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I L n'est pas anodin qu'un film de Youssef Chahine ait trouvé le moyen d'être pré- sent parmi nous en cette première session des Rencontres internationales des cinémas arabes, se faufilant dans la programmation pour une seule et unique projection. Depuis le départ, cette première session visant surtout à projeter des films récents et non du patrimoine, cette présence n'était pas prévue, nonobstant l'importance capitale de Chahine dans l'histoire du cinéma arabe et du cinéma tout court. C'est grâce à Ibrahim El Batout, le réalisateur égyptien dont nous avons voulu suivre le parcours et à qui on avait demandé de choisir un film parmi ceux qui ont joué un rôle dans sa vocation de cinéaste, que Le moineau va de nouveau être visible en salle, sur grand écran, à Marseille. Pour le plus grand bonheur de ceux qui le connaissent déjà et sans doute pour le bonheur de ceux, plus jeunes, qui le découvriront. Il n'est pas anodin, non plus, que ce film de Chahine soit précisément Le moineau. El Batout le savait, lui qui a su à sont tour susciter des vo- cations et continuer sur la voie du cinéma indépendant ouverte par Cha- hine. C'est que Le moineau, tourné après la défaite arabe de 67, marque une étape majeure : celle constituée par cette défaite, justement, et ses conséquences sur l'esprit des gens qui l'ont vécue. Son célèbre incipit, sur les raisons qui ont poussé le cinéaste à faire ce film, prend un re- lief particulier à la lumière des événements qui viennent de secouer le monde arabe et continuent de le secouer. C'est parce que les jeunes de l'époque, au Caire, à Alger, à Tunis et ailleurs lui demandaient, dés- orientés, ce qui s'était passé qu'il a voulu tenter de répondre à cette question. Mais sa réponse est une réponse de cinéaste, et d'un cinéaste éminemment engagé, à la fois dans son temps et dans le cinéma. Le film dit l'impossibilité, justement, d'une réponse claire mais aussi le devoir d'admettre désormais la nécessaire sortie du discours victimaire. Il est en même temps le reflet de ce désespoir et de cette perplexité pro- fonds et un appel à une lucidité vitale. Son montage est aussi heurté que ses personnages et comme eux débordant d'énergie. Et c'est dans ce film, d'une poésie à couper le souffle, que pour la première fois nous voyons un leader arabe, Nasser en personne, avouer une défaite. La lé- zarde est enregistrée de manière implacable ; elle crève l'écran, les L es Rencontres internationales des cinémas arabes, nouvelle étape d'un travail de longue haleine mené depuis plus de dix ans par Aflam, voient enfin le jour. L'événement est heureux et considérable. Nous allons voir beaucoup de bons et beaux films : des longs, des courts, des documentaires et des fictions. Nous auront le plaisir de les voir en présence de leurs réalisateurs, des critiques passionnés et des professionnels du cinéma – venus parfois de bien loin – qui ont généreusement répondu à l'appel pour qu'ensemble, avec la complicité du public, nous oeuvrions à donner davantage de lisibilité à ces cinématographies. L'absence de dimension compétitive est essentielle, elle dit toute l'ambition de ces Rencontres destinées à favoriser l'échange et le débat. Et nous avons tenu à ce qu'un quotidien accompagne les projections de chaque jour avec quelques articles écrits sur quelques films. Histoire de partager avec les spectateurs certaines de nos découvertes. Pas toutes, bien sûr, parce que le support papier ne peut rendre compte d'un programme si riche dans sa totalité. Heureusement, il y a le site des Rencontres dans lequel nos enthousiasmes trouveront plus de place pour s'exprimer et sur le plus de films possible. REVOIR LE MOINEAU AUJOURD'HUI par Hajer Bouden ÉDITORIAL MERCREDI 29 MAI 2013

Le Quotidien #1 - Rencontres Internationales des Cinémas Arabes

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L es Rencontresinternationales des cinémas arabes, nouvelle étape d'un travail de longue haleine mené depuis plus de dix ans parAflam, voient enfin le jour.L'événement est heureux et considérable

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Page 1: Le Quotidien #1 - Rencontres Internationales des Cinémas Arabes

