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Le personnage et la curiosité dans l’œuvre de
Gustavo Martín Garzo
Caroline BOUHACEIN
Université de Caen Basse - Normandie
LASLAR
Gustavo Martín Garzo est sans aucun doute l’un des écrivains
contemporains les plus prolifiques d’Espagne. Né à Valladolid en 1948, il suit des
études d’ingénieur qu’il abandonne pour devenir psychologue avant de se
consacrer pleinement à l’exercice de l’écriture qu’il pratique d’ailleurs depuis
l’adolescence. Il publie son premier ouvrage Luz no usada en 1985 mais il ne sera
réellement reconnu qu’en 1999 lorsqu’il obtiendra el Premio Nadal pour son
roman Las historias de Marta Y Fernando. Romancier, essayiste mais également
auteur de livres pour enfants et de nombreux articles de presse, Martín Garzo
s’est construit une trajectoire littéraire originale qui s’enracine dans un univers
façonné par le mythe et par la fable, un univers qui se nourrit des récits anciens
de la Bible et des contes populaires qui accompagnent l’homme depuis la nuit
des temps. Son œuvre laisse transparaître une profonde connaissance de la
littérature universelle qui représente, pour l’auteur, le meilleur moyen de révéler
la face cachée de la réalité qui nous entoure.
C’est en ce sens que Montserrat Amores García, professeur à l’Université
Autonome de Barcelone, dans un article intitulé « El pequeño heredero de Gustavo
Martín Garzo, a propósito del relato tradicional de la serpiente y el Pastor », affirme:
Las historias que forman parte de nuestra tradición, fueron el primer
descubrimiento de Martín Garzo y buena parte de ellas le fueron
transmitidas oralmente. El conjunto de ellas lo forman un amplio y
heterogéneo repertorio que contiene los cuentos tradicionales, los mitos
y las historias de la Biblia. Todas le interesan en cuanto son historias
que revelan partes desconocidas de la realidad, en las que se encuentra
el prodigio que es la esencia de la creación… Y es que para Gustavo
Martín Garzo contar es un acto fundacional, pues es el momento de
revelación de otras realidades1.
1 M. Amores García, « El pequeño heredero de Gustavo Martín Garzo, a propósito del relato tradicional de la serpiente
y el Pastor », Revista de la Sociedad Española de Estudios Literarios de Cultura Popular, 2001, p. 105.
2
C’est donc mu par un élan de curiosité suscité par le monde qui l’entoure et
alimenté par un perpétuel besoin de connaître la profondeur de la réalité dans
laquelle nous vivons que l’auteur déploie ses qualités d’écrivain. Il partagera
d’ailleurs cette soif de connaissance avec bon nombre de ses personnages.
Raconter pour mieux comprendre le monde et son fonctionnement,
raconter pour satisfaire un élan de curiosité, tels seraient donc les axes
d’interprétation majeurs de l’œuvre de Gustavo Martín Garzo dont l’un des
thèmes de prédilection est la nostalgie de l’enfance, thème également cher à
d’autres écrivains de sa génération tels José María Merino ou bien encore Luis
Mateo Díez. L’enfance n’est-elle pas la période par excellence de l’apprentissage
et de la découverte ? A côté de ce thème essentiel, nous trouvons également celui
de l’amour et celui de la mémoire qui conduisent à une meilleure connaissance
de l’autre. Une part importante de la réflexion de l’auteur porte sur la femme,
qu’il semble considérer comme un être doté d’une évidente supériorité. Martín
Garzo s’alimente de la réalité du quotidien et de nombreux ouvrages ont pour
cadre les paysages réalistes de sa région natale. Loin de se contenter de ce
quotidien et de ces tableaux concrets, l’écrivain va ouvrir, dans ce monde de
réalité, une brèche dans laquelle ne manquent pas de s’engouffrer le rêve, la
fantaisie et le merveilleux. Gustavo Martín Garzo n’aura de cesse d’unir ces
différentes sphères pour mieux interroger ce qui nous entoure et en dévoiler
toute la richesse.
Ses romans sont donc peuplés d’êtres qui évoluent dans cette atmosphère
faite de dualité, des êtres confrontés à l’ambivalence du quotidien qui les façonne
à son image. Apparaît alors une multitude de personnages décalés, de curieux
personnages qui éveillent l’intérêt des lecteurs et qui partagent avec leur auteur
le même désir de connaître l’environnement qui définit leur essence et leur
identité. La problématique de la curiosité entendue dans toutes ses acceptions
semble donc parfaitement répondre aux exigences de l’écriture de l’auteur. La
curiosité, dont la polysémie enrichit la portée, n’apparaît-elle pas comme l’un des
ressorts privilégiés de la connaissance, du savoir ? Nous tenterons alors dans
cette étude de comprendre comment la singularité des personnages traduit les
inquiétudes et les interrogations de l’auteur. Nous étudierons dans un premier
temps les différents degrés de curiosité qui caractérisent les personnages. En quoi
sont-ils « étranges » ? A quel point sont-ils « curieux » et pour quelles raisons le
sont-ils ? Puis nous analyserons les manifestations de cette curiosité entendue au
sens premier du terme.
