussi à exprimer ma gratitude à Jacques Silber et Amyra Grossbard qui lors d'un séjour à l'Université de Bar-Uan en Israël m'ont offert la possi­bilité de discuter un ou deux chapitres de cet ouvrage, alors en pré­paration, au séminaire hebdomadaire qu'ils dirigeaient. Florin Afta-

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P!UFACE 11

lion, François Guillaumat, Daniel Pilisi et plus particulièrement Pascal Brunier, même s'ils ne partagent pas les thèses défendues dans ce livre, ont eu le courage de relire le manuscrit en entier ou pour partie, et m'ont fait bénéficier de leurs remarquel) sur la manière dont il était écrit. Je leur exprime à eux aussi to~te ma gratitude.

Il est de coutume souvent de dédier son livre à quelqu'un. Les candidats potentiels sont habituellement la femme de l'auteur, ses parents ou ses enfants. Mes parents sont disparus depuis trop long­temps déjà et, s'ils avaient pu lire ce livre, je ne suis pas sûr qu'ils m'auraient félicité. Ma femme n'ayant pas encore lu les pages qui suivent, j'ai encore la possibilité de sortir de chez moi en entier, aussi je me garderai bien d'attirer son attention en le lui dédiant. C'est donc à mes deux filles que je dédie ce livre en prévision des années où elles seront à la recherche d'un époux si à cette époque-là on se marie encore.

Clos Ollendorff Saint-Cloud, août 1986

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INTRODUCTION

« La femme qui, sur le titre de ce livre, serait tentée de l'ouvrir, peut s'en dispenser, elle l'a déjà lu sans le savoir. Un homme, quelque malicieux qu'il puisse être, ne dira jamais des femmes autant de bien ni autant de mal qu'elles en pensent elles-mêmes.»

Honoré de BALZAC, PbylÏologi, du maria gr, La Comltlù humaine,

Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.

La famille parmi toutes les communautés connues est sans doute celle qui marque le plus l'individu. On ne peut donc être surpris du nombre impressionnant d'ouvrages écrits à son sujet. Ces livres, la plupart du temps, abordent des thèmes très variés. En général, parmi eux, il en existe un qui attire toujours l'attention du public: celui des changements profonds qui affectent cette communauté.

La famille actuelle ne ressemble pas du tout à celle qu'ont connu nos parents et grand-parents. La famille, dite d'autrefois, s'est considérablement rétrécie. Les cousins ne se connaissent pas. Même les frères et sœurs, une fois atteint l'âge de la vie active, ne se voient plus en dehors des cérémonies familiales. L'obligation de pren­dre soin des vieillards n'existe plus dans nos sociétés. Les «grand­mères», par suite de la surmortalité masculine, vivent seules dans les grandes villes à la merci de prédateurs ou dans des maisons de retraite. Le mariage n'est plus sacré. Les couples s'expérimentent, «cohabi­tent» et se séparent aussi facilement qu'ils achètent une voiture et la revendent quelques années plus tard. Ils se marient et divorcent puis se remarient. Ils ont des enfants hors mariage ou de plusieurs mariages. D'ailleurs moins ils en ont, mieux ils se portent. Lesjeunes,

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au moment de la saison des amours. ne sont plus chaperonnés et vivent une liberté sexuelle génératrice de maladies transmissibles et de grossesses non désirées se terminant par un avortement remboursé par la sécurité sociale.

Pour les plus solides d'entre nous. ou pour les plus individua­listes, cette évolution est bénéfique. Pour les autres, elle est désas­treuse car elle nous prive de la chaleur humaine et de la protection que cette communauté naturelle procurait à chacun d'entre nous. Indépendamment des sentiments que l'on peut éprouver à l'égard de cette évolution les faits sont là pour confirmer l'importance de ces transformations. A en juger par les chiffres, celles-ci sont particu­lièrement impressionnantes depuis les années 1970-80. L'évolution de la nuptialité, de la fécondité et des divorces est particulièrement rapide depuis cette période. On observe à la fois une baisse assez vive de la nuptialité, une augmentation extrêmement brutale des divorces et une diminution drastique de la fécondité. On remarque simultanément une montée des naissances illégitimes et du nombre de femmes seules vivants avec des enfants. Dans le même temps, les taux d'activité féminine se sont accrus de manière très spec­taculaire 1.

De tels phénomènes s'ils se prolongent. ne remettent-ils pas en cause la survie même des populations concernées? Ce sont précisé­ment ces changements radicaux conjointement avec l'inquiétude de nos contemporains sur la dépopulation de notre société qui ont de plus en plus attiré l'attention des scientifiques.

La famille est ainsi l'objet principal de deux «sciences» distinc­tes et bien établies: la démographie et la psychanalyse. Mais elle est aussi l'objet de spécialités dans des disciplines diverses comme la psychologie, la sociologie ou l'anthropologie. D'une certaine façon, l'objet de cet ouvrage s'inscrit dans cet effort général des «scientifi­ques» pour comprendre ces phénomènes.

Les économistes, il faut le reconnaître, sont venus très tardive­ment apporter leur contribution à la connaissance des phénomènes familiaux et démographiques. Ils s'efforcent, à l'heure actuelle, de combler ce retard, et d'en rendre compte avec leurs outils d'analyse habituels. Certes, ils ont déjà des lettres de noblesse sur ces thèmes puisqu'ils ont été les premiers à offrir une théorie de l'évolution des populations avec Malthus, et une théorie de la fonction écono­mique de la famille avec Engels. Néanmoins il aura fallu attendre

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INTRODUCTION IS

les années 1960 pour qu'une théorie économique moderne de la fécondité, du mariage, du divorce et de la nature de la famille se développe sous l'impulsion de l'école de Chicago 2. Cette théorie offre au lecteur une interprétation de l'ensemble des phénomènes qui transforment aujourd'hui si profondément le paysage familial.

Les idées que développe cette théorie reposent sur quelques principes simples: 1) tout phénomène social (et donc tout phéno­mène démographique) résulte de l'interaction individuelle: c'est l'individualisme méthodologique; 2) tout individu agit dans le but de substituer à une situation peu satisfaisante une autre jugée meil­leure : c'est, dans sa version la plus atténuée possible, le principe de rationalité individuelle; 3) qu'il s'agisse de choisir entre deux mar­ques de yaourt ou de voiture ou entre deux programmes politiques et ou entre deux femmes, l'individu agit de la même manière «ration­nelle» 3 • On accordera simplement au lecteur qu'il est plus difficile pour l'individu de maîtriser son comportement «irrationnel» (c'est-à­dire ses passions ou ses instincts) quand il s'agit de choisir une femme pour épouse que lorsqu'il s'agit du choix d'un emploi ou de vête­ments.

Cette vision s'oppose à celle des anthropologues ou des sociolo-gues pour qui la question est de savoir si :

«parmi les faits qui se passent au sein des groupes, il en est qui manifestent la nature du groupe en tant que groupe et non pas seulement la nature des individus qui les composent 4 »;

ou si: «les actions des individus sont raisonnables sans être le produit d'un dessein raisonné et à plus forte raison, d'un calcul rationnels».

Le choix du conjoint résulte-t-il d'une intention raisonnée ou est-il un choix raisonnable sans être le produit d'un calcul rationnel? La famille est-elle l'un des organes de la société remplissant une fonction particulière: celle de reproduction et de socialisation de ses membres? Les phénomènes démographiques sont-ils le produit non anticipé d'actions individuelles parfaitement rationnelles?

Poser les questions de cette façon oriente les réponses dans une certaine direction. Or, chacune de ces directions tend à s'écarter de sa voisine, creusant ainsi le fossé qui sépare les disciplines ou les chercheurs.

Ainsi cette théorie économique de la famille, encore dans son enfance, suscite déjà de telles réactions de rejet, même parmi les

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économistes, que J'on peut se demander si elle va survivre aux assaults les plus divers menés contre elle. Si l'optimisme de certains écono­mistes (ici les tenants de l'école de Chicago) est illustré par cette phrase:

~ ... J'approche économique est un instrument puissant pour analyser à la fois les changements dramatiques qui se produisent dans cette seconde partie du siècle et les changements plus lents mais plus profonds qui au cours des siècles caractérisent J'évolution de la famille des sociétés tradi­tionnelles à la société moderne 6 ».

néanmoins, il est loin d'être partagé par tous. Les remarques per­fides d'un prix Nobel comme Samuelson qui, évoquant l'analyse économique de la fécondité, parle de :

~ verbiage stérile par lequel les économistes décrivent les décisions de fécon­dité dans leur jargon de courbes d'indifférence (et de contrainte de budget), impressionnant par ce biais des non-économistes qui n'ont pas passé leur jeunesse à maîtriser les dédales de la théorie moderne de l'utilité»

ou celle de Blaug qui lui, voit dans cette littérature: ~ l'usage d'un marteau tenu à deux mains pour écraser LInt! noix 7 »

dévoilent l'âpreté des débats.

Ces passions soulevées par l'incursion de J'école de Chicago dans les chasses gardées des sociologues ou anthropologues s'étendent à ces disciplines. La discussion et les critiques, faites par Clignet et Sween ou Cohen dans le CUITent Anthropology de mars 1977, à l'analyse économique de la polygamie de Grossbard, une élève de Becker (chef de file de l'école de Chicago dans ces domaines) illus­trent des querelles extrêmement vives entre les chercheurs s.

La plupart des détracteurs rejettent l'analyse économique de la famille parce qu'elle serait un outil inapproprié pour comprendre des phénomènes complexes non marchand. D'ailleurs, pour eux, cet outil d'analyse s'avère déj à incapable d'expliquer ce qui se passe sur le marché du travail ou sur des marchés financiers. A fortiori, on ne voit pas pourquoi il apporterait quelque chose à la compréhension de phénomènes que l'on observeraient sur le «marché» du mariage. On peut répondre à cette critique en la prenant à l'envers. En réalité, cet outil s'avère extraordinairement efficace parce que les phéno­mènes familiaux sont fondamentalement plus simples que ceux observés sur les marchés du travail ou financiers.

Nous n'entrerons pas dans ces débats pour deux raisons qui nous semblent amplement suffisantes. D'abord, ce que nous voulons approfondir c'est l'approche des économistes et non celle des autres

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INTRODUCTION 17

disciplines. Ensuite, si nous abordions et discutions des recherches faites dans celles-ci pour les confronter à nos analyses, nous serions amenés très vite, faute de place, de temps et surtout de compétence, à présenter de façon partielle, caricaturale ou bien encore partiale (pis encore, les trois ensembles) les théories développées par les sociologues, anthropologues ou psychanalystes, ce qui serait pro­fondément injuste à leur égard.

C'est l'expérience des échanges interdisciplinaires qui nous apprend combien il est difficile d'entrer dans l'analyse spécifique d'une autre discipline. Il suffit de voir comment un excellent socio­logue, historien ou psychanalyste caricature dans sa présentation une théorie économique afin de mettre mieux en valeur les siennes pour se rendre compte combien il est imprudent pour un économiste d'en faire autant. Ce n'est donc ni par ignorance ni par négligence, mais volontairement, que nous ne ferons jamais référence, à quelques exceptions près, aux travaux des autres chercheurs en sciences socia­les sur les thèmes qui nous préoccupent dans ce livre.

On comprend aisément pourquoi démographes, sociologues et anthropologues ne sont pas convaincus par la pertinence du para­digme des choix individuels appliqués aux phénomènes touchant la famille: ils en méconnaissent le maniement. En revanche, on ne comprend pas pourquoi les économistes, eux, ne sont pas convaincus de sa pertinence. Ils devraient l'être puisque ce paradigme fonde leur raisonnement. Ils devraient l'être encore bien davantage puisque le mot «économie» vient du grec «oikonomia» et signifie organisation d'une maison domestique! Or, aussi paradoxal que cela puisse être, les économistes n'ont jamais eu de théorie du «ménage domestique» ; pour la première fois, il en existe une. A l'image de la théorie écono­mique de l'entreprise, de l'Etat ou de la bureaucratie, elle transforme la «boîte noire» des «ménages» (seule entité reconnue par la compta­bilité nationale qui ignore résolument les individus) en une «boîte» enfin transparente! Rien que pour cette percée décisive, la théorie économique de la famille mérite d'être étudiée à l'égal de celle de l'entreprise ou de l'Etat. Avec le temps et la féminisation croissante de l'Université nous ne doutons pas qu'elle finira par constituer une spécialité reconnue.

En attendant, la réticence générale chez les économistes comme chez les autres «scientifiques» à cette approche de la famille sur­prend toujours. La raison en est sans doute sentimentale. D'une part,

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sa simplicité, son unité et sa cohérence et, d'autre part, son langage heurtent la sensibilité de chacun sur des sujets qui touchent souvent à l'intimité des gens. Le lecteur n'accepte pas encore de voir qu'il est possible d'examiner toute action en termes de coûts et avantages, et qu'il n'agit pas autrement dans ses relations avec les autres êtres humains.

Personne n'aime être traité comme un objet d'échange dans les aspects les plus intimes de sa vie; chacun aspire à être unique. Les occidentaux pensent le mariage dans ses aspects romantiques et valorisent le caractère unique de la relation d'amour qui s'établit entre mari et femme. Si l'un commence à juger la conduite de l'autre et à faire la comptabilité des avantages et des coûts qu'il ya à vivre ensemble, la vie du couple vaut-elle d'être prolongée?

Nos contemporains préfèrent oublier les aspects les plus routi­niers du mariage. Ils sont aveugles à son fondement économique même: le mariage pour une femme est avant tout un travail et un emploi. Si c'est un bon emploi - c'est-à-dire si le mari est un bon mari riche et affectueux - alors il y a plein de candidates prêtes à offrir leur service à cette perle rare. De la même manière l'homme est bien content d'avoir une épouse pour s'occuper de lui et avoir des enfants. Il entre en compétition avec d'autres hommes pour gagner le cœur de la femme qu'il convoite et pour acquérir suffisamment de ressources de telle sorte qu'elle puisse rester au foyer. Ce sont ces aspects non romantiques de la vie quotidienne qui engendrent un marché du mariage 9.

Les gens se marient, restent célibataires, se séparent ou divor­cent. Ils produisent ensemble divers biens ou services nécessaires à la vie courante. Ils ont des enfants. Ils se disputent les droits et obligations qu'ils ont les uns sur les autres. Tous ces faits sont déter­minés par un ensemble de facteurs recevant une interprétation simple si l'on a en tête l'idée que les choix individuels à propos du mariage et de la vie de famille sont soumis aux lois du marché.

Nous traiterons l'essentiel de cette interprétation dans les points suivants 10 :

La nature de la famille - Qui «porte la culotte» dans le ménage - Le choix du conjoint - Le prix de la femme dans les sociétés contemporaines - Le contrat de mariage - Le commerce des enfants - Le déclin de la fécondité - La politique familiale et démogra­phique.

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1

La nature de la famille

« La principale raison pour laquelle il est rentable de constituer une entreprise semble qu'il y ait un coût à utiliser le mécanisme des prix de marché. »

R. COASE, The Nature of the Firm, EroIlO1l,ÎCa, novembre 1937.

La famille est une entreprise ou une communauté d'intérêts qui offre à ses membres des bénéfices de toutes sortes qu'il est difficile de se procurer à un prix raisonnable sur le marché 1• Ces bénéfices peuvent être matériels tels le gîte, le couvert et les repas ou immaté­riels tels l'amour ou l'affection. Ils vont de l'assurance en temps de maladie ou de la perte d'un emploi, aux soutiens financiers ou affec­tifs, aux anciens qui ne peuvent plus travailler, aux soins médicaux ou à l'éducation des plus jeunes. Cette liste est longue et varie d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre. Ces bénéfices sont produits par les membres de la famille en combinant l'achat de biens et ser­vices avec l'utilisation de leur propre temps et compétence. Cette hypothèse permet de comprendre presqu'immédiatement la nature de la famille et les raisons de sa formation. En effet, son existence dépend fondamentalement de la présence ou de l'absence de subs­titut à la production familiale sur le marché. Cette idée très simple, mais non simpliste, est riche d'implications théorique et empirique 2 •

Pour comprendre l'argument posons-nous la question suivante: pourquoi la famille est-elle encore attrayante pour les individus si la plupart des activités produites en son sein peuvent être aujourd'hui

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obtenues sur le marché? au lieu de déjeuner à domicile, il est possible de prendre ses repas à la cantine de l'entreprise ou au restaurant. Au lieu de faire soi-même le ménage, laver le linge ou la vaisselle, bricoler ou s'occuper des enfants, il est aisé de s'adresser à un per­sonnel de maison ou bien à une entreprise (publique ou privée) spécialisée dans la production de ce type de services. Si les gens désirent avoir des relations affectives avec d'autres personnes, ils peuvent adhérer à un club de rencontres ou payer quelqu'un comme l'attestent le développement de la prostitution et celle des compa­gnies de personnes auprès des malades et des personnes âgées. S'ils désirent avoir des enfants, ils peuvent en adopter légalement ou s'en procurer, moyennant une somme d'argent, au marché noir en Colom­bie, ou ailleurs. Si la plupart des activités qui sont produites à domi­cile peuvent donc être obtenues sur le marché, quelles raisons pous­sent les individus à préférer une production familiale?

Utiliser le marché pour acquérir tous ces services ne se fait pas sans coûts. Chaque transaction impose des dépenses propres qui sont liées aux trois obstacles suivants: 1) découvrir le service jugé équivalent à ce qu'on pourrait produire soi-même; 2) trouver les personnes ou les entreprises qui offrent ces services ou produits; 3) négocier et conclure les contrats puis contrôler l'exécution des services. A cela s'ajoutent des dépenses variant proportionnellement avec le nombre de transaction par unité de temps (par exemple le mois ou la semaine), avec le nombre de parties au contrat en pré­sence, et avec le nombre distincts de biens ou services demandés par transaction 3. Enfin, à chaque transaction les coûts varient avec le volume du bien ou service demandé.

Un service aussi simple que celui des tâches ménagères illustre ces difficultés de façon évidente. Le travail ménager peut être assuré par du personnel domestique. Le service rendu dépend du nombre d'heures de ménage et de l'aptitude de la personne employée. Or, justement, cette aptitude n'est peut-être pas celle que l'on espérait. Le ménage n'est pas fait avec le soin ou l'attention voulue. La per­sonne qui le fait n'est peut-être pas très honnête, ou bien elle est suffISamment maladroite pour briser des objets auxquels vous tenez beaucoup. La difficulté de trouver du personnel domestique idéal qui ferait le travail aussi bien sinon mieux que soi-même n'est pas due à l'impossibilité de le trouver mais au coût qu'il faut supporter pour le découvrir! Si vous êtes demandeur d'un personnel domestique com-

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LA NA TURE DE LA FAMILLE 21

ment faites-vous pour être mis en contact avec? En général, il est possible de s'adresser à une entreprise de placement, à l'expérience des voisins ou bien aux petites annonces dans les journaux ou sur les lieux de commerce que l'on fréquente mais tout cela nécessite du temps et de l'argent, et il faut négocier le contrat, discuter de la rémunération, des tâches à accomplir, de la durée et des heures de disponibilité de chacun. Il faut aussi convaincre l'employé d'être déclaré à la sécurité sociale! Ces opérations doivent être répétées souvent (tous les mois) pour différentes tâches domestiques et avec différentes personnes. Il en faut une pour la cuisine, une autre pour le jardinage, une troisième pour les soins et l'éducation des enfants, la quatrième pour la conduite des véhicules de la famille et une dernière pour surveiller les autres. Ces coûts fixes deviennent vite prohibitifs et à la seule portée des familles les plus riches ou des dignitaires de l'Etat comme pour les commissaires de la Républi­que. Toutes ces conditions affectent la valeur accordée à ce substitut qu'offre le marché. Si ces services peuvent être produits par soi­même à un coût plus faible, on renoncera à leur achat.

Reportons-nous maintenant aux services affectifs. On devine immédiatement les obstacles rencontrés pour les obtenir. Les rela­tions affectives ont cette caractéristique particulière d'exiger, pour donner quelque utilité, une longue période d'investissement et une exclusivité sur une personne parfaitement identifiée. Or, une entre­prise qui désirerait offrir sur le marché un tel service doit pour survivre et étendre sa clientèle pouvoir passer des contrats de courte durée et non exclusifs. De tels contrats existent, mais ils concernent la compagnie des personnes âgées ou la prostitution, c'est-à-dire des substituts très imparfaits à ce que les individus peuvent produire au sein de la famille. De la même façon, avoir des enfants en les adop­tant ou en utilisant des mères porteuses présente des inconvénients non négligeables. On désire avant tout ses propres enfants et non ceux des autres. On désire voir reproduire dans un enfant la moitié de ses gènes. Les personnes qui adoptent des enfants ou s'adressent à des tiers pour les produire sont principalement des couples stériles. Comme on n'est pas indifférent aux gènes incorporés dans l'enfant, on préférera produire soi-même ses propres enfants avec une per­sonne parfaitement identifiée. Le rôle fondamental joué par l'iden­tité du partenaire s'étend au-delà du problème des enfants. Quand il s'agit des services affectifs ou même dans certains cas, quand il

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22 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

s'agit d'embaucher une femme de ménage, l'identité de la personne est cruciale. La valeur de la production domestique offerte ou du service rendu par l'affection de quelqu'un dépend de la qualité et de la stabilité des relations qui s'établissent entre les individus.

Pour le marché, la difficulté d'offrir sur grande échelle des subs­tituts à ces activités ou à ces biens incite les individus à coopérer pour les produire eux-mêmes. Ils établissent un contrat bilatéral (ou multilatéral) entre des facteurs de production: les temps, les aptitudes, et les ressources monétaires des individus décidés à coopé­rer. Ils instituent une entité «abstraite» appelée: la famille. Naturelle­ment, cette incitation ne suffit pas car l'institution présentera un intérêt si l'ensemble des avantages produit par les individus en coopé­rant entre eux l'emporte sur la somme des bénéfices qu'ils produisent pris séparément. La différence des deux doit l'emporter sur les difficultés d'organisation et de contrôle et sur celles encourues si l'on veut obtenir sur le marché des produits substituts. On retrouve ici les arguments proposés par les économistes pour expliquer la nature de la firme et son émergence. Trois raisons permettent de produire plus, ensemble plutôt que séparément:

- la division du travail; - la complémentarité des individus; - les économies d'échelle. Par ailleurs, les coûts du contrôle des performances au sein de la

famille diminuent avec : - le degré de: générosité ou d'amour liant les partenaires (celui­

ci permet d'augmenter considérablement la confiance des uns envers les autres. Comme chacun désire le bonheur de l'autre, chaque parte­naire attend de son conjoint qu'il ne s'engage dans des activités qui nuiraient à son bien-être et à celui de la famille dans son ensemble);

- l'aisance avec laquelle on peut mesurer les performances; - la précision des droits de propriété sur les actifs de la famille

et sur l'utilisation de ses ressources; - la loyauté au groupe. En revanche, ils augmentent avec: - les conflits de personnes; - la répugnance à l'effort individuel ou l'incompétence. Finalement les coûts d'accès au marché dépendent des dépenses

propres à la transaction et du volume des biens demandés par unités de temps.

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LA NATURE DE LA FAMILLE 23

Constituer ou prolonger la famille résulte de l'interaction de ces gains et de ces coûts. Abordons successivement ces différents points.

La division du travail, la complémentarité et les économies d'échelle

Si chaque membre de la famille dispose d'un avantage compara­tif dans une activité, une division du travail entre eux permettra de produire plus ensemble que séparément. L'homme et la femme sont différents pour des raisons biologiques ou d'investissement en capital humain. La façon dont le temps est alloué à des tâches diverses ne peut donc leur être indifférente. Ceci incitait jadis la femme à rester au foyer pour les tâches domestiques et l'homme à rechercher un emploi quelconque pour assurer un revenu. A priori, la spécialisation des rôles au sein de la famille n'est pas liée au sexe 4 • Un couple d'individus de même sexe peut très bien saisir l'opportunité des bénéfices procurés par une division des rôles si leur temps et / ou pro­ductivité ne sont pas identiques 5.

Les raisons pour lesquelles les temps ne sont pas parfaitement semblables sont vraisemblablement liées aux talents innés ou acquis incorporés dans chacun d'eux. On peut même aller plus loin. Si deux partenaires sont parfaitement identiques Gumeaux) et s'ils décident de vivre ensemble, il est dans leur intérêt d'investir en capi­tal humain et d'acquérir une formation ou un talent différent pour se créer un avantage comparatif. Ces individus se donneront les moyens d'augmenter leur bien-être en profitant des gains dûs à la division du travail'. Cet investissement en capital humain de chaque partenaire peut à lui seul déterminer la division sexuelle des rôles dans la famille sans paradoxalement décider du sexe qui voit ses activités orientées vers la production familiale. La femme s'est vue attribuer systématiquement les activités familiales. Il existe donc une raison pour laquelle l'avantage comparatif est lié au sexe. La femme, par définition, se trouve être le sexe spécialisé dans la reproduction de l'espèce (cette différence biologique est, elle-même, issue d'un principe de spécialisation 7 ). Ceci donne à l'épouse un avantage absolu dans la production des enfants au moment de la gestation et de l'allaitement. Il s'ensuit un avantage comparatif dans leur éducation au moment où ils sont les plus vulnérables, c'est-à-dire en bas-âgeS.

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Cet avantage comparatif est exploité si et seulement si les cou­ples désirent se reproduire, c'est-à-dire si la demande d'enfants est importante. La forte demande d'enfants par les hommes élève, pour la femme, la rentabilité du mariage et renforce l'intérêt d'une spécia­lisation du sexe féminin dans les activités familiales. C'est donc parce que les hommes et les femmes désirent leurs propres enfants en grand nombre que la division, sexuelle des rôles s'impose. Inversement, si la demande d'enfants est faible ou bien si l'on ne désire pas avoir ses propres enfants, elle repose davantage sur les investissements en capital humain respectifs de chaque partenaire sans préjuger du sexe. La division sexuelle des rôles au lieu d'être influencée par la nature du sexe sera déterminée par l'assortiment initial des parte­naires et par leur talent au début ou en cours du mariage.

Malheureusement, la demande d'enfants, même si elle est faible, impose à l'épouse, du fait de son sexe, un effort pour convaincre l'employeur qu'elle a le désir d'exercer de façon permanente une activité professionnelle alors que la moyenne des femmes s'arrêtent pour élever leurs enfants. Anticipant cette interruption, l'employeur offre aux femmes un salaire inférieur à celui des hommes pour la même qualification ou le même poste de travail. En début de carrière, pendant la formation, l'employé coûte plus qu'il ne rapporte. Pour récupérer cette perte, l'employeur verse un salaire inférieur à ce que rapporte l'employé une fois la qualification acquise. Comme les femmes cessent de travailler pour élever leurs enfants, l'employeur a plus de difficultés à récupérer sa perte initiale. Il hésite à embau­cher une femme et s'il le fait, il lui offre un salaire plus faible! Cette différence de salaire est suffisante pour créer un avantage comparatif à spécialiser la femme au foyer. La rentabilité des inves­tissements en éducation pour les filles se trouvent être plus faible. Cette division des tâches est alors perpétuée par les familles qui tendent à financer des formations rentables pour leurs fils et non pour leurs filles.

La présence de bons substituts sur le marché à la production familiale est essentielle pour profiter des gains de la division du travail. C'est elle qui permet d'exploiter les traits dissemblables des conjoints pour produire plus ensemble que séparément. En leur absence le couple devra produire lui-même les biens et services qu'il demande. Dans un tel cas la seule façon de produire plus ensem­ble que séparément repose sur un bon assortiment des conjoints.

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LA NATURE DE LA FAMILLE 25

On recherchera chez le partenaire des traits qui ajoute plus à la pro­duction lorsqu'ils sont associés ensemble. Ces traits sont dits complé­mentaires. Dans le cas contraire où ils ajoutent moins, ils sont dits substituables.

Les sociologues insistent sur la complémentarité des époux comme source principale des gains du mariage 9 ; en revanche les éco­nomistes mettent plutôt l'accent sur la division du travail. Ni les uns ni les autres n'ont tort. « L'homogamie» des traits des conjoints est extrêmement fréquente, qu'elle soit mesurée par l'intelligence, la taille, l'âge, la couleur de la peau, l'éducation, la religion ou les caractéristiques socio-économiques des parents. Naturellement, on observe des assortiments où les traits des conjoints sont opposés, qu'ils soient mesurés par le salaire, le sexe ou la tendance à « mater­ner» son partenaire. L'assortiment des individus semblables est optimale pour la production de biens sans substitut sur le marché. En revanche, l'assortiment de personnes dissemblables est optimale pour la production de biens ayant des substituts sur le marché. Ce théorème est immédiat. Lorsque l'on ne peut obtenir sur le marché un service que l'on désire, il faut le produire à domicile. En conséquence, et par défmition, on recherchera chez son conjoint des traits complémentaires. Inversement, pour bénéfi­cier de gains de la spécialisation, il faut une différence de produc­tivité, c'est-à-dire des traits dissemblables. On recherchera donc chez son partenaire des traits substituts. C'est-à-dire des traits qui non utilisés ensemble, produisent plus de satisfaction qu'autre­ment.

Partager le même toit, la même voiture ou le même lit écono­mise des ressources. Cependant, les gains associés à ces économies d'échelle peuvent être captés par des personnes ne désirant pas se marier (frères et/ou sœurs, étudiants partageant le même apparte­ment, communautés). Ils sont aussi contrebalancés par des coûts d'adaptation aux goûts, aux horaires et aux fréquentations de l'autre partenaire. Or ces coûts seront justement minima quand les individus seront semblables et quand l'un d'eux se spécialise dans la produc­tion domestique. C'est-à-dire quand les gains de la division du travail et de la complémentarité préexistent. Une explication des gains du mariage par les économies d'échelle n'est donc pas très convain­cante. Celles-ci ont sans doute un intérêt lorsque la taille de l'unité de production est élevée. La famille de ce point de vue n'est pas

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une institution où l'on puisse réellement profiter des effets de taille car celle-ci est limitée.

Les gains de la division du travail et de la complémentarité sont certainement nécessaires pour rendre attrayant le mariage, mais ils ne sont pas suffisants. Comment va-t-on organiser la pro­duction et le contrôle des performances de chacun? Qui va comman­der? Quand l'époux est au travail est-ce que sa conjointe au foyer assure les tâches domestiques comme le désire son partenaire? Ne risque-t-elle pas d'être détournée de son devoir conjugal par son voisin? De la même façon est-ce que le mari s'investit suffisamment dans son travail pour offrir à son épouse, spécialisée dans la pro­duction familiale, un niveau de vie supérieur à celui qu'elle pourrait obtenir en travaillant ou en redevenant célibataire ou en épousant un autre homme?

Les coûts d'organisation de la production en famille

L'étroite coopération du couple permet de contrôler aisément le comportement de chacun et de mesurer les performances respec­tives 10. Le sérieux du travail (domestique ou professionnel), les dépenses ou les habitudes de consommation, la compétence dans les décisions d'un membre de la famille sont facilement observables. La famille économise les coûts d'information sur les comportements de ses membres. Plus elle sera étendue et intégrée (vivant en autar­cie ou avec des liens très étroits), plus elle économisera sur ces coûts d'information. Par ailleurs, elle dispose de sanctions, en cas de mau­vaise conduite, qu'aucune autre institution ne peut mettre en œuvre comme la «fessée» ou l'exclusion du clan familial dont les consé­quences étaient autrefois infiniment plus graves que de perdre un emploi. Les membres de la famille sont aussi copropriétaires de l'ensemble des actifs produit par leur coopération. Cette copropriété développe un sentiment de responsabilité à l'égard de la commu­nauté. Ce comportement varie avec la taille, l'étendue du clan fami­lial et le partage des gains du mariage. Plus la famille est étendue et le partage égalitaire, moins les membres du clan seront sensibles aux conséquences de leur propre conduite sur le bien-être des autres partenaires. En revanche, plus la taille du groupe est petite et la part des gains du mariage reçue par chacun, fonction de son comporte-

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LA NA TURE DE LA FAMILLE 27

ment, plus cette copropriété responsabilisera les membres du clan. Enfin, l'amour limite les comportements opportunistes des uns et des autres. L'honnêteté ou la confiance accordée à autrui ou bien encore la loyauté à l'égard du groupe sont des attitudes morales qui renforcent la coopération et la réputation de la famille même si celles-ci ne sont pas spécifiques à cette institution. La loyauté au groupe vaut pour un club, une entreprise ou une nation. Les métapho­res utilisées par ces institutions pour répandre cette attitude parmi leurs membres (à l'exemple des concepts de : solidarité nationale, fraternité du peuple, mère patrie, Dieu est votre père, les hommes vos frères etc.) se servent de l'émotion provoquée par ces mots, grâce à l'expérience familiale, pour susciter artificiellement parmi les esprits les plus faibles du groupe (en misant sur un mécanisme de transfert émotionnel) l'adhésion aux valeurs de l'institution et l'obédience à ses chefs li.

Trois obstacles viennent cependant nuancer ces avantages dans l'organisation de la coopération au niveau de la famille. D'abord, les membres du clan ne sont peut-être pas doués pour certaines activités spécifiques (soigner un blessé) auquel cas il faut faire appel au marché ou à l'échange. Ensuite, comme les sanctions pour mau­vaise conduite sont graduelles, une marge assez grande existe dans les comportements pour enfreindre les règles implicites d'une bonne allocation des rôles ou pour négliger les tâches que l'on s'est sponta­nément attribuées. Enfm, en cas de conflits entre mari-femme, parents-enfants, ou frères et sœurs, les tensions affectent l'ensem­ble des comportements et donc la production familiale. Autant la stabilité des liens et l'affection développent les performances des individus, autant l'instabilité et la mésentente constituent une source considérable de faiblesse et accroissent les coûts de toute coopération familiale.

On comprend mieux pourquoi la complémentarité des membres du clan joue un rôle essentiel. Non seulement elle permet de pro­duire plus ensemble que séparément, mais elle offre aussi la possi­bilité de sélectionner les traits de la personnalité qui facilitent l'appa­rition d'attitudes telles l'honnêteté, l'altruisme, la loyauté, la compé­tence qui rendront moins coûteuse la coopération.

Les coûts de transaction supportés par les individus pour accé­der au marché interviennent aussi dans ce bilan. L'aspect imper­sonnel du marché et la standardisation des produits réduisent les

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coûts fixes de chaque transaction. Autrefois la maîtresse de maison pour laver son linge payait une lavandière. Aujourd'hui une machine à laver tient ce rôle. Le passage d'un service humain à un capital physique réduit les coûts propres à chaque transaction (il n'y a plus à chercher une lavandière, à vérifier si celle-ci possède les compé­tences appropriées et l'honnêteté nécessaire et enfin négocier avec elle un contrat de travail) tout en augmentant les services rendus. La machine offre l'avantage d'être «standardisée» et de pouvoir laver à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, à un rythme fréquent. Le volume de linge susceptible d'être lavé augmente donc. Le coût plus faitle avec lequel on peut laver le linge (le prix d'une machine à laver comparé au coût horaire d'une lavandière est pour le même volume de services rendus dérisoirement bas) incite à une consommation accrue! Ce qui vaut pour la machine à laver vaut pour le lave-vaisselle, la voiture, la surveillance électronique ou la télévi­sion. L'ordinateur personnel permettra bientôt de contrôler toutes ses machines et de les faire fonctionner même en l'absence des pro­priétaires! Les coûts d'accès au marché pour un grand nombre de biens et services produits à domicile diminuent. Naturellement, on peut contester qu'il s'agit-là d'un véritable progrès. Quel est le mari qui apprécie que se substituent à la cuisine familiale, les repas congelés, la cantine ou le Fast Food?

Pour concrétiser ces différents arguments prenons à titre d'exem­ple les services rendus par la famille en matière de protection et d'assurance, ou bien d'activités commerciales.

Se protéger contre les conséquences de la vieillesse, de 1;1 maladie, de la séparation ou du divorce, du chômage ou du décès du conjoint peut se faire de nombreuses manières. Dans les sociétés tradition­nelles, la famille est l'institution principale qui fournit une telle protection. En revanche, dans les sociétés modernes, la famille, en concurrence avec le marché et l'Etat, offre à un moindre degré assurance et protection à ses membres. Ainsi, les jeunes chômeurs ou les couples qui se séparent ou divorcent trouvent éventuellement refuge chez les parents; les orphelins sont adoptés par des amis ou par les grands-parents, voire par des oncles ou tantes ou même des frères ou des sœurs. Les parents aident fmancièrement leurs enfants ou leurs proches. Habituellement, les économistes décèlent deux raisons pour lesquelles le marché et l'Etat sont dans l'incapacité d'offrir convenablement un service d'assurance: le phénomène

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LA NATURE DE LA FAMILLE 29

d'auto-sélection inverse et le risque moral. L'auto-sélection inverse apparaît lorsque les individus connaissent mieux la probabilité avec laquelle survient l'événement que l'assureur. Faute de distinguer entre les personnes à haut risque de celles qui ne le sont pas, l'assu­reur impose à chacun la même prime de risque. Or, les individus à faible risque vont trouver la prime trop élevée par rapport à la valeur du dommage attendu. Ils renonceront à s'assurer sur le marché ou auprès d'une institution publique ou quasi publique. L'assureur ne trouvant alors devant lui que des clients à haut risque fait faillite ou demande l'aide de l'Etat. Le phénomène du risque moral apparaît lorsque les assurés peuvent affecter la probabilité d'apparition de l'événement redouté en consacrant de l'argent, de l'attention ou du temps pour l'éviter. En couvrant partiellement ou totalement le dommage créé par cet événement, l'assureur n'incite pas l'assuré à dinùnuer la probabilité du dommage. Si tout le monde agit ainsi, la probabilité des sinistres augmente et le montant des dommages à rembourser s'élève, conduisant à une hausse des primes d'assu­rance. Les pouvoirs publics peuvent imposer une norme à l'ensem­ble des individus (obliger l'ensemble des acteurs sociaux à s'assurer contre un certain nombre de risques) pour échapper au phénomène d'auto-sélection inverse, les institutions publiques et privées d'assu­rance pourront fonctionner. En revanche, elles ne peuvent esquiver le problème du risque moral.

La famille sous cet angle présente au moins trois avantages en dépit de quelques inconvénients majeurs. Le phénomène d'auto­sélection inverse n'y apparaît pas. En effet, l'assurance n'est pas offerte aux personnes étrangères à la famille et ses membres ne peuvent facilement s'en exclure d'eux-mêmes. L'information sur les risques d'apparition de l'événement redouté pour l'un des mem­bres de la famille est habituellement accessible aux autres membres. Le chef de fanùlle connaît (contrairement à un assureur privé ou public) l'état de santé de son conjoint ou de ses enfants. L'amour, la loyauté et la générosité limitent considérablement les comporte­ments visant à tricher ou mentir sur les risques encourus si ceux-ci nuisent aux autres membres du clan. Certes, les conflits entre per­sonnes ou la difficulté de se faire une idée correcte du risque nuan­cent ce jugement. Si vous détestez votre conjoint, vous vous réjouirez de son malheur. Vous ferez tout ce qui sera en votre pouvoir pour l'aggraver. A l'inverse, si vous aimez vos enfants, vous vous inquiéte-

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rez, sans raison sérieuse, de la moindre épreuve qu'ils pourront subir. Mais la protection de la famille se heurte à un inconvénient majeur : sa taille limitée. Comparée au marché de l'assurance ou à des institu­tions publiques ou privées, la famille «moderne» n'offre pas d'écono­mies d'échelle. Elle ne permet pas de diversifier les risques sur un nombre suffisant de gens. Si les risques sont positivement corrélés entre eux (les membres de la famille travaillent tous dans la même entreprise), la famille aura du mal à assurer une protection à ses membres contre.le risque de chômage, faute d'être suffisamment étendue. Ce phénomène de risque social affecte aussi l'Etat ou le marché, mais leurs dimensions respectives perment d'en diminuer l'ampleur. La protection et l'assurance seront fournis par le marché ou par la famille selon les avantages et les inconvénients respectifs des deux types d'institutions face à la nature de l'événement redouté. Le risque de maladie sera offert par le marché ou l'Etat; la charité ou la protection contre le divorce seront des services mieux assurés par la famille.

La nature même de la famille joue dans les activités commerciales un rôle parfois irremplaçable. Dans un monde où le respect des contrats d'échange est incertain, l'identité des partenaires va avoir une importance cruciale. Les traits de leur personnalité vont décider de la continuité de l'échange ou de la stabilité de la relation commer­ciale 12. Dans un tel cas, il y a avantage à échanger ou à établir des relations commerciales, de préférence avec les membres de sa propre famille ou avec son clan. Les raisons sont simples: connaissance plus approfondie de la conduite habituelle des partenaires et de leur per­sonnalité; incitation et sanction plus aisée du fait de la durabilité du lien du sang; loyauté et confiance plus grande. Même si une forma­tion moins 'adéquate constitue un inconvénient possible, les membres du clan bénéficieront d'un net avantage dans un environnement où l'incertitude sur la qualité des marchandises et sur les échangistes est très grande et peu observable avant l'établissement de la relation commerciale. Le dommage créé par cette incertitude s'élève avec la valeur de l'objet d'échange, aussi les économies de coûts de transaction réalisées dans les échanges intrafamiliaux expliquent le nombre encore impressionnant des grandes entreprises à caractère familial.

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LA NATURE DE LA FAMILLE 31

L'évolution de la famille

Le point de vue que nous venons de développer éclaire très sim­plement les raisons pour lesquelles l'institution familiale évolue quant à sa taille (famille élargie ou famille nucléaire), quant à sa fonction (reproduire les êtres humains ou satisfaire les goûts des individus) ou quant à sa stabilité. Elle s'étendra, comme pour n'im­porte quelle autre entreprise, jusqu'au point où le coût de produire une unité supplémentaire de biens ou services familiaux sera égal aux coûts d'obtention de ces mêmes biens par le marché ou en cons­tituant une autre famille.

Soit une balance. Nous avons sur un plateau les gains de la spécia­lisation, de la complémentarité et les économies d'échelle consécutif au mariage net des coûts d'organisation de la production en famille; et, sur l'autre, les gains produits en restant célibataire net des coûts d'accès au marché pour obtenir la même satisfaction que si l'on était marié.

Lorsque les gains de la spécialisation et de la complémentarité diminuent, et que les coûts d'organisation de la production familiale augmentent (ou bien lorsque les gains à être célibataire augmentent et que les coûts d'accès au marché et le prix des substituts à la pro­duction familiale diminuent) il est de moins en moins avantageux de former une famille ou de l'étendre, voire même de la prolonger! On a une explication très simple de l'évolution de la famille en recherchant les causes qui affectent le poids de chacun des plateaux de cette balance.

Les raisons pour lesquelles gains de la spécialisation et de complé­mentarité diminuent ont pour origine la baisse de la demande d'en­fants par les hommes et la hausse considérable du salaire réel offert sur le marché aux femmes. Comme les femmes obtiennent désormais des salaires élevés sur le marché du travail, les gains obtenus en rede­venant ou en restant célibataire s'élèvent. L'apparition d'une généra­tion pleine et d'un brassage plus grand des populations accroît les difficultés de trouver parmi les conjoints potentiels un partenaire dont l'assortiment avec ses propres traits sera satisfaisant. Les gains de la complémentarité diminuent. Par ailleurs, la montée du travail féminin accroît les coûts de la coopération. Comme les partenaires ne vivent plus ensemble, ils ne peuvent plus s'informer sur le compor­tement de leur conjoint. L'absence des uns et des autres implique

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une diminution des investissements affectifs entre conjoints (ou entre parents et enfants). La stabilité du lien conjugal en est alors affectée. Les incitations et les sanctions par exclusion du clan familial n'ont plus le pouvoir d'autrefois, les gains obtenus, en restant ou en rede­venant célibataire, ne sont plus négligeables. Ce changement de coûts et de gains à constituer ou prolonger une vie familiale conditionne la montée du divorce, la baisse des mariages, la croissance de la coha­bitation et le développement des familles mono-nucléaires, c'est-à­dire des mères célibataires.

al Les sociétés traditionnelles

La plupart des sociétés traditionnelles sont confrontées à une incertitude considérable dont nous n'avons plus conscience aujour­d'hui. Au dix-septième siècle, la moitié des enfants meurt avant l'âge de 16 ans. L'âge moyen au décès est de 52 ans. La majorité des per­sonnes mariées deviennent veuves avant le dix-septième anniversaire de leur mariage. Pour avoir plus de deux enfants atteignant l'âge adulte, il faut produire au moins cinq enfants par famille 13 • Le mau­vais temps détruit les récoltes, la peste décime les hommes, les fami­nes, les prédateurs et les maladies attaquent le bétail ou les animaux domestiques. Les transactions sont très aléatoires: sur la qualité de la marchandise, le prix des substituts ou l'honnêteté des vendeurs et des acheteurs... Les sociétés primitives ou paysannes ont déve­loppé des institutions ou des coutumes dont le rôle fondamental est une réduction de l'incertitude par des mécanismes de protection ou d'assurance très personnalisés. La famille y joue un rôle crucial 14 •

Les difficultés de stockage de la nourriture ou des céréales empêchent les individus de pratiquer l'auto-assurance en conservant la récolte d'une année sur l'autre. Aussi les membres de la commu­nauté vont conclure des accords aux termes desquels quelqu'un qui une année obtient une récolte dépassant ses besoins donne une partie de ce surplus à un autre; à charge pour ce dernier de lui rendre la pareille dans le cas inverse. Un tel accord sera d'autant plus sûr que contrôles et sanctions sont peu coûteux à réaliser. La famille mieux que toute autre institution est le cadre idéal de ces contrats. Les sociétés primitives sont très attentives aux obligations familiales et aux liens de parentés, afin d'élargir le groupe sur lequel reposera ce mécanisme d'assurance. En particulier, le groupe familial s'étendra

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LA NATURE DE LA FAMILLE 33

sur une aire géographique dispersée pour éviter la covariation des risques qui ne manquerait pas de survenir si la famille était localisée sur un même territoire. La famille contrôle l'activité de ses membres et n'hésite pas à les sanctionner s'ils commettent des actes anti­sociaux (manque de générosité ... ). Les jeunes vivent sur la terre des parents. Dans une telle communauté la vie privée n'existe pas et le mariage, contrôlé et finalement décidé par le groupe, est un des événements les plus importants de la vie ...

bl Les sociétés modernes

Dans les sociétés modernes, le marché accroît les échanges, la production et l'apparition de nouvelles techniques. Celles-ci modi­fient l'environnement, les revenus attendus et les opportunités. Le marché crée des substituts à la production domestique et les méca­nismes d'entraides (partage du surplus de la production) ne sont plus nécessaires car trop onéreux comparés aux mécanismes d'épar­gne offerts par le marché du capital. Chaque individu peut emprun­ter en période de récession ou épargner en période d'expansion pour faire face aux fluctuations de son revenu; les protections sont nom­breuses et efficaces (incendies, maladie, voL.). L'une des fonctions principales de la famille, celle de l'assurance est battue en brèche par le marché. L'autorité des anciens disparaît faute des connaissances valables face à l'environnement en constante évolution. L'intérêt du contrôle disparaît, le mariage devient une affaire privée ...

L'acquisition facile de produits substituts à la production domes­tique rend accessoire la spécialisation au foyer de l'un des membres de la famille. Les jeunes recherchent dans le mariage les gains corres­pondant à la complémentarité des assortiments. Mais les caractéris­tiques signalant la complémentarité des individus sont plus difficile­ment observables avant mariage que la réputation d'une famille ou la profession d'un futur conjoint. La concommittence de la cohabi­tation, du retard au mariage, des divorces précoces et de la croissance des agences matrimoniales illustrent ce changement. La durée atten­due du mariage est beaucoup plus longue qu'autrefois (espérance de vie en constante augmentation) et la mortalité infantile a drastique­ment baissé. Il n'est plus besoin de faire un grand nombre d'enfants pour en avoir deux ou trois atteignant l'âge adulte. Leur production et éducation peuvent donc être concentrées sur une période plus

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courte et le temps ainsi libéré permettre à l'épouse de se consacrer à d'autres activités. Elle sera fortement incitée à saisir les opportuni­tés de revenus offertes par le marché du travail...

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2

Qui « porte la culotte »

dans le ménage

« Physiologie, que me veux-tu? Ton but est-il de nous démontrer:

Qu'il y a quelque chose de ridicule à vouloir qu'une même pensée dirige deux volontés? »

H. de BALZAC, Physiologie du 11/ariage, Méditation 1 : Le sujet.

Les économistes ont une façon bien à eux de résumer le compor­tement d'une firme en postulant qu'elle maximise son profit. Quand un propriétaire dirige lui-même son entreprise, la maximisation du profit se confond avec la maximisation de son revenu. Lorsqu'il délègue à un gérant le soin de s'en occuper, ce dernier maximise sa propre satisfaction. Il doit être incité, par un mécanisme quelconque, à se préoccuper du revenu des propriétaires. Une littérature particu­lièrement abondante traite de la séparation de la propriété et de la gestion d'une entreprise. Les gestionnaires sont finalement contraints par le marché boursier, le marché du travail spécifique aux dirigeants d'entreprises et le contrôle direct des actionnaires à respecter l'objec­tif de maximisation du revenu des propriétaires de la firme.

Qu'en est-il du ménage? Si celui-ci est composé d'une personne, la réponse est simple. Le «ménage», qui est confondu avec cette personne, maximise un revenu. Mais une famille composée de plu­sieurs personnes, mari, femme et enfants, que maximise-t~lle: la satisfaction de chaque membre, celle du chef de famille ou un com­promis entre l'utilité de chacun? Est-ce l'épouse qui commande, le mari ou les enfants? peut-être les trois ont-ils un pouvoir de décision

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36 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

autonome pour certaines catégories de biens et pas d'autres? La famille se comporte-t-elle comme un tout ou bien existe-t-il, comme dans une entreprise, un système complexe de prise de décision? Cette question n'est pas anodine. Elle a reçu des réponses qui demeu­rent encore aujourd'hui controversées.

Depuis le célèbre théorème de Arrow 1, forme moderne du para­doxe de Condorcet, les économistes ont appris que l'on ne pouvait passer d'un système de préférences individuelles cohérent à un sys­tème de préférences collectives qui préserve cette caractéristique et qui soit en même temps non-dictatorial. S'il n'est pas possible de construire un système cohérent de préférences collectives, comment peut-on traiter des décisions de la famille comme une unité de déci­sion alors qu'elle est fondamentalement composée de plusieurs mem­bres et non de célibataires ou de vieilles filles? Le prix Nobel, Samuel­son 2, propose la solution suivante: «Nous pouvons essayer de sauver la théorie traditionnelle en soutenant qu'un des membres de la famille a un pouvoir souverain de décision et que tous les comportements de consommation (ou d'offre de travail) reflète ses préférences indi­viduelles. Il est sans doute plus réaliste d'adopter une hypothèse d'un consensus familial cohérent. Là où la famille est un objet d'étude, on doit donc admettre que les goûts des uns sont influencés par les biens consommés par les autres ... les préférences des différents mem­bres de la famille sont interconnectées par ce que l'on pourrait appe­ler «un consensus» ou une fonction d'utilité sociale qui prend en compte la valeur éthique des consommations de chaque membre. La famille agit comme si elle maximisait la satisfaction jointe de ses membres.» Malheureusement, Samuelson ne nous dit rien de ce consensus et de la façon dont il émerge. L'assortiment initial du

. couple peut favoriser une «proximité» des goûts ou des préférences. Inversement, à force de travailler, de peiner et de prendre du plaisir ensemble, une «convergence d'intérêts et de sentiments» (pour reprendre une idée chère à Durkheim 3 à propos de la division du travail dans la société) peut naître entre les membres de la famille et conduire à une fonction d'utilité commune. Ce consensus qui est postulé par Samuelson permet d'esquiver le problème posé par les conflits de décisions entre conjoints. Il transforme le ménage en une boîte noire dont le seul objectif est de maximiser une fonction d'uti­lité collective. Cette approche, adoptée par la majorité des écono­mistes, est de plus en plus contestée.

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QUI «PORTE LA CULOTTE» DANS LE MENAGE 37

Position du problème

Trois moyens existent pour contrôler les décisions du gérant dans une firme: le marché des titres de propriété (les actions en bourse auxquelles correspond un droit de vote dans une assem­blée générale), le marché des dirigeants et le contrôle direct de la gestion par une procédure administrative (assemblée générale, direc­toire ... ).

Si un gérant ne donne pas satisfaction, on le remplace. Mais sou­vent, les liens qui s'établissent entre dirigeants et propriétaires sont amicaux et il est difficile aux propriétaires de se séparer de leurs dirigeants. Pour pallier cet inconvénient, il existe une discipline anonyme: celle du marché.

Si la firme est en difficulté, la valeur des actions en bourse baisse. Si cette baisse est simplement la conséquence d'une mauvaise gestion, des «prédateurs» achètent les actions à bas prix en nombre suffisant pour contrôler la firme, changent l'équipe dirigeante et redressent la firme. Cette opération faite, ils revendent la firme lorsque le cours des actions est suffisamment haut pour couvrir les coûts de cette opération et dégager un profit.

Par ailleurs, chaque actionnaire reçoit un revenu correspondant à ses investissements et est libre de l'utiliser comme bon lui semble. Enfin, les décisions de production ou d'investissements sont indé­pendantes des préférences des propriétaires. Les actionnaires ne sont pas intéressés au produit de la firme. S'il est de mauvaise qualité mais rapporte beaucoup d'argent, ils ne sont pas obligés de le consommer. Avec les revenus tirés de ces titres de propriété ils achètent des subs­tituts de meilleure qualité chez un concurrent.

Cette structure de droits de propriété conjointement avec un marché des dirigeants, des titres de propriété et une séparation entre les décisions de production et de consommation minimisent les conflits et sanctionnent rapidement tout écart du gérant vis-à-vis de l'objectif de la firme: maximiser les revenus des propriétaires!

Ce détour n'est pas inutile. L'analogie firme-famille qui sous­tend notre raisonnement ne peut être poussée trop loin. Si l'objectif de la famille est bien identique à celui de la firme: maximiser les revenus présent et futur de ses propriétaires (les membres de la famille); la propriété n'est pas dispersée sur un grand nombre de partenaires; les propriétaires sont gérants; et les droits de propriété

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sur la famille ne peuvent être échangés. Il n'existe pas un marché où un amant (une maîtresse) achète à un époux (une femme) le droit de vivre avec sa femme (son mari). Cette absence de marché interdit une sanction anonyme et rapide des comportements qui ne visent pas à maximiser les revenus. Les seules sanctions qui s'exercent sont celles du marché du mariage et du contrôle direct des performances de chacun par l'autre. Enfin, contrairement à la firme, les décisions de production et de consommation ne sont pas séparables. Les préfé­rences en matière de travail, par exemple, affectent directement les décisions de spécialisation des tâches.

Si la femme déteste s'occuper du ménage et des enfants, elle imposera, en prenant un emploi salarié, une allocation des rôles qui ne maximise pas les revenus du couple. Les préférences affectent aussi les décisions de consommation. Les vêtements de l'épouse intéresse le mari, même s'ils concernent d'abord et avant tout la per­sonne qui les porte. Les loisirs individuels (sport, activité artistique, écoute de la radio, télévision, lecture d'un livre ou bouteille de whisky), ne sont pas sans incidence sur la vie de la famille. Ils peuvent entraîner des conflits si ces activités se font au détriment de l'autre.

On imagine mal que chaque partenaire ait son propre apparte­ment, car l'affection, une des productions familiales sans substitut sur le marché, ne peut être produite sans une interaction étroite entre les partenaires. La présence des enfants ou leur éducation implique une consommation conjointe si chaque époux veut profiter au maximum des joies qu'ils procurent. Les biens familiaux sont par nature privatifs, mais les consommer conjointement pennet d'en tirer une utilité plus grande encore. Cette consommation jointe impose alors un accord des préférences entre les partenaires.

Un contrat implicite

Le problème posé par l'interdépendance des décisions de produc­tion et de consommation est inévitable. C'est peut-être ce qui diffé­rencie le plus la firme de la famille. Pour diminuer, donc, la présence des conflits, il apparaît crucial que les deux partenaires aient des préférences identiques! Comme prospecter un conjoint et l'expéri­menter ne se fait pas sans coûts, la perte de bien-être encourue après le mariage, par suite d'une inadéquation des préférences, devra être

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juste égale aux coûts que les partenaires auraient dû supporter pour trouver un conjoint aux préférences mieux assorties.

L'émergence d'une «fonction d'utilité collective», résumant la congruence des sentiments et des intérêts et rendant cohérent les décisions familiales, n'est pas optimale du point de vue du couple.

Il faut, donc, voir les choses autrement. Une première solution consiste à faire l'hypothèse suivante: les partenaires s'entendent tacitement et spontanément sur des règles de conduite qui préser­vent la maximisation des revenus joints. Ils établissent un contrat implicite. Il est aisé de minimiser les conflits engendrés par des pré­férences divergentes. Les préférences peuvent tout simplement être échangées dans le temps entre les partenaires. Pour une soirée la famille accepte de regarder les dessins animés sur FR3 afln de satis­faire les enfants, une autre soirée, elle regardera la série noire sur l'A2 à la demande du mari et enfin, une dernière soirée sera consa­crée au n'ième épisode de Dallas, feuilleton sur l'A l, très prisée par l'épouse, les ménages les plus riches achetant trois téléviseurs pour régler le problème. Les préférences ne sont pas non plus immuables. Elles peuvent être produites au cours du mariage. La vie de couple permet aux uns et aux autres d'apprendre et de cultiver les goûts de son partenaire et donc rapproche les préférences du mari et de la femme si celles-ci divergeaient au départ, une des grandes aventures du mariage, avec les risques et les surprises que cela comporte, c'est la découverte de l'autre. Si l'épouse épuise le compte en banque-joint de la famille en achetant des toilettes hors de prix, il est facile pour le mari de faire respecter ses droits de propriété et ceux de ses enfants sur les revenus qu'il apporte au ménage en prenant un compte séparé avant d'en arriver à des moyens plus radicaux comme de changer d'épouse. Le conjoint peut accepter volontairement cette tutelle pour se prémunir d'une faiblesse de sa volonté. Ce problème vaut pour le mari qui joue aux courses, au lieu de nourrir sa famille. Les conjoints s'entendent pour élaborer une structure de décision complexe où chacun délègue son autorité à l'autre pour certaines décisions. Un chef de famille apparaît spontanément pour s'occu­per de la scolarité des enfants. Ce sera l'épouse pour le primaire et l'époux pour le secondaire. Les décisions qui touchent la décoration du foyer seront dominées par le membre de la famille qui séjourne le plus à domicile. Enfln, les décisions cruciales seront prises en commun. Le contrat implicite liant les partenaires au chef de famille

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prend la forme d'un contrat propriétaire-gérant. Le chef de famille, à qui chacun délègue son autorité, met en œuvre les sanctions et les incitations pour que tous coopèrent (encadré 2.1). Selon les gains et les coûts attendus en exerçant cette tâche particulière «d'autorité», le membre délégué laissera s'instaurer un «laxisme optimal» dans cette maximisation des revenus.

2.1· RËPARTITION DE L'AUTORITË

Glaude et de Singly ont analysé la répartition du pouvoir et de l'autorité entre hommes et femmes au sein du couple à partir d'une enquête sur les budgets familiaux de 1979. L'échantillon final retenu était composé de 5252 couples. Les questions traitaient du choix des vacances, lectures communes, appartement, aménagements dans ce dernier, achat d'appareil électro·ménager, décisions à prendre pour les enfants, choix des amis, décision pour la femme de travailler etc ... Elles portaient aussi sur l'attribution de certaines activités à l'un ou l'autre des époux telles: gestion du budget, déclaration des revenus, correspon· dance, invitations, courses, achats de vêtements etc ...

Ces deux auteurs ont distingué six grands domaines où l'autorité s'exerce: grandes décisions, équipement, administration, entretien, ménager et approvisionnement et trois types de pouvoir: prédominance féminine, masculine et partage égalitaire. Ils ont projeté ensuite sur un graphique triangulaire la fréquence des réponses à une question. Les réponses «mon mari et moi également)) définissent un pôle égalitaire, celles «mon mari plus que moi» ou «toujours mon mari» déterminent un pôle de prépondérance masculine, enfin les réponses «toujours moÎl) ou «moi plus que mon mari)) signalent un pôle de prédominance féminine.

- Dans 27 % des cas, le mari intervient à égalité avec son épouse pour les grandes décisions et laisse à sa femme une décision prépondérante pour le reste des activités ou des choix. C'est un contrat implicite de propriétaire-gérant où le mari délègue son autorité pour les questions subalternes. Ces deux auteurs qualifient les épouses de femmes d'intérieur ou femmes gestionnaires.

- 28 % des couples de l'échantillon ont une répartition du pouvoir légèrement diffé­rente. Les grandes décisions et les choix d'équipement sont partagés. L'entretien est à pré­dominance masculine. Le ménager et l'approvisionnement est à prédominance féminine tandis que l'administration est au bary centre de ces trois types de pouvoir.

- La prédominance féminine quasi totale s'observe pour 10 % de l'échantillon. Les grandes décisions sont prises avec une prépondérance de la femme. Les auteurs distinguent les femmes PDG et les petits patrons. Dans ce dernier cas, les hommes ne sont même pas cantonnés dans les tâches d'entretien contrairement au cas des femmes PDG.

- 10 % des femmes sont dominées et se consacrent aux tâches ménagères. - Enfin le dernier type, qui concerne 25 % de l'échantillon, est à dominante égalitaire. Le travail féminin et le diplôme de la femme sont deux caractéristiques qui modifient

la répartition des décisions au sein du couple. Parmi les couples où le partage des décisions est égalitaire et parmi ceux où la femme est une gestionnaire, on observe une majorité de femme qui travaille (71 % et 53 % respectivement). Pour les couples où la femme dispose d'un diplôme supérieur à celui de son époux (18 % des couples de l'échantillon) les femmes sont du syle : PDG, petits patrons ou gestionnaires.

L'autorité ou la prédominance des décisions est clairement l'expression d'un contrat implicite de délégation dont les termes varient selon la compétence de chacun dans des activités spécifiques. L'autorité semble liée à la part du revenu que chacun amène dans le pot du ménage.

Glaude M., de Singly F., «L'organisation de la production domestique: pouvoir et négociation)), Economie et Statistique, avril 1986.

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Les grandes décisions, engageant la stabilité du couple, sont prises en commun et contrôlées, en revanche une grande liberté de consommation est accordée pour tout ce qui touche- sa vie privée. Ce contrat implicite émerge, s'affine et évolue au fil des années.