IL n'est pas anodin qu'un film deYoussefChahine ait trouvé le moyen d'être pré-sent parmi nous en cette première sessiondes Rencontres internationales des cinémasarabes, se faufilant dans la programmationpour une seule et unique projection. Depuis le départ, cette premièresession visant surtout à projeter des films récents et non du patrimoine,cette présence n'était pas prévue, nonobstant l'importance capitale deChahine dans l'histoire du cinéma arabe et du cinéma tout court. C'estgrâce à Ibrahim El Batout, le réalisateur égyptien dont nous avons voulusuivre le parcours et à qui on avait demandé de choisir un film parmiceux qui ont joué un rôle dans sa vocation de cinéaste, que Le moineauva de nouveau être visible en salle, sur grand écran, à Marseille. Pourle plus grand bonheur de ceux qui le connaissent déjà et sans doutepour le bonheur de ceux, plus jeunes, qui le découvriront.Il n'est pas anodin, non plus, que ce film de Chahine soit précisémentLe moineau. El Batout le savait, lui qui a su à sont tour susciter des vo-cations et continuer sur la voie du cinéma indépendant ouverte par Cha-hine. C'est que Le moineau, tourné après la défaite arabe de 67, marqueune étape majeure : celle constituée par cette défaite, justement, et sesconséquences sur l'esprit des gens qui l'ont vécue. Son célèbre incipit,sur les raisons qui ont poussé le cinéaste à faire ce film, prend un re-lief particulier à la lumière des événements qui viennent de secouer lemonde arabe et continuent de le secouer. C'est parce que les jeunes del'époque, au Caire, à Alger, à Tunis et ailleurs lui demandaient, dés-orientés, ce qui s'était passé qu'il a voulu tenter de répondre à cettequestion. Mais sa réponse est une réponse de cinéaste, et d'un cinéasteéminemment engagé, à la fois dans son temps et dans le cinéma. Lefilm dit l'impossibilité, justement, d'une réponse claire mais aussi ledevoir d'admettre désormais la nécessaire sortie du discours victimaire.Il est en même temps le reflet de ce désespoir et de cette perplexité pro-fonds et un appel à une lucidité vitale. Son montage est aussi heurtéque ses personnages et comme eux débordant d'énergie. Et c'est dansce film, d'une poésie à couper le souffle, que pour la première fois nousvoyons un leader arabe, Nasser en personne, avouer une défaite. La lé-zarde est enregistrée de manière implacable ; elle crève l'écran, les

Les Rencontres internationales descinémas arabes, nouvelle étape

d'un travail de longue haleine menédepuis plus de dix ans parAflam,voient enfin le jour. L'événement estheureux et considérable. Nous allonsvoir beaucoup de bons et beaux films :des longs, des courts, desdocumentaires et des fictions. Nousauront le plaisir de les voir enprésence de leurs réalisateurs, descritiques passionnés et desprofessionnels du cinéma – venusparfois de bien loin – qui ontgénéreusement répondu à l'appel pourqu'ensemble, avec la complicité dupublic, nous oeuvrions à donnerdavantage de lisibilité à cescinématographies. L'absence dedimension compétitive est essentielle,elle dit toute l'ambition de cesRencontres destinées à favoriserl'échange et le débat. Et nous avonstenu à ce qu'un quotidien accompagneles projections de chaque jour avecquelques articles écrits sur quelquesfilms. Histoire de partager avec lesspectateurs certaines de nosdécouvertes. Pas toutes, bien sûr,parce que le support papier ne peutrendre compte d'un programme siriche dans sa totalité. Heureusement,il y a le site des Rencontres danslequel nos enthousiasmes trouverontplus de place pour s'exprimer et sur leplus de films possible.

