10
Armand Colin TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE Author(s): Sylvain Bouyer Source: Littérature, No. 97, LE RÉCIT MÉDUSÉ (FÉVRIER 1995), pp. 87-95 Published by: Armand Colin Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41713280 . Accessed: 10/06/2014 19:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Armand Colin

TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGEAuthor(s): Sylvain BouyerSource: Littérature, No. 97, LE RÉCIT MÉDUSÉ (FÉVRIER 1995), pp. 87-95Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/41713280 .

Accessed: 10/06/2014 19:37

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Littérature.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Sylvain Bouyer, IUFM d'Orléans-Tours

TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Hergé, Tintin au Tibet, ° Casterman, Tournai, I960, p. 26.

Les paysages de Tintin sont plus qu'un décor. Il faut y être sensible, car le trait de plume d'Hergé, si neutre et si fragile en apparence, est habile à fondre tout ce dont il s'empare. Mais ces cailloux... (lile noire, le Temple du Soleil, On a marché sur la lune, Tintin au Tibet, Vol 714 pour Sydney), ce désert (la roche mise en poudre, changeant d'état sans changer de nature, dans les Cigares du pharaon, le Crabe aux pinces d'or, Tintin au pays de l'or noir ; Coke en stock), cette neige (le Temple du Soleil, Tintin au Tibet)... ce sont comme des projections mentales, auprès desquelles les personnages vont se mesurer.

Aucun album ne le montre mieux que Tintin au Tibet, album à part dans l'œuvre d'Hergé dont c'était le préféré l. Après le roman, avant l'ironie, Tintin au Tibet n'appartient ni à l'époque

1. Pierre-Yves Bourdil, Hergé, éd. Labor, coll. « Un livre/une œuvre », n° 3 ( Tintin au Tibet), Bruxelles, octobre 1990 (imp.), p. 55. (lreé<± : 1985).

87

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Tintin entre pierre et neige

du journaliste-explorateur capable de s'offrir la lune, en refoulant à coups de poing ou d'objets les obstacles sur sa route, ni à celle de l'envers du décor, où le monde s'abîme dans le désastre de sa propre ironie. Il se place entre les deux, comme un intermède ou un trait d'union : après le roman avant l'ironie.

Des symptômes venaient d'apparaître dans Coke en stock. Un tableau cubiste fait un pied de nez à Rastapopoulos qui porte le nom d'un fromage mou. Et le drôle apparaît déguisé en Méphisto bedonnant, à lunettes noires, lors d'une mascarade qu'il a organisée sur son yacht. Il est déjà le cow-boy farfelu de Vol 714 pour Sydney.

Cependant, l'ironie ne se déclare vraiment qu'à partir des Bijoux de la Castafiore. Tintin reste cloîtré à Moulinsart où sa présence désœuvrée conduit l'Aventure au fantasme ou au simu- lacre. Certes, il reprend ses valises dans l'épisode suivant. Mais Allan y perd son dentier (le dur) et Tintin perd plus encore : la mémoire. L'anarchisante mascarade étend son empire. Elle ré- gnera sans partage dans Tintin et les Picaros.

Que s'est-il passé ? Le récit a perdu sa fougue avec la dispari- tion du méchant. Il n'y a pas de bandit dans Tintin au Tibet ni dans les Bijoux de la Castafiore. Ensuite, le rôle tombe aux mains du bouffon. Le mauvais devient un incapable, sa propre carica- ture. Le dessin a également perdu toute nervosité. La forme s'écarquille à partir des Bijoux. Le trait devient plus mou, il englobe plus de vide. Hergé affectionne les gros plans. Il dessine moins souvent les personnages en pied ; il s'intéresse aux grosses têtes, freinant la course du récit 2.

On ne s'étonnera donc pas si la première phrase de Tintin au Tibet nous apprend, par la bouche même du héros, qu'il est en vacances , et si ce dernier fait du tourisme à New Delhi. Le récit a changé de cap.