Le pouvoir de négociation est sans doute lié très étroitement aux possibilités de sanctionner le partenaire en ayant recours de façon ultime au marché du mariage. Quand la femme est au foyer, elle perçoit l'équivalent non monétaire d'un salaire (à la manière d'un préfet) sous forme d'un logement gratuit, d'une voiture de fonction et ou d'un personnel de service en plus de son argent de poche puisé sur le compte bancaire de son époux. La dépendance à l'égard de celui qui vous offre ces avantages en nature est l'inconvénient majeur d'un tel statut. Le niveau de vie attendu de l'épouse, en cas de rup­ture, n'aura rien à voir avec son train de vie actuel, elle fait attention à ne pas braver systématiquement son époux. Elle est «soumise». En revanche, la femme active a une indépendance plus grande grâce à son revenu de substitution en cas de rupture. Elle n'hésite pas à affirmer ses propres préférences.

L'hypothèse d'une fonction d'utilité commune ou collective n'est pas nécessaire à la théorie économique de la famille. Seule celle d'une maximisation des revenus joints semble indispensable. Les conflits apparaîtront entre les conjoints, mais, d'une façon ou d'une autre, ils seront réglés :

- par une procédure contractuelle implicite au ménage sur la base d'un échange de préférence au cours du temps et de leur rappro­chement;

- par la mise en œuvre d'incitations sur la base d'une redistribu­tion intra-familiale des revenus;

- par la mise en œuvre de sanctions sur la base d'un contrôle direct des partenaires sur les dépenses et les performances de chacun;

- et par la menace ultime d'épouser un autre partenaire.

Le rôle crucial de la générosité ou de l'altruisme

Au lieu d'imaginer un contrat implicite, on peut supposer qu'il existe dans le ménage une personne altruiste (l'altruisme dans le langage de l'économiste, signifie que l'utilité d'une personne, m, (le mari) dépend positivement du bien-être d'un autre membre de la

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famille, f (sa femme). La présence d'une personne généreuse incite les autres membres de la famille, même s'ils sont égoïstes, à faire en sorte que le bien-être de tous soit maximum. L'allocation des rôles conjugaux qui en résulte est alors celle qui maximise les revenus de l'altruiste. Ce théorème, dit du «Rotten Kid» (de l'enfant gâté)4, permet d'éliminer les difficultés posées par les différences de préfé­rence. On considère le ménage comme une unité de décision qui maximise un revenu: celui de l'altruiste. Il n'est nul besoin alors de postuler une autorité dictatoriale, une quelconque congruence de sentiments et d'intérêts menant à une fonction d'utilité commune ou un contrat implicite entre les partenaires.

Pour illustrer cette argumentation prenons un exemple. Un étu­diant en licence propose à une de ses camarades un contrat de mariage dont les termes peuvent être décrits de la façon suivante. L'épouse renonce à poursuivre ses études pour gagner sa vie. Le supplément de revenu obtenu par le ménage (par rapport à une situation où tous deux restent étudiants) permet de financer la prolongation des études du mari jusqu'au doctorat. Si cet étudiant obtient son diplôme de docteur, il postule à un emploi dont les espérances de revenu et de carrière sont plus grandes que celles attendues avec une simple maîtrise. Il promet alors à cette cama­rade, si elle accepte le contrat, de redistribuer au cours du mariage, en contrepartie de son sacrifice présent, un revenu réel supérieur à ce qu'elle-même aurait pu obtenir en restant célibataire et en pro­longeant ces études. Voilà un projet d'investissement comme un autre. L'étudiant ne demande pas à sa camarade de l'aimer, lui­même ne lui porte pas une affection démesurée une fois mis de côté les instincts impétueux de son âge. Il prétend simplement une fois le doctorat obtenu redistribuer son revenu pour augmenter de façon permanente le niveau de vie de sa partenaire en échange du sacrifice qu'elle fait en renonçant à ses propres études. Son altruisme, en réalité, au sens «d'amour désintéressé d'autrui» n'en est pas un (encadré 2.2). Cependant pour l'économiste il s'agira d'un compor­tement de ce type puisque l'étudiant est amené à prendre en compte, dans ses préférences, le niveau de bien-être de son épouse. Ce contrat de mariage, peu banals, ne diffère pas de celui plus habituel qui consiste pour un homme à demander à une femme de sacrifier ses revenus professionnels ou sa carrière pour lui offrir des services qu'il ne peut obtenir sur le marché. Pour l'inciter à accepter le

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mariage, il devra lui assurer un niveau de vie supérieur à celui auquel elle s'attendait en restant célibataire. Si le mari échoue à son docto­rat, n'est pas aussi altruiste qu'il l'avait laissé supposer ou, pis encore, quitte son épouse pour une jeune et plus jolie femme titulaire comme lui d'un doctorat, le niveau de vie de l'étudiante se retrouve être inférieur à celui qu'elle aurait pu obtenir en poursuivant ses études et en renonçant au mariage.

2.2 - EGOISME ET ALTRUISME

Le terme d'altruisme au sens d'amour désintéressé d'autrui renvoit à la notion d'amour oblatif ou d'oubli de soi au profit de l'autre. On se préoccupe des joies et des peines de l'autre, on prend soin de lui. Ce comportement tranche singulièrement avec celui où l'action est motivée par un intérêt particulier: celui de soi·même.

Les économistes ont depuis longtemps reconnu que la consommation d'autrui est un argument de la fonction d'utilité. Ma satisfaction peut diminuer si je vois mon voisin épouser une jolie femme, comme pour l'envie; ou bien elle peut augmenter, comme pour l'altruisme. Les préférences peuvent dépendre de l'utilité d'une personne identifiée, comme avec l'amour; ou du niveau moyen de consommation de la commune où l'on habite, comme avec la recherche d'un statut social.

En fait, le mot «altruisme» peut paraitre quelque peu trompeur pour décrire des com­portements de redistribution de revenu ou de don. Derrière une motivation altruiste se cachent parfois des intérêts moins nobles. Or on peut préférer, d'un point de vue stricte· ment méthodologique, pour rendre compte d'un comportement (celui du don), faire appel à une explication qui repose sur la rationalité et l'égoïsme. Exactement comme l'on éprouve une satisfaction à donner une explication rationnelle à un comportement apparemment irrationnel, les économistes éprouvent une satisfaction à expliquer un comportement altruiste par un comportement égoïste et calculateur. La plupart de ces comportements peuvent recevoir une explication en termes d'intérêts particuliers voire d'égoïsme pur et simple. Rappelons quelques-unes de ces explications:

1) Un comportement apparemment altruiste n'est souvent pas autre chose qu'un égoïsme éclairé. L'employé obséquieux qui offre à son supérieur un repas, lui ouvre les portes et le flatte sur son adresse à commander son personnel n'exprime pas à proprement parler un «amour désintéress.é d'autrui». Derrière ce comportement il y a simplement quel­ques sacrifices présents, d'orgueil et d'argent, dans le but d'en récolter plus tard les fruits sous la forme d'une promotion.

2) L'altruiste peut afficher un tel comportement par souci de réputation. " donne de grosses sommes d'argent pour les pauvres de la paroisse afin d'être bien vu de la com· munauté.

3) Plus cynique l'altruiste peut donner de l'argent pour le plaisir de voir certaines personnes être dépendantes de lui. " affirme ainsi son statut. " peut aussi par ce biais acheter dévouement et coopération.

4) Les dons peuvent être faits dans l'attente d'une réciprocité: cadeaux, invitations à diner, gardes d'enfants et menus services rendus aux voisins. Ces formes de dons (ou de troc?) seront pratiqués sur une longue période si et seulement si une réciprocité apparaît de la part d'autrui.

5) Même la peur et l'embarras peuvent tout aussi bien rendre un égoïste altruiste. Un mendiant ou un clochard, sans vous menacer particulièrement, peut s'agripper à vos basques, or pour vous en débarrasser vous lui donnez l'argent qu'il réclame.

6) Enfin quand les individus perçoivent que leur comportement d'interaction avec les autres, qui est strictement individuel et égoïste, conduit à une perte d'utilité pour eux-

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mêmes, ils seront incités à prendre en considération les effets de leur comportement sur autrui et vice·versa. 115 adopteront une attitude Kantienne par simple calcul.

En réalité on peut toujours affirmer qu'une fois ôté toutes les autres motivations, il ne reste rien du comportement altruiste. Ainsi les prêtres qui font vœux de pauvreté et de dévouement à autrui n'achètent·ils pas ainsi leur place au paradis près de leur Dieu. Les hommes politiques qui prônent la solidarité n'utilisent·ils pas ce terme pour culpabiliser les gens et leur soutirer des revenus qu'ils distribueront à leurs électeurs, ce qui permettra leur réélection. La mère qui meurt pour sauver son enfant a pu mettre en balance l'ensemble des revenus qu'elle pouvait attendre de ce qui lui restait à vivre et les espérances de vie et de carrière de son enfant avec l'alternative d'élever un autre enfant.

Comme on ne peut décider si véritablement il existe dans le comportement altruiste un résidu qui correspond à un amour réellement désintéressé d'autrui, les économistes proposent une définition simple sans rentrer dans les motivations finales. Une personne sera clairement altruiste si les préférences d'autrui sont un argument positif de sa fonction d'utilité. Elle est clairement égoïste si ses préférences sont uniquement associées au panier de biens qu'elle consomme ou produit (on ne considère pas comme altruiste quelqu'un dont les préférences dépendent positivement d'un panier de biens consommés par une autre personne. Ma satisfaction peut augmenter parce que vous cesser de boire ou de fumer. Mais votre utilité diminue. Un altruiste prendra plaisir à vous voir boire ou fumer si votre satisfaction augmente à la suite de cette activité).

Collard D" Altruism and Economy, Oxford, 1978. Martin et Robertson. Elster J., Ulysses and the Sirens, Cambridge, Cambridge University Press, 1979.

Un tel contrat se révèle très risqué. C'est sans doute la raison pour laquelle peu d'étudiants tentent une telle expérience. Son époux va-t-il réussir son doctorat? S'il réussit va-t-il respecter ses engagements? Sera-t-il suffisamment généreux pour redistribuer son revenu dans des proportions qui rendent rentable pour sa partenaire le contrat de mariage? L'un des inconvénients majeurs de ce type d'investissement est que son rendement n'est pas incorporé dans la personne qui fait l'investissement mais dans une autre personne dont on ne contrôle pas parfaitement le comportement futur. Supposons que l'étudiante en licence accepte cependant ce risque. Elle sera incitée à coopérer à la réussite de son époux car son revenu futur en dépend. C'est la leçon principale du théorème du Rotten Kid. L'étu­diante s'abstiendra de toute action qui aurait pour conséquence un échec de son mari. Elle s'efforcera de réussir dans son métier et de rapporter le plus d'argent possible à la maison. Elle surveillera atten­tivement la conduite de son partenaire. Finis les boîtes de nuit ou les sorties au cinéma avec des camarades. Chaque soir, elle imposera à son époux un programme de travail pour préparer le doctorat. Elle s'inquiètera du directeur de thèse et n'hésitera pas à intriguer auprès de lui. Pour se protéger du risque de voir son époux la quitter, elle s'empresse d'avoir quatre enfants. Ainsi notre étudiant aura du mal à

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trouver une autre partenaire sachant qu'il a à charge quatre enfants en bas âge dont il faudra payer jusqu'à la majorité l'entretien et les études. Notre étudiante, même si elle est égoïste, même si elle n'éprouve pas des sentiments très enflammés vis-à~vis de cet étudiant, fera comme si elle était altruiste en coopérant à la maximisation du revenu de son époux et se révélera être non seulement une femme de tête mais aussi mère de famille nombreuse!

L'altruisme facilite les prises de décision quelle que soit la diver­gence des préférences individuelles. Il favorise la coopération et la spécialisation des tâches entre des partenaires bien identifiés et engagés dans un contrat de longue durée par une diminution des coûts de contrôle car les membres du clan s'autodisciplineront afin d'éviter des actions qui iraient à l'encontre du bien-être de tous. Cette personne peut être la femme ou le mari, voire un des enfants à l'âge adulte. Elle apparaîtra spontanément au sein du clan indé­pendamment du sexe ou de l'âge, mais non pas du revenu. Car c'est grâce au revenu qu'elle peut redistribuer que son rôle d'altruiste peut être pleinement joué. Cette personne sera donc par prédilec­tion celle qui se procure sur le marché les revenus les plus élevés (encadré 2.1)6.

Enfin, l'altruisme est sélectionné par le marché. Un égoïste compare son revenu en épousant une personne généreuse, honnête et loyale à celui qu'il peut obtenir avec un partenaire qui ne l'est pas. Entre un égoïste et un altruiste dont les revenus sont identi­ques, l'égoïste obtient un revenu plus élevé avec l'altruiste. Les altruistes sont donc très recherchés. Comme les familles où la généro­sité et la loyauté dominent consacrent plus de temps et d'argent à leurs enfants, les enfants de ces familles réussissent mieux dans la vie. Cet effet augmente l'influence des familles altruistes et incite à transmettre de génération en génération cette vertu.

La discipline du marché

La menace ultime pour sanctionner un conjoint est de le quitter pour vivre avec une autre personne. Le marché matrimonial exerce une discipline sur le comportement des conjoints d'autant plus forte qu'il joue librement (le divorce n'est pas interdit). Cette possibilité limite considérablement le marchandage de deux époux égoïstes

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comme les choix dictatoriaux d'un époux tyrannique. En réalité l'interprétation des économistes sur ce point n'a jamais été claire­ment comprise et il est bon d'y consacrer quelques pages supplé­mentaires.

Qui profite du mariage, l'homme ou la femme? La réponse tradi­tionnelle est: la femme. L'homme perdrait sa «liberté» quand il se marie et aurait peu à gagner à une telle vie commune. Une telle vision n'est pas acceptée par les mouvements féministes. Ceux-ci tiennent beaucoup à légitimer l'idée d'une exploitation de la femme par l'homme pour obtenir sur le marché politique des avantages particuliers.

Il ne peut y avoir à proprement parler de domination ou d'ex­ploitation au sens où le mariage est un contrat d'association volon­taire. Si les conjoints décident de vivre ensemble, rien ne les y oblige. S'ils le font c'est qu'ils espèrent en tirer un bénéfice. On voit mal pourquoi l'un des conjoints accepterait de vivre avec quelqu'un d'autre si d'avance il sait que le niveau de vie dont il bénéficiera, dans le mariage, est inférieur à celui du célibat. La question de l'exploita­tion fait référence au partage entre les époux du supplément de bien­être produit lorsque ceux-ci vivent ensemble 7. Contrairement à ce que pensent les sociologues, certains économistes et les féministes, ce partage est déterminé par les conditions du marché matrimonial et non pas par une série de marchandage dans le cadre d'un mono­pole bilatéral.

Prenons un exemple simple pour illustrer ce raisonnement. Une femme est demandée en mariage par deux hommes. Ils sont prêts, pour obtenir ses faveurs, à lui offrir le niveau de vie qu'elle exige. Si la femme épouse l 'homme nO l, la part maximum qu'il peut s'approprier dans le mariage n'est pas limitée par le revenu minimum exigé par sa femme pour accepter le mariage, c'est-à-dire par son revenu de célibataire, mais par les gains (nets des coûts de mobilité matrimoniale) qu'elle pourrait obtenir avec les hommes qui sont célibataires, veufs ou divorcés. Dans le cadre de cet exemple la femme peut s'approprier la totalité des gains du mariage. En ce sens la femme exploite non pas l'homme qu'elle a épousé, mais la situa­tion du marché puisque plusieurs hommes sont en concurrence pour obtenir d'elle les mêmes faveurs. La rareté des femmes permet aux épouses de s'approprier la totalité des gains du mariage. Son époux peut être altruiste, il peut vouloir marchander cette part, rien n'y

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fera. Plus la concurrence sera forte sur le marché matrimonial pour obtenir les faveurs d'une femme, plus celle-ci dominera les relations intrafamiliales. Le partage des gains du mariage sera déterminée de façon unique par le marché puisque ce sera la femme qui s'appro­priera leur totalité. (On observe le contraire quand les femmes, plus nombreuses, se disputent les faveurs des hommes.) Le pou­voir de redistribuer les revenus au sein de la famille en faveur de l'un des époux et au détriment de l'autre est toujours limité par les gains du mariage nets des coûts de mobilité que les uns et les autres peuvent obtenir avec d'autres partenaires. Plus la compétition entre les hommes pour une femme ou entre les femmes pour un homme est forte, moins les conjoints ont de latitude pour marchan­der la part des gains du mariage qui leur reviennent ou pour dominer l'autre.

Le rapport entre le nombre de femmes et d'hommes mariables, c'est-à-dire le ratio de sexes entre les classes d'âges (de niveau d'édu­cation etc ... ) susceptibles de se marier (les femmes épousent en moyenne des hommes de deux ou trois ans leurs aînés, et de niveau d'éducation identique), détermine quel est le sexe qui en moyenne bénéficiera du mariage et dominera l'autre. Le raisonnement mené plus haut fait l'hypothèse implicite d'un mariage monogame. Mais il peut être étendu à la polygamie et plus particulièrement à la polyginie (un homme épouse plusieurs femmes) qui est la forme la plus répandue des mariages non monogames. Ces diverses formes de mariage apparaîtront si le ratio des sexes est très déséquilibré ou si les hommes sont très riches et peuvent offrir à plusieurs femmes un revenu bien supérieur à ce qu'elles pourraient elles-mêmes acquérir en restant célibataires ou en épousant un autre homme. L'interdiction de la polyginie se fait au détriment des femmes les plus inaptes à obtenir un revenu sur le marché du travail et des hommes riches 8 •

Il est vrai que le marché du mariage est enserré par un carcan de règles ou de lois issues de la religion des mœurs ou de l'Etat dont l'unique objectif est d'éliminer toute compétition au profit de cer­tains groupes de pression (les femmes et les hommes instruits, voir encadré 2.3). Mais l'évolution des mœurs montre bien que ce marché du mariage comme tous les autres est très difficile à contrôler contre la volonté de la majorité de ceux qui y participent.

Entre l'hypothèse d'une congruence des intérêts et des senti­ments menant à une identité des préférences (fonction d'utilité

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commune) à celle où les membres de la famille font comme s'ils maximisaient le revenu de l'altruiste en passant par une hypothèse de règles spontanées ou de contrat implicite où chacun délègue son autorité à l'autre selon ses compétences, on retrouve plusieurs modè­les familiaux: celui de l'amour parfait (consensus); de l'autorité de chacun dans des sphères particulières (contrat implicite); de l'amour bienveillant (altruisme) ou des querelles et chantages permanents pour imposer ses propres préférences (rivalités), tous contraints par la sanction ultime du marché. D'une certaine façon la littérature romanesque nous a habitué depuis des temps immémoriaux à ces différentes situations. Ces manières d'être peuvent simultanément coexister entre parents pour des décisions différentes. La femme impose ses choix en matière de contraception et de rapport amou­reux. L'homme les impose dans le choix de la voiture. Elles peuvent aussi diverger selon les membres de la famille. L'amour peut être bienveillant entre mari et femme mais dictatorial vis-à-vis des enfants. Il peut être fait de rivalité entre frère et sœur.

2.3 - MARCHÉ MATRIMONIAL ET FÉMINISME

Les gains du mariage pour les femmes s'élèvent avec la valeur actuelle des revenus qu'un homme peut obtenir sur le marché du travail. Réciproquement les gains du mariage pour un homme s'élèvent avec la valeur actuelle de la production familiale de la femme_ Or la valeur de l'homme croit avec la réussite professionnelle. On peut donc classer les hommes par ordre décroissant selon leur rentabilité dans le mariage pour une femme, c'est-à-dire par ordre décroissant de leur réussite professionnelle_ La valeur d'une femme pour un homme croit avec sa fécondité et sa production familiale (celle-ci est un indice de sa moin­dre productivité domestique). On peut donc classer les femmes selon leur rentabilité décrois­sante dans le mariage. Supposons maintenant qu'il existe un nombre égal d'hommes et de femmes_ Les hommes dont la réussite professionnelle est discutable resteront célibataires et les femmes dont la réussite professionnelle est élevée mais dont la valeur dans le mariage est faible resteront elles aussi célibataires. Paradoxalement la proportion de célibataires, hommes, s'élève avec l'absence de réussite professionnelle, en revanche la proportion de célibataires, femmes, augmente avec la réussite sociale de celle-ci. Cette conclusion empi­rique s'avère tout-à-fait fondée (tableau 1). Elle illustre le rôle joué par le marché du mariage dans le destin des hommes et des femmes et dans le partage des gains du mariage entre les conjoints_

Allons plus loin dans le raisonnement. Les hommes les plus instruits ont une valeur actuelle élevée dans le statut de célibataire. Ils ont de fortes exigences dans le partage des gains du mariage. Par ailleurs, ils voient ces gains s'accroître lorsqu'ils épousent des femmes dont la productivité à domicile est forte. Mais ces femmes. du fait de leur rareté relative, vont s'approprier une grande partie ou la totalité des gains du mariage. De façon similaire, les femmes très instruites qui ont une valeur élevée dans le statut de célibataire et qui sont exigeantes dans le partage des gains du mariage ne sont pas désirées par les hommes du fait de leur faible productivité domestique, elles ne peuvent donc pas ii'approprier les gains du mariage car leurs époux peuvent se remarier avec des femmes célibataires, du méme type qu'elle. moin" exigeantes sur le partage des gains du mariage. Les hommes et les femmes

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instruits voient donc leurs espérances dans le mariage déçues par le jeu du marché matri· monial et ses interactions. On comprend mieux pourquoi les mouvements féministes s'effor· cent par le biais du marché politique d'obtenir une législation qui permette de fausser le jeu du marché. On comprend aussi pourquoi ils ont les faveurs de la minorité d'hommes et de femmes ulis instruits qui gagnent à cette redistribution et n'ont pas la faveur des autres qui y perdent 1 Malheureusement le marché politique par l'intermédiaire du marché des idées donne un avantage considérable aux intérêts particuliers des individus les plus instruits 1

Deux auteurs comme D. Heer et A. Grossbard·Shechtman soutiennent que le mouve· ment féministe est lié à deux phénomènes essentiels: 1) La révolution technologique en matière de contraception; 2) une modification du ratio des sexes aux âges correspondant au mariage. Les hommes et les femmes se marient à des âges différents et les taux de natalité varient d'une année sur l'autre. Un décalage de deux à trois ans au moment du mariage entre un homme et une femme auquel on ajoute une variation des taux de natalité chaque année entraînent un ratio des sexes qui diffère d'une année sur l'autre. Ainsi dans les années cinquante les hommes en âge de se marier étaient plus nombreux que les femmes de deux ou trois ans leur cadette. Dans les années soixante cette proportion s'est inversée au détriment des femmes. Dans les années soixante-soixante dix les femmes se disputent donc des homo mes moins nombreux et simultanément plus riches du fait de la croissance des salaires sur le marché du travail. La compensation offerte par les hommes aux femmes, du fait méme qu'elles se font concurrence entre elles, a baissé. Les femmes se sont donc trouvées dans l'incapacité d'exploiter leurs avantages sur le marché du mariage. Au même moment, la révo· lution technologique dans la contraception diminuait l'offre de mariage de la part des hommes en contrepartie des services sexuels qu'ils attendent d'une femme - les mouve· ments féministes aiment voir dans la contraception une libération de la femme et un renfor· cement de leur pouvoir sur leur corps, elles oublient le revers de la médaille, les hommes désirent·ils vraiment autre chose chez une femme que les services sexuels qu'elles peuvent rendre à moindre frais en se mariant? La cohabitation ne résulte·t-elle pas de ce peu de désir des hommes, jeunes, à s'engager dans le mariage? Doit·on reprendre une phrase célèbre de Sacha Guitry: «Les femmes sont faites pour être mariées et les hommes pour être céliba· taires. De là vient tout le mal» ? Cette infériorité des femmes sur le marché du mariage a repoussé celle-ci sur le marché du travail et vers le célibat. Ce phénoméne a offert au mouve· ment syndical, conjugué au féminin, «le féminisme Il, un terrain d'action pour agir et modi· fier la législation en faveur de ces femmes rejetées du marché du mariage et simultanément freinées dans leur entrée sur le marché du travail.

D. Heer et A. Grossbard·Shechtman, «The Impact of the Female Marriage Squeeze and the Contraceptive Revolution on the Sex Roles and the Women's Liberation Movement in the United State 196Q.1970», Journal of Marriage and the Family, février 1981.

Taux de célibat des hommes et des femmes selon la catégorie socioprofessionnelle

Ouvriers Employés

Taux de célibat en %

Catégorie socio·professionnelle

Cadres moyens Cadres supérieurs Salariés agricoles Agriculteurs exploitants Patrons de l'industrie et du commerce

Champ: actifs occupés de 35 à 52 ans.

hommes

8.6 7.8 4.6 2.9

27.9 17.3 6.5

femmes

9.6 13.7 18.0 24.0 25.2

3.3 3.2

Source: Enquête FQP 1970 INSEE tirée de F. De Singly 1982, «Mariage, dot scolaire et position sociale», Economie et Statistique.

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50 LE MARCHIl DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

A partir de l'enquête INSEE, Formation et Oualification Professionnelle de 1970, dite FOP, F. De Singly a sélectionné un échantillon d'hommes et de femmes de 35 à 52 ans pour obtenir des taux de célibats quasi définitifs. Cette enquête porte sur les actifs des deux sexes. Si l'on distingue les professions libérales ou indépendantes des autres pro­fessions, les taux de célibats observés sont ceux prédits par l'existence d'un marché du mariage. En particulier les taux de célibats les plus faibles correspondent pour les hommes à une grande valeur sur le marché du travail et au contraire pour les femmes à une grande valeur dans la production domestique.

Laquelle de ces hypothèses faut-il adopter? La réponse peut dépendre des préférences idéologiques de celui qui fait l'analyse, mais aussi des intérêts qu'il veut défendre. Néanmoins, un contrat implicite de délégation d'autorité et une procédure contractuelle pour maximiser les revenus sont le modèle le plus approprié_

Ce choix a une raison simple: les autres alternatives ne sont pas crédibles. Une théorie économique de la famille ne peut être fondée sur l'identité des préférences entre les conjoints ou sur l'altruisme. Trouver un conjoint ayant des goûts identiques ou étant honnête, loyal et généreux ne se fait pas sans coût. L'assortiment réalisé est nécessairement imparfait. La congruence des préférences ne peut constituer une prémisse de la théorie sans être contredit par la théorie économique elle-même. Si la générosité et la loyauté sont des traits rares chez les individus, la majorité des mariages ne repo­sent pas sur eux et l'hypothèse d'altruisme comme fondement des comportements est à rejeter. Enfin une hypothèse mettant en avant, le marchandage, la rivalité des partenaires et leurs querelles, conduit non pas à la prolongation du mariage mais au divorce (encadré 2.4).

En réalité, la famille, comme n'importe quelle entreprise s'efforce de maximiser les revenus joints de ses membres par des procédures contractuelles. Cette hypothèse a un avantage essentiel: elle permet d'expliquer une grande variété de comportements internes de déci­sions, y compris l'altruisme et la congruence des préférences_ Ces règles de comportements sont le résultat des interactions entre les obstacles à la maximisation et les techniques qui la facilite _ L'absence de substitut à la production familiale, les consommations jointes, la moindre sanction du marché matrimonial sont des obstacles à cette maximisation conjointe de revenus familiaux_ L'assortiment des préférences, l'altruisme, l'honnêteté, la loyauté, la privatisation plus ou moins grande des biens produits à domicile, l'échange des préférences et les contrats implicites définissant les obligations et

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QUI «PORTE LA CULOTTE» DANS LE MENAGE 51

les droits de chacun sont des moyens qui facilitent cette maximisa­tion. L'observation des coutumes et des règles de conduite internes aux familles dans différentes classes sociales ou cultures n'infirme pas cette hypothèse alors qu'elle contredit les autres.

2.4· LE REJET DE L'HYPOTHESE DE RIVALITIO

Si le modèle de rivalité fonde les comportements familiaux, on devrait observer une fréquence des disputes élevées quelles que soient les caractéristiques des couples: mal assorti, à double carrière ou au contraire femme au foyer. En revanche si cette hypothèse est fausse on devrait s'attendre à observer une fréquence plus grande des querelles chez les couples mal assortis et chez ceux où la femme est active, puisque dans ce cas les gains du mariage diminuent.

Nous avons testé cette hypothèse de rivalité à partir d'une enquête de 1971 réalisée par N. Tabard au sein du CREDOC pour le compte de la CNAF. Celle-ci photographiait à un moment donné la situation familiale. Dans cette enquête 8 % des couples déclaraient avoir envisagé ou envisageaient de divorcer, 18 % déclaraient se disputer régulièrement (tous les jours ou au moins une fois par semaine). Parmi les femmes qui envisagent de divor­cer 43 % se querellent avec leur époux contre 16,5 % parmi celles qui n'envisagent pas de rompre le mariage. Le faible taux de querelle dans la famille, à cette époque, est remarqua­ble. Si le modèle de rivalité était une bonne représentation de la réalité on ne devrait pas observer de différence dans la proportion des querelles selon le travail féminin ou selon l'assortiment des époux, or, le tableau suivant contredit cette idée. Ces données confirment le bon sens. Un ménage qui repose sur la rivalité constante de ses membres ne peut être stable.

Lemennicier B., 1980, « La spécialisation des rôles conjugaux, les gains du mariage et la perspective du divorce », Consommation, nO 1.

Fréquence des querelles, activité salariée 1 de l'épouse et homogamie du couple par niveau d'instruction (en %)

Couples

Activités Homogames Hétérogames TOTAL

HS-FS HI-FI HI-FS FI-HS

Femmes actives 17,2 24,3 21,7 25,0 22,2 (19,6) (*) (36,7) (26,3) (17,4) (100) [2,7] (**) [1,7 ] [1,2 ] [1,3 ] [1,4 ]

(4130bs.)

Femmes au foyer 6,32 14,1 18,7 19,4 15,5 (8,5) (44,5) (20,1) (25,9) (100)

(5550bs.)

Ensemble 13,3 18,7 20,5 21,3 (9680bs.)

(*) Entre parenthèses, poids en pourcentage de l'assortiment considéré dans la popula­tion étudiée.

(**) Entre crochets, ratio de la fréquence des querelles des femmes actives sur celles des femmes au foyer.

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52 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

1. - Nous observerons ainsi les assortiments suivants: 1) Homogame inférieur: homme inférieur-femme inférieure (HI-FI); 2) Hypergame: homme inférieur-femme supérieure (HI-FS); 3) Hypogame: homme supérieur-femme inférieure (HS-FI); 4) Homogame supé­rieur: homme supérieur-femme supérieure (HS-FSI.

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3

Le choix du conjoint

« Se peut-il qu'oubliée au fond de ma province, je passe à côté du bonheur? 40 ans, brune, yx bleus, 1.63 m, 65 kg, cé!., secré­taire d'administration scolaire et universitaire, élégante et dis­crète, réservée mais passionnée, romantique - lui: début qua­rantaine, bonne situation, mais resté simple, non fumeur, calme, sensible, sérieux, mais non ennuyeux, désirant nid douillet mais solide. »

La Centrale des Particuliers, nO 83 l, 2 janvier 1986, annonce nO 89-21.1 0 97.

Les circonstances qui conduisent à un échange de consente­ments pour décider d'un mariage ou d'une vie commune sont celles d'un marché. Les modalités de rencontre sont diverses: petite annonce dans un journal spécialisé, rendez-vous organisé par une agence matri­moniale ou un club, rencontres spontanées. Ces contacts sont indis­pensables, et les partenaires échangent une série d'informations sur la qualité des services qu'ils peuvent se rendre mutuellement ou sur le type d'aventure qu'ils désirent. Ces renseignements prennent différentes formes: ouïe-dire, échange de curricula vitae, etc... Ils recquièrent divers intermédiaires: agences matrimoniales, marieurs, amis. L'accord conclu et librement accepté peut être formel (contrat de mariage) ou informel (union libre). Généralement les conditions de travail (femme au foyer ou non), le nombre d'enfants (voire la date à laquelle on les désire), le partage des tâches seront implicite­ment décidés à l'avance et renégociés dès qu'il sera nécessaire de le faire pour maximiser le bien-être du couple. Ce contrat suppose un échange de services: l'homme désire obtenir de son épouse affection ou procréation, services difficiles à acquérir sur le marché; elle, en retour, exige une compensation monétaire (voir encadré 3.1), car le

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54 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

temps qu'elle consacre à son mari pourrait être utilisé à autre chose ou offert à un autre homme.

Les marchés du mariage et du travail sont respectivement sembla­bles et interdépendants. Les services rendus par les individus ont une spécificité unique: ils ne peuvent être que loués. Le commerce des hommes et des femmes est aujourd'hui illégal, mais les services qu'ils rendent à un employeur, en absence d'un droit du travail, serait soumis aux règles du «louage de services». Il en est de même pour le marché du mariage: l'homme loue les services d'une femme et en contrepartie lui offre une compensation. Mais ici, les à-côtés mêmes de cette location: beauté du mari, intelligence, statut socioprofes­sionnel etc ... sont primordiaux.

Dans un monde où l'incertitude prédomine, les hommes et les femmes n'ont pas connaissance de l'utilité totale attendue en for­mant un couple. Il faut du temps et de la chance pour trouver l'époux le mieux assorti à ses propres traits. Entre épouser la pre­mière personne rencontrée et attendre indéfiniment un amour excep­tionnel, existe un moyen terme. Dans un couple, l'assortiment réalisé est donc nécessairement imparfait.

3.1 - LES PETITES ANNONCES DE DANIELE DANS LE JOURNAL LA CENTRALE DES PARTICULIERS

Source: Les Occasions. La Centrale des Particuliers. nO 831. 2 janvier 1986.

De tous temps les hommes ont été prêts à acheter le privilège d'avoir des relations sexuelles avec les femmes. Mais l'inverse est très rare. Cette différence de comportement s'explique par le risque de grossesse. Comme la prostitution est une industrie illégale, il est très difficile de connaître quel est le montant des transferts monétaires opérés à ces occa­sions-là. Cet échange n'est pas propre à la prostitution. Autrefois lorsque l'homme faisait la cour à une femme il était tenu par la coutume de payer les repas et les sorties. La loi elle­méme dans le mariage impose à l'homme une obligation de secours et d'assistance à son épouse. Le fondement du mariage est un échange où la femme offre affection, relations sexuelles et enfants légitimes en compensation d'un salaire ou d'un support financier et accessoirement d'amour ou de tendresse assorti d'enfants légitimes.

Pour convaincre le lecteur de cet échange, prenons la rubrique des petites annonces d'offre et de demande en mariage dans un journal: celui de la Centrale des Particuliers, journal réputé sans intermédiaire. Dans le numéro 831 du 2 janvier 1986,49 annonces de femmes et 89 d'hommes avaient été sélectionnées par Danièle, la responsable de rubrique. La taille, le poids, l'âge, le métier et le statut matrimonial; célibataire. veuf ou divorcé (avec enfants ou non), tous ces renseignements étaient signalés en plus des caractéristiques dési­rées par les annonceurs. Voici les plus citées: 1) l'âge minimum désiré (par la femme pour l'homme) ou maximum (par l'homme pour la femme); 2) la situation financière (exprimée par des mots comme bonne situation, niveau d'éducation supérieur ou catégorie profession· nelle, tel cadre supérieur etc.); 3) la beauté (repérée par les mots: mignonne, physique agréa­ble, mince, élégante); 4) l'intelligence ou la culture; 5) l'affection (<<tendresse», «douceur))); 61 le sérieux et la responsabilité; 7) l'humour; 8) la sobriété; 9) la masculinité (repérée

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LE CHOIX DU CONJOINT 55

par des mots comme sportif, dynamique, ambitieux); 10) la féminité (le terme féminine est souvent employé par les hommes pour une femme); 11) la sensualité; 12) la générosité; 13) le désir ou la présence d'enfants. Le tableau suivant montre en pourcentage la fréquence avec laquelle chaque sexe désire voir ces caractéristiques chez le partenaire qui répondra à l'annonce. Les hommes demandent par ordre décroissant chez une femme: affection, beauté, féminité, intelligence et sensualité. Les femmes demandent en revanche: une bonne situation, de la tendresse, de l'intelligence, du sérieux et de la masculinité.

Ces résultats sur un petit nombre d'annonces pris au hasard dans un journal non spécia· lisé dans les annonces de mariage sont confirmés par une étude de Cameron et al. (1977), cité par Heer et Grossbard·Schetman (1981).

Choisir un époux par petites annonces (agence matrimoniale) révèle l'échec des rencon­tres de la vie quotidienne. L'annonceur peut être un rebut (célibataire d'âge avancé, femme trop exigeante dans la sélection du conjoint ou divorcée, constituant par là-même une «occasion)) délicate à reprendre!. Le tableau ci-après est édifiant à cet égard. Dans l'échan­tillon, l'âge moyen des femmes est de 42 ans, celui des hommes en revanche est de 36 ans 1 Les femmes sont trop grandes ou trop maigres 1 43,8 % des femmes sont divorcées, 18,7 % sont des veuves et seulement 37,5 % d'entre elles sont célibataires. 58 % des femmes ont au moins un enfant 1 L'âge minimum qu'elle souhaite chez leur partenaire, est de 41 ans 1 Chez les hommes il y a par contre 58 % de célibataires et 37,5 % de divorcés. Ils exigent chez leurs partenaires un âge minimum de 35 ans 1

- Cameron et al., «Courtship American Style: News paper ads», The Family Coordi­nator, janvier, 1977.

- Heer D. et Grossbard-5chetman A. (1981), «The 1 mpact of the Female Marriage Squeeze and the Contraceptive Revolution on Sex Raies and the Women's Liberation Movement in the U.S. 1960 to 1970», The Journal of Marriage and the Family, février.

Les petites annonces et le marché de l'occasion

Taille de l'échantillon 49 89

Femmes Hommes 1

âge moyen 42 ans (23 ans) 2 36 ans (26 ans) 2

taille 1,65 m (1,60 m) 1,73 m (1,73 m) poids 54 kg (57 kg1 68 kg (72 kg) célibataires 37,5 % (7%) 58% (15 %)3 veufs 18,7 % (3,9 %)3 4,5% (0,2 %)3 divorcés 43,8% (6,1 %)3 37,5 % (4,6 %)3 nombre de personnes avec des enfants 58% 25%

âge minimum demandé par les femmes 41 ans âge minimum demandé par les hommes 35 ans situation financière 61 % 2% beauté 12 % 49.4 % intelligence 26,5 % 21,3 % affection 36,7 % 59,5 % masculinité 24.4 % féminité 27 % sérieux 24,5 % 5,6 % sensualité 6,1 % 16,8 % enfant 4,1 % 12,3 % sobriété 14,2 % 0,0% humour 12 % 4,5% générosité 10,2 % 0,0%

Source: Rubrique mariage de La Centrale des Particuliers, nO 831 du 2 janvier 1986.

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56 LE MARCHll DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

1. Caractéristiques de la population de l'ensemble des François en 1981. 2. Age moyen au premier mariage en 1981. 3. Taux de célibat de veufs et de divorcés dans la catégorie des 30 à 39 ans en 1983

pour les hommes et de 40 à 49 ans pour les femmes. Source; Tableau de l'Economie Fran­çaise, INSEE, 1985.

Prospection, évaluation et mariage

Etre marié implique une perte d'indépendance et rompre le mariage ne se fait pas sans coût. Si le mariage n'entraînait pas ces difficultés, chacun épouserait la première personne rencontrée. Chacun profiterait du mariage dans un couple imparfaitement assorti et continuerait à prospecter, en même temps, d'autres partenaires. Une fois trouvé chacun quitterait l'ancien pour le nouveau 1. La perte d'indépendance interdit une prospection intensive et prive l'individu qui est marié de découvrir aisément un meilleur assortiment. Rompre la liaison avec son ancien partenaire n'est pas non plus une décision unilatérale. Elle engendre souvent des larmes. Elle entraîne des coûts. Il n'est donc pas dans l'intérêt de chacun d'épouser la première per­sonne rencontrée. Au contraire, il est prudent d'en essayer plusieurs ou d'évaluer de façon plus approfondie les traits de la personnalité rencontrée avant de prendre une décision.

Exactement comme pour le choix d'un yaourt ou d'une automo­bile, chacun consacre du temps et de l'argent pour inspecter, évaluer et expérimenter les caractéristiques d'un conjoint potentiel. Dans tout produit il existe des caractéristiques observables avant l'achat et d'autres se révèlent uniquement lorsque le produit est acheté ou consommé. Il en va de même avec les individus. Si vous êtes un homme et que vous préférez les brunes aux yeux bleus sans tenir compte du reste, une simple inspection suffira. Certes, il vous restera à convaincre cette jolie brune de vous épouser puisque la décision ici n'est pas unilatérale, mais vous vous serez épargné bien des coûts de prospection. En revanche, si vous attachez de l'importance à l'intelligence, aux goûts de votre partenaire en matière vestimentaire, à l'harmonie sexuelle et si en plus vous désirez une épouse d'une moralité irréprochable, honnête, capable de faire des enfants, alors une simple inspection sera insuffisante. Il vous faudra expérimenter le partenaire avant de prendre une décision définitive; ou prolonger sérieusement la prospection si le coût d'expérimentation est trop élevé.

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Aristocratique et d'un bon naturel: le Bull-dog Anglais

UN COMPAGNON POUR LA VIE

FEMMES 82·121.017 Jeune fiUe Africaine du ltune Cancer. 24 Inl, chev. noirs, yx marron. 1.80 m, ~ kg . cel . _ d''''''rolrice . Aime voy.ge.. muatque, ciné. CH homme d'Iffaim, industriel ou pro .... K)fl libé­r.... 40180 Ins. linœre, sympa.. qui pourra m'.fder • "'-liHr mon rive wiy,. une union harmonieuM • deux

M·221.007 :za an., chlt .• yx marron clair, 1.73 m, 68 kg .• nMignante. divordle (2 enf.nts 7 lit 3. ona • charge! . _nt ou .. rt. dynlmtque. trM IP<H'tIVe. gaie et pleine d"humour, capable d'6tte en jean comme en tenue de aojrM. anne nlture. muaique. d.n ... __ ln ""lento. CH homme 28138 ln., + 1.75 m. cuh:iw. _ ro. si....... honnit.. .mbitieux, dynamique

12·221.001 53 .na. blonde. yx bleua. 1.86 m. 75 kU' t" ... IIte. veuve (1 enfant i~nd8ntJ . .imple, Iffectueu... I"tIChetche veuf "rieux et effKtueux PM .. 1ieux ,'at.lenir - 92 ou Pari, aeulement

.... _.'7' 12.000 F Mini Corn ..... couleur etWme. dêç. 82. pro m .. 2.800 km . (1)43.31.'7.'7 .p. 18 h30 dim.nche

.3 . _.177 Il.000 F Voitu ..... Dupwt Po"", dieool. 4 pI_. penn;' M (code .... lement). 13.500 km

aceMent Mat - 10 km/h maximum moteur. alternateur. batterie neut. -ROME Il) 43.".12.14

.3 . _.778 10.000 F William lambnttta. fourgonnette. bleUI. 1980. "" main. mision. batterie neuve . (1)48.10.01." DOM

., . _.101 Il.000 F Codv Duport. 125 cm3. permia M (code). rouge, automatique. 1.000 km. arden. lit motou. (1884) . 111 10.1 •. 7 .... BUR . (1)110.10.04.20 .p. 19 h

11·221.021 36 Inl, chAt., yx marron. 1,84 m, 53 kg, BG ...., phyoiqu. OU ........ ,*ibotoiro. opMatrice photocompoaition . roman­tique. ..rieu .. , honnit., MminÎne. ..... timentale. limant nature. mer. animaux, mUltque. aortiM dÎYef"IM mlil lU'" Mn inürieur. rive de bltir un foyer avec enf8nt • venir. ,wc mon ...... , 40 ln. maxi. situation et affini'" en rIIppon, Mrieux. tendre. '11d,. el: non 4Igoiate - aventuriers ,'abat.nir

14·221.027 51 Ina. chAtain. yx verts. 1.80 m. 5& kg, .... n physiquement. coquetto . _ hoeDitalier. .ffectueu... propri6teire mli800 . aouhaite rencontrer moniteur. cinqulntatne. ratrait6. Mrieux. aobre. non fumeur. pouvont changer de région pour union lOIide

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:::-ri~·:..~~)= attent., Mftaib6e. ......... 1Obre, Inti fum .•• i beaucoup de ~ d'Ame lit d·ott.ction • port_ . ",m·moi pour que nos ___

ac:Men1: no. comp66menta appNciM, en -..r.nt __ le plva court chemin entre no. coeurs : ,'Amour

11·221.001 31 lM. ch6t. clair. yx merron, 1.12 m, 73 kg . divotcé. technicien inlormaticien - IOUhaite rencontrer une jeu.... fil .. 1 ans ona. si poujbIe de source Aoja. tique, aituation lOCiaIe un. importllnce, ail'l'lpAement int....... et .. beIoin d'epprendre

'2·221.010 Claude. :IIi .ns (bient6t 311). ch't.. yx manon, 1,81 m. è4 kg . ouyrier quelm., divotcé (1 tille 13 .na non • chorge) . toIerant. eiment mer. cempegne. humour. Yle de f.mil ... CH jeune femme simple, s.nc*re. pour rompre lOIitude -enfants acceptès

Extraits dIVers de La Centrale des Parti­culiers, nO 831. 2 Janvier 1986.

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58 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Cette prospection prend des formes variées. Le choix du lieu de rencontre est essentiel selon le partenaire souhaité et il faut se renseigner sur sa famille. Le compte en banque des parents ou les espoirs de carrière de votre partenaire sont des informations utiles lorsq ue vous avez tendance à vivre au crochet des autres. Certains individus auront du temps pour prospecter, d'autres non. Retarder le mariage, pour expérimenter un autre partenaire ne prive pas les plus jeunes des joies de vivre avec un conjoint, ils ont toute leur vie devant eux. Ils feront donc confiance à leur propre capacité pour trouver le partenaire rêvé. Inversement les plus anciens s'adresseront à des intermédiaires spécialisés.

Généralement pour. mieux observer les traits de la personna­lité d'un partenaire des contacts fréquents sont indispensables. Pour cela, des méthodes de prospection plus ou moins formelles ont toujours existé. L'échange des curricula vitae entre familles par l'intermédiaire de marieuses ou de méthodes commerciales éprouvées et efficientes (fichiers informatisés) permet de réduire les facteurs de hasard. En général les intermédiaires sont suppo­sés augmenter la probabilité d'un meilleur assortiment. Nombre de renseignements sont utilisés comme indice de certaines caracté­ristiques non observables avant le mariage. Le visage peut dévoiler des traits de caractère; le niveau d'éducation est un signe d'intelli­gence. L'appartenance à une religion suggère des principes moraux qui ont une grande valeur pour la constitution d'une famille. Cepen­dant, toutes ces méthodes ne permettent pas de se faire une opinion ferme et définitive.

L'expérimentation est vraisemblablement indispensable pour mesurer la valeur véritable d'un assortiment homme-femme. De tous temps, les familles ou les villages ont favorisé et organisé l'expé­rimentation par des méthodes empiriques, telles la cour ou les fian­çailles. Ainsi la «cour nocturne» en Suède ou en Finlande en est un bel exemple 2.

Les seuls gains du mariage qui subsistent aujourd'hui sont ceux qui résultent de la complémentarité. Les gains de la spécialisation ont été détruits par l'évolution du salaire réel offert aux femmes sur le marché du travail et par l'évolution du prix des substituts à la production familiale.

Or, les gains de la complémentarité impliquent une perfection plus grande de l'assortiment des conjoints. Les gains attendus de

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LE CHOIX DU CONJOINT 59

l'expérimentation se sont donc accrus. Naturellement, les nouvelles méthodes contraceptives la facilitent en diminuant l'un de ses coûts (risque de conception prénuptiale entraînant un mariage non désiré). Les gains attendus de l'expérimentation augmentent. Le coût d'op­portunité diminue. La pratique de l'expérimentation plus connue sous le nom de cohabitation (substituts des fiançailles et des cours sous haute surveillance) se développe spontanément et à une grande échelle.

Le divorce

Plusieurs années de mariage sont incontestablement le meilleur moyen d'acquérir une information précise sur son partenaire. Même la cohabitation n'offre pas avec certitude une information fiable. La séparation n'entraînant aucune réparation en cas de dommage, chacun évite de s'investir totalement dans cette relation (voir tableau 3.1). Toute une information spécifique au mariage est perdue: capa­cité à avoir des enfants; loyauté envers le partenaire ...

Tableau 3.1· LA COHABITATION ET LE MARIAGE

Cohabitants Mariés Célibataires Cohabitants région

parisienne

H F H F H F H F

Nombre moyen d'enfants désirés par femme 2,18 2,26 2,15 2,16 1,79 1,69 1,50 1,58

Pensez·vous oui 28 29 36 32 45 36 50 35 que l'on puisse aimer plusieurs personnes en même temps non 63 68 52 59 41 49 43 55

Source: Roussel L. et Bourguignon D., Générations nouvelles et Mariage traditionnel, Cahier nO 86, INED, 1978.

Les partenaires qui cohabitent désirent moins d'enfants que les autres et investissent moins en relations affectives spécifiques à un partenaire (plus particulièrement pour les hommes) puisqu'ils admettent plus que d'autres la possibilité d'aimer simultanément plu· sieurs conjoints 1

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60 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

C'est cette information supplémentaire sur les caractéristiques non désirées mais non observables avant mariage qui est la cause principale des divorces précoces. Les divorces ont lieu en majorité dans les cinq premières années de mariage aux Etats-Unis et dans les neuf premières en France. Cinq ans est la durée de mariage la plus fréquente au moment clu divorce même si la durée moyenne est beaucoup plus élevée (douze ans en 1977). Elle doit être diminuée, en moyenne, d'une année car le divorce est souvent précédé d'une longue période de séparation (un an au moins) en attente du juge­ment sans compter les mois où la décision de divorcer est déjà prise mais non déclarée ou enregistrée. L'accumulation rapide d'informa­tions correctes sur son conjoint est la source principale des ruptures précoces. Mais de nombreux divorces surviennent beaucoup plus tard.

L'utilité attendue du mariage à la date peut différer de celle qui se réalise à la date t + k. Les gains du mariage, positifs au début du mariage, deviennent négatifs par suite d'événements imprévisibles. Les gains obtenus lorsque l'on vit ensemble peuvent évoluer au cours du mariage. Un homme peut devenir alcoolique, chômeur et donc incapable d'entretenir financièrement son foyer. Inversement il commence une carrière d'acteur besogneux puis quelques années plus tard devient célèbre et ne peut préserver sa vie familiale de toutes les tentations que lui offre la richesse, il quitte son épouse pour vivre avec d'autres femmes. Les longues maladies sont aussi un élément décisif.

Même en présence de gains du mariage positifs, il est possible de trouver un autre partenaire avec lequel les gains du mariage sont plus élevés.

Deux catégories de divorces coexistent: ceux qui ont pour ori­gine un écart non prévu entre les gains attendus et ceux réalisés dans le mariage présent; ceux qui ont pour source une occasion d'amélio­rer sa vie en changeant de conjoint. Mais le point important ici est le suivant. La dissolution du mariage n'arrive pas automatiquement quand les gains du mariage à la date t deviennent négatifs ou lorsque l'un des époux trouve plus agréable de vivre avec une autre personne. Plusieurs raisons fondamentales expliquent ce fait:

- L'existence d'un coût direct pour obtenir le prononcé du divorce par un juge aux affaires matrimoniales et pour liquider l'en­semble des actifs financiers, physiques ou humains accumulés au cours du mariage;

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- La présence d'un conjoint qui fait de la décision de divorcer une décision non unilatérale;

- Les gains attendus du célibat après rupture.

al Les coûts directs du divorce

Les frais pour engager la procédure de divorce et les difficultés que rencontrent les époux entre la décision de rompre le mariage, le dépôt de la requête et le prononcé du divorce peuvent ne pas être négligeables. En 1974 la revue « 50 millions de Consommateurs» estimaient à 6000 F (au prix actuel cela fait 18000 F) 3, le coût du divorce pour la plus grande partie des justiciables. En 1970 la durée entre la tentative de conciliation et le prononcé du divorce s'élevait au chiffre moyen de 13 mois. Généralement les époux sont séparés dès le début de la requête et les pensions alimentaires sont déjà payées, couvrant ainsi pendant cette attente les difficultés finan­cières de l'un des conjoints. Les économistes négligent habituelle­ment ces coûts directs pour une raison simple: ils sont par nature transitoires. Ils sont inférieurs à la perte permanente qu'entraînerait une prolongation du mariage.

bl La décision de divorcer n'est pas unilatérale

Jusqu'à maintenant nous avons fait comme si l'autre conjoint n'avait pas son mot à dire dans cette affaire. Si les deux époux tirent, tous deux, des gains positifs ou négatifs du mariage, ils seront d'accord pour rompre leur union ou pour la prolonger. En revanche si l'un des époux tire une utilité positive du mariage et l'autre une utilité néga­tive, un conflit apparaît. Deux règles sont possibles: ou la prolonga­tion du mariage, ou le divorce correspond à un consentement mutuel. Dans le premier cas le divorce unilatéral est autorisé, dans le second il est interdit. Ces deux règles ne sont pas indifférentes pour les époux qui se trouvent dans une situation de conflit. Dans le cas d'un consentement nécessaire mutuel pour divorcer, la loi accorde à l'un des conjoints le droit d'imposer un mariage unilatéral à l'autre, s'il ne peut acheter sa liberté en le dédommageant! A contrario la possi­bilité d'un divorce unilatéral implique un coût au conjoint qui ne peut acheter à l'autre le droit de prolonger son mariage avec lui.

Les enfants sont des adultes potentiels. Eux aussi sont parties

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62 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

prenantes au mariage. Le divorce les concerne tout autant que les époux et ils n'ont pas leur mot à dire dans la procédure de divorce. En un sens, la rupture de l'union est pour eux une rupture unilaté­rale. Ce que l'on refuse aux adultes, puisqu'on les oblige à divorcer encore par consentement mutuel (ou 6 ans de séparation avant de divorcer de façon unilatérale), on l'impose aux enfants! L'enfant bénéficie tout autant, si ce n'est plus, des gains du mariage et son intérêt n'est pas protégé. Le juge ne doit-il pas se substituer à celui-ci et savoir le protéger des conséquences de la rupture? Ne peut-il interdire le divorce faute du consentement de l'enfant? Le juge prétend, naturellement avoir pour seul souci la protection de l'enfant. Mais il ne peut s'opposer au divorce des parents. La loi le lui inter­dit. Cette question des décisions unilatérales pour les uns et pas pour les autres lorsque les conjoints ne sont pas les seuls concernés par le divorce est plus délicate qu'on ne le croit et certainement d'un traitement théorique plus complexe que celui offert jusqu'à mainte­nant par les économistes.

cl La date optimale du divorce

Lorsque les gains du mariage à la date t, sont négatifs, cela n'implique pas de divorcer à ce moment-là. La décision de rompre le mariage en t ou bien de retarder d'une année cette rupture dépend:

- de la perte envisagée en prolongeant le mariage d'une année; - de l'effet de ce retard: d'une part sur les gains du célibat

après la rupture, et d'autre part sur le coût du divorce. Prenons l'exemple de la présence d'un enfant. Elle augmente le

coût du divorce et réduit les gains d'un remariage. Pour le partenaire qui doit payer une pension alimentaire le coût du divorce augmente et pour celui qui garde l'enfant, la probabilité de se remarier est réduite. Les joies procurées par l'enfant réduisent aussi la perte des gains du mariage pendant les années où il faut l'élever. Les enfants retardent donc le divorce. Mais, plus ils avancent en âge, plus ils deviennent indépendants. Dans ce cas la perte des gains du mariage s'accroît et les coûts du divorce diminuent. Lorsqu'ils seront adultes les parents n'auront plus à les entretenir et n'auront plus de pensions alimentaires à payer. Ils n'imposeront pas leur présence à un autre conjoint. Si les parents retardent leur divorce jusqu'à l'indépendance des enfants, ce retard ne sera pas sans effet sur le statut de célibataire

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LE CHOIX DU CONJOINT 63

au moment de la rupture. La mère compte tenu de son âge, à ce moment-là aura du mal à se remarier ou à bénéficier d'un niveau de vie identique en travaillant. Les effets se contrebalancent. Les enfants retardent le divorce mais l'effet de ce retard sur le niveau de vie dans le cas d'un retour au célibat l'avance.

dl Les gains du célibat à la rupture

C'est le point essentiel. Au moment du divorce le niveau de vie attendu dans le célibat n'est pas nécessairement le même que celui expérimenté avant de se marier. Il peut être plus élevé. A l'inverse, il peut être inférieur. La raison fondamentale de cette différence vient des investissements spécifiques au mariage.

Les investissements spécifiques au mariage sont définis en général par deux caractéristiques:

- ils accroissent les gains; - ils sont sans valeur si le couple se sépare. Toutes choses égales, les investissements spécifiques au couple

accroissent la différence entre les gains que procureraient la prolon­gation du mariage et ceux obtenus en redevenant célibataire ou en épousant un autre partenaire. Ces investissements stabilisent le mariage. Cette stabilité, par un effet de retour, réduit le risque d'investir spécifiquement dans le couple. La spécialisation des rôles est une forme d'investissement spécifique. En effet, une femme au foyer acquiert des aptitudes propres à son mariage. Cette producti­vité intrafamiliale qui accroît les gains du mariage n'est pas transfé­rable dans un autre mariage. La femme au foyer connaît les goûts des uns et des autres, les faiblesses de ses enfants ou de son époux, leur état de santé, etc ... Elle a appris à faire face à toutes ces diffé­rences. En changeant de partenaire toute cette information spéci­fique devient sans valeur. Rester au foyer c'est prendre la décision d'investir dans la productivité domestique et, en même temps, celle de renoncer à l'exercice d'un métier. Or, investir spécifiquement dans le mariage c'est en même temps désinvestir sur le marché du travail. Les aptitudes à vivre en célibataire sont réduites. Le niveau de vie du célibat au moment d'un divorce est alors plus faible que celui que l'on aurait pu obtenir en renonçant à travailler au foyer. La diffé­rence entre ces deux niveaux de vie va dépendre de la façon dont les conjoints vont accumuler ces différentes formes de capital au

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cours du mariage. La plupart des situations se trouve être à mi­chemin entre deux cas extrêmes. Prenons l'hypothèse où la produc­tivité familiale dépend des investissements spécifiques au mariage tandis que le salaire obtenu sur le marché du travail ne dépend pas de l'expérience accumulée dans un travail salarié. Dans un tel cas rester au foyer accroît les gains du mariage sans diminuer les gains du céli­bat après la rupture. Une femme qui serait restée célibataire n'aurait pas obtenu un niveau de vie supérieur à celui qu'elle obtient en rede­venant célibataire après avoir été mariée. Prenons l'autre hypothèse. La productivité familiale est indépendante des investissements faits dans le travail domestique, tandis que les salaires s'élèvent avec l'expé­rience accumulée sur le marché du travail. Dans ce cas rester au foyer accroît les gains du mariage mais diminue les gains du célibat après rupture. Cette fois une femme qui serait restée célibataire aurait un niveau de vie supérieur à celui qu'elle obtient après un divorce. L'activité professionnelle des femmes mariées est associée à des taux de divorce très élevés. Ce phénomène est souvent expliqué par le fait que le coût du divorce pour les femmes actives est plus faible (ou plus élevé pour la femme au foyer) parce que le revenu du céli­bat est plus élevé après le mariage qu'avant. Cet argument repose sur une hypothèse implicite exprimée plus haut: le salaire dépend de l'expérience accumulée sur le marché du travail. Dans le cas où il n'en est pas ainsi on peut soutenir le raisonnement inverse. La femme active divorce plus que la femme au foyer parce que pour la première, les gains du mariage sont plus bas que pour la seconde.

Anticiper ou craindre un divorce incite l'épouse à travailler pour préserver son niveau de vie en cas de séparation. Mais en agissant ainsi elle diminue les gains du mariage et accroît la probabilité de divorcer. La crainte du divorce engendre le divorce.

Les enfants constituent a priori une forme de capital spécifique. Les relations affectives qu'ils créent, élèvent les gains du mariage. Ces gains ne disparaissent pas totalement avec la dissolution du couple car ils peuvent être transférés dans un autre mariage. Mais et c'est là leur aspect particulier, faute d'être divisible ou faute de pouvoir être achetés, ils ne sont transférables que pour l'un des époux. Les coûts du divorce sont plus élevés pour les couples qui ont des enfants et ils ne sont pas les mêmes entre les conjoints. Celui qui bénéfi­cie de la garde des enfants évite contrairement à son ex-partenaire de perdre l'ensemble des investissements affectifs faits dans ses enfants.

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LE CHOIX DU CONJOINT 65

Le remariage

Si le mariage indique l'entrée sur le marché matrimonial, le divorce n'en indique pas le retrait 4 • Le divorce ressemble à une période de chômage entre deux mariages et les divorcés à des salariés qui sont licenciés ou qui démissionnent de leur entreprise. Certains conjoints abandonnent leur époux pour un autre avec lequel ils espèrent une meilleure opportunité de vie : ils démissionnent d'un premier mariage pour entrer dans un second. C'est un divorce involontaire pour le partenaire qui est abandonné et le conjoint laissé pour compte se retrouve sur le marché du remariage en position défavorable faute d'avoir été prévoyant. En revanche d'autres conjoints renoncent à prolonger ensemble leur union parce que celle-ci fait «faillite». Ils sont alors comme des licenciés et se retrouvent sur le marché du remariage de façon imprévue et dans une situation défavorable. Un abandon ou une démission résulte pour l'un des conjoints d'une amélioration attendue de son niveau de vie avec un autre partenaire. Un licenciement résulte d'une faillite non anticipée du mariage actuel. Les conjoints abandonnant leur partenaire pour un autre se retrou­veront avec une période de célibat (ou de chômage) plus courte que les «abandonnés» dont le mariage a fait faillite. Ces derniers ne retrouveront pas une situation maritale aussi favorable que dans leur premier mariage car le marché du remariage est un marché où abondent les mauvaises occasions. Les mariés encore mariés révèlent qu'ils sont un bon assortiment. Le remariage prouve implicitement que le conjoint délaissé n'était pas une bonne affaire ou qu'il y avait mieux ailleurs. Ceux qui restent sur le marché, c'est-à-dire les céliba­taires qui n'ont pas été choisis (ou se sont montrés trop exigeants) et les divorcés (laissés pour compte par un phénomène d'autosélection) constituent une population de rebut (voir encadrés 3.1 et 3.2). Ces derniers mettront plus longtemps à se remarier. L'assortiment de leur second mariage sera moins bon que le premier. Leur remariage sera encore plus fragile et ils seront amenés à divorcer à nouveaus .