REVOIR LE MOINEAUAUJOURD'HUIpar Hajer Bouden

ÉDITORIAL

MERCREDI 29 MAI 2013

Page 2: Le Quotidien #1 - Rencontres Internationales des Cinémas Arabes

Dans Haneen, si nostalgie il y a, ce n’est guère cellequi fige. Ce film, quasi muet, peut se voir comme la

flamme du vivant qui se bat de toutes ses forces contrel’extinction ou la récupération. On y a l’impression queOssama Bawardi réinvente le sens du mot « haneen », de-venu lueurs intenses de vie et non plus fixation sur desévénements passés. Nous sommes face à une nostalgie,non pas tournée vers le passé mais paradoxalement orien-tée vers l’avenir, une nostalgie qui appelle le vivant, seconfondant avec l’attente d’une éclosion de l’instant pré-sent. Cette ouverture sur l’ « à venir » est majestueuse-ment incarnée par le personnage principal : une femmeaux aguets, d’un certain âge, très seule, au visage très ha-bité, visage qui vous arrache le regard : à la fois rude etgénéreux mais jamais aride même lorsqu’il est pris demélancolie. Une femme s’accrochant à la vie : cela estperceptible à travers des gestes comme se maquiller,écouter de la musique ou danser et se confirmera par legeste majeur du film : arracher le numéro imposé à sa de-meure. Les autres personnages principaux tout aussimuets ou presque sont un enfant qui vole des orangesdans le jardin de cette même femme, une boîte aux lettreset notamment un numéro : le « 54 ».Le film nous plonge dans un univers où les sens sont for-tement sollicités : une musique très expressive, des cou-leurs chaudes, un côté plastique indéniable sans tomberdans une tendance esthétisante gratuite qui ne serait quepur décor. En effet, l’espace dans lequel évolue la femmeest le lieu d’une tension : d’un côté les photographiesd’un mari et d’un fils absents, encadrés et déposés un peupartout ; de l’autre une atmosphère, un climat, qui laissela part belle à la vie et à la beauté. D’emblée, le décor at-tire l’attention, une chaleur du foyer se fait pressentir oùplantes, couleurs, broderies, objets de décorations susci-

tent des émotions et nous attirent nettement plus vers l’in-tensité du moment présent que vers la présence mortifèrede l’absent, incarnée par toutes ces photos - qui elles-mêmes, par moments, se défigent dans de longs travel-ling accompagnés d’une musique éminemmentsensorielle (…).Le dernier mot du film est à la vie, à l’avenir. L’intensitédu désir de vivre est aussi dans cette flaque de sangcontemplée par un enfant que nous voyons de dos face àla maison dans le dernier plan du film. L’acharnement àrefuser la réduction de son foyer à un numéro devient actede résistance, une réaffirmation du droit de la vie sur lamort, un refus d’être quadrillée, contrôlée, réduite à uneadresse.

yeux des personnages devant la télévision et ceux desspectateurs encore sous le choc.Le moineau, c'est le film qui, à commencer par sontitre, fait la part belle au faible et au menu, aux gens depeu dont l'insoupçonnable force – logée dans cette fai-blesse même – était plus que soupçonnée par Chahine.Plus de quarante ans plus tard, cette faiblesse, deproche en proche, fera tomber quelques dictateurs,mettra en pièces la figure du leader, charismatique oupas. Tous ces jeunes sortis dans la rue hurler leur ré-volte, Place Tahrir comme ailleurs, sont les petits en-fants de Baheya et de ses contemporains. Mais ils ne

demandaient pas au raïss de rester, bien au contraire.Pourtant, entre ceux-ci et ceux-là, court un fil rouge :le désir de dignité, la fiévreuse recherche d'une issue etla décision du mot à dire. C'est parce que Chahine avaitosé toucher aux idoles que leurs dorures restées sur nosmains ont une chance de disparaître. C'est pourquoi ilest salutaire de revoir Le moineau aujourd'hui. Et de lerevoir encore et toujours.

RÉSISTANCE DU VIVANT DANS HANEEN DE OSSAMA BAWARDIpar Sihem Sidaoui

Mercredi 29 mai à 17h au CRDPPrésenté par Ibrahim El Batout

Cinéma Les Variétés, salle 1

Jeudi 30 mai à 17hCinéma Les Variétés, salle 2

LE COURT DU JOUR

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CHRONIQUES D’UNE COUR DERECRÉ de Brahim Fritah

