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Le monde des tout petits est-il influencé par notre monde moderne?

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Le monde des tout petits est-il influencepar notre monde moderne?*

GERMAINE DUPARC, SUISSE

Le monde des tout petits ...Ce monde qui fut notre et dont nous

avons perdu la cleoCe monde que nous redecouvrons a leur

contact et oil nous hesitons a reconnaitreIe climat si particulier qui ensoleilla notreenfance.

Est-il reste, ce monde, a l'abri du bruit,de la vitesse, de la technique? A-t-il echappea l'acceleration de l'histoire?

Est-il, au contraire, profondement mena­ce? Est-il deteriore au point d'etre mecon­naissable?

Est-il encore un monde, celui des toutpetits, dans notre monde en marche?

A ces questions brulantes dont l'impor­tance preoccupe, a juste titre, parents, edu­cateurs, medecins et psychologues, nous que­tons une reponse, et cette reponse nous ap­parait d'emblee singulierement complexe etderoutante.

Evoquant notre enfance, nous cherchonsen vain des references, un point d'appuipour etayer notre comparaison.

«De notre temps ...» disons- nous. Etnous nous essayons a reconstituer ce temps,en oubliant Ie sage avertissement de Saint­Exupery: "Toutes les grandes personnes ant

* Cet article a d'abord pam dans la Revue Inter­nationale de Pedagogie, XVI, 1970/1.

d'abord ete enfants, mais peu d'entre elless'en souviennent."

Nos souvenirs, en effet, sont Ie plus sou­vent transformes, remanies, recrees, et dansIe regard que nous jetons avec attendrisse­ment vers Ie passe, nous sommes incapablesde nous remettre dans la situation si parti­culiere d'un tout petit, dont les forces vivessont inlassablement tendnes vers l'avenir quifera de lui un grand.

La comparaison est done faussee au de­part et force nous est d'avoir recours a d'au­tres moyens d'approche. Comparaison entreles enfants d'aujourd'hui et ceux que nousavons vus grandir, il y a dix ans, il y a vingtans . . . Nous voici, des lors, spectateurs etnotre reponse va s'en trouver plus objective,encore qu'il faille tenir compte de notrejugement qui, lui aussi, a pu evoluer.

A envisager Ie probleme de la sorte, unepremiere constatation s'impose: certes, Ietableau a change, l'enfant n'est plus Iememe, II reagit au monde qui l'environnepar une instabilite qui va s'accentuant ­fruit de l'agitation qui l'entoure. Cette in­stabilite s'accompagne souvent d'une ap­parente indifference qui n'est, somme toute,que rejet de trop de chases, mal vues, malentendues. Inconsciemment, l'enfant a prisl'habitude d'entendre sans ecouter, de voirsans regarder, en vertu d'une auto-preserva-

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tion sans laquelle il ne pourrait plus vivredans Ie monde que nous lui faisons.

L'image, Ie son, canalises et retransmis,s'inscrivent en surimpression sur ce qu'ilvoit, ce qu'il entend, et nous ne mesuronspas assez la confusion qui en decoule.

Les moyens audio-visuels, en effet, luisont une source d'information etonnarnmentriche, trop riche meme pour etre assimilable.A l'encontre de la belle definition d'Edou­ard Claparede: "Une lecon doit etre unereponse", la reponse, trop souvent, precedela question. L'enfant acquiert ainsi, et surtoute chose, des notions fragmentaires etmultiples que son esprit ne peut encore co­ordonner. II en resulte un sentiment de"deja vu" et de "deja. entendu" qui tend aemousser en lui l'esprit d'emerveillement, lajoie irremplacable de la decouverte.

A cote du reel qu'il peut voir, toucher etsentir, il y a l'image qu'on lui impose deplus en plus et contre laquelle il ne peut sedefendre.

Contrairement a l'histoire qu'on lui ra­conte et dont il expurge inconsciemment lesepisodes impressionnants pour n'en garderqu'une vision interieure adoucie, il ne peutechappera l'image imposee et l'on ne dirajamais assez a quel point elle se grave pro­Iondement en lui, d'autant plus profonde­ment qu'elle lui parait aussi reelle que lachose.

