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Objet d’étude : Convaincre, persuader, délibérer. Mouvement littéraire : Les Lumières. Le plan détaillé du commentaire : I. UNE DÉNONCIATION DES INJUSTICES SOCIALES 1. L’indignation et la colère de Figaro 2. Une vision de la misère du peuple 3. Une société aux valeurs inversées II. LA REVENDICATION DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION 1. Le fragile statut d’écrivain 2. L’absence de liberté 3. L’ironie Le commentaire rédigé : Introduction Ce texte est extrait du drame de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro. Cette pièce s’inscrit dans le mouvement culturel et littéraire des Lumières en ce qu’elle s’oppose au modèle classique du XVIIe siècle en proposant une alternative entre la tragédie et la comédie, en situant l’intrigue dans son siècle et en s’attaquant à la société de son temps (ce qui se faisait uniquement dans les comédies classiques alors que les tragédies préféraient les sujets tirés de l’Antiquité). Ce long monologue qui se situe à la fin de la pièce marque une pause dans la progression de l’intrigue mais permet à l’auteur de dénoncer les injustices sociales et de faire état des difficultés que rencontre le peuple pour vivre décemment. Ce monologue est également l’occasion d’une vive critique de la Censure qui reste très présente au XVIIIe siècle comme le confirmera l’interdiction de représentation dont la pièce fut victime. Beaumarchais y évoque également les conditions de vie précaires de l’écrivain, reflet de son combat dans la vie pour les droits d’auteurs et la reconnaissance de leur statut social. Nous verrons donc que ce morceau de bravoure s’attache à dénoncer les injustices sociales mais également l’absence de liberté d’expression due à la Censure. I. UNE DÉNONCIATION DES INJUSTICES SOCIALES Cette pause dans l’intrigue permet à Beaumarchais de pointer du doigt et de dénoncer un bon nombre d’injustices sociales de son temps, il choisit pour se faire de prêter à son personnage un ton indigné pour mieux brosser un tableau de la misère du peuple et mettre en cause une société qui les tolère et les encourage. A. L’indignation et la colère de Figaro Tout d’abord, la dénonciation se fait sur un ton indigné qui fait éclater au jour la colère de Figaro. Cela est visible dès le début de notre extrait avec l’utilisation de nombreuses phrases exclamatives et d’exclamations, telles que, « [p]arce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! », « tout cela rend si fier ! », « [d]u reste homme ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! ». Le recours à ce type de phrase marque une forte émotion et révèle la colère du locuteur, elle insuffle également au texte un rythme rapide, haletant que confirme la fréquente utilisation d’énumération et d’asyndètes. En effet, de nombreuses énumérations ponctuent le monologue, comme par exemple, « noblesse, fortune, un rang, des places » ou encore « la

Le Mariage de Figaro, Acte v, Scène 3, Beaumarchais Reponse

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Objet dtude : Convaincre, persuader, dlibrer.Mouvement littraire : Les Lumires.Le plan dtaill du commentaire :I. UNE DNONCIATION DES INJUSTICES SOCIALES1. Lindignation et la colre de Figaro2. Une vision de la misre du peuple3. Une socit aux valeurs inversesII. LA REVENDICATION DE LA LIBERT DEXPRESSION1. Le fragile statut dcrivain2. Labsence de libert3. LironieLe commentaire rdig :IntroductionCe texte est extrait du drame de Beaumarchais,Le Mariage de Figaro. Cette pice sinscrit dans le mouvement culturel et littraire des Lumires en ce quelle soppose au modle classique du XVIIe sicle en proposant une alternative entre la tragdie et la comdie, en situant lintrigue dans son sicle et en sattaquant la socit de son temps (ce qui se faisait uniquement dans les comdies classiques alors que les tragdies prfraient les sujets tirs de lAntiquit). Ce long monologue qui se situe la fin de la pice marque une pause dans la progression de lintrigue mais permet lauteur de dnoncer les injustices sociales et de faire tat des difficults que rencontre le peuple pour vivre dcemment. Ce monologue est galement loccasion dune vive critique de la Censure qui reste trs prsente au XVIIIe sicle comme le confirmera linterdiction de reprsentation dont la pice fut victime. Beaumarchais y voque galement les conditions de vie prcaires de lcrivain, reflet de son combat dans la vie pour les droits dauteurs et la reconnaissance de leur statut social.Nous verrons donc que ce morceau de bravoure sattache dnoncer les injustices sociales mais galement labsence de libert dexpression due la Censure.I. UNE DNONCIATION DES INJUSTICES SOCIALESCette pause dans lintrigue permet Beaumarchais de pointer du doigt et de dnoncer un bon nombre dinjustices sociales de son temps, il choisit pour se faire de prter son personnage un ton indign pour mieux brosser un tableau de la misre du peuple et mettre en cause une socit qui les tolre et les encourage.A. Lindignation et la colre de FigaroTout dabord, la dnonciation se fait sur un ton indign qui fait clater au jour la colre de Figaro. Cela est visible ds le dbut de notre extrait avec lutilisation de nombreuses phrases exclamatives et dexclamations, telles que, [p]arce que vous tes un grand seigneur, vous vous croyez un grand gnie ! , tout cela rend si fier ! , [d]u reste homme ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! . Le recours ce type de phrase marque une forte motion et rvle la colre du locuteur, elle insuffle galement au texte un rythme rapide, haletant que confirme la frquente utilisation dnumration et dasyndtes. En effet, de nombreuses numrations ponctuent le monologue, comme par exemple, noblesse, fortune, un rang, des places ou encore la Perse, une partie de la presqule de lInde, toute lEgypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, dAlger et de Maroc . Le choix de lasyndte, qui suppose la suppression des coordonnants va dans ce sens, comme lillustre : Mes joues creusaient, mon terme tait chu : je voyais de loin arriver laffreux recors, la plume fiche dans sa perruque : en frmissant je mvertue .De mme, lmotion de Figaro est rendue visible par la prsence daposiopse, cest--dire dinterruptions dans le discours matrialises par des points de suspension, comme cest le cas plusieurs reprises ( un grand gnie ! noblesse, fortune () ou et vous voulez joutez On vient cest elle ce nest personne ). Lutilisation dexpressions familires comme morbleu , chiens de chrtiens ! , Pou-ou , bonnes gens ont aussi vocation exprimer la colre de Figaro.B. Une vision de la misre du peupleSi le ton du monologue souligne lindignation du personnage, elle nest nanmoins pas la seule expression dune rvolte personnelle. Dans le tableau que Figaro nous trace de la misre du peuple, il fait part des souffrances quil a lui-mme endur, mais cette reprsentation des conditions de vie des classes infrieures a une vocation plus tendue. Il sagit de rendre sensible le lecteur cette souffrance et pour ce faire, Beaumarchais nhsite pas montrer la misre de faon raliste dans ses manifestations les plus concrtes. En premier lieu, elle est visible physiquement : mes joues creusaient , et a des consquences concrtes : mon terme tait chu , je voyais de loin arriver laffreux recors, la plume fiche dans sa perruque (effet de rel amplifi par lexpression du dtail vestimentaire).De mme, la multiplicit des mtiers exercs tels que vtrinaire, crivains (auteur de thtre puis auteur dun essai conomique), journaliste, barbier montrent la difficult quil y a se sortir de ce nant conomique et sociale, et met en valeur lnergie avec laquelle Figaro a d lutter. Cette inexistence sociale est nouveau souligne par le on me supprime qui au premier degr voque le Journal mais qui peut symboliquement sappliquer son rdacteur.Pour marquer lopposition entre la richesse qui entoure lhomme du peuple et son dnuement et amplifier par l mme cette impression dinjustice et de disproportion, il utilise le lexique de la richesse qui envahit littralement le texte, comme pour marquer en creux son absence : fortune , bien , richesses , sol , argent , produit net , profit , gagner du bien .Enfin, cette relle souffrance peut mener jusquau suicide, expression paroxystique de ce malaise social, nest voqu qu travers un euphmisme et le choix dun registre plutt comique et ironique : je quittais le monde, et vingt brasses deau men allaient sparer , qui permet de dire avec plus de force ce quil ne fait que suggrer.C. Une socit aux valeurs inversesLe monologue de Figaro ne se contente pas de peindre les souffrances du peuple, il cherche galement mettre en cause une socit qui non seulement naide pas le peuple mais va mme jusqu le pousser la malhonntet. La misre par une sorte de fatalit forcerait la malhonntet, cest du moins ce que nous suggre le fait que le parcours du personnage semble former une boucle, sil est vol par des bandits, lev dans leurs murs