"Le cinéma fabrique des souvenirs", disaitGodard. Ce n'est effectivement pas une

reconstitution que propose Brahim Fritah pour évoquerson enfance de fils d'immigré ouvrier en banlieueparisienne, mais bien une fabrique de souvenirs, unesuite ludique d'anecdotes et historiettes décalées oùl'humour côtoie la poésie. Il s'agit, comme dans sesremarquables courts métrages, de faire rupture avecles logiques du spectacle pour se dégager desstéréotypes et amplifier son propos par lasymbolisation.D'une extraordinaire fluidité, ces chroniques profitentde l'approche photographique du réalisateur :parfaitement cadrées, les images se fixent parfoiscomme pour arrêter le temps sur un moment de grâce.Mais ce sont aussi les enfants et professeurs de la courqui se figent pour que Brahim puisse les considérer deson regard étonné. Il ne cesse de prendre tout le mondeen photo sans avoir de pellicule, tant l'acte importeplus que le résultat puisque c'est le cinéma qui fabriquele réel, le reconstruit de son point de vue, celui deBrahim enfant dans l'œilleton de Brahim adulte. Lecinéma est dès lors à la fois témoin et conteur commeBrahim qui transforme la mort de Steve Mc Queen enhappy end et persuade tous les autres qu'il a raison.De cette puissance de recréation du réel, Brahim Fritahtire un film d'une extrême originalité qui ouvre àchacun la liberté de se forger son propre passé. Qui n'apas un jour confié ses rêves à des bouteilles ? Brahimles accroche à une grue qui les confronte aux quatrevents. Elle ne s'écroulera que pour annoncer la grèvepuis la fermeture de l'usine dont son père est legardien, scellant pour Brahim la fin de l'enfance. Maiscela sera passé par une joyeuse occupation des lieux

sur laquelle l'imagination de Brahim fabrique encoredes souvenirs. Scène d'anthologie que cetteéchauffourée au ralenti débouchant sur un coup-de-poing malheureux !Ne gâchons pas le plaisir en égrenant les trouvaillesde ce film dont le rythme tranquille organise undialogue avec le spectateur. Rien à voir avec les filmsde banlieue et rien à voir non plus avec les imagesd'Épinal de l'immigration : la délicate relation deBrahim à ses parents trouve peu à peu une magnifiqueépaisseur. Leur interprétation par deux cinéastescontribue sans doute à cette très sensible incarnation :on voit avec plaisir Mostefa Djadjam (réalisateur dubeau Frontières) revenir ainsi au cinéma après unepériode d'absence, tandis que Dalila Ennadre(réalisatrice du documentaire J'ai tant aimé) confère àson personnage une belle présence. Quant à YanisBahloul, il campe un Brahim pétillant et convaincant,pas moins d'ailleurs que les autres enfants. Il est clairque le casting du film a été particulièrement soigné,celui des enfants étant toujours complexe, surtout dansune transposition en 1981, époque qui combine crise etespoir (cf. notre entretien avec Brahim Fritah et sadirectrice de casting). Le film masque à cet égard avecune grande habileté les limites de son budget : si desobjets de l'époque sont bien là, c'est surtout à traversles métaphores et les sons que le temps est restauré.Les accents chaotiques de Thelonious Monk achèventde brouiller les idées reçues et ouvrent l'imaginaire.C'est cet appel permanent à la sensibilité du spectateurqui fait de la vision de ce film un plaisir sans cesserenouvelé. On va d'étonnement en sourire, de clin d'œilen émotion, de tendresse en partage pour que seprécise finalement un tableau impressionniste oùchacun peut avec Brahim se fabriquer des souvenirs.

*Article déja paru dans africultures.com. Nous lereproduisons avec l’aimable autorisation de l’auteur.

LES SOUVENIRS EN PARTAGE* par Olivier Barlet

Mercredi 29 mai à 14h,cinéma Les Variétés, salle 1

Jeudi 30 mai à 9h 30 au CRDP

Jeudi 30 mai à 20h,cinéma Les Variétés, salle 2

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Bulletin quotidien des 1ères Rencontres Internationales des cinémas arabes organisées par Aflam (en coproduction avec Marseille-Provence 2013)Marseille 28 mai - 2 juin 2013 Aflam, BP 30042, 13191 Marseille cedex 20 - France Tél : 04 91 47 73 [email protected] www.aflam.fr www.lesrencontresdaflam.fr

Equipe de rédaction : Hajer Bouden, Insaf Machta, Sihem Sidaoui.

Coordination : Hajer Bouden Maquette : Hichem Abdessamad

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