Un exemple illustrera de facon suggestivela realite que l'enfant accorde a l'image.

Nous avons eu, tout recemment, Ie privi­lege d'assister a l'enregistrement d'une emis­sion enfantine, au studio de la television.Chaque semaine, une charmante educatrice,Edith Salberg, s'adresse it ses jeunes audi­teurs invisibles, au moyen du petit ecran,Elle est entouree d'une dizaine d'enfants. Enfait, il s'agit de ses propres telespectateursqui, a la demande de leurs parents, et pourune fois, une seule, deviennent, avec quelenthousiasme, les acteurs du moment. (A

chaque seance, le groupe d'enfants est donedifferent.) Rien n'est prepare, aucune repe­tition ne precede la mise en onde.

C'est ainsi que nous avons vu, avec queletonnement, les nouveaux venus au studioembrasser spontanement l'animatrice de l'e­mission en la saluant d'un joyeux: 'Bonjour,Edith!'

Avec Ie meme etonnement, nous les avonsvus se diriger sans hesiter vers les activitesqu'ils avaient l'habitude de suivre a distance,choisissant une occupation qu'ils donnaientl'impression de continuer plutot que d'entre­prendre. Tout cela, dans un decor de scien­ce-fiction qui semblait les laisser totalementindifferents. Aucune gene de leur part. Edithfaisait, depuis plusieurs mois, partie de leurunivers et, ne l'ayant jamais vue en realite,ils reconnaissaient son sourire, ce sourirequ'elle leur adressait personnellement, se­maine apres semaine, a la television. Et nonseulement ils la reconnaissaient, mais ils secroyaient connus d'elle qui, pourtant, lesaccueillait pour la premiere fois.

Cette experience, si reconfortante quant ala mission educative des moyens audio-vi­suels, nous a fait comprendre avec force,mais en negatif, cette fois, l'inquietante pre­sence d'un Zorro, la realite de sa cape et deson loup noir.

Dans ce monde nouveau, oil l'image pre­dornine, it nous arrive d'oublier que Ie de­veloppement mental de l'enfant est fonctiond'un contact constant et direct avec les cho­ses sur Iesquelles it a Ie pouvoir d'agir, etnous nous habituons a Ie voir faire deja, ettrop tot, l'experience de la passivite.

L'enfant d'aujourd'hui reagit done pro­fondement a la contrainte du monde quil'environne, soit par une inaction qui n'estpas de son age, soit par l'explosion d'unevitalite comprimee qui, brusquement, re­prend ses droits.

II en resulte une instabilite accrue, unpouvoir d'attention qui va diminuant, une

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nervosite, voire meme une agressivite, donts'inquietent, avec raison, parents et educa­teurs.

Si Ie tout petit a Ie bonheur de vivre dansun milieu familial harmonieux, la securiteprofonde qu'il en eprouve retablit l'equilibredont il a tant besoin pour s'epanouir. Maiss'il fait, helas, la precoce et si frequente ex­perience d'une vie affective bouleversee parla division, l'absence d'autorite et l'insecu­rite qui en decoule, cet equilibre est dange­reusement compromis.

Dans l'un et l'autre cas, force nous est deconstater que notre vie modeme retentitprofondement sur l'enfant et singulierementsur son equilibre nerveux.

Est-ce a dire que cette reaction de defensenaturelle affecte Ie monde meme du toutpetit? Est-il traumatise au point d'en avoirperdu Ie refuge? Ce monde a-t-il resiste auprogres? A-t-il garde ses constantes, sonclimat, ou s'est-il, au contraire, radicalementmodernise?

La encore, la reponse apparait deroutanteet contradictoire, car l'enfant d'aujourd'huiest tout ensemble tres mode me et singulie­rement demode. II nous parait done essen­tiel de definir ce qui est modeme en lui,afin de mieux comprendre ce qui ne l'estpas et ne le sera sans doute jamais.

Modeme, il l'est deja par Ie langage quenous lui transmettons. II l'est aussi par lesinterets qui l'habitent et qui naissent a par­tir de tout ce qu'il voit.

Sa memoire neuve enregistre avec infini­ment plus de facilite que la notre les formesnouvelles qui l'entourent, les vehicules qu'ilaime et les marques qui s'y rattachent.

«C'est Ie volant d'une Fiat 600, je Ie re­connais!» s'ecrie un enfant de six ans, ad­mirant Ia trouvaille d'un de ses camarades.

En cela, il nous a deja depasses, subissantl'acceleration de l'histoire.

En revanche, il est singulierement de-

mode par son besoin d'absoIu, par sa sensi­bilite profonde, riche d'attente, de don desoi, d'attentions subtiles qui n'ont plus coursdans notre vie actuelle.

II est demode par l'admiration sans failledont il aureole les adultes. .

La vision qu'il a des chases et qu'il ex­prime dans son dessin n'a pas change. C'estainsi, en effet, que l'enfant des villes, habi­tue aux hautes facades des immeubles loca­tifs qui I'entourent, continue a dessiner avecune impressionnante constance sa petitemaison a un ou deux etages, d'ou s'echappela traditionnelle fumee qu'il voit si rarementen realite.

Certes, de nouveaux themes et de nou­veaux vehicules apparaissent mais si l'aviona pris place dans la creation enfantine, ildemeure aussi conventionnel que la maison.En un mot, ce dessin obeit aux lois du rea­lisme intellectuel si bien defini par Luquet,et Ie tout petit continue a nous dire ce qu'ilsait des choses, plutot que ce qu'il en voit.Mais au contact du monde qui l'entoure etqui a singulierement change, son savoir nes'est-il done pas enrichi de quelques detailssignificatifs? Comment se fait-il, en effet, quela cheminee soit toujours presente et quel'antenne de television n'apparaisse jamaissur Ie troit de sa petite maison?

Desirant savoir si une consigne precise estde nature a faire surgir des elements nou­veaux, nous avons demande a quarante en­fants de la Maison des Petits (enfants de 5a 7 ans) de dessiner, non pas une maison,mais leur maison. Ils ont pam surpris etdeconcertes par ce souci de precision.

- "Ma maison? ... disait Pascal, c'est unpeu dur!"

- «Moi, je dessine Ie petit chalet de monpapa!» s'est eerie Jean-Marc en eludant ladifficulte,

- Veronique, decue de voir son dessinacheve, si semblable aceux qu'elle fait d'ha­bitude, nous a confie en sauriant: «C'est pas

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«Dessine ta maison!»

GERMAINE DUPARC

Tableau I. ,~«Dessine une marsonn

Fig. 1Didier

6 ans 6 m.

Fig. 2Fabienne

6ans7m.

Fig. 3Jean-Marc

6 ans 7 m. Yz

Fig. 4Martine

7 ans 2 m.

Fig. 5Anne-Francoise7 ans 2 rn. Yz

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rna maison, bien sur que non ... c'est cellede rna grande sceur!»

Tous trois avaient pris conscience duprobleme, mais etaient incapables de le re­soudre. Cependant, sous l'effet contraignantde la consigne et dans le tiers des dessinsrecueillis, nous avons note une volonte mar­quee d'augmenter le nombre des fenetres oudes etages, sans que cela modifie, pour au­tant, le style caracteristique de la creationenfantine. Seuls, cinq enfants, parmi 1es plusages (6 ans 1/2 a 7 ans) ont ajoute une an­tenne de television, et trois seulement sontalles jusqu'a supprimer le toit pointu pourle remplacer audacieusement par un toitplat. Anne-Francoise est allee plus loin, en­core, en ne detachant pas la maison qu'ellehabite, des autres immeubles de sa rue.

Quinze jours plus tard, nous avons re­pose la question, mais sous sa forme habi­tuelle, cette fois: «Dessine une maison ...»et Ie modernisme a cede le pas, aussitot, ala c1assique petite maison retrouveel (VoirTableau I).

