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Le point de vue du médecin généraliste, hors les murs

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Page 1: Le point de vue du médecin généraliste, hors les murs

Vol. 5 - n° 4 - trimestriel novembre 2011 - Oncomagazine - © Springer-Verlag France 2011 - DOI 10.1007/s11944-011-0046-2

Dossier12

Cancer et situations difficiles

I l est donc impératif, dans ces situations difficiles, de réaliserd’abord une évaluation rigoureuse, non seulement du stade

de la maladie cancéreuse, mais aussi de la comorbidité dontsouffre le patient. L’état général physiologique, l’âge, la gravitéde l’atteinte cancéreuse et de la seconde maladie entrent enconsidération pour fixer les modalités du traitement et cequ’on en attend. Par ailleurs, il est important dans ces cas précisde limiter au maximum les effets secondaires des médicationscytotoxiques qui risqueraient d’affaiblir outrageusement cemalade déjà réduit dans un «  état d’hyper-vulnérabilité  »(R. Mislawski).L’exemple archétypique illustrant ce propos est celui de cettefemme de 85 ans, Madame S. qui, vivant seule, sa fille résidant àl’étranger, était complètement prise en charge par les voisins del’immeuble. Madame S. était atteinte de la maladie d’Alzheimeret présentait un état de démence avancée. De plus, elle était malvoyante, et ne sortait plus de chez elle depuis des années, sub-sistant, tant bien que mal dans ce fragile équilibre. Fumeuse, ellefut atteinte d’un cancer du poumon pour lequel une chimiothé-rapie fut décidée et instaurée. Malheureusement au bout de troiscures, force fut de constater que la maladie progressait malgréle traitement, que les effets secondaires des sels de platines etles transports en ambulance altéraient encore son état général.Les voisins se lamentaient de cette déchéance et seule la fermeintervention de son médecin traitant, auprès des médecins hos-pitaliers qui prônaient un nouvel essai, permit de revenir à laraison et à l’équipe soignante d’assurer les soins de supports quiapaiseraient un peu Madame S. Sa fille étant revenue pour accom-pagner sa mère, Madame S. s’éteignit presque paisiblement,quelques temps plus tard à son domicile.Les cas de ce type ne sont pas isolés, car le vieillissement de lapopulation l’expose à l’augmentation des facteurs de risque enCancérologie particulièrement. On l’a déjà dit, la survenue d’uncancer réalise en soi pour le patient une situation difficile, et laprésence d’une comorbidité décuple celle-ci.Mais, de son point de vue, le médecin peut, lui aussi, êtreconfronté à des situations difficiles qui remettent en cause les

assurances que lui avait apportées sa pratique. Ainsi en est-il durefus de soins.On sait que jamais, dans aucune époque, aucune civilisation,la médecine n’a pu bénéficier d’un arsenal thérapeutiqueaussi efficace et opérant, que celui dont nous disposons aujour-d’hui. Les progrès sont rapides, les succès incontestables etvalidés, la recherche s’organise désormais à un niveau planétaire.Alors, comment expliquer cette défiance croissante de la popu-lation envers ceux qu’elle nomme «  des apprentis sorciers  »  ?La crainte des effets secondaires des traitements, des infectionsnosocomiales, d’être traité comme des cobayes, prend le pas surla peur de la maladie dont est atteint le patient.Il est clair que la récente «  affaire du Médiator®  » et la publicitéque lui en a faite l’ensemble médiatique (médiator-médiatique),n’a pas aidé à apaiser les esprits. Désormais, chaque médicamentprescrit, chaque acte médical proposé est passé aux criblesd’Internet. Une douleur à avaler, la moindre petite grosseurprovoque le recours aveugle au réseau et le patient arriveaffolé à la consultation avec dix A4 imprimés dans lesquelssont détaillés cinquante diagnostics de maladies possiblesque parfois le médecin ne connait même pas et qui lui sont présentées sans aucune pondération. Ainsi, une douleur à lagorge peut être une angine, un abcès mais aussi un cancer dularynx, sans que le patient ne prenne conscience de la différenced’incidence de chacun de ces maux. Le degré d’exigence et l’at-tente des patients se sont nettement sophistiqués récemment,et les échecs des thérapies sont de plus en plus mal supportés.Qu’on s’entende bien, il faut demeurer conscient des nombreuxbénéfices que l’on peut retirer d’Internet. Mais cet outil génèreaussi nombre de troubles dans les comportements. Les mauvai-ses interprétations sont nombreuses entrainant des angoissessupplémentaires.De leur côté, drapés dans leur savoir, les médecins sont imbusd’une connaissance pseudo-scientifique et pas toujours homo-loguée, qui les rend certains de leur bon droit, à faire accepterleur opinion, par leurs malades. Il est clair aussi, que l’accroisse-ment de leurs connaissances concernant leurs pathologies,