L’œuvre de Gustavo Martín Garzo nous offre donc un très large éventail
dans la caractérisation du personnage curieux. Hommes, femmes, enfants,
3
aucune catégorie du monde humain ne semble échapper à la possibilité d’entrer,
à un moment donné, dans la catégorie du « bizarre », de l’ « étrange » entendus
comme (presque) synonymes du mot « curieux ». De fait, de nombreux
personnages se retrouvent très vite en dehors de la norme qui semble régir le
quotidien des hommes. Bien qu’il soit particulièrement difficile de définir ce qui
fait ou non partie de la normalité, nous apprenons, lorsque nous ouvrons nos
dictionnaires, que le mot « norme » provient du mot latin « norma » qui signifie
« équerre ». Serait donc normal tout ce qui se tient dans un juste milieu, ce qui ne
penche ni d’un côté ni de l’autre. Dans son ouvrage intitulé L’indispensable en
culture générale2, Jean-Marie Nicolle propose d’aborder l’idée de la normalité
selon trois angles différents.
Dans un premier temps, il propose d’étudier cet aspect sous l’angle
biologique. Nicolle affirme alors qu’être normal c’est « ne présenter aucune
déficience par rapport aux lois vitales »3. Nous comprenons ainsi que toute
personne souffrant d’une quelconque déficience serait, par conséquent,
considérée comme anormale, elle susciterait alors l’interrogation, l’intérêt et la
curiosité. Dans El pequeño heredero (1997), le personnage principal est un enfant
atteint d’épilepsie. N’oublions pas que pour Gustavo Martín Garzo, l’enfance est
l’étape la plus intense de la vie. C’est en ces termes qu’il se justifie :
Tal vez porque el niño, como el amante, vive en el mundo de la
posibilidad… Un niño es un ser complejo, agitado por numerosos
conflictos y la infancia está llena de angustias e incertidumbre4.
L’enfant concevrait donc le monde comme un endroit où le réel côtoie le
mystère. Rappelons que, dans le roman auquel nous venons de faire allusion, les
enfants n’hésitent pas à croire que le personnage de Gregoria n’est autre qu’une
sorcière et que celui de Marta renverrait l’image d’une femme cruelle qui enferme
les plus jeunes dans des cages pour en conserver les squelettes. Ismaël, l’enfant
atteint d’épilepsie, conjugue donc avec ces étranges croyances une condition
singulière. Orphelin, il vit chez une cousine de sa mère. Il n’a que six ans mais il
a déjà échappé à la mort. En effet, avant d’être recueilli par une femme, il souffrait
d’une grave dénutrition et les médecins l’avaient laissé pour mort. L’enfant a
donc repoussé les limites de la vie, il est sorti de cette épreuve porteur d’une
déficience physique : Ismaël est épileptique.
2 J-M. Nicolle, L’indispensable en culture générale, Paris, Bréal, 2008. 3 Ibid., p. 72. 4 Extrait de < www.clubcultura.com/clubliteratura/clubescritores/garzo/entrevista05 >.
4
Soulignons maintenant que l’épilepsie, dans l’Antiquité gréco-latine, a fait
naître chez les savants des sentiments ambivalents, un mélange de crainte et
d’admiration qui s’est enrichi d’une dimension quasiment divine. L’épilepsie
serait donc alors pensée comme une maladie sacrée. L’épileptique devient à son
tour porteur d’ambigüité, il est l’esprit privilégié, l’objet d’un signe divin qui le
sépare des autres hommes. Quand la Pythie à Delphes jouait son rôle de
médiateur entre les hommes et Apollon, elle délivrait son message dans un état
de transe épileptique, signe extérieur de sa possession par le Dieu.
Ismaël souffre de cette même maladie et ses assauts contre son être enfantin
aiguisent ses sens à tel point qu’émerge une identité nouvelle dont l’essence se
confond avec la nature qui l’entoure. Durant les crises, tous les repères du
personnage volent en éclat, il perd l’audition et ne perçoit plus ce que le commun
des mortels entend, sa vue se trouble et il ne distingue plus ce que les autres
voient. Il est alors investi d’un étrange pouvoir : il devient celui qui est capable
d’appréhender la continuité entre le monde des vivants et celui des morts, ou
bien encore entre le monde des vivants et le monde animal. Tout se passe comme
si les changements et les bouleversements du monde avaient lieu au plus profond
de son être. Rappelons ici que de nombreux personnages de Miguel Delibes5, un
des maîtres à penser de Martín Garzo, souffraient également de cette même
maladie.
Ismaël apparaît donc comme un curieux personnage qui permet à l’écrivain
d’explorer les frontières qui séparent les êtres et les choses, le monde des vivants
et celui des morts, le domaine du rêve et celui de la vie concrète dans laquelle
chacun évolue. Il est une sorte de trait d’union entre les différentes catégories.
Ismaël est investi du pouvoir de conduire les lecteurs vers un monde étrange et
mystérieux qui questionne l’essence même de l’être humain et la violence des
sentiments. L’amour et la trahison ne sont-ils pas au cœur du roman ? La douleur
et la tristesse ne naissent-elles pas de la rencontre entre deux univers différents ?
La déficience physique qui caractérise Ismaël est le ressort fondamental qui
permet à l’auteur de développer tout un questionnement sur le fondement de la
nature humaine.