Si cet exemple n'a qu'une valeur indica­tive, etant donne le petit nombre des en­fants observes, il est une belle illustration duconservatisme que nous avons souligne etque nous retrouvons dans d'autres do­maines.

Les longues journees d'un tout-petitechappent, elles aussi, a l'acceleration de1'histoire, car il vit l'immediat dans toutessa plenitude, alors que nous raccourcissonsconstamment nos journees d'adultes a cons­truire, en pensee, ce que sera demain.

Son esthetique, enfin, malgre tout ce quipourrait en transformer le canon, 1'incite achoisir, avec un touchant mauvais gout, lacouleur la plus vive, 1'image trop bien finie,pour tout dire . . . Ie chromo.

Comment interpreter une somme de faitsaussi contradictoires? Ces faits s'eclairent si1'on tient compte des donnees fondamen­tales du probleme,

L'immuable, le persistant, le demode quinous frappent chez un tout petit, tiennentessentiellement a sa situation si particuliere,face a la vie. Pour lui, en effet, tout est neufet insolite, tout est a conquerir, 11 ne peutfaire appel aux Iecons du passe et, en raisonde son egocentrlsme, l'experience des autresne peut abreger sa propre experience. 11 estsolitaire dans sa redecouverte.

De generation en generation, il entre avecIe meme etonnement dans notre mondeadulte et ce qui est ancien a nos yeux estaussi recent pour lui que la plus recente denos inventions.

Si done, au fi1 du temps, les choses vontse transformant profondement autour delui, la maniere qu'il a de s'en etonner, des'en approcher et de s'en saisir ne varie pas,et cette invariance explique la perennite deson univers.

Ainsi, dans un monde oil tout change aun rythme de plus en plus rapide, lui, con­tinue d'avancer d'un meme pas, le pas del'explorateur.

Comment expliquer, des lors, ce qui estmoderne, actuel, nouveau, dans sa si courtevie?

Son modernisme plus apparent que reelest fruit de son admiration pour nous, ad­miration qui le porte inlassablement a imiternos gestes, notre comportement, notre voix,a utiliser notre vocabulaire, a s'emparer denos interets, meme s'il ne les comprend pas.

Merveilleuse et inquietante imitation pourles pauvres modeles que nous sommes! C'estle miroir constamment oriente vers notre vie,- miroir qui reflete non seulement nos at­titudes et nos actes, mais Ie decor changeantde notre monde adulte. L'image que 1'en­fant nous en restitue est forcement lacunaire,incomplete et deformee par son egocentris­me qui l'empeche d'etablir de justes rela­tions entre les etres et les choses, Mais lavolonte d'imiter est la, force vive de sonvouloir grandir,

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Ainsi, Ie tout petit nous apparait hors dutemps dans sa redecouverte du monde quil'entoure, mais moderne, cependant, dansson constant desir de jouer notre vie.

Le jeu spontane de l'enfant est l'expres­sion de cette dualite et il est singulierementinteressant de constater que si ce jeu suit lesprogres de notre epoque, en adoptant les ve­hicules, les metiers et les bruits qui la ca­racterisent, il a tendance, neanmoins, it etreen retard sur notre vie actuelle. C'est ainsi,dans le "Jeu du papa et de la maman", queles parents font preuve d'un autoritarismesuranne. C'est ainsi, egalement, que Ie "Jeude l'ecole" met en scene une maitresse d'au­trefois, severe et exigeante, qui punit avecenergie, reclame les mains au dos et dirige,en fait, une tres vieille petite ecole!

Singulier decalage qui s'explique en partiepar la fonction liberatrice du jeu, mais aussi,nous semble-t-il, par l'image anticipee quel'enfant se fait des choses qui l'inquietent.C'est cette image qu'il joue dans Ie jeu del'ecole, plutot que l'ecole elle-meme, - cons­truisant sa vision interieure sur les souve­nirs evoques devant lui par ses parents etpar les aines qui - ne l'oublions pas - cher­chent toujours it se grandir aux yeux des pluspetits en assombrissant le recit de leurs re­cents exploits. En somme, Ie «Tu verrasquand tu seras a l'ecole ...», avec tout cequ'il recele de crainte inavouee, est pluspresent dans Ie jeu que la claire realite d'uneclasse enfantine.