L'époux qui risque d'être abandonné s'attend à un niveau de vie plus faible après le divorce. Pour éviter cette perte il est prêt à sacri­fier une partie de son niveau de vie au profit de son partenaire afm de le retenir. Mais ce sacrifice n'est pas sans limite: il sera au maxi­mum égal à la différence entre son niveau de vie courant et celui attendu après le divorce (célibataire ou remarié).

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66 LE MARCHf DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

3.2 - LES DtTERMINANTS DU DIVORCE

Les données empiriques sur les déterminants du divorce font apparaître quelques grands faits stylisés.

1) L'âge au mariage: L'âge au mariage, même lorsque l'on maintient constant la durée du mariage, est un

déterminant essentiel de la probabilité de divorcer. La corrélation négative observé entre l'âge au mariage et le divorce est largement répertorié dans la littérature. Cette corrélation prend la forme en général d'une courbe en U avec un minimum à 30 ans. Ceci tend à suggé­rer qu'une fraction des mariages aux âges les plus jeunes résultent d'une prospection et d'une expérimentation et ceux aux âges plus éloignés d'un retard au divorce par suite d'in­vestissements spécifiques au mariage comme la présence des enfants. Bien entendu une durée du mariage plus longue est associée avec des taux de divorce faibles_

2) Le niveau de revenu de l'époux: Une hausse du niveau d'éducation du mari ou de son niveau de revenu réduit la proba­

bilité de divorcer surtout au niveau le plus bas, en revanche cette hausse si elle se produit au niveau le plus élevé incite au divorce. Ce fait confirme d'une part le principe de spécialisa­tion et d'autre part l'importance des événements non attendus, Un mari chômeur incite la femme à divorcer car elle ne peut être entretenue; un mari qui devient milliardaire est incité à changer de femme pour une autre de meilleure qualité. De la même manière quelqu'un qui émigre divorce plus facilement et souvent le divorce provoque une émigration.

3) Le niveau de revenu de l'épouse ou son activité professionnelle: Une activité professionnelle de l'épouse tend à augmenter de façon très significative

la probabilité de divorcer. Une activité professionnelle signifie un revenu plus élevé de l'épouse dans le statut de célibataire. Celle-ci diminue donc les gains du mariage et incite au divorce. De la même manière un divorce anticipé incite la femme à travailler et à augmen­ter ses revenus et donc à précipiter le divorce.

4) Le nombre d'enfants: L'impact du nombre d'enfants sur le divorce est généralement négatif. Mais cette corré­

lation est plus complexe qu'il n'y paraît car l'âge des erfants et leur nombre interviennent simultanément. Par ailleurs les conceptions pré-nuptiales augmentent de façon significative la probabilité de divorcer.

5) Les revenus de transferts: Les aides aux familles pauvres tendent à rompre le mariage et les aides aux femmes

seules (divorcées) tendent à maintenir leur statut de divorcées. 6) Les autres facteurs: Les couples qui se marient en dehors de leur religion, ou qui se marient très jeunes ou

plus tardivement que la normale ont une probabilité plus forte de divorcer. La probabilité de divorcer est plus élevée dans un remariage_ En revanche une hausse du niveau d'éducation a un effet ambigu. En général, un haut niveau d'instruction augmente le niveau de vie du couple et ses revenus, augmente les gains du mariage si les niveaux d'éducation sont assortis, et, en conséquence, entrai ne une probabilité plus faible de divorcer. En revanche un haut niveau d'éducation de la femme la pousse à travailler, ce qui diminue les gains du mariage et incite au divorce,

7) La loi ne modifie pas les taux de divorce: Dans les Etats où le divorce unilatéral est autorisé, celui-ci n'est pas significativement

plus élevé. Ce. résultat, avancé par Becker, a été confirmé récemment par Peters.

- Becker G., Landes E. et Michael R., « An Economie Analysis of Marital Instability», Journal of Political Economy, décembre 1977.

- Michael R., « Determinants of Divorce », dans Sociological Economics, éd. L. Levy Garboua, London Sage, 1979.

- Peters E., « Marriage and Divorce: Informational Constraints and Private Contrac­ting», American Economic Review, juin 1986_

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LE CHOIX DU CONJOINT 67

Le conjoint qui désire abandonner son époux acceptera de rester si son niveau de vie, après redistribution des gains du mariage (redis­tribution de revenu monétaire ou réallocation des rôles) s'élève au minimum de la différence entre le niveau de vie attendu dans le remariage envisagé avec un autre conjoint et celui de sa situation actuelle. Au sein du mariage les coûts de négociation de cette tran­saction sont à priori faibles (ce n'est pas le cas dans une entreprise où le nombre de partenaires est sensiblement plus élevé). Une grande partie des couples dont l'assortiment est loin d'être parfait règle leur problème par cet échange intrafamilial. Le divorce ne concernera donc que les partenaires qui ne peuvent dédommager leurs conjoints pour qu'ils restent près d'eux. C'est en ce sens que la population des divorcés et des remariés est très sélectionnée.

Les stigmates du divorce

Les couples divorcent parce que l'assortiment réalisé ne procure pas autant d'utilité qu'ils l'espéraient. Mais lorsqu'ils se présentent sur le marché du remariage, personne ne connaît les raisons vérita­bles du divorce. Comme il n'y a pas de fumée sans feu, les divorcés ne bénéficient pas d'un préjugé favorable. Faute de pouvoir discri­miner entre ceux qui constituent une bonne affaire et les autres, les divorcés seront en moyenne considérés par les célibataires ou les veufs comme de mauvaises occasions. Le divorcé se différencie en cela nettement des veuves et veufs dont la rupture de l'union peut être présumée comme accidentelle et ne résultant pas d'une baisse des gains du mariage. Contrairement aux divorcés ces derniers béné­ficient d'un préjugé favorable. Ce sont ces préjugés qui vont créer des stigmates.

Leurs rôles est d'économiser aux individus une perte de temps et de leur éviter des erreurs. Les préjugés, comme les normes, réduisent l'incertitude. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

Les divorcés s'ils se remarient devraient trouver un mariage dont les termes sont plus défavorables. Mais c'est oublier que les individus ne sont pas tous égaux devant l'incertitude. Parmi les divorcés hom­mes ou femmes, certains divorcent pour améliorer leur statut matri­monial (ou statut social), d'autres au contraire se retrouvent invo­lontairement sur le marché du remariage. Par ailleurs, le temps passé

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68 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

à prospecter un second mari dépend des ressources dont on dispose pour vivre en célibataire et pour rechercher intensivement un nou­veau conjoint. Plus on passe de temps à prospecter sur ce marché, plus il sera possible de choisir un assortiment conforme à ces propres caractéristiques. Ainsi une femme divorcée bénéficiant d'une pension alimentaire et exerçant une profession aura tout le loisir de recher­cher un mari à sa convenance. Elle améliorera l'assortiment de son remariage. En revanche une femme divorcée inactive et sans pension alimentaire ou une femme veuve (bénéficiant pourtant d'un préjugé tàvorable), qui était au foyer avant le décès de son époux, seront toutes deux pressées de retrouver un époux. Moins sévère sur la sélection de l'assortiment, le remariage se fera dans une position défavorable. C'est une des raisons pour lesquelles les femmes veuves remariées ne retrouvent pas, la plupart du temps, dans un second mariage un niveau de vie supérieur au premier 6 • Paradoxalement même si elles bénéficient d'un préjugé favorable, elles ne se retrou­vent pas dans une situation meilleure que les divorcées qui, elles n'en bénéficient pas.

La dévaluation de la condition de divorcée n'est donc pas évi­dente. A cela s'ajoutent la banalisation du divorce, sa fréquence et son rajeunissement qui en diminuent sa stigmatisation. Sa popula­tion se rapproche de la population observée sur le marché du premier manage.

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4

Le prix de la femme dans nos sociétés contemporaines

« Il y a celles qui vous disent qu'elles ne sont pas à vendre, et qui n'accepteraient pas un centime de vous! Ce sont générale­ment celles-là qui vous ruinent. »

Sacha GUITRY,

Let femmes et l'amour.

Il peut paraître choquant d'évoquer la valeur monétaire d'une femme dans nos sociétés où l'esclavage a légalement disparu. Car l'achat d'une jeune fille en vue d'un mariage, s'il s'observe encore, reste toutefois exceptionnel. Dans beaucoup de sociétés primitives ou paysannes cet acte d'achat constituait la transaction monétaire la plus importante effectuée par un individu! Le sujet a tellement fasciné les ethnologues qu'il lui ont consacré une abondante litté­rature. Ils interprètent l'achat comme un dédommagement alloué à la famille qui se sépare de son enfant.

Les services rendus par un homme, une femme et un enfant, pendant une durée déterminée, prennent souvent la forme de reve­nus. Une fois actualisés, ceux-ci déterminent la valeur en capital d'un être humain. Cette estimation varie avec le taux d'intérêt, le nombre d'années, le montant des revenus annuels et le droit de se les approprier.

En général la valeur de la femme ou d'un enfant est mesurée par la valeur actualisée de la production familiale qui est sans substitut sur le marché. Inversement ce que vaut un homme est mesuré par la valeur actualisée de ses revenus salariaux. Cette valeur varie positive-

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70 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

ment avec la durée attendue du mariage, les revenus réels produits par le mari ou sa position sociale, le nombre, la qualité des enfants et la production familiale. Elle varie aussi négativement avec le taux d'intérêt et le droit de bénéficier des revenus (monétaires ou non monétaires) que produisent les uns et les autres.

Lorsqu'une famille investit dans un enfant, dans l'espoir d'en tirer un bénéfice futur, le mariage de celui-ci pose problème car les revenus n'iront pas à celui qui investit mais à celui qui épouse l'en­fant ou à la famille qui héberge le nouveau couple. Ceux qui ont sacrifié leur temps et leur agent pour élever cet enfant, exigent donc un dédommagement en contrepartie de cette perte de capital humain. La famille qui désire obtenir les services que peut rendre cet enfant est prête à les payer. Le dédommagement à la famille détermine l'offre d'épouse, et le paiement par le fiancé ou sa famille, la demande d'épouse l .

Les ethnologues qui acceptent l'idée que cet échange monétaire recouvre en réalité un paiement ou un prix 2 doivent aussi admettre qu'il se détermine par une confrontation entre un prix offert et un prix demandé. Le prix d'offre couvre tous les coûts supportés par la famille pour élever et éduquer la jeune fille demandée en mariage et le prix de demande reflète l'utilité que le prétendant espère des services de sa future épouse. La croyance quasi générale à la dispa­rition de ces paiements dans nos sociétés modernes est surprenante. En réalité ils sont toujours aussi fréquents.

Pour mieux vous illustrer ce dont il s'agit, observons la pratique des clubs de football. Les revenus de ces entreprises proviennent des recettes lors des rencontres de championnat. Un club recrute des joueurs de talent contre un salaire mensuel ou annuel dans l'espoir qu'ils attireront les foules et apporteront des recettes élevées. Mal­heureusement pour les dirigeants du club, ces revenus résultent à la fois du talent des joueurs et de l'art avec lequel le club est capable de l'exploiter. Ce talent, ainsi que la manière de jouer, enseignée par les entraîneurs de l'équipe de football, constituent l'apport du club. Tous deux sont incorporés au joueur. Lorsque celui-ci quitte un club pour un autre, le club d'origine perd les recettes supplémentaires que lui procurait le joueur. Il perd donc les rendements attendus de l'ensemble des investissements dans ce joueur. Lorsque ce dernier change d'équipe, le club d'origine demande au club qui le recrute un dédommagement. Celui-ci correspond à l'ensemble des revenus

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LE PRIX DE LA FEMME 71

futurs que le footballeur aurait produit s'il n'avait pas préféré jouer dans une autre équipe. Un transfert monétaire est opéré entre les clubs représentant l'achat et la vente d'un droit sur le capital humain d'un joueur.

Il en était ainsi avec le prix de l'épouse autrefois, il en va de même aujourd 'hui. Ces paiements portent un autre nom et ne sont plus des versements entre parents mais entre mari et femme. Il s'agit des indemnités accordées aux épouses sous forme d'une prestation compensatoire lorsque le mariage est rompu. Les pensions ou indem­nités payées par le mari à sa femme ou vice-versa correspondent normalement à un dédommagement du capital humain investi dans le partenaire. Si le mari décide de changer de partenaire ou veut redevenir célibataire, sa femme demande le remboursement de l'en­semble des investissements effectués dans son époux. Paradoxale­ment c'est la nouvelle épouse qui devrait dédommager l'ancienne de cette perte qu'elle lui fait subir en épousant son ex-époux! Elle devrait acheter à l'ex-épouse le droit de vivre avec son partenaire car c'est elle qui va profiter des investissements effectués par la première épouse et dont elle bénéficiait. Si l'un des conjoints désire retrouver sa liberté, il doit par ce paiement racheter les droits de propriété que son ex-époux détient sur lui. D'une certaine façon la prestation compensatoire ou l'indemnité de rupture joue le même rôle que «le prix de l'épouse» autrefois entre deux familles. Le mari qui désire reprendre sa liberté (ou la femme qui veut épouser ce mari) demande son indépendance en contrepartie d'un paiement. L'épouse délaissée offre son accord en contrepartie d'une somme qui la dédommage des investissements perdus.

Le prix auquel se fait la transaction, traduit toujours la même chose: le transfert d'un droit de propriété sur des investissements incorporés dans un être humain. Autrefois ce prix coïncidait avec la valeur actuelle des services rendus par les femmes dans la société comme avec le prix de la mariée, parce qu'il s'agissait de dédomma­ger les parents. Aujourd'hui ce prix avec les indemnités du divorce, n'estime plus la valeur d'une femme ou d'un homme, mais le ren­dement des investissements incorporés à l'un et/ou l'autre conjoint (voire même aux enfants) à l'image des transferts moné­taires opérés par les clubs de football lorsque ces derniers changent de joueurs.

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72 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Un exemple

Prenons un étudiant en maîtrise d'économie. Il propose à l'une de ses amies en licence dans la même faculté que lui, un contrat de mariage dont les termes sont les suivants. L'épouse renonce à pour­suivre ses études pour se porter sur le marché du travail. Avec le sup­plément de revenu qu'elle apportera au ménage, son époux continue ses études deux années supplémentaires et tente d'obtenir un doctorat.

En cas de réussite, il redistribue à son épouse une part de son revenu qui serait supérieure à la somme d'argent qu'elle pourrait, eUe-même, gagner après avoir poursuivi ses études. Si le mari échoue ou quitte son épouse pour une autre femme plus intelligente et beaucoup plus jolie, cette jeune étudiante se retrouvera, une fois le diplôme acquis, avec un revenu correspondant à son niveau d'éduca­tion: c'est-à-dire à celui de sa licence. Son revenu sera donc inférieur à celui qu'elle aurait pu obtenir en renonçant à se marier et en conti­nuant ses études. La rupture du mariage ou l'échec au doctorat entraîne donc une disparité entre les niveaux de vie des conjoints, au détriment de l'épouse.

Ce contrat de mariage ne diffère p:lS de celui qu'un étudiant pourrait passer avec un employeur en lui demandant de fmancer son diplôme à temps plein pendant deux années et en lui assurant pen­dant une durée déterminée, l'exclusivité des compétences acquises.

Par ailleurs, il n'est pas anecdotique 3 • Il ne diffère pas non plus d'autres formes d'investissement dans le conjoint. Ainsi le capital de relations publiques (une clientèle) constitué par le mari dans l'exercice de son métier, n'est peut-être pas le produit exclusif de son effort. La femme, par son activité au côté de son époux, peut accroî­tre sa réputation. Si celui-ci est un dentiste ou un médecin ou un tenancier de bistrot, voire un homme politique, la présence d'une épouse jolie peut attirer une clientèle masculine supplémentaire. La femme ayant contribué par son talent naturel au capital de relation incorporé à son époux, exigera au moment du divorce de bénéficier du rendement de ces investissements.

La femme qui se spécialise au foyer libère le temps de son époux, préserve sa santé et le pousse à s'imposer dans sa carrière profession­nelle (encadré 4.1). Le supplément de revenu ainsi obtenu par l'époux ne résulte pas de son seul effort personnel. La femme

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LE PRIX DE LA FEMME 73

au foyer investit, elle aussi, dans le capital humain de son époux.

4.1 - LES EFFETS POSITIFS DU MARIAGE SUR LES REVENUS DE L'HOMME

Le revenu d'un homme marié est supérieur à celui d'un célibataire. Ce fait est large­ment répertorié dans la littérature et a reçu plusieurs explications. Les économistes, mais aussi les sociologues, expliquent cette différence par la spécialisation du couple qui permet à l'homme de consacrer plus de temps à son emploi. Son expérience est accrue et son salaire augmente en conséquence. A cet argument traditionnel de la spécialisation on oppose la remarque suivante: l'époux marié est fortement incité à travailler pour assurer un revenu permanent à la famille. Le célibataire qui n'a personne à sa charge n'éprouve pas un besoin de gagner de l'argent aussi intense qu'un homme marié dont la femme est au foyer pour élever six enfants. Un autre argument, plus souvent mentionné dans la littérature écono­mique, explique cette différence par une discrimination statistique. Les employeurs ont remarqué depuis longtemps une différence de productivité entre les célibataires et les mariés. Les célibataires sont en moyenne plus mobiles et moins concernés, ils sont donc moins pro­ductifs. Les employeurs offrent alors des salaires plus élevés aux hommes mariés sur le seul fait qu'ils anticipent chez eux une productivité plus grande. Cet argument se tient car le mariage sélectionne les traits des conjoints. Or, nous l'avons déjà montré, l'honnêteté, la loyauté, l'altruisme sont des traits qui sont éminemment efficients pour assurer les perfor­mances au sein de la famille. Ces traits le sont aussi pour l'entreprise. Un sentiment de loyauté empêche une mobilité excessive et renforce l'attachement et l'identité de l'individu à la firme. L'employeur préfère un homme marié à un célibataire parce qu'il anticipe chez lui de tels traits. L'employeur est tellement conscient de ces aspects qu'il associe souvent la femme de l'employé aux festivités et aux événements sociaux de la firme. Ces explications tranchent singulièrement avec celle offerte dans ce texte, qui est issue de la théorie du capi­tal humain. En effet la productivité supérieure du mari résulte des investissements faits par sa femme dans ses compétences professionnelles. 115 peuvent être directs ou indirects. Directs si l'épouse assiste son mari dans ses tâches. L'épouse d'un écrivain tape le manuscrit et relit les épreuves. La femme d'un représentant commercial l'aide à tenir son fichier, le conseille et fait de la promotion de vente auprès de ses amies. 1 ndirects lorsque la femme surveille le poidS et l'alimentation de son époux et d'une façon générale se préoccupe de sa santé (Grossman a montré que le niveau d'éducation de la femme était positivement corrélé avec la santé de l'époux). Il en est de même lorsque l'épouse développe un réseau de relations amicales et prend en charge des réceptions, des sorties et la participation de ce réseau à des événements publics qui vont accroître les chances de son époux d'accéder à un poste plus rémunérateur car ce réseau de relations fait circuler les informations et les opportunités en premier auprès de ses membres (Benham a montré que le niveau d'éduca­tion de la femme affectait positivement les revenus de son époux).

- L. Benham, «Benefits of Women's Education within Marriage », in Economies of the Family, Ed. T. Schultz, Chicago, The University of Chicago Press.

- A. Grossbard-Schetman, ~ Marriage and Productivity : An Interdisciplinary Analy­sis», in Hendbook of 8ehavioral EconomiCli, Ed. Gilead et Kaish, (à paraître), 1984.

- M. Grossman, «The correlation between Health and Schooling», in HouseholdPro­duetion and Consumption, New York, COlumbia University Press, 1976.

L'exemple choisi est d'une très grande généralité. Restant céliba­taire, chacun des deux étudiants obtiendra sur le marché du travail un revenu mensuel de 8000 F qui correspond à un diplôme de maî-

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74 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

trise. Si l'étudiante épouse son camarade de faculté, son revenu attendu sur le marché sera de 6000 F mensuel. Nous allons simplifier et admettre que les parents de l'étudiant hébergent et nourrissent le jeune couple. Grâce à ce revenu elle peut financer le diplôme de son mari. Le coût des études, 144000 F, équivaut à deux ans de ses salaires. Le diplôme en poche, l'étudiant pourra obtenir un revenu moyen de 18 000 F par mois.

Les gains du mariage sont mesurés par la différence entre les revenus des époux pris ensemble (24000F par mois si la femme travaille ou 18000 F si elle reste au foyer) et les revenus des deux restés célibataires (16 000 F). Cette différence sera de 8 000 F si la femme travaille, 2000 F si elle reste au foyer. Annuellement, les deux époux gagneront ou bien un supplément de 96000 F, ou bien de 24000 F. On admettra dans ce qui suit que la valeur des services rendus par l'étudiante restée au foyer équivaut à au moins 72000 F par an; sinon son époux aurait intérêt à la faire travailler et à acheter avec son argent les substituts à la production familiale. Les gains du mariage seront identiques quel que soit le statut de la femme: active ou au foyer (encadré 4.2). Cette somme de 96000 F n'est pas négli­geable. Si les deux conjoints restent mariés pendant quarante ans, la valeur présente des gains monétaires attendus s'élève approximative­ment à 940000 F. Cette somme est la valeur présente d'un flux annuel de revenu correspondant au montant maximum d'un emprunt à un taux d'intérêt donné (10 %) que l'on devrait rembourser chaque année pendant 40 ans 4 .

Un tel contrat est-il rentable pour l'étudiante? Les dépenses initiales (144000 F) faites par l'épouse sont en deux ans de mariage récupérées pour les deux conjoints. En fait, l'inconvénient d'un tel contrat vient de l'incertitude qui pèse sur le comportement du mari. Celui-ci réussira-t-il? Dans le cas d'une réussite ne sera-t-il pas tenté d'épouser une autre femme? Sera-t-il suffisamment altruiste pour redistribuer son revenu à l'épouse? Il n'est d'ailleurs pas improbable que les gains annuels du mariage ne soient pas ceux attendus. Or, si l'époux pour une raison ou un autre ne respecte pas son contrat, l'étudiante se retrouve avec un revenu moyen de 6000 F au lieu des 8000 F qu'elle aurait pu escompter en prolongeant ses études jus­qu'à la maîtrise. Ajoutons à cela une perte irréversible (l44000F) correspondant au fmancement des études de son ex-conjoint.

Naturellement la perte permanente de 24000 F n'est pas irré-

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LE PRIX DE LA FEMME 75

médiable. La jeune femme peut se remarier. La perte permanente attendue est alors composée de :

- 144000 F, 24 000 F / an (période de recherche d'une nouveau conjoint),

- la perte permanente attendue d'un futur époux qui ne pourra lui offrir le même niveau de revenu.

La structure des gains de ce contrat est très particulière. Une fois diplômé, l'époux sera incité à épouser une autre étudiante ayant poursuivi ses études jusqu'à la maîtrise et qui pourra gagner 8 000 F sur le marché du travail. Avec cette nouvelle épouse les gains du mariage seront de 26 000 F par mois au lieu de 24 000 F. Dès lors rester marié avec la même femme, c'est se priver d'un supplément de gain de 24 000 F par an.

L'épouse, elle-même, peut prendre l'initiative d'un divorce si elle trouve un partenaire mieux rémunéré que son époux ou qui est prêt à lui redistribuer une somme plus importante afin d'obtenir l'exclusivité de ses services. Les gains du mariage sont alors de 96 000 F / an, gains sur lesquels elle pense au moins toucher 43 000 F. Si un autre homme lui propose une part de 60 000 F, il peut être tentant d'accepter cette offre, et de perdre les investissements effectués dans le premier mari.

Ce calcul n'est pas tout à fait correct. Les pertes consécutives aux investissements spécifiques au mariage sont négligées; la pré­sence involontaire de tiers au contrat comme les enfants l'est aussi. Toutefois pour simplifier, nous omettrons pour l'instant ces diffé­rents aspects pour nous reporter au tableau suivant. La situation y est résumée selon deux axes: le point de vue de la personne qui investit dans l'autre partenaire et celui de la personne qui profite de cet investissement.

Les colonnes du tableau 4.1 représentent les gains de l'époux lorsqu'il désire rompre le contrat de mariage, ou au contraire le prolonger. Les lignes représentent les gains attendus lorsque l'épouse désire rompre ou poursuivre son union. Chaque triangle noté de 1 à 8 indique les gains attendus de chaque partenaire lorsque chacun veut rompre ou prolonger l'union. La rupture du contrat peut provenir de l'opportunité offerte par un autre partenaire d'améliorer les gains du mariage ou de gains attendus plus élevés dans le statut de célibataire. Les triangles 5 et 6 montrent les gains du mariage lorsque les deux époux désirent conjointement prolonger leur union. Les triangles 1

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76 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

et 2 indiquent les gains attendus lorsque nos deux partenaires veu­lent rompre leur mariage. Les autres triangles (3 et 4 ou 7 et 8) dévoi­lent un conflit: l'un désire rompre, et l'autre prolonger l'union.

Tableau 4.1 - STRUCTURE DES GAINS DU MARIAGE

Époux veut prolonger

o Épouse ~ _______ -.l'--_______ "'"

veut

ài g' o ë Q.

-384 000 f

1 200 000 f

Prenons l'épouse. Celle-ci trouve un autre partenaire (ligne l, triangles 1 et 3). Elle désire divorcer pour profiter des 60000 F annuel offert par un autre étudiant diplômé et plus sympathique que le premier. Elle accepte de perdre les 144000 F qui ont servi à fmancer les études de son ex-mari pour profiter des gains supé­rieurs offerts par le nouveau partenaire. En prenant un taux d'inté­rêt de 10% l'an et en supposant un gain perpétuel, le gain total (60000/ 10 % - 144000 F) est de 456000 F. Comme le mari ne peut s'y opposer, son gain correspond à celui du statut de céliba­taire avant obtention du diplôme (triangle 4).

En procédant de la même manière et en supposant un taux d'intérêt de 10 %, le gain à redevenir célibataire, diplôme en poche, s'élève à 1 200000 F pour l'époux. Célibataire après mariage, son

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LE PRIX DE LA FEMME 77

revenu est donc supeneur à celui qu'il avait avant de se marier. Si la femme désire prolonger son mariage (ligne II, triangles 5 et 8), alors que son époux veut le rompre, elle perd la somme d'argent qui a servi à financer le diplôme de son conjoint et l'ensemble des revenus supplémentaires qu'elle aurait pu obtenir si elle avait poursuivi sa maîtrise. Soit la somme de 384000 F (144000 + 24000/10 %). Pour simplifier nous admettrons qu'elle ne se remarie pas. Récipro­quement, si l'époux se voit imposer un mariage unilatéral, il déduit de sa part des gains dans le mariage, le supplément qu'il aurait pu obtenir avec une autre épouse (triangle 12).

4.2 - L'ESTIMATION DE LA PRODUCTION FAMILIALE

Il existe deux stratégies pour estimer la valeur de la production familiale: l'approche par la valeur sur le marché des substituts aux activités domestiques; l'approche par le coût d'opportunité de celui qui fait cette production.

L'approche par le prix des substituts que l'on observe sur le marché s'efforce de mesu­rer la valeur de la production de la femme en calculant quel serait le coût pour l'homme en remplaçant sa femme par des substituts. Ce calcul nécessite de lister les tâches de la femme au foyer (vaisselle, éducation des enfants. des tâches d'infirmière, tâches de gestion et pour­quoi pas services sexuelsl. Ensuite, on évalue ces tâches au prix du marché ou bien globale­ment en considérant que l'homme serait amené il louer les services de plusieurs employés domestiques. Chadeau et Fouquet estiment ainsi le total des heures de travail domestique de la femme au foyer (et/ou active) et multiplient ce nombre d'heures par le taux horaire moyen des employés de maison. Cette évaluation. en 1975, conduisait il estimer la produc­tion domestique des femmes il la moitié du Produit Intérieur Brut. Mais cette mesure pré­sente de nombreux défauts. D'abord, elle ne permet pas d'évaluer la production de la femme sans substitut sur le marché (services affectifs) ou ayant des substituts très imparfaits (éducation des enfants); ensuite le prix du marché qui sert de référence prend en compte des charges sociales et un temps de travail moyen codifié par l'Etat et le syndicat de la profession correspondante. Le prix de marché est une confrontation entre l'offre et la demande. Or, si toutes les femmes au foyer travaillaient (c'est ce que nous supposons en considérant que les tâches pourraient être faites par d'autres) la demande de ces services augmenterait et le prix serait différent de celui utilisé dans les calculs. Enfin, cette mesure néglige ce qui fonde le mariage. Si la femme reste au foyer au lieu d'être active, c'est que le ménage en tire un bénéfice. S'il n'en était pas ainsi la femme serait active et le couple achète­rait sur le marché les substituts il la production familiale. Cette mesure surtlstime considé­rablement la valeur de la production domestique.

L'approche par le coût d'opportunittJ consiste à estimer le nombre d'heures de travail domestique, et il évaluer ces heures au prix du temps de la femme; c'est-è-dire, par le salaire que celle-ci serait susceptible d'obtenir si elle travaillait. C'est de cette manière que nous avons estimé dens notre exemple la valeur de la production familiale de l'étudiante qui après avoir financé les études de son époux cesse de travailler. Une femme qui peut gagner 6000 F par mois sur le marché du travail a le choix entre renoncer il travailler pour s'occu­per de son ménage ou se faire embaucher et payer quelqu'un pour s'occuper de la maison. Si le coût de l'employée de maison est inférieur il 6000 F, et si la femme renonce il tra­vailler, le service rendu par l'épouse vaut au moins 6000 F, sinon le ménage aurait intérêt il faire travailler l'épouse et il embaucher avec son salaire une employée de maison. L'appro­che par les coûts d'opportunité fait apparaltre la face cachée des services rendus: la satisfac­tion qu'ils procurent.

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78 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

L'inconvénient de cette approche réside dans l'estimation du coût d'opportunité (salaire auquel la femme au foyer pourrait être embauchêe) car celui-ci n'est pas observé.

Le salaire des femmes actives, possible indicateur du prix du temps de l'épouse, n'est pas représentatif du revenu qui serait offert aux femmes au foyer. Celles-ci, en refusant de travailler, révèlent que pour les inciter à se faire embaucher il faudrait un salaire plus élevé. Cette mesure sous-flltim8 donc la valeur de la production domestique.

En toute logique les deux méthodes sont formellement identiques. Si la famille mini­mise ses coûts de production, elle égalise la rentabilité du franc dépensé dans chaque emploi. Or, embaucher une employée de maison entraîne des dépenses, mais rapporte aussi une utilité. Si, en embauchant du personnel ou en faisant appel à une entreprise, la rentabilité en termes d'utilité du franc est inférieure au service rendu par l'épouse, le couple a intérêt à faire faire toutes ces tâches par la femme. La valeur du service rendu par un personnel peut pour deux raisons être plus faible: ou bien le salaire est trop élevé ou bien le service rendu est mal fait. Le franc dépensé an allouant l'épousa aux tâches domestiques n'est pas autre chose que le revenu perdu en renonçant à un travail. L'égalité suivante doit être satisfaite:

PM (ép.)/co =PM(em.)/w L'approche par les prix utilise le taux de salaire W comme mesure du service rendu;

l'approche par le coût d'opportunité use d'une estimation de co. Faute de pouvoir mesurer directement la productivité de chacun (l'épouse ou l'employée de maison), c'est-à-dire PM (ép.) ou PM (em.), les deux mesures sont nécessairement biaisées. Une estimation cor­recte exigerait de pondérer chaque estimation par un terme non observable et parfaitement subjectif: la productivité ou l'utilité procurée par le service dont on cherche à estimer la valeur. Ces deux méthodes sont en réalité identiques si on juge équivalent les deux types de productivité.

Précisons cette discussion car l'approche classique que nous venons de développer est fauss8. Le coût du temps de la femme n'est justement pas le salaire perdu auquel elle renonce en restant au foyer. L'alternative de la femme n'est pas: je vais sur le marché du travail ou je reste à la maison pour produire ce que j'aurai pu acheter avec un salaire; céliba­taire, pour elle le choix n'existe pas. L'alternative est la suivante: je travaille en épousant ou non un homme ou bien je ne travaille pas, mais j'épouse un homme pour qu'il subvienne au revenu familial 1 Le véritable coût d'opportunité de la femme en restant au foyer c'est de supporter les attribulf de la personne subvenant au revenu familial et la nature des tâches qui vont être exigées 1 .

Le probléme du coût d'opportunité du temps de la femme est le même problème que celui du choix entre deux employeurs. Elle n'acceptera de rester au foyer que si la part des gains du mariage qui lui revient compense les inconvénients de ce statut ou de ce nouvel emploi 1 Là encore cette part des gains du mariage n'est pas mesurable, ne coïncide pas avec

1. Cette discusion sur le coût d'opportunité du temps de la femme est remarquable par les erreurs que leli uns et les autres commettent en appliquant le concept de coût d'op­portunité aux choix familiaux. On peut se reporter aux articles de North, Stigler et Kirzner pour mesurer les différences de raisonnement consécutif à une achésion plus ou moins grande au subjectivisme en économie.

- Chadeau A. et Fouquet A., « Peut-on mesurer le travail domestique)), Economi8 8t Statistiqu8, septembre 1981.

- Grossbard-Schetman A., ~ A Theory of Allocation of Time for Labor and Marriage )), Economic Journal, décembre 1984.

- Kirzner L, ~ Another look at the Subjectivism of CostS)), dans Subjectivism, Int8/1i­gibility and Economie Und8rstanding, Ed. Kirzner, New Yor.k, Macmillan. 1986.

- North G., «Note on the Opportunity Cost of Marriage». Journal of Political Eco­nomy. avril 1969.

- Stigler G .. "Opportunity Cost of Marriage : Comment». Journal of Political Eco­nomy. avril 1969.

- Véron J .• « Ma riage, Famille et réussite sociales des femmes en France», dans Les famil/lls d'aujourd'hui, AI DELF nO 2, 1984.

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LE PRIX DE LA FEMME 79

le salaire perdu en renonçant à travailler puisque d'une façon ou d'une autre - dans un emploi ou un autre - un salaire est perçu. En réalité le coût d'opportunité du temps de la femme n'est pas autll1 chose que le coût d'opportunité du mariage! C'est l'ensemble des satisfactions qu'elle perd en renonçant au statut de célibataire avec un travail salarié à plein temps pour le statut de femme au foyer. Cumuler deux emplois l'un sur le marché du travail, l'autre chez un mari, diminue le coût d'opportunité pour l'un de l'embaucher, pour l'autre de l'épouser. En effet deux emplois entrainent une surcharge de travail. Or,la contrainte de temps interdit que l'on fasse les deux à plein temps correctement. L'un des emplois est sacrifié. Lorsque les espérances de carrière seront importantes ce sont les services demandés par le mari qui seront sacrifiés; dans le cas contraire, ce seront les services demandés par l'employeur qui le seront. Voilà pourquoi les taux de divorce sont plus élevés chez les cou­ples à double carrière professionnelle. Cette vision de la femme choisissant entre deux emplois, l'un sur le marché du travail, l'autre sur le marché du mariage, a été développée par A. Grossbard-Schetman.

Bien entendu, les coûts d'opportunité du mariage pour une femme et un homme peu­vent étre comparés. Le coût pour ce dernier ne sera pas autre chose qu'une estimation du coût d'opportunité des services que peut offrir une femme.

Envisageons la situation d'un individu qui hésite entre deux femmes: l'une est très instruite, l'autre ne l'est pas. Pour bénéficier des faveurs de la femme instruite, il doit redistribuer une part suffisante des gains du mariage pour la convaincre de l'épouser en lui assurant ainsi un niveau de vie au moins équivalent à celui qu'elle aurait eu en restant céli­bataire. En revanche, avec la femme moins instruite, la part sacrifiée sera plus faible. Le coût d'oppotunité d'un mariage dépend donc du salaire auquel peut prétendre la femme sur le marché du travail. Mais il ne dépend pas que de cela. La femme peu instruite est peut-être plus jolie, sensuelle et affectueuse, ou la probabilité qu'elle le soit est plus élevée. Supposons cependant une identité des attributs autres que le niveau d'instruction. Le coût d'opportunité d'une femme instruite est mesuré par son salaire. Il est plus élevé qu'avec une autre femme, car pour obtenir les mêmes services, il devra payer plus cher. Certains services domestiques comme la qualité des enfants ne sont pas indépendants du niveau d'instruction de l'épouse et cela nuance le comportement de l'homme désirant une production domesti­que de haute qualité. Cette restriction mise à part, les hommes devraient épouser des fem­mes moins instruites ou en tout cas moins instruites qu'eux. Les taux de célibat définitif parmi les femmes ayant atteint un niveau d'éducation supérieur ou ayant atteint une grande notoriété (voir Véron) sont très significativement élevés. Par ailleurs les couples dont la femme a un niveau d'éducation supérieur à celui du mari ne sont pas les plus nombreux. Ces deux faits sont tout à fait conformes à l'argument que nous venons de rappeler.

Cette discussion montre clairement que l'estimation de la production familiale par le biais du prix de substitut ou par une estimation du coût du temps est une fausse mesure.

Absence de droits de propriété sur son conjoint et sur ses enfants

Cette structure de paiements, qui peut être généralisée en rempla­çant les chiffres par des lettres, suggère les réflexions suivantes: les triangles 5 et 6 devraient donner les gains les plus élevés afin d'inciter le couple à prolonger volontairement son union. Mais dans l'exemple décrit le triangle qui donne les gains les plus élevés est le triangle 2. L'époux est fortement incité à rompre le mariage. Son utilité est, en effet, plus élevée dans un statut de célibataire après divorce. Cette

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utilité accrue résulte de la réussite à son diplôme financé par son épouse. Comme ces investissements ne sont pas spécifiques au mariage, le mari gagne plus à quitter son épouse qu'à prolonger son union avec elle. La structure des gains pousse à la non-coopération. Cette structure de paiement est identique - et c'est là le point le plus important de ce chapitre - à celle de la femme restant au foyer et se spécialisant dans la production familiale. L'épouse perd sa pro­ductivité marchande et s'attend à un niveau de vie plus faible dans le statut de célibataire après mariage, alors que son époux libéré des tâches domestiques améliore ses propres compétences et s'attend à bénéficier d'un niveau de vie supérieur en redevenant célibataire.

Le problème est formellement identique à celui de la formation en entreprise. Pour éviter cette difficulté celle-ci investit dans des compétences qui lui sont spécifiques et non pas dans des formations générales. Si elle ne peut faire autrement, elle exigera de pouvoir bénéficier pendant une durée limitée des gains attendus de ses inves­tissements. Ces mariages sont donc peu fréquents parce que, juste­ment, le législateur ne veut pas reconnaître, de manière aussi expli­cite, les droits de propriété de l'un des conjoints sur les investisse­ments qu'il fait dans l'autre partenaire.

Une fois admis le principe d'un droit de propriété sur le capital humain de ses partenaires, reste à évaluer le dommage créé par la rupture du mariage.

L'évaluatioll des dommages

Dans l'exemple de notre étudiante investissant dans le diplôme de son mari, le dommage s'évalue de plusieurs manières. Le juge peut d'abord exiger le remboursement par le mari des dépenses que son épouse effectue afin de lui permettre d'obtenir son diplôme. L'étu­diant est 0 bligé de payer une indemnité de 144 000 F. Cette solution dite de restitution des sacrifices ou remboursement du coût histori­que de l'investissement n'est pas satisfaisante. Elle ne couvre qu'une fraction du dommage. En bonne logique la prestation compensa­toire devrait être égale à la somme redistribuée par le mari si le mariage s'était prolongé. Cette somme peut être payée sous la forme d'un capital ou d'une rente (si le conjoint débitéur n'a pas le capital et que l'on veuille éviter les problèmes de revalorisation de la rente,

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LE PRIX DE LA FEMME 81

il peut être mis dans l'obligation d'emprunter cette somme à une banque et de la verser à son ex-épouse). La valeur d'un diplôme sur le marché du travail est connue. Il est donc possible d'estimer la part du revenu à restituer à l'épouse.

Pour estimer la valeur du capital investi dans le mariage par une femme au foyer, on peut procéder de la même manière. Cette perte en capital doit être égale à une fraction de la différence entre le revenu du mari lorsqu'il redevient célibataire (et/ou se remarie) et le revenu qu'il aurait pu obtenir au même moment s'il ne s'était pas marié.

Le problème de la femme au foyer est donc formellement identi­que à celui de notre étudiante. La transaction monétaire qui appa­raît au moment du divorce entre les deux partenaires a pour seul but de dédommager le partenaire ayant investi dans les capacités de l'autre, et qui se trouve alors privé du gain de ses investissements.

Par cette solution, le juge suppose une restitution des bénéfices attendus; l'époux réparant un préjudice. Ceci est un remboursement de la valeur réelle de l'actif au prix de marché! Le juge fait comme si le mariage s'était prolongé pour le conjoint abandonné. Son montant est le prix maximum que l'époux est prêt à payer pour obtenir de sa partenaire le droit de rompre le contrat de mariage. La prestation compensatoire ne peut excéder la différence entre le niveau de vie obtenu s'il était resté célibataire, et le niveau de vie attendu s'il rede­vient célibataire (ou se remarie).

Un autre procédé est possible: estimer la perte encourue par l'épouse (triangle 8) consécutivement à l'échec de son mariage. Opérons de la même manière que ci-dessus mais avec le niveau de bien-être de l'épouse. La perte est mesurée par la différence entre le niveau de vie obtenu s'il elle ne s'était pas mariée et celui auquel elle s'attend en redevenant célibataire ou en se remariant. Cette somme remboursée à l'épouse par son ex-époux ne représente pas les rendements du capital qu'elle a investi en lui! C'est le prix mini­mum exigée pour qu'il est le droit de rompre le contrat de mariage! Il correspond à un montant qui rend indifférent à l'épouse son mariage avec cet étudiant ou la poursuite de ses études jusqu'à la maîtrise. C'est la solution d'assurance-responsabilité. Le conjoint rembourse son ex-épouse de ce montant si et seulement il commet une faute en rompant le contrat de mariage pour s'approprier des gains qui légitimement ne lui appartiennent pas.

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82 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Il existe, enfin, une autre façon de régler ce problème: on oblige l'étudiant à remplir son contrat en interdisant le divorce unilatéral ou bien en imposant une durée minimale du mariage. On peut aussi laisser les deux étudiants conclure le contrat de mariage à leur guise. L'étudiante préserverait alors son bien-être par une clause spécifiant à l'avance une pénalité en cas de rupture abusive du contrat de mariage.

Quelle solution adopter? Dans notre premier cas, rembourser à l'ex-étudiante 144000 F n'est pas la même chose que payer pendant x années une somme équivalant à la moitié de 96000 F représentant la part des gains attendus de son sacrifice initial et incorporés dans son ex-partenaire (triangle 2). Il est bien différent aussi de payer 144000 F une fois pour toute, auquel serait ajoutée une somme annuelle de 24000 F / an pendant x années représentant la perte attendue de son niveau de vie par suite du divorce (triangle 8). On peut rejeter sans craindre de commettre une erreur la solution qui consiste à rembourser le coût historique de l'investissement. En revanche entre les autres solutions le choix est plus délicat. Libre­ment négociée, ex-post, la transaction monétaire doit se situer entre le prix maximum offert pour rompre et le prix minimum demandé pour accorder ce droit. Elle doit donc se situer entre la solution de restitution des bénéfices et celle de l'assurance-responsabilité. Au pire elle prend des deux montants celui qui est le plus faible.

Le montant du dédommagement ou du prix de la femme devrait donc varier selon les caractéristiques du couple. Le revenu du divorcé dépend des investissements directs effectués par son épouse dans sa productivité marchande et des investissements indirects qu'il a pu faire lui-même grâce à la spécialisation de son épouse au foyer. Ces investissements seront d'autant plus élevés que la durée du mariage est elle-même élevée. La perte de niveau de vie de la femme au foyer redevenue célibataire sera d'autant plus forte que le salaire qu'elle est susceptible d'obtenir est faible puisqu'elle n'a pas d'expé­rience professionnelle. La présence d'enfants diminue la probabilité de retrouver un autre époux et allonge la période où le dommage sera conséquent. Le montant des prestations compensatoires doit donc être positivement associé au revenu de l'ex-mari, à la durée du mariage, au nombre d'enfants et négativement associé à l'activité professionnelle de l'épouse.

Le comportement du conjoint qui rompt le contrat de mariage

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LE PRIX DE LA FEMME 83

une fois incorporé le rendement des investissements fait en lui par son partenaire commet un vol en s'appropriant des revenus qui ne lui appartiennent pas. Une faute est commise. Cette prestation com­pensatoire doit être attribuée à la victime et sous la forme d'une indemnité puisqu'elle répare un préjudice et non le maintien d'un niveau de vie. La notion de faute joue donc un rôle essentiel dans ce cas (voir encadré 4.3).

4.3 . Les déterminants des prestations compensatoires et des pensions alimentaires en France et aux USA ou le prix de la femme dans nos sociétés contemporaines

Les déterminants du montant mais, aussi, de l'attribution des pensions alimentaires ou des indemnités ou prestations compensatoires ont été relativement peu étudiés par les économistes. A notre connaissance seuls les articles de Landes et Peters traitent de ce sujet. Les résultats de Landes portent sur les Etats-Unis. Ils ont été obtenus à partir d'un échan­tillon de 195 divorcés bénéficiant, soit d'une prestation compensatoire pour 86 d'entre eux, soit d'une pension alimentaire pour les 106 autres. Cette économiste s'est efforcée de mesurer l'effet du nombre d'enfants, du revenu de l'époux ou de la richesse de la famille, de la durée du mariage, de l'attribution des torts à l'épouse et de l'existence d'enfants d'un précédent mariage. Le montant des prestations compensatoires varient positivement avec le revenu de l'époux et la durée du mariage, puis négativement avec l'attribution des torts à la femme. En revanche le montant des pensions alimentaires n'est sensible qu'au revenu et à la richesse de l'époux (en France elles sont attribuées principalement aux épouses ayant des enfantsl. Par surcroit, et Peters E. le confirme, la possibilité d'un divorce unilatéral exerce un effet négatif sur les pensions.

A l'image du test fait par Landes nous avons, nous-mêmes, estimé la probabilité pour une femme divorcée de se voir attribuer une pension alimentaire sur des données françaises (enquête 1 NE D de 1972 portant sur un échantillon de divorcés composé de 387 hommes et 411 femmesl. Les résultats révèlent que le revenu du mari mesuré par son niveau d'éduca­tion, le nombre d'enfants et la logique des torts augmentent la probabilité de percevoir une pension alimentaire. En revanche être remariée diminue cette probabilité. Ce sont les critères que le juge retient avant la loi de 1975. La durée du mariage mesurée par l'âge au divorce, le statut de la femme au moment du divorce (active ou au foyer! et la présence d'une aide extérieure n'interviennent pas dans la décision d'accorder une pension alimen­taire. Par ce biais le juge révèle son absence d'intérêt pour une doctrine qui consiste à assurer à la femme un niveau de vie identique qu'elle soit mariée ou divorcée et un même désintérêt pour une doctrine consistant à réparer un préjudice qui résulte des investissements faits par une épouse dans les revenus de son mari (le statut de femme au foyer ou la durée du mariage sont sans effet sur l'attribution d'une pension alimentaire). Faute d'enquête plus récente, postérieure à la loi de 1975, on ne peut porter de jugement sur la pratique des juges depuis cette date.

- Landes E., «The Economies of Alimony», Thil Journal of Lllgal Srudills, janvier 1978.

- Peters E., Il Marriage and Divorce: Informational Constraints and Private Contrac­ting)), American Economie Rllvillw, juin 1986.

Ainsi, lorsque le mari n'obtient pas son diplôme parce qu'il échoue à ses examens, aucune faute ne peut être retenue contre lui

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car dans le contrat implicite du mariage ce risque a été pris par l'investisseur. L'épouse ne peut donc lui réclamer réparation d'un préjudice. Or si son époux la quitte, la situation de l'étudiante est tout aussi dramatique.

Inversement si l'étudiante trouve un autre conjoint plus apte que lui ou plus riche avant que son époux obtienne son diplôme, peut­elle rompre le contrat sans que l'étudiant ne puisse arguer d'une indemnité? Si l'ex-époux exige une prestation compensatoire, cela signifie que le propriétaire d'un investissement ne peut cesser d'inves­tir lorsqu'il le souhaite dans une affaire (quitte à supporter des pertes) afin de replacer son argent dans une autre qu'il juge meilleure. C'est une atteinte non seulement à sa liberté de choix, mais aussi une incitation anti-économique car cette rupture a pour objectif d'éviter une plus grande perte. D'un autre côté, l'étudiant est privé d'une opportunité de profit car il aurait pu épouser quelqu'un d'autre offrant le même investissement. Ce préjudice doit-il être réparé?

Non, s'il n'existe pas de contrat de mariage clair sur les clauses de pénalités en cas de résiliation prématurée du contrat ou défini selon une clause imposant une durée minimale du mariage (le temps de réussir le diplôme). Dans ce cas la loi des parties s'impose aux juges. En absence de contrat explicite tant que le diplôme n'est pas obtenu, il ne peut y avoir vol de propriété 5 • Ce ne sont qu'anticipa­tions non réalisées! On ne peut forcer l'étudiante à financer, contre son gré, les études de son ex-mari, celui-ci ne faisant que promettre de réussir tant qu'il n'a pas réussi. Or une promesse n'est pas contrai­gnante en l'absence d'un contrat explicite. Un tel problème ne se pose naturellement pas si le divorce unilatéral est interdit. L'époux refuse de divorcer avant d'obtenir son diplôme ou exige de son ex­épouse une indemnité correspondant au financement de ses études si celle-ci veut racheter sa liberté.

Prestations compensatoires: réparation d'un préjudice ou assurance tous risques?

La rédaction de l'article 270 du Code Civil est suffisamment ambiguë pour offrir l'opportunité à un juge de transformer les pres­tations compensatoires en un mécanisme d'assurance tous risques.

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Les juges aux affaires matrimoniales (JAM) peuvent être tentés de considérer les prestations compensatoires, non pas comme répara­tion d'un dommage ou d'une spoliation (car après tout l'article 266 permet de condamner un époux à des dommages et intérêts à condi­tion que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs du débiteur), mais comme un mécanisme d'assurance couvrant le risque du divorce, à l'image d'un accident de la route ou de la perte d'un emploi. L'indemnité aurait alors pour objectif d'assurer, au partenaire en situation défavorable au moment du divorce, un niveau de vie compa­rable à celui qu'il avait lorsqu'il était marié. On a confirmation de ce point de vue avec cet article 270 du Code Civil qui stipule:

«Sauf lorsqu'il est prononcé en raison de la rupture de la vie commune, le divorce met fin au devoir de secours prévu par l'article 212 du Code Civil; mais l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation desti­née à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives.)

Le texte est ambigu car il ne s'attache pas aux seules disparités de niveau de vie au moment du divorce résultant du non respect par l'un des conjoints des droits de propriété que l'autre partenaire a sur ses propres revenus. Tout divorce crée des différences de condi­tions de vie respectives et beaucoup de divorce peuvent résulter d'un simple aléas de la vie et non pas d'une violation de droit de propriété. Le texte est encore plus ambigu qu'on ne le croit. Il faudrait combler la disparité des niveaux de vie non pas en référence au niveau de vie qui aurait été atteint en absence de mariage (solution de l'assurance) mais par rapport au niveau de vie du mariage précédent!

Les articles 271 et 272 sont plus explicites. Car la façon dont le législateur évalue le montant de la pension révèle ses intentions cachées:

«La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir pré­visible. »

La référence aux besoins de l'époux qui reçoit l'indemnité n'a rien à voir avec la perte des bénéfices attendus de ses investissements dans le mariage ni avec le risque du mariage. On peut très bien cons­tater une disparité des niveaux de vie au moment du divorce sans que celle-ci résulte d'une spoliation. En présence d'un risque, la disparité se juge par rapport au niveau de vie que l'époux aurait eu s'il ne

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s'était pas mane. Si l'épouse est sans qualification alors que le conjoint est diplômé, on observera une disparité des niveaux de vie au moment du divorce. Mais le conjoint sans qualification doit-il avoir droit à un niveau de vie correspondant à celui de son mariage alors que resté célibataire, il aurait eu un niveau de vie identique à celui qu'il a après rupture? Les intentions du législateur sont claires: il s'agit de préserver un avantage acquis!

Revenons à l'article 266 qui autorise le juge à exiger pour l'un des conjoints à recevoir des dommages et intérêts. La conduite répré­hensible d'un conjoint qui bat sa femme et la blesse en portant atteinte à son intégrité physique peut entraîner un divorce aux torts exclusifs de l'époux. Si les coups ont entraîné un handicap dans la vie de la femme, le juge lui accordera le droit de percevoir des dom­mages et intérêts. Mais cette indemnité ne correspond en rien à l'appropriation par l'époux du rendement des investissements que sa femme a fait. Car quels que soient les torts de l'un ou de l'autre, ces investissements existent. A la rupture, l'un des deux les emporte et profite de rendements qui ne lui appartiennent pas!

La rédaction du Code Civil embarrasse le juge aux affaires matri­moniales car il ne peut, dans le but de protéger la femme contre cette spoliation, utiliser l'article 266 afin de faire payer des domma­ges et intérêts au mari dans un divorce par consentement ou aux torts partagés et il ne peut utiliser l'article 270 car celui-ci manifes­tement ne recouvre pas cette notion!

De la même façon (voir article 271), tenir compte de la situa­tion au moment du divorce et de son évolution dans un avenir pré­visible (remariage de l'époux qui bénéficie de la prestation compen­satoire dans les années qui suivent le divorce) ajoute à la confusion. Dans l'évaluation du dommage il ne faut pas oublier la possibilité offerte à l'épouse de se remarier auquel cas on désire compenser la perte de niveau de vie seulement pour une période transitoire. Alors cette prestation compensatoire ressemblera à une allocation de «chômage» matrimonial sur le marché du mariage. Mais l'allocation de chômage diffère de l'indemnité de licenciement. Celle-ci dans son esprit est comparable à la prestation compensatoire telle que nous l'interprétons.

Au lieu de faire respecter les droits des uns sur les autres, de permettre aux uns et aux autres de racheter ces droits et d'assurer la stabilité des comportements, le législateur, sous l'emprise de

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groupes de pression, est incité à transformer les compensations monétaires en un mécanisme public d'assurance contre le risque de faillite du mariage! Mais lors d'un accident d'automobile le juge se charge d'établir les responsabilités et le montant des préjudices. Il n'a pas pour fonction d'assurer un niveau de vie identique à l'indi­vidu; c'est à l'assuré lui-même de pourvoir à cet objectif selon le type de contrat d'assurance qu'il établira avec son assureur et le montant de cotisations qu'il sera prêt à payer.

Il est vrai que le marché n'offre pas spontanément une assurance contre le risque de divorce. La diversification des risques pourrait être réalisée par la création d'un «pool» d'assurance entre femmes. Chacune versant à partir du mariage une certaine somme, les sommes ainsi collectées seraient redistribuées pour couvrir les dommages créés par la rupture de l'union, y compris les pensions alimentaires impayées. Malheureusement, une telle institution, fondée sur l'échange volontaire ne pourra émerger spontanément entre les

individus. La population à assurer composée de jeunes dont la durée de mariage est courte ne sera pas incitée à payer une cotisa­tion puisque le dommage attendu sera peu important. Par contre, les couples dont le mariage se prolonge, ont un dommage attendu élevé mais ils font la preuve que la probabilité de voir leur entente se rompre est de plus en plus faible; le dommage attendu, qui certes croît avec la durée du mariage, se trouve être de plus en plus impro­bable et ces couples n'ont pas intérêt non plus à côtiser à ce pool d'assurance. Il est d'ailleurs vraisemblable que les assureurs, non plus, n'y trouvent leur compte puisqu'ils ne pourront sans un coût prohibitif discriminer entre un divorce dont le but est bien de rompre un contrat de mariage et un divorce dont le but est de bénéficier du montant de l'assurance.

Le juge sera donc tenté de se substituer, par une pratique judi­ciaire systématique, à ces mécanismes d'assurance. Or si le marché lui-même n'offre pas ce service à grande échelle, c'est sans doute qu'il y a une raison (comme nous venons de l'écrire, il suscite peu d'intérêt chez les personnes concernées); le juge, certes, peut exiger de l'ex-époux qu'il répare un préjudice mais de quel droit peut-il exiger qu'il assure à son ex-femme ex-post un même niveau de vie? La loi n'exige pas de chaque époux qu'il s'assure contre son décès afin de préserver le niveau de vie de sa future veuve. Pourquoi exigerait­on d'un homme divorcé ce que l'on n'exige pas d'un homme marié?

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Si une telle interprétation de l'article 270 devait voir le jour, celle-ci aurait des effets pervers qui sont loin d'être inattendus pour les économistes: accroissement de la probabilité de divorcer et réduction de la nuptialité avec des conséquences fâcheuses sur les taux de fécondité puisque ceux qui cohabitent font moins d'enfants que les mariés. C'est ce que l'on observerait si le juge couvrait en totalité le préjudice subit par l'un des partenaires. Il provoquerait un phénomène connu sous le nom de risque moral et une instabilité du mariage en incitant l'un des conjoints à le rompre unilatérale­ment. Pour une épouse, savoir à l'avance que ce qu'elle investit dans son mari sera dédommagé, peut l'inciter à ne pas préserver son mariage. Par exemple, ne pas se préoccuper des efforts de son époux pour réussir, ne pas lui faire d'enfants, chercher la rupture pour bénéficier du dédommagement.

L'idée de vouloir faire partager les risques n'est pas en soi absurde, mais ce partage ne peut être fait au moment du divorce car habi­tuellement lorsque le risque survient, l'incertitude a disparu 1 Le partage des risques se fait avant de divorcer et non après. Il se fait au moment du mariage. L'homme et la femme anticipant un divorce redistribuent leurs gains respectifs en prévision des conséquences morales et matérielles de celui-ci. Ainsi l'épouse préfère ne pas cesser de travailler lors de la venue des jeunes enfants ou bien elle retarde le divorce et reprend un emploi. En partageant ex-post, les risques, le juge oublie une chose, les couples auront une connais­sance de sa pratique et redistribueront leurs gains respectifs, non plus dans la perspective de faire face au divorce, mais dans la pers­pective de faire face à la façon dont le juge va redistribuer les gains après le divorce! Ce qui dénature le contrat de mariage. Prenons un exemple simple. Si le mari (cas le plus fréquent) est par la jurispru­dence dans l'obligation de payer systématiquement les pensions alimentaires et les indemnités en cas de divorce, alors pour accepter un mariage dans de telles conditions, il exigera de sa conjointe une part plus élevée des gains du mariage. Elle le compensera des pertes attendues que la loi lui impose en cas de rupture. Les pensions ali­mentaires comme les indemnités sont des taxes visant à freiner un comportement; mais comme pour tous les impôts on sait sur qui ils sont prélevés. mais on ne sait pas qui finalement lia les payer. Or, de fortes présomptions existent pour penser que ce sera au conjoint de payer (sur qui d'autres le mari peut-il transférer cette charge ?).

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Si pour l'épouse les gains du mariage diminuent par suite de cette politique systématique du juge, elle sera moins incitée à se marier. C'est parce que cette pratique du juge est prévisible, qu'elle risque de se retourner contre la femme et d'une façon plus générale contre l'institution du mariage.

Le législateur avait été bien intentionné en donnant à cette pres­tation compensatoire la forme d'une indemnité forfaitaire et non d'une pension alimentaire ou d'une rente. Malheureusement, tout le monde ne dispose pas d'un capital. La rente, qu'il faut revaloriser régulièrement, est à nouveau utilisée de façon elle aussi systéma­tique. Celle-ci, comme pour la pension, est une incitation à suresti­mer ses besoins et à ne pas se remarier pour bénéficier pendant une durée aussi longue que possible de ce dédommagement (d'autant que la pension prend lm lorsque le conjoint se remarie). La pension alimentaire prolonge le statut de divorcé comme une allocation de chômage prolonge le chômage (encadré 4.4).

Cette prolongation du paiement de la pension par l'ex-conjoint l'incite à ne plus la verser au bout d'un certain temps.

4.4· PENSIONS ALIMENTAIRES ET REMARIAGE

Les pensions alimentaires ont cette particularité il l'image des allocations de chômage de prolonger la prospection. Les économistes il leur manière discutent de ces questions en insistant sur les coûts et les gains de la prospection. Les gains de la prospection viennent en moyenne de l'attente d'un meilleur assortiment parmi la distribution des offres de mariage ou de remariage (ou d'emploi), de la durée pendant laquelle on pourra profiter de ces gains, de la préférence pour le futur. Des gains plus élevés allongent le temps de pros­pection. En revanche, une hausse des coûts de la prospection diminue le temps passé il rechercher un conjoint (ou un emploi). Le coût principal de la prospection est un coût d'opportunité: ce sont les gains du mariage dont on se prive en continuant il rechercher l'âme sœur.

Quelques prédictions résultent immédiatement de cette analyse. L'âge réduit la durée pendant laquelle on pourra profiter des gains d'un nouveau mariage. La présence des enfants réduit la probabilité de trouver un meilleur assortiment. Les hauts revenus dont on dispose lorsque l'on est célibataire diminuent pour la femme la probabilité de trouver un meilleur assortiment et l'augmentent pour l'homme. Une aide sous forme de pension alimentaire ou en nature (possibilité de vivre chez ses parents) réduit le coüt d'opportunité et allonge la durée de la prospection. Chacune de ses variables affecte la durée pendant laquelle la femme restera dans le statut de divorcée. La prédiction la plus simple vient de cette baisse des coûts de prospection par suite d'une pension ou d'une aide publique ou pri· vée qui réduit la probabilité de se remarier. Ce qui entraine une forme de surconsomma· tion de pensions alimentaires. Hutchenl a testé cette série d'arguments il partir d'une enquête de l'Université de Michigan, le Penel Study of Incomtl Dynsmics, .ur un échantillon de femmes (438 observations) et nous·même nous l'avons fait il peu près il la même épo­que il partir de l'enquête 1 NE 0 de 1972, réalisée sous la direction de Roussel sur un échan· tillon d'hommes (338 observations) et de femmes (445 observations). Enfin Bellar et Graham ont estimé la probabilité de remariaga sur des données plus nombreuses (2416

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observations tirées du Current Population Survey) et plus récente, puisque datant de 1978. Notre test sur des données françaises confirme les résultats déjà trouvés. Les pensions

alimentaires et les aides publique ou privée dont bénéficie le divorcé (homme ou femme) ont un impact négatif sur la probabilité de se remarier. L'âge et la durée du mariage précé­dent dissuadent la femme de se remarier rapidement alors qu'être femme au foyer au moment du divorce est stimulant pour trouver, sans trop attendre, un autre conjoint. Le niveau d'éducation du mari exerce une influence positive sur la probabilité de se remarier et celui de l'épouse exerce une influence négative, confirmant encore des résultats connus sur le peu d'attrait qu'exercent les femmes instruites sur les hommes ou sur la plus grande exigeance de ces épouses sur le marché du remariage.