La curiosité suscitée par l’anormalité apparaît également sous une autre
forme dans l’œuvre de Gustavo Martín Garzo. Effectivement, si l’on se réfère à
5 Né en 1920, Miguel Delibes est l'une des grandes figures de la littérature de l'après-guerre civile (1936-
1939). Très abondante, son œuvre romanesque reflète les changements qui ont marqué l'Espagne de son
temps ; marquée par un idéal d'humanisme chrétien, elle évoque souvent des êtres défavorisés ou
marginaux, et s'accompagne d'une critique acerbe de la bourgeoisie de province. Partant du réalisme
traditionnel, son univers foisonnant de personnages, surtout centré sur la Castille profonde, mais ouvert
aux tendances modernes de l'écriture de fiction, s'impose par ses dons exceptionnels de conteur et sa
maîtrise d'une langue qui sait jouer des registres les plus divers. Le roman, déclare-t-il, « c'est l'homme dans
ses réactions authentiques, spontanées, sans mystification », d’après un article de l’Encyclopédie Universalis
< http://www.universalis.fr/encyclopedie/miguel-delibes/> consulté le 6 Mars 2014.
5
Nicolle, il est possible d’aborder la question de la normalité sous l’angle du social.
Etre normal au sens social c’est « ne subir aucune inadaptation par rapport au
milieu social ou à ses règles »6. L’inadaptation sociale conduit, en général, au rejet
hors de la société, ou du moins à ses marges. En dehors du centre, dans ces
marges, apparaissent à nouveau des personnages qui non seulement suscitent la
curiosité mais qui semblent également étrangement bizarres. Un autre
personnage du roman El pequeño heredero vient illustrer cet angle de vue. Il s’agit
de Quico dont l’apparence monstrueuse rappelle inévitablement un Frankenstein
perdu dans l’espace-temps.
Quico apparaît comme « un niño gigantesco al que hubiera que proteger de su
propia fuerza »7. Il forme avec la belle Andreona un couple pour le moins insolite
mais fortement épris. Cet homme, à l’apparence d’un géant mais dont
l’entendement semble se réduire à celui d’un petit enfant, a pour étrange
habitude de tuer les animaux avec une cruauté sanglante. Il endosse alors la
figure du criminel et finira exclu de la société reflétée dans un village au sein
duquel il vivait avec sa femme mais dans lequel il n’y a pas de place pour les
êtres différents. Rejeté par tous, il finira par se réfugier dans la montagne où il
trouvera la mort.
Quico est l’exemple type du personnage inadapté, celui vers lequel tous les
regards convergent pour mieux l’enfermer dans sa différence qui rend son
histoire d’amour avec Andreona impossible. Gustavo Martín Garzo se sert de ce
curieux personnage pour illustrer la complexité du sentiment amoureux, son côté
irrationnel et incompréhensible qui le rend puissant et fragile à la fois. Il vient
donc illustrer l’un des thèmes de prédilection de l’auteur et le choix de la
différence permet de mettre en avant l’idée selon laquelle ce sentiment, si naturel
à la condition humaine, ne répond pas forcément aux lois de la logique commune.
Nous reviendrons sur cet aspect un peu plus loin dans notre étude mais nous
pouvons cependant avancer dès maintenant que l’écrivain, en s’appuyant sur la
présence d’un personnage socialement inadapté, renvoie clairement l’image
d’une société faite d’intolérance et de haine.
Abordons enfin le troisième angle selon lequel Nicolle parle du concept de
normalité. Il s’agit de la « normalité souple ». Dans ce cadre, l’être normal est
« celui qui sait s’adapter avec souplesse à diverses règles de vie »8. Nicolle nous
incite ainsi à rompre avec la conception statique de la norme et nous invite, par
conséquent, à la considérer de façon dynamique. En d’autres termes, un être
apparemment normal, bien adapté à son milieu, peut, par exemple, dans
certaines circonstances, être complètement perdu et ne plus savoir comment
réagir. Il n’était donc adapté qu’à une norme précise. Mais la vie nous demande
6 J-M Nicolle, op. cit., p. 72. 7 G. Martín Garzo, El pequeño heredero (1997), Barcelona, Debolsillo, éd. 2012, p. 161. 8 J-M Nicolle, op. cit., p. 72.
6
d’être non pas adaptés mais adaptables. Etre normal c’est donc être normatif,
c'est-à-dire, capable de changer de norme. Notons que dans le roman de Gustavo
Martín Garzo intitulé La carta cerrada (2009), le narrateur a du mal à faire face à la
tragédie qui a provoqué la rupture de la cellule familiale. Lorsqu’il était enfant,
son frère a trouvé la mort dans un terrible accident. Dès lors, la folie a envahi
l’esprit fragilisé de la mère et, petit à petit, le couple formé par les parents s’est
défait. Lorsque la mère décide de quitter le foyer, acte qui résonne comme une
tentative de se rebeller contre son histoire douloureuse, elle rédige une lettre
adressée à son autre fils, une lettre dont le contenu restera à jamais scellé dans les
secrets de l’auteur car elle sera détruite avant que personne n’ait pu la lire. Le
roman raconte donc l’histoire d’une lutte personnelle pour s’adapter à la réalité
quand celle-ci s’entête à nous éloigner de nos rêves. Gustavo Martín Garzo
questionne donc le concept de « normalité souple » pour dire à ses lecteurs que
vivre revient en quelque sorte à s’adapter aux différentes épreuves qui croisent
nos chemins sous peine de nous dévier de la norme et finir en marge d’une société
qui accepte mal les écarts.