Nous pensons, toutefois, qu'une raisond'un autre ordre a tendance it retarder deplus en plus la penetration de notre mondemoderne dans -Ie monde ferme de l'enfant,raison qui apparait nettement dans l'expe­rience que voici.

Nous avons confie a deux jeunes educa­trices, Anne-Dominique Bindschedler et Gi­sele Funk, une recherche de diplome por­tant sur les jouets les plus modernes, afin de

determiner l'attrait qu'ils sont susceptiblesd'exercer sur l'enfant d'aujourd'hui.

Capsules spatiales, cosmonautes, robots,voisinaient avec les jouets les plus tradition­nels: poupees, ours en peluche, camion, lo­comotive ... laisses au libre choix des petits.

Les engins spatiaux et les robots ont par­ticuliercment captive les garcons, mais pasdavantage, cependant, que la locomotivemecanique, l'attrait semblant resider avanttout dans Ie mouvement et dans Ie bruit,caracteristiques communes a tous ces objets.Mais il importe de souligner un fait qui nousa singulierement frappees: aucun de cesjouets, malgre Ie prestige de leur nouveaute,n'a inspire Ies jeux libres du preau. Au con­traire, pendant tout Ie temps que durait l'ex­perience, les enfants ont surtout joue au pe­tit cheval!

Interreges, et malgre l'apport de la tele­vision presente chez beaucoup d'entre eux,ils ont fait preuve d'une meconnaissance ge­nerale quant a la signification des vehiculesrepresentes par les jouets. Idees vagues, con­fusion entre Martiens, robots et astronautes.Impossibilite de comprendre les revolutionsd'une capsule spatiale autour de la "boulede terre", selon le joli mot de Sophie. Et Iesauteurs du memoire de conclure tres juste­ment: "Comment l'enfant pourrait-il assimi­ler un element dont il ne connait ni Ie sensni la destination et qu'il ne voit pas integredans la vie des adultes?"

Ainsi s'explique le retard qui existe en­tre les decouvertes de notre temps et leurreapparition dans le jeu de l'enfant, et nouspouvons inferer que ce retard ira en aug­mentant.

L'ecart entre l'assimilable et l'incompre­hensible, deja ressenti avec melancolie parl'aduIte, aura tendance a se marquer de plusen plus chez Ie tout petit et il en viendra,peut-etre, a se refugier plus longtemps dansson monde ferme, II est possible aussi qu'ily fasse penetrer tout ce qu'il ne comprend

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pas, transportant ainsi la technique et safroide realite dans son univers magique quis'enrichira, si paradoxal que cela soit, detout l'apport d'une science incomprise ...

II est diffieile de prejuger, mais les des­sins que voiei (voir Tableau 2) ne sont-ils pasdeja une confirmation a notre hypothese?

Repondant a notre desir, car, spontane-

Tableau Il

Fig. 1Le dessin de Jean-Marc (6 ans 6 m. Y2) met enscene, it gauche, deux bucherons qui scient untronc d'arbre dont le bois servira it la mise it feu.Comparer ce paysage agreste it celui de Cap Ken-

nedy!

Fig. 2Le dessin de Tania (7 ans 1 m.) nous montre, ausol, Ie "clocher" d'ou la fusee est partie. A ladroite du "clocher" (tour de lancement) unemaison "011 ils viennent faire la messe." A cote, Iecimetiere, Dans le ciel, la capsule, la lune, les

etoiles ... et "celles qui sont tres loin."

Fig. 3Le dessin de Catherine (6 ans 11 m.) represente lestrois cosmonautes dans la capsule. Dans la maison,

it droite, le grand gateau qui les attend!

ment, aucune creation enfantine n'est venue,au lendemain des vacances, illustrer Ie ma­gnifique exploit d'Apollo 8, quelques enfantsont represente Ie voyage des astronautes versla lune.