Les données de Belier et Graham montrent que l'âge au moment du divorce, le nombre de mariages précédents, diminuent la probabilité de se remarier; en revanche plus le nombre d'années depuis le divorce devient imposant, moins la femme a de chance de se remarier et ce, quelque soit l'âge au moment du divorce. Enfin, le nombre d'enfants et les pensions alimentaires qui leur sont dues (comme les pensions aux épousés) diminuent la probabilité de se remarier. Les aides de l'Etat aux femmes isolées avec des enfants à charge les incitent à prolonger leur statut de divorcées.

Tous ces résultats confirment largement ce que l'on savait déjà à propos de l'allocation de chômage. La pension alimentaire, indépendamment d'une mauvaise volonté de l'épouse, retarde l'entrée sur le marché du remariage. Aucun test, malheureusement, n'a été fait à notre connaissance, alin de savoir si ce retard améliore la situation matrimoniale de l'ex­épouse; ce qui pourrait être un argument décisif pour justifier ce type d'aide.

- Belier A. et Graham J., « Variations in the Economic weil being of divorced women and their children», in Martin David and Timoty Smeeding eds, Horizontal Equity, Uneer­rainry and Economy weil being, Series in Income and wealth Series, vol. 58, Cambridge : NBER.1983.

- Hutchens R.M., «Wellare, Remarriage, and Marital Search», American Economic Reviews, juin 1979.

- Lemennicier B .. « Les déterminants de la mobilité matrimoniale», 1982.

Le /lon-paiement des obligations financières par les ex-maris

Les obligations financières sont principalement constituées par les pensions alimentaires versées par les ex-maris pour élever leurs enfants. Or, les ex-maris ne se conforment pas massivement aux ordres du tribunal. 1/4 à 1/3 des ex-époux ne paient pas les pensions alimentaires. Ces chiffres sont confirmés pour un pays comme le nôtre mais aussi pour les Etats-Unis. L'enquête INED réalisée en 1972 suggérait même un chiffre plus élevé puisque seulement 36 % des femmes ayant droit à une pension la percevaient régulièrement! Comment est-ce possible? Pourquoi tant de débiteurs échappent-ils si facilement à leurs obligations? Les féministes ont crié au scandale et ont obtenu au moins que la loi en 1973, 1975 et 1984, renforce les sanctions contre les débiteurs défaillants. Plusieurs explications cnt été offertes pour rendre compte d'un tel comportement général de la part des divorcés-hommes.

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. 1 - L'incapacité de payer

L'ex-mari, il est vrai, peut être chômeur ou sans activité. Il peut être remarié et dans l'obligation d'entretenir deux foyers: l'ancien et le nouveau. Or, en moyenne les couples qui divorcent ne sont pas les plus riches. Cet argument a un poids certain même si, parmi les ex-époux ayant la. capacité d'entretenir plusieurs femmes avec enfants, on n'observe pas un comportement très différent. Cepen­dant font remarquer les ex-épouses, le montant des pensions ali­mentaires n'est pas très élevé. Il ne justifie pas cette réaction de la part des débiteurs.

2 - L'absence de sanctions efficaces

Le phénomène résulte d'une incitation pour l'ex-mari à ne pas payer ses dettes. Comme le logement est souvent attribué au conjoint qui a la garde de l'enfant, l'ex-époux profite du changement de domi­cile pour disparaître. Il est d'autant plus incité à le faire que son ex­femme ne le poursuit pas devant les tribunaux. Faute de sanctions efficaces ce type de comportement se perpétue. C'est sous la pression des groupes féministes que cette interprétation prévaut. Une variété de moyens ont été introduits depuis quelques années pour lutter contre ce comportement des débiteurs. Dès 1973 le créancier, ici l'épouse ayant la garde des enfants, pouvait exiger directement auprès de l'employeur de l'ex-mari, le versement de la pension par une saisie sur le salaire. L'employeur ne peut se soustraire à cette demande et l'ex-mari s'il peut contester auprès des tribunaux le bien-fondé de ce prélèvement, ne peut suspendre ce paiement direct. Si ce moyen ne suffit pas (et il n'a pas dû suffire) la loi de 1975 autorise les comptables du trésor, par un recouvrement public, à obtenir ces sommes pour le compte du créancier selon les règles en vigueur en matière de contributions directes. Les Caisses d'Alloca­tion Familiales peuvent aussi faire des avances sur pensions alimen­taires; elles sont alors subrogées dans les droits des créanciers.

Cette facilité a été élargie à tout orgap.isme débiteur de presta­tions familiales. Cette déclaration de guerre aux époux divorcés refu­sant de payer une pension alimentaire pour leurs enfants est-elle efficace? Conduit-elle le récalcitrant en prison? Saisira-t-on ses biens? Sera-t-on plus sévère pour un divorcé qui ne paie pas ses

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dettes, et moins severe pour un escroc ou pour un délinquant qui commet des vols? Cette politique répressive ne va-t-elle pas ajouter un peu plus de haine dans les rapports entre ex-époux à propos de l'éducation des enfants, tout ceci se retournant finalement contre eux? Si les femmes ne poursuivaient pas les ex-maris pour récla­mer leur créance, peut-être avaient-elles une raison d'agir ainsi (voir encadré 4.5).

3 - Les programmes de transferts sociaux

Beaucoup de femmes divorcées avec enfants vivent au seuil de pauvreté. L'ex-mari désire le bonheur de l'ex-conjointe et de ses enfants. Il est donc prêt à payer. Mais si celle-ci bénéficie d'un soutien financier de l'Etat, il renonce alors à apporter sa contribu­tion. En effet s'il est altruiste, il ne l'est pas au point de voir le bien-être de son ex-femme excéder ce qu'il pense être juste pour elle; si l'Etat contribue à son bien-être indépendamment de ses efforts et permet à son ex-épouse d'atteindre un niveau de vie pour lequel il aurait spontanément fait tout ce qu'il pouvait pour qu'elle l'atteigne, alors transférer davantage de ressources à cette épouse diminue son propre bien-être. Il refuse donc de payer la pension alimen taire.

4 - Les abus de l'ex-femme

La femme qui bénéficie de pensions alimentaires a intérêt à ne pas se remarier afin de s'assurer le plus longtemps possible un revenu d'appoint aux dépens de son ex-époux. Or, elle peut très bien ne pas se remarier tout en vivant avec un autre «partenaire»; pour éviter d'être détectée comme vivant notoirement en concubinage, elle en change de temps en temps. Si cette pratique n'est pas décelée par le juge, elle l'est par l'ex-mari qui refuse, du fait de la fongibilité des pensions alimentaires, d'entretenir un étranger sur l'argent qu'il redistribue à ses enfants.

5 - La malveillance

Jusqu'à présent nous avons supposé que les ex-époux étaient encore altruistes après rupture de l'union. Cette hypothèse est

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contestable. En effet s'ils l'avaient été, ils auraient prolongé leur union puisque la rupture du mariage lèse forcément les enfants. Un phénomène d'autosélection apparaît. Si les couples de divorcés avec enfants ne sont pas en moyenne altruistes, le montant des transferts imposés par le juge sera forcément plus élevé que ce que les ex-maris auraient redistribué spontanément à leurs propres enfants et ex-femme. On peut aller plus loin, le divorce laisse des traces et suscite des haines. La malveillance gouverne alors les actes. L'ex-mari sera heureux lorsque son ex-femme plongera dans la misère avec ses enfants; toute redistribution forcée vers son ex­femme diminuant alors considérablement son bien-être (en termes d'utilité) et il fera ce qu'il pourra pour échapper à ces transferts.

6 - L'injustice du jugement lorsque la responsabilité de l'ex-femme dans la rupture du mariage est flagrante

L'ex-femme peut avoir rompu le mariage contre la volonté de son époux. Il refuse de divorcer par consentement mutuel, et exige un divorce pour faute, suite au dommage créé par la rupture dont il demande réparation au juge. Cependant, comme la notion de faute disparaît de plus en plus du jugement, les enfants ne sont pas attribués au conjoint irréprochable mais à la mère. Or, voilà un conjoint qui se sait irréprochable, se voit privé de ses enfants et est obligé de payer une pension alimentaire à son ex-femme; le juge au lieu de réparer un préjudice au conjoint délaissé, lui en fait subir un autre. Il refuse de payer.

Toutes ces explications ne sont pas à rejeter, elles ont sans doute un fondement empirique (encadré 4.5). Mais elles ne dévoilent pas le véritable problème posé par les pensions alimentaires. La plupart d'entre elles concerne l'éducation des enfants. Or, l'ex-femme béné­ficie systématiquement de la garde. Non seulement le père est privé du plaisir de vivre avec eux, mais il est par surcroît dans l'obligation de payer leur éducation. Il fait un sacrifice financier sans pouvoir contrôler leur éducation ni bénéficier des rendements qui seront incorporés dans ses enfants.

Cette perte de contrôle 6 dans les investissements et les rende­ments attendus est un problème formellement identique au précé­dent. Cette fois c'est le mari qui est privé de droits sur les inves-

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tissements qu'il fait dans ses enfants en cas de rupture du contrat de mariage. Certes la loi permet à l'époux qui n'a pas la garde de l'enfant de participer équitablement aux grandes décisions.

Mais si le mari est catholique et son ex-femme musulmane, dans quelle religion l'enfant sera-t-il élevé? Celui qui a la garde de l'enfant peut tous les jours influencer son choix en lui faisant pratiquer sa propre religion! Par ailleurs, la pension alimentaire est un bien fon­gible. Le franc donné aux enfants peut être utilisé par l'épouse. Si le père est «altruiste» à leur égard, il ne l'est peut-être plus à l'égard de son ex-femme. Faute de pouvoir contrôler ses dépenses en véri­fiant que la pension alimentaire sert bien à élever les enfants et non à payer ses robes, le mari n'est pas incité à payer. Enfin, le père et la mère ne partagent peut-être pas les mêmes goûts d'éducation. La mère peut être incitée à satisfaire ses propres goûts sans prendre en compte ceux de son ex-épouse. Résultat: d'une part le père se désintéresse de ses enfants, puisqu'il n'en a plus la jouissance et qu'il ne peut plus investir en eux; d'autre part, il refuse de payer parce que le transfert exigé excède ce qu'il aurait été prêt à redis­tribuer spontanément à ses enfants s'il en avait eu la garde.

4.5 - LE PROFI L DES FEMMES QUI NE PERCOIVENT PAS LA PENSION ALIMENTAIRE A LAQUELLE ELLES ONT DROIT

Trois études permettent de nous faire une idée des raisons pour lesquelles les femmes divorcées ne perçoivent pas la pension alimentaire à laquelle elles ont droit.

La première est celle de Belier et Graham. Elle date de 1979. La seconde est de Renau­dat. Elle date de 1985. Enfin la dernière, plus ancienne mais plus complète, est celle de l'INED, réalisée par .Roussel en collaboration avec Boigeol, Commaille et Valetas. Elle date de 1972.

Andrea Belier et Graham ont étudié cette question à partir d'un échantillon de 2416 divorcées tiré du Current Population Survey. Leurs résultats suggèrent les phénomènes sui­vants: la probabilité de recevoir une pension alimentaire s'accroît avec l'âge, le niveau d'éducation de la femme (qui est interprété comme indicateur de la capacité de payer de l'ex-époux) et l'accord volontaire entre les époux. En revanche elle diminue avec le nombre d'années écoulées depuis le divorce, le remariage de l'ex-époux et la présence de nouveaux enfants. Ces résultats recoupent les expl ications offertes 1/, 3/ et 6.

Evelvne Renaudat à partir des données fournies par les Caisses d'Allocation Familiale, a étudié un échantillon de femmes divorcées bénéficiant de l'allocation d'orphelin, faute de recevoir une pension alimentaire. L'échantillon comportait 2911 femmes divorcées ou séparées. Cette population est, bien sûr, non représentative de l'ensemble des divorcées qui ne perçoivent pas leur pension alimentaire puisque ces femmes ont eu recours aux Caisses d'Allocation Familiale pour bénéficier d'un revenu supplémentaire. Plus de 50 % des femmes de l'échantillon ont un revenu entre 2500 et 6 700 F par mois et 74 % d'entre elles sont des ouvrières ou appartiennent à la catégorie «personnel de service»). Ces deux catégories socia· les sont celles où l'on trouve les taux de divorce les plus élevés. Le montant de la pension (qui n'est pas perçue) s'élève en moyenne à 430 F, et pour 60 % de ces femmes, est inférieur

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LE PRIX DE LA FEMME 95

à 500 F par mois. 86 % de l'échantillon est constitué de femmes dont le divorce a été pro· noncé pour rupture de vie commune ou pour faute. Pour plus de la moitié de ces femmes le non-paiement débute dès la procédure de diverce.

L'intérêt principal de l'enquête vient d'un questionnaire portant sur les débiteurs et sur les raisons pour lesquelles ceux-ci ne payent pas de pensions. 71 % des ex-maris des femmes de l'échantillon sont ou remariés ou vivent maritalement. Parmi eux, 33 % ont de nouveaux enfants. Dans 66 % des cas les relations sont nulles ou conflictuelles. Les débi­teurs pour la moitié d'entre eux sont chômeurs ou sans activité (cette information n'est connue que pour 988 allocataires sur les 2911) et les débiteurs qui ont une activité sont pour moitié ouvrier, employé ou «personnel de service)). L'incapacité de payer, la pré­sence d'un nouveau foyer et la malveillance ou l'absence de consentement au divorce sont pour cette population des raisons semblent-ils essentielles au non-respect du paiement des pen­sions alimentaires. Elles recouvrent les explications 1 / et 6/. L'information la plus pertinente de l'enquête est très certainement la réticence que ces femmes manifestent pour sanctionner de façon efficace leurs ex-maris puisqu'elles ne désirent pas en arriver à la saisie immobilière (peur des représailles nous indique Renaudat) ou il la prison (respect pour les enfants).

L'inconvénient de cette enquête vient de l'absence d'information sur les femmes qui perçoivent leur pension et sur les caractéristiques des débiteurs qui payent.

L'enquête 1 NE D, 1972, faite par Roussel et que nous avons exploitée, porte sur un échantillon de divorcés et permet de recueillir des renseignements sur les femmes ayant droit à une pension alimentaire. A partir de cet échantillon, on peut comparer le profil des femmes qui ne perçoivent pas la pension à la population de celles qui la perçoivent.

Les chiffres du tableau comparent les profils de ces deux populations. Les faits saillants de ce tableau sont les suivants:

Les femmes qui ne perçoivent pas comparées il celles qui perçoivent: - sont proportionnellement plus âgées (62 % contre 71 %); - ont un ex-conjoint dont le niveau d'éducation est plus massivement primaire (72 %

contre 62 %) ; - déclarent avoir amélioré leur situation en divorçant (35 % contre 27 %) ; - avaient anticipé le remariage avant le divorce (23 % contre 10 %); - bénéficiaient de l'assistance judiciaire (40 % contre 20 %) ;

- percevaient une pension alimentaire proportionnellement plus faible 190 % contre 87 %);

- avaient engagé une demande en divorce aux torts de l'époux 176 % contre 54 %); - avaient pour motif de divorce l'adultère de la femme elle-même (14 % contre 8 %1.

- Belier A. et Graham J., « Variations in the Economic weil being of divorced Women and their Children)), dans Horizontal Equity, Uncertainty and Economie weil being, Ed. Martin David and Timoty Smeeding, Series in income and wealth Cambridge, NBER, 1983.

- Enquête INED de Roussel et al., 1975, Le divorce et les Français, Paris, PUF, Cahier INED na 72, 1972.

- Renaudat E., « Recouvrement des pensions alimentaires)), Recherches et Prévisions, Paris, CNAF, janvier 1986.

Autrefois quand le père détenait, par délégation de Dieu, l'auto­rité familiale, l'enfant lui était attribué. Avec la perte d'influence du droit religieux, l'enfant est passé sous le pouvoir du législateur et du juge. Ce dernier donne le droit de garde essentiellement à la mère sauf si elle fait preuve d'une conduite incompatible avec l'éducation des enfants (mère alcoolique et battant ses enfants). Les féministes contestent l'influence des psychologues qui se sont efforcés de mon­trer l'importance de la relation mère-enfant aux âges les plus jeunes.

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96 LE MARCHIl DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

PROFI L DES FEMMES QUI NE PERCOIVENT PAS LA PENSION A LAQUELLE ELLES ONT DROIT COMPARIO A CELUI QUI LA PERCOIVENT

Perçoit une Ensemble Ne perçoit Populations pension des pas la

alimentaire femmes pension plus ou divorcées alimentaire

Caractéristiques moins à laquelle elle socioéconomiques régulièrement elle a droit

(264 obs.) (511 obs.) (990bs.)

Ne perçoit pas la pension al imentaire 27,3%

Age médian en années: - au divorce 33,1 33,1 33,0 - au mariage 20,8 21,3 22,0

Population jeune 71,3 % 62,6%

Durée de la fréquentation avant le mariage, in férieure à un an 38,5 % 38,0% 41,1 %

Niveau d'instruction de l'ex-conjoint : - primaire 62,8 % 67,4 % 72,3% - technique et commercial 11,6 % 10,5 % 11,7 % - secondaire 17,6 % 14,9% 11,7 % - supérieure 8,0% 7,0% 4,2 %

Taux d'activité féminine au divorce 70,5 % 70,0% 69,7 %

Changement de niveau de vie en hausse 27,3 % 30,7 % 35,4 %

Ne souhaitait pas d'enfant au début du mariage:

- enquêté 17,2 % 12,2 % 14,3 % - ex-conjoint

Sexe féminin 98,1 % 56,9% 96,0%

Couples remariés 25,7 % 27,2 % 26,3 %

Couples remariés ayant anticipé le remariage avant le divorce 10,0% 6,6% 23,0 %

Couples sans enfant 8,3% 20,2% 10,1 %

Ne bénéficie pas d'une aide extérieure 78,4 % 77,8% 78,3% Montant de la pension 87,3 % 79,3% 91,3 % inférieure à 500 F par mois (moyenne

nationale 1970)

Bénéfice de l'assistance judiciaire 20,0% 33,1 % 40,0%

Demande accueillie aux torts de l'époux 54,6% 56.4% 76,5 %

Demande accueillie aux torts de l'enquêté 11,0 % 15,0 % 14,3 %

Raison déterminante du divorce: adultère et abandon du domaine conjugal par:

- l'enquêté 3,2% 5,8% 6,0% - l'ex-conjoint 38,4% 35,6% 39,8 %

Divorce anticipé dès le début du mariage 56,9% 54,7 % 59,2% Le motif du divorce était l'adultère de :

-l'enquêté 8,3 % 3,1 % 13,7 % - l'ex-conjoint 16,0% 24,9% 17,6 %

Source: Enquête INED, Le DivorcB Bt /BS Français, Roussel L. et AI., 1975

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LE PRIX DE LA FEMME 97

L'idée même est critiquée car sa «vérité» ne peut être établie. Un pourcentage non négligeable d'enfants n'est pas attribué à la mère et il est vraisemblable que tous ces enfants ne sont pas voués aux échecs scolaires ou aux échecs dans la vie. Naturellement, un enfant de divorcé, comparé à un enfant de famille stable a une vie beaucoup plus perturbée. Des traces certaines resteront. Cependant un enfant d'une famille unie, ayant une vie perturbée aura, sans doute, des difficultés.

Les juges ne sont pas tous convaincus par les idées des psycholo­gues mais donnent systématiquement la préférence à l'un des conjoints pour deux raisons; cela économise les coûts de marchan­dage que susciteraient une négociation de la garde de l'enfant, oblige les partenaires à anticiper cette règle et à ajuster leur comportement en fonction de celle-ci. Ce dernier argument est fallacieux car on pourrait arguer de la même manière qu'il faut interdire le divorce. On économiserait ainsi nombre de jugements et conflits, les couples s'adapteraient à la loi en restant concubins ou en prospectant plus sérieusement leur conjoint réciproque.

En réalité le législateur en donnant prééminence au droit des parents de divorcer par rapport au droit de l'enfant, ou au juge - comme interprète de l'intérêt de l'enfant - d'interdire cette rupture (le divorce pour l'enfant est unilatéral) met le juge dans une situation impossible. Une façon de résoudre ce dilemme est d'admettre que le droit d'élever des enfants peut être échangé spon­tanément (volontairement) contre une indemnité entre partenaire (voire vis-à-vis d'un tiers: grands-parents, oncle, tante, autre couple ou institution).

Ce droit d'élever les enfants jusqu'à majorité pourrait être vendu à un tiers ou à l'ex-conjoint et aller jusqu'à faire porter à l'enfant le nom de celui qui achète ce droit avec les prérogatives qui s'ensuivent comme lors d'une adoption. Bien entendu, le conjoint ayant rendu son droit n'en aurait plus aucun vis-à-vis de l'enfant. Pas de regard sur son éducation, pas de droit de visite sans invitation, l'intérêt de l'enfant est alors préservé par les parents ou un tiers bienveillant et non pas par un juge. En effet le juge ne possède jamais entière­ment l'information indispensable pour rendre un avis sans contesta­tion possible et n'est pas motivé pour défendre l'intérêt d'enfants qui ne sont pas les siens. Celui qui est prêt à payer une indemnité conséquente pour avoir ce droit révèle par ce biais le sacrifice qu'il

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98 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

consent, et l'intérêt qu'il attache à son éducation. Si la femme veut garder l'enfant, elle doit dédommager son ex-époux par une indem­nité; si l'homme veut s'occuper de son éducation, il propose un prix à son ex-épouse. Si aucun des deux ne veut en prendre soin parce qu'engagé dans une carrière professionnelle, ils payent à part égale les frais d'éducation d'une instruction scolaire qui prendra l'enfant en pension. Si aucun des deux ne veut s'en occuper et/ou qu'aucun ne peut payer une institution, ils vendent leurs droits à des tiers bienveillants (famille ou institution). Ceci évitera tout abandon (encadré 4.6).

4.6· DROIT DE GARDE, PLACEMENT FAMILIAL ET VENTE DES DROITS D'ELEVER UN ENFANT

D'une certaine façon la garde d'enfants de parents divorcés s'apparente au placement familial. L'enfant est placé chez l'un des conjoints jusqu'à sa majorité ou jusqu'à la fin de ses études en contrepartie d'une rémunération: la pension alimentaire. Elle diffère de ce placement au sens où l'autre parent a une pleine jouissance de ses droits sur l'éducation de ses enfants. Il n'y a en effet aucune raison valable pour lui retirer l'autorité parentale. Un conflit inextricable émerge, puisqu'il n'y a pas non plus de raison pour privilégier l'un des conjoints dans le placement familial. Celui qui a le placement ou la garde de l'enfant n'a pas pleine jouissance des droits sur l'enfant et celui qui n'a pas la garde, a les droits mais pas l'enfant. Or l'interdiction pour l'un des conjoints de racheter à l'autre les droits qu'il a sur l'enfant (alors qu'iI n'en a pas la jouissance) fait que le conjoint qui a la garde n'a pas inté­rêt à investir dans l'enfant. Simultanément, le parent exclu de la garde de l'enfant faute de contrôle et de pouvoir bénéficier des investissements, n'a pas non plus d'incitation à se consacrer à l'éducation de celui-ci. Le refus par le juge d'autoriser une adoption «divor­ciaire» où le parent qui n'a pas la garde de l'enfant se voit (après, par exemple, un consen· tement par acte authentique) exclu de tous les droits comme pour une adoption pléniaire se fait au détriment de l'enfant. Si l'objectif du juge est son intérêt, il doit laisser au parent qui dispose des moyens financiers les plus élevés, le soin de s'occuper de son enfant, (on attribue les enfants adoptés à des parents riches!. En contrepartie, celui qui a la garde dédommage son ex-conjoint de la perte de ses droits sur l'enfant. Si le parent «riche» ne veut pas s'occuper de son enfant, il peut le vendre à des parents prêts à l'adopter ou le placer chez son ex-conjoint (ou dans une institution), en contrepartie d'une rémunération. Il conservera ses droits contrairement à ce qui se pratique. Chaque conjoint sera mis, avant le divorce, devant ses responsabilités. Le coùt de la rupture de l'union n'est pas reporté en partie ou en totalité sur l'enfant. Il ne sera plus balloté entre deux familles désireuses de faire respecter des droits identiques sur son éducation; il ne sera plus privé au bout d'un certain temps des ressources de l'ex-conjoint sur qui repose le financement de son édu­cation.

Il n'est pas si loin le temps où de nombreux enfants étaient inter­nes toute l'année et voyaient leurs parents"le dimanche et pendant les vacances scolaires! Tous ces pensionnaires, en dépit des rigueurs de leur vie, ont survécu. Les enfants abandonnés vivent dans des

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LE PRIX DE LA FEMME 99

institutions caritatives ou étatiques et ne finissent pas tous comme gibier de potence. En réalité, la fameuse indivisibilité ne diffère pas de celle du logement (ou de la voiture) partagé, loué, ou vendu. Elle pose un problème si et seulement si existe une absence de droit de propriété sur l'éducation ou si l'on ne reconnaît pas à l'enfant le droit de s'opposer au divorce.

Paradoxalement, c'est cette quasi inexistence de droits de pro­priété sur l'éducation et l'impossibilité d'échange volontaire de ces droits qui explique l'importance des débiteurs défaillants en matière de pensions alimentaires. Faute de pouvoir racheter les droits, le père qui n'a pas la garde de l'enfant ne peut plus exercer de contrôle sur les investissements faits dans la moitié de son capital humain; en conséquence, il s'en désintéresse et ne paie pas les dépenses d'édu­cation de ses enfants.

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5

Le contrat de mariage

« Le pouvoir du mari est si éloigné du pouvoir d'un monarque absolu, que la femme a, en plusieurs cas, la liberté de se séparer de lui, lorsque le droit naturel, ou leur contrat le lui permettent, soit que ce contrat ait été fait par eux-mêmes, dans l'état de nature, soit qu'il air été fait selon les coutumes et les lois du pays où ils vivent et alors les enfants, dans la séparation, échoient au père ou à la mère comme ce contrat le détermine. »

J. LOCKE, Trait' du GOUfJernemenl civil.

Avant l'an mille le mariage était une affaire pnvee. Dans les siècles qui suivirent les familles furent amenées à déclarer le mariage de leurs enfants aux prêtres et à le célébrer à l'église. Cette lutte contre la pratique privée du mariage a duré quelques siècles supplé­mentaires.

« Dans soixante dix pour cent des litiges matrimoniaux plaidés à la Cour d'Ely entre mars 1374 et mars 1382, le mariage avait été contracté en privé» 1. Après le treizième siècle l'Eglise conquit la juridiction exClusive sur le mariage. En 1 789 l'Etat a repris cette exclusivité à son propre profit!

Pourquoi l'Etat se mêle-t-il de ces questions? Quel service offre-t­il en contrepartie? Pourquoi passer devant un maire pour déclarer un contrat de mariage alors qu'un simple contrat devant notaire suffit? La présence d'un tiers ou de témoins pour affirmer que le mariage correspond bien à un consentement mutuel des époux et n'est pas le résultat d'une pression des familles n'implique pas la nécessité d'un officier public ou d'un maire. Le notaire, ou une personne assermentée, pourrait remplir ce rôle: déclarer à l'Etat ou à un Institut privé de Statistiques le nombre et le type de contrat

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102 LE MARCHIl DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

de mariage enregistré dans le mois, offrir aux mariés plusieurs types de contrats, etc ... Avez-vous vu un maire discuter avec les jeunes mariés pour leur signaler les vertus d'un contrat de mariage avec des clauses différentes que celles offertes par la communauté réduite aux acquêts? Ce monopole contemporain de 1'Etat sur la juridiction du mariage est vraisemblablement une des raisons de la pauvreté contractuelle du droit de la famille.

Le mariage entre deux (ou plusieurs) partenaires est un contrat d'échange volontaire qui, comme pour tout contrat commercial, définit les droits et les obligations que chacun a envers les autres. Mais ces droits et devoirs sont-ils négociés librement entre les inté­ressés? La liberté contractuelle impose une absence de vice du consentement ou d'adhésion forcée. Chacun doit être libre de se marier ou de s'en abstenir. Les clauses du contrat doivent être libre­ment fixées entre les parties et non limitées par un contrat type prévu par la loi. Ce contrat peut être explicite (conclu devant un officier public) ou implicite (il suffit comme dans un concubinage que les volontés s'expriment de façon saisissable).

Les mobiles des contractants doivent être indifférents aux juges. Enfin, le contrat a force obligatoire. Il s'impose aux parties, au juge et au législateur et n'a pas d'effet sur des tiers non contractants 2 •

Aucun de ces principes n'est véritablement respecté. Vous croyez être libre de vous marier comme bon vous semble; il n'en est rien. En quelques articles le Code civil s'oppose clairement à votre liberté de contracter, celle-ci étant placée sous haute surveil­lance (polygamie et mariage d'homosexuels interdits, autorisation pour les mineurs ... ). Enfin le contrat ne peut être implicite! La seule chose dont on soit libre, c'est de s'abstenir de se marier!

Pouvez-vous fixer librement les clauses du contrat? Pouvez-vous épouser une femme pour une durée déterminée de dix ans non renouvelable, le temps d'élever un enfant que vous avez adopté? Non. Vous ne voulez pas entretenir votre femme ni vos enfants. Vous estimez qu'à leur âge ils peuvent travailler pour se nourrir ou se payer leurs études. Vous pouvez toujours passer un tel contrat implicite. Cependant, vous êtes tenu, par la loi, à l'obligation alirilen­taire vis-à-vis de vos enfants et de votre femme. Les premiers peuvent être majeurs et la seconde peut ne pas désirer travailler parce qu'elle a un penchant prononcé pour la paresse (art. 203). Cette obligation alimentaire, comble de paradoxe, s'étend au-delà du contrat de

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LE CONTRAT DE MARIAGE 103

mariage qui, une fois rompu, ne la supprime pas pour autant. Si vous êtes presque libre de vous marier, vous ne pouvez, en revanche, rompre ce contrat comme bon vous semble.

Il est souvent interdit de divorcer, et si le divorce est autorisé, le consentement mutuel est exigé et le divorce unilatéral interdit. Vous voulez, par exemple, conserver une certaine liberté dans votre vie amoureuse et vous désirez inclure une clause dans votre contrat de mariage (avec l'accord nécessaire de votre épouse) autorisant la présence temporaire d'une maîtresse sans rupture automatique du contrat. Une telle clause est interdite car vous avez l'obligation de fidélité (art. 212)! Vous voulez assurer par vous-même et sans par­tage la direction morale et matérielle du ménage, la loi vous l'inter­dit (art. 213). Vous ne redistribuez pas suffisamment d'argent à votre femme parce que vous jugez qu'elle fait mal son travail à la maison. Ce comportement sera réprimé. Votre épouse pourra exiger une pension et vous faire obligation de lui donner de l'argent en pro­portion de votre capacité à payer et non pas en proportion du travail domestique qu'elle fourni (art. 214). Vous voulez vivre par commo­dité dans deux logements séparés, l'article 215 du Code civil vous l'interdit! Vous avez le devoir de cohabiter. Vous désirez vous marier avec un homme beau, musclé et affectueux mais vous le jugez un peu trop «tête de linotte». Vous voulez donc passer un contrat de mariage où vous ne serez pas solidaire des dettes futures de votre époux. La loi vous l'interdit (art. 220). Enfin, si vous ne voulez pas que votre épouse travaille ou bien qu'elle décide d'une interruption volontaire de grossesse sans votre consentement, la loi ne vous suivra pas. L'épouse a droit sans votre consentement à prendre un emploi (art. 223) ou à tuer votre propre enfant (loi du 17 janvier 1975)!

Le plus étonnant de cette histoire est que ce droit autorise les couples à contracter des conventions matrimoniales ou un contrat de mariage, alors que l'article 226 stipule:

«Les dispositions du présent chapitre, en tous points où elle ne réservent l'application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux. »

Le contrat de mariage, s'il peut être. rédigé entre les époux, ne s'impose pas aux parties ni aux juges. On comprend alors mieux pourquoi, indépendamment du monopole de l'Etat, personne n'est intéressé à contracter librement une convention matrimoniale. Le régime matrimonial actuel est un statut.

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104 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Mais peut-on vraiment laisser les relations entre mari et femme être gouvernées par un droit des obligations à l'image d'un contrat commercial? Nous l'avons vu, la spécialisation, les économies d'échelle et les investissements dans l'autre partenaire ne seront pas produits avec la même efficacité si la durée du mariage est courte, la résidence séparée et l'infidélité autorisée de façon systématique. Par ailleurs, faire appel au juge psychologue pour régler les conflits entre époux révèle ou annonce une incompatibilité des traits des deux conjoints les privant ainsi des gains de la complémentarité. Cette absence de gains rend très aléatoire l'émergence de tels contrats, aussi on se demande pourquoi le législateur codifie ces questions. Si pour sauver une vie ou des biens, hommes et femmes n'ont d'autres solutions que de contracter un- mariage à durée déterminée sans promettre ni fidé­lité, ni résidence commune, pourquoi l'interdire? En quoi le législa­teur a-t-il un droit de décider de ce qui est étranger à une union martiale?

Enfin, dans un contrat d'échange volontaire, la liberté de mettre fin à tout moment de l'échange de façon unilatérale est respectée. Mais la loi, dans le désir de protéger un tiers involontaire au contrat de mariage (l'enfant) ou une des parties (l'épouse) a interdit cette pratique.

Seuls les divorces pour faute, rupture de vie commune ou par consentement mutuel sont autorisés (encadré 5.1).

Le contrat d'adhésion proposé par le Code civil contraste donc singulièrement avec les caractéristiques habituelles d'un contrat com­mercial. Mais les clauses qui émergeraient spontanément d'une libre négociation entre les parties à un contrat de mariage seraient-elles vraiment très différentes? Offrons une réponse à cette interrogation.

5.1 . LA LOI SUR LE DIVORCE

L'apparition du divorce en France date de la révolution de 1789. L'Assemblée consti­tuante balaya l'interdiction de rompre le mariage en établissant la loi du 20 septembre 1792.

Cette loi admettait non seulement le divorce par consentement mutuel ou pour faute, mais aussi le divorce pour incompatibilité d'humeur et celui sur simple acte notarié consta­tant la séparation de fait depuis six mois des deux époux. La demande pouvait être faite par l'un des époux en l'absence de l'autre. Cette possibilité offrait l'opportunité de divorcer unilatéralement. -

Dans l'idée des constituants, l'interdiction de divorcer était la cause d'un ensemble de maux sociaux tels la séparation des couples ou l'incitation au concubinage, l'adultère ou la prostitution. Un esprit aussi réputé que Montesquieu n'hésitait pas dans une de ses Lettres

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LE CONTRAT DE MARIAGE 105

Persanes à soutenir l'argument que l'impossibilité de divorcer entraînait une proportion importante de mariages mal assortis, ce qui expliquait la faible fécondité du pays. La levée de cette interdiction devait détruire les mauvais ménages et régénérer les mœurs de l'époque.

Les conséquences de cette loi furent totalement inattendues et contraires à ce qu'espé· raient les législateurs. La loi eu pour effet d'accroître considérablement les divorces et les mariages en vue d'un divorce. Comme le déclarait Maihle dans Le moniteur de l'époque (cité par Garaud et Szramkiewicz) :

« Le mariage n'est plus en ce moment qu'une affaire de spéculation; on prend femme comme une marchandise, en calculant le profit dont elle peut être, et l'on s'en défait aussi· tôt qu'elle n'est plus d'aucun avantage.»

Ce comportement pervers résultait d'une réaction aux excès de la main-mise de l'Etat sur les biens et les personnes qui ne partageaient pas l'idéologie des révolutionnaires. Le divorce unilatéral permettait aux femmes d'émigrés de soustraire le patrimoine de la famille et de l'époux fugitif à sa confiscation par l'Etat, et aux débiteurs d'échapper à leurs créan­ciers en attribuant à l'épouse une partie de leur actif. Les mariages blancs ou d'un divorce ultérieur permettaient aux prêtres de se marier et d'échapper à la déportation, et aux cons­crits d'éviter la conscription 1 L'utilisation abusive de la loi était la conséquence des temps troublés de l'époque.

Napoléon, avec la loi du 21 mars 1804, apporta une modification à la législation de 1792. Le Code civil de 1804 conserva les deux motifs: fautes matrimoniales et consente­ment mutuel. Ce dernier fut cependant assorti de conditions très dissuasives. Le 8 mai 1816, à la Restauration, le divorce fut de nouveau interdit. Le catholicisme était, entre temps, redevenu religion d'Etat (charte de 1814), et il fallut attendre la Troisième République avec la loi du député A. Naquet (27 juillet) pour voir le divorce rétabli. Cependant, cette dernière ne retint que le divorce pour faute en dépit des propositions du député qui désirait un divorce style 1792 (voir Comaille). Presqu'un siècle plus tard, le 11 juillet 1975, une réforme de la loi Naquet a été proposée et votée. Elle réintroduit le divorce par consente­ment mutuel.

Le principe de la liberté contractuelle conçoit la rupture du mariage comme une affaire privée où mariage et divorce résultent d'un simple enregistrement, le recours au juge n'inter­venant que s'il y a litige et simplement pour faire respecter les clauses du contrat de mariage. Cette vision contraste avec celle adoptée par le courant divorciaire ou le Code civil soviéti· que du 16 septembre 1918 (renforcé par celui de 1926 et appliqué jusqu'en juin 1936) ou bien celui de l'Uniform Act de 1971 aux Etats·Unis où le divorce est possible par simple séparation de fait même décidée unilatéralement par l'un des conjoints (voir Ance!).

- Ancel M., Le divorce à l'étranger, Notes et études documentaires, Paris, La Docu· mentation française, 1975.

- Commaille J., Le divorce en France, Notes et études documentaires, Paris, La Docu­mentation française, 1978.

- Garaud M. et Szramkiewicz R., La Révolution française, Paris, PUF, 1978.

Les raisons d'un contrat de mariage

Comme pour tout contrat d'échange, les conjoints affrontent le problème fondamental de l'incertitude sur ce que les uns demandent et les autres offrent. On distingue, en général, deux grands types d'incertitude. Celle qui résulte du comportement d'autrui. Celle qui est la conséquence d'événements affectant les ressources des parte­naires indépendamment de leur volonté.

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106 LE MARCHE DU MARIAGE

L'épouse peut promettre des enfants à son mari, mais atteinte d'une maladie, elle devient stérile. Le marié promet des revenus éle­vés à son épouse mais échoue à ses examens et n'obtient pas la car­rière espérée. Cette incertitude événementielle est a priori hors du contrôle de l'individu. En revanche, l'époux peut vouloir quitter sa partenaire pour une autre femme plus aimable et plus jolie. L'épouse peut ne pas vouloir, après une grossesse difficile, le nombre d'enfants que son mari désire. Elle peut prendre un emploi pour se payer des robes ou acquérir son indépendance. L'incertitude porte cette fois sur le comportement volontaire du partenaire.

Vouloir faire face à un événement redouté en couvrant, d'une façon ou d'une autre, le dommage attendu c'est la demande d'assu­rance. Investir des ressources personnelles pour diminuer la proba­bilité d'apparition de l'événement c'est la demande de protection. La couverture totale ou partielle du dommage peut être obtenue en épargnant de l'argent dans les périodes fastes (c'est la dot que don­nent les parents à l'épouse et qui est sa propriété) ou bien en parta­geant les risques d'un contrat avec d'autres personnes (c'est la poly­ginie où la femme partage avec d'autres les revenus d'un même homme) ou bien encore en diversifiant ses revenus sur plusieurs hommes (c'est la polyandrie: la femme épouse plusieurs hommes). La demande de protection peut être caractérisée par plusieurs réac­tions. L'épouse et l'époux peuvent prospecter plusieurs conjoints potentiels avant la décision de se marier. Après mariage, ils peuvent contrôler attentivement les performances des partenaires en s'effor­çant de prévenir le risque attendu.

Ces réactions sont en général une réponse à l'incertitude événe­mentielle. Celle portant sur le comportement du partenaire suscite un autre type de réponse. Pour se protéger contre un comportement volontaire du partenaire détruisant les gains de l'échange, un contrôle spécifique des actions des uns et des autres, par l'intermédiaire d'un contrat, est proposé. Le but explicite de ce contrat est de pré-engager les partenaires afin qu'ils respectent les termes de l'échange. Il s'agit de les empêcher, une fois le contrat conclu, de tricher avec les termes de celui-ci.

La nature de l'échange entre un homme et une femme impose vraisemblablement une série de clauses contractuelles qui vont cons­tituer le contrat «type» de mariage. Un homme attend d'une femme qu'elle lui fasse ses propres enfants et qu'elle lui donne de l'affection.

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LE CONTRAT DE MARIAGE 107

Une femme attend un revenu en contrepartie de ces deux services. Les partenaires affrontent trois difficultés. L'affection et la procréa­tion de l'enfant dépendent entièrement de la bonne volonté de l'épouse. Elle peut donner au compte-gouttes son affection. Elle peut ne pas désirer, pour préserver sa beauté, ses ambitions ou sa carrière professionnelle, autant d'enfants que son époux en voudrait. Le mari affronte un problème crucial de contrôle du corps de sa femme, car celui-ci est un élément essentiel dans la production des enfants comme dans celui de l'affection3 . L'épouse en offrant ses services et se spécialisant au foyer contribue au revenu et à la car­rière professionnelle de son conjoint. Or, celui-ci peut être incité à redevenir célibataire ou à se remarier avec une autre femme plus jolie. Celle-ci s'appropriera des revenus qui ne lui appartiennent pas mais qui sont le fruit des sacrifices faits par la première femme. Enfin, sanctionner le partenaire pour son non-respect du contrat, en utilisant la menace ultime de changer de partenaire, ne se fait pas sans coût d'opportunité par suite de l'existence d'investissement spécifique (comme les enfants) au contrat dont les rendements ne peuvent plus être perçus si celui-ci est rompu. Ces trois difficultés expliquent les clauses-types d'un contrat de mariage qui émerge­raient spontanément de la liberté contractuelle. La caractéristique principale de ce contrat réside dans l'asymétrie des obligations de l'homme vis-à-vis de la femme et réciproquement.

Le contrôle par l'homme des performances de la femme (pro­créer des enfants et offrir de l'affection) passe par un contrôle de l'utilisation de son corps. L'homme négociera des clauses qui inter­disent:

- A la femme d'exercer un travail salarié sans son consentement (ce que n'importe quel employeur exige de ses employés). Une femme ne peut offrir son affection et toute son attention à son mari et, en même temps, se consacrer à plein temps à un employeur exigeant. La qualité du travail offert ne peut être équivalente dans les deux emplois qu'aux niveaux les plus bas. Si la femme refuse cette clause, il exigera en contrepartie de ne pas assurer d'obligation alimentaire et de lui redistribuer un revenu en rapport avec le peu de services qu'elle rend au foyer;

- La contraception ou l'avortement sans son consentement. La femme ne peut prendre en cachette la décision d'avaler la pilule ou de se faire avorter sans avouer qu'elle triche avec les termes du

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108 LE MARCHE DU MARlAGE ET DE LA FAMILLE

contrat et refuse d'offrir à son époux le nombre d'enfants qu'il désire.

Le mari exigera certaines obligations : - Le devoir conjugal ou un quota minimal de rapport sexuel

dans le mois pour accroître les chances d'avoir le nombre désiré d'enfants;

- La fidélité pour s'assurer que l'enfant qui naît est bien son propre enfant et non pas celui d'un autre, sinon il y aurait tromperie sur la marchandise.

De manière semblable la femme imposera des clauses préservant ses revenus et investissements incorporés dans son époux. Elle demandera:

- Un droit d'exclusivité sur son époux. Il ne s'agit pas ici d'une obligation de fidélité mais de quelque chose de plus important encore. L'homme ne peut rompre le contrat selon son bon vouloir et doit racheter à son épouse la valeur en capital des investissements qu'elle a fait dans le mariage et qui sont incorporés dans son corps. Elle se réservera le droit de rompre unilatéralement le contrat de mariage à tout moment! La protection des investissements incorpo­rés dans son partenaire exige une telle exclusivité. Pour s'assurer de ce comportement, l'épouse peut préserver une dotation en capital avant le mariage qui correspondra à une caution. Elle peut aussi demander à son mari (ou à sa future femme) qu'il (elle) achète le droit de la quitter (le droit de vivre avec son ex-conjoint);

- Une durée minimale du mariage; - Que son mari n'entretienne pas, sans son consentement, plu-

sieurs femmes dont il pourrait avoir des enfants hypothéquant l'ave­nir des siens;

- A la liquidation du contrat, l'un des partenaires rachètent à l'autre les actifs divisibles et le droit d'élever ses enfants. Le nom de chacun reste sa propriété mais ne peut être utilisé par l'autre.

Voilà quelques clauses types qui devraient apparaître dans un contrat de mariage où la nécessité d'avoir ses propres enfants pour un homme est essentielle, et où la seule source de revenu pour la femme résulte d'un emploi d'épouse.

A quelque chose près, ce contrat ne diffère pas d'un contrat commercial de franchise entre un producteur et son distributeur4 •

On peut réinterpréter les clauses types du Code civil à la lumière

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LE CONTRAT DE MARIAGE 109

de ce que nous venons de présenter. L'interdiction du divorce, de la polygamie et l'obligation alimentaire, sont une façon frustre de pré­server l'exclusivité de la femme sur les revenus de son époux. L'obli­gation de la vie en communauté et du devoir conjugal sont un autre moyen de préserver le contrôle de l'homme sur le corps de la femme.

La possibilité pour l'épouse d'avorter et de prendre un travail salarié sans le consentement de son mari détruisent ce contrôle. La possibilité pour l'époux de divorcer unilatéralement offre l'opportu­nité à une autre femme de bénéficier des revenus qui sont le fruit des efforts de la première épouse!

Les clauses exigées par le mari sur le corps de sa femme (inter­diction de la contraception ou d'un travail hors du foyer), par la femme sur celui de son époux (interdiction du divorce, durée mini­male du mariage ou rachat du droit de rompre le contrat par une prestation compensatoire) ne sont pas abusives même si on les pré­sentent souvent comme telles. Elles remplissent une fonction essen­tielle: préserver les partenaires de l'incertitude ayant pour origine la tentation de tricher avec les termes du contrat.

Le code civil, depuis les années soixante, a clairement choisi son camp: celui de la femme. Il offre à l'épouse toutes les possi­bilités de tricher et de ne pas respecter le contrat. Paradoxalement, l'époux se voit contraint d'acheter son divorce par une prestation compensatoire et de payer un revenu à sa femme même si elle cesse de rendre les services attendus en travaillant pour un autre employeur. Le mari est toujours tenu à l'obligation alimentaire! Le législateur a donné un avantage exorbitant aux femmes en leur permettant de ne pas respecter les termes de l'échange qui fondent le mariage tout en obligeant les hommes à le respecter! Les maris sont-ils si peu informés pour accepter d'être pénalisés de la sorte par les groupes de pression féministes? Ou bien les femmes ne valent-elles plus rien sur le marché du mariage pour qu'ils se désintéressent autant de la question?

L'évolution des clauses du contrat de mariage

L'évolution des clauses types du contrat de mariage susceptible d'émerger spontanément de la liberté contractuelle est une réponse à un changement endogène dans les gains de l'échange comme dans

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110 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

les coûts à faire respecter les termes de celui-ci. Lorsque l'~tat

contrôle la production de droit, cette réponse passe obligatoirement par l'intermédiaire du «marché» politique. Mais les seules clauses qui changeront correspondront à celles demandées par les groupes de pression les mieux implantés sur ce marché ...

Quelque soient les problèmes liés à ces groupes et au marché politique, il semble toutefois justifié qu'il y ait évolution. A titre d'exemple, considérons la fiction suivante.

Le mari désire un enfant supplémentaire et espère voir son épouse quitter son emploi afin de l'élever. Malheureusement, cette demande si légitime soit-elle, fait perdre 2 000 unités de satisfaction (utils) à sa femme. L'épouse doit abandonner temporairement un emploi qui la passionne et lui rapporte un revenu conséquent pour élever un enfant (cet arrêt temporaire diminue les revenus de l'épouse de façon permanente d'un montant évalué à 2 000 utils). Si elle ne satisfait pas les désirs de son époux, celui-ci supporte une perte de bien-être équivalent à 3500 utils. Elle correspond à l'utilité perdue en n'épousant pas une autre partenaire qui lui donnerait entière satis­faction (cette somme pourrait correspondre au sacrifice que l'époux devrait faire sur sa part des gains du mariage pour payer une tierce personne qui éleverait cet enfant). Comment le couple peut-il s'ajus­ter à cette situation? Plusieurs cas peuvent se produire:

- Le divorce unilatéral est autorisé. L'époux quitte sa conjointe pour épouser une autre femme. L'épouse en titre perd alors 6500 utils correspondant à sa part des gains du mariage, tandis que le mari ne perd rien puisqu'il épouse une autre femme qui lui donne satis­faction;

- Le divorce est autorisé si un consentement mutuel est obtenu. L'époux pour obtenir le consentement de sa femme, la dédommage entièrement de ces pertes et lui donne l'équivalent monétaire de 6500 utils. L'épouse ne perd rien, en revanche le mari perd 6500 utils;

- Le divorce est interdit et les conjoints ont obligation de res­pecter les demandes des uns et des autres. L'époux utilise les clauses contractuelles de devoir conjugal et de non autorisation d'un travail salarié de son épouse pour obtenir satisfaction. La femme perd alors 2 000 utils. L'époux ne perd rien;

- Le divorce est interdit mais aucune clause ne peut forcer la femme à respecter les désirs de son époux. La femme n'a pas

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LE CONTRAT DE MARIAGE III

d'enfant supplémentaire, ne cesse pas de travailler et ne perd rien. En revanche, son époux perd 3500 utils. Le tableau suivant représente ces différentes situations.

Tableau 5.1 - LES COUTS D'OPPORTUNITI: DE LA RUPTURE OU DE LA PROLONGATION DU MARIAGE

Revenus perdus Environnements possibles

1 - Divorce interdit: sans définition des droits des uns envers les autres

2 - Divorce autorisé avec consentement mutuel obligatoire et dédommagement du conjoint lésé

3 - DillOrce interdit et obligations réciproques de satisfaire la demande du conjoint

4 - Divorce unilatéral autorisé (sans consentement mutuel ni compensation monétaire au conjoint lésé)

Par l'époux

3500 utils

3000 utils 1 500 utils

o

o

Par l'épouse

o

o

2000 utils 6500 utils

6500 utils 5000 utils

500 utils

L'instauration d'un divorce par consentement mutuel avec prestations compensatoires pour l'épouse délaissée ou bien unilatéral n'est pas la solution idéale pour épargner les pertes de bien-être des deux conjoints. Dans les deux cas le montant total des pertes est de 6500 utils.

Si le divorce est unilatéral, le fardeau de la rupture est supporté par la femme qui voit son bien-être diminuer de 6 500 utils. Si le divorce par consentement mutuel et réparation des dommages est imposé, le mari supporte la perte de bien-être de 6500 utils. Tous deux préféreront une interdiction du divorce qui ramène les pertes au niveau de 3 500 ou 2 000 utils. L'obligation ou non de respecter les demandes des uns et des autres laisse indifférent les conjoints s'il est possible de transférer les gains du mariage d'un époux à l'autre. Dans le cas où le divorce est interdit et où la femme a l'obli­gation de respecter les désirs de son époux, elle supporte le fardeau. Dans le cas où l'époux ne peut obliger sa femme à respecter ses

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112 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

désirs, il peut transférer à son épouse 2000 utils sur sa part des gains du mariage pour l'inciter à avoir un enfant et obtenir satis­faction. Il évitera ainsi la perte de 3 500 utils.

En revanche, en absence de possibilités de transférer les gains du mariage d'un conjoint à l'autre, sous la forme d'un équivalent monétaire ou par une redistribution des rôles, un contrat de mariage interdisant le divorce et obligeant chaque partenaire à satisfaire les demandes de son conjoint est efficient. Un double lien de subordina­tion est créé. L'un de la femme vis-à-vis de l'homme dans le contrôle des activités sexuelles et de la production d'enfants (absence de contraception, fidélité ... ), l'autre de l'homme vis-à-vis de la femme dans le soutien matériel, financier et moral de l'épouse. Les clauses d'un tel contrat minimisent les pertes de niveau de vie en cas de conflit, compte tenu d'une certaine répartition des coûts consécutifs à la menace ultime de rompre le mariage.

Autrefois, l'espérance de vie entraînait une durée de mariage relativement restreinte et pour produire un nombre donné d'enfant atteignant l'âge adulte, il était nécessaire d'en produire plus du double. Cette mortalité imposait une production familiale intensive en enfants pour tirer partie des revenus qu'ils étaient susceptibles de produire. Compte tenu de la courte durée attendue du mariage, la production d'enfants constituait l'objet principal du contrat. Or, la femme avait, bien sûr, le contrôle de son corps, l'homme était confronté au risque de voir son épouse refuser de lui faire des enfants. A contrario, la femme risquait l'abandon de son époux pour une femme plus «productive». Elle n'avait pas d'autres opportunités pour vivre que de se marier, de rester célibataire à la charge de ses parents ou d'entrer dans les ordres religieux.

Devant ces risques, l'homme détenait le droit de contrôler le corps de sa partenaire et le divorce était interdit!

De nos jours, la durée attendue du mariage ou de la production familiale est plus longue; la mortalité infantile a drastiquement baissé. La production et l'éducation des enfants sont concentrées sur une période courte, loin d'épuiser l'horizon du contrat de mariage. Les risques encourus par chaque partenaire au moment de la rupture du contrat se sont considérablement modifiés. L'épouse veut vivre célibataire sans être à la charge de ses parents ou d'une communauté religieuse quelconque. L'époux ne retire plus' de revenu du travail présent ou futur de ses enfants, il en désire donc moins et peut

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LE CONTRAT DE MARIAGE 113

profiter des revenus procurés par le travail salarié de sa femme. Il n'est donc plus exigeant sur le contrôle de son corps ou sur celui de son temps.

Reportons-nous au tableau. La ligne 3 donne ce qu'il en coûte à la femme de satisfaire la demande de son conjoint. Admettons une hausse drastique de ce coût. La perte de l'épouse est cette fois de 6500 utils (ses espérances de revenus au niveau de sa carrière pro­fessionnelle sont plus élevées). En revanche, si son conjoint l'aban­donne, la perte qu'elle supporte n'est plus que de 5000 utils, car un nombre plus faible d'enfants et une moindre spécialisation diminue les gains du mariage. On adoptera une législation correspondant à la ligne 2. L'époux, au lieu de redistribuer sur ses gains du mariage la somme de 6501 utils, préfère rompre le contrat et la dédommager entièrement en lui versant 5 000 utils. Sa perte totale est de 1 500 ut ils (5000-3500 utils). Imaginons une autre évolution des coûts d'opportunité. Si, à la suite de la désertion de son époux, la femme ne supporte qu'un dommage de 500 utils, il serait préférable d'adop­ter le divorce unilatéral sans compensation.

Paradoxalement, dans l'exemple que nous avons pris, la femme est la «cause» du problème puisqu'elle refuse de satisfaire les désirs de son époux s . Elle est donc en tort puisqu'elle ne respecte pas le contrat d'échange implicite de ce mariage traditionnel. Or, la res­ponsabilité du dédommagement peut être reportée sur le mari, si cette solution conduit à un coût de transaction plus faible. L'évolu­tion des droits ou des pouvoirs entre les époux dépend de façon cruciale de celle des coûts d'opportunité supportés par chacun lors de la menace ultime d'une rupture du contrat de mariage 6 •

Dans un contrat de mariage négocié librement, les clauses contrac­tuelles se modifient pour tenir compte de la nouvelle répartition des coûts de rupture du mariage entre conjoints. Ce résultat est essentiel car entre deux couples, appartenant à des catégories socioprofession­nelles différentes (ou à des religions, à des pays, voire à des époques différentes), si une divergence dans la répartition entre les partenaires des coûts du divorce apparaît, celle-ci entraînera des demandes contractuelles différentes. Or, le contrat d'adhésion type proposé par le code civil s'oppose à cette différenciation (encadré 5.2).

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--~ Tableau 5.2· HOMOGAMIE ET HËTËROGAMIE SOCIALE DES COUPLES SELON LE CAS DE DIVORCE EN 1977

% dans la Couples population Faute Rupture de Consentement TOTAL

des divorcés vie commune mutuel

Les deux actifs homogames (1.21 28,3 2.4 69.1 100 (10631

supérieurs

Les deux ectifs homogames (27.61 61.0 2.4 36.8 100 (234851

inférieurs

Les deux actifs hétérogames (28.31 54.2 2.1 43.7 100 (240371

H > F

Les deux actifs hétérogames (7.41 50.0 1.7 48.3 100 (63361

F > H

Epoux actif (30.21 72,4 3.0 24.6 100 (258061

Epouse inactive

Epoux inactif (2.61 65.5 8.4 26.1 100 (22081 Epouse active

Les deux époux inactifs (2,41 61,4 22.2 16,4 100 (20561

Le divorœ et les Français, Tome Il, 1981, Collection de l'INSEE, Série 085-86, tableau 011 6, p. 356.

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LE CONTRAT DE MARIAGE

5.2· DIFFI:RENCIATION DES COUTS ET CHOIX DU MODE DE DIVORCE

115

La loi offre aujourd'hui aux couples la possibilité de divorcer pour faute, par consente· ment mutuel ou pour rupture de vie commune. Certains couples préfèrent un mode de divorce' un autre. Ces demandes divergentes ne traduisent pas nécessairement des compor· tements inefficients comme le pensent les sociOlogues voyant dans le comportement de minorités dclairées» le calque prochain d'une société entière. Si, dans la région parisienne, les couples préfèrent le divorce par consentement mutuel, c'est parce que le travail féminin y est plus développé et les salaires plus élevés. La différence des coùts d'opportunité du divorce entre Paris et la province est sensible. Le tableau ci-contre nous le confirme. Les revenus du mariage sont issus de la spécialisation et de la complémentarité des époux, les couples où la femme est inactive tirent •• ccomplémentaritb constante (homogamie des traitsl des gains du mariage plus élevés, et ont des coùts d'opportunité de rupture du contrat par suite des investissements spécifiques plus élevés. Ils choisiront de préférence le divorce pour faute. C'est le CilS de 72 % d'entre eux. Par contre, lorsque les couples adoptent un mode de vie où les deux conjoints travaillent, la spécialisation des rôles est réduite. néant et les gains comme les investissements spécifiques au mariage sont plus faibles qÙ8 pour les précédents. Parmi ces couples, ceux qui ont des treits dissemblables (hétérogamesl auront des gains du mariage plus faibles que ceux dont les traits sont semblables (homogamesl. On observera chez ces couples hétérogames, une préférence marquée pour le divorce par consentement mutuel. Ceci est vérifié si l'on compare les couples où les deux conjoints sont: actifs/catégories socioprofessionnelles différentes et actifs/mêmes catégories socio­professionnelles. On remarquera une anomalie. Les couples actifs ou les deux conjoints appartiennent • une catégorie sociale supérieure ont - du fait de leur homogamie - des gains du mariage supérieurs • ceux des couples actifs hétérogames, ils devraient choisir dans une moindre proportion le divorce par consentement mutuel. Il n'en est rien. En fait, les gains du mariage sont mesurés par la différence entre ce que l'on produit ensemble et ce que l'on produit séparément. Les couples actifs de même catégorie sociale. mais apparte' nant il une classe sociale supérieure, ont plus de faciliter. vivre seul. L'épouse peut aisé· ment vivre célibataire et l'époux peut aisément se remarier. Des opportunités de revenus hors mariage plus élevées et une absence de spécialisetion compensent les gains attendus d'une «homogamia» plus forte. Les gains du mariage sont en réalité plus faibles que pour ceux des couples actifs hétérogames.

Liberté contractuelle et mariage

Il est vraisemblable qu'une plus grande liberté contractuelle en matière de droit de la famille serait un progrès considérable. Un contrat de mariage explicite dont les termes offriraient des avantages non négligeables aux couples comme à la société.

Un contrat de mariage permet de faire des ajustemen ts non confor­mes au droit existant mais plus conformes à la réalité du marché du mariage contemporain. Il permet ensuite d'échapper à la discrimi­nation légale qui pèse contre le sexe féminin ou masculin (comme la garde des enfants attribuées à l'épouse ou l'obligation alimentaire imposée au mari). Il autorise la polygamie ou la traduction juridique des relations entre couples de même sexe ou qui désirent plus simple-

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116 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

ment cohabiter. Enfin, il permet aux partenaires de régler leur vie privée et leurs relations personnelles comme ils le désirent. A ces quatre points forts on peut ajouter qu'il devrait faciliter la coopéra­tion au sein du couple, diminuer les coûts d'organiser la production familiale, accroître les gains du mariage et sa stabilité.

En revanche, ceux qui contestent que l'on puisse établir de tels contrats mettent en avant deux défauts:

- l'incertitude qui pèse sur les performances qui seront réalisées dans le mariage obèrent l'intérêt d'un contrat formel;

- un contrat explicite substitue à la coopération spontanée une morale commerciale qui détruit la confiance et l'amour, attributs essentiels d'un mariage réussi.

Un véritable contrat de mariage exigerait la suppression de l'article 226 du code civil. Il permettrait aux couples d'échapper à la conformité du contrat d'adhésion type proposé par le code. Il offrirait la possibilité de moduler la codification des relations selon la situation et les besoins du couple. Au lieu d'imposer l'obli­gation alimentaire à l'homme, le contrat peut imposer un partage de cette obligation lorsque les deux conjoints sont engagés dans une double carrière. Au lieu d'escompter du juge aux affaires matrimo­niales un réglement au moment du divorce, on peut spécifier à l'avance des clauses de pénalité en cas de rupture abusive ou unila­térale ou le montant des dommages que les deux époux se devront dans une telle situation. L'avantage d'un tel contrat est qu'aucune des deux parties ne se voient imposer des clauses auxquelles elle n'a pas consenti; ce que le code civil fait aujourd'hui en obligeant l'ex-mari à payer une pension alimentaire pour des enfants dont il n'a plus la garde. Les couples ont actuellement le choix entre deux maux: la cohabitation ou le contrat d'adhésion type proposé par le code civil! Ce contrat de mariage offre l'opportunité pour des cou­ples à cheval sur l'égalité des sexes de mettre en œuvre leur idéal d'égalitarisme. De la même manière, il offre l'opportunité d'assurer aux communautés, aux homosexuels ou aux fanatiques de la poly­gamie ou de la cohabitation de satisfaire leurs goûts en établissant des contrats qui stabilisent leurs relations. C'est vrai que ces contrats légitimisent des styles de vie peu conformes à la tradition ou aux préférences de la majorité des couples, mais pourquoi les interdire ou les désavantager par rapport à d'autres formes d'union? Quel prétexte peut-on avancer pour les interdire? Il est vrai que des

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LE CONTRAT DE MARIAGE 117

couples polygames ou des communautés pourraient vivre abusive­ment sur les allocations familiales, car ils ou elles bénéficient d'un avantage dans la production des enfants (les couples polygames pro­duisent plus d'enfants que les autres), mais dans un tel cas ce n'est pas la polygamie qu'il faut interdire, mais la distribution d'allocations familiales!