La crise que vit Hergé, en 1958, explique aussi pourquoi Tintin au Tibet est un album à part. Hergé est marié depuis plus de vingt ans quand il tombe amoureux d'une autre femme. La séparation, le divorce l'obligent à trahir la parole donnée, à sortir du contrat de confiance. L'épreuve le marque assez pour qu'il consulte un psychanalyste :

[...] ce manquement grave à une parole donnée, je l'ai ressenti comme un drame. D'autant plus que je n'avais rien à reprocher à mon épouse. Mais

2. Sylvain Bouyer : « Tintin à la revue de détail • (« Tintin, des pieds à la tête »), in Communication et langages, n° 98, éd. Retz, Paris, 4e trimestre 1993, pp. 88-92.

88

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Le récit médusé

simplement, les choses se sont ainsi faites : j'ai rencontré Fanny et j'ai quitté Germaine, voilà ! C'est la vie, quoi !... C'était au moment de Tintin au Tibet, qui est le reflet exact de cette crise morale : l'amitié, la fidélité, la pureté... [...] À cette époque, je traversais une véritable crise et mes rêves étaient presque toujours des rêves de blanc. Et ils étaient très angoissants. J'en prenais d'ailleurs note et je me souviens de l'un d'eux où je me trouvais dans une espèce de tour constituée de rampes successives. Des feuilles mortes tombaient et recouvraient tout. À un certain moment, dans une sorte d'alcôve d'une blancheur immaculée, est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m'attraper. Et à l'instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc. Et j'ai pris la fuite, une fuite éperdue... Quand le docteur Ricklin a pris connaissance de ce rêve et de quelques autres, il m'a conseillé d'interrompre mon travail... 3

Le blanc pousse Tintin à se réorienter, à peser l'ambivalence. Le héros cherche d'abord en direction du passé afin d'y retrouver son acte de baptême : le lien du sang (cf. le Lotus bleu). Le voyage obéit à des motivations qui ne sont plus celles d'autrefois, puisqu'il ne vise plus à fouler des continents barbares. Il doit mener à Tchang, symbole de l'amitié parfaite et de la parole donnée. Les nombreuses allusions à l'enfance, dans le récit, sont ainsi, également, des allusions à l'enfance du récit. Hergé les aligne comme des certificats d'innocence. Tchang est un enfant ; Tournesol et Haddock redeviennent des enfants dans le rêve du capitaine ; Tintin s'attarde sur un ours en peluche dans les débris de l'avion.

Les neiges du Tibet mettent à nu tout cela. Éternelles, elles symbolisent l'éternité. Blanches, elles reflètent l'idéal de pureté (Tintin est appelé « Cœur pur » par le moine visionnaire de la lamasserie). Infinies, elles affichent ce goût de l'étendue, qui est aussi le refus d'un moi séparé de l'univers, au sens où l'entend la tradition du bouddhisme zen auquel Hergé fut sensible.

Mais ces neiges ont aussi la froideur et la sécheresse du linceul. Elles disent le risque de mort, la mort elle-même. La pureté a quelque chose d'étouffant. Et la neige se tient aux pierres, c'est-à-dire aux formes dures, denses et lentes à changer.

Rochers , neige, ballots et chaussures

Dès l'époque des Soviets , l'environnement de Tintin respire la dureté. On y cogne, on s'y cogne, on tombe, on s'emplafonne. La

3. Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, éd. Casterman, coll. «Bibliothèque de Moulinsart », Tournai, éd. définitive, février 1989, pp. 57 (entretien n° 1) et 178 (entretien n° 4). (lre éd. : Tintin et Moi. Entretiens avec Hergé, éd. Casterman, Tournai, 1975.)