Le point de vue du médecin généraliste,hors les murs

Dominique DelfieuCabinet médical, 85 rue Lepic, 75018 [email protected]

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Cancer et situations difficiles

pourrait avoir tendance à froisser les médecins et, comme ils neparlent pas tout à fait le même langage, nombre de quiproquosont inévitables. Le temps accordé pour chaque consultation,se réduit d’année en année et la place réservée à l’échange humaniste, rétrécit comme peau de chagrin. Dans ces condi-tions, faire admettre par le consultant une conduite à tenirqui puisse apparaître raisonnable s’incrémente en complexité.Assurément, la tâche devient de plus en plus ardue pour lemédecin généraliste.Y a-t-il une augmentation du refus de soins  ? En tous cas, lasimple évocation de ce sujet prouve que les médecins ont prisconscience d’un problème, qu’il leur faudra désormais prendreen compte dans leurs comportements professionnels. En fait,chaque jour le médecin est confronté à un refus de soins etl’exemple d’un patient qui tousse et refuse le traitement anti-biotique prescrit illustre ce propos…Voici deux vignettes cliniques, deux exemples typiques, que j’airécemment personnellement vécus et qui m’ont interpelé.Madame M. a maintenant 50 ans. Il y a 5 ans, elle a été atteinted’un petit cancer du sein. Après la tumorectomie et le curageoù l’on n’a pas retrouvé de ganglion axillaire envahi, il lui aété proposé un traitement complémentaire  : radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie car ses récepteurs aux estro-gènes étaient positifs. Mais, puisqu’on lui avait affirmé qu’il s’agissait d’un petit cancer et qu’elle craignait les effets secon-daires de ces traitements barbares, malgré nos relances, elles’est évaporée dans la nature. Je ne l’ai plus revue jusqu’à il ya un an. Lorsqu’elle est venue me reconsulter, elle présentaità l’évidence une récidive controlatérale avec des ganglions axillaires palpables. Une mastectomie lui fut alors proposée, cequi lui parut insupportable. Longtemps, malgré nos conseils,elle a tergiversé, discutant cette indication. Elle avait un amiqui lui proposa un traitement à base de plantes en Suisse, quisait pourquoi la Suisse inspire une telle confiance  ? Elle fit levoyage, mais revint quelques semaines plus tard, les chosesne s’étant pas arrangées. Les conversations étaient toujours laborieuses, elle repoussait sans cesse la date de la chirurgie.Finalement, la mort dans l’âme, elle se résolut à l’inévitable.Après la chirurgie, une chimiothérapie fut débutée, elle pré-sentait des nodules pulmonaires. Les vomissements étaient

violents, mais après consultation d’Internet, craignant les effetssecondaires, elle refusa de prendre les anti-5  HT3 que lui avaitproposés son cancérologue. Ce premier traitement va bientôts’achever.Je me demande si je m’y suis bien pris avec cette malade, sije n’ai pas sous-estimé ma qualité de sorcier et si toutes ces campagnes de presse à grande échelle ne terrorisent pas complètement la population, engendrant des effets imprévi-sibles.Le second patient est Monsieur L, atteint d’un cancer du sinuspyriforme étendu à la peau. La chirurgie ne fut pas retenue eton lui proposa une association radio-chimiothérapie, qu’ilrefusa vertement. Il se fâcha avec son ORL. La famille étaitaffolée, car il refusait tout traitement, toute consultationmédicale. À la demande expresse de sa femme, une phar-macienne du quartier vint m’exhorter à tenter une visite àdomicile, ce que finalement, je me résolus à faire. Lorsque je levis, il était confiné au lit, avait de grandes difficultés à parler,mais demeurait très distant. Bien sûr, il récusa l’hospitalisationque je lui proposai, mais nous nous entendîmes sur une plate-forme minimale, lorsqu’il me dit  :– Démerdez-vous pour que je ne souffre pas, je me charge du

reste  ! – Bon, eh bien je vais m’occuper de la Morphine, lui dis-je alors.Le traitement de ses douleurs fut assez efficace. Les visitesà domicile me permirent aussi de rétablir un certain climat d’apaisement et les antidépresseurs que je réussis à lui faireprendre améliorèrent son humeur. Néanmoins, il ne retournajamais à l’hôpital et mourut chez lui, auprès de sa femme,comme il le désirait.Longtemps, j’ai eu l’habitude de déclarer  : «  heureusement quemes patients n’ont pas pris tous les médicaments que je leurai prescrit, car j’aurais aujourd’hui sans doute, beaucoup plusde morts sur la conscience  ». Essayer d’établir un champ deconfiance dans la relation soignant-soigné est le premiertemps incontournable de l’expérience thérapeutique. En tantqu’être humain comme en tant que médecin, nous sommesen permanence confrontés à notre incertitude essentielle etc’est notre tâche première que de se résoudre à essayer d’yfaire face. �