La procédure consistant à rédiger un contrat de mariage aide beaucoup le couple à clarifier ses attentes et à prévoir les obstacles ou les difficultés qu'ils affronteront. Chacun peut se référer à ce document, exactement comme pour un contrat de travail, et rappe­ler à son partenaire ce que l'autre attend de lui. Doit-il s'occuper des tâches ménagères? Doit-elle élever les enfants? Combien d'enfants le couple planifie-t-il? Est-ce que l'épouse veut s'arrêter de travailler pour les élever? Désire-t-elle travailler? Désire-t-il mener des affaires de cœur extra conjugales? .. (voir encadré 5.3). Toutes ces questions constituent des conflits potentiels. Le contrat ne les empêchera pas de survenir mais une procédure de résolution des conflits peut être élaborée. Elle peut faciliter une redistribution des gains du mariage, chacun acceptant au départ de remettre en cause certains acquis ou bien de s'adresser à des tiers (conseillers et psychologues conjugaux) qui arbitreront ou mettront en pratique une thérapeutique. La rédac­tion de ce contrat permet à beaucoup de jeunes de découvrir les droits et obligations qu'ils se devront mutuellement. Une incertitude est levée et un sens de la responsabilité développé à cette occasion.

Enfin un tel contrat serait passé devant un notaire et non devant un édile, maire ou maire adjoint, ce qui marquerait de façon irrémé­diable que le contrat de mariage est une affaire privée et non publique!

Les réactions négatives à ce type de formalisation et de privati­sation des contrats de mariage prennent leurs sources dans la croyance suivante: le caractère formel et non sacré du contrat détruirait le fondement émotionnel des relations intimes qui en font tout l'attrait, et sur lequel s'établit un mariage durable. Il est vrai qu'un contrat de mariage qui présente un étalage de clauses contractuelles, à la manière d'un contrat d'assurance, peut vous couper toute envie ... de vous marier. Spécifier dans le contrat des clauses de pénalité en cas de divorce peut inciter les partenaires à craindre cet événement dans leur mariage et par cette précaution accroître la probabilité de divor­cer. La rédaction du contrat peut susciter des anticipations créatrices.

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118 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Une discussion ouverte sur tous les problèmes familiaux susceptibles de survenir détruit la confiance accordée au futur conjoint. «Pour­quoi épouser un individu d'aussi peu de foi qui transforme une rela­tion amoureuse en expertise comptable.»

Mais, on peut renverser le sens de la causalité. C'est parce que le conjoint est généreux et prévoyant qu'il souhaite un engagement de sa part vis-à-vis de son partenaire pour le protéger contre ses propres faiblesses. Il s'agit-là d'une très grande marque de confiance et d'amour qui prémunit chaque partie de tout comportement malhonnête.

Le contrat de mariage n'a pas non plus pour objet de prévoir tous les événements qui surviendront et qui sont, par nature, incer­tains au début du mariage. Une formalisation trop rigide pourrait empêcher certaines formes d'adaptation aux circonstances impré­vues. L'un des conjoints peut devenir handicapé, rendant toute cohabitation difficile. L'autre peut expérimenter une richesse ines­pérée et rompre un mariage avec un partenaire qui n'est plus à la hauteur. Ce type d'incertitude est inhérent à tout contrat de long terme. Il n'est pas spécifique au contrat de mariage; le contrat de travail et beaucoup de contrats commerciaux sont de ce type. Aucun contrat ne peut offrir de garantie sûre contre ces risques. Naturelle­ment, certains types d'événements peuvent être anticipés et une clause peut prévoir une renégociation du contrat. Par ailleurs, la jurisprudence peut décider si les clauses du contrat, face à un événe­ment particulièrement imprévisible, sont exécutoires.

5.3 - GUIDE DU CONTRAT DE MARIAGE

Comment peut-on rédiger un contrat de mariage 7 Quelles questions doit-on aborder 7 La juriste Weitzman propose une liste d'une vingtaine de problèmes, source de conflits, parmi lesquels:

1 - L_s buts du contnlt cie mari_~: Est-ce un catalogue de clauses définissant les droits et les obligations des deux époux dans les actes de la vie quotidienne ou pour la gestion de la fortune du couple, ou bien un guide pour rendre plus harmonieuses les rela­tions interpersonnelles 7 Est-ce simplement une profession de foi 7 Est-ce un substitut au mariage légal ou un réaménagement au contrat légal avec des obligations ou des droits auxquels les époux renoncent 7

2 - La force juridique du contf1Jt: Le contrat de mariage s'impose-t-il aux parties et aux juges? Doit-il être signé devant notaire avec des témoins 7 Certaines clauses doivent­elles étre considérées comme non-exécutoires 7

3 - Un historiqu_ et un curriculum d_ chBqU_ parti_ : La connaissance des antériorités des deux conjoints est-elle une information à communiquer aux partenaires pour prévenir un risque de vice de consentement? Doit-on préciser l'état de santé, l'absence de casier judiciaire. la richesse des parents, leur endettement, etc. 7

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LE CONTRAT DE MARIAGE 119

4 - Les attentes cHIs partenaires: Ouelles sont les intentions des époux vis-à-vis de leur union? Désirent-ils simplement profiter du contact réciproque de leur épiderme ou fonder une relation durable avec ou sans enfant? Désirent-ils associer leur talent pour une réussite sociale et financière à l'image de notre étudiante qui finance les études de son époux? Ouelles sont leurs priorités, faire carrière, élever les enfants, voyager, etc.?

5 - La durée: Le couple envisage-t-il une union indissoluble ou permanente ou bien un contrat de mariage à durée indéterminée? Le contrat de mariage est-il limité dans le temps, sa durée est-elle liée à une performance spécifique ou bien au maintien d'une relation amou­reuse? Une période d'essai est-elle envisagée avant la conclusion définitive du contrat? Ce contrat de mariage est-il renQuvelable après l'apparition d'un événement particul ier ou tous les ans ou les cinq ans?

6 - La C/Jrritlre professionnel/eet tAches dOmtlstiques : Oui de l'homme ou de la femme doit (dournir le pain du ménage»? Est-ce que les deux conjoints doivent contribuer égaie­ment aux revenus du ménage? Si les deux sont engagés dans une carrière professionnelle importante, laquelle des deux doit être sacrifiée si un tel choix se présente? L'épouse ou l'époux participe-t-elle (il) à la carriére de son conjoint?

7 - ReVllnus et dépenses: Les deu~ conjoints doivent-ils mettre en commun leurs revenus? Existe-t-il des dépenses è la discrétion de chacun? Les décisions de consomma­tion doivent-elles être prises en commun? La gestion du foyer doit-elle être attribuée à l'épouse? Si l'homme est le seul à gagner de l'argent, doit-il payer régulièrement son épouse pour les dépenses du mênage ou doivent-ils avoir un compte bancaire joint? Comment le couple épargne-t-il? La femme peut-elle utiliser les fonds du ménage pour constituer une épargne de précaution en cas de divorce?

8 - Les biens mobiliers et immobiliers: Ouelle est la fortune actuelle ou attendue par héritage de chacun? Le couple préfère-t-il séparer la propriété de ses biens avant comme après la conclusion du mariage? Les dons de l'héritage, les acquisitions de chacun doivent-ils être mis en commun ou au contraire séparés?

9 - Les dettes: Est-ce que l'un des futurs conjoints est endetté? L'un des conjoints doit-il financer une tierce personne? Si l'un des conjoints s'endette en cours de mariage, le conjoint doit-il être solidaire? Est-ce un motif de rupture du contrat de mariage?

10 - La résidenCfl: Oui va choisir la résidence? Les époux vont-ils vivre ensemble? Le lieu du logement sera-t-il à proximité du travail de l'épouse ou de celui du mari si les deux sont engagés dans une carrière professionnelle? L'un des conjoints peut-il refuser de recevoir les amis de l'a,lltre?

11 - Le nom: Ouel sera le nom choisi pour identifier le ménage, celui de l'homme, celui de la femme, les deux, le plus rénommé des deux? En cas de divorce quel nom les ex-conjoints prennent-ils? Et leurs enfants quels noms leur donnera-t'On après cette rup­ture : celui du père, celui de la mére?

12 - Les relations extra-conjugales: Est-ce que chaque conjoint peut avoir des rela­tions intimes avec d'autres personnes sans remettre en cause le contrat de mariage? S'il ya violation du contrat sur ce point peut'On trancher ou exiger des dommages, voire même renégocier le contrat?

13 - La décision d'avoir des enfants: Oui doit choisir le nombre d'enfants dans la famille, la femme, l'homme, les deux conjointement? Ouand doit'On mettre à exécution cette décision? Oui s'en occupera? Ouelle méthode de contraception pratiquera-t-on? L'avortement sera-t-il une décision unilatérale ou conjointe? A quelle école les enverra-t'On, dans une école publique, privée, religieuse? Dans quelle religion l'enfant sera-t-il élevé?

14 - Santé, déctls: En cas de maladie grave ou d'un handicap physique important, le contrat de mariage doit-il être rompu? Les deux conjoints doivent-ils prendre une assurance sur la vie? L'époux doit-il tester en faveur de son épouse ou de ses enfants ou d'un tiers?

15 - La dissolution: En prévision de la rupture du contrat de mariage, faut-il spécifier des clauses de pénalité ou de sûreté? Faut-il dès le début du mariage, fixer le montant des dommages et la manière dont seront partagées les ressources acquises dans la communauté? Faut-il prévoir un arbitrage? Oui prendra en charge les enfants? Ouelle somme celui qui aura la charge des enfants, devra-t-il payer à l'autre conjoint en dédommagement de ces investissements perdus?

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120 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Toutes ces Questions ne sont pas exhaustives et beaucoup des problèmes auxquels elles font références peuvent être réglés implicitement par les époux au jour le jour ou Quand ils surviennent sans se reporter il un contrat écrit Qui ne sera jamais rel u. D'autres, au contraire, sont traitées explicitement par la loi. Or, celle-ci impose une solution Qui ne convient pas nécessairement aux réalités contemporaines.

- Weitzman L., The Me,riaf18 Con tract, New York, Free Press, 1981.

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6

Le commerce des enfants

« On n'entendit plus du tout parler du petit Jean Vallin. Les parents, chaque mois, allaient toucher leurs cen~ -:ingt francs chcz le Notaire; et ils étaient fâchés avec leurs VOISinS parce que la mère Tuvache les agonisait d'ignominies, répétant sans cesse de porte à pone qu'il fallait être dénaturé pour vendre .son enfant, que c'était une horreur, une saleté, une corromperle. »

G. de MAUPASSANT,

.AJiX Champs.

Le conflit qui surgit au moment du divorce entre parents à pro­pos de la garde des enfants est un problème grave. Offrir la possibi­lité aux ex-conjoints d'acheter ou de vendre droits et obligations associés à leur éducation nous semble une bonne solution. N'est-ce pas là une façon détournée d'introduire le commerce des enfants? La réponse est oui puisque cette solution consiste à développer un marché libre des enfants. Ce commerce n'est pas moralement répré­hensible et il révèle un degré supérieur d'humanité et de civilisation. Cette affirmation peut paraître provocante et monstrueuse, mais en réfléchissant plus attentivement aux problèmes posés par l'adoption, on s'aperçoit vite qu'il n'en est rien.

Soyons d'abord conscient qu'un tel marché existe. Au mieux il est gris, au pire il est noir; car l'interdiction par le gouvernement d'acheter ou de vendre un enfant (ou le droit de l'élever) ne fait pas disparaître l'offre et la demande qui émergent, spontanément, des abandons et des couples, qui, pour une raison ou une autre, ne peu­vent avoir leurs propres enfants et désirent en élever.

Malheureusement, penseront certains, il existe des parents qui ne veulent pas élever leurs enfants. Le cas le plus courant est celui

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122 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

de la naissance d'un enfant illégitime et de son abandon par une mère célibataire trop jeune pour l'élever. Mais les parents peuvent aussi commencer par s'occuper d'eux et ensuite pour une raison ou une autre (mort, extrême pauvreté, alcoolisme, etc.) les abandonner, les martyriser ou les négliger. Sur la requête d'une assistante sociale ou celle d'un voisin, l'autorité parentale est retirée et l'enfant est placé auprès d'une famille nourricière ou dans une institution publi­que ou privée qui le prend en charge avant son adoption (s'il peut encore être adopté, car l'âge limite a été fixé à 15 ans par la loi du Il juillet 1966). Aussi brutal que cela puisse paraître, si certains enfants ne sont pas désirés alors que d'autres parents, faute d'en avoir, en recherchent désespérément, un échange mutuellement bénéfique. est possible même s'il s'agit d'un marché d'occasion (encadré 6.1).

6.1· LE MARCHIÔ DES ENFANTS EST·IL UN MARCHIÔ D'OCCASIONS?

Les enfants abandonnés et repris par d'autres parents ne sont pas de première main. D'une façon générale, les parents qui désirent élever des enfants préfèrent les·leurs. C'est faute de pouvoir les procréer qu'ils sont amenés à rechercher des enfants substituts. Mais les enfants abandonnés ne constituent pas une population représentative de l'ensemble des enfants.

En 1968,70 % sont nés de père inconnu, 52 % sont des filles. L'âge de l'enfant lors du placement pour adoption est pour 55 % des cas inférieur à 1 an. La catégorie sociale d'ori· gine des enfants abandonnés n'est pas connue. On peut cependant suspecter qu'ils ne vien· nent pas des catégories sociales supérieures. Deux raisons font pencher la balance en faveur de cette idée: d'une part la pratique de la contraception et de l'avortement est plus fréquent dans les classes supérieures et, d'autre part, la pauvreté incite fortement à abandonner son enfant.

Il est difficile de connaitre les caractéristiques de la population des adoptés. L'enquète réalisée sous la direction de Marmier sur un échantillon assez faible de 223 adoptés dans les années 1950 et interviewés en 1968 permet avec toutes les précautions d'usage sur la fai­blesse de l'échantillon de s'en faire une idée (au départ, l'enquéte a été menée sur 1 042 bénéficiaires de l'adoption, sur un total de 993 dossiers exploitables, 582 non réponses ou adresse inconnue et seulement 411 contacts avec ces familles, sur ces 411 seulement 223 ont accepté d'être interviewés!. Le tableau suivant montre la réussite scolaire de cette cohorte d'adoptés au niveau de l'Enseignement Supérieur, selon la catégorie socioprofessionnelle des adoptants.

Proportion d'adoptés étudiants dans les diverses catégories sociales d'adoptants

Ouvriers ArtisansoCommerçants Employés-cadres moyens Professions libérales, Cadres supérieurs

- Marmier·Champenois, 1972, p. 233.

Adoptés

7 10 ·20 40

Population générale

3 23 26 59

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LE COMMERCE DES ENFANTS 123

A l'exception des familles ouvrières, la proportion d'adoptés entrant dans l'Enseigne­ment Supérieur est inférieure à la probabilité qu'ont les jeunes de cette catégorie d'accéder à un tel enseignement malgré des conditions favorables puisque les foyers adoptifs sont pré­sumés offrir de bonne condition d'éducation sur le plan matériel. Comme pour la population normale, vivre dans un foyer adoptif de cadres supérieurs augmente les chances de faire des études supérieures, mais la réussite scolaire est, malgré des conditions financières avan­tageuses, moins brillante que pour les enfants de la population normale. Naturellement si ces enfants qui ont été adoptés ne l'avaient pas été, leur réussite scolaire aurait été bien inférieure.

Quand les nouveaux parents bénéficient de tous les droits et obligations légalement reconnus aux parents, on parle d'adoption plénière (à ne pas confondre avec l'adoption simple qui consiste pour un membre du couple à adopter l'enfant de l'autre pour des raisons de succession). Si ces droits sont limités à la garde de l'enfant pour une période transitoire, on parle de placement familial. D'une certaine façon, la garde de l'enfant de parents divorcés s'apparente au cas du placement familial, avec, en droit, une pleine jouissance pour chaque conjoint des droits et obligations associés à son éducation.

Traditionnellement, les gains de l'échange se réalisent spontané­ment par une transaction monétaire, c'est-à-dire par le marché. Mais, comme il est interdit d'acheter ou de vendre des enfants, de telles transactions se font au marché noir. En effet, la loi du Il juillet 1966 interdit l'échange d'enfants entre particuliers comme cela se pratiquait dans les années cinquante par l'intermédiaire de la sage­femme, du médecin ou de l'avocat. Si des parents désirent voir leurs enfants être adoptés par une autre famille, ces derniers devront d'abord être recueillis par une institution publique ou privée (ayant reçu l'autorisation de l'Etat d'exercer cette activité) et c'est celle-ci qui choisira la famille qui les adoptera - article 348-4 du code civil. Cette réglementation empêche un marché libre de fonctionner pour équilibrer l'offre et la demande d'adoption. La raison en est simple. Le prix officiel des enfants (aux qualités nécessairement différentes) est artificiellement maintenu par la loi au niveau du coût des agences de placements. En fixant arbitrairement un prix voisin de zéro aux enfants susceptibles d'être adoptés, les pouvoirs publics font comme s'ils éva­luaient le prix d'un enfant à un niveau différent de celui qui s'établi­rait spontanément sur le marché. Ce prix légal est inférieur à ce que valent réellement les enfants! Une demande excédentaire d'enfants émerge. Celle-ci n'étant pas satisfaite par les agences publiques de

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124 LE MARCHt DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

placements, suscite l'apparition d'un marché noir que les journalistes dénoncent régulièrement et que les avocats ou les juges bénissent, en privé, tant le problème est devenu aigu. -

Pour convaincre le lecteur de l'intérêt d'un régime de «laissez­nous faire» en matière d'adoption d'enfants ou de droits de garde, nous allons discuter les arguments qui sont souvent avancés par les pouvoirs publics afin d'empêcher les couples de profiter d'opportu­nités de gains à l'échange. Ceci permettra de mieux comprendre le point de vue de l'économiste sur la question 1.

Les objections au commerce des enfants s'organisent sous la forme d'un discours désormais bien balisé. En général les critiques faites au marché sont employées par les groupes de pression auprès des hommes politiques afm de soustraire un bien ou un service aux lois du marché. Cet argumentaire est la plupart du temps le même, qu'il s'agisse de soustraire le travail, les matières premières, la mon­naie ou les enfants aux lois de l'offre et de la demande. Nous avons distingué cinq arguments:

- Les prix élevé, supposé, auquel sont échangés les enfants, interdit aux couples pauvres d'adopter des enfants: le marché libre exclut les pauvres de l'adoption;

- Le prix auquel s'échangent les services ne récompense pas les mérites ou la qualité du bien ou du service offert: le prix du marché n'est pas juste;

- Les offreurs ou les intermédiaires connaissent mieux le produit ou le service qu'ils rendent, ils ont un pouvoir de négocier plus fort que les demandeurs, ils ont donc toute latitude pour être malhonnê­tes ou pour profiter de la crédulité de parents désireux d'élever un enfant à n'importe quel prix: le marché est inégal;

- Habituellement, un échange se fait au bénéfice des échangistes et non pas de l'objet de l'échange. Malheureusement, ici, l'objet de l'échange est à la fois un être humain et un tiers involontaire qui ne peut faire prévaloir son intérêt: le marché est défaillant pour préser­ver l'intérêt de l'enfant;

- Enfin, les échanges monétaires corrompent les relations entre les parents naturels, les adoptants et les adoptés: le commerce d'enfants est moralement dégradant.

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LE COMMERCE DES ENFANTS 125

Le marché libre exclut les pauvres de l'adoption

Au marché noir, l'achat d'un enfant coûte cher. En revanche, sur un marché légal, le prix à payer pour avoir le droit de l'élever serait vraisemblablement moins élevé. Un marché noir offre toujours un service plus coûteux et de moins bonne qualité qu'un marché légal (l'alcool au temps de la prohibition ou la drogue aujourd'hui sont là pour attester de cette vérité économique). Le marché noir des enfants n'échappe pas à cette règle. Comparativement au marché légal le prix s'élève, d'une part, pour couvrir les risques encourus pour avoir commis un acte illégal, et d'autre part, pour faire face aux difficultés plus grande que les intermédiaires rencontrent pour inciter une femme à conduire à terme une grossesse en vue d'une adoption illégale, ou pour rapprocher les demandeurs des offreurs. Sur un marché légal ces deux coûts seraient réduits considérablement. On ne peut donc juger du prix d'un enfant à l'adoption sur les seuls critères du prix observé au marché noir.

En réalité, l'existence d'un marché légal permettrait aux pau­vres, désirant élever un enfant, de pouvoir satisfaire leur souhait car les agences de placement sélectionnent très sévèrement les couples (encadré 6.2). Les considérations fmancières ne sont pas absentes de cette sélection ... D'une certaine façon un marché libre de l'adop­tion corrigerait les inégalités de départ, principal argument justifiant toutes les redistributions forcées de revenus en faveur des pauvres. Une famille nécessiteuse dont le cinquième enfant n'a pas été désiré, ne peut lui offrir des espérances de vie et de carrière professionnelle particulièrement alléchantes. En revanche, l'achat de cet enfant par une famille riche lui ouvre toutes les opportunités et tout le monde est satisfait. La famille pauvre se trouve être plus à l'aise après la vente de ses droits au foyer d'accueil, l'enfant voit ses espérances de niveau de vie futur s'améliorer et la famille qui l'achète au prix fort est heureuse! Où est l'injustice 2 ? Par ailleurs, quels sont les parents ou le conseil de famille qui voudraient voir l'enfant être adopté par une famille pauvre? C'est, paradoxalement, l'impossi­bilité légale d'échanger les droits d'élever les enfants qui perpétue les inégalités dues à la naissance!

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126 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

6.2· CARACTIORISTIQUES DES FAMILLES ADOPTANT UN ENFANT

Les agences publiques ou privées spécialisées dans l'adoption, sélectionnent sévèrement les familles qui seront autorisées il adopter un enfant. L'enquéte réalisée en 1968-69 pour tester l'effectivité de la loi du 11 juillet 1966, permet de se faire une idée de la façon dont ces institutions satisfont la demande.

623 dossiers d'enfants adoptés composaient l'échantillon. 89 % des familles ayant adopté un enfant étaient des couples et, pour 5 % d'entre elles, des femmes célibataires. Pour 57 % de ces familles, l'âge de l'époux allait de 35 il 45 ans et il y avait seulement 27 % de couples de moins de 35 ans. La différence d'âge entre mari et femme est il peu près la même que dans la population normale, exception faite des couples dont le mari a un âge inférieur il celui de sa femme. Dans 11 % des cas, les couples adoptants sont assortis de telle sorte que le mari a entre 2 et 5 ans de moins que son épouse. 60 % des couples ont entre 10 et 20 ans de mariage derrière eux avant d'adopter l'enfant. Pour 94 % de ces cou­ples il s'agit d'un premier mariage 1 Les professions libérales, les cadres supérieurs et les cadres moyens sont surprésentés dans la population des faniilles acceptées comme adoptant. 50 % d'entre elles appartiennent il ces catégories sociales contre 15 % dans la population normale. 53 % d'entre elles sont propriétaires de leur maison ou appartement. Enfin, le revenu moyen des adoptants en 1968 était de 36000 F annuel, alors que le revenu moyen de la population il cette époque s'établissait aux environs de 13200 F. Le couple et son âge, la durée du mariage, un mariage stable, l'appartenance il une catégorie sociale supérieure et un niveau de vie élevé, sont les critères privillgiés par ces institutions. L'âge du couple et la durée du mariage résultent spontanément des familles qui, au bout de x années, s'aperçoi­lient qu'elles ne pourront vraiment pas avoir d'enfants. En revanche, la stabilité du mariage et les considérations financières sont des préoccupations propres aux institutions de place­me"t. L'argument selon lequel un marché libre, priverait les couples pauvres de ne pouvoir adopter d'enfants faute de moyens, fait sourire.

- Marmier-Champenois, L 'sdoption, Ministère de la Justice, Etude de Sociologie Juri­dique, La Documentation Française, 1972.

Le prix de marché n'est pas juste

Les parents désirent-ils adopter des enfants ombrageux, difformes avec une légère déficience mentale? Non, ils les souhaitent beaux, intelligents et ayant bon caractère. Plus demandés que d'autres, ces enfants seront plus chers. Si par malheur les enfants jaunes sont plus intelligents que les enfants noirs et les noirs le sont plus que les rou­ges, mais que les blancs sont désirés plus que tous les autres parce que les adoptants sont blancs, le prix des enfants de race blanche à intelli­gence égale avec ceux des autres races sera plus élevé. En mettant à jour les différences de prix selon la race, le marché exacerberait les tensions raciales. Cet argument est erroné. Le prix ne signale pas la qualité de l'individu. Prenons l'exemple suivant: Les enfants noirs sont en moyenne d'excellents danseurs, chanteurs ou musiciens, mais les parents adoptifs préfèrent des enfants dociles, calmes et intelli­gents. Si les enfants dont la peau est jaune présentent de telles carac-

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LE COMMERCE DES ENFANTS 127

téristiques, ils seront plus demandés. Toues choses égales, ils seront plus chers. Maintenant, supposons que cette corrélation est scientifi­quement erronée (dans les deux races, même proportion d'enfants adoptables dociles, calmes et intelligents ou de danseurs, chanteurs et musiciens) alors un marché libre corrigera les croyances erronées des adoptants, ce que ne fera pas un système public de placement. En effet, puisque les enfants calmes, dociles et intelligents auront un prix plus élevé sur le marché, les parents ou intermédiaires qui les offriront à l'adoption investiront pour signaler (par une meilleure sélection) ces qualités désirées et qui rapportent gros. Si les deux populations sont identiques, les intermédiaires perdraient de l'argent en laissant croire aux adoptants que les enfants dociles, calmes et intelligents se trouvent seulement dans l'une des deux populations. Leur intérêt est de corriger les croyances erronées des adoptants. Non seulement le marché n'accentue pas les tensions raciales, mais il les réduira.

L'erreur commise par ceux qui sont sensibles à cet argument provient d'une mauvaise compréhension de ce qu'est un prix sur un marché. Un prix est une information qui signale aux individus la direction dans laquelle ils doivent allouer leurs ressources; il n'a pas pour but de récompenser un mérite quelconque (les attributs d'un produit ou la couleur de la peau) mais de faire en sorte que l'offre d'attributs augmente ou que les demandeurs s'orientent vers des enfants substituts moins onéreux! Si on laisse les prix jouer leur rôle, le temps que les familles se rendent compte qu'un enfant d'une race quelconque donne les mêmes joies ou satisfactions qu'un autre, que l'offre d'enfant désiré (de façon erronée) se développe, les prix d'enfants de races différentes seront identiques. Si de telles différen­ces de prix entre races sont permanentes, c'est qu'il existe alors des coûts invisibles, artificiels ou non, qui annulent le profit que les parents pourraient tirer d'une réallocation de leurs ressources vers des enfants substituts moins chers.

Le marché est inégal

Les intermédiaires ou les parents qui offrent un enfant à la vente connaissent, a priori, mieux que quiconque, les caractéristiques non observables de l'enfant (hérédité, santé ou milieu familial d'origine).

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128 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Ils peuvent profiter de cette différence d'information pour fixer un prix plus élevé ou offrir au prix courant un enfant de mauvaise qua­lité. Si l'acheteur n'a pas la possibilité de revendre l'enfant adopté, il court le risque important d'être trompé sur la marchandise car la décision d'adoption ne se renouvelle pas tous les jours. Faute de pouvoir établir un lien durable entre l'acheteur et le vendeur, les parents adoptifs sont à la merci du vendeur. Voilà ce qui se produit sur le marché noir.

Il faut, ici, faire la différence entre le fonctionnement d'un mar­ché noir, résultat de l'intervention des pouvoirs publics, et celui d'un marché légalisé. Sur ce dernier, les acheteurs bénéficieront des pro­tections offertes par les contrats et les assurances. Si les acteurs économiques n'achètent pas non plus tous les jours une voiture, ou un appartement, pourtant les échanges se font normalement et les vendeurs ont aussi une position de force vis-à-vis du demandeur. Le marché lui-même offre une protection et une information véri­dique sur la qualité, car l'intérêt des intermédiaires est de développer le marché et non de le réduire par des pratiques frauduleuses.

D'autre part, le mécanisme public d'adoption des enfants n'est pas exempt de ces mêmes critiques. Paradoxalement, l'argument vaut plus pour les agences publiques de placement que pour le marché libre (encadré 6.3). Comment attribue-t-on les enfants dans une agence de placement? A quelle commission les familles qui désirent adopter un enfant doivent-elles soumettre leur cas? Qui décide? Le membre de la commission qui détient un pouvoir sur les autres membres? Observe-t-on un marchandage entre eux? Pour passer en tête dans la file d'attente des dossiers, quel fonctionnaire doit-on essayer de soudoyer? Quelle certitude a-t-on sur la qualité des enfants ou sur leur milieu d'origine si l'on ne connaît pas les assis­tantes sociales qui ont le dossier de l'enfant? Le prix, sous forme d'années d'attente, est imposé par la commission, la qualité de l'enfant est incertaine et n'est pas garantie. Là encore les avantages d'un marché libre l'emportent vraisemblablement sur la procédure d'attribution actuelle.

Le marché est défaillant, car il ne respecte pas l'intérêt de l'enfant, tiers involontaire à l'échange -

La plus forte réticence contre une libéralisation du marché des

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enfants vient d'un argument qui est loin d'être aussi sot que les précédents. Habituellement le marché satisfait les échangistes et non pas l'objet de l'échange! Or, l'objet de l'échange est ici non seule­ment un être humain, mais aussi un tiers involontaire à la transac­tion puisqu'il n'a pas son mot à dire; et des parents peuvent vouloir acheter un enfant pour le battre, le faire travailler, voire même le prostituer ou le revendre avec un profit. C'est un commerce puisque l'achat d'un enfant est assorti (telle la Patria Potestas de la tradition Romaine) du droit de le revendre, de le prêter, de le détruire ou de le faire travailler. Il faut donc interdire ce marché, et donner à une agence publique ou privée (agréée par l'Etat) le soin de préserver l'intérêt de l'enfant.

6.3· LES INTERMËDIAI RES DE PLACEMENT

L'enquête menée sous la direction de Marmier·Champenois a été réalisée sur des adop· tés des années 1950. A cette époque les intermédiaires privés, Œuvres ou particuliers, pou· vaient rapprocher les offres et les demandes. Il est intéressant de comparer la politique de l'Aide sociale aux Œuvres et aux particuliers qui concurrençaient l'Etat en matière de place· ment. On peut en juger à partir de trois éléments: le délai pour répondre à la demande, l'âge de l'enfant au placement et les caractéristiques ou les formalités exigées chez le deman· deur pour l'adoption. Le délai de placement est inférieur, pour près de 80 % des cas, à 1 an. La demande est plus rapidement satisfaite par les particuliers et les Œuvres. Ainsi les deman· des satisfaites en moins de trois mois le sont pour 27 %, 32 % et 43 %, respectivement par l'Aide sociale, les Œuvres et les particuliers. Le délai d'attente ne dépasse pas 1 mois pour seulement 3 % et 11 % des adoptés en Aides sociales et Œuvres, par contre 24 % des adoptés le sont par l'intermédiaire des particuliers. A cette époque les adoptants préfèrent s'adresser aux Œuvres et aux particuliers. Les particuliers cependant ne sont choisis que par 10% des candidats à l'adoption. En revanche 60 % d'entre eux préfèrent les Œuvres et seulement 30 % s'adressent à l'Aide sociale ou à l'Assistance publique. Le délai d'attente n'est donc pas le seul critère de jugement pour préférer s'adresser à un intermédiaire plutôt qu'à un autre. L'âge au placement est un indicateur avec lequel l'intermédiaire satisfait les préféren· ces de la demande. En effet la majorité des adoptants veulent des enfants en bas âge. Là encore Œuvres et particuliers offrent un service diligent. 78 % des enfants placés par des particuliers ont moins de 1 an (42 % ont moins de 15 jours!. 75 % des enfants placés par les Œuvres ont moins de 1 an mais seulement 19 % d'entre eux ont moins de 15 jours. En revanche, l'âge au placement des enfants confiés à l'Aide sociale va (pour 81 %) de 1 et 3 ans 1 Aucun enfant n'est confié avant 15 jours. La supériorité des performances des œuvres comme des particuliers à satisfaire la demande est écrasante. Mais les Œuvres et les Parti· culiers ne font peut-être pas grands cas de la qualité des familles qui désirent adopter les enfants ou bien ne garantissent pas la qualité des enfants qu'ils offrent à l'adoption. Ces intermédiaires rapprochent certes, offres et demandes, mais à une qualité de service très inférieure. L'enquête de Marmier entend par qualité de service, les garanties médicales et juridiques. Or, dans le questionnaire on demandait aux seuls adoptants s'étant adressés aux Œuvres ou à l'Aide sociale leurs préférences entre les œuvres, les PéV"ticuliers ou un orga­nisme public. L'opinion des foyers adoptifs penche alors en faveur de l'organisme public et lorsque l'on demande aux adoptants leur opinion sur les formalités exigées par la loi, 90 % d'entre eux sont favorables aux enquêtes sociales et aux visites médicales. Seulement 6 % des adoptants, sans doute les plus intelligents, font remarquer qu'on n'en demande pas

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130 LE MARCHf DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

tant aux parents naturels! Il est frappant de constat!'r que parmi les familles non soumises à ces formalités, 80 % d'entre elles sont favorables à l'intervention de l'Etat dans leur vie privée. Bien entendu les plus opposés à cette intervention sont ouvriers et anticipent déjà les critères de sélection qui vont s'opérer. Les catégories aisées y sont majoritairement favo­rables! Les Français de cette génération ont eu la loi qu'ils méritaient, malheureusement ce sont d'autres générations qui doivent en supporter les conséquences.

Un tel raisonnement est faux, Ce qui est acheté c'est le droit d'élever un enfant. Ce droit n'est pas le droit d'en faire ce que l'on veut. Il est limité dans le temps et dans l'utilisation des services que l'enfant peut rendre, Le droit d'élever un enfant est un droit de déterminer librement son bien-être futur (doit-il recevoir une éduca­tion religieuse? doit-il être végétarien? qui doit-il fréquenter? doit-il être soigné? etc.), mais ce n'est pas le droit de l'utiliser à des fins répréhensibles (cruauté, sexualité, prostitution, ou autre ... ). Enfin, le droit de vendre l'enfant à partir d'un certain âge (âge à détermi­ner) est interdit. En 1950 il était de 5 ans, en 1966, sous la pression de la demande excédentaire, il a été repoussé à 15 ans!

En réalité, ceux qui avancent un tel argument oublie le fait suivant: les parents qui ont leurs propres enfants n'ont pas le droit de les battre, ou de les faire travailler pour leur propre compte, n'ont pas le droit de les prostituer pour en tirer de l'argent, Ce qui n'est pas autorisé pour les parents naturels ne l'est pas non plus pour les parents adoptifs, Or, que l'on sache, les pouvoirs publics ne se mêlent pas encore de décider quels sont les parents qui auront le droit d'avoir des enfants et quels sont ceux qui ne l'auront pas! Pourquoi les couples stériles, ou ceux qui veulent adopter un enfant, devraient-ils être traités différemment?

Ils le sont parce que justement les hommes politiques ont accepté que l'Etat se charge d'attribuer les enfants à l'adoption, Or, le méca­nisme par lequel ils ont eu leurs propres enfants est celui d'un mar­ché, le marché matrimonial! Si la raison profonde de fonder un foyer est de procréer, les couples attacheront une grande importance aux caractéristiques de chaque conjoint, déterminantes pour les attri­buts futurs de l'enfant. Spontanément le marché matrimonial sélec­tionne la qualité des enfants par l'intermédiaire de l'assortiment des couples, Les agences matrimoniales, le système des petites annonces ou simplement l'expérience personnelle confrontent les traits de la personnalité, Ces moyens jouent un rôle non négligeable pour rappro-

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cher les offres et les demandes. Or, une agence matrimoniale privée (jusqu'à quand?) le fait en contrepartie du paiement du service rendu. Ce prix ne choque personne mis à part les journalistes de l'Institut National de la Consommation qui étendent leurs activités de protection au-delà du yaout ou du siège pour bébé. D'une certaine façon le marché matrimonial rapproche les offres et les demandes d'attributs des uns et des autres et détermine la qualité des enfants qui seront issus de cette prospection. Si les parents sont des musi­ciens nés, ils auront une forte probabilité d'avoir des enfants aimant la musique et la pratiquant mieux que d'autres. De ce point de vue l'agence de placement n'est pas aussi performante. Elle, en fait, élimine les couples indésirables sur des bases financières et d'affec­tion et attribue les enfants sur la base du premier arrivéj premier servi. Même si l'agence cherche à assortir l'intelligence ou les dons naturels du nouveau-né avec ceux des parents adoptifs, la règle du premier arrivéjpremier servi lui interdit d'être efficace dans cet ajustement! Or, c'est ce que fait le marché du «neuf» ou le marché du mariage, et c'est ce que ferait à un coût plus élevé le marché de «l'occasion» s'il fonctionnait librement.

Si les partisans de l'absence d'un marché des enfants adoptifs sont certains d'avoir raison qu'attendent-ils pour étendre au marché du neuf ce qu'ils appliquent au marché de l'occasion? Pourquoi n'existe-t-il pas «une agence publique de rencontre, des permis d'union» 3? Pourquoi les pouvoirs publics ne délivrent-ils pas un permis autorisant les conjoints, après examen minutieux de leur dossier (antécédents génétiques et sociaux), à devenir de futurs parents? Si on veut éliminer la pauvreté, interdisons aux pauvres d'avoir des enfants. Ne serait-ce pas les hommes politiques qui, vivant des votes des pauvres, tiennent à ce que ces derniers soient toujours plus nombreux? Ce n'est, sans doute, pas l'envie d'inter­venir sur le marché du mariage qui leur manque mais c'est le coût, à la fois matériel et politique, d'un tel contrôle qui les arrête. Malheureusement le marché des enfants d'occasion est plus facile­ment contrôlable et les couples qui désirent adopter des enfants sont trop peu nombreux pour avoir un poids politique quelconque.

En réalité, le motif principal qui pousse les familles à adopter un enfant n'est pas le désir d'en abuser. On ne peut interdire le marché de l'adoption pour ce seul motif. On ne peut sous prétexte d'empêcher l'apparition de cas marginaux, interdire à toute une

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population honnête de bénéficier de l'échange. Pour rassurer on peut exiger un permis de bonne conduite aux parents adoptifs exacte­ment comme on exige un permis de conduire à tout acheteur de voiture qui prend la route ou un casier judiciaire vierge pour tout postulant à un emploi public. Rappelons incidemment que le marché matrimonial ou le marché du «neuf» offre spontanément à un coût quasi nul une teUt: protection lorsque les parents sélectionnent les fréq uentations de leurs enfants. Ceux-ci n'épouseront pas n'importe qui et la qualité de leurs enfants en sera améliorée. Si une méthode de pré-sélection (comme le permis de bonne conduite) s'avère plus efficace qu'une méthode de dissuasion par sanctions sévères (il est difficile de détecter les couples qui commettent des sévices graves sur des enfants) il ne faut pas s'en priver. .. Celle-ci est parfaitement compatible avec un marché libre des enfants. Dans un certain sens, faire payer les familles qui désirent adopter un enfant, revient à révéler le degré de leur motivation. Cette solution offre naturelle­ment une grande protection car si les parents sont prêts à payer très cher le droit d'élever un enfant, c'est qu'ils désirent investir dans son éducation et son bien-être et non le contraire (les parents adoptifs ou non n'ont pas de droit sur les fruits du travail des enfants). Associer le droit d'élever un enfant avec le droit d'en abuser est mal­honnête. Si un trop plein de droit (comme avec la Patria Potestas romaine) peut conduire à des excès, l'absence de droit bien défini a un effet désastreux sur le bien-être futur de l'enfant. Les parents adoptifs ou ceux qui prennent soins temporairement des enfants (garde d'enfants de divorcés) s'ils ne peuvent bénéficier totalement du fruit de leurs investissements, y renonceront au détriment des enfants eux-mêmes. Pour qu'un tel marché fonctionne les droits de propriété sur l'enfant doivent être clairement précisés.

Naturellemen t, un marché est un marché. Des intermédiaires vont apparaître. Ils vont acheter et revendre ce droit pour en tirer un profit. Comme ce profit dépend de la qualité de l'enfant et des soins qui lui sont apportés, ils sont intéressés à le maintenir en bonne santé et à développer ses talents. Néanmoins. la relation entre cet intermédiaire et l'enfant ne consiste pas à promouvoir l'intérêt de l'enfant, mais celui de l'intermédiaire. Faut-il alors interdire le commerce des enfants sous prétexte que les intermédiaires ne sont pas préoccupés de l'intérêt de ceux-ci?

Cet argument est spécieux car les parents adoptifs et les parents

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naturels (ou les juges aux affaires matrimoniales, voire les assistantes sociales) n'offrent pas plus de garanties que l'intermédiaire dans leurs prétentions à préserver l'intérêt de l'enfant. Les JAM, les AS ou les institutions publiques ou privées n'ont aucune raison de s'en préoccu­per plus que l'intermédiaire. On peut même aller plus loin dans le contre-argument. L'intermédiaire ne désire pas conserver l'enfant indéfmiment et le service qu'il rend en rapprochant offres et deman­des se fait aux bénéfices de l'enfant; il sera accueilli alors dans un foyer qui aura mis toutes ses chances de son côté en payant un prix fort pour être bien servi. Si l'intermédiaire ne donne pas satisfaction, il sera éliminé du marché. En revanche, le juge ou l'assistante sociale, qui prennent des décisions afin de protéger l'enfant et promouvoir son intérêt peuvent commettre des erreurs, préférer améliorer le bien­être de quelqu'un d'autre (la mère ou le père) ou bien sélectionner les couples adoptants selon leurs préférences personnelles ou parti­sanes. L'institution publique ou privée qui vit des subsides de l'Etat a intérêt à garder les enfants le plus longtemps possible, car le mon­tant de ces subsides est calculé en fonction de la durée du séjour et du nombre d'enfants en attente d'être adoptés ou bien en situa­tion de placement dans l'institution. Aucun mécanisme n'existe pour éliminer ces comportements qui ne respectent en rien l'inté­rêt de l'enfant.

Par quel miracle les bureaucrates de l'Aide sociale préserveraient­ils mieux les enfants que les autres? L'intervention de l'Aide sociale est-elle légitime? Si l'enfant vit avec sa mère, et qu'elle reçoit tous les soirs contre monnaie sonnante et trébuchante, les faveurs de ses collègues de bureau, alors l'Aide sociale doit-elle intervenir (en violation des droits de la mère d'élever son enfant dans la moralité qui lui plaît) parce que l'enfant ne vit pas dans un environnement propice à son épanouissement futur?

«Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou l'un des deux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel. Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la même autorité parentale.»

L'article 375 du Code civil sur l'assistance éducative, ne contient­il pas potentiellement toutes les atteintes à la liberté d'élever son enfant comme on le désire? Les droits des familles à diriger l'éduca-

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tion de leurs enfants comme bon leur semble, dans la religion qu'ils désirent et de transmettre au-delà de leur génération les valeurs auxquelles elles tiennent le plus, sont violés par le législateur lui­même au nom de l'intérêt de l'enfant.

En réalité, l'objection concernant l'absence de prise en compte par le marché des intérêts de l'enfant, tiers involontaire au contrat d'adoption, n'emporte pas l'adhésion. Les enfants élevés par leurs parents naturels sont aussi des tiers involontaires au contrat de mariage. Rien ne permet d'affirmer que les parents vont prendre en compte l'intérêt de l'enfant. Pourtant le marché matrimonial est laissé relativement libre, même si, à juste titre, on retire parfois l'autorité parentale à des couples qui ont révélé le peu de cas qu'ils faisaient de leurs propres enfants. L'Aide sociale n'intervient pas au moment du mariage pour em~cher des couples à la moralité dou­teuse de se marier, ou pour étudier si ceux-ci auront le droit de se marier, faute de savoir s'ils élèveront convenablement leurs enfants!

Une telle politique de prévention exigerait une inquisition into­lérable dans la vie privée des gens. Or, c'est ce que fait l'Aide sociale avec les couples stériles ou désirant adopter des enfants. Cette diffé­rence de traitement illustre combien l'humanisme peut devenir un véritable fléau 4 •

D'un certain point de vue, celui du droit, le fait de naître invo­lontairement dans une famille ou dans une autre, ne donne pas droit à la vie 5 (encadré 6.4). Lorsqu'un enfant naît, les parents ne sont pas dans l'obligation de l'élever. Ils sont dans l'obligation de ne pas attenter à sa vie, ce qui est très différent, car agresser un enfant, c'est violer les droits d'un être humain. Mais ne pas le nourrir, le loger ou bien l'éduquer, ce n'est pas violer les droits d'un être humain, c'est simplement ne pas respecter un contrat de gardiennage et de formation accepté volontairement. Mais personne ne peut obliger quelq,u'un à accepter involontairement un tel engagement. L'enfant, comme n'importe quel autre humain, ne peut exiger d'un individu fût-ce l'un de ses parents, un droit à être hébergé, nourri et éduqué; les mères célibataires et les parents aban,donnant leurs enfants devraient (à l'image de l'ex-conjoint divorcé qui ne paie pas sa pen­sion alimentaire), n'ont pas à être mis en prison ou en demeure

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d'assurer leur entretien et éducation. On remarquera l'incohérence de la loi ou du législateur qui punit les parents abandonnant leurs enfants, pourchasse sévèrement le divorcé débiteur défaillant, refu­sant d'entretenir ex-femme et enfants et donne à la femme le droit unilatéral d'avorter, c'est-à-dire de tuer un être humain potentiel si cela lui chante!

6.4 - LE PROBLEME DE L'AVORTEMENT

La légalisation de l'avortement est un sujet particulièrement brûlant. Ceux qui s'y opposent assimilent le fœtus à une personne humaine. Ils soulignent que toute atteinte à son intégrité physique doit être traitée de la même manière que pour tous les autres êtres humains. L'avortement (180000 en 1981) est un meurtre à l'image de l'infanticide (à la même date le Ministère de la Justice enregistrait 1 846 homicides et 58 infanticides) et doit être sanctionné comme tel par les tribunaux.

Or, la Loi admet l'infanticide tant que l'enfant est encore au sein de sa mère et le refuse autrement. Comme le souligne Cannon, ou bien on admet l'avortement et l'infanti­cide, ou bien on les rejette tous les deux.

Le refus de légaliser l'avortement repose sur deux idées: 1) Le fœtus est un être humain; 2) Chaque humain a un droit à la vie qui est inaliénable. Le fœtus est·il un être humain? Il n'est pas conscient, n'a pas d'autonomie, dépend

d'autrui pour sa survie, et ne peut exprimer son droit de vivre par une pétition. Mais les handicapés mentaux ne revendiquent pas le droit de vivre et ne sont pas autonomes. Les malades hospitalisés dans le coma sont inconscients et dépendent d'autrui pour survivre. Ils sont cependant considérés comme des êtres humains. A partir de quand est-on vraiment un individu? Trois mois aprés la conception, comme la lei le suggère en interdisant l'avorte­ment après cette date? A dix-huit ans, âge auquel un humain a le droit de voter? Ce débat est ontologique. Si le fœtus n'est pas un humain, il reçoit le traitement accordé aux espèces non humaines. Les animaux ont-ils des droits?

Partons d'une prémisse simple pour ne pas entrer dans ce débat. Le fœtus dès sa conception est un être humain. Il suffit alors pour admettre le principe de l'avortement de récuser le second point: un droit à n'est pas un droit (voir Thomson et Block). En effet, un droit à la vie, cela veut dire assurer à l'enfant un minimum pour vivre. Si personne ne veut venir en aide à un enfant, de quel droit peut-on obliger quelqu'un à assurer ce minimum? Si on le fait, cette personne n'aura plus la liberté de disposer d'elle-même comme bon lui semble. Imaginez que pour vivre et guérir d'une maladie mortelle, vous ayiez besoin comme le dit Thomson « de la main frai che de Henri Fonda sur 'votre' front enfiévré »_ Si Henri Fonda se déplace, ce sera gentil de sa part, mais vous n'avez aucun droit d'exiger qu'il vienne. Peut-on avoir le droit dB vivre au dépens du corps de quelqu'un d'autre sans son consentement? Ce que l'on n'accepte pas des adultes, pourquoi l'accepter pour le fœtus?

La femme donne l'hospitalité il un être humain pendant un certain nombre de mois. Elle peut refuser à tout moment de l'avoir comme invité. Elle est propriétaire de son corps humain et exerce ce droit en refusant unilatéralement de prolonger une relation avec la personne à qui elle donne l'hospitalité. L'enfant ne peut avoir droit de vivre aux dépens de sa mère sans son consentement. Quand l'enfant est né, il ne vit plus au dépens de sa mère. Il a donc le droit de vivre et l'infanticide est interdit. Le fœtus est considéré comme une personne humaine et reçoit le traitement que l'on accorde habituellement à celles-ci.

L'avortement est un droit de légitime défense contre quelqu'un qui a envahi involon­tairement votre propriété et qui devient un invité indésirable.

Naturellement comme l'enfant n'a pas de droit à vivre au dépens de quelqu'un, sa mère peut légitimement l'abandonner et il peut mourir, faute de soins si personne n'accepte de s'en occuper.

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Cene position est celle des Libertariens. Vu sous cet angle, les contradictions du légis­lateur sont flagrantes. Le droit de légitime défense n'autorise pas à tuer de dos un voleur que vous avez surpris dans votre propriété. Mais l'avortement autorise l'acte de tuer un être humain qui envahit involontairement la propriété d'autrui (même si l'enfant est conçu à la suite d'un viol, on ne peut lui imputer l'agression contre le corps de la femme). Par ailleurs, l'abandon d'enfant est sanctionné par la loi puisque les parents ont une obligation alimen­taire à l'égard de leurs enfants et sont mis en prison s'ils ne la respectent pas.

L'avortement peut donc être justifié même si le fœtus est considéré comme une pero sonne humaine à part entière.

Cette thèse repose sur le droit de propriété que chacun revendique sur son propre corps. Beaucoup de lecteurs ne l'accepteront pas. Mais la refuser, c'est aussi admenre impli­citement que l'individu n'est pas propriétaire de son corps avec toutes les conséquences attendues de cette absence de droit de propriété sur soi sur les libertés personnelles.

Pour certains, Dieu est le propriétaire du corps humain de chaque individu, pour d'autres, c'est l'Etat. Dieu (ou l'Etat) délègue à chacun d'entre nous un droit sur son corps, le temps d'une vie. Ce droit, il peut le reprendre à tout moment. Le fœtus, qui est un être humain, est la propriété de Dieu. S'il vient au monde par l'intermédiaire du corps d'une femme dont elle-même n'est pas propriétaire, elle ne peut revendiquer de propriété sur les fruits de son corps. Le fœtus ne peut donc être tué sans attenter à la propriété de Dieu 1 L'avortement est interdit 1

Prenons une autre variante de cette position. Même si la femme est propriétaire de son corps humain et de ses fruits: a-t-elle une autorité sans borne sur ses enfants 7 a-t-elle le droit de les tuer? La réponse est négative. La discussion de Locke et de Filmer à propos du pou­voir lIbsolu du père (ou des parents) sur les enfants, illustre ce point. Filmer justifiait la Monarchie par comparaison à la famille et Locke critiquait ce pouvoir absolu du père sur sa femme ou sur ses enfants en ces termes :

« Si l'être humain est indépendant de 'Dieu', il est un Dieu pour lui-même et la satis­faction de sa propre volonté sera la seule mesure et la seule fin de ses actions)) (cité par J. Tully).

En réalité, au-dessus de l'être humain existe des «lois naturelles)) qui permettent l'inter­action sociale (ces lois émergent de l'ordre spontané de la vie en société et peuvent exister sans avoir besoin d'être attribuées à Dieu). Elles ont la vertu majeure de limiter toute utili­sation abusive de notre liberté ou de notre droit de propriété. Or, une des lois naturelles fondamentales évoquées par Locke est :

« Préserver sa propre vie et, si on ne met pas celle-ci en danger, de préserver celle des autres. (La Loi elle-même approuve cette idée puisqu'elle sanctionne la non-assistance à personne en danger.)

S'il existe une méthode qui permet d'expulser le fœtus indésirable sans lui créer de dommage, le tuer serait un infanticide (voir aussi Block). Or, justement il existe une possi­bilité d'expulser le fœtus sans le tuer ou 1 ui créer des lésions irréversibles: c'est, faute de pouvoir transplanter actuellement le fœtus chez une mère porteuse, attendre sa naissance et ensuite l'abandonner. Toutes les femmes qui avortent sont coupables de ne pas oser braver la loi ou le « quand dira-t-on)) qui leur fait obligation de ne pas abandonner leur enfant pour respecter une loi plus fondamentale (( naturelle)) 7) qui s'impose à tous, législateur compris: celle de préserver la vie de tout être humain quand la sienne n'est pas en danger. Pour ne pas utiliser cette méthode naturelle, il faudrait justifier que la grossesse ou l'accouchement entraînerait la mort de la mère elle-même; propriétaire de son corps elle préserve sa vie et ne se sacrifie que si elle le désire. L'avortement ne serait toléré que dans ce cas extrême.

Nous ne prétendons pas ici proposer de solution. Nous croyons fermement que chacun est propriétaire de son corps et que l'enfant est propriétaire du sien. Nous n'avons donc aucun droit de l'agresser. En revanche, il n'a pas le droit de vivre à nos dépens. Avortement et abandon sont donc légitimes. Mais, et c'est sur ce point que nous voulons insister, la possibilité de vendre le droit d'élever un enfant à quelqu'un d'autre, constitue pour les femmes qui ne désirent pas mettre au monde l'enfant qu'elles portent, une incitation à ne pas avorter et donc à préserver la vie d'autrui (si la grossesse ne met pas en danger la vie de la mère). La femme conserve son droit de propriété légitime sur elle-même. Elle a le droit

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d'expulser l'enfant non désiré à tout moment. C'est à la famille (ou un intermédiaire spécia· lisé) désirant un enfant d'acheter ce droit de l'élever à une femme prête à avorter à un prix suffisamment haut pour l'inciter à renoncer à sa décision. Le droit de vendre un enfant n'est pas plus immoral que le droit de le tuer comme le législateur veut nous le faire croire.

Se reporter à Cannon D., « Abortion and Infanticide: Is There a Difference?», Policy Review (6pring), 1985; Block W., «Woman and Fetus: Rights in conflicOl, Rea60n, avril 1978; Filmer R., Patriarcha and others Political Works, éd, P. Laslett, Oxford, Basic Black· weil, 1949; Locke J., Deux Traités du Gouvernement civil, 1 690 éd. de l'An Il de la Répu· blique, 1795; Thomson J .. J., «A defence of Abortion », Phil060phy and Public Affairs, (fall), 1971; Tully J., A Di6Course on Property, Cambridge, Cambridge University Press; Rothbard M., The EthiC6 of Liberty, Humanities press, 1982.

Le marché des êtres humains est moralement dégradant

Le commerce d'enfants, s'il est un gain mutuel pour tous, est moralement indéfendable. L'apparition d'un marché suscitera des vocations de mères passant leur vie «professionnelle» à procréer des enfants pour les vendre. Elles prostitueront leur corps, non plus pour des services sexuels, mais pour des services de reproduction. Dans les deux cas, la personne autorise quelqu'un d'autre à user de son corps sans éprouver d'amour ou d'affection, mais pour simplement gagner de l'argent. Un tel raisonnement est naturellement dangereux. Il dépend d'abord de la technologie (si la possibilité de faire un enfant en utilisant une machine était dans le domaine du réalisable, un tel problème ne se poserait pas) et ensuite il n'est pas particulier au commerce d'enfants. Lorsqu'on loue son temps et son talent à quelqu'un d'autre, on fait exactement la même chose. On admet moralement qu'un chanteur loue ses services pour la représentation d'un opéra alors que prostituer son corps pour le plaisir sexuel ou pour procréer un enfant en vue d'une adoption reste répréhensible. Or, le chanteur d'opéra qui n'aime pas particulièrement les airs qu'il va chanter, le fait pour gagner de l'argent afm de vivre. De la même manière, la femme qui procrée un enfant pour un autre couple en contrepartie d'un paiement, le fait sans amour et pour gagner sa vie. Le chanteur d'opéra comme la femme qui se prostitue, fmissent par voir dans le chant ou l'amour un moyen de gagner de l'argent. Ils ne sont plus capables de chanter véritablement pour le plaisir ou d'avoir des relations sexuelles ou des enfants par amour. Or, l'amour comme le chant pour le plaisir, auront un coût d'opportunité tendant à faire disparaître le don de soi, comportement d'une rare valeur et

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pourtant sans prix. Le marché des enfants pousse ainsi les familles à concevoir les enfants comme des objets d'échange et non pas comme des êtres humains dont la valeur intrinsèque est infinie.

Heureusement qu'il en est ainsi. Car les tenants de cette argumenta­tion font preuve tout d'un coup d'une cécité étonnante. En critiquant l'offre d'enfants, ils en oublient la demande. C'est parce que des cou­ples attachent une grande valeur aux joies d'élever un enfant, donc une grande valeur aux êtres humains, qu'ils cherchent à s'en procurer faute de pouvoir les procréer eux-mêmes. Les amateurs d'opéra sont dans le même cas. Ils attachent une grande valeur aux moments passés à écouter ces chants, mais faute de savoir eux-mêmes les chanter, ils demandent à d'autres de leur fournir ce plaisir. Or, il est heureux que ceux qui fournissent ces services ne s'intéressent qu'aux aspects monétaires du service qu'ils offrent. Sinon au bout d'un certain temps le service rendu ne correspondrait pas à la demande.

En proposant, comme le font certains économistes ou philoso­phes, un marché libre des droits à élever les enfants, nous voulons modifier chez le lecteur son point de vue sur le droit de la famille et sur le statut moral et juridique des enfants. La plupart des objec­tions faites à la déréglementation de ce marché sont sans fondements sérieux. Elles sont mêmes coûteuses car on oublie l'envers de la médaille: meilleure égalité des chances, plus besoin d'avorter, satis­faction des couples stériles qui n'auront plus à passer de nombreuses années à contourner la loi et satisfaction des couples qui s'efforcent en vain de procréer leurs propres enfants par des méthodes coûteuses de fécondité artificielle sur le dos du contribuable.

Pourquoi cette réglementation produisant plus d'inconvénients que de bénéfices ne disparaît-elle pas d'elle-même? Un éoonomiste entraîné à la compréhension des choix publics ne saurait s'en éton­ner. Il existe des groupes de pression organisés qui s'opposent à toute amélioration de la réglementation ou de la loi. Celui qui est le plus opposé à une libéralisation du marché de l'adoption est forcément l'Aid~ sociale qui a, avec les Œuvres privées et agréées, le monopole du placement familial et de l'attribution des enfants en vue d'une adoption. En revanche, les bénéficiaires d'une liberté plus grande sont les parents, les enfants non nés, les enfants placés dans des insti­tutions mais non adoptés, les contribuables et les adoptants. Ces derniers ont les intérêts les plus concentrés pour s'opposer à la légis­lation mais ils sont peu nombreux et dispersés dans l'espace comme dans le temps. Ils sont donc sans pouvoir politique.

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Le déclin de la fécondité

«Les femelles des animaux ont à peu près une fécondité cons­tante. Mais dans l'espèce humaine,la manière de penser, le carac­tère les passions, les fantaisies, les caprices, l'idée de conserver sa beauté, l'embarras de la grossesse, celui d'une famille trop nombreuse, troublent la propagation de mille manières. »

MONTESQUIEU,

De l'esprit des lois, livr. z3, chap. 1 0r•

Généralement, une famille achète une voiture parce qu'elle en attend des services. Fait-elle des enfants dans le même esprit? Quels services sont-ils susceptibles d'offrir à leurs parents? Les enfants sont d'une certaine façon des compagnons avec lesquels on peut discuter, jouer et échanger de l'affection. Leur existence permet d'envisager une vieillesse moins isolée et 1 ou d'assurer un revenu futur pendant cette période d'inactivité. Ils offrent aussi une possi­bilité de prolongation post-mortem par transmission d'un patrimoine génétique (capacité physique, intellectuelle ... ), humain (croyances, valeurs, compétences ... ) et naturellement financier (fortune mobi­lière ou immobilière). Ils peuvent aussi fournir une aide précieuse dans les tâches domestiques, ou être des travailleurs d'appoint dans l'entreprise familiale. A l'image de l'épouse ces services rendus par les enfants peuvent être obtenus plus ou moins imparfaitement sur le marché. Les pensions de retraite ou un capital produisant des revenus sont des moyens plus sûr d'assurer des revenus pendant la vieillesse. Les enfants ne sont pas facilement contrôlables et peu­vent vivre loin de leurs parents. En revanche, on ne trouve pas sur le marché de bons substituts à l'affection et à l'immortalité. Vous

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pouvez vous prolonger au-delà de la mort en devenant un écrivain célèbre, un chanteur dont on passera les «clips vidéo» à la télé­vision ou une vedette de cinéma qui, pendant des générations aura des fans. Vous pouvez même devenir un immortel en accédant à une académie. Artiste ou écrivain, vous pouvez produire des revenus après votre mort grâce à vos droits d'auteurs. Vous préservez plus facile­ment ainsi, pour les générations futures, le souvenir de votre passage sur terre qu'en fabricant votre copie dénaturée avec une femme dont les gènes ne sont pas tous parfaits. Mais, à part ces quelques privilé­giés, les autres personnes doivent se contenter de cette copie qu'ils essaient de façonner à leur propre image ou à celle qu'ils auraient aimé être.

Naturellement les parents n'ont pas des enfants dans le seul but d'en tirer des revenus ou une immortalité. Certains d'entre eux en font aussi par erreur, par imitation, pour remplacer un enfant décédé ou pour reproduire le climat de leur propre enfance dans leur propre foyer, voire pour équilibrer les sexes dans la famille! (encadré 7.1).

7.1· LA PRËFËRENCE POUR L'ËQUILIBRE DES SEXES

Les parents ne sont pas indifférents au sexe de leurs enfants. Ils désirent avoir un garçon et une fille. De façon générale, ils ont une préférence pour un équilibre des sexes entre leurs enfants. Mais cette préférence peut être biaisée. Le père peut préférer des garçons et une fille, en revanche la mère peut préférer des filles et un garçon. Même si l'intérêt porté par les parents au sexe des enfants est une affaire de goût, il ne faut pas oublier les différences de coûts et de rendements attendus, associés à la naissance d'une fille ou d'un garçon. Si les garçons contribuent davantage au revenu familial que les filles, les parents désireront davantage les garçons. Ben Porath et Welch ont testé cet argument et mis à jour une relation entre le nombre d'enfants par famille complète et la préférence pOl,lr une corn· position équilibrée des sexes entre les enfants. Les différences de rendements ou de prix entre un garçon et une fille inclinent à préférer les garçons. Mais, à contrario, le ratio des sexes dans la population ne semble pas être affecté par cette préférence ou par ces diffé­rences de coûts et de rendements. Cette relation entre la fécondité et l'équilibre des sexes n'est pas nouvelle puisque le statisticien Gini l'avait déjà remarqué.

- Ben Porath Y. et Welch F., {( Do Sex Preferences Really Matter ln, Quareterly Jour· nal of Economies, mai 1976.

Les économistes ont l'habitude de ne pas distinguer ces motifs, car tous conduisent au même résultat: celui d'augmenter la satisfac­tion des parents (exception faite des enfants non désirés). Contrai­rement à ce que certains pensent 1, on ne gagne rien à faire une

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différence entre les motifs qui poussent les familles à la procréation. En réalité, les services rendus par les enfants donnent un flux de satisfaction au cours du temps et c'est là le point le plus important. Cette demande d'enfants (ou les services qu'ils rendent) se traduit de deux façons: le nombre d'enfants par famille, et laqua/ité d'un enfant mesurée par son niveau d'instruction ou par celui des inves­tissements faits dans son capital humain 2 .

Il existe cependant deux limitations importantes aux bénéfices retirés des enfants. Contrairement aux services rendus par une voiture ou une maison, le flux de satisfaction attendu est risqué et incertain. Avant la décision d'avoir un enfant, on ne sait rien de lui. Il peut naître avec un bras et deux têtes. Au bout d'un certain nom­bre d'années, il devient autonome et affirme sa volonté, et le droit de l'élever ne peut être vendu à quelqu'un d'autre. Ce qui n'est pas le cas de la maison dans laquelle vous vivez. Elle peut être testée avant d'être achetée, elle peut être revendue si l'on n'est pas satisfait des services qu'elle rend, enfm, elle n'affirme pas sa volonté. Ces caractéristiques atténuent l'intérêt à procréer.

Cependant plus les bénéfices attendus sont élevés, plus les cou­ples seront incités à avoir davantage d'enfants et de meilleure qualité. En fait, les économistes ne se seraient pas intéressés au problème de la natalité si la procréation et l'éducation des enfants n'avaient pas été des activités coûteuses. En prenant la décision d'avoir des enfants, le couple sacrifie des alternatives. C'est ce sacrifice qui fait du service rendu par les enfants un «bien économique». C'est aussi la raison pour laquelle l'économiste s'intéresse à cette production.

En principe un enfant ressemble à un bien durable. Il faut d'abord supporter un coût pour le produire (ou l'acquérir sur un marché). Il faut ensuite l'entretenir, développer ses capacités ou sa productivité. Enfm, il faut décider de la date à laquelle on désire l'avoir et celle à laquelle il faut s'en séparer! Les dépenses supportées pour le mettre au monde ne sont pas négligeables si les parents souhaitent une naissance sans risque pour l'enfant et / ou la mère. Il faut aussi penser aux dépenses d'entretien (nourriture, habillement, soins médicaux, location ou achat d'un appartement plus spacieux etc.), de loisirs et d'éducation. Enfin, il ne faut pas oublier le revenu perdu par le membre de la famille qui consacre son temps à s'en occuper. Les enfants exigent beaucoup d'attention en bas-âge et les dépenses encourues pour payer une tierce personne ou une institu-

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tion qui se substituera aux membres de la famille pour assurer cette tâche ne sont pas négligeables (encadré 7.2). Comme ces dépenses courent sur plusieurs périodes, elles seront actualisées. Le franc dépensé aujourd'hui ne vaut pas le franc dépensé demain, il a un coût d'opportunité: l'intérêt perdu à ne pas le placer sur un marché financier.

7.2 - LE COUT O'UN ENFANT

Bloch et Glaude ont estimé la perte de niveau de vie résultant de la présence de 1. 2 ou 3 enfants à partir de l'enquête Famille de 1979. La présence d'un enfant entraînerait une dépense supplémentaire (pour atteindre le même niveau de vie qu'un ménage sans enfant), de 1860 F par mois. La présence d'un deuxième enfant élève cette dépense à 3420 F par mois, enfin un troisième enfant exigerait une dépense supplémentaire de 5470 F. Le coût d'un enfant supplémentaire est donc croissant. Il est de 1 820, 1 560 et 2050 F pour l, 2 et 3 enfants. Comme le font remarquer les auteurs, cette mesure laisse dans l'ombre l'évalua­tion du temps qu'il leur est consacré. On peut avoir une idée de ce coût en nous reportant è des enquêtes emploi du temps. Nous avons repris l'enquête CNAF-CREDOC de N. Tabard de 1971 et estimé le temps consacrê par la femme aux soins aux enfants en distinguant les familles avec des enfants en bas âge. Si la répartition en temps des activités de la femme n'a pas évolué sensiblement entre 1971 et 1979, c'est le premier enfant qui coûte è la marge le plus, les autres enfants qui suivent coûtent en temps moins cher. Ainsi le coût marginal d'un enfant en fonction du nombre d'enfants a la forme d'une courbe qui est légèrement en U avec un minimum au niveau de deux enfants!

- Bloch L. et Glaude M., «Une approche du coût de l'enfant», Economie et Statis­tique, 1984.

Le coût monétaire et temporel d'un enfant

Temps 3 Coût Coût

monétaire Coût Coût Nombre en du estimé total marginal d'enfants heures temps par Bloch

par mois en francs et Glaude en francs

1971 1979 2 1979 1979

24,8 365 762 1820 2582 2582 (75,7)1 (523) (1 092) (2912) (2912)

2 42,2 327 687 3420 4107 1525 (83,4) (608 (1 276) (4696) (1784)

3 445 352 739 5470 6209 2102 (81,1) (630) (1323) (6793) (2097)

1. Entre parenthèses, famille avec un enfant en bas âge. 2. Entre 1971 et 1979,Ie prix implicite du PNB a été multiplié par 2,1. 3. Source: Tabard, enquête CNAF-CREDOC, 1971.

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LE DECLIN DE LA FECONDI TE 143

Le coût d'un enfant diverge selon le coût du temps des membres de la famille et selon leurs préférences pour le temps.

En rappelant que les dépenses consécutives à la présence d'un enfant ne sont pas nulles, nous ne voulons pas nécessairement affrr­mer que toutes les familles mettent en balance les inconvénients et les avantages attendus, et qu'après avoir peser le pour et le contre, se décident à avoir ou non un enfant supplémentaire. Les couples peuvent concevoir un enfant par inadvertance en utilisant une méthode contraceptive peu sophistiquée. Les avortements, les infan­ticides et les abandons sont là pour confirmer la naissance d'un bon nombre d'enfants non désirés. Nous pensons simplement qu'une grande partie des couples n'est pas insensible à cet équilibre entre les coûts et les gains espérés d'un enfant supplémentaire. Nous ne voulons pas dire non plus que la décision de procréer des enfants soit une décision similaire à celle de l'achat d'une maison. C'est un choix plus lourd de conséquences, compte tenu de l'incertitude sur les caractéristiques futures de l'enfant et de l'impossibilité de le revendre. La présence d'un enfant devient vite irréversible. Le choix d'une naissance supplémentaire prend alors une dimension d~ffé­rente de celui auquel l'économiste est accoutumé pour les biens ou services courants: l'erreur est extrêmement coûteuse. Une fois ces précautions prises, on peut expliquer aisément comment se déter­mine le nombre d'enfants par famille complète et la baisse drastique de la natalité observée depuis un ou deux siècles.

Reportons-nous au graphique 7.1. Sur l'axe horizontal, on porte le nombre d'enfants dans la communauté et sur l'axe vertical, les coûts et bénéfices attendus d'un enfant supplémentaire d'une qualité donnée. Une fraction ON° des enfants est produite par inadvertance ou sous des impulsions irraisonnées. En revanche, à partir de N° le nombre d'enfants par famille est sensible aux gains et aux coûts. Pour simplifier, posons le coût d'un enfant supplémentaire constant et les bénéfices attendus décroissant avec le nombre d'enfants dans la famille.

Trois raisons fondamentales vont expliquer la diminution du nombre d'enfants par famille complète et du nombre d'enfants dans la société, c'est-à-dire le déclin démographique: - une chute de la demande ou une disparition des bénéfices; - une hausse des coûts; - une baisse du nombre d'enfants produits par erreur.

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144 LE MARCHf DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

CM,GM

o

Graphique 7.1· LA DËTERMINATION DU NOMBRE D'ENFANTS PAR FAMILLE

CMlOo)

N

La droite GM (00) représente le gain attendu d'un enfant supplémentaire et CM (00) [e coût perçu de cet enfant, De No à N' les gains attendus excèdent les coûts perçus, Les familles sont incitées à avoir un enfant supplémentaire. Ces gains et ces coûts sont estimés pour une qualité, 00, donnée de chaque enfant. Une qualité 00 plus élevée augmente les gains et les coûts et déplace les courbes de gains vers la droite et celles des coûts vers la gauche.

Les facteurs de la demallde

La demande de n'importe quel bien économique varie positive­ment avec une hausse du revenu de l'individu, une hausse du prix des substituts, une hausse des bénéfices attendus et un goût prononcé pour le bien considéré.

Beaucoup d'économistes et de démographes ont mis l'accent sur la disparition des bénéfices tirés d'un grand nombre d'enfants par famille sans prendre conscience de l'origine exacte de celle-ci. On peut, certains le font 3 , insister sur l'apparition de substituts aux ser­vices rendus par les enfants, tel le changement intervenu en matière de protection des anciens. Le marché permet d'offrir cette protection sous une forme d'assurance vieillesse dont le coût est plus faible.

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LE DECLIN DE LA FECONDITE 145

Ce substitut apparu sur le marché, permet de produire le même service à un prix plus faible et diminue la demande d'enfants. Cette baisse est accentuée par l'intervention de l'Etat qui, artificiellement, permet aux couples d'obtenir cette assurance à un coût dérisoire­ment bas. Les bénéfices procurés par les enfants en matière de pro­tection n'ont pas disparu; en revanche, la présence de substituts moins onéreux rend inutile d'avoir des enfants dans ce seul but.

La disparition progressive des droits de propriété sur les enfants ou sur ceux qui les produisent, annule ou . rend plus incertain les bénéfices attendus. Certains de ces droits disparaissent spontané­ment, d'autres, en revanche, sont artificiellement introduits dans la législation pour satisfaire des intérêts privés. Prenons les droits de l'homme sur le corps de son épouse ou sur son épouse elle-même. Si la législation facilite le divorce et offre à la femme l'opportunité de s'approprier les enfants, ou si la loi autorise la femme à avorter à l'insu de son mari, pourquoi l'époux désirerait-il un grand nombre d'enfants? Si la femme seule bénéficie de ressources suffisantes grâce à un métier ou à des subventions étatiques pour élever un enfant et satisfaire avec lui ses désirs d'affection et d'immortalité, à quoi cela peut-il bien servir de s'embarrasser d'un homme et d'être obligé d'avoir deux, trois ou quatre enfants de lui? Si par ailleurs les enfants sont libres aux âges les plus jeunes d'affirmer leur indépen­dance et leur volonté, en quoi leur compagnie devient-elle inté­ressante (l'affection, nous l'avons déjà écrit, exige des investissements longs et exclusifs sur des personnes bien identifiées)? Dans un cas comme dans l'autre, faute d'un réel contrôle sur les investissements en capital humain, les hommes et les femmes n'ont plus d'intérêts réels à investir dans les enfants.

La probabilité plus forte, aujourd'hui, de divorcer, la protection juridique et sociale accordée à la cohabitation, aux divorcés ou aux familles monoparentales, diminuent très directement les bénéfices attendus d'une naissance supplémentaire. En facilitant le divorce, elles augmentent la probabilité de rompre le mariage et incitent les couples à réduire le nombre désiré d'enfants pour s'autoprotéger contre ce risque. En assurant un niveau de vie presqu'identique au célibataire, au cohabitant et au divorcé avec un ou deux enfants, elles incitent les couples à ne pas en avoir davantage pour bénéficier de cette assurance.

Reportons-nous aux lois sur le travail. L'interdiction faite aux

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146 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

enfants de travailler, la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans et enfm l'impossibilité pour les parents de percevoir les bénéfices de l'activité des enfants mineurs réduit à néant l'intérêt d'avoir des enfants pour en tirer un revenu.

Allons plus loin. Les lois qui imposent une absence de discrimi­nation entre les sexes rendent sans intérêt des familles de sexe équi­libré. Si vos filles peuvent être dans la vie comme des garçons (repren­dre votre nom de famille, exercer votre métier, etc.), pourquoi avoir un enfant supplémentaire dans l'espérance d'un garçon?

Nous venons d'insister sur le prix des substituts ou sur les bénéfi­ces attendus mais naturellement les goûts peuvent évoluer.

La disparition des croyances et pratiques religieuses fait de la famille nombreuse un modèle à ne plus imiter. Le nombre de plus en plus faible de familles nombreuses réduit l'expérience si enrichissante d'une communauté familiale où frères et sœurs se chamaillent et se soutiennent. Le goût pour reproduire un foyer familial ressemblant à celui vécu aux âges tendres disparaît, faute d'être expérimenté.

La hausse du revenu déplace la demande vers la droite et aug­mente le nombre d'enfants d'une qualité donnée. L'accroissement de la richesse devrait donc conduire à un nombre d'enfants plus élevé par famille complète. Une hausse du revenu incite les hommes à se marier plus tôt et à moins pratiquer l'abstinence tandis que le taux de mortalité infantile diminue. Mais, cette prédiction a été contredite par les faits. On observe, au contraire, une diminution de la fécondité avec la croissance du revenu. Les enfants, dans le langage ici particulièrement malheureux de l'économiste, seraient des «biens inférieurs». Ce paradoxe a reçu plusieurs explications dont il n'y a pas lieu de débattre ici 4. Mais on peut rappeler la chose suivante pour bien situer ce paradoxe. Les dépenses effectuées pour les enfants sont assimilables à celles faites pour l'achat de biens dura­bles. Avoir quatre frigidaires dans la maison est encombrant et inu­tile. Il est préférable d'avoir un frigidaire d'une capacité plus grande combinée avec un congélateur. Plus le revenu est élevé, plus les familles désirent des biens d'équipement de meilleure qualité. Les familles à revenu élevé entendent dépenser davantage pour leurs enfants dans le but de maintenir ou d'accroître d'une génération à l'autre le niveau de vie déjà atteint. Ces dép~nses peuvent prendre la forme d'investissement dans le capital humain des enfants ou la forme de transferts de dons ou de dotation à l'héritage ou au mariage.

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LE DECLIN DE LA FecONDITE 147

Pour une richesse donnée, un arbitrage apparaît entre le montant de ces transferts pour assurer à chaque enfant le même niveau de vie que celui des parents, et le nombre d'enfants. C'est l'interaction entre la qualité et la quantité d'un bien. On peut naturellement contester l'idée que les dépenses affectées aux enfants soient condi­tionnées par le désir de maintenir ou d'accroître le statut social de la famille d'une génération à l'autre. Les dépenses par enfant résulte­raient d'une pression sociale ou d'un désir de maintenir le rang social non pas entre les générations, mais par rapport aux amis ou aux relations sociales de la famille elle-même; les dépenses affectées aux enfants étant liées au statut social de la famille, celle-ci se sentirait obligée de consacrer aux enfants Ujle fraction de son revenu d'autant plus élevée qu'elle est riche. Mais quelle que soit l'explication, la contrainte de revenu imposerait un nombre d'enfants plus faible. En conséquence, une préférence marquée pour un enfant de meil­leure qualité incite les familles, lorsque le revenu croît, à désirer une qualité supérieure au détriment du nombre. La courbe de demande se déplace alors vers la gauche, contrecarrant le déplace­ment vers la droite qui résulte de l'effet revenu (l'interaction qualité­quantité interdit à la famille pour une qualité supérieure, d'atteindre le même nombre d'enfant).

Les facteurs de l'offre

Une hausse des coûts est l'argument privilégié par les écono­mistes. En particulier, celle du coût d'opportunité du temps qui façonne tant notre mode de vie contemporain. Dans le coût d'un enfant, nous devons distinguer les dépenses de procréation, de main­tenance, d'éducation et les coûts d'opportunité associés au temps passé avec eux pour les produire et les élever correctement. Or, ce coût d'opportunité est représenté très souvent par le revenu perdu du membre de la famille qui y consacrerait son temps, c'est-à-dire par le revenu de l'épouse qui est habituellement le plus faible 5 •

L'attrait de cette explication réside non seulement dans l'obser­vation d'une baisse de l'activité des femmes mariées avec le nombre croissant d'enfants par famille, mais aussi dans la différenciation de ce coût selon le profil de cette femme.· Si son niveau de formation scolaire est très élevé, elle sacrifie plus de revenu qu'une autre et désire donc un nombre d'enfants plus faible que la moyenne. La

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148 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

hausse du taux de salaire sur le marché du travail permet aussi d'aug­menter le revenu de la famille. La hausse du coût du temps entraîne un effet revenu qui déplace la demande vers la droite, incitant les couples à avoir plus d'enfants (ou vers la gauche si cet effet revenu les incite à avoir des enfants de meilleure qualité). Cet effet revenu contrecarre (ou amplifie) l'impact d'un accroissement du coût de l'enfant (en réalité il est plus complexe encore lorsque l'arbitrage qualité-quantité est introduit) (encadré 7.3).

7.3· L'INTERACTION OUALlTJ:-OUANTlTJ:

L'interprétation des biens inférieurs par les économistes renvoit principalement aux différentes variétés d'un même bien, c'est-à-dire à l'interaction entre la qualité d'un bien et sa quantité. La qualité d'un enfant est mesurée d'une façon générale par son niveau d'instruction qui sera un bon prédicteur de son statut social li l'âge adulte. Comme il est difficile, à partir d'un certain revenu, d'assurer à chaque enfant un niveau de vie égal ou supérieur li celui des parents lorsqu'il est adulte, le couple doit arbitrer entre un plus grand nombre d'enfants sans être certain de pouvoir assurer à chacun un niveau de vie identique au leur et avoir moins d'enfants, mais espérer maintenir ou accroître leurs niveaux de vie. La contrainte de budget de la famille s'écrit alors de la façon suivante:

(p.O).N + w.L = 1 Où p mesure les coûts monétaire et temporel consécutifs à la présence d'un enfant

supplémentaire, où 0 mesure la qualité d'un enfant, c'est-à-dire son niveau d'instruction attendu, N est le nombre d'enfants par famille complète, L mesure l'ensemble des activités autres que le travail salarié, west le taux de salaire offert sur le marché et 1 mesure le revenu de plein temps, c'est-à-dire le revenu maximum que la famille peut obtenir sur le marché si elle consacre tout le temps dont elle dispose au travail salarié.

Le prix implicite (p.O) d'un enfant ne dépend pas uniquement des coûts temporel et monétaire. il dépend aussi de la qualité de l'enfant. Plus l'on désire un enfant de grande qualité, plus le prix implicite de l'enfant sera élevé. De la même manière, plus le nombre d'enfants est élevé, plus cela coûte à la famille de leur assurer une qualité identique 1 C'est cette nouvelle dimension (la qualité d'un enfant) qui permet d'expliquer la baisse du nombre d'enfants par famille complète et la hausse simultanée des dépenses faites par les parents dans l'éducation de leurs enfants. La contrainte de budget li la particularité d'être non pas linéaire, mais convexe dans l'espace qualité-quantité du graphique 7.2. Les effets revenus et prix diffèrent sensiblement de ce qui est habituel comme l'a démontré Willis. Une hausse du revenu déplace parallèlement à elle-même la contrainte de budget. Si maintenant les familles préfèrent un enfant de bonne qualité à un enfant de moins bonne qualité, quand le revenu augmente, ils choisiront d'accroître plutôt la qualité que le nombre d'enfants. Mais ce choix modifie le prix relatif d'un enfant car la famille exige maintenant une qualité plus grande par enfant. En conséquence le coût d'un enfant supplémentaire, à qualité constante, s'élève et le nombre désiré d'enfant diminue 1 De la même manière, l'effet substitution est inhabituel. En effet, les coûtli marginaux de la qualité et de la quantité d'enfants ne peuvent varier indépendamment l'un de l'autre. La hausse du prix d'un enfant en termes de coûts monétaires ou temporels diminue le nombre désiré d'enfants par famille. Comme celui-ci baisse, le prix de la qualité par enfant se réduit, incitant les familles à investir dans la qualité par enfant. Comme la qualité par enfant augmente, le prix relatif de la quantité d'enfants par famille s'élève, incitant les parents à réduire encore davantage le nombre désirés d'enfants.

- Becker G. et Lewis G., « On the Interaction between the Ouantity and Ouality of Children», Journal of Political Economy, mars 1973. Willis R., «Economie Theory of Fretility Behavior», dans Economies of rhtl Family, op. cir., 1973.

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LE D1~CLIN DE LA FECONDI'Œ

Q

Niveau d'instruction

149

Cl

Nombre d' enfants

Graphique 7.2 - INTERACTION QUANTITË-QUALITË, PRËFËRENCE POUR LA QUALITË ET EFFET REVENU

Une hausse du revenu augmente la demande de services rendus par les enfants. La contrainte de budget passe de Co en Cl. Si les préférences étaient homothétiques, l'équili­bre serait en b. Les familles auraient plus d'enfants, chacun de meilleure qualité_ Mais s'ils révèlent une préférence pour la qualité, ils auront proportionnellement moins d'enfants (point Cl. En ce point C, on obtient la combinaison qualité-quantité d'enfants pour laquelle le coût relatif d'un enfant a été maintenu artificiellement constant. Mais la hausse de la qua­lité modifie le prix relatif du nombre d'enfants et incite les familles è réduire ce nombre au profit d'une meilleure qualité. L'effet final conduit è la combinaison qualité-quantité: d. En ce point, le nombre d'enfants diminue et la qualité augmente. Même si les gens, après une hausse de revenu, désirent plus d'enfants de meilleure qualité, l'interaction qualité­quantité amène une relation négative entre revenus et nombre d'enfants.

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ISO LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Il existe d'autres coûts comme ceux liés à l'accès au marché du travail qui influencent directement le nombre d'enfants par famille. Si la femme peut travailler à son domicile ou dans l'entreprise familiale tout en ayant la possibilité de surveiller l'éducation des enfants, le coût d'opportunité du temps ne joue plus son rôle de frein car il n'est nul besoin pour gagner ce revenu de payer quelqu'un d'autre afin de garder et élever les enfants. Les femmes d'agricul­teurs font donc plus d'enfants en moyenne que les autres femmes. La rentabilité de l'enfant est plus élevée à la campagne et le coût d'opportunité du temps y est nul!

La présence de crèches et même d'une scolarisation dès l'âge de trois ans, ne permet pas totalement d'éliminer ces dépenses. Il faut, en effet, pouvoir s'accommoder des horaires de ces institutions en allant chercher ou faire chercher les enfants à des heures précises. Le mercredi comme le samedi, il faut prévoir des solutions de rechange. Enfrn les services rendus par l'école comme par les crèches, ne s'obtiennent pas gratuitement même si elles sont largement subventionnées!

L'absence de contrôle des naissances

La rationalité des couples en matière de fécondité est l'hypo­thèse favorite des économistes, mais elle est en même temps la plus contestée, non seulement par les tenants d'autres disciplines, ce qui va de soi puisque cette hypothèse ne fonde pas leur raisonnement, mais aussi par certains économistes eux-mêmes qui l'admettent pour acheter une maison, mais la refuse quand il s'agit d'avoir des enfants. Or, à l'appui de cette contestation, est avancé: le nombre d'enfants non désirés et ses conséquences immédiates: avortements, abandons et parfois crimes ... Ces attitudes jettent un doute sur le fondement d'une telle hypothèse. Mais, la pratique de la contraception qui existe depuis les temps les plus anciens, montre que les couples s'efforcent de maîtriser leur fécondité et donc sont sensibles au coût d'un enfant non désiré. Non seulement l'hypothèse de rationalité n'interdit pas l'erreur, mais elle permet d'expliquer le pourquoi d'erreurs systématiques ou proportionnellement plus nombreuses, dans certaines catégories de population.

Ne pas maîtriser le processus de fécondité par une méthode

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LE DECLIN DE LA FECONDITE 151

efficace de contraception ne se fait pas sans un inconvénient de taille: celui d'avoir un enfant non désiré. Or, si un enfant coûte en argent et en temps, commettre une erreur de fécondité, c'est suppor­ter une dépense inattendue. Plus celle-ci est élevée, plus le coût de l'erreur augmente et plus les couples seront attentifs. Les corrélations positives entre le revenu, le niveau d'éducation de la personne et l'utilisation de méthodes contraceptives efficaces confortent cette idée. En effet, la hausse du revenu salarial (ou du niveau d'éduca­tion qui est étroitement corrélé au revenu salarial) accroît le coût d'un enfant. En conséquence, le coût d'opportunité de ne pas maî­triser sa fécondité croît avec le revenu ou le niveau d'éducation. La pilule et les possibilités d'avortement permettent aux couples pour lesquels une naissance non désirée est coûteuse de diminuer le nombre d'enfants non désirés. En revanche, elles n'affectent pas le comportement de ceux pour lesquels le coût d'une erreur est négli­geable. C'est ce qui explique l'existence continue d'enfants aban­donnés, tués ou avortés en dépit des moyens contraceptifs efficaces à 99 % et des campagnes de publicité gouvernementale (encadré 7.4).

7.4 - LES MÉTHODES CONTRACEPTIVES MODERNES

Les méthodes modernes de contraception sont représentées par le stérilet et la pilule. Les méthodes anciennes vont de l'abstinence périodique à l'usage du diaphragme, des préser­vatifs ou des spermicides, du retrait ou de la douche intra-utérine. L'utilisation de ces diffé­rentes méthodes divergent-elles selon la pratique religieuse, le niveau d'éducation, la région ou l'activité professionnelle de l'épouse et la catégorie socioprofessionnelle du mari 7

Les méthodes contraceptives modernes devraient se diffuser d'abord chez les couples où, pour la femme, élever un enfant coûte cher - c'est-à-dire parmi les femmes les plus instruites et celles qui ont une activité professionnelle. En revanche, elles devraient être moins utilisées dans les catégories de population où élever les enfants, même non désirés, ne coûte rien.

C'est ce que l'on observe. Le profil de la femme n'utilisant pas les méthodes modernes de contraception est très typé. Son niveau d'éducation est bas, elle est mariée à un agricul­teur ou à un salarié agricole, elle est inactive, pratique la religion et vit dans le sud de la France, Ce profil n'est pas celui d'une femme rétrograde mais celui d'une femme ou d'un couple pour lequel le coût d'opportunité d'une erreur dans la régulation des naissances ou d'un enfant non prévu est extrêmement faible. Un bas niveau d'instruction implique un faible coût d'opportunité du temps, une femme au foyer dans une région où les emplois ne courent pas les rues n'a pas d'alternative. La femme d'un agriculteur ou d'un salarié agricole vit à la campagne, travaille dans l'entreprise familiale et n'a pas de coût d'accès au marché du travail. Enfin, pour une femme qui pratique la religion, un enfant même non prévu, ne peut faire que le bonheur du couple. Il est alors rationnel, dans ce cas, de ne pas se préoccuper de méthodes contraceptives à 99 ou 100 % efficaces.

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152 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Espacement des naissances

Les discussions précédentes ont ignoré une question qui, à priori, semble anodine: celle de la date de naissance des enfants. Faut-il les procréer en début de mariage, retarder leur arrivée ou espacer leurs naissances? Si toutes les femmes retardent l'arrivée des enfants aux âges les moins fertiles, la probabilité d'avoir un grand nombre d'enfants diminue. Cette question est donc cruciale.

Les démographes ont pris soin de distinguer le nombre d'enfants par famille complète, c'est-à~ire le nombre d'enfants qu'une femme a pendant ses années de fertilité, du nombre d'enfants à un moment donné. Si élever un enfant nécessite de sacrifier des opportunités de revenus sur le marché du travail ou des opportunités de plaisirs et de loisirs, la date à laquelle la femme va produire les enfants n'est pas indifférente au couple. La décision de retarder d'une année la venue d'un enfant supplémentaire dépend du coût de cet enfant, de la perte d'utilité attendue d'un enfant en retardant cette naissance et de l'effet de ce retard sur le coût d'éducation. Si l'utilité perdue en retardant l'arrivée d'un enfant est la même quelle que soit la date à laquelle on procrée, la décision de retarder la naissance d'une année dépendra uniquement de son coût. Si celui-ci réside dans la perte de revenu attendue en l'élevant, l'intérêt du couple est, d'une part, de concentrer la procréation des enfants désirés dans une période courte et, d'autre part, de les produire à un moment du cycle de vie où ces pertes de revenu sont les plus faibles. Si les espérances de carrière sont nulles, faute de qualification (c'est-à~ire d'investisse­ment dans son propre capital humain), le coût d'opportunité de l'enfant est le revenu présent. Comme ce revenu croît avec l'expé­rience professionnelle, le coût d'un enfant est plus faible à l'âge où cette expérience n'a pas été accumulée, c'est-à~ire jeune. Une année de retard augmente donc le coût de l'enfant. Le couple procrée des enfants plus tôt et sur une période brève. Quand les époux sont engagés dans des investissements en capital humain, (diplôme ou qualification), le coût d'opportunité de l'enfant n'est pas mesuré par le revenu présent, mais par l'ensemble des revenus présents et futurs actualisés que ce diplôme permet d'espérer. L'arrivée d'un enfant fait perdre le revenu présent et l'ensemble des revenus supplé­mentaires espérés. Le coût d'un enfant est donc plus élevé dans la phase d'investissement en capital humain. Le couple repousse alors

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LE D[CLIN DE LA FOCONDltt 153

la conception des enfants. Une fois les investissements incorporés, ils n'ont aucun intérêt à retarder leurs venues ni à les espacer; car ce coût va croître avec l'accumulation d'expériences professionnelles et un profll des revenus croissant avec l'âge. La différence de compor­tement observée en matière de calendrier des naissances' entre les femmes instruites ou non, résulte de cette confrontation des coûts et des gains attendus à chaque âge où la femme est fertile (les fem­mes non qualifiées ont leur premier enfant tôt et espacent la venue des autres, en revanche les femmes instruites concentrent les naissan­ces en retardant celle du premier).

Le déclin démographique ou la transition démographique

La notion de déclin démographique doit être nuancée car l'obser­vation constante des cycles la contredit. Selon les démographes, nos populations font la «transition» entre une société à fort taux de mortalité et fécondité et une société à faible taux de mortalité et fécondité. L'évolution de la population n'a jamais été stationnaire. Les démographes 7 distinguent trois grands types de cycles: - ceux consécutifs aux variations des taux de mortalité avec un taux de fécondité maximum et invariable, ce sont les cycles «primitifs» ou traditionnels; - ceux qu'engendre une diminution plus rapide du taux de mortalité par rapport à la baisse du taux de fécondité, cycles dits «modernes»; - enrm, les cycles résultant des variations du taux de fécondité avec un taux de mortalité minimum et quasi invariable. Ces derniers sont hypothétiques car la preuve de leur existence n'est pas encore faite (la longueur d'un cycle est d'au moins deux ou trois générations).

Paradoxalement le déclin démographique n'est pas un déclin, puisque dans la phase de transition la population augmente. Or, en dehors de cette phase, brève à l'échelle de l'histoire des populations humaines, le lot quotidien est celui d'un régime démographique équilibré avec des fluctuations stables autour du seuil de reproduc­tion de la population. Dans le régime démographique traditionnel un accident climatique (perturbation exogène) peut entraîner, en privant le pays de récoltes une mortalité accrue. Cette hausse transi­toire de la mortalité diminue l'offre de travail dans la population en éliminant les personnes les plus pauvres. L'offre de travail devient

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154 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

rare, les salaires plus élevés, les espérances de gains ou de carrière s'améliorent, la population se marie plus tôt et procrée davantage d'enfants; après un décalage d'une génération le taux de fécondité excède le taux de mortalité correspondant au régime permanent. Cette nouvelle génération, plus abondante sur le marché du travail, reçoit des salaires plus faibles. Elle se marie plus tardivement et procrée moins d'enfants, le taux de fécondité est alors ramené à un taux plus faible que celui du régime permanent. En absence d'autres perturbations et à partir de la troisième génération et celles qui sui­vent, le taux de fécondité revient au niveau de celui qui précédait la perturbation initiale (régime démographique stationnaire). Une géné­ration en excès de celles habituellement observées dans le régime per­manent compense, par un mécanisme autorégulateur sur le marché du travail, la perte transitoire et brutale d'une fraction de la popula­tion. Si cette hausse brutale de la mortalité avait été continue, l'équi­libre aurait été rétabli avec un taux de fécondité plus élevé à chaque génération! Ce mécanisme autorégulateur fonctionne aussi dans l'autre sens. Admettons une baisse de la mortalité consécutive à une série exceptionnelle de bonnes récoltes. La croissance de la popula­tion se traduit par une offre de travail abondante faisant pression à la baisse sur le salaire réel; cela incite les jeunes à retarder le mariage et la fécondité de leur génération. Les jeunes de la génération sui­vante sont des classes creuses. L'offre de travail est plus rare et la fécondité redescend au niveau du régime permanent. Admettons, maintenant, une baisse permanente de la mortalité. L'offre de travail est susceptible d'être abondante à chaque génération et les salaires réels espérés retombent à un niveau de subsistance. Chaque généra­tion anticipant cet effet désire avoir une fécondité plus faible ...

La baisse continue du taux de mortalité n'est pas exogène. Celle-ci a vraisemblablement été la conséquence d'une amélioration permanente des revenus réels. Le revenu réel ou le salaire réel gou­verne à la fois les comportements de mortalité et de fécondité des familles. Dans le régime démographique le changement est en réalité endogène. Ces revenus réels, en hausse à chaque génération, ont été la conséquence des progrès continus des techniques qui ont accru la demande de main-d 'œuvre non qualifiée et permis à la main­d'œuvre marginale de trouver un emploi et des. revenus pour subsis­ter. Dans les premières générations les couples vont se marier plus tôt et avoir davantage d'enfants. D'où la croissance phénoménale de

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LE DtCLIN DE LA FtCONDItt 155

la population dans cette période transitoire, puisque le taux de mor­talité est plus bas et le taux de fécondité plus haut que dans le régime permanent. Mais, comme nous venons de le suggérer, la crois­sance du salaire réel entraîne à terme une hausse du coût d'un enfant supplémentaire. Cette hausse ramène alors le taux de fécondité au niveau du taux de mortalité (plus bas) correspondant au régime permanent (population stationnaire). Cette argumentation est une explication endogène 'de la transition démographique reposant sur l'évolution d'une seule variable: le salaire réel. Elle contraste singu­lièrement avec la liste des facteurs structurels présentée par cer­tains· : la hausse générale du niveau d'éducation, disparition pro­gressive du secteur agricole, déclin des croyances religieuses, urbani­sation, participation accrue des femmes mariées à la force de travail, introduction des moyens contraceptifs modernes, socialisation de la sécurité sociale pour les personnes âgées etc... Cette liste présente deux défauts majeurs. D'une part, elle ne rend pas compte des cycles de fécondité, d'autre part, l'ensemble de ces facteurs ne sont pas indépendants. On pourrait proposer comme explication unique la généralisation massive de la scolarisation. Celle-ci retarde l'âge au mariage, pousse au travail féminin, diminue les croyances religieuses, prépare aux emplois dans les secteurs non agricoles, permet d'utili­ser des techniques de contraception plus efficaces. Mais, si le niveau d'éducation est un bon indicateur du salaire réel attendu au cours du cycle de vie, le «facteur» qui rendrait seul compte de l'évolution de la transition démographique, serait en fin de compte la hausse permanente du revenu réel!

Cette hausse du revenu permanent ne permet pas de rendre compte des cycles de la fécondité. Elle explique la transition d'un régime démographique à un autre. Les économistes ont donc cherché à expliquer les cycles endogènes de la fécondité. Ils ont proposé deux arguments pour en rendre compte. Le premier repose sur un effet de revenu relatif entre les générations \1 , l'autre insiste sur un effet prix et un effet revenu 10.

Les cycles de la fécondité

L'effet revenu est mesuré par le salaire réel du mari; l'effet prix est appréhendé par le salaire réel de l'épouse. Si le temps du mari

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n'est pas utilisé à l'éducation des enfants, son salaire réel affecte directement le revenu familial; en revanche, si l'épouse y consacre la majeure partie de son temps, son salaire réel accroît le coût d'oppor­tunité d'avoir un enfant supplémentaire. (On admet implicitement une différence de salaire potentiel entre l'homme et la femme qui incite l'épouse à se spécialiser dans les tâches domestiques.) Dans les familles où la femme travaille, la hausse du salaire réel accroît le coût d'un enfant. Dans les familles où la femme reste au foyer, la hausse du salaire réel accroît le revenu familial.

Maintenant, considérons une hausse générale des salaires réels dans l'économie. Quand peu de femmes sont employées (le coût d'opportunité du temps consacré aux activités domestiques par rapport au prix des substituts sur le marché ne s'est pas encore accru suffisamment pour inciter les femmes à aller travailler), la hausse du salaire réel en période d'expansion se traduit par une hausse du revenu familial grâce aux gains du mari. Cette hausse a un effet revenu et accroît le taux de fécondité. En revanche, lorsque beau­coup de femmes sont employées, la hausse du salaire réel augmente principalement le coût d'opportunité d'élever un enfant. Elle provo­que un effet substitution. La hausse du salaire réel est alors associée à une baisse de la fécondité. Comme la proportion des femmes au foyer ou actives, dépend de l'évolution du salaire réel offert sur le marché et du prix des substituts, on peut avoir une explication simple des cycles de la fécondité - dans la phase d'expansion du salaire réel, l'effet revenu domine dans un premier temps et incite les familles à procréer; ensuite, l'effet prix à la hausse domine l'effet revenu et pousse à une diminution de la fécondité. Dans la phase de retournement l'effet revenu domine en premier et accentue la baisse de la fécondité; mais plus le coût d'opportunité d'un enfant va diminuer, plus l'effet prix à la baisse dominera et incitera les familles à avoir un plus grand nombre d'enfants. Dans la phase de récession les femmes reviennent au foyer. L'effet prix domine encore jusqu'à ce que la baisse du revenu familial prenne le dessus et provoque une diminution de la fécondité. L'évolution de celle-ci et du salaire réel est à la fois procyclique et contra cyclique.

Cette interprétation fait jouer à l'effet prix un rôle primordial dans les fluctuations de la fécondité, en revanche, l'effet revenu, tel que nous l'avons présenté, a un rôle secondaire. A contrario, l'autre argumentation 9 insiste sur les effets revenus. La fécondité d'un

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couple résulterait de la comparaison entre le revenu souhaité et le revenu effectif attendu lors de l'entrée sur le marché du travail. Le revenu souhaité correspondrait au revenu qui permet d'assurer aux enfants le même niveau de vie que celui expérimenté dans leur jeunesse (hypothèse de stabilisation de la consommation intergéné­rationnelle). Si le revenu des parents excède celui que leurs enfants espèrent, le couple, pour maintenir le même niveau de vie que celui des parents, réduit sa fécondité. Dans le cas inverse, il n'hésitera pas à multiplier les naissances. Partons d'une génération pleine. Elle implique une offre de travail abondante et des revenus attendus plus faibles! Celle-ci réduit sa fécondité pour maintenir son niveau de vie. Vingt ans plus tard les enfants appartiennent alors à une génération creuse. L'offre de travail est raréfiée et les revenus attendus élevés. Il est facile de maintenir le niveau de vie expérimenté par la généra­tion précédente et on multiplie les naissances. La fécondité d'une génération et une fonction croissante du revenu relatif des jeunes sur celui des anciens. Comme le revenu de chaque génération dépend, dans cette théorie, des effectifs de chacune d'entre elles, la fécondité est, de façon ultime, gouvernée par le rapport entre la population des jeunes en âge de se marier et de travailler sur celle des anciens. La forme réduite de ce modèle conduit à expliquer la fécondité actuelle par la fécondité des deux générations qui précèdent.

Allons plus loin dans l'analyse. Peut-on observer un modèle cyclique qui engendre des fluctuations amples se répétant à l'infmi? Un cycle endogène de la fécondité qui s'auto-entretient, et où les effectifs relatifs de chaque génération déterminent non seulement leur fécondité mais aussi l'ensemble de l'équilibre social est tout à fait concevable 11.

En effet, appartenir à une génération creuse est une chance. Au moment d'entrer dans la vie active, la compétition entre les individus sur le marché du travail est faible car les employeurs sont demandeurs. Les chances de promotion professionnelle sont fortes, et les gains attendus au cours du cycle de vie sont élevés. Les consé­quences ne sont pas négligeables sur le marché matrimonial. Le revenu potentiel de l'ensemble des hommes sur le marché du travail s'étant accru, la part de gains que la femme peut obtenir dans le mariage augmente et il est alors avantageux pour un grand nombre d'épouses d'investir dans le mariage en acceptant la division des rôles, c'est-à~ire en restant au foyer. Les femmes étant demandeurs,

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les mariages sont plus nombreux et se concluent plut tôt. Comme les gains attendus du mariage sont plus élevés, la vie du couple est facile et agréable et les divorces sont moins fréquents. Les hommes et les femmes anticipent une vie de couple stable; ils font davantage d'enfants, et le taux de fécondité s'élève. Malheureusement, vingt ans plus tard, leurs enfants appartiennent à une génération pleine. La face des choses change alors de façon dramatique.

Au moment d'entrer dans la vie active, la compétition entre les jeunes sur le marché de la main-d'œuvre est vive et les chances d'avoir un emploi ou une promotion rapide s'amenuisent ou pire dispa­raissent. Les gains attendus au cours du cycle de vie sont faibles. La part des gains que la femme peut obtenir dans le mariage dimi­nue. Les hommes n'ont plus guère de valeur sur le marché matri­monial cette fois-ci, et les femmes ont plus intérêt à investir sur le marché du travail que dans le mariage. N'étant plus demandeurs d'époux pour vivre, elles travaillent davantage. Les mariages sont moins nombreux, se concluent plus tardivement et il faut prospec­ter et expérimenter beaucoup de partenaires pour tirer d'un meilleur assortiment quelques gains positifs de ceux-ci. La vie du couple est alors plus difficile, les erreurs plus nombreuses et les divorces plus fréquents. Toutes les familles anticipent une vie de couple instable. Peu d'enfants vont naître et le taux de fécondité baisse. Naturelle­ment vivre dans une société morose, soumise au stress ou au crime, n'est après tout que la conséquence directe des difficultés rencon­trées par les générations pleines à faire leur place au soleil. La plus forte probabilité de divorcer après un mariage, d'être au chômage ou d'avoir une promotion lente dans son métier, a de quoi secouer les plus optimistes. Les personnalités les plus fragiles sur le plan psychologique craqueront. L'usage de la drogue, de l'alcool ou du suicide, se répandra parmi les jeunes; le travail légal étant devenu moins rentable, les activités illégales deviennent attractives et la criminalité sera en forte hausse. Les personnalités les plus fortes auront, malgré elles, un ressentiment à l'égard de la génération creuse. c'est-à-dire celle des parents et de tous ceux qui occupent les postes et détiennent l'autorité. La contestation sera plus vive. L'intégration au système de valeur des aînés sera plus faible, et la participation aux activités politiques et sociales diminuera.

Cette analyse séduisante est fausse. Elle réitère les erreurs de Thomas Malthus en admettant comme seul déterminant du salaire

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réel l'abondance ou la raréfaction de l'offre de main-d'œuvre. Elle postule une absence de rationalité dans les anticipations de revenu qui obère toute son argumentation. La demande de main-d'œuvre par les firmes détermine le salaire réel autant que l'offre. Une offre de travail peut être abondante mais la demande, supérieure, contre­carre la baisse attendu du salaire. Les couples ne sont pas myopes puisqu'ils ajustent leur fécondité non pas au revenu effectif mais au revenu attendu. En postulant que les couples comparent leurs espérances de revenu sur la base des effectifs de chaque génération, cette analyse ne leur prête pas assez de rationalité. Si la théorie déve­loppée n'est pas fausse, les couples apprendront très vite que le salaire réel attendu dépend de l'écart entre l'offre et la demande de main-d'œuvre (en partie de la fécondité de la génération parentale) et d'un aléas imprévisible sur la demande de main-d'œuvre et non pas de l'offre de main-d 'œuvre seule. S'ils anticipent ce modèle théorique (anticipations rationnelles), la fécondité des générations précédentes étant faible, ils s'attendent à des revenus élevés et procréent davan­tage. Dans un tel cas, aucun cycle n'apparaît. La fécondité est sim­plement fonction inverse des effectifs de la génération actuelle et non des effectifs relatifs de cette génération par rapport à celle qui la précède. Peut-on faire reposer une théorie des fluctuations démogra­phiques sur un comportement irrationnel des acteurs sociaux? Cer­tainement pas, car contrairement aux sciences de la nature, l'homme est tout à fait apte à réagir aux informations véhiculées sur son propre comportement. Ille sera d'autant plus qu'elles lui révèleront des opportunités de profit. En vérité, il faut admettre honnêtement que l'économie, comme les autres sciences sociales (y compris donc la démographie), n'est pas en mesure de prévoir l'évolution des phé­nomènes humains. Comme l'écrivait Von Mises 12 :

« Ce que les gens attendent des économistes (ou des démogra­phes) est au-dessus du pouvoir d'un simple mortel.»

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8

La politique familiale et démographique

« Jamais, en vérité, au cours de l'histoire entière, les gouverne­ments n'ont été comme aujourd'hui dans la nécessité de se plier aux desiderata spéciaux d'un grand nombre d'intérêts parti­culiers. »

F. HAYEK,

L'avortement de l'idéal démocratique, Droit, législation et libertl, t. 3 :

L'ordre politique d'un peuple libre.

La famille assure spontanément la reproduction de ses membres et a la responsabilité d'élever les enfants en bas âge.

Mais, les pouvoirs publics ou les hommes d'Eglises, n'ont jamais laissé aux familles l'entière liberté de mener ces fonctions de repro­duction et d'éducation. Les aspects de la vie familiale ont toujours été contrôlés par le législateur. Le divorce a été interdit, la polyga­mie n'est pas autorisée dans le monde chrétien, les méthodes contra­ceptives ont toujours été fortement réglementées. Interdites pen­dant longtemps dans les pays occidentaux dans un but nataliste, elles sont imposées en Inde pour freiner la fécondité! Le droi~ de la famille, à lui seul, est un monument en matière de réglementa­tion des comportements familiaux. La seule chose qui échappe encore à l'inquisition des Etats, c'est la fréquence du coït 1.

Pourquoi les pouvoirs publics interviennent-ils autant dans un domaine aussi privé? Un conseiller technique auprès de Mme le Ministre Georgina Dufoix, écrivait: «La politique familiale est un enjeu important pour l'avenir de notre pays. Un enjeu en termes de justice sociale, car la solidarité de la collectivité à l'égard des familles - des familles nombreuses en particulier - est une exigence

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162 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

fondamentale. Un enjeu en termes démographiques ensuite, car la France ne peut accepter le déclin démographique 2.»

La solidarité et le renouveau démographique seraient donc les deux objectifs légitimes de la politique familiale du Gouverne­ment. Le rapport de synthèse du colloque national sur la démogra­phie française de juin 1980, qui réunissait des personnalités aux opi­nions politiques les plus diverses, affirmait sous la plume du pro­fesseur Mérigot: «Nul n'a contesté, quant au fond, la légitimité de l'intervention de l'Etat dans le domaine de la famille 3 ».

Les pouvoirs publics doivent-ils intervenir dans ce domaine, parce que les familles ne peuvent, en suivant la logique de leur intérêt personnel, spontanément réaliser la reproduction de la collec­tivité et l'éducation de ses membres, donc la survie du groupe, de l'ethnie ou de la nation?4 .

Pour quelles raisons la survie du groupe en tant que groupe constituerait-elle un objectif auquel chacun devrait se soumettre? Et si cet objectif existe, quel est-il: 3 enfants par famille, 6 enfants, 12 ... ?

Le nombre d'enfants par femme dans chaque génération est-il un objectif d'intérêt national? Comment peut-on arriver à un consen­sus alors que la famille, elle-même, ne parvient pas à s'entendre sur le nombre d'enfants qu'elle va mettre au monde? Pourquoi certaines familles, regroupées dans des associations, utilisent-elles l'arène poli­tique pour se faire subventionner par d'autres, la naissance d'enfants qu'elles n'auraient pas eu autrement? Les familles ont-elles le droit à avoir autant d'enfants qu'elles le désirent au dépens des autres 5 ?

Comme la politique familiale et démographique recueille encore aujourd 'hui un consensus assez large parmi les hommes politiques, il est utile d'en dénoncer non seulement son immoralité, mais aussi son inefficacité.

Un tour d'horizon

Les allocations familiales ont été créées en 1932. Largement étendue en 1939, elles ont trouvé leurs structures quasi définitives en 1945 avec la création de la sécurité sociale et l'introduction du quotient familial dans le calcul de l'impôt (encadré 8.1).

«La politique familiale vise à corriger les différences de niveaux

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 163

de vie que la présence de personnes à charge, en particulier les enfants, introduit entre les ménages.» « La politique démographique désire influer sur la formation et l'agrandissement des familles 6 .» Dans beaucoup de pays sous-développés, elle cherche à réduire le nombre d'enfants: on parle alors de politique néo-malthusienne. En France, cette politique essaye au contraire d'en accroître le nombre. C'est la politique pronataliste. En général, la progressivité des alloca­tions familiales en fonction du rang de l'enfant: et leur dégressivité en fonction de l'âge, sont les moyens utilisés pour mettre en pratique cette politique.

8.1 - LA POLITIQUE FAMILIALE DEPUIS 1938

La politique familiale est une invention récente, puisqu'elle date des décrets-lois du 12 novembre 1938 et du 29 juillet 1939 sous le gouvernement de Daladier. Les lois de 1938 étendent à toutes les professions le bénéfice des allocations familiales et renforcent le contrôle de l'Etat sur les caisses patronales. Le Code de la famille de 1939 rassemble, d'une part, des mesures visant à favoriser la natalité et, d'autre part, une réglementation sur le plan du droit et des mœurs des conduites familiales. Pendant la même période est interve· nue une modification du Code civil.

Le Code de la famille est l'émanation du Haut Comité de la population. Celui·d est placé auprés de la Présidence du Conseil. Au départ, cinq personnalités font partie de ce comité: Adolphe Landry, Georges Pernot, Paul Reynaud, Fernand Boverat, Philippe Serre et Frédéric Roujou; en février 1940 deux autres membres en feront partie: Alfred Sauvy et La Lande de Calan. Parmi les sept membres, on compte deux démographes, Landry et Sauvy, dont l'un est député depuis 1910, et en même temps promoteur, en tant que Ministre du travail, des allocations familiales en 1932; deux autres représentent la fédération des familles nombreuses et l'Alliance nationale contre la dépopulation. C'est ce petit groupe d'hommes qui fera la politique familiale de la France. Celle-ci non seulement survivra au régime de Vichy, mais sera renforcée avec l'ordonnance du 17 octobre 1944, tandis que l'INED (Institut national des Etudes démographiques) et l'UNAF (Union nationale des Associations familiales) obtiendront un monopole de la représentation des associations familiales pour l'un (ordonnance du 3 mars 1945) et des études démographiques pour l'autre 1

Ces privilèges acquis, ce petit groupe d'hommes a mis en œuvre une politique nataliste cohérente. Il est intéressant de rappeler ce chef-d'œuvre de (d'Ingénierie sociale» :

- Le montant de l'allocation varie avec le rang de l'enfant, il est le plus élevé à partir du troisième enfant;

- Une prime de naissance est donnée aux familles qui ont un enfant dans les deux premières années de leur mariage;

- Les célibataires ou les familles n'ayant pas d'enfant dans les deux premières années de leur mariage auront une fiscalité pénalisante, en revanche les familles de plus de trois enfants seront dégrévées;

- Enfin une allocation de la mère au foyer pour couvrir les pertes de revenu consé· cutivement à la cessation d'un travail pour élever les enfants lorsque l'on est en milieu urbain.

Ces quatre mesures étaient accompagnées d'une lutte contre l'avortement, la diffu­sion ou l'utilisation des moyens contraceptifs, l'immoralité, l'alcoolisme, etc.

Ce programme est entièrement tourné vers l'objectif nataliste. Il s'efforce de diminuer le coût d'opportunité d'un enfant (en compensant celui-ci pour les femmes vivant en milieu urbain). Il pénalise les couples qui retardent l'arrivée de leurs enfants. Il s'efforce d'inciter

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les familles à avoir plus de deux enfants. On peut rapprocher ces mesures de celles proposées par J"ancien Premier ministre, M. Debré, dans le Figaro du 5 aoüt 1986 : 11 Mettre fin à l'avantage fiscal des concubins; 21 Non financement de l'IVG (interruption volontaire de grossessel par la sécurité sociale; 31 Salaire pour la femme au foyer égal au SMIG pour une durée de 1 an pour le 1er enfant, de deux ans pour le second et toute la vie pour le troi· sième; 41 Généralisation des crèches; 51 Priorité au logement pour la femme enceinte; 61 Développer le travail à temps partiel.

A la libération ce ne sont pas les mêmes hommes qui sont au pouvoir. Leur souci est avant tout d'égaliser les niveaux de vie (les communistes sont au pouvoir à l'époque). Deux mesures nouvelles apparaissent:

- Le quotient familial (31 décembre 19451; - L'allocation logement (1er septembre 19481. Toutes deux visent à égaliser les niveaux de vie entre familles et non pas à augmenter

la natalité comme le montre la mesure suivante: L'allocation de la mère au foyer est étendue à toute mère au foyer agricultrice ou commerçante (11 décembre 19561, alors que juste­ment, ces femmes ont un coüt d'opportunité très faible à élever un enfant.

Cette politique a été accompagnée dans la période 1958-1973 d'une politique des droits de la femme sous la pression des féministes:

- Régime matrimonial: séparation des biens avec société d'acquêts (13 juillet 19651; - Possibilité pour la femme d'avoir un travail salarié sans l'autorisation du mari (19651; - Réforme de l'adoption (17 juillet 19661; - Réforme de l'autorité parentale: partage entre les époux (4 juin 19751; - Réforme de la filiation (3 janvier 19721; - Loi sur le divorce par consentement mutuel (11 juillet 19751; - Loi sur la légalisation de l'avortement (17 janvier 19751. Les années 1970-72 constitue un tournant pour les subventions aux familles. Pour la

première fois, l'aide à la famille se transforme en une aide aux pauvres: - Création d'une allocation d'orphelin (23 décembre 19731 soumise à une condition

de ressources; c'est une allocation spécifique aux parents isolés qui bénéficient aux femmes divorcées les plus défavorisées;

- Création d'une allocation pour frais de garde versée aux femmes qui travaillent, soumise elle aussi à une condition de ressources;

- L'absence de revalorisation de l'allocation de la mère au foyer; - Refonte en 1977 de J"allocation de salaire femme au foyer et celle pour frais de garde

en une seule aide: le complément familial assujettie à la condition d'avoir ou plus de trois enfants ou d'avoir un enfant de moins de trois ans.

La politique socialiste depuis 1981 a infléchi cette politique familiale par une revalo­risation des prestations, une diminution de la progressivité de l'aide selon le rang de l'enfant pour tendre vers une allocation forfaitaire à l'enfant et une réduction des effets antiredistri­butifs des prestations familiales comme du quotient familial en imposant un plafonnement ou des conditions de ressources pour en bénéficier. La suppression du quotient familial, une aide forfaitaire à l'enfant, la fiscalisation des aides et l'établissement d'un revenu minimum garanti n'ont pu finalement être mis en œuvre.

Le gouvernement issu des urnes le 16 mars 1986, sous le Ministère de 8arzach, est revenu à une politique pronataliste.

- Pour ce rappel nous nous sommes reportés à Prost et Lenoir. - Prost A., «L'évolution de la politique familiale en France de 1938 à 1981», dans

La politique familiale en France, Groupe de travail de Pierre Laroque, Ministère des Affaires sociales CGP, 1985; Lenoir R., « Transformations du familiarisme et reconversions mora· les», Actes de la Recherche en Sciences sociales, septembre 1985.

La politique de transfert à la famille regroupe un ensemble de prestations en espèces directes ou indirectes: les allocations liées à la

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 165

maternité (allocations prénatales, post-natales, congés de naissance ou d'adoption), au logement, à la famille (allocations familiales, complément familial, salaire unique) ou à des prestations spécifiques comme les allocations d'orphelin ou aux parents isolés, API.

En 1981, le montant total des prestations familiales était de 83,5 milliards de francs (l03 milliards en 1985) et concernait 6272 000 familles (5 millions en 1985) et 14000000 enfants (9 mil­lions en 1985) 6. Les pouvoirs publics redistribuent aux familles chaque année, une somme proche de 6000 F par enfant. Ce montant vaut entre 7 et 10 % du salaire annuel moyen! Les allocations fami­liales représentent approximativement 49 % de l'ensemble des presta­tions. Elles sont liées normalement à la taille de la famille et non à son revenu. En revanche, le complément familial (anciennement l'allocation de salaire unique) et l'allocation de logement, soumis à des plafonds de ressources, constituent respectivement 20 et 12 % de l'ensemble des prestations.

Sous le septennan t de Valéry Giscard d'Estaing, en 1977, la poli­tique familiale a été orientée vers un objectif nataliste. L'introduc­tion d'une progressivité des prestations familiales (en particulier à partir du troisième enfant), d'une demi-part supplémentaire dans le quotient familial lorsque la famille à trois enfants, et d'un complé­ment familial en remplacement de l'allocation de salaire unique réservé aux familles de ressources modestes, constituaient la pano­plie interventionniste de cette époque. En 1981, le gouvernement a simplement revalorisé les prestations (sous le ministère de N. Ques­tiaux) et plafonné le quotient familial sans remettre en cause vérita­blement l'orientation à la fois nataliste et égalitariste de la politique du précédent septennat. En 1986 nous sommes revenus (sous le ministère de M. Barzach) à une politique en faveur des familles nom­breuses avec des dispositions fiscales comme un quotient familial revalorisé (une demi-part pour chaque enfant au-delà du troisième) ou des exemptions fiscales en fonction du nombre d'enfants comme pour la garde d'enfants ou pour l'épargne. A ces exemptions s'ajou­tent une augmentation et une extension de l'allocation parentale d'éducation comme une revalorisation des allocations familiales à partir du troisième enfant. Le plafonnement de ces aides est maintenu.

Cette politique familiale et démographique menée par les diffé­rents gouvernements depuis 1946, a-t-elle atteint ses objectifs? Le

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166 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

montant des prestations familiales par enfant exprimé en pourcen­tage du Produit National Brut par tête ou en pourcentage du salaire moyen annuel depuis 1950 passe de 21,8 % en 1950 à 10 % en 1980. Dans le même temps le taux. de fécondité conjoncturel s'est effondré, passant de 29,9 en 1950 à 19,2 enfants pour dix femmes en 1975 et à 18,7 en 1983. Corrélativement, l'activité professionnelle et salariale des femmes mariées s'est drastiquement développée. Le taux de parti­cipation au marché du travail des femmes mariées est passé de 30 % dans les années 1960 à 40 % dans les années 1975 et était de 47 % en 1983. Une femme mariée sur deux travaille aujourd'hui (se repor­ter au graphique 8.1). Peut-on interpréter ces données dans le sens d'une efficacité de la politique familiale vis-à-vis des objectifs démo­graphiques? On peut évoquer «des présomptions d'efficacité» en faveur de cette politique familiale et démographique, et citer: «- L'inversion de la position de la France dans la hiérarchie interna­tionale de la fécondité avant et après-guerre; - Le caractère moins prononcé de la chute de la fécondité en france; - Les différences par milieu socioprofessionnels car les catégories qui ont bénéficié en premier des allocations familiales ont eu, relativement aux autres, une descendance plus forte 7.» En réalité, ces arguments ne sont pas très convaincants. La descendance finale des femmes (le nombre d'enfants réel par femme), se caractérise par un mouvement d'ampli­tude extrêmement faible pour les générations de 1900 à 1950. Les femmes de 1900 ont eu en moyenne moins de deux enfants. Celles de 1910 à 1914 ont eu 2,4 enfants, et celles de 1925 à 1929 ont eu en moyenne 2,6 enfants. La génération de 1950 a eu 2 enfants, en moyenne, par couple. En revanche, l'indice du moment est mar­qué par des fluctuations plus amples. On peut douter de l'impact des prestations familiales sur le nombre d'enfants par femme, même si elles exercent une influence transitoire sur le nombre de celles qui auront un enfant à un moment donné'. Les faits peuvent tout aussi bien confirmer ce pourquoi les aides ont été données: égaliser les niveaux de vie. Les prestations familiales suivent le mouvement de la fécondité conjoncturelle au lieu de la précéder. Lorsque la politi­que familiale se veut démographique à partir de 1977, rien ne permet de lui attribuer avec certitude la ralentissement de la chute de la fécondité.

Contester l'efficacité des prestations familiales sur la fécondité dérange les décideurs qui avaient volontairement modifié le système

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 167

des prestations dans ce but. En revanche, ceux des gouvernements socialistes qui ont manifesté un souci plus grand d'atténuer par la politique familiale, les inégalités de niveau de vie, sont moins concer­nés par cette inefficacité mais beaucoup plus par la réduction des inégalités. Ont-ils réalisé cet objectif?

Il est difficile de mesurer comment fonctionne la redistribution tant la politique familiale a été amendée par des réformes successives et par des préoccupations natalistes. Cependant, on peut rechercher leurs effets redistributifs au niveau vertical, c'est-à-dire entre familles de même nombre d'enfants mais de revenu inégal, et au niveau horizontal, c'est-à-dire entre familles de même revenu, mais à nom­bre d'enfants inégal.