N'est-il pas emouvant de voir surgir, dansIe dessin de Jean-Marc, deux petits buche­rons affaires a seier du bois ... pour la misea feu de la fusee! Et quelle vision humaine,familiale, rassurante, que Ie grand gateauprepare, au creur de la maison dessinee parCatherine, pour feter Ie retour des glorieuxcosmonautes!

Vision rassurante, certes, mais l'est-elleautant qu'on Ie voudrait?

Face a ce monde deja si eloigne du notre,la question revient, imperieuse: qu'advien­dra-t-il des tout petits au cours de notre his­toire qui va s'accelerant?

Faudra-t-il en arriver ales attirer plusrapidement a nous, a ouvrir des beeches dansleur monde ferme? Faudra-t-il tenter d'yintroduire des techniques d'apprentissageanticipe, comme certains Ie preconisent?Vaut-il mieux, au contraire, chercher a nousrefaire petits afin de nous rapprocher d'eux

alors qu'eux-memes nous preferentgrands, afin de mieux monter jusqu'a nous?

Non, notre beau devoir est ailleurs ...

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Dans un monde oil tout est remis en ques­non, nous nous devons de donner a l'enfantla force constructive de notre immuable af­fection, de notre presence, de notre fermete,de notre encouragement.

Dans un monde ou l'enfant est trop sou­vent confronte avec des faits et des imagesqui l'impressionnent, nous nous devons decreer en lui et autour de lui, le climat af­fectif qui bannit la crainte, en lui restituantIe sur appui de notre calme, de notre de­cision, de notre sourire.

Dans un monde au la Iacilite confine al'ennui, nous avons Ie devoir de le rendreriche de petites chases et non pauvre a forcede tout obtenir. Nous avons le devoir de luirendre la beaute de l'effort joyeux en utiIi­sant le moteur de son vrai jeu qui est un jeuserieux, et non l'amusement pueril qu'unepedagogic bien intentionnee a voulu substi­tuer au travail.

Dans un monde ou la technique et le pre­fabrique l'emportent sur l'artisanat, nousavons le devoir de tenir en eveil son espritcreateur.

Dans un monde ou tant d'intermediairess'interposent entre la nature et lui, nousavons le devoir de le remettre chaque jour

Parents, educators, doctors and psychologists arerightly concerned about the impact of the modernworld on the experience of childhood. We appre­ciate that in a world of constantly changing sightsand sounds the child only half hears and half seesall that is taking place; that the over-rich stimula­tion of the mass media answers his questions be­fore he has had a chance to formulate them; thatthe dividing line between the image and reality isoften blurred; that the child acquires a passivityand inactivity atypical of his age at the same timeas his powers of attention diminish and his irri­tability increases.

The modern child is 'up to the minute' in hislanguage, interests, and memory for technologicaldetails, but in many essential respects his visionhas remained unchanged from that of children ofprevious generations. The city child who himself

en contact avec la vie, source de ses plusprofonds emerveillements.

Dans un monde ou regne la dure loi du"chacun pour soi'', nous avons le devoir delui donner la joie d'aider, en faisant de cetteaide qui Ie grandit, la plus belle des recom­penses.

Et sur tout cela, constamment, inlassable­ment, nous avons Ie devoir de lui faire con­fiance en remplacant Ie si decourageant «Tues trap petit ...» par la cle d'or de la vraiepedagogic: «Tu es assez grand ... je peux teconfier cela»!

C'est ainsi que nous aiderons ce petit quenous aimons, a devenir l'aduIte qu'il reved'etre, a notre image.

Enfant de toujours dans notre monde enmarche, il est celui que nous avons ete, parla redecouverte que la vie lui impose, maisiI porte en son arne, entierement tourneevers les grands que nous sommes, Ie refletdu monde incomprehensible mais combienprestigieux qui sera sien, demain.

Germaine Duparc est Professeur a l'Ecole dePsychologie et des Sciences de l'Education, 1211Geneve 14.