Hommes, femmes, enfants… tous les âges et tous les sexes semblent donc
affectés par cette idée de curiosité renvoyant dans un premier temps à un espace
en dehors de la norme, à la marge. Une catégorie de la population humaine
semble cependant particulièrement touchée par l’ambiguïté liée à la notion de
curiosité. Il s’agit des femmes dont le traitement dans l’œuvre de Martín Garzo
relève d’un point de vue singulier et privilégié. Sous la plume de notre auteur,
elles revêtent un pouvoir qui pourrait presque relever de l’ordre du divin. Dotées
d’une extrême sensibilité, les femmes peuvent transformer, d’un simple regard,
tout ce qui les entoure et elles induisent, dans leur environnement proche, des
sentiments pouvant conduire à la destruction. Un fragment de El amigo de las
mujeres transcrit parfaitement la dimension cosmique qui caractérise la femme
dans l’œuvre de notre auteur :
Se cruza con una mujer que va llorando. Camina concentrada en sí-
misma, con el rostro deformado por el dolor, y pasa a su lado ajena por
completo a su presencia en la calle. Camina por donde él lo hace, pero
sin que parezca darse cuenta de lo que la rodea, infinitamente solitaria
y ausente. Como si su marcha ya no tuviera una significación
individual, sino que en ella estuviera implicada la especie misma, el
movimiento giratorio del planeta, la sucesión de los días y de las
noches9.
9 G. Garzo, El amigo de las mujeres (1992), Barcelona, Debolsillo, éd. 2005, p. 18-19.
7
La femme est donc présentée comme un être porteur d’une éternelle
souffrance qui semble inhérente à sa condition d’être humain. Reme, l’héroïne de
El pequeño heredero, finira rongée par la douleur causée par l’abandon ; la figure
maternelle de La carta cerrada est détruite par la perte de son enfant ; Luisa, dans
Una tienda junto al agua, est une jeune femme perturbée par une vie qui ne lui
apporte aucune satisfaction. Les exemples de femmes en souffrance sont
nombreux dans l’œuvre de Martín Garzo. Malgré tout, la femme reste le pilier de
l’univers et, en elle, se concentrent tous les indices du cosmos. Au fil des récits,
elle apparaît comme un personnage curieux fortement marqué par cette idée. A
la fois forte et fragile, elle devient vite un être doté des plus étranges pouvoirs.
Sa maîtrise du monde environnant apparaît clairement dans Marea oculta:
[...] a pesar de su dulzura, de su fragilidad aparente, cada una de
aquellas muchachas estaba dotada por la naturaleza de armas secretas
con las que podía llegar a matar. Algo parecido a los hilos de las arañas,
o al veneno de las serpientes […]10.
Les femmes sont donc des êtres ambivalents, fortes d’une apparence
sensible et fragile. Elles abritent au plus profond d’elles une force incroyable qui
les conduit à la maîtrise parfaite des individus de sexe opposé :
Los hombres habían nacido más grandes y vigorosos que las mujeres y
eso seguiría siendo así por los siglos de los siglos… Las mujeres no eran
inferiores por eso […] mandaban sobre la fuerza que había en los
hombres. No había mujer que no lo supiera. Que esa fuerza existía para
que ellas la utilizaran, y que el más salvaje de los hombres se
transformaba en un cordero cuando quería estar a su lado11.
C’est ainsi que, à la fin du roman, l’auteur nous explique que toutes les
femmes sont des sorcières habitées par ce qu’il appelle « les forces libres du
monde »12. Elles composent leur vie en maîtrisant cet étrange pouvoir qui,
lorsqu’il se réveille, est impossible à dompter. Il peut alors provoquer la plus
terrible des tempêtes.
L’individu de sexe féminin occupe donc une place centrale dans l’économie
générale de l’œuvre de Gustavo Martín Garzo. Dotées malgré leur apparente
fragilité d’une redoutable force intérieure souvent difficile à maîtriser, elles
deviennent la matrice d’un futur porteur d’amour et d’espoir. C’est en ce sens
10 G. Martín Garzo, Marea oculta (1993), Barcelona, Debolsillo, éd. 2005, p. 165. 11 Ibid., p. 154. 12 « Todas las mujeres eran brujas… Era como si tuvieran un pacto con las fuerzas libres del mundo. », in G.
Martín Garzo, Marea oculta, op. cit., p. 186.
8
que l’auteur idéalise la figure maternelle dans Todas las madres del mundo13. La
mère apparaît comme le premier objet de curiosité de tout être humain. C’est en
ces termes que Martín Garzo explique l’importance de cette figure dans ses
ouvrages :
Las madres tienen mucho peso en la literatura porque son la primera
fascinación del ser humano, el primer amor y el que marca todas las
relaciones futuras, para bien y para mal… La madre es una materia tan
literaria como el amor14.
A l’image de Aurora, l’héroïne de La soñadora qui prête sa voix d’outre
tombe à la narration, les femmes sont, pour Martín Garzo, des êtres étranges ne
pouvant que susciter la curiosité dans la mesure où « las mujeres siempre han sido
las grandes mediadoras entre el mundo de los deseos y los sueños, y el mundo real ». Les
femmes sont des êtres à la fois humains et magiciens qui reflètent l’idée de la
figure originelle puisque derrière chaque femme se cache une mère. Elles
constituent le support incontournable de la cristallisation mythique, fréquente
chez Martín Garzo. Remonter aux sources, remonter aux origines est l’un des
axes privilégiés de l’analyse des ouvrages de notre écrivain. Rappelons ici que
pour Mircea Eliade, « le mythe relève de la sacralité parce qu’il raconte l’activité
créatrice des êtres divins ou surnaturels. En d’autres termes, le mythe décrit les diverses
et parfois dramatiques irruptions du sacré dans le monde »15. Le mythe est alors ce qui
permet de remonter « au temps fabuleux des commencements » (pour reprendre une
expression de Véronique Léonard-Roques)16.
Le mythe semblerait donc être l’une des clés majeures permettant d’ouvrir
les portes de l’interprétation de nombreux récits de Martín Garzo. Si autour de la
femme se cristallise tout un questionnement sur les origines c’est parce que, très
souvent, elle suscite une quête identitaire provoquée par la nécessité de connaître
sa véritable nature. L’incontournable présence du mythe enveloppe alors de
nombreux personnages, conduisant ainsi les lecteurs sur les chemins de l’étrange,
du curieux.
Dans El valle de las gigantas (2000), la mère de Lázaro agit fréquemment de
façon curieuse. Elle monte sur les tables ou sur les armoires lorsqu’elle est triste
ou inquiète, son extrême générosité risque souvent de mettre en péril l’équilibre
économique déjà précaire de la famille, ce qui plonge l’adolescent dans une
profonde perplexité. Dans le roman, cette femme n’a pas d’identité précise, seules
13 G. Martín Garzo, Todas las madres del mundo, Barcelona, Lumen, 2010. 14 Extrait de « La figura de la madre es tan literaria como el amor », Gustavo Martín Garzo, 01/05/2010,
elcultural.es. 15 Cette définition reprend les termes de Mircea Eliade dans Aspect du mythe, Paris, Gallimard, 1963. 16 V. Léonard Roques, Abel et Caïn, rivalité et responsabilité, Paris, Les éditions du rocher, 2007.
9
la caractérisent sa condition de mère et ses étranges habitudes. Elle devient celle
par qui le doute envahit le récit. Les histoires racontées par le grand-père
seraient-elles donc vraies ? Lázaro serait-il le petit fils de l’une des géantes qui
peupleraient la vallée découverte par des soldats fuyant la violence de la guerre
civile ? Macarrón, la grand-mère de Lázaro, serait-elle l’une de ces géantes ?
Rappelons maintenant que dans le récit du grand-père les géantes
découvertes dans cette vallée secrète étaient au nombre de sept. Elles avaient
pour habitude de fuir à l’approche des étrangers et se plaisaient à se réfugier dans
les branches des arbres. Cannibales, elles s’alimentaient de la chair des victimes
du conflit fratricide qui agitait le pays. Le grand-père se serait épris de l’une
d’elles et aurait tenté de faire sa vie à ses côtés. Le réel se gonfle alors d’une
dimension nouvelle, curieuse, pourrions-nous dire, dans la mesure où, dès lors,
le mystère plane sur les origines de Lázaro jusqu’à la fin du roman. Ce sont ces
hésitations, ces interrogations qui maintiennent en éveil la curiosité du lecteur et
le doute reste même encore ancré dans notre esprit une fois le livre terminé car
tout est mis en œuvre pour ne pas apporter de réponse fermée à nos
questionnements. De ce fait, rien ne nous permet d’affirmer qu’il ne s’agit que
d’une histoire de plus de la part d’un grand-père qui a l’habitude de multiplier
les récits.
Cette dimension étrange, conférée à la réalité, ne permet pas aux lecteurs
d’entrer complètement dans le domaine du fantastique. Nous approchons de ses
frontières mais une explication rationnelle est encore possible si le grand-père n’a
fait qu’inventer cette histoire. Soulignons que pour Todorov, ce qui caractérise le
fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par le lecteur quant à la réalité des
évènements racontés :
Le fantastique occupe le temps d’une incertitude. […] Le fantastique …
ne dure que le temps d’une hésitation : hésitation commune au lecteur
et au personnage, qui doivent se décider si ce qu’ils perçoivent relève ou
non de la réalité, telle qu’elle existe pour l’opinion commune17.
Le roman de Gustavo Martín Garzo offre un dénouement qui laisse au
lecteur (et d’ailleurs aussi au personnage de Lázaro) le choix de faire basculer
d’un côté ou de l’autre la résolution du mystère des origines du jeune adolescent.
Cette curieuse histoire permet également au lecteur de faire l’expérience de la
magie de la vie, de la profondeur d’une réalité souvent méconnue. D’où l’allusion
au célèbre tableau de Magritte Ceci n’est pas une pipe. Pour l’auteur, ce qui nous
entoure n’est qu’apparence : la pipe n’est plus alors que la simple représentation
17 T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Le Seuil, 1970, p. 47.
10
d’une pipe et derrière cette représentation se cachent des inconnues, un lieu
incertain qui garderait des trésors cachés.