Les deux graphiques 8.2 et 8.3 suivants, tirés des résultats de l'enquête CNAF-CREDOC 9 illustrent cette redistribution. La crois­sance du montant des prestations familiales en fonction du nombre d'enfants et un impôt négligeable, assurent un gain positif à 22 % des familles ayant au moins deux enfants. Les familles qui n'ont pas d'enfants ou qui n'en ont seulement qu'un, perdent une fraction de leur revenu au profit des familles de deux enfants au moins. L'ensem­ble des transferts diminuent légèrement avec le niveau de revenu des familles. En revanche, l'impôt progressif s'accroît très vite pour les catégories à revenu élevé. 89,3 % des familles bénéficient de cette redistribution verticale. 53 % des familles reçoivent un transfert net annuel supérieur à 14000 F pour un revenu primaire moyen de 44 000 F. Ces transferts constituent 32 % de leur revenu primaire! Ce montant est équivalent à un véritable salaire d'appoint.

Il faut nuancer ce résultat car seule la fIScalité directe est prise en compte dans l'enquête CNAF-CREDOC de 1979. Or, les cotisations sociales contribuent au financement des transferts et une redistribu­tion nette instantanée s'opère aussi par ce biais entre ceux qui payent plus qu'ils ne reçoivent, et les autres. Dans un système où chaque famille paierait la totalité des prestations, la redistribution serait nulle. Dans un système où ceux qui payent et ceux qui perçoivent les bénéfices constituent deux populations disjointes, la redistribution serait totale (100 %). On estime la redistribution nette en mesurant la différence entre les cotisations et les prestations sommées indivi­duellement et la totalité des masses financières en jeu. Ce ratio équi­vaut à 65 %. Par ailleurs, le seuil de revenu annuel en 1983 pour lequel le montant des cotisations excède celui des prestations est

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Indice conjoncturel de fécondité (somme des naissances réduites)

30

29 2B

Xl

26 25 24

7Jk. 22 21.3 21.4

21

20~ 19 Générations de: 1900

18

17

16

15 14

13

12 11 10

9

8 7

32 33 34

Générations de: 1910

206207 21.1 ~ 20.5 .' i ;:::. !""" Descendance

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30.0

1920

2.5

,., ___ 21.8

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18.1 ,//' 17.7

35 36

,./ ...... /~/

37 38 39 40 41

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42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55

S_ : 1 : CGP,ProllJClion aoc:IIIe., F_, L. documentation Irançaise, 119801, TllbIe 4, p. 296. 2 : AnnwIrw ~ Nuo.pecrif '965, INSEE, Table XXIII, p. 453, lsalar~ régime ~..tl et CJotrnén 1IOCMIes, tkliûon 1984, p.111, ligure 8, 1saIoir .. arvIUM moyens de l!EO' 1882 por exploillllion .... DASI INSEE. 3 : DonnIa socMla, 1878, p. 343, Table IV. 4 : P. Feoty. 119791. h McondiN .. /MY- _nlaUJ<, cahier INED n086. p. Zl. 1_ .... naiuanc:eo rikluit .. pour dix '-1.

Taux de participation %

56 57 Temps

Page 171: Le marché du mariage et de la famille

Indice conjoncturel de fécondité (somme des naissances réduites)

30

:t 24

23 22 21

20 19 18

17

16 r"15.5

Générations de : 1910 28.1

27:.1 27.2 -lli4 -UB)

12.7 lU

27.8 28.8 29

28 --- •

/ ...

,,'

~TraVaii féminin / I __ ~", d •• pop.1

,,'

.// _ --!.9

1950

13

/, .. " ~ <' 11.7 Prestations familiales

:> par enfant 11.8 •

Il 10 9

8 7

11.9 Prestations familiales 11.7 par enfant en % du salaire annuel2 ., ... ,/'"

en % du PNB 1 par tête 9.3

8.2 8.6

31.6 6.8 6.9

57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 n 78 79 00 81

9.4

47

'46

45

44

43

42

41

40

39

38

37

36

34

33

32

30

82 83 Temps

Page 172: Le marché du mariage et de la famille

170

Transferts et impôts en montant annuel en Frs 1978

30 000

25000

20000

15000

10000

5000

Ensemble transferts 32 000

'28700 : Prestations : familiales

1000L---~~ ____ -L ______ ~ ______ ~ ____ ~~ ______ ~~~ ____ -.

o 2 3 4

% des familles 59.7% ayant 0.1.2 .. n

enfants

18.4% 13.2% 5.7% sauil où les

prestations reçues excèdent

l'imPÔt payé

1.7%

Graphique 8.2 - REDISTRIBUTION HORIZONTALE

5 et plus Nombre d'enfants

1.3%

8,7% des familles ont plus de deux enfants et vivent au dépens des autres.

Page 173: Le marché du mariage et de la famille

Transports 40 000 L. et impOts

35000

30 000

25 000

20 000.- 16400

~ 15900

1 15000

10000

5000 1

2686~ Imp&ts ~

616t ~

12 24 -12

24 36 % de famille 6.7 13.9 17.2 de chaque cHgone

Graphique 8.3· REDISTRI8UTION VERTICALE

De 70 Il 80 % des familles vivent au dépens des 20 % les,plus riches.

(Source: CNAF-CREDOC, Hatchuel et AIii, 1981, Tableau 120.1

10800

10500

------ c:::::::: • .. 2100 ~2900 ~1700 .,""" 2400 -__ 1100

f.l 36 48 60 84 96 108 120

48 60 72 96 108 120 144

16.0 12.0 10.5 5.9 5.0 5.7-

+ Seuil -où les cotisations sociales 10.7%

~Iecteur médian excèdent les prestations Excès impOts 53% des familles (voir infral sur transferts

39 000

16000

2000 ~. .1900

144 180 et +

180 Revenu annuel 1978 (retraite comprisel (en milliers de F.)

Page 174: Le marché du mariage et de la famille

172 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

de 150000 F. Ramené en Francs 1978, ce seuil s'établit approximati­vement à: 84 à 96000 F par an. En conséquence, à partir de ce seuil, les impôts payés par les familles aisées couvrent les autres transferts et non pas les prestations familiales. De l'avis même de ceux qui ont observé cette redistribution: « la machine (à redistri­buer) ne tourne pas pour rien 10 !» On ne peut nier que des transferts s'opèrent au profit des familles nombreuses (en nombre très faible dans la population) ou des familles pauvres (en nombre faible si le, seuil de pauvreté est comptabilisé dans le premier quart de la distri­bution des revenus), et au détriment des familles aisées (peu nom­breuses) ou de faible dimension (par contraste en très grand nombre). La redistribution concentre les bénéfices sur un petit nombre d'indi­vidus et disperse les coûts sur un très grand nombre d'autres.

Le budget des Caisses d'Allocations familiales est-il dépensé en pure perte? C'est une question qui se pose si l'objectif de la politi­que familiale est principalement démographique. En revanche, si la politique familiale a pour but d'égaliser les niveaux de vie, l'intense redistribution observée peut faire croire à son succès. Nous doutons de l'efficacité de cette politique, non seulement sur la démographie mais aussi sur l'égalisation des niveaux de vie pour les raisons que nous allons exposer ci-dessous.

Les idéaux pronatalistes et pro égalitaristes qui inspirent la poli­tique familiale et démographique sont en contradiction avec leurs propres prémisses. II est difficile de concilier une idéologie (le nata­lisme) où l'on affirme que les comportements familiaux en matière de procréation sont supposés être exempts de calcul et, simultané­ment, militer pour une politique démographique qui repose fonda­mentalement sur un mécanisme d'incitation financière où l'on espère bien que l'esprit de calcul l'emportera sur tout autre comportement. L'idée qu'une famille nombreuse comparée à une famille sans enfant (dont le revenu familial est identique) a un niveau de vie inférieur, ne repose sur aucun fondement sérieux. Or, c'est sur cette idée fausse que s'est développée toute la politique de transferts aux familles nom­breuses. L'idée d'égalitarisme qui gouverne cette politique incite les pouvoirs publics à égaliser les niveaux de vie. Cette pratique est, cer­tes, moins arbitraire que celle correspondant à l'égalisation des revenus familiaux, néanmoins, pourquoi vouloir égaliser les niveaux de vie selon le nombre de personnes à charge, le lieu de résidence (par l'intermédiaire de l'allocation logement) ou la distance de son

Page 175: Le marché du mariage et de la famille

LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 173

lieu de travail à son domicile (indemnités de transport)? Pourquoi ne pas égaliser les niveaux de vie selon le nombre d'animaux domesti­ques dans la maison ou bien selon le nombre de véhicules utiles à la famille pour vaquer à son travail ou à ses occupations, ou bien encore, selon le prix du pain si ce dernier est plus élevé à Paris qu'en province?

Ces contradictions internes ne sont pas les seules critiques que l'on puisse faire aux idéaux pronatalistes. Les comportements des individus eux-!Uêmes mettent en échec la politique familiale et démo­graphique; il en est ainsi:

- de la redistribution intra-familiale qui domine les échanges entre les générations;

- du principe de la comparaison des coûts et des avantages d'un enfant supplémentaire;

- de la préférence pour la qualité des investissements en capital humain incorporés dans les enfants qui l'emporte sur le nombre;

- enfm, des anticipations «rationnelles» des familles sur le com­portement de celles qui seraient sensibles à la politique démogra­phique.

Avant de montrer en quoi ces comportements contrecarrent toute politique familiale et démographique, contestons l'idée même d'une politique sociale en la matière.

L'immoralité des prestations familiales

Le désir de voir corriger les différences de niveaux de vie résul­tant d'un événement accidentel pourrait être considéré comme acceptable 11. Il répond à un sentiment de générosité. Les familles altruistes font régulièrement don d'une fraction de leurs revenus à des membres de la communauté plus pauvres qu'elles, par l'inter­médiaire d'un système privé de charité. Elles offrent spontanément une redistribution des revenus. Certaines d'entre elles accepteraient sans doute de redistribuer une part importante de leurs revenus aux familles qui ont beaucoup d'enfants. D'autres seront prêtes à redis­tribuer ce revenu aux familles dans le malheur ou bien à des œuvres dont l'objet est de sauvegarder et restaurer les châteaux en ruine.

Les familles qui désirent avoir beaucoup d'enfants pourraient donc s'adresser à ces personnes généreuses. Malheureusement,

Page 176: Le marché du mariage et de la famille

174 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

plusieurs obstacles s'opposent à cette redistribution spontanée en faveur de groupes de pression.

Les familles altruistes prêtes à redistribuer leur revenu ne sont pas nombreuses. Elles ne sont pas, non plus, prêtes à redistribuer la totalité de leur revenu pour améliorer le niveau de vie de quelqu'un d'autre. Il n'est pas facile, non plus, de convaincre un altruiste de redistribuer une fraction de son revenu à la cause des familles nom­breuses au lieu de le redistribuer à celle des restaurants du cœur ou de Médecins sans frontière! La concurrence est sévère sur le marché! Et puis, pourquoi une famille riche serait-elle disposée à redistri­buer son revenu à la cause des familles nombreuses sous prétexte qu'un enfant supplémentaire réduit le niveau de vie alors qu'il est si facile d'éviter d'en avoir! Les gens charitables sont prêts à distri­buer leurs revenus à des familles involontairement atteintes par le sort, mais sont-ils prêts à le faire pour des familles se mettant délibé­rément dans des situations qui les appauvrissent? Les familles nom­breuses ne trouveront vraisemblablement pas une offre suffisante de transferts sur le marché privé de la charité. Ces transferts sont moralement indéfendables.

Le nombre d'enfants dans une famille n'est pas indépendant de la volonté des individus. Le prétexte de corriger les différences de niveau de vie selon le nombre de personnes à charge dans la famille repose sur une illusion. Les enfants comme les autres per­sonnes à charge constituent un coût pour la famille, mais ils rendent aussi des services. C'est là l'erreur fondamentale commise par ceux qui prétendent qu'il faut égaliser les niveaux de vie entre les familles de composition différente: sur deux familles de même niveau de revenu mais à nombre d'enfants différent, celle dont la taille est la plus élevée peut avoir le niveau de vie le plus élevé (voir encadré 8.2 et graphique 8.4). Quel est l'altruiste prêt à redistribuer son revenu à quelqu'un qui, toutes choses égales par ailleurs, a fait le choix d'améliorer son niveau de vie autrement qu'avec des biens matériels?

Les familles nombreuses vont alors utiliser la démocratie politi­que pour satisfaire leurs intérêts particuliers. Les citoyens ont accordé aux hommes politiques le pouvoir de prélever de l'argent dans la poche des uns pour le redistribuer dans celle des autres. Ce pouvoir offre l'opportunité à divers groupes de pr~ssion - et donc aux familles nombreuses - de vivre au dépens des autres. Les personnes égoïstes sont peu disposées à redistribuer leur revenu. Les altruites

Page 177: Le marché du mariage et de la famille

LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 175

préféreraient redistribuer leur revenu à d'autres causes ... Tous seront dans l'obligation de redistribuer une fraction de leur revenu. L'immo­ralité de ce marché politique ne va pas jusqu'à l'aveu public de son fonctionnement. Aussi pour bénéficier de la contrainte publique, les groupes de pression doivent convaincre les hommes politiques qu'en agissant ainsi, ils œuvrent pour l'intérêt général.

8.2· COMPARAISON DES NIVEAUX DE VIE. INDICE DU COUT DE LA VIE ET NOMBRE D'ENFANTS

L'arithmétique de la comparaison des niveaux de vie est l'arithmétique des contraintes de budget. car par définition la satisfaction des acteurs sociaux n'est pas mesurable. Cepen. dant la satisfaction maximum d'un individu est limitée par sa contrainte de budget. Si celle-ci se dessère. on peut penser que l'utilité ou la satisfaction de l'individu est plus élevée. Or. une contrainte de budget est plus ou moins serrée selon que la somme des dépenses d'un ménage pour un panier de biens dont les prix sont donnés. est plus ou moins élevée.

Examinons d'un peu plus près cette contrainte. La somme des dépenses de chaque famille peut se formaliser de la façon suivante: posons X comme étant un bien composite acheté sur le marché au prix p; L, le temps de loisirs; H. le temps de travail et T. le temps total disponible; N. le nombre d·enfants. wH mesure le revenu salarial et A les autres formes de revenus non liés III l'utilisation du temps des membres de la famille. Avoir des enfants entraine. d'une part des dépenses pour les nourrir. les habiller. les loger. les éduquer ...• évaluées au prix de marché III pc.N et. d'autre part. des dépenses en temps évaluées par les revenus perdus en se consacrant aux enfants et non pas à un travail salarié: wbN. Le revenu de plein temps wT + A est dépensé en achat de biens et services pour les parents et les enfants pX + pcN. en revenus perdus pendant les loisirs ou le temps passé avec les enfants wL + wbN. Posons:

1) pX+wL+(pc+wb).N=wT+A=R

La fonction d'utilité de la famille s'écrit : 2) U =U(X.L)

Si les enfants naissent indépendamment de la volonté de leurs parents, la famille devra supporter des dépenses fixes d'un montant (pc +wb) . N. Les dépenses minimales nécessai· res pour atteindre un niveau donné de bien-être. lorsque ce dernier varie en fonction des ressources. s'appelle la fonction de coût du consommateur. Elle s'obtient en dérivant des conditions de premier ordre de la minimisation de 1) sous la contrainte de 2) les fonctions de demande compensées de Hicks que l'on substitue dans 1) • soit:

3) C=p x (P.w,U) +wl (P.w.U) + (pc+wbI.N

Réécrivons cette fonction de la façon suivante: 4) C=c (p.w.U.N)

Maintenant. si la taille de la famille passe de No à N 1. les prix et revenus restant cons· tant. le niveau de bien-être de la famille diminue. Prenons le couple sans enfant comme famille de référence. la compensation monétaire qU'il faut accorder au couple avec enfant pour maintenir son niveau de vie au niveau correspondant III celui qU'iI avait sans enfant est mesuré par :

5) CV =c (po. wO• Uo ;Nl) - c (pO, w o• UO; No)

Un indice du coût de la vie en fonction du nombre d'enfants ou du nombre de person· nes III charge dans la famille s'obtient avec le rapport entre ces deux coûts :

6) sIN) =c(po. wo. UO; Ni) / c(po. w"l. Ua; No)

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176 LE MARCHl: DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Une politique familiale qui redistribue le revenu en fonction du nombre d'enfants peut alors se comprendre.

En revanche, si les enfants sont une source d'utilité ou de satisfaction, le nombre d'en· fants dans la famille n'est plus une donnée exogène. Les couples décident du nombre d'en· fants simultanément avec leurs demandes de biens et services et de travail compte tenu des coûts auxquels ils font face.

La fonction d'utilité se réécrit: 7) U==U(X,L,N)

Désormais, la fonction de coût du consommateur n'est plus du tout la même. Elle s'écrit:

8) C == px (p,w,z ;U) + 1 (p,w,z ;U) + zn (p,w,z ;U)

Où z mesure le prix implicite des enfants: z == pc + wb; x (p,w,z ;U), 1 (p,w,z;U) et n(p,w,z;U) représentent les demandes compensées de Hicks de biens et services, X, de loi, sirs, L, et d'enfants N. n(p,w,z;U) qui est en réalité le nombre d'enfants désiré par la famille varie pour un niveau d'utilité ou de vie donné U avec le prix implicite des enfants, z, et le prix des autres biens ou loisirs p,w qui sont substituables ou complémentaires à N.

Réécrivons l'équation 8) sous une forme plus simple: 9) C == c(p,w,z; U)

Le nombre d'enfants disparaît de la fonction de coût. L'indice du coût de la vie ne varie pas en fonction du nombre d'enfants, mais avec le prix implicite des enfants, z. Il n'y a plus aucune raison de vouloir ~ompenser les familles sous prétexte qu'elles ont un plus grand nombre de personnes à charge 1 La seule chose que l'on pourrait justifier est de com· penser les familles pour une hausse du prix implicite des enfants, exactement comme on pourrait le faire pour le prix du pain. La compensation serait mesurée par:

10) CV ==c(po, wo , z*; UO) - c(po, wo , zo; UO)

Où z· > zo. Le graphique 8.4 illustre cet argument mieux que ne peut le faire des équations abstraites. Dans le plan 1, nous avons représenté l'arbitrage entre le loisir et les autres biens et, dans l'espace à trois dimensions, nous avons ajouté le nombre d'enfants. En absence d'enfant, les opportunités de consommation et de loisirs sont représentées par le triangle AOS. Le couple maximise, alors, sa satisfaction en e (0), L'arrivée d'un enfant réduit les opportunités du couple en termes de biens de consommation et, ou de loisirs. Le bien·être optimal du couple se trouverait réduit au panier de biens et de loisirs e' (0) si les enfants ne procuraient aucune utilité. En présence d'enfants, les opportunités ne sont plus représentées dans l'espace à deux dimensions, mais dans celui à trois dimensions. Les possiblités maximales de consommation, de loisirs et d'enfants, correspondent à l'hyper plan A'S'C. La combinaison de biens, loisirs et nombre d'enfants qui maximise la satisfac· tion du couple est située en e (1). En ce point le bien-être peut être supérieur à celui obtenu avec e (0) qui est la combinaison optimale correspondant au couple sans enfant. Comme l'ont démontré il y a quelques années Pollak et Wales, en spécifiant une fonction d'utilité, il n'est pas possible de comparer le bien-être de deux familles de tailles différentes si cette taille fait partie des décisions familiales. Le problème se trouve aggravé si les goûts des familles quant au nombre d'enfants diffèrent. On pourrait ajouter que lorsque le prix impli· cite des enfants est lui·même une fonction du nombre d'enfants, ce qui survient quand les allocations familiales sont une fonction du nombre d'enfants, la construction d'un indice du coût de la vie par rapport au prix des enfants est impossible.

Ce problème n'est pas anecdotique. Charraud et Chastand n'hésitent pas à écrire: "L'aide apportée aux familles, par les prestations et par le quotient familial, ne compense pas la baisse du niveau de vie qui résulte de la présence de plusieurs enfants L .. ). Il est donc intéressant de pouvoir comparer entre eux les niveaux de vie de familles de tailles diffé· rentes.» Pour cela, on utilise des échelles d'unités de consommation qui correspondent implicitement au ratio décrit précédemment par l'équation 6),' Même si ces deux auteurs soulignent les difficultés de leur construction, ils ne sont pas préoccupés par la nature

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 177

même de leur démarche. Ils affirment, imprêcision et arbitraire d'échelle mis il part, qu'un cadre supérieur avec 4 enfants connait une baisse de niveau de vie de 46 % par rappon III un couple sans enfant de la même catégorie sociale 1 C'est aussi explicitement la façon dont Bloch et Glaude procédent pour estimer le coût d'un enfant 13 en prenant compte non pas les ressources totales, mais les dépenses totales 1 Bien entendu, la présence de prestations familiales, fonction du nombre d'enfants, interdit de procéder ainsi puisque le prix implicite d'un enfant est une fonction du nombre d'enfants.

Cette erreur d'interprétation illustre le peu de cas que font les statisticiens du raisonne­ment êconomique, mais n'ôte en rien l'intérêt des résultats empiriques mis III jour. En effet la différence de niveaux de vie estimée montre simplement que les enfants procurent aux familles une utilité marginale en francs au moins égale aux coûts supponés. Sinon ils n'en auraient pas.

- Pollak R. et Wales T., «Welfare Comparisons and Equivalence Scale&», Americ/m Economie Rtlview, mai 1979.

- Charrand A. et Chastand A., «L'aide il la famille en 1977», Economie tlt statisti· que, octobre 1978.

- Bloch et Glaude, op. cit.

Quels arguments les familles nombreuses peuvent-elles invoquer pour forcer d'autres personnes (qui ne partagent pas leurs convic­tions en matière de nombre d'enfants par famille) à leur donner de l'argent? Comment convaincre les hommes politiques qu'ils pour­suivent un intérêt général sous le couvert de cet intérêt particulier?

Deux arguments sont habituellement avancés pour légitimer cette redistribution forcée des revenus: - celui «du bien public», - celui du «passager clandestin».

Les familles de taille modeste doivent sacrifier une fraction de leur revenu pour aider les familles nombreuses, parce que celles-ci fournissent un «bien public» en préservant l'avenir de la commu­nauté. Elles permettent aux autres familles de fmancer leurs retrai­tes. Elles assurent à la collectivité la possibilité d'une défense mili­taire forte. Elles prévi~nnent une immigration rendue nécessaire par l'absence de nationaux. Elles évitent une sclérose de la commu­nauté consécutivement à une proportion de personnes âgées trop importante. En un mot, elles évitent le vieillissement de la popula­tion avec les conséquences attendues de celui-ci sur chacun d'entre nous 12 •

Une personne généreuse fait don d'une partie de son revenu à une famille nombreuse. Celle-ci, grâce à ce don, peut atteindre le nombre d'enfants souhaité par le donateur. Toutes les personnes charitables qui approuvent cette action et qui auraient été prêtes à redistribuer à cette même famille une fraction de leur revenu,

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178 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Biens et services

B

Graphique 8.4 - COMPARAISON DES NIVEAUX DE VIE SELON LE NOMBRE D'ENFANTS

eo est le niveau de bien-être en absence d'enfants.

Loisil'll

Nombre d'enfants

e, est le niveau de bien-être en présence d'enfants désirés.

e~ serait le niveau de bien-être si les enfants ne procuraient aucune satisfaction.

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 179

n'auront pas besoin de le faire. Mais comme le donateur sait qu'il existe d'autres altruistes prêts à contribuer, il attend patiemment que les autres donnent (il sera satisfait sans avoir fait le sacrifice de son revenu). Chacun agit ainsi et personne ne redistribue son revenu. Tous, familles nombreuses et personnes charitables, se retrouvent avec un niveau de vie inférieur. C'est le problème du «passager clandestin»13.

L'acte de procréer est volontaire et les enfants constituent un élément non mesurable de l'amélioration du niveau de vie. On ne peut donc légitimer la redistribution horizontale des revenus entre familles de taille différente sur le seul fondement d'un niveau de vie inférieur après la naissance d'un enfant. D'autres arguments sont donc mis en avant. On fait appel, alors, a un effet non attendu et bénéfique du nombre d'enfants pour l'ensemble de la communauté. Mais quelle est la nature de cet effet?

S'agit-il d'un effet de nombre? Nous avons montré dans un cha­pitre précédent qu'un tel effet était loin d'être nécessairement béné­fique. Une génération trop nombreuse entraîne des conséquences plutôt négatives sur les individus qui lui appartiennent. En revanche, une génération creuse aura des effets opposés.

S'agit-il d'un problème de sécurité militaire? Le progrès techni­que très intensif en capital dans ces domaines, montre clairement que les machines et la qualification des hommes l'emportent sur le nombre. Un des bienfaits de la force de frappe atomique est d'offrir une sécurité très élevée du territoire en utilisant très peu d'hommes sous les drapeaux.

S'agit-il de se préoccuper du remplacement des générations pour préserver l'équilibre du système des retraites par répartition, imposé aux citoyens? Mais, pour quelle raison les pouvoirs publics inter­viennent-ils en matière d'assurance ou de solidarité sociale à la place de la famille ou des communautés naturelles, et ne laissent-ils pas ces mêmes familles s'assurer et épargner pour leurs vieux jours en utili­sant les marchés financiers? L'équilibre du système de retraite par répartition dépend malheureusement du nombre de personnes dans chaque génération. Ce système est déjà le produit des interventions de l'Etat dans le domaine privé des familles. L'Etat est donc amené à intervenir dans la vie intime des individus pour préserver l'effica­cité d'une précédente intervention ... Il est pourtant très simple de laisser le libre choix aux familles de gérer leurs vieillesses comme ils l'entendent! (encadré 8.3).

Page 182: Le marché du mariage et de la famille

180 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Il existe toujours un problème de «passager clandestin» lorsque l'on ne peut exclure quelqu'un d'autre des bénéfices d'une de ses propres actions. En ce sens, la remarque est fondée. Faute de pouvoir faire payer les autres personnes généreuses pour les bénéfices que les altruistes leur apportent, en contribuant à la cause des familles nom­breuses, ces derniers sont incités à ne pas redistribuer leurs revenus. Un tel argument justifie l'imposition d'une contrainte non pas sur l'ensemble des citoyens mais sur les seuls altruistes. Eux seuls, par un contrat «social», accepteraient cette forme de pré-engagement. Or, faute de distinguer un égoïste d'un altruiste, la contrainte est imposée à tous. L'inconvénient de cette redistribution forcée est double. Le montant de la redistribution sera déterminée par l'élec­teur médian et en élargissant le groupe à une taille extrême au lieu de résoudre le problème du passager clandestin, on le rend encore plus aigu. Ne percevant pas l'amélioration de bien-être correspon­dant à sa contribution, sachant que celle-ci a un effet marginal, les personnes généreuses finissent par ne plus offrir de dons autres que le minimum exigé par l'Etat. Paradoxalement, cette intervention entraîne un effet d'éviction de la charité privée.

8.3 - PENSIONS DE RETRAITE ET PRESTATIONS FAMILIALES

Lorsque les vieux jours arrivent, les revenus tirés du travail diminuent_ En revanche, la consommation reste constante. Un problème crucial pour la famille apparaît: comment financer la consommation des personnes âgées incapables de se subvenir Il elles-mémes? En absence d'accès au marché financier, en absence de moyens pour conserver les denrées périssables sur de très longues périodes, et dans un monde où chacun se préoccupe de son propre bien-étre, comment les anciens pourraient-ils survivrent 7 Comment transférer un pouvoir d'achat de la période d'activité vers celle d'inactivité en absence d'accès III l'épargne 7 D'une façon ou d'une autre, les jeunes doivent financer les anciens et les anciens doivent se préoccuper des jeunes_ Pour montrer plus clairement le dilemme qui apparaît, imaginons un monde extrême où la vie est composée de deux périodes. A la première, tout le monde naît et est actif. Il n'y a pas d'inactifs. A la seconde tous ceux qui étaient actifs deviennent inac­tifs. Premier problème, si la génération de la première période n'a pas prévu d'avoir assez d'enfants pour qu'il y ait des actifs en nombre suffisant Il la seconde période, elle ne pourra pas assurer les vieux jours de ses membres. Deuxième problème, si les actifs sont en nombre suffisant, ces derniers vont-ils redistribuer spontanément une fraction de leur revenu pour faire vivre les anciens? Ce double dilemme présenté pour la première fois par Samuelson, montre la nécessité <fun mécanisme forcé de transferts des jeunes vers les anciens ou d'un altruisme très fort et très orienté des jeunes vers les vieux en absence de possibilité d'épar­gne. Ce mécanisme de transfert forcé peut être public ou privé. Il est privé s'il exerce par l'intermédiaire de la famille grâce Il des droits de propriété des parents sur le revenu des enfants. Comme les jeunes et les anciens ne constituent pas les mêmes personnes, un pro­blème sévère Il la fois de reproduction et de contrôle existe. Les anciens doivent avoir au moins deux enfants, et prélever sur leur revenu d'actif un impôt qui financera la consomma­tion de leurs vieux jours. S'ils ont plus de deux enfants, l'impôt perçu sur chacun d'eux sera

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 181

plus modeste et le revenu total pour les vieux jours sera plus élevé. Il existe donc une forte incitation pour les parents à avoir un nombre suffisant d'enfants. Pour qu'un tel mécanisme fonctionne, il faut que les parents aient un droit de prélever ce revenu et qu'ils puissent l'exercer aisément (obligation alimentaire des enfanu vis-à·vis de leurs parents). C(!mme le rappelle Willis, ce modèle fonde l'interprétation de la chute de la fécondité par Caldwell. L'apparition du marché détruit ces droits de deux façons: d'une part, il rend plus coüteux pour les anciens, l'exercice de ce droit, les enfants peuvent ne pas vivre avec les parents et aller s'assurer un revenu ailleurs facilement; d'autre part, l'intérêt à avoir un grand nom· bre d'enfants comme d'avoir des droits sur leur revenu, diminue puisque maintenant chacun peut assurer ces vieux jours en. épargnant les revenus de son activité.

Sous cet angle, on peut faire la remarque suivante: le système de pension de retraite par répartition est un mécanisme de transferts forcés de revenu des jeunes vers les anciens pour préserver leur niveau de vie. Le système de prestations familiales est un transfert forcé des anciens vers les jeunes pour financer un nombre d'actifs suffisant afin de bénéficier d'une retraite. Un tel système de contrainte sociale n'a de sens qu'en absence de possibilité d'épargne. Mais, en présence d'un marché financier et donc de la possibilité de financer des retraites par capitalisation, il crée artificiellement un problème de natalité et d'interdépen· dance entre les anciens et les plus jeunes. Non seulement ce mécanisme est créé de manière purement artificielle, mais il l'est aussi dans les pires conditions, puisque le lien direct entre le prélèvement des parents sur le revenu des enfants est rompu. Comme pour financer ces retraites, seule une fraction des actifs a besoin d'avoir un grand nombre d'enfanu, et qu'avoir un enfant est coüteux, chacun compte sur son voisin pour assurer ce financement. Le gou· vernement qui a institué ce régime de retraite, à lui·même créé un problème insoluble de «passager clandestin».

Dans ce sens, les systèmes pUblics de prestations familiales comme de pension de retraite par répartition, sont paradoxalement une des causes profondes de la baisse de la fécondité des familles.

- Samuelson P., «An Exact Consumption Loan Model of Interst with or without the Social Contrivance of Money Il, Journal of PoiitiCIII Economy, novembre 1958.

- Willis R., «The direction of intergenerational transfers and demographic transition: the Caldwell hypothesis re-examinec!», Discussion Paper nO 81·3, National Opinion Research Center,State University of New York, 1981.

L'inefficacité des prestations familiales

al La réduction des transferts intrafamiliaux

La famille est une communauté fondée sur l'amour, dont chaque membre évite de nuire aux autres. Si tel n'était pas le cas, elle serait amenée à se rompre, Fort de cette hypothèse, on est fondé de pré­tendre que les parents auraient, spontanément, donné une partie de leurs ressources pour assurer l'avenir de leurs enfants. On peut sans trop se tromper, imaginer que les parents désirent voir leurs enfants obtenir un statut social au moins équivalent au leur. D'une façon générale, les transferts intrafamiliaux s'efforcent de stabiliser la consommation ou le statut social des parents et des enfants, face aux fluctuations du revenu d'une génération à l'autre. Par défmition,

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182 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

l'horizon des parents s'étend au-delà d'une génération, ce qui expli­que la transmission d'héritage (l'accumulation de capital) et finale­ment les échanges intrafamiliaux.

Si les pouvoirs publics, ou un organisme de charité privé, distri­buent de l'argent à une famille dans le but de l'aider à élever ses enfants, leur bien-être futur va augmenter indépendamment des efforts des parents! Ces derniers sont donc incités à ne plus contri­buer au revenu futur de leurs enfants et ceux qui n'étaient pas prêts à redistribuer une somme plus importante que celle qu'ils auraient spontanément redistribuée en absence de toute intervention, s'appro­prient alors la différence. Par contre, la famille sur qui est prélevée cette aide, voit son bien-être présent diminué; privée involontaire­ment de ressources, elle redistribue contre son gré moins de revenus vers les générations futures. D'une façon non ambiguë, les transferts intrafamiliaux diminuent et cette réduction contrecarre la hausse des transferts publics.

A niveau de revenu identique et nombre d'enfants différent, une famille qui perçoit des prestations familiales, ne redistribue pas davantage de ressources par enfant, tandis que la famille supportant l'impôt ou les cotisations sociales, non seulement voit son bien-être diminuer de cet impôt, mais aussi du montant qu'elle redistribue à ses enfants. Son revenu étant plus faible elle redistribue, en revan­che, moins de revenus par enfant à la génération qui lui succède. Pourquoi les enfants issus de familles nombreuses devraient-ils avoir un bien-être supérieur aux enfants nés dans des familles peu nom­breuses? La politique de redistribution horizontale accroît l'inégalité des revenus dans les générations futures. Or, quel est le critère de justice (une fois éliminé l'argument contestable d'un niveau de vie inégal entre les familles sans enfant et les familles nombreuses à revenu identique) qui légitime une telle discrimination?

Autre inconvénient non négligeable de la politique familiale: le franc donné par la famille vaut un franc, celui donné par les hom­mes d'Etat vaut moins. Il a fallu financer entre temps ceux qui ont la charge de percevoir l'impôt ou les cotisations sociales (Urssaf) et ceux qui ont pour mission de distribuer ces fonds (Cnaf).

Les transferts publics ou involontaires que constituent les pres­tations familiales ont pour conséquence non prévue et inéluctable de réduire les transferts intrafarniliaux. D'une certaine façon, la politi­que familiale de redistribution de bien-être échoue parce qu'elle est

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 183

dans la plupart des cas compensée par la diminution des échanges intrafamiliaux et parce qu'elle accroît, de façon arbitraire, l'inégalité des revenus dans les générations futures sous prétexte de réduire celle des générations présentes. On peut aller plus loin dans la criti­que et affIrmer que ces systèmes de redistribution publique décou­rage la générosité et compromettent le bon fonctionnement de la famille en affaiblissant sa solidarité spontanée qui est une de ses raisons d'être!

bl L'ignorance de la rationalité des comportements

L'ignorance du raisonnement économique est encore plus fla­grante avec la politique démographique d'aide au troisième enfant. La règle fondamentale du comportement rationnel est la suivante: poursuivre une activité quelconque jusqu'à ce que le bénéfice supplé­mentaire obtenu soit juste égal au coût supplémentaire supporté en la poursuivant une étape plus loin.

Transposée aux problèmes de la fécondité, cette règle nous dit que les familles vont continuer à avoir des enfants tant que le béné­fice (ou l'utilité marginale) qu'ils attendent d'un enfant supplémen­taire excède son coût. Ce coût est mesuré par l'ensemble des oppor­tunités de bien-être qu'elle doit sacrifier pour l'élever.

Pour simplifier, on suppose qu'un enfant supplémentaire coûte autant que le précédent (coût marginal constant), en revanche, sa présence est moins ardemment désirée que celle des premiers (utilité marginale décroissante). Si les avantages l'emportent sur les coûts, les parents auront un enfant de plus, dans le cas contraire, ils y renonceront. Le nombre d'enfants «optimal» par famille est donné par cette règle d'arrêt. Comme nous l'avons relevé précédemment, la conception implicite de la prestation familiale au troisième enfant repose sur cette rationalité. En essayant de compenser par cette aide monétaire ce coût, on espère bien inciter certaines familles à franchir le pas. On devrait observer une proportion plus importante de familles ayant trois enfants après ce programme de redistribution, mais cette prédiction n'est vraie que si les coûts marginaux sont constants ou croissants et si les gains marginaux sont décroissants. Or, la réalité est toute autre.

L'enquête CNAF-CREDOC 1971 et les travaux économistes statisticiens 14 permettent de suspecter une décroissance des coûts

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184 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

marginaux ou une courbe en U. En soi, cet élément de la réalité ne change pas les prédictions attendues si les gains marginaux décrois­sent plus vite que les coûts. Dans le cas contraire, les couples sont incités à ne pas avoir d'enfant ou à en avoir un grand nombre. La taille de la famille ne peut atteindre un point stable! Si la famille a un enfant, elle n'en fera pas d'autre, si elle en a plusieurs, plus de trois par exemple, elle sera incitée à en faire quatre ou cinq.

Mais l'anomalie véritable du système de prestations familiales apparaît quand on examine les avantages marginaux. Il y a deux grands types d'avantages procurés par un enfant supplémentaire: - le plaisir procuré par sa présence et le revenu attendu grâce aux services qu'il peut rendre; - l'ensemble des transferts offerts par le système de prestations familiales aux familles qui sont liés à sa nais­sance. La plupart du temps le premier type de gain marginal est non mesurable et décroît avec le nombre d'enfants. En revanche, les gains marginaux offerts par le système d'aide publique sont croissants! La somme de ces deux types d'avantages donne une courbe en U. C'est le graphique 8.5.

Les tableaux 8.1 et 8.2 suivants, montrent l'une de ces deux rela­tions: celle qui peut être estimée à partir des prestations familiales et du quotient familial. Nous avons utilisé l'enquête CNAF-CREDOC 1978, enfm, nous avons repris les tableaux des Données sociales où le quotient familial était pris en compte. Qu'observe-t-on? Les pres­tations sociales en valeur absolue s'accroissent avec le nombre d'enfants, ce qui est nonnal, et l'avantage marginal croît jusqu'au troisième enfant et diminue ensuite. Cette enquête montre claire­ment la forte progression de l'aide marginale entre le deuxième et le troisième enfant. L'avantage marginal est multiplié par 2,1 entre le premier et le deuxième, et par 2,3 entre le deuxième et le troi­sième. Il diminue entre le troisième et le quatrième. Cette relation se maintient quel que soit le niveau de revenu. Les prestations fami­liales constituent une part de l'aide monétaire fournie. C'est une aide en espèces directe. Mais il faut aussi compter l'avantage fmancier indirect offert par le quotient familial. L'avantage fIscal décroît avec le nombre d'enfants car les familles pauvres ont plus d'enfants que les familles riches.

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 18S

Au total, l'effet final ne semble pas être celui recherché. La courbe de gain marginal a une forme ressemblant à un U. Si ce der­nier cas prévaut (graphique 8.5), le point pour lequel les avantages compensent les coûts, sera obtenu pour un nombre inférieur ou égal à 2.

o

Coûts et gains marginaux

'. \. \ \ \ \

Gains marginaux 1

\ ."....-.-

",-. , ./ Coûts marginaux \

\. /

Nombre d'enfants

Graphique 8.5· COURBE EN U DES COUTS MARGINAUX, Forme en v des gains marginaux avec un minimum au niveau des deux enfants.

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Tableau 8.2· BAREME DES PRESTATIONS FAMILIALES, QUOTIENT FAMILIAL INCLU -Aides OC> c-

Allocations Complément Allocations Allocations Avantage Aide totale Aide marginale familiales familial logement pré et post· fiscal nette totale

natales Nombre d'enfants

Familles pauvres (revenu brut mensuel

en 1981 :6597)

1 enfant 0 555 171 168 101 995 995 995

2 enfants dont 411 555 293 168 178 1605 610 1 de moins de 3 ans -98

2 enfants 411 0 155 0 178 799 -806 de plus de 3 ans (+55)

3 enfants 924 555 353 0 308 2357 1 558 1 558 (+217)

4 enfants 1445 555 515 0 342 3178 821 821 (+321)

Familles riches (revenu brut mensuel en 1981 :19792 F)

1 enfant 0 0 0 168 449 617 617 617

2 enfants dont 411 0 0 168 898 1420 803 1 de moins de 3 ans 346

2 enfants 411 0 0 0 898 1309 111 de plus de 3 ans

3 enfants 924 0 0 0 1500 2641 1220 1 220 (+217)

4 enfants 1445 0 0 0 1 714 3480 839 839 (+321)

(Entre parenthèse: majorations pour âge). Source: Données sociales INSEE, éd. 1984.

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LA POllTlQUE F AMILlALE ET DEMOGRAPHIQUE 187

Le système d'aide tel qu'il se présente actuellement, dissuade financièrement les familles d'avoir plus d'un ou deux enfants. La politique à suivre est la suivante: pour profiter du comportement rationnel des familles, il faut leur offrir dès le premier enfant, une très forte prime et la diminuer à chaque fois pour les deuxième, troisième, quatrième et ainsi de suite ... Cet avantage marginal décrois­sant doit excéder le coût marginal pour les trois premiers enfants, si l'objectif est de pousser une fraction des familles à avoir plus de deux enfants. C'est un principe fondamental qui n'est pas respecté par notre système d'aide à la famille. L'ignorance de ce principe peut expliquer à lui seuil'échec de la politique démographique.

Tableau 8.1 - AVANTAGE MARGINAL APPORTE PAR LE Nième ENFANT QUOTIENT FAMILIAL EXCLU

1er enfant 2e enfant Je enfant

Montant moyen en francs 1607 3513 8227

Tranches de revenu en milliers de francs

-24 3650 6218 8030 24- 36 2742 5203 6838 36-48 2376 3912 7724 48 -60 1 901 2889 8550 60 -72 1307 3219 9113 72-84 1 120 3064 8120 84-96 602 2666 8633 96 -120 244 2745 8895

+120 495 2657 5897

- Hatchuel G., Enquête CNAF-CREDOC 1978, tableau 27-28, p. 79.

cl Les services rendus par les enfants sont des «biens inférieurs»

4e enfant

6054

5798 6259 6195 5528 4718

La politique démographique et familiale repose sur une concep­tion erronée de la nature (économique) des enfants. Depuis très longtemps, statisticiens, démographes et économistes ont constaté une relation négative entre le nombre d'enfants par famille complète et le revenu. Quelle que soit l'explication offerte pour comprendre

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188 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

ce paradoxe, dans le langage de l'économiste une telle relation révèle que les services rendus par les enfants sont des biens «infé­rieurs». Lorsque le revenu s'élève, le «nombre» d'enfants diminue au lieu d'augmenter comme pour n'importe quel autre bien IS.

Distinguons les aides qui exercent uniquement un effet revenu, de celles qui exercent, également, un effet substitution parce qu'elles modifient le prix implicite des enfants relativement au loisir. Un franc d'aide en espèces distribué aux familles avec enfants, augmente le revenu et dessère la contrainte de budget. Si les services rendus par les enfants et le loisir ne sont pas des biens inférieurs, les familles demanderont davantage de loisirs et d'enfants. En revanche, une sub­vention au prix implicite des enfants par l'intermédiaire de la gratuité de l'accouchement, de la garde en bas âge, de l'enseignement etc., diminue le prix des enfants et incite les couples à procréer. Si les services rendus par les enfants sont des biens «inférieurs», l'aide en espèces directe ou indirecte comme les prestations familiales ou le quotient familial, diminueront le nombre d'enfants au lieu de l'aug­menter. Par ailleurs, les aides en nature comme les subventions à l'éducation n'auront pas l'efficacité attendue. L'effet revenu de la subvention, au lieu de s'ajouter à son effet substitution, le contre­carre, diminuant ainsi l'effet attendu d'une baisse du prix. Cela peut même conduire à un effet dit «Giffen» : lorsque le prix diminue, le nombre d'enfants au lieu d'augmenter diminue!

Si cette aide en espèces est progressive et discontinue avec le nombre d'enfants, le phénomène est encore plus dramatique. Les défauts de la progressivité comme de la discontinuité (aide margi­nale plus élevée avec le premier enfant et le troisième contrairement au deuxième, quatrième et suivants) se cumulent avec celui de la nature inférieure des services rendus par les enfants. Les familles qui désiraient deux enfants se rendent compte que le niveau de vie sera supérieur avec un seul enfant et non pas avec trois enfants. Les familles qui, sans aide, auraient spontanément eu trois enfants, sont incitées à en avoir un; celles qui en auraient eu cinq n'en désirent plus que trois parce que le niveau de vie est plus élevé avec une aide au nlveau d'un ou de trois enfants qu'avec celle proposée pour trois ou cinq (encadré 8.4).

L'interprétation des biens inférieurs par les économistes renvoie principalement à l'interaction entre la quantité d'un bien et sa qua­lité. Ceci est aussi une des clés pour comprendre l'inefficacité de la

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 189

politique démographique. Une hausse des prestations familiales a un effet revenu qui pousse les familles à exiger une plus grande qualité par enfant. Elle réduit la demande d'agrandissement de la famille.

Il est sans doute vain de vouloir lutter contre la disparition d'un bien inférieur. Le problème des transports dans les grandes villes est identique. La politique de subvention des transports en commun, considérés comme des biens inférieurs par rapport aux véhicules privés, n'a jamais réduit le nombre de voitures achetées!

8.4 - ALLOCATIONS FAMILIALES ET NATURE «BIEN INFERIEUR» DES ENFANTS

On peut montrer aisément aux économistes professionnels les conséquences d'une politique familiale sur le nombre d'enfants, lorsque ces derniers rendent des services qui sont des biens inférieurs. Reportons-nous au graphique la). Sur l'axe vertical, on représente les biens de consommation et sur l'axe horizontal les services rendus par les enfants. En absence de toute intervention la contrainte de budget est représentée par la droite AB. Par la définition même de la nature «inférieure» des services rendus par les enfants une hausse de l'aide, identique pour chaque enfant supplémentaire, dessére la contrainte de budget. Celle-ci devient CD. Cet effet revenu réduit la demande d'enfants_ Pour simplifier, on sup­pose que chaque enfant produit des services en quantité fixe. Les familles anticipent un revenu plus élevé, si elles ont des enfants, et simultanément désirent relativement plus les loisirs ou les biens de consommation aux services rendus par les enfanu. Les familias qui n'auraiant pas eu spontanément d'anfanu parca qu'elles n'an désiraient pas sont incitées à en avoir un. En revanche, celles qui en désiraient plusieurs en demandent moins 1

La progressivité non continue de l'aide selon le nombre d'enfants n'altère pas fonda­mentalemant ce que nous venons d'écrire. Elle entraine une discontinuité de la contrainte de budget CD. Avec deux enfants ou plus de trois, la contrainte de budget est plus senie. Les familles qui n'auraient pas eu d'enfant sont toujours incitées à en avoir un. Les familles qui désiraient plus de trois enfants sont incitées. en avoir trois. Mais celles qui auraient al

spontanément 2 ou 3 enfants peuvent être incitées à en avoir un seuil Il y a deux raisons • cela: la discontinuité et la nature inférieure des servicas rendus par les enfants. Une frac· tion des familles qui auraient eu deux enfants, obtiennent un niveau de vie supérieur avec un enfant alors que d'autres Iselon leur préférence pour les enfants) obtiendront ce nivaau de vie supériaur avec trois enfants. L'incitation pour les familles ayant un ou deux enfants a en désirer trois, est mis en échec par la discontinuité comme par la nature inférieure des enfants. Les familles qui auraient eu spontanément trois enfants auront un nivaau de vie supérieur après l'aide, mais ce niveau de vie compte tenu de la nature inférieure des services rendus par les enfants, peut 'tre plus élevé si elles n'ont qu'un enfant 1 (figure bl.

Personne ne connait quelle serait la distribution spontanée des goûts en matière de ser· vices rendus par les enfants; toute chose égale d'ailleurs, on peut la supposer normale. Mais celle qui sera observée à la suite de la mise en œuvre de la politique familiale et démogra­phique, ne le sera pas. Elle sera concentrée sur un enfant et trois enfants 1 Nous détanons alors, une explication très simple d'un phénomène empirique qui intrigua les démographas: la proportion des couples avec beaucoup d'enfants s'amenuise au profit des couples avec un enfant. Ce phénomêne est la conséquence non prévue par les pouvoirs publics de la politi­que démographique.

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190 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

c (a)

O~~~ ____ ~ ____ ~ ________ ~~ ____ ~D~ ______________ ~ -1

c

A

o 2 3 4

~ ____ u,

5

N

(b)

Les familles qui ne désiraient pas avoir d'enfant en ont un. Celles qui en désiraient 4 en ont 3. Mais cellel qui en désiraient 2 sont incitées il en avoir ou bien 1 ou bien 3 si elles avaient des préférences normales, or les enfanu sont des biens inférieurs, elles en préfèrent donc 1.

N

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 191

dl Les anticipations rationnelles

Les individus sont toujours plus rationnels qu'on ne le pense. Si certaines familles anticipent une politique démographique vigou­reuse et croit à son efficacité, elles s'attendent à ce qu'un grand nombre de couples n'hésite pas à avoir des enfants supplémentaires pour profiter de ces subventions. Elles s'attendent alors au moment où leurs propres enfants deviendront adultes, à ce que ces derniers affrontent de grandes difficultés, car ils appartiendront à une généra­tion nombreuse. Ces familles prévoyant un avenir sombre pour leurs enfants en ont moins pour préserver le statut social de chacun d'eux. Mais, si chaque famille a le même raisonnement, toutes réduisent leur fécondité. A une politique vigoureuse de la natalité est associée une baisse de la fécondité par famille complète! Les anticipations ration­nelles des familles quant aux effets de la politique démographique sur le destin de leurs enfants, met radicalement en échec tout inter­ventionnisme en la matière. Paradoxalement, une politique démogra­phique ne serait efficace que si les familles ne croyaient pas à son efficacité ou ne se préoccupaient pas de l'avenir de leurs propres enfants. Or, si les familles ne se préoccupaient pas de l'avenir de leurs enfants, on ne voit pas pourquoi elles en auraient et si elles ne croyaient pas à l'efficacité de la politique démographique, on ne voit pas pourquoi elles accepteraient de la fmancer sur une longue période. En un mot il n'y aurait pas de rationalité à la politique démographique.

Des propositions?

A la lumière de tous ces arguments, il nous paraît possible d'envi­sager une réforme selon la direction suivante: séparer la fonction de redistribution des revenus de celle d'un soutien à la natalité. Le système de prestations familiales n'a pas à se substituer au système fiscal et n'a pas à assurer une égalisation des niveaux de vie selon la taille différente des familles. Le système actuel cherche à attein­dre deux objectifs en une seule aide: l'un de redistribution (vertical et horizontal), l'autre de natalité. Or, on ne saurait trop souligner le fait qu'avec un instrument de politique sociale, on ne peut attein­dre deux objectifs!

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192 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Si l'on désire poursuivre un objectif nataliste, il faut réorganiser le système d'aide actuel. L'avantage financier proposé aux familles doit décroître avec l'arrivée d'un enfant supplémentaire et non l'inverse. Enfm, l'ensemble des aides en nature, diminuant le coût des investissements faits dans chaque enfant, et contrecarrant les efforts déployés pour accroître le nombre d'enfants par famille complète, devrait être supprimé. Une politique de vérité des prix en matière d'éducation et de garde d'enfants en bas âge aurait sans doute un effet bénéfique sur la natalité. Cette politique ne devrait pas s'arrêter là. Le travail féminin est une des raisons fondamentales de la baisse de la natalité. L'éducation d'un enfant en bas âge exige de sacrifier du temps et, donc, le travail salarié de la mère. Mais le salaire offert aux femmes sur le marché du travail est maintenu arti­ficiellement au-dessus de celui qu'elle pourrait trouver ailleurs. En particulier, au-dessus du revenu que pourrait offrir un mari à sa femme. Le SMIG et les lois antidiscriminatoires qui obligent l'em­ployeur à payer une femme plus chère qu'elle ne rapporte, ont un double effet: inciter les femmes à entrer sur le marché du travail et inciter les employeurs à ne pas les embaucher. Dans une période de dépression où le chômage féminin est très élevé, où les salaires réels non contrôlés stagnent ou diminuent, on observe une crois­sance des taux de participation féminine au marché du travail. Ce comportement est une preuve essentielle de l'existence, pour un grand nombre de femmes sans instruction, d'un salaire minimum net des coûts de prospection et de chômage en excès de la rémuné­ration implicite offerte, en général, par un mari pour que son épouse reste au foyer et élève les enfants. En absence de cette législation, le salaire offert aux femmes sur le marché du travail, serait juste équiva­lent au revenu monétaire et non monétaire obtenu par l'épouse au foyer. Le SMIG et les lois antidiscriminatoires détruisent les gains de la division du travail propre à la famille. Or, la disparition de ces gains a des conséquences redoutables sur le divorce et la fécondité (encadré 8.5). La suppression du SMIG bénéficierait non seulement aux jeunes hommes qui trouveraient un travail mais aussi aux familles et aux enfants non nés. Les femmes sans instruction cesseraient de se porter sur le marché du travail pour rechercher un époux et rester au foyer (on peut mettre en contraste cette mesure supprimant un privilège avec la demande faite par les tenants de la politique fami­liale d'un salaire maternel égal au salaire minimum. Cette allocation

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 193

de mère au foyer serait, en réalité, une façon d'octroyer un pnVl­lège aux femmes qui désirent rester au foyer). Les rigidités contrac­tuelles du marché du mariage contribuent aussi, par leurs actions néfastes sur le mariage, à la baisse de la fécondité.

8.5· LES EFFETS PERVERS DU SMIG SUR LA FI:CONDITI:

Les économistes aiment dénoncer les effets pervers des législations. Le salaire minimum fait partie de leur cible favorite. Maintenir un salaire artificiellementau-dessuuje celui qui s'établirait en absence d'intervention, crée un sous-emploi parmi les jeunes et les bas salaires. Allons plus loin dans la critique. Non seulement le SMIG diminue l'emploi (les employeurs renoncent à embaucher parce que la main-d'œuvre non qualifiée coûte trop cheri et aug­mente le chômage des jeunes, des femmes et des immigrés (parce que les jeunes, les femmes et les immigrés non qualifiés abandonnent d'autres occupations pour accéder à ces emplois protégés), mais il détruit la stabilité de la famille et diminue la fécondité aux âges où la femme est la plus féconde.

Habituellement, les économistes analysent l'impact d'un salaire minimum sur les emplois où un tel priVilège existe. Ils négligent les conséquences qu'il peut avoir sur les emplois non couverts par cette législation. Un mari qui épouse une femme pour les services qu'elle rend (procréerl lui offre un emploi et doit la payer pour ce service. Le salaire mater· nel payé par l'époux doit être un revenu au moins égal à ce qu'elle pourrait trouver sur le marché du travail ou avec un autre homme. Avoir et élever un enfant dont on n'attend aucune qualification, ne coûte pas très cher. La rémunération oHerte par le mari est donc modeste et n'excède pas ce que la femme pourrait trouver sur le marché si elle restait céli­bataire. L'instauration d'un salaire minimum élève artificiellement la rentabilité du travail féminin par rapport à un emploi de femme au foyer. Il est intéressant pour la femme de retarder son mariage où l'arrivée du premier enfant et attendre au chômage la possibilité d'accéder à ces emplois protégés. Le chômage féminin est plus élevé et plus long; les employeurs refusant d'embaucher des femmes non qualifiées à un tel salaire. Mais ces coûts d'attente sont transitoires alors que le gain attendu pour la femme est permanent. Les femmes entrent de plus en plus sur le marché du travail, même au prix d'un chômage élevé et long. Sur le marché du mariage, l'oHre d'enfant par la femme diminue. Cette res· trictlon de l'offre augmente le prix que doit payer un homme pour s'oHrir les services ren· dus par une épouse. Faute de pouvoir payer ce prix, il reste célibataire. S'il est déjà marié, les gains de la spécialisation disparaissent et la probabilité de divorcer augmente. Tout cela affecte les anticipations sur l'intérêt et la stabilité du mariage. La fécondité en est réduite d'autant. -

A la réflexion, on peut se poser légitimement la question de savoir si un programme politique qui se veut en faveur de la natalité, ne serait pas fmalement, un programme qui tend à libérer le marché du mariage comme celui du travail de toutes les entraves, que des groupes de pression (féministes et associations de familles nombreu­ses) ont instauré à leur profit au fil des ans et des législatures (encadré 8.6).

8.6 - EXISTE-T-IL UNE POLITIQUE LIBI:RALE DE LA FAMILLE?

La question d'une pOlitique libérale de la famille n'est pas anecdotique. S'il est un domaine où la confusion des genres «politiques. est extrême, c'est bien celui·la.

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194 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Les milliards de francs dépensés chaque année depuis 1939, c'est-à-dire pendant quarante ans, avec une pOlitique qui a pour objectif d'accroître la natalité alors que celle-ci décline de façon permanente (le Baby Boom d'après-guerre s'est produit dans tous les autres pays occidentaux en absence de politique démographique) peut surprendre le contribua­ble 1 La politique familiale comme toutes les autres politiques sociales ou industrielles se révèle pour ce qu'elle est: une vaste redistribution d'argent au profit de groupes de pression particuliers. Sous le couvert de la politique familiale, le protectionnisme est à l'œuvre. Il s'agit de protéger une industrie en déclin: la famille telle que la concevait nos parents ou grands-parents!

La confusion des esprits est extrême. Un homme aussi éminent qu'A. Sauvy, anti­protectionniste convaincu, est l'un des promoteurs de la politique familiale. Les gouverne­ments de «droite)) depuis 1938, prônent la politique familiale et simultanément se préten­dent libéraux (depuis peu il est vrai) 1 Bien entendu, la politique la plus libérale en matière familiale qui ait été menée depuis 1939, date de 1981, avec le gouvernement Mauroy 1 Les socialistes qui, en majorité, sont laïques, préfèrent soutenir d'autres groupes de pression que les catholiques ou les familiaristes. Rendre hommage aux socialistes d'avoir mené une politique à tendance libérale dans un océan de dirigisme et de redistribution à tout va, ébranle les fois politiques les plus ferventes.

Dire que les socialistes sont libéraux en matière de politique familiale est naturelle­ment une fausse vérité. En réalité, une politique libérale de la famille est une politique de libération du marché mariafltl de l'ensemble des entraves qui visent il préserver les inté­rêts particuliers des groupes de pression familialiste ou féministe. C'est une politique de réhabilitation des règles de juste conduite de l'ordre spontané du marché et de leur rôle souverain pour guider les actions individuelles.

En matière familiale une politique libérale est un véritable programme révolutionnaire. Elle consiste à : - Supprimer toute "a politique familiale et démographique: de l'allocation familiale

aux aides aux logements, en passant par le complément familial, l'allocation d'orphelin; - Supprimer le quotient familial. Certains libéraux estiment qu'il faut le conserver car

il empêche l'Etat de prélever des impôts, donc limite son pouvoir et fait échec au désir d'utiliser la fiscalité pour redistribuer le revenu entre familles riches et pauvres. Mais, si la véritable motivation pour soutenir le quotient familial est de faire échec au prélévement de l'impôt sur le revenu, il parait plus simple et plus cohérent, comme l'a demandé, le député Martinez, de supprimer l'impôt sur le revenu ... ;

- Supprimer toute la législation du travail qui maintient artificiellement le salaire de la femme au-dessus de la rémunération qu'elle pourrait obtenir dans un mariage. (Suppres­sion du SMIG et des lois antidiscriminatoires);

- Supprimer la fiscalité qui pénalise le mariage par rapport il d'autres formes de statut matrimonial;

- Supprimer les monopoles de l'INED et de l'UNAF (ôter aux groupes de pression familialistes le pouvoir d'imposer leurs préférences à l'ensemble des français grâce aux moyens qu'offrent ces deux monopoles pour influencer les hommes d'Etat);

- Fiscaliser et transformer les caisses d'allocations familiales en organismes privés d'assistance aux pauvres. (Permettre il ces organismes de faire au grand jour ce qu'ils font en cachette et ôter aux syndicats le pouvoir de gérer ces fonds il leurs fins particulières) ;

- Privatiser la sécurité sociale et l'éducation (rendre il la famille la liberté de ses choix en matière d'assurance vieillesse et d'éducation, ce qui renforcera la natalité en détruisant à la base les effets désastreux de la gratuité de l'enseignement et du système par répartition sur les comportements de fécondité) ;

- Supprimer le contrat type de mariage édicté par le Code civil et renforcer la liberté contractuelle des individus en matière de contrat de mariage. (Offrir la possibilité il chacun d'envisager le mariage comme une affaire privée et de bénéficier de la protection du droit des obligations ou d'un droit qui se créera par des arbitrages privés. Cela réduira la cohabi­tation, le concubinage et les divorces et augmentera le nombre de mariage où les gens s'enga­gent vraiment. Cette mesure offrira aussi aux personnes qui veulent vivre en communauté d'inventer des droits de propriété qui permettront à ces expériences de survivre);

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LA POLITIQUE FAMILIALE ET DEMOGRAPHIQUE 195

- Supprimer l'interdiction de la polygamie tout en autorisant, contrairement au droit musulman, une exclusivité de l'épouse sur son époux. (Permettre une souplesse plus grande du contrat de mariage pour faire face aux fluctuations démograph iques du ratio des sexes dans la population. Cela permettra aux femmas pauvres d'avoir un niveau de vie supérieur en partageant un homme riche avec une autre femme si celle-ci y consent. Cette mesure par ailleurs, accroît très directement la natalité, car elle offre la possibilité aux femmes qui sont restées célibataires, de trouver un époux comme femme en second) ;

- Supprimer l'obligation de passer devant Monsieur le Maire pour être déclaré marié, afin de marquer définitivement le caractère privé de ce contrat. (Donner du travail au Notaire et libérer le temps des maires de nos communes pour des tâches plus urgentes) ;

- Ne pas interdire l'achat et la vente des droits d'élever un enfant. (Faciliter l'adop· tion, rendre plus difficile ou retarder le divorce en responsabilisant les parents sur les consé· quences de leurs actes, puisque l'un d'eux perdra toute autorité sur ses enfants) ;

- Liberté totale aux parents d'avoir des enfants par les moyens qu'ils désirent, insémi· nation artificielle, mère porteuse ou achat d'enfant. (Augmenter la taille des familles et favoriser une redistribution des richesses entre génération);

- Développer les agences matrimoniales et les instituts privés de conseil matrimonial (assurer un meilleur assortiment entre les époux, ce qui devrait réduire les divorces et aug· menter la natalité) ;

- Développer les assurances privées pour protéger les contractants contre une rupture imprévisible du mariage. (Atténuer les pertes de revenus attendus en cas de divorce);

- Liberté totale aux parents de faire un testament en faveur de la personne à laquelle ils veulent léguer leurs biens. (Rétablir le pouvoir des parents sur leurs enfants, ce qui ren· forcera l'intérêt des enfants envers leurs parents aux âges avancés et donc l'intérêt des parents à avoir des enfants).