aprs avoir tout tent pour exercer un mtier honnte, il ne [lui] rest[e] plus qu voler et cest en exerant un activit illgale quil obtient de la reconnaissance ( je me fais banquier de pharaon : alors bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut mouvrent poliment leur maison ).Cette ide est galement mise en valeur par une sentence qui donne voir les secrets rouages de la socit : pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir , qui dit de faon euphmistique quil vaut mieux savoir manipuler et voler que dtre instruit pour sen sortir.A nouveau comme lorsque Beaumarchais soulignait la richesse pour mieux mettre en relief son absence, il choisit de montrer lopposition existant entre noblesse et peuple. Cette opposition est mise en exergue dans une question rhtorique laquelle il prend nanmoins soin de rpondre pour insister encore davantage sur linjustice et labsence defforts fournis par les privilgis : Quavez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous tes donn la peine de natre, et rien de plus . Les deux adverbes tant et rien se rpondent pour mieux valoriser lide qui sous-tend ensuite tout le reste du monologue qui dcrit tout le mal que sest donn Figaro pour subsister , qui est que son matre sest content de stre donn la peine de natre, et rien de plus alors que lui a d se battre sans relche. Le fait quil faille se battre est dailleurs illustr par lextrme longueur des passages voquant les efforts faits par Figaro pour sen sortir et la rapidit avec laquelle son rve et ses activits sont balayes : linstant , sitt , on me supprime , derechef .Pour terminer, Beaumarchais nous dresse le portrait dune socit o labsurdit rgne en matre comme le souligne cette phrase qui montre labsence de logique qui rgle lattribution des places, ce que renforce labsence de connecteur : on pense moi pour une place, par malheur, jy tais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui lobtint .II. LA REVENDICATION DE LA LIBERT DEXPRESSIONLe plaidoyer que fait Figaro en faveur des pauvres nest quun des aspects du texte qui met en scne une question qui touche intimement lauteur : celle du droit la libert dexpression. La censure ne sy trompera pas puisquelle fera interdire la pice. Pour ce faire, Beaumarchais dcrira les conditions de vie de lcrivain de son sicle et attaquera frocement labsence de libert par le choix de lironie.A. Le fragile statut dcrivainEn premier lieu, Figaro critique une socit qui ne reconnat pas limportance du savoir : cest ce quil souligne quand il oppose Japprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie tout le crdit dun grand seigneur peut peine me mettre la main une lancette de vtrinaire ! . La comptence professionnelle est compltement inutile, ce sont les relations sociales qui font le mrite dun homme, son savoir rel nest aucunement pris en compte.Cette premire critique amorce celle qui vise plus particulirement la condition de lcrivain. Ds la premire lecture, nous remarquons limportance donne la condition de lhomme de lettres avec lenvahissement du texte par le lexique spcialis de la littrature : broche , comdie , thtre , auteur , jcris , imprims , petits crits , taille ma plume , imprimer , crit priodique , journal , feuille . Cette omniprsence du lexique souligne le fait quil sagit pour lauteur de brosser dans ce monologue un portait de la condition dauteur et de ses difficults.Si ce statut est au centre des proccupations de Beaumarchais, il en indique nanmoins toute sa prcarit puisquil nous le prsente comme un statut social toujours sur le point de disparatre comme lindique la multiplicit des mtiers exercs par Figaro et son emprisonnement. On note ce propos une opposition entre limportance donne tout ce qui prpare la rdaction du journal et la rapidit de sa disparition mise en relief par une phrase simple et courte : on me supprime , lourde de sous-entendus quand on la rapproche de la volont de Figaro den finir avec la vie, comme nous lavons voqu prcdemment. Ce statut qui ncessite du savoir et du savoir-faire inclut pourtant lauteur dans le peuple, puisquil subit les mmes misres que le peuple et souffre dune absence de reconnaissance par la socit. Il est dailleurs plus dangereux dtre auteur ou journaliste car du fait de la censure il encourt de plus grands dangers. On peut aller jusqu parler dune vritable perscution lencontre des intellectuels, car [n]e pouvant avilir lesprit, on se venge en le maltraitant .B. Labsence de libertLa difficult dtre crivain rejoint le fait quil volue dans une socit dans laquelle on ne peut tre libre et encore moins exprimer librement ses penses. Cela est visible plusieurs reprises dans le texte notamment par la disproportion entre les effets et les causes lors de la premire tentative littraire de Figaro. En effet, il broche une comdie, ce qui implique une notion de rapidit, dcrit bcl, mais face un geste empreint de lgret (voqu par le verbe brocher et par le choix dun genre comique), Figaro rencontre une raction immdiate ( linstant ) et disproportionne, dont lexcs est soulign par lpitrochasme (numration) suivant : joffense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqule de lInde, toute lEgypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, dAlger et de Maroc . Lide dexcs se retrouve dans lhyperbole slever contre moi mille pauvres diables la feuille .De mme, lvocation par une priphrase ( baisser le pont dun chteau fort, lentre duquel je laissai lesprance et la libert ) de la prison suppose et laisse encore entendre une raction trs prompte, comme le confirme ladverbe sitt .Mme lorsquil sagit de formuler le dsir de dnoncer labsence de libert dexpression : Que je voudrais bien tenir [] Je lui dirais , il faut le mettre distance en usant dune hypothse et en ayant le recours au conditionnel. Il utilise ensuite des sentences (nomes) pour dnoncer la censure dans un concentr dides essentielles quand il dit que les sottises imprimes nont dimportance quaux lieux o lon en gne le cours , que sans la libert de blmer, il nest point dloge flatteur et qu il ny a que les petits hommes qui redoutent les petits crits . Face aux ides fondamentales et libertaires se trouvent les censeurs dsigns par une priphrase qui rduit leur pouvoir quelques jours et montre leur petitesse, soulignant ainsi la disproportion entre leur absence de relle importance et le rle de tout puissant quils jouent nanmoins : un de ces puissants de quatre jours, si lgers sur le mal quils ordonnent, quand une bonne disgrce a cuv son orgueil .C. Le recours lironieLarme qui fait ce texte une vritable dnonciation reste, bien sr, lironie macrostructurale qui permet une lecture et une interprtation subtile. Lironie se retrouve dans lantiphrase : douce libert . Mais elle sappuie aussi sur des antithses jouant lopposition entre la libert et linterdiction, Figaro fait en effet tat de la libert sur la vente des productions, qui stend mme celles de ma presse et renchrit par je puis tout imprimer librement avant de multiplier les conjonctions ni dans une polysyndte soulignant les restrictions appliques cette prtendue libert : et que, pourvu que je ne parle pas en mes crits ni de lautorit, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crdit, ni de lOpra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne quelque chose et sous linspection de deux ou trois censeurs . Il joue galement, lors de cette numration, sur lopposition entre le gnral des domaines qui ne doivent tre voqus ( autorit , culte , politique , morale ) et le particulier en dsignant vaguement des personnalits qui pourraient ( autres , personne , quelque chose , deux ou trois ). Laspect totalitaire de la censure est ainsi dnonc de faon comique car si lon revient sur lnumration, on ne peut pas crire sur : le pouvoir politique et religieux et ses reprsentants (classique) mais aussi sur la morale et les arts ce qui prouve une extrme rigueur de la censure, rigueur souligne nouveau par lexpression imprcise : personne qui tienne quelque chose , soit personne tout court ?La typographie peut tre galement lindice de lironie du texte, cest ce que lon voit lorsque lauteur utilise litalique pour laisser entendre au lecteur quil sagit dinverser lexpression : et les personnes dites comme il faut .ConclusionCe monologue de Beaumarchais est extrmement riche et propose une dnonciation des injustices sociales, pour ce faire et faire part de son engagement Beaumarchais choisit de mettre en avant lindignation que ressent son personnage, mais il propose aussi une peinture raliste et minutieuse des conditions de vie du peuple et met en cause la socit qui permet ces injustices. Ce monologue est aussi loccasion de brosser un portrait du fragile statut dcrivain et de critiquer une absence de relle libert qui se cache derrire dapparentes permissions pour faire de cette dnonciation de la socit de son poque il a recours une ironie mordante qui prfre le rire cynique au registre tragique quil laisse ses prdcesseurs classiques.