Padres, educadores, doctores y psicologos estanjustificadamente preocupados por el impacto delmundo moderno en la experiencia de la infancia.Nos damos cuenta de que en un mundo de vistasy sonidos en carnbio continuo, el nino oye y ve,solo a medias, las cosas que estan teniendo lugar;de que el estimulo, rico en exceso, de la masamedia contesta a las preguntas del nino antes deque este haya tenido ocasion de formularlas; deque la linea divisoria entre imagen y realidad es amenudo borrosa; de que el nino va adquiriendouna pasividad y una inactividad que no son apro­piadas a su edad, al mismo tiempo que sus poderesde atencion disminuyen y su irritabilidad aumenta.

El nino moderno esta al corriente en 10 que serefiere a su lenguaje, intereses y memoria paradetalles tecnologicos, pero, en muchos aspectosesenciales, su vision ha perrnanecido invariable e

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lives in high rise flats still draws a little housewith one or two storeys and a little smokingchimney with never a sign of a T.V. antenna.Aeroplanes may have replaced other forms oftransport in his drawings, but he is still conven­tional in his drawings of dwelling houses. Weasked 40 children aged 5 to 7 to draw, not a housebut their house. Even with this instruction thechildren were reluctant to do more than add oneor two storeys to the typical children's drawingof a house - a beautiful example of the conser­vatism of childhood.

How do we interpret these apparently contra­dictory findings? The oldest and the newest of ourinventions are just being discovered by the child.Each generation enters an adult's world with thesame astonishment and the same pace - that of theexplorer. He is out of date because he is just dis­covering everything, old and new, for the firsttime. His modernism is more apparent than realand springs from his admiration of us and hisdesire to copy all that we do. The adults difficultyof keeping up with advances in our technologicalspace age are reflected in the child's vaguenessand confusion. This tendency must increase and itis likely that the child will retire more and moreinto his secluded magical world where some ele­ments of an incomprehensible science may filterthrough (see Figures 1, 2, and 3).

In such a world we help our children by pro­viding permanent affection and support; by sup­plying an emotional climate which banishes fear;by permitting the child to experience the joys ofhis own efforts through work-oriented pedagogy;by allowing him direct contact with the world ofnature; by teaching him how to care for others;and by placing our full confidence in him at alltimes.

identica a la de nifios de generaciones previas.EI nifio de la ciudad que viveen un piso de unedificio elevado, sigue dibujando una casita deuno 0 dos pisos, con una pequefia chimenea queecha humo y sin la menor sefial de una antena detelevision. Tal vez los aviones hayan substituido aotras formas de transporte en sus dibujos, perosigue siendo rutinario en disefios de viviendas.Pedimos a 40 nifios, de 5 a 7 afios de edad, quenos pintaran, no una casa, sino su casa. A pesarde este requirirniento los nifios no hacian masque afiadir uno 0 dos pisos al tipico dibujo infan­til de una casa - hermoso ejemplo de la actitudconservadora de la infancia.

lComo interpretamos estos descubrientos apa­rentemente contradictorios? La mas antigua y lamas moderna de nuestras invenciones acaban deser descubiertas por el nino. Cada generacion entraen el mundo adulto con el mismo asombro y almismo paso-el del explorador. Esta pasado demoda porque esta ahora descubriendolo todo, viejoy nuevo, por primera vez. Su modernismo es masaparente que real y surge de la adrniracion pornosotros y su deseo de copiar todo 10 que hace­mos. La dificultad del adulto para mantenerse alcorriente en nuestra era espacial tecnol6gica, estareflejada en la vaguedad y confusion del nino.Esta tendencia debe aumentar y es probable queel nino se recluya mas y mas en su mundo magicoy retirado, donde tal vez se filtren algunos elemen­tos de una ciencia incomprensible (veanse fig. 1,2, y 3).

En un mundo asi podemos ayudar a nuestrosnifios suministrandoles afecto y ayuda permanen­tes; proporcionando un clima emocional que disipeel temor; permitiendo al nino que experimentelos goces de sus propios esfuerzos, mediante unapedagogia orientada al trabajo; dejandole queexperimente contacto directo con el mundo na­tural; ensefiandole a como preocuparse por losdernas; y depositando en el, en todo momento,nuestra absoluta confianza.