Dans cet exemple précis, la curiosité des personnages conduit le lecteur sur
les chemins de l’interrogation et de la prise de conscience. Elle ne se présente pas
somme une énigme à déchiffrer ou comme une illusion à dévoiler par une
analyse approfondie des évènements relatés. Elle est au contraire l’indice de la
profondeur d’une réalité plus grande que nos expériences quotidiennes laissent
à voir, et qui ne peut être révélée que par le choc entre cette même réalité et le
mystérieux, le curieux. Tout se passe comme si Gustavo Martín Garzo nous disait
que pour être en mesure de lire la réalité qui nous entoure, il nous faudrait
comprendre et accepter que celle-ci puisse présenter différents degrés de
profondeur qui nous conduiraient à sentir sa complexité. L’auteur nous donne à
entendre qu’au-delà de l’immédiateté du visible et du latent, il y a une intériorité
invisible qu’il nous faut également appréhender pour être en mesure de saisir
notre réalité dans sa globalité. La curiosité entendue dans toutes ses dimensions
serait donc l’un des moteurs essentiels de l’appréhension totale de l’univers qui
nous entoure dans la mesure où il s’agit d’un sentiment qui accroît notre soif de
connaissance et dans la mesure où l’intrusion d’un élément d’ordre « curieux »
dans ce même univers ne fait qu’accentuer notre questionnement.
Ce processus permettant au lecteur de laisser libre cours à sa soif de
connaissance du monde qui l’environne est poussé à l’extrême dans l’une des
dernières œuvres de notre auteur. Dans Tan cerca del aire, roman publié en 2010,
Gustavo Martín Garzo nous raconte l’histoire de Jonás, un jeune adolescent qui,
après avoir perdu son père, décide de combler les manques qui ponctuent sa vie.
Il n’a pas connu sa mère et n’a d’elle que des photos représentant une femme à la
pâleur inquiétante. Mu par la curiosité, il se lance dans une quête qui le conduira
à lever le voile sur le secret de ses origines. C’est cette même curiosité qui
l’incitera à parcourir l’espace labyrinthique de la grotte qui cache l’habit de
plumes qui permettra la métamorphose finale. Jonás, orphelin, est en réalité un
curieux personnage, fruit de la rencontre improbable entre son père et un héron
qui, les nuits de pleine lune, abandonnait son habit de plumes pour rejoindre le
monde des humains.
En jouant avec les frontières de la réalité et de la fiction, en plongeant le
lecteur dans un monde où la curiosité est à la fois le moteur d’une quête et la
matrice de la connaissance, Gustavo Martín Garzo nous renvoie face à nos
propres questions existentielles, au sens de la vie et à notre véritable identité. La
perméabilité entre la réalité et la fiction nous invite à pénétrer dans « el mundo
callado que hay entre la realidad y los sueños »18. Apparaît alors un monde où tout est
18 G. Martín Garzo, Tan cerca del aire, Barcelona, Plaza y Janés, 2010, p. 96.
11
possible et nous réalisons que l’identité de l’être humain est complexe et multiple.
Comme dans La métamorphose de Kafka, l’indétermination entre l’homme et
l’animal devient un élément permettant à Martín Garzo de brouiller les frontières
entre les genres. Tout se passe comme si le « moi » ne possédait aucune structure
limitée, comme le reflet d’une identité en quête d’elle-même. Cette ouverture
s’exprime donc dans la représentation étrange que l’auteur donne à son
personnage : un être à la recherche de ses origines et de son identité.
A sa manière, Gustavo Martín Garzo nous propose un monde romanesque
aux frontières du réel, son écriture semble avoir pour axe de rotation le
questionnement du monde qui nous entoure. Elle présente de façon
déconcertante un monde fait d’introspection et d’observation, un monde où le
rapport entre les apparences et la réalité est minutieusement étudié, où les
frontières entre le rationnel et l’irrationnel sont mises à mal et où l’imaginaire
apparaît comme un élément constitutif essentiel du réel.
Cette idée est également illustrée dans La soñadora (2001), roman dans lequel
émerge des eaux troubles du canal une bien étrange créature. Dans cet ouvrage,
l’élément aquatique est omniprésent à tel point que ce Canal de Castille semble
devenir un personnage à part entière dans la mesure où il marque de son
empreinte le rythme de vie des habitants. La créature qui en émerge est à mi-
chemin entre l’homme et le poisson. Cette étrange créature fera une autre
apparition dans Mi querida Eva, roman publié en 2006 :
Un escritor norteamericano… escribió un relato en que una expedición
de científicos se adentraba en la selva amazónica, esperando encontrar
el eslabón de la creación: un ser bípedo, un celacanto, de estatura y
aspecto humanos, pero con escamas en lugar de la piel y agallas como
orejas. En este relato se contaba cómo ningún miembro de esta
expedición volvió nunca, y cuando fueron en su búsqueda solamente
encontraron una cámara de fotos. Una vez reveladas las fotos, en una
de ellas vieron a una criatura de más de dos metros de altura,
amenazadora, pero con una piel que recordaba a un pez19.
Le thème des eaux primordiales renoue avec l’idée des mythes fondateurs
et sous-tend le mythe cosmique du poisson qui ramène la boue originelle, celui
qui avale pour faire renaître. Aurora, l’héroïne de La soñadora, finira engloutie par
les eaux du canal et elle renaîtra de l’autre côté de la frontière qui sépare la vie de
la mort pour apporter une lumière nouvelle sur les faits marquants de son
existence. Une autre forme de vie se cristallise et la barrière entre le monde des
vivants et le monde des morts est pulvérisée par l’intensité du récit. Nous
19 G. Martín Garzo, Mi querida Eva, Barcelona, Debolsillo, 2007, p. 51.
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renouons donc avec le principe cher à Martín Garzo de faire disparaître les
frontières qui séparent les êtres et les choses.
Rappelons également que la prégnance du mythe est une constante dans
l’œuvre de notre auteur. Cette prédominance du substrat mythique est comme
une porte ouverte à la présence de curieux personnages dont l’essence différente
nous conduit à nous interroger sur le sens de notre propre vie. Tel est le cas de
Bruno dans El jardín dorado (2008). Dès le début du roman le personnage est décrit
en ces termes :
¿Por qué había de sorprenderse de que naciera de su vientre un ser como
Bruno? Es verdad que no se parecía a los otros niños, pero tampoco son
el común de los mortales y sin embargo son venerados por ellos. Mi
hermano era un ser extraordinario, no importa lo que luego se dijera de
él20.
D’emblée la condition particulière du personnage est mise en avant et
rapidement nous identifions Bruno comme le Minotaure. L’utilisation de
structures concessives dans la description qui nous est proposée trahit son
essence duelle, son caractère ambivalent. Entre l’homme et l’animal, Bruno va
finir par perdre ses repères. Il est ainsi présenté :
Llamé Bruno a mi hermano porque nació con el rostro cubierto de vello.
Era un vello muy suave que con el tiempo se fue volviendo negro, hasta
oscurecerlo por completo21.
Le recours à un personnage mythique sert ici de ressort narratif permettant
à l’auteur de conférer une dimension exemplaire au roman. Derrière les mots
d’Ariadna transparaît la voix de Martín Garzo qui brosse le portrait d’une
humanité intolérante et souvent décevante qui se complaît dans la souffrance.
Comme Borges ou bien encore Cortázar, l’auteur confère à la figure mythique
une véritable densité psychologique et c’est par l’idée de différence, de curiosité,
de marginalité qu’il invite ses lecteurs à s’interroger à nouveau sur l’ordre établi,
à questionner les préjugés et les vérités ancrés dans l’inconscient collectif.
La question de la curiosité répond donc à une nécessité de définir une
normalité et d’interroger les mécanismes qui régissent le monde qui nous
entoure. C’est pourquoi nous pouvons classer dans cette galerie de personnages
curieux qui peuplent l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain la figure du monstre.
Les géantes de El valle de las gigantas sont monstrueuses, Quico dans El pequeño
heredero est monstrueux, Bruno agit tel un monstre. Soulignons également le
20 G. Martín Garzo, El Jardín Dorado, Barcelona, Lumen, 2008, p. 11. 21 Ibid., p. 12.
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caractère monstrueux de cette main qui, dans La princesa manca, évolue seule et
n’hésite pas à s’alimenter de la chair du berger qui l’a recueillie. Rappelons que
dans ce roman publié en 1995, Gustavo Martín Garzo nous raconte l’histoire d’un
jeune berger qui découvrira le mystère des jeunes filles sans main. Le motif de la
femme sans main revient à plusieurs reprises chez l’auteur (dans Tres cuentos de
hadas ou, plus récemment dans Y que se duerma el mar, roman d’inspiration
biblique publié en 2012 dans lequel l’auteur propose une réécriture de l’histoire
de Marie, présentée comme une jeune femme ayant perdu sa main). Nous
renouons ici avec la condition singulière dans laquelle l’écrivain aime placer la
femme en général.
Mais la curiosité est aussi le propre de celui qui veut tout savoir, de celui
qui veut transgresser les interdits pour accéder à la connaissance. Le berger de La
princesa manca n’hésitera pas longtemps pour ouvrir la porte derrière laquelle
sont retenues toutes les mains des jeunes femmes. Nous avons déjà vu comment
Jonás, le protagoniste de Tan cerca del aire, combinait également ces deux aspects.
Personnage curieux car en dehors de la norme, il est également curieux de savoir
qui était réellement sa mère. Dans Los amores imprudentes (2004), la narratrice ne
va pas hésiter à bouleverser l’ordre établi pour savoir qui était cette femme qui
posait sur d’anciennes photos ayant appartenu à son père. En retournant en
Espagne, sur un fond de voyage initiatique, la jeune femme va démêler les fils de
différents destins ancrés dans un contexte historique difficile. Ses recherches la
poussent à déterrer le fanatisme assassin de la guerre civile et questionne
l’impunité des vainqueurs et de leurs alliés nazis dans la période de l’après-
guerre.
La curiosité de la narratrice conduit donc les lecteurs sur les chemins de la
mémoire historique dont la récupération a été proscrite lors de la transition
démocratique. Ce roman se situe donc dans le cadre des romans de la mémoire
publiés au début du XXIe siècle au moment où se multipliaient les débats sur la
mémoire historique. Soulignons que le 10 septembre 2004 fut créée par Décret
Royal une Commission interministérielle pour l'Étude de la situation des Victimes de la
Guerre civile. Le projet de la commission était de chercher les moyens d'une
réhabilitation morale et juridique des victimes de la guerre et du franquisme. La
narratrice, qui vit en France, apparaît alors comme la représentante des enfants
déracinés suite au franquisme. A la mort de son père, elle découvre une photo
représentant une femme dont elle reconnaît la médaille : c’est celle qu’elle porte
autour de son cou, celle que son père lui a offerte alors qu’elle n’avait que onze
ans :
14
Pero ¿quién era? ¿Qué había pasado entre ellos, y por qué papá nunca
había querido contármelo?22
La curiosité du personnage est à vif, elle se matérialise dans le texte par la
multiplication des questions qui traduisent l’intérêt du personnage pour la
connaissance de l’histoire de son père. Revenir sur une histoire personnelle
permet ici de mieux comprendre le passé de toute une nation. Elle retournera
donc en Espagne, apprendra à connaître les lieux dans lesquels s’est construit son
père et démêlera les fils d’une histoire douloureuse. Tout se passe alors comme
si, en partant à la rencontre du passé de son père, la jeune femme pouvait enfin
dépasser les conflits intérieurs qui l’empêchent de s’épanouir complètement. A
l’image d’une nation qui a besoin de se réconcilier avec un passé douloureux, la
jeune femme fait face à une soif de connaissance pour exister pleinement et
vaincre ses propres démons.
Concluons donc brièvement en soulignant que chez Gustavo Martín Garzo
la curiosité est un des ressorts fondamentaux d’une écriture poussée par le besoin
de dépasser les apparences. La curiosité relative à tout ce qui est en décalage avec
ce que nous avons défini comme étant la norme apparaît comme un moyen de
faire jaillir le sens implicite des choses qui nous entourent, de rendre évidents
certains aspects du monde dans lequel nous évoluons et dont on ne mesure ni la
totale existence ni l’entière importance. Elle permet aussi de porter un regard
critique sur une société qui laisse peu de place à la tolérance et qui se montre trop
souvent intransigeante. Et cette curiosité, entendue enfin comme le mécanisme
conduisant à la quête de l’inconnu et répondant à un fort besoin de connaître et
de savoir, permet aux personnages de se réaliser pleinement. Elle devient une
nécessité vitale qui souvent nous amène aux seuils, aux frontières que l’on se doit
de franchir. La curiosité qui anime certains personnages est le moteur même de
la transgression qui les incite à redéfinir de nouvelles limites. Elle se déploie alors
dans un discours qui brouille les lignes de démarcation entre le légitime et
l’interdit, entre le rêve, l’imaginaire, le fantastique et la réalité, entre le possible
et l’impossible pour créer de nouveaux espaces de réflexion et pour qu’émerge,
au bout du compte, toute la richesse et la complexité des êtres et des choses qui
nous entourent.
22 G. Martín Garzo, Los amores imprudentes, Barcelona, Debolsillo, 2006, p. 15.
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Bibliographie :
Les romans de Gustavo Martín Garzo ayant fait l’objet de cette étude :
Luz no usada, Junta de Castilla y León, Consejería de Educación y Cultura, 1986.
Una tienda junto al agua, Barcelona, Los Infolios, 1991.
Marea oculta, Barcelona, Lumen, 1994
La princesa manca, Madrid, Ave del paraíso, 1995.
El pequeño heredero, Barcelona, Lumen, 1997.
El valle de las gigantas, Barcelona, Destino, 2000.
La soñadora, Barcelona, Plaza y Janés, 2002.
Los amores imprudentes, Barcelona, Lumen, 2004.
Mi querida Eva, Barcelona, Lumen, 2006.
El jardín dorado, Barcelona, Lumen, 2008.
La carta cerrada, Barcelona, Lumen, 2009.
Tan cerca del aire, Barcelona, Plaza y Janés, 2010.
Autres ouvrages de Gustavo Martín Garzo cités dans cette étude :
El amigo de las mujeres, Barcelona, Debolsillo, 2005.
Todas las madres del mundo, Barcelona, Lumen, 2010.
Autres ouvrages :
ELIADE Mircea, Aspect du mythe, Paris, Gallimard, 1963.
LEONARD ROQUES Véronique, Abel et Caïn, rivalité et responsabilité, Paris, Les
éditions du rocher, 2007.
NICOLLE Jean-Marie, L’indispensable en culture générale, Paris, Bréal, 2008.
TODOROV Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Le Seuil, 1970.
Articles divers :
MONTSERRAT Amores García, « El pequeño heredero de Gustavo Martín Garzo, a
propósito del relato tradicional de la serpiente y el Pastor », Revista de la Sociedad
Española de Estudios Literarios de Cultura Popular, 2001, p. 105.
Sur Miguel Delibes : < http://www.universalis.fr/encyclopedie/miguel-delibes/>
consulté le 6 Mars 2014.