89

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Tintin entre pierre et neige

chose peut être drôle ou sérieuse, aller dans le sens du gag ou de l'action. Dans Tintin au Tibet, Tintin reçoit sur la figure un fruit pourri tombé d'un arbre. Le capitaine, lui, « crie sans arrêt contre des portefaix auxquels il se cogne toujours » 4. Mais ce genre ďanecdotes prend un tour moins futile. Tintin a perdu confiance. Il doute et a besoin de toucher la matière pour se rassurer. Le choc sert à vérifier une présence. Jusqu'alors, Tintin cognait volontiers. Il était chez lui dans le monde brutal. Son statut d'aventurier était taillé sur mesure. À présent, l'action violente lui répugne 5. Le monde lui apparaît sous un jour moins strictement manichéen. Faire son sillon dans la planète l'embarrasse, au fond, et com- mence même à faire mal, comme le signale Milou dès la deuxième vignette : « Il appelle ça des vacances ! !... Courir du matin au soir sur des cailloux pointus !... » Et Milou insiste, pour que le lecteur ne passe pas à côté : « Mais lui [Tintin], il a de gros souliers cloutés [...]. » Le héros est en vacances, peut-être en Suisse, pays connu pour sa neutralité 6 ; alors les cailloux devien- nent pointus, et la neige offre une attirante perspective de douceur. Tintin doit quitter le solide pour aller vers des surfaces plus molles, plus souples. C'est un parcours initiatique, difficile, qui se fait par étapes.

Ainsi, quand Tintin descend de la montagne, dans les Alpes, la neige est absente. Il faut attendre un petit tableau, en arrière-plan, dans le salon de l'hôtel, pour qu'elle s'introduise. Elle entre dans le récit avec la distance prudente de la citation (le cadre du

La neige apparaît pour la première fois dans le récit, sous la forme d'un insert. Chaussures et neige tendent à se rejoindre. Hergé, Tintín au Tibet, 0 Casterman, Tournai, I960, détail de vignette, p. 2.

tableau sert de guil- lemets protecteurs) et de Vabyme (l'image dans l'image). Le mot lui-même est éludé, comme seront esca- motés les cadavres de la catastrophe aé- rienne. L'article qui relate l'accident parle d'un crash « dans une

4. Jean-Marie Apostolidès, Les Métamorphoses de Tintin , éd. Seghers, Paris, mai 1984, p. 218.

5. Voir l'insigne de paix sur son casque (Tintin et les Picaros). Voir aussi Arnaud de la Croix : « Une dynamique de la violence », in les Cahiers de la bande dessinée, n° 59, septembre-octobre 1984, pp. 82-84.

6. Hergé « est plutôt satisfait du début de l'histoire qui se noue dans ratmosphere faussement paisible d'un petit hôtel de montagne, en Suisse », Thierry Smolderen et Pierre Sterckx, Hergé - Portrait biographique, éd. Casterman, coll. « Bibliothèque de Moulin- sart », Tournai, mars 1988, p. 312.

90

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Le récit médusé

région désertique ». Le mot neige n'y est pas mentionné une seule fois ; en revanche, on apprend que l'avion s'est écrasé sur un pic rocheux. L'histoire s'échafaude sur cette opposition, le dur, le mou, qui vont et viennent par neige, fruit pourri, ballots, cailloux et chaussures interposés.

La chaussure joue en effet un rôle dans cette affaire. On se souvient de ce qu'a dit Milou à propos des « gros souliers cloutés » de Tintin. Haddock porte, pour sa part, des chaussures à claquet- tes dans son rêve. Il est plusieurs fois aux prises avec ses godillots dans la lamasserie, où un quiproquo relie chaussure et trace.

Car si la chaussure ou le pied produit la trace, la trace réalise la synthèse du dur et du mou. Elle suggère la possibilité d'une continuité entre la pierre et la neige.