Ces mesures sont révolutionnaires, non seulement vis·à·vis des néoconservateurs ou sociaux·démocrates, mais aussi vis·à·vis des féministes, des associations de familles nombreu· ses, des socialistes et des communistes.

Comparons ce programme avec celui d'un mouvement féministe. Celui des 50/50 pro· pose les dix mesures suivantes:

1. Déclaration des revenus individuels (la taxation séparée est une mesure libérale de non ingérence dans la formation du couple) ;

2. Abandon du quotient familial (est une mesure libérale si elle s'accompagne d'une suppression des aides à la famille) ;

3. Droit propre de la femme à la sécurité sociale et à la retraite (est une mesure inter· ventionniste : la femme comme tout autre être humain n'a pas de droit à vivre aux dépens de quelqu'un d'autre);

4. Droit à la femme de choisir son nom en cas de divorce (interventionniste: le nom reflète une image de marque et a donc une valeur sur le marché du travail ou sur le marché du mariage, la femme ne peut avoir le droit de porter le nom de son mari, sauf si elle achète ce nom ou si son époux lui en fait cadeau) ;

5. Choix à la majorité du nom de la mère, du père ou des deux (interventionniste: de la même manière, ce n'est pas à l'enfant de choisir son nom qui ne lui appartient pas, mais aux parents d'offrir le leur);

6. Révision du mode d'attribution du contrat de mariage (pour favoriser d'autres contrats de mariage que celui de la séparation de bien et de la société des acquêts, pourrait être libéral s'il s'agit de supprimer le contrat type - offert par la loi);

7. Limitation de l'engagement contractuel à la durée du mariage (suppression par exemple, de l'obligation alimentaire). (Cette mesure est interventionniste, les contractants sont libres de s'obliger s'ils le veulent, après la rupture du contrat) ;

8. Pension alimentaire aux enfants payée par l'Etat (interventionniste: c'est le rôle que la CNAF est en train de faire jouer désormais à l'allocation d'orphelin. Accentue le problème des débiteurs défaillants en incitant les femmes à ne plus «s'autoprotéger)) contre ce risque);

9. Suppression des ghettos féminins (interventionniste: l'employeur peut discriminer qui il veut);

10. Obligation du service militaire pour les femmes (interventionniste: les libéraux prô' nent depuis toujours la suppression du service militaire au profit d'une armée de métier).

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CONCLUSION

« Une époque de superstition est celle où les gens imaginent qu'ils en savent plus qu'ils n'en savent en réalité. »

F. HAYEK. Droil, flgiflalion el liberll, t. 3 :

L'ordre politique d'lI1I pellJlle libre.

Au terme de cet essai sur le mariage, la famille et les choix indi­viduels, le lecteur peut maintenant se faire sa propre opinion sur l'ensemble des phénomènes démographiques dont la presse quoti­dienne ou hebdomadaire se fait l'écho. La chute de la fécondité, la montée de l'union libre, les divorces, le commerce des enfants, le féminisme, la politique familiale, la baisse de popularité du mariage, les prestations compensatoires, etc ... n'ont plus de secret pour lui. Mais il n'est pas sûr qu'après ce voyage, il trouve fmalement la com­pagnie de l'économiste très agréable. Le lecteur n'est sans doute pas encore prêt à accepter que l'on discute ainsi des aspects les plus intimes de sa vie. Il lui faudra du temps pour se pénétrer de la jus­tesse de cette interprétation. On ne peut lui en vouloir, puisque les économistes eux-mêmes, dans leur grande majorité, n'y sont pas encore prêts. Leur refus de voir l'évidence ressemble fort à celle du médecin qui diagnostique aisément une maladie grave à partir des symptômes qu'il observe chez ses patients, mais ne la reconnaît pas lorsqu'il en est lui-même atteint.

Ce refus général provient de l'inquiétude que tant de gens éprou­vent lors du passage d'une société «fermée» à la grande société

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198 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

«libre et ouverte» qui émerge spontanément de la généralisation du marché. La famille est encore avec l'Etat (qui en est sa copie conforme) un des derniers bastions de la société «close» à l'ombre de laquelle s'épanouit la solidarité, l'affection et où «se perpétue la société du face à face, c'est-à-dire celle où les besoins connus de gens connus guident les actions individuelles» 1. Ce que refusent de voir nos contemporains, c'est que cette éclosion de la société ouverte dans la famille, est peut-être le meilleur produit de notre civilisation. Car, finalement, c'est à une privatisation des relations humaines que nous assistons. Désormais, chacun a le pouvoir de gérer sa vie, non pas à sa guise, mais en l'affranchissant des contraintes propres à la société fermée. Il gère sa vie selon les règles abstraites qui gouvernent la société ouverte, c'est-à-dire selon les règles de l'échange volontaire et de la liberté contractuelle. Dans une telle société chacun est pro­priétaire de lui-même et «peut poursuivre des fins propres qui n'ont nul besoin d'être connus des autres membres de la société» 2.

L'analogie avec la firme qui sous-tend entièrement cet essai, est non seulement très éclairante, mais peut dissiper les craintes et les refus instinctifs que les gens ont devant les transformations radicales de la famille, faute d'en comprendre la logique.

Comme pour n'importe quelle entreprise, la famille produit directement des biens et des services (pour les consommer ou les revendre), à un coût plus faible que le prix payé pour les acquérir sur le marché. Pour cela, elle combine des ressources en temps et en main-d'œuvre (ceux de l'époux, de l'épouse, des enfants ou de tiers), un savoir-faire (expérience professionnelle et domestique), des biens d'équipement (voitures, appartement, machine à laver le linge, la vaisselle, télévision etc ... ) et un capital fmancier (emprunts, prêts) par l'intermédiaire d'un contrat (de mariage) qui défmit les obliga­tions et les droits de chacun tout au long de cette coopération.

La famille comme la firme, est un «nœud de contrats» dont l'objet repose sur un échange. La femme demande un revenu en contrepartie des services offerts: services domestiques, «affection» et «enfants». En échange, l'homme offre une situation à son épouse, c'est-à-dire une rémunération implicite si possible supérieure à ce que peut offrir un autre homme ou un employeur.

La création de cette entité «famille» est risquée et suscite chez les partenaires une prospection et une expérimentation avant de s'engager fermement par contrat. Sa disparition ne signifie pas

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CONCLUSION 199

(exactement comme pour une entreprise) sa destruction ou son démembrement, mais une réorganisation de ses actifs (redistribution entre mari et femme des équipements acquis dans la communauté), une réappréciation de sa valeur (indemnité de rupture et nouvelle valeur du capital humain sur le marché du mariage de seconde main), comme un changement de propriétaire (la femme garde les enfants et les époux se remarient).

Elle souffre de la concurrence du marché qui offre à des prix imbattables ce que la famille prétend fournir à ses membres. Comme n'importe quelle firme, elle est obligée de rediversifier ses activités (elle renonce à payer une lavandière au profit d'une machine à laver le linge ou bien elle concentre plus d'effort et d'argent à l'éduca­tion des enfants et non pas à leur nombre, elle s'attache plus à l'affection entre les époux), réallouer ses ressources (elle ne spécia­lise plus l'épouse au foyer et retarde l'entrée des enfants sur le marché du travail pour améliorer leur formation) pour faire face à cette concurrence du marché. Si elle ne le fait pas, elle disparaît.

Elle a des problèmes de contrôle de performances et de délé­gation de pouvoir. L'épouse fait-elle à la maison son travail sérieuse­ment? Le mari dans son entreprise, consacre-t-il toutes ses forces à améliorer sa carrière? Comme dans une flrme, on pratique la sur­veillance du travail. C'est vrai, il n'y a pas de pointeuse, mais parfois l'œil exercé de la femme est pire que la pointeuse. On dispute le partenaire qui a mal fait une tâche ou qui, au lieu de rapporter l'argent à la maison, va le boire au bistrot ou le jouer aux courses. On donne une bonne fessée à l'enfant qui fait une bétise.

On réunit un conseil de famille pour prendre des grandes déci­sions. Enfin, le marché lui-même, exerce une discipline sur les parte­naires. A chaque instant une opportunité existe pour qu'un amant ou une maîtresse vienne jouer les passagers clandestins ou qu'un prédateur fasse une OP A sur votre épouse ou votre mari.

On observe aussi des phénomènes de quasi-rente entre époux et d'investissement spéciflque au mariage. Ces investissements spéci­flques ou ceux incorporés dans le capital de l'autre partenaire, posent des problèmes délicats au moment de la rupture et exigent des contrats de mariage prévoyant des droits de propriété sur les par­tenaires.

Or, c'est cette entreprise qui depuis les années cinquante, a subi de plein fouet la concurrence. La plupart des services offerts par la

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200 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

famille à ses membres peuvent être obtenus à un moindre coût sur le marché. La présence de ces substituts a littéralement détruit les gains du mariage tirés de la division du travail entre les époux en même temps qu'ils assuraient leur richesse. En effet, quels sont ces substituts: la machine à laver le linge et la vaisselle, le frigidaire, la voiture, la télévision, etc., c'est-à-<lire tous les biens d'équipement qui ont fait la croissance du marché des années cinquante aux années soixante-dix!

La famille privée des gains de la division du travail se reporte sur des productions sans substitut sur le marché (affection, loisirs familiaux, éducation des enfants) et sur des investissements dans le conjoint, propres à augmenter les revenus de la famille.

Cette réorientation de la production vers des gains tirés de la complémentarité bouleverse l'entreprise à plusieurs niveaux. D'abord au niveau de sa création. Le choix des partenaires devient crucial car la complémentarité de leurs caractéristiques non observables avant un mariage ou une cohabitation, joue un rôle prédominant dans la production de l'affection, de l'éducation des enfants, des loisirs partagés, ou des possibilités de tirer un revenu futur sur le marché du travail du capital humain de chaque partenaire. Une incertitude plus grande existe sur la production offerte augmen­tant ainsi le risque du mariage. Ce risque accru entraîne des com­portements «d'autoprotection» qui se créent au détriment de la production familiale (affection et enfants). Cette modification des produits offerts rend plus intolérable l'impossibilité de rompre le contrat de mariage.

La faillite de la famille lorsque la rupture unilatérale est autori­sée (ce qui n'est pas le cas en France), pose de nouveaux problèmes par suite des investissements incorporés dans le partenaire en absence de droits de propriété sur ces derniers.

Les conditions du contrôle des performances sont modifiées. Il est moins important aujourd'hui de contrôler les tâches domes­tiques. En revanche, si les deux conjoints travaillent, il sera plus difficile pour l'un comme pour l'autre de contrôler les efforts de chacun pour contribuer au revenu familial. Par ailleurs, les parte­naires seront plus exigeants sur le partage des loisirs ou de l'affec­tion!

Comme la nature du produit familial est au début du mariage, plus immatérielle, plus difficilement mesurable, plus rapidement

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CONCLUSION 201

obsolète et que les coûts de rupture du contrat de mariage sont plus bas, la discipline du marché joue de façon plus vive. Chaque conjoint peut trouver une meilleure opportunité de vie avec un autre parte­naire et sanctionner la conduite de l'autre, d'autant plus facilement que les fluctuations démographiques entraînent en même temps une offre de femmes plus abondante par rapport à la demande des hommes.

Malheureusement, si cette entreprise subit des bouleversements intenses et doit réallouer ses ressources pour faire face à ces modifi­cations de l'environnement, la structure des droits de propriété qui est l'enjeu des groupes de pression particuliers sur le marché politi­que ne répond pas à ces changements. Faute de pouvoir s'adapter aux nouvelles conditions du marché du mariage, le droit actuel entraîne l'effondrement de la famille. Cette thèse apparaît en fili­grane dans la plupart des chapitres.

L'absence et la disparition des "droits de propriété sur les parte­naires au contrat de mariage constituent vraisemblablement une des causes fondamentales de la baisse de la popularité du mariage, de la baisse de la fécondité, de la hausse de la cohabitation, de la hausse des divorces, et paradoxalement de la montée du travail féminin. Chacun de ces phénomènes amplifiant les autres par leurs interactions réciproques sur les gains du mariage. Les droits de propriété spécifiés dans le contrat type du mariage offert par la législation, ~loignent une fraction importante des individus vers l'union libre, faute de pouvoir contracter librement. L'absence de contrat augmente l'incertitude sur le comportement des partenaires et entraîne de moindres investissements affectifs dans le mariage. La disparition des droits de propriété sur les enfants au niveau du revenu tiré de leur travail et de l'héritage désincitent les parents à investir dans un nombre important d'enfants, afm d'assurer leurs vieux jours. L'impossibilité d'acheter ou de vendre le droit d'élever un enfant, comme d'exiger de son partenaire qu'il rachète le droit de se séparer de son épouse, entraînent une réticence à la procréa­tion, de peur d'un divroce, et incitent le conjoint qui s'approprie les quasi-rentes du mariage à quitter unilatéralement sa (ou son) partenaire. Cette absence de droit de propriété rend le contrat plus incertain, poussant ainsi l'épouse vers le marché du travail.

L'impossibilité qu'a l'époux d'empêcher sa femme de travailler ou d'avorter, lui ôte tout pouvoir de faire respecter les termes de

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202 LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

l'échange, et, donc, tout intérêt à avoir des enfants ou à se marier avec un rartenaire. Pour un homme, il est plus sage de vivre en union libre en préservant sa liberté sexuelle et affective que d'épouser une femme qui peut de toute façon faire ce qu'elle veut de son corps.

On ne peut que déplorer l'effet désastreux des groupes de pres­sion féministes et familialistes sur la législation. Les familialistes imposent un contrat type de mariage totalement inadapté au monde contemporain et aux nouvelles productions de la famille (puisqu'ils veulent préserver la famille nombreuse), les féministes détruisent tout intérêt à se marier.

Un défi fondamental est posé à notre société ou à notre démo­cratie. Si elle n'est pas capable de restituer aux individus leur liberté de contracter, elle sera appelée à disparaître, faute d'avoir compris comment fonctionne une communauté aussi simple que celle de la famille, mais qui détient les clefs de sa reproduction ...

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NOTES

INTRODUCTION

1. Le tableau ci-dessous des indicateurs démographiques aux divers recensements permet d'avoir une vue des transformations de la famille sur une longue période.

Tableau de bord des divers indicateurs démographiques aux divers recensements

'954 '964 '968 '975 '982

a Taux brut de nuptialité' (nombre de mariages pour 1 000 habitants) 7,3 7,2 7,2 7,4 5,8'

b Proportion de mariages se terminant par un divorce, en % 9,5 10,2 10,9 16,8

c Indice de fécondité' (nombre d'enfants par famille complète) 2,7 2,8 2,5 1,8 1,9'

Proportion de couples' (en % de l'ensemble des couples) :

d Sans enfant de 0-16 ans 48,9 47,1 49,2 51,7 e 1 22,2 21,2 21,9 21,4

2 15,2 15,9 16,8 17,7 g 3et + 13,7 15,9 12,1 9,2 h Proportion de couples' non mariés

(en % de l'ensemble des couples) 2,9 2,8 3,6 6,3

Proportion de célibataires' il 25-29 ans :

Hommes 38,1 32,6 30,8 40,9 j Femmes 19,8 18,1 19,6 26,2 k Naissances illégitimes' (en % des naissances) 6,5 5,9 8,7 14,2 1 Femmes divorcées vivant seules avec des

enfants, en milliers 93 153 398

Taux d'activité des femmes' : m Mariées de 30 il 34 ans 31,2 37,0 49,3 63,5 n Ensemble des femmes mariées (femmes

actives mariées, en % des femmes mariées) 31,9 31,6 40,6 48,7

Page 206: Le marché du mariage et de la famille

204 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

1954 1964 1968 1975 1982

Proportion des couples :

0 Où la femme est active 30,0 29,0 31,0 38,0 45,5 p Où 1 a femme est au foyer (en % de

l'ensemble des couples) 58,0 55,0 50,0 40,0 30,8

Taux d'activité des femmes mariées selon le nombre d'enfants'

q Sans enfant 35,7 35,5 37,8 41,6 1 enfant 36,2 39,3 56,6 66,1

s 2 enfants 24,7 25,6 41,2 57,7 t 3 et + 18,9 16,1 22,9 30,9

Proportion de la population de plus de 60 ans vivant (en %)' :

u En maison de retraite ou en hospice 2,3 2,8 3,2 3,0 v A l'hôpital 0,4 0,6 0,6 0,9

Proportion des ménages avec (en %l'

w 1 personne 6,2 6,3 6,6 7,7 9,1 x 4 personnes 19,2 18,9 19,7 21,3 23,9 y 5 15,0 15,2 15,1 14,2 13,6

6 et plus 22.4 22,3 22,8 17,5 11,5

1. M. Croze, Tableaux démographiques et sociaux, Paris, INSEE, 1976, 2. J.-P. Courson et M. de Saboulin, Ménages et familles: vers de nouveaux modes de vie 1,

Economie et statistique, mars 1985. 3. P.-A. Audirac, La cohabitation: un million de couples non mariés, Economie et statistique,

février 1986. 4. R. Lenoir, L'effondrement des bases sociales du familialisme, Actes de la Recherche en

Sciences Sociales, iuin 1985. 5. P.-A. Audirac, Les personnes agées, de la vie de famille Il l'isolement, Economie et statis­

tique, mars 1985, 6, Données sociales de l'INSEE, édition 1984, Paris, INSEE,

Un bref commentaire du tableau illustrera les grandes transformations de la vie de famille à trente ans de distance. Dans les années cinquante à soixante, la génération qui approche la quarantaine atijourd'hui vivait dans une famille où le nombre d'enfants était élevé, les mariages fréquents et les divorces rares. Il y avait très peu de couples non mariés et la proportion des célibataires entre 25 et 29 ans était relativement faible, Les naissances illégitimes étaient rares. Pour plus de la moitié des couples, la femme restait au foyer pour élever les enfants et s'occuper de son époux. La génération actuelle expérimente une situation strictement opposée : peu d'enfants par famille; des mariages de moins en moins fréquents; des divorces de plus en plus probables; une proportion de plus en plus grande de couples non mariés, de naissances illégitimes et de céli­bataires entre 25 et 29 ans qui préfigure des taux jamais observés de célibat définitif à cinquante ans; enfin des couples où pour presque la moitié d'entre eux la femme est active, et a pratiquement cessé .d'élever les enfants et de s'occuper de son époux.

2. L'école de Chicago est devenue célèbre dans ce domaine grâce à Gary BECKER.

Son livre A Treatise on the Family, paru en 1981 au Harvard University Press

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NOTES DE L'INTRODUCTION 205

à Cambridge, Massachusetts, résume et synthétise l'ensemble des contributions de cet auteur à la théorie économique de la famille. C'est un des livres les plus imponants sur le sujet avec celui édité par Theodore Schultz en 1973 sous le titre The Economics of the Family. Ce dernier ouvrage était le produit d'une conférence organisée par le National Bureau of Economic Research en 1972. Elle-même était le résultat d'un programme de recherche lancé dans l'année 1970 par le NBER et financé par la fondation Ford et le National lnstitute of Child Health and Human Development.

L'école de Chicago est en général représentée par un chef de file dans chaque domaine où sa contribution à la connaissance constitue une percée décisive. Dans le domaine de la théorie du consommateur ou du ménage, cette percée a été réalisée par Becker (très cenainement un futur prix Nobel) et ses étudiants ou assistants qui au cours des années 1970 et 1980 ont contribué·à ce programme de recherche. On peut citer parmi eux les noms les plus connus : Lee Benham, R. Gronau, R. Michael, J. Mincer, Y. Ben Porath, T. Schultz, P. Schultz, F. Welch, R. Willis pour les plus anciens; A. Freiden, A. Grossbard-Schetman, J. Heckman, M. Keeley, D. de Tray, A. Freiden, J. Heckman, M. Keeley, E. Landes, E. Lazear, Y. Papps, N. Tomes, W. Wessels et Y. Weiss pour les plus jeunes.

3. La passion des économistes pour l'hypothèse d'une (( rationalité sans passion » comme principe fondamental gouvernant les comportements humains surprend toujours le profane. Comment peut-on convaincre des gens raisonnables d'une telle idée? Ne voit-on pas tous les jours des comportements individuels gouvernés par les passions, les instincts, voire même par un (( inconscient »? Ils contre­disent l'hypothèse de rationalité individuelle. Les économistes ne sont pas démontés par une telle observation. Le comportement rationnel renvoie à deux principes : la comparabilité des alternatives et la cohérence des choix. Mais observer des componements incohérents ou de non-comparaison des alternatives ne contredit en rien l'hypothèse de rationalité. En effet, un comportement déraisonnable peut être le produit d'un calcul. Comparer les alternatives et être cohérent dans ses choix sont des « actions ». Pour les mener à bien l'individu met en balance les avantages et les inconvénients. Si ces derniers l'emportent sur les premiers, le comportement de l'individu sera gouverné par le hasard ou par les passions. Ainsi ne pas maîtriser ses émotions, ses instincts ou son inconscient a un coût d'opportunité : le bien-être dont on se prive en se compor­tant ainsi. Si ce coût s'élève, il devient rentable de se comporter de manière rationnelle. L'irrationalité est expliquée par la rationalité elle-même.

Les psychanalystes, par exemple, refusent le postulat des économistes et font jouer à l'inconscient un rôle primordial dans les componements individuels. Mais leur métier n'est-il pas d'offrir à leurs clients, contre un paiement, un service particulier : celui de maîtriser les émotions, les passions, les instincts ou l'inconscient parce qu'ils sont susceptibles de mener à des conduites déraisonnables?

En fait, la rationalité individuelle n'est pas une prémisse de la théorie économique; même si, souvent, on la présente comme telle. Elle est le produit d'une structure d'interaction, le marché, qui confère un avantage aux décisions rationnelles.

4. M. MAuss et FAUCONNET, Sociologie, La Grande EncYc!Qpédie, vol. 30, Paris, 1907.

S. P. BoURDIEU, Avenir de classe et causalité du probable, Revue française de Sociologie, mars 1974.

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206 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

6. G. BECKER, A Treatise on the Family, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1981, p. 256.

7. P. A. SAMUELSON, An Economist's Non Linear Model of Self Generated Fertility Waves, Population Studies, juillet 1976, p. 244; M. BLAUG, The Methodology of Economies, Cambridge Survey of Literature, 1980, p. 245.

8. A. GROSSBARO, An Economic Analysis of Poligyny : the Case of Maiduguri, Current Anthropology, décembre 1976; R. CUGNET et J. SWEEN, On Grossbard's Economic Analysis of Poligyny in Maiduguri, Current Anthropology, mars 1977.

9. Cet argument est soutenu par A. GROSSBARO-SCHETMAN dans un article non publié, « Marriage Squeezes and the Marriage Market )J. Communication à la conférence « Contemporary Marriage : Comparative Perspectives on a Changing Institution )J, Standford, août 1982.

10. Nous laissons de côté un grand nombre de sujets faisant partie ou très proches de l'analyse économique de la famille comme : l'offre de travail féminin, la polygamie, l'éducation des enfants, l'inégalité des revenus intergénérationnels ou la mobilité sociale, la discrimination des salaires entre hommes et femmes, les espèces non humaines, etc.

Chapitre Premier - LA NATURE DE LA FAMILLE

1. La nouvelle théorie du consommateur concentre ses efforts analytiques sur des comportements hors marché (fécondité, éducation des enfants, tâches domes­tiques, recherche d'information, publicité, pratique religieuse, suicide, crimi­nalité, etc.) et repose sur le modèle d'allocation du temps proposé par G. Becker en 1965, affiné par Gronau en 1977. Cette théorie fait jouer un rôle central au revenu perdu en renonçant à un travail salarié pour se consacrer à une autre activité légale ou illégale, domestique ou non, de loisir ou non. C'est cette hausse du coût du temps qui façonne nos modes de vie contemporains. Becker et ses disciples de l'école de Chicago ont étendu cet outil d'analyse au comportement intrafamilial. Mais cet outil très efficace pour comprendre certains phénomènes sociaux reste une extension du modèle traditionnel à la rareté du temps à l'égal de celle qui a été faite à propos des choix intertemporels ou en incertitude.

Cette approche ignore, comme l'ont fait remarquer Ben Porath et Pollack, l'organisation interne de la famille et les raisons fondamentales de sa formation ou de sa dissolution. Les travaux de Coase, Klein, Crawford et Alchian sur la firme offrent une analogie qui mérite d'être explorée. C'est par ce biais que Ben Porath ou Pollack suggèrent des pistes à suivre. C'est aussi dans cet esprit que nous avons abordé cet ouvrage.

On peut se reporter à :

BECKER, G., A Theory of Allocation of Time, Economic Journal, 1965. BEN PORATH, Y., The F-Connection : Families, Friends and Firms and the

organization of Exchange, Population and Development Review, mars 1980.

Page 209: Le marché du mariage et de la famille

NOTES DU CHAPITRE 1 207

CoASB, R., The Nature of the Firm, Economica, novembre 1937. GRONAU, R., Leisure, Home Production and Work - The Theory of the

Allocation of Time Revisited, JournoJ of Political Economy, décembre 1977. KLEIN, B., CRAWFORD, R. et ALCHIAN, A., Vertical integration, Appropriable

Rents and the Competitive Contracting Process, Journal of Law and Economies, octobre 1978.

PoLLACK, R., A Transaction Cost Approach to Families and Households, Journal of Economie Literature, juin 1985.

2. Toute théorie (ou pensée conceptuelle) a pour but de rendre plus facile l'appréhen­sion du réel par l'esprit humain. En ce sens, la simplicité n'est pas seulement un avantage mais la raison d'être de la démarche scientifique. Traiter de « simpliste » une théorie que par ailleurs on n'arriverait pas à réfuter n'est pas une condam­nation mais un compliment involontaire.

3. J. HIRSHLBIFBR, Priee Theory and Applications, chap. 8, London, Prentice Hall, 1980.

4. Se reporter à l'annexe de ce chapitre. La position des économistes tranche ici singulièrement avec l'ensemble des autres disciplines. Elle est très souvent ignorée ou mal comprise. Dans son débat avec les féministes, le philosophe A. LAURENT (Féminin-masculin : un nouvel équilibre, Paris, Seuil, 1975) puise ses sources dans la biologie et l'anthropologie. L'économiste qui participait au groupe des dix avec des biologistes, des sociologues, des juristes et des hommes politiques est dans l'incapacité de montrer la pertinence du point de vue de l'analyse économique malgré la parution en 1973 du premier article de Becker sur ce slÙet.

5. G. BECKER, chap. l, op. cit., 1981.

6. G. BECKER, chap. 1, op. cit., 1981.

7. La théorie 6conomique pure ne fait que formaliser la logique de l'action appli­quée aux choix humains. Il n'est pas étonnant de retrouver les mêmes principes à l'œuvre dans toutes les activités vivantes. Cette remarque rejoint l'article de Levy-Garboua (1981) qui n'hésite pas à évoquer un principe d'éco-rationalité et la discussion de A. Laurent, op. cit. LEvY-GARBOuA, L., L'économique et le rationnel, L'Année sociologique, 1981.

8. La différence entre un avantage absolu et un avantage comparatif est avec le raisonnement marginal un des raisonnements clés de l'analyse économique. Il échappe habituellement à la compréhension des gens.

9. R. WINCH, Mate Selection, a Study of Complementary Needs, New York, Harper, 1958.

10. Une littérature abondante existe sur ce slÙet. On peut se reporter à l'article clas­sique de Alchian et Demsetz. ALcHIAN, A. et DBMSETZ, H., Production, Information Costs and Economic

Organisation, American Economie Review, décembre 1972.

Il. Comme le rappelle fort judicieusement PoLLACK, op. cit.

Page 210: Le marché du mariage et de la famille

208 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

12. BBN PORATH, POLLACK, Op. cit., et Carr et Landa développent cette idée. CARR, J. et LANDA, J., The Economies of Symbols, Clan Names and Religion,

The Journal of Legal Studies, janvier 1983.

13. Voir J. FOURASTIÉ, De la vie traditionnelle à la vie tertiaire, dans Population, éd. H. Lebras, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1985.

14. BBCKBR, 1981, chap. li, op. cit.; R. POSNBR, A Theory of Primitive Society, dans Economie Justice, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1981.

ANNEXE La division du travail (tiré de B. LEMBNNICIBR, 1980)

La division du travail est un principe fondamental qui dépasse largement les problèmes de commerce international où les économistes l'ont confiné initia­lement. Non seulement ce principe s'avère pertinent pour l'étude de l'allocation des rôles conjugaux, mais il apparaît aussi très important pour expliquer l'évo­lution biologique ou celle des sociétés animales. Wilson (1975) n'hésite pas à expliquer les castes d'insectes observées chez les Nasutitermes Exitiotus ou les rôles différents selon l'âge et le sexe tenus chez les singesCercopithecus Aethiops par un principe d'optimisation identique au concept de division du travail utilisé par les économistes. Pour démontrer combien ce principe est fondamental, nous simplifierons à l'extrême sa présentation.

La charpente du modèle

Le mari et l'épouse tirent satisfaction de deux catégories de biens : les biens domestiques produits au foyer, les biens marchands produits sur le marché. Appelons H les biens produits au foyer et 1 le revenu des époux. Ceux-ci sont obtenus en utilisant seulement le temps de l'homme et de la femme:

(1) lM = W)(. TWM , (2) IF = WF. TWF, (3) HM = THMfthM, (4) HF = THF/thE,

où TWll , THll , TWF , THE sont les temps respectivement consacrés par le mari et la femme au travail salarié et au travail au foyer. W)(, thM, WF, thE mesurent respectivement les taux de salaire et les temps mis par les époux pour produire une unité de biens domestiques à domicile. La production de revenu et des biens non marchands sont des proportions constantes des temps consacrés à ces deux activités.

Chaque membre de la famille fait face à une contrainte de temps arbitrai­rement fixée à TO :

(5) TD = TWM + THM, (6) TD = TWF + THF •

Réécrivons ces deux relations de la façon suivante en remplaçant TWIl, THil, TWF, THF par leurs valeurs tirées des équations (1) à (4)

(7) TD = l/W)( + thM.HM, (8) TD = l/WF + thF.HF.

Page 211: Le marché du mariage et de la famille

ANNEXE DU CHAPITRE 1 209

Celles-ci, en effet, sont utiles pour faire apparaître la frontière des possibilités de production de la famille dans son ensemble. Nous l'adopterons parce qu'elle permet de rendre aussi simples que possible les outils de l'analyse économique aux lecteurs peu familiers avec la théorie du commerce international.

Les relations (7) et (8) sont des équations linéaires et peuvent être repré­sentées graphiquement par des droites, comme le montre la figure l.

L'intersection de ces droites avec l'axe, 01, détermine la quantité maximale du revenu obtenu par chaque membre de la famille sur le marché du travail. Une interprétation semblable vaut pour l'axe, OH, quant aux biens produits au foyer.

Tout point à l'intérieur de la frontière des possibilités de production comme le point M implique que les conjoints n'utilisent pas pleinement leurs ressources temporelles. Pour OA de biens produits au foyer, le mari, ou l'épouse, peuvent accroître leurs revenus de MN' et MN respectivement. Si maintenant la femme qui se situe au point N se déplace vers le point P, à la suite d'une perturbation quelconque (changement de goût par exemple), elle doit alors réduire son revenu de B'B unités pour accroître sa production de biens domestiques de AA' unités. La valeur absolue de la pente de la frontière des possibilités de production de chaque membre de la famille a une signification importante : elle montre le coût d'opportunité des activités au foyer en termes de revenu perdu en renonçant à un travail salarié. Ce coût d'opportunité peut ~'écrire

(9) III IlH - w, th, avec s = (M, F)

B'

M B - - - ---~l-----..;:o~---..;....~

A A'

FIG. 1 - Blocs de production de chaque conjoint

La construction du bloc de production de la famille

Utilisons la frontière des possibilités de production de l'ensemble de la famille pour dégager quelques conclusions sur la différenciation des rôles. La figure 2 montre le maximum de revenu que l'homme et la femme peuvent

Page 212: Le marché du mariage et de la famille

210 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

«Modèle» de double carrières professionnelles

((Modèle» de la femme au foyer

o u'

FIG. 2 - Bloc de production de la famille

produire ensemble pour un montant donné de biens produits à domicile. La façon de construire cette frontiére est simple.

Le triangle hPA représente le bloc de production de l'époux, avec h comme origine et le triangle RPi' celui de l'épouse avec i' comme origine. L'intersection du bloc de production de la famille dans son ensemble avec l'axe vertical, 01, est déterminée par la somme du montant maximal de revenu obtenu par les membres de la famille s'ils consacrent tout leur temps à un emploi salarié, c'est-à-dire OR = Oi + Oi' = hP + i'R. De façon similaire, l'intersection A avec l'axe horizontal OH est déterminée par la somme maximale de biens non marchands produite par la famille si elle consacre tout son temps aux activités domestiques, c'est-à-dire : OA = Oh + hA = i'P + Oh'. Dans le cas illustré par cette figure, le coût d'opportunité de la femme est inférieur à celui de l'homme. C'est pourquoi le bloc de production de la femme est plus aplati. Partons d'une situation où l'épouse se situe au point u. Elle travaille hors de son domicile et gagne Ou" de revenu. Cependant, elle consacre une partie de son temps

Page 213: Le marché du mariage et de la famille

ANNEXE DU CHAPITRE 1 211

à domicile pour produire Ou' de biens non marchands. Si la famille dans son ensemble désire utiliser pleinement les ressources temporelles dont elle dispose, le mari va travailler à temps plein à l'extérieur du foyer. Le couple produira en conséquence Os' de revenu et Ou' de biens à domicile au point U'. Posons­nous maintenant la question suivante: qui, de l'homme ou de la femme, doit produire une unité supplémentaire de biens non marchands si la famille désire en consommer davantage? Bien évidemment, ce sera l'épouse, car son coût d'opportunité en les produisant est le plus faible. Tout autre type de différen­ciation des rôles conduirait à une perte de revenu et de biens produits au foyer. Celle-ci ne serait pas tenable à long terme.

Du seul point de vue de l'analyse économique, la différenciation des rôles a une fonction importante. Elle conduit la famille, dans son ensemble, à une allocation efficiente des ressources impliquant un montant élevé de tous les biens produits sans avoir à travailler plus durement. Tenir compte du coût d'opportunité du temps est pour la famille une incitation à différencier les rôles, mais cela ne veut pas dire que l'on obtiendra une complète ségrégation de ceux-ci. Chaque point de la frontière des possibilités de production corres­pond à un comportement efficient d'allocation des rôles. Le long de RP, seul l'homme s'attelle à une tâche spécifique. La femme en revanche produit simul­tanément des biens au foyer et participe au marché du travail. Le long de PA, la femme produit uniquement des biens à domicile et l'homme participe aux tâches domestiques et au marché du travail. Au point P, on peut reconnaître le Il modèle li de Parsons et BaIes de ségrégation totale des rôles conjugaux où l'homme joue uniquement le rôle instrumental de Breadwinner et où la femme joue uniquement le rôle expressif de sociometrie star, c'est-à-dire celui où l'époux travaille à temps plein et où la femme est « à la maison li. Au point R, en revanche, on reconnaîtra le (1 modèle li de Rapoport et Rapoport où les époux ont choisi de faire une (( double carrière li professionnelle. Au point A enfin, les conjoints suivent le « modèle » de l'autarcie.

Si l'hypothèse du coût d'opportunité du temps n'exclut a priori aucun des Il modèles li proposés par les sociologues, la question de savoir pourquoi certaines familles suivent un modèle et pas un autre reste posée. Pour répondre à celle-ci, introduisons le concept de « frontière li des possibilité~ de consommation.

L'attribution des rôles conjugaux

Les biens domestiques ont en général des substituts plus ou moins proches sur le marché. Le montant maximal de biens marchands que la famille peut consommer est limité par la contrainte de revenu (10) C = 1 + P.H, où C = CM -;- CF, 1 = lM + IF, H = HF + HM·

Dans cette expression, C est la consommation totale de biens offerts par le marché, 1 est le pouvoir d'achat du revenu utilisé pour les biens qui ne sont pas produits à domicile et P. H sont les dépenses effectuées pour acheter les substituts des biens domestiques. Leur prix relatif P est donné.

L'équation (10) est celle d'une droite montrant les combinaisons maximales de 1 et de H que la famille peut consommer sur le marché. C'est la frontière des possibilités de consommation. Cette droite passe nécessairement par la frontière du bloc de production de la famille puisque le montant maximal de revenu est obtenu sur cette dernière ligne brisée. Elle répond à la question posée plus haut.

Si le prix relatif des biens produits à la maison est inférieur au coût d'oppor­tunité de la femme, celle-ci sera incitée à travailler hors du domicile. En effet, les biens non marchands produits au foyer coûtent plus cher en termes de revenu perdu que ceux disponibles sur le marché. Au point U', il en coûte Rs' de revenu pour produire et consommer 0,/ de biens domestiques. En revanche, au point s, le revenu perdu pour consommer la même quantité Ou' de H

Page 214: Le marché du mariage et de la famille

212 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

est Rs". Ce dernier montant est inférieur à Rs'. En conr.équence, la famille dans ~on ensemble a intérêt à choisir un style de vie où le mari et la femme participent au marché du travail. A l'inverse, si le prix relatif de H est supérieur au coût d'opportunité du temps de la femme, il est plus coûteux, en termes de revenu perdu, de les acheter sur le marché que de les produire au foyer. La femme restera alors à la maison et la famille dans son ensemble choisira un style de vie traditionnel de ségrégation des rôles conjugaux. Dans les cas particuliers où la droite des possibilités de consommation coïncide avec celle des possibilités de production, le prix relatif des biens H est égal au coût d'opportunité du temps de la femme et la différenciation des rôles au sein de la famille est indéterminée.

La condition qui détermine une spécialisation complète des rôles conjugaux est alors donnée par l'équation

WF thF < P ~ W)1thy.

On en déduit la prédiction suivante : plus l'écart entre la valeur sur le marché des services rendu~ par les époux est grand (petit), plus (moins) on devrait observer une ségrégation des rôles conjugaux. La maximisation conjointe des consommations par les deux époux, compte tenu de leurs possibilités de produire ensemble les biens familiaux et le revenu, permet de jeter un regard neuf sur l'évolution des rôles conjugaux dans nos sociétés contemporaines.

L'homme et la femme ne modifient pas leurs comportements parce que le style de vie à double carrière professionnelle est le meilleur ou parce que le groupe de référence sur lequel la femme copie son attitude est « moderne et libéré », mais parce que le prix relatif des substituts à la production familiale ou les coûts d'opportunité du temps des époux changent.

Ce modèle calqué sur la théorie des échanges internationaux de Ricardo présente quelques faiblesses. Elles ont été signalées à plusieurs reprises (Gronau, 1977, ou Sofer, 1985). Ainsi la spécialisation partielle est ignorée alors que chaque conjoint consacre du temps aux activités domestiques comme les ~oin~ personnels, les repas, les courses, le bricolage, etc. Contrairement aux échanges internationaux, le prix du substitut est un prix d'achat et beaucoup plus rare­ment un prix de vente. Les époux pour la plupart du temps ne sont pas des offreurs de services domestiques sur le marché (exception faite des femmes de mènage ou des femmes de la campagne) comme le sont les exploitants agricoles lorsqu'ils vendent leur propre production familiale. En conséquence, le bloc de production n'est pas décrit par BPD mais par RPD.

Par ailleurs, et c'est là une limitation importante, le modèle ignore les acti­vités non échangeables ou non substituables entre les époux (enfants ou loisirs) dont le couple peut tirer une utilité. Il ignore toute forme de gains autre que ceux dégagés de la spécialisation. Une ségrégation complète des rôles conjugaux peut être risquée si le comportement du partenaire est peu coopératif. Il faut diminuer des gains de la spécialisation les coûts d'organisation de la coopération au sein de la famille. Enfin, ce modèle reste muet quant au partage des gains du mariage entre les époux. Or, cette question est au cœur de toute la littérature féministe. En dépit de ces faiblesses, l'analyse précédente présente de gros atouts: sa simplicité et sa pertinence empirique.

GRONAU, R., Leisure, Home Production and Work, Journal of Po/itical Economy, décembre 1977.

LEMENNICIER, B., La spécialisation des rôles conjugaux, les gains du mariage et la perspective du divorce, Consommation, n° l, 1980.

SOFER, c., La division du travail entre hommes et femmes, Paris, Economica,1985. WIlSON, E., Sociobiology : the New Synthesis, Cambridge, Massachusetts,

Harvard University Press, 1975.

Page 215: Le marché du mariage et de la famille

NOTES DU CHAPITRE 2 213

Chapitre 2 - QUI « PORTE LA CULOTTE » DANS LE MÉNAGE?

1. K. ARRow, Social Choice and Individual Values, Cowles Foundation, 3" éd., J. Wiley & Sons, 1966.

2. P. SAMUELSON, Social Indifferences Curves, Quarterly Journal of Ecollomics, février 1956.

3. E. DURKHEIM, De la division du travail social, Paris, PUF, 1978.

4. G. BEKER, op. cit.

5. Il est peu banal en France car les études supérieures y sont gratuites. En revanche, dans les pays anglo-saxons où les études sont payantes, de tels contrats existent. On les trouvent principalement en droit et en médecine.

6. F. de Singly note que la femme de l'ouvrier qui gère le budget familial, en période de chômage, préfère restreindre sa propre consommation pour assurer de l'argent de poche à son époux. Ce fait peut recevoir deux interprétations : l'une en termes du modèle altruiste où l'épouse, dans le milieu ouvrier, est le membre qui prend soin de toute la famille; l'autre en termes de contrat implicite où le mari délègue son autorité à l'épouse pour certaines décisions comme celle de gérer le budget. L'époux demanderait une part fixe des gains du mariage quelle que soit l'évolution du revenu, les autres membres de la famille doivent alors supporter les risques de la bourse commune. C'est dans le fond le contrat entre un patron et son gérant où le patron exige une rente fixe sur les profits. De SINGLY, F., La lutte conjugale pour le pouvoir domestique, Revue française

de Sociologie, 1976.

7. Y. PAPPS, For Ulve or Money, London, Hobart Paper n° 86, lM, 1980.

8. Nous n'avons pas développé dans ce chapitre la théorie du marchandage en situation de monopole bilatéral. Cela aurait exigé pour le lecteur un exposé un peu plus ardu sans résultat appréciable. Comme nous ne croyons pas à sa fécondité théorique ni à sa pertinence empirique (comme le suggère les encadrés 2.1 et 2.4), nous avons préféré laisser de côté cette approche. Cependant, en France, des jeunes chercheurs comme F. Bourguignon ou P. A. Chiappori ont exploré cette piste à la suite des travaux de Manser et Brown et d'autres qui appliquent la théorie des jeux aux situations familiales. CHIAPPORI, P. A., Collective Rationality and Labor Supply, Communication aux

journées de Microéconomie de Nantes, 1986. BoURGUIGNON, F., Rationalité individuelle ou rationalité stratégique : le cas de

l'offre familiale de travail, Revue économique, janvier 1984. MANSER, M. et BROWN, M., Marriage and Household Decisions Making : a

Bargaining Analysis, International Economic Review, février 1980.

Page 216: Le marché du mariage et de la famille

214 LE MARCHt DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Chapitre 3 - LE CHOIX DU CONJOINT

1. On peut imaginer une situation où les conjoints anticipent correctement le profil âge-gain de leur mariage avec un partenaire ou un autre et celui qu'il pourrait obtenir en restant célibataire. Le divorce et les remariages peuvent alors être tout à fait envisageables pour les périodes où les profils âge-gain tombent en dessous de celui obtenu en tant que célibataire ainsi que le graphique ci-dessous l'illustre.

ConjOint nO 2

6"'1

·1 : CO',b"""

1 Conjoint n° 1

ta 1 .. ta IR"

Le divorce et le remariage ne reposent pas fondamentalement sur l'incertitude mais sur la comparaison des profils âge-gains que l'on peut obtenir avec un ou plusieurs partenaires, et celui obtenu déduction faite des coûts du divorce et du remariage lorsque l'on est célibataire.

2. E. SHORTER, Naissallce de la famille model'lle. Paris. Seuil, p. 129.

3. L'indice des prix à la consommation (255 articles) a été multiplié par trois entre 1974 et 1985.

4. R. GRONAU, Determinants of Divorce. a Comment. dans Sociological Ecollomies, ed. L. LEVY GARBOUA, London, Sage, 1979.

5. G. BECKER, E. LANDES et R. MICHAEL, Economics of Marital Instability, Journal of Po/itieal Ecollomy, décembre 1977.

6. On peut se reporter à F. de Singly pour une interprétation différente de ce fait. F. de Singly, Le second mari, Populatioll, février 1983.

Chapitre 4 - LE PRIX DE LA FEMME DANS NOS SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES

1. Lucy MAIR rappelle que « le paiement du mariage est l'équivalent de quelque chose qui est donné et dans le contexte africain ce n'est pas la personne de la femme qui est donnée mais certains droits qu'on acquiert sur elle. Ceux-ci sont de deux sortes : les droits qu'a le mari sur sa femme, sans lesquels il n'y aura pas de mariage, et les droits qu'un père a sur ses enfants », dans Le mariage: étude

Page 217: Le marché du mariage et de la famille

NOTES DU CHAPITRE 4 215

anthropologique, Paris, Payot, 1971. De son côté, Y. PAPPS, dans son petit livre For Love or Money (London, Hobart paper 86 lEA, 1980) et dans un article non publié (<< The Economies of Brideprice : A Preliminary Analysis », Working paper nO 18, Department of Economies, Durham University, 1978) discute le point de vue anthropologique en rappelant que le prix de la mariée est un concept économique, et doit être traité comme tel.

Enfin, F. Pryor dans un travail tout à fait remarquable sur 60 sociétés primitives a recherché les déterminants du prix de la femme (F. PRVOR, The Origins of the Eeonomy, New York, Academie Press, 1977). Pour lui, deux variables jouent un rôle fondamental :

- la spécialisation de la femme dans les activités économiques (cueillette, chasse, pêche, élevage, agriculture, production domestique);

- la résidence du couple où habitent les parents de l'époux. Le prix de la mariée varie donc positivement avec les services rendus par la mariée et négativement avec le coût, pour les beaux-parents, d'appropriation des revenus de ces services.

2. Weitzman (1981) cite les cas de Morgan versus Morgan en 1975 à New York, d'Horstman dans l'Iowa en 1978 et d'un autre cas similaire dans le New Jersey en 1980. Les ex-maris étaient étudiants en droit et en médecine. WEITZMAN L., The Marriage Contraet, New York, Free Press, 1981.

3. 940 000 F est un chiffre obtenu en divisant 96000 F par 0,102, taux d'intérêt composé au bout d'une période de quarante ans. Ce montant est très proche de la valeur d'un titre dont le rendement est perpétuel. La valeur actuelle d'un titre de 96000 F et qui rapporterait 10 % l'an vaut 960 000 F.

4. Comme le fait remarquer King (1982), cette absence de droits de propriété conduit à une moindre spécialisation des couples, et à des investissements de la part d'hommes et de femmes dans leur capital humain qui ne rapportent pas les profits les plus élevés. Le comportement des cohabitants qui, faute de ces droits, n'investissent pas dans le mariage en est la preuve. KING, A., Human Capital and the Risk of Divorce : An Asset in Search of a

Property Right, Southern Journal of Economies, 1982.

5. Weiss et Willis font de cet argument (la perte de contrôle) le ressort principal aux difficultés rencontrées par les ex~pouses à bénéficier des pensions alimentaires de leurs ex-maris. WEISS, Y. et WILLlS, R., Children as Collective Goods and Divorce Settlements,

Journal of Labar Economies, n° 3, 1985.

6. C'est l'argument de Rothbard (1982) pour ne pas être contraint par une promesse. ROTHBARD, M., The Ethies of Liberty, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1982.

7. Les explications avancées généralement par les théoriciens (comme par exemple Weitzman ou Weiss et Wil\is) sont celles des points 1), 3) et 4).

Page 218: Le marché du mariage et de la famille

216 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

Chapitre 5 - LE CONTRAT DE MARIAGE

1. Cité dans J. GOODY, L'évolution de la famille en Europe, Paris, Armand Colin, 1985.

2. Se reporter à F. TERRÉ et A. WEILL, Droit civil, Paris, Dalloz, 1979.

3. Voir chapitre 4 de l'ouvrage de C. SoFER, op. cit.

4. Se reporter à H. LEPAGE, VI/ exemple d'applicatiol/ de la théorie économique des col/frats : le cas de la distriblltiol/ automobile aux Etats- VI/is, ronéo, 1985.

5. Nous avons pris un exemple correspondant à une demande d'autrefois. Mais on peut inverser les rôles et parler du désir d'enfant de la femme. Imaginons que la femme désire cesser son travail pour avoir un enfant supplémentaire. Son mari perd la fraction des revenus que sa femme apportait au ménage, il doit donc travailler davantage pour soutenir financièrement son épouse. Il perd 2 000 utils s'il satisfait la demande de son épouse. S'il refuse, sa femme perd 3 500 ut ils correspondant à la satisfaction supplémentaire dont elle pourrait bénéficier en allant vivre avec un autre homme. Si le divorce unilatéral est auto­risé, l'épouse quitte son conjoint. Le mari perd 6 500 utils correspondant aux gains du mariage provenant du travail de son épouse à la fois sur le marché du travail et au foyer. Si le divorce est autorisé, avec une obligation de dédommager le conjoint lésé, l'épouse perd 6 500 utils. Prenons maintenant le cas où le divorce est interdit, sans clause obligeant l'époux à satisfaire la demande de sa femme, l'épouse perd 3 500 utils. Si l'homme se doit de satisfaire le désir de son épouse et travailler davantage pour qu'elle puisse rester au foyer et élever cet enfant supplémentaire, il perd 2000 utils.

Nous avons le même résultat. Un contrat de mariage interdisant le divorce et obligeant l'homme à satisfaire son épouse est efficient. Maintenant, si l'homme ne supporte qu'un dommage très faible lorsque son épouse le quitte (500 ut ils) , un divorce unilatéral sera préféré par les deux partenaires.

6. Cette interprétation repose sur le théorème de Coase et sur une conception utili­tariste de la législation. La législation suit les mœurs dans un sens très particulier, et c'est là une hypothése des économistes, qui consiste à sélectionner parmi les demandes présentées par les divers groupes d'intérêts celles qui minimisent les coûts de la rupture du contrat pOlir l'ensemble des partel/aires. On peut contester cette interprétation de deux façons différentes. Ces demandes s'exercent auprès du marché politique. Or, le fonctionnement de la démocratie politique privilégie les demandes des groupes de pression et non pas celles qui correspondent à un minimum des coûts de transaction. Ensuite, cette vision est profondément utili­tariste; elle acceptera des clauses qui violeront les droits des individus, si elles .:onduisent à des coûts de transaction plus faibles. La disparition de la notion de faute en est un exemple.

,. Lenore Weitzman, à qui nous empruntons beaucoup pour exposer cette sous­section, s'est faite l'avocat des contrats de mariage libre. Se reporter à : WEITZMAN, L., The Marriage Contract, New York, Free Press, 1981.

Page 219: Le marché du mariage et de la famille

NOTES DU CHAPITRE 6 217

Chapitre 6 - LE COMMERCE DES ENFANTS

1. A l'exception de Landes et Posner les économistes ont peu écrit sur ce sujet. Pour discuter du problème de la vente des enfants, nous nous sommes surtout inspirés de l'article de Alexander et O'Driscoll pour l'argumentation et de l'étude de Marmier-Champenois pour les faits empiriques. LANDES, E. et POSNER, R., The Economies of Baby Shortage, The Journal of

Legal Studies, juin 1978. ALEXANDER, L. et O'DRISCOLL, L., Stork Markets : An Analysis of (( Baby

Selling », The Journal of Libertarian Studies, printemps 1980. MARMIER-CHAMPENOIS, L'adoption, Ministère de la Justice, Paris, La Documen­

tation française, 1972.

2. La nouvelle de Guy de MAUPASSANT, cc Aux Champs », parue dans Le Gaulois le 31 octobre 1882, et son adaptation filmée de H. BASLE ditTusée à la télévision le 7 mai 1986 montrent très simplement les conséquences perverses du refus de ce type d'échange.

3. Pierre Lemieux (1983) croit illustrer par une boutade l'absurdité de l'intervention de l'Etat en évoquant ce que pourrait donner le contrôle des pouvoirs publics sur les relations amoureuses des citoyens. Mais la réalité dépasse souvent la fiction. Les familles qui désirent adopter des enfants supportent déjà ce contrôle. LEMtEux, P., Du libéralisme à l'anarcho-capitalisme, Paris, PUF, coll. cc Libre

Echange Il, 1983, p. 77.

4. Bénéton a écrit un excellent livre sur ce point. BÉNÉTON, P., Le fléau du bien, avec en sous-titre: cc Essai sur les politiques sociales

occidentales », Paris, LatTont, 1983.

5. Le droit à et le droit de sont des distinctions propres à la philosophie du droit. L'idée fondamentale est qu'on ne peut vivre aux dépens de quelqu'un d'autre sans attenter à sa liberté, c'est-à-dire aux droits de propriété qu'il a sur lui-même, les biens et les revenus qu'il a acquis légitimement (par un contrat d'échange volontaire) sans son consentement.

Or, deux conceptions de la liberté s'affrontent: la liberté négative et la liberté positive.

Un homme est libre si aucun autre être humain (ou groupes d'êtres humains) l'oblige par la violence ou la menace de la violence à agir autrement qu'il ne l'aurait fait sans la présence de celle-ci. C'est la liberté négative.

Dans la route de la servitude, Hayek définit la liberté par son contraire,l'absence de contrainte :

cc La contrainte intervient quand les actions d'un homme sont soumises à la volonté d'un autre homme au service non de son propre dessein, mais du dessein de l'autre ».

Cette obligation pour autrui de ne pas interférer par la contrainte dans les décisions de chacun (sans son consentement) est par définition un droit de propriété.

Un droit de propriété, c'est se voir reconnaitre une autorité souveraine oppo-

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218 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

sable à tout autre individu seul, en groupe ou à toute personne morale de l'usage, de la jouissance et de la disposition de son propre corps et des biens ou services acquis légitimement par l'échange volontaire. Ce droit de propriété (et donc la liberté négative) suppose une obligation de tous individuellement ou en groupe de s'abstenir de faire quoi que ce soit qui puisse s'y opposer.

Par opposition, la liberté positive se définit de la façon suivante : la liberté c'est « être son propre maître ». Les décisions que l'individu prend ne doivent pas dépendre de force externe ou de l'action ou de la volonté d'autres hommes. L'homme veut s'administrer et ne pas être assujetti à d'autres personnes ou à des forces externes qu'il ne maîtrise pas.

Dans un sens proche on peut définir la liberté positive comme le pouvoir qu'un être humain a sur lui-même, la nature et les autres hommes.

Le droit à la vie est une liberté positive. Il s'agit d'obliger quelqu'un à vous donner les moyens de vivre, quitte à empiéter sur son autonomie de décision. Le droit de vivre est une liberté négative : il s'agit d'empêcher quelqu'un de vous tuer. Ces deux conceptions sont donc radicalement opposées.

Chapitre 7 - LE DÉCLIN DE LA FÉCONDITÉ

1. Z. GRILICHES, Comment on Population and Economie Growth de McNerlove dans Economics of the Family, op. cit., 1973.

2. On peut substituer au mot « capital humain » le terme de formation scolaire. Mais celle-ci est une forme particulière de capital humain. Autrefois la formation se faisait sur le tas. Les jeunes garçons étaient formés en apprentissage chez un patron ou dans une usine, et les jeunes filles à la maison aux tâches domes­tiques. Dans un cas comme dans l'autre cette formation se traduit par une amélioration du capital humain de la personne. L'expérience professionnelle et la formation générale scolaire, aujourd'hui, sont les deux formes les plus courantes d'accumulation de capital humain.

3. G. BECKER, op. cit., et CALDWEll, The theory of fert;lity decline, New York Academie Press, 1982.

4. B. LEMENNICIER, La théorie économique de la fécondité : objet et méthodologie, communication au Colloque franco-israélien sur les Ressources humaines, Jéru­salem, 1983.

5. J. MINCER, Market Prices, Opportunity costs and Income Effects, dans Measu­rement in Economics, ed. C. Christ, Stanford, Stanford University Press, 1963.

6. J.-C. DEVILLE. Natalité et constitution des familles, Economie et Statistique, 1975.

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NOTES DU CHAPITRE 8 219

Economic Theory of Fertility Promising Path or Blind AIley?, Jourtw1 of Economic Literature, juin 1974.

9. R. EASTERLlN, Relative Economic Status and the American Fertility Swing, dans Family Economic Behavior, SHELDON (ed.), Philadelphia, Li ppincott , 1973.

10. W. BUTZ et M. WARD, The Emergence ofCountercyclical U.S. Fertility, American Economic Review, juin 1979.

II. R. EASTERLIN. Birth and Fortune, New York, Basic Books, 1980.

12. Von MISES, L'action humaine .' traité d'économie, Paris, PUf, coll. « Libre Echange Il.

Chapitre 8 - LA POLITIQUE FAMILIALE ET DÉMOGRAPHIQUE

1. Cité dans G. BECKER, The Effect of the State on the Family, communication à la Société Mont-Pèlerin, septembre 1978.

2. M. RAYMOND, La politique de l'enfance et de la famille, dans La population française de A à Z, Cahiers français, février 1985.

3. J.-G. MÉRIGOT, Rapport de synthèse, Acte du Colloque national sur la Démo­graphie française, INED, cahier n° 92, 1981.

4. Les couples qui réclament des prestations familiales parce qu'avoir des enfants exige des sacrifices trop élevés demandent le droit à avoir autant d'enfants qu'ils le désirent. Ils veulent être maître de leur destin au sens étroit de voir leurs préférences en matière de taille de la famille être satisfaites même aux dépens des autres. C'est-à-dire en restreignant la liberté (au sens négatif) d'autres familles qui ne partagent pas les mêmes désirs ou n'ont pas les mêmes conceptions de la vie en société.

5. M. LEVY, Regards sur la politique familiale, Population et Sociétés, septembre 1985.

6. B. GUIBERT, Les aides financières aux familles, La protection sociale, Cahiers français, avril 1984.

7. J.-C. CHESNAIS, L'évolution démographique récente, CGP, n° 4, document n° 2-5, mai 1983.

8. E. ANDRÉANI, La famille, Protection sociale, Cahier français, aVTiI 1984.

9. Hatchue! et al., Les ressources des familles et l'impact des prestations familiales, Rapport CNAF CREDOC, 1981.

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220 LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

10. G. SIMMONET et F. BlLHER, Prestations et cotisations familiales une mesure de la redistribution nette instantanée, Droit social, mai 1985.

11. Le désir de se protéger contre les aléas de la vie est tout à fait naturel. Les assurances en tous genres répondent à cette demande. Mais l'absence d'une offre d'assurance pour se protéger contre certains événements, si elle ne résulte pas d'une interdiction de l'Etat, signifie simplement que les acteurs sociaux disposent de moyens moins onéreux pour faire face au dommage attendu. Utiliser des contraceptifs ou pratiquer l'abstinence est un moyen peu coûteux pour éviter d'avoir un enfant non désiré. En revanche, payer une prime d'assu­rance et toucher une forte somme lorsque cet enfant nait sans avoir été volon­tairement conçu est très onéreux. L'assureur pour offrir ce dédommagement doit déceler parmi les couples qui déclarent avoir eu un enfant non désiré ceux qui mentent pour bénéficier de la prime de ceux qui effectivement ont eu par inadvertance un enfant. Ce coût est tellement élevé qu'aucune assurance ne propose ce service car personne n'est prêt à en payer un tel prix. Le seul moyen en dehors de l'abstinence ou de la contraception dont disposent les indi­vidus pour se couvrir de la diminution de revenu consécutif à l'arrivée d'un enfant non désiré est de faire appel au marché de la charité.

12. Extrait de GRANDAZZI, La démographie à l'école, manuel à l'usage des maîtres, Paris, Alliance nationale contre la dépopulation (1948), cité dans LENOIR, op. cit.

13. P. CAZENAVE et MORRISSON, dans leur ouvrage Ju~tice et redistribution, Paris, Economica, 1978, avancent une idée un peu différente. Ils reprennent l'article de H. Hochman et J. Rodgers et justifient la redistribution des revenus par l'argument de la « paix sociale )). Les égoistes devraient sacrifier une fraction de leur revenu pour aider les altruistes à réaliser leurs objectifs parce qu'ainsi les égoistes « achètent la paix sociale )). Ils obtiennent des revenus supérieurs à ce qu'ils seraient susceptibles d'obtenir si une telle redistribution n'existait pas. Les « altruistes )) fourniraient un « bien public )) en préservant la cohésion sociale. Cet argument s'efforce de justifier la redistribution verticale des riches vers les pauvres. HOCHMAN, H. et RODGERS, J., Pareto Optimal Redistribution, American Economic

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Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France

73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme

Mars 1988 - N° 33221

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LIBRE ÉCHANGE Collection fondie par

Florin Aftalion et Georges Gallais-Hamonno et dirigée par Florin Aftalion

Ecrits par des auteurs français jeunes ou confirmés, ou traduits à partir d'œuvres étrangères impor­tantes, les ouvrages de cette collection ont trois caractéristiques :

- Ils traitent des grands problèmes de choix dans notre société, tels que : rôle et place de l'Etat, justice sociale, réglementation du mar­ché et du pouvoir politique, efficacité de la production et des échanges, formation des valeurs.

- Dans leurs analyses, ils font souvent appel à la méthode économique, sans toutefois en présenter les aspects techniques.

- Ils défendent avant tout l'idée de liberté de l'individu, surtout lorsque celle-ci est menacée par l'emprise étatique.

Ils ne s'adressent donc pas exclusivement aux enseignants et aux chercheurs, mais aussi au public désireux de prendre part aux débats d'idées contemporains. « Libre Echange » assure ainsi l'expression du point de vue authentiquement libéral en France.

OUVRAGES PARUS

Friedrich A. HAYEK, Droit, législation et liberté: Vol. 1 : Règles et ordre. Vol. 2 : Le mirage de la justice sociale. Vol. 3 : L'ordre politique d'un peuple libre.

Philippe NEMO, La société de droit selon F. A. Hayek.

Pascal SALIN, L'ordre monétaire mondial. Serge-Christophe KOLM, Le bonheur-liberté. François SEUROT, Inflation et emploi dans les

pays socialistes. Frédéric BASTIAT, Œuvres économiques. Henri ARVON, Les libertariens américains. Pierre LEMlEux, Du libéralisme à l'anarcho-capi-

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et de la famille. Robert NOZICK, Anarchie, Etat el utopie.·

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