Emprì nthes et labyre inte

Le décor expose tout cela. L'empreinte est un motif idéal dans la mesure où elle synthétise le dur et le mou. À travers elle, ce qui fut redevient présent, et Tintin cherche justement à reprendre en main son passé. Il lui faut donc emprunter la bonne direction (le chorten se passe à gauche ; il y a un sens interdit dans le rêve du capitaine Haddock). Car les traces prolifèrent. Elles créent un bruissant labyrinthe : la voix du yèti, la bouteille qu'il a vidée, l'empreinte de ses pas, les bagages abandonnés des porteurs, le pointillé sonore de l'écho dans la montagne, la carcasse de

l'avion, les ossements de petits

Traces en creux et en relief. Hergé, Tintin au Tibet, ° Casterman, Tournai, I960, p. 27.

animaux... Tchang a signalé, par ailleurs, sa présence en gra- vant son nom sur une roche (le dur). Par l'écharpe laissée sur la paroi, la trace, de gravée, se fait aérienne. Puis Tintin découvre sur ce tissu « des taches de sang ». Le yèti lui-même se confond avec sa trace, quand il devient silhouette dans la tour- mente, avant que cette ombre ne se métamorphose en une crevasse où glisse le héros. Des traces narratives apparaissent finalement. Le yèti se prend lui- même en photo (flash), et

91

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Tintin entre pierre et neige

L'évanouissement de la trace sonore. Hergé, Tintin au Tibet, 0 Casterman, Tournai, I960, p. 27.

Tchang se souvient avoir gravé son nom dans la roche (flash-back). La piste est là ďabord comme un jeu de miroirs.

Le flash, l'empreinte photographique. Hergé, Tintin au Tibet, 0 Casterman, Tournai, I960, p. 57.

Le flash-back. Hergé, Tintin au Tibet, ° Casterman, Tournai, I960, p. 59.

Les douleurs de l'empreinte

Ce n'est pas le seul piège. Reprenant la route au matin, Haddock, Tintin et Tharkey font une découverte. Ils découvrent les pas du yèti dans la neige, mais aussi l'empreinte de son corps étalé, développée sur le sol mou. Le yèti aime l'alcool. Il a fauché la bouteille du capitaine et il l'a bue. Ivre mort, il a buté contre une

92

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Le récit médusé

Transfert de la trace : de la pierre à la neige. Hergé, Tintin au Tibet, 0 Casterman, Tournai, I960, p. 26.

pierre et s'est affalé dans la neige. Plus loin, une scène analogue révèle toute l'importance du motif. Aveuglé par la toile de tente que le vent a jetée sur lui, l'abominable-homme-des-neiges a foncé droit devant lui et percuté un rocher dont la surface a volé en éclats : l'empreinte s'est transférée de la neige à la pierre. Le

De la neige à la pierre. Hergé, Tintin au Tibet, 0 Casterman, Tournai, I960, p. 42.

passage du dur au mou présente des risques. Il s'en faudra de peu que Tintin ne l'apprenne à ses dépens. À l'instant où il va s'extraire de la grotte, avec Tchang retrouvé, le pied du yèti plonge comme un piston dans le trou. Tintin est menacé d'être broyé, pris entre la matrice et le creux de l'empreinte.

93

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Tintin entre pierre et neige

Au fond de l'empreinte. Hergé, Tintin au Tibet, ° Casterman, Tournai, I960, p. 56.

Cette image est un emblème. Les autres semblent n'exister que pour la faire advenir. Elle cristallise le sens de toute l'histoire : Tintin ne peut plus rien faire du passé reconquis ; il doit renon- cer à son monde originaire, celui du dur et du percutant, qui menace de se retourner contre lui. Le héros vit à présent sous le risque permanent de la « chaussure ».

On a marché au Tibet

La neige, la roche, le désert furent pour Hergé une fantastique machine à dessiner. L'aventure au Tibet reprend les pierres, la neige, le feu, les rêves et le chef spirituel du Temple du Soleil.

Elle reprend aussi On a marché sur la lune, qui est à cet épisode ce que le yin est au yang. Debout sur le toit du monde ou depuis la lune, Tintin observe l'univers par le haut. Auparavant, il pratiquait le coup d'œil latéral, celui du défilement.

Le voyage dans le cosmos lui a permis également d'entrer en contact avec le vide, le noir, les rochers (Adonis). Dans Tintin au Tibet , l'espace blanchit ; les rochers ne flottent plus, ils se lient à l'étendue neigeuse. Le thème de la grotte revient 7. La pierre et la neige s'allient par endroits : Tintin découvre de la glace sur la lune (la glace, c'est-à-dire l'état « rocheux » de la neige). Les chaussures y ont la même importance. Et l'initiation physique au Vide est réalisée grâce à l'apesanteur d'une part, à la lévitation d'autre part (Foudre bénie).

L'empreinte ofFre-t-elle une réponse ? Quand les Dupont et Dupond se promènent sur la lune, ils découvrent des empreintes, de même qu'ils étaient revenus sur leurs pas dans Tintin au pays de Vor noir ; quand ils s'étaient égarés dans une autre sorte de vide (le désert : la pierre en poudre). Dans Tintin au Tibet , parmi tant d'histoires menacées par l'amnésie (Les Cigares du pharaon , Le Lotus bleu , Les 7 Boules de cristal, Le Temple du Soleil, Tintin au Tibet, Vol 714 pour Sydney, Tintin et les Picaros), la trace devient une piste, un guide. Il faut suivre les pas du yèti pour trouver Tchang. La piste déjà là permet à l'explorateur de ne pas se tromper.

7. Voir aussi L'Ile noire, Le Temple du Soleil, Vol 714 pour Sydney.

94

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: LE RÉCIT MÉDUSÉ || TINTIN ENTRE PIERRE ET NEIGE

Le récit médusé

C'est là le pire. Tintin pouvait-il faire, sur son compte, une découverte moins tragique ? L'aventurier ne découvre rien. Il suit le chemin qui mène à lui, qui va où il est . Le temps cruel des ironies s'annonçait déjà en cela, peut-être, avec son air naïf ; son air de rien.

Sur Tintin au Tibet , on pourra lire notamment :

Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, éd. Casterman, coll. « Bibliothèque de Mou- linsart », Tournai, édition définitive, février 1989, pp. 69, 177-183. (lre éd. : Tintin et Moi. Entretiens avec Hergé , éd. Casterman, 1975 ) Benoît Peeters, Le Monde d'Hergé, éd. Casterman, coll. « Bibliothèque de Moulin- sart », Tournai, janvier 1991, pp. 108-113, 212. (lre éd. : 1983 )

Jean-Marie Apostolidès, Les Métamorphoses de Tintin, éd. Seghers, Paris, mai 1984, pp. 217-235 (chap. 13 : « La déesse blanche »). Pierre-Yves Bourdil, Hergé, éd. Labor, coll. « Un livre/une œuvre », n° 3 (Tintin au Tibet), Bruxelles, octobre 1990 (impr.), pp. 55-83 (chap. 3 : « Pour une lecture de Tintin au Tibet »). (lre éd. : 1985.) Frédéric Sournois, Dossier Tintin - Sources, Versions, Thèmes, Structures, éd. Jacques Antoine, Bruxelles, 2e trimestre 1987, pp. 263-269 (chap. 20). Pierre Sterckx, Thierry Smolderen, Hergé - Portrait biographique, éd. Casterman, coll. « Bibliothèque de Moulinsart », Tournai, mars 1988, pp. 297-307 (partie du chap.- 29 : « Trois canards et un yèti - 1957 »), 309-313 (chap. 30 : « L'objet noir - 1958 »), 315-338 (partie du chap. 31 : « Une année de rêves - 1958-1959 •). « Au Tibet avec Tintin », in (À suivre), n° 197, juin 1994, pp. 19-22. Michel Serres, Benoît Peeters, Pierre-Antoine Donnet, Pascale Dollfus, Pierre Sterckx, catalogue de l'exposition Au Tibet avec Tintin (9 juin-15 août 1994, Cour carrée des Musées Royaux et d'Histoire, Bruxelles ; 14 octobre 1994-15 février 1995, Grande Arche de la Défense, Paris ; 25 mars-15 mai 1995, Montreux), Fondation Hergé/Casterman éd., juin 1994.

95

This content downloaded from 188.72.96.127 on Tue, 10 Jun 2014 19:37:24 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions