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À la lecture de « Le regard des sens » de Juhani Pallasmaa, j’en suis venu à la conclusion qu’il existe un thème central commun à l’ensemble de l’architecture, et il se résume dans cette citation significative du livre : « Le sens ultime de tout bâtiment est au-delà de l’architecture ; il dirige notre conscience vers le monde et vers notre propre sens de soi et l’être ». L’acte de construire un bâtiment va donc beaucoup plus loin que simplement une personne plaçant des morceaux ensemble pour en faire un objet, cela impacts aussi sur la nature et les sentiments de l’architecte d’une façon qui modifie la manière dont ils perçoivent l’architecture dans son ensemble ou voire même la façon dont ils perçoivent leur propre vie. Pallasmaa exprime clairement que l’architecture a une relation proche de l’amélioration de sa propre vie et de la morale quand il mentionne que « l’architecture doit répondre à tous les sens simultanément et fusionner notre image de soi avec notre expérience du monde ». L’architecture est par essence une extension de la nature dans le royaume que ce fabrique l’homme, lui offrant un terrain de perception et un horizon pour comprendre et expérimenter le monde. Elle n’est pas un artéfact isolé qui se suffit à lui-même ; elle oriente notre perception et notre expérience existentielle vers de plus vastes horizons. L’architecture offre aussi une structure conceptuelle et matérielle aux institutions de la société, ainsi qu’aux circonstances de la vie quotidienne. Elle concrétise le cycle de l’année, le cours du soleil et le passage des heures du jour. Un autre facteur important de l’architecture qui est l’un des thèmes sous-jacents de ce livre est que les sens jouent un rôle important dans la façon dont nous percevons et interprétons l’architecture. « Les sens sont non seulement la médiation d’informations pour le jugement de l’intellect ; ils sont aussi un moyen d’enflammer l’imagination et d’articuler la pensée sensorielle ». Toute expérience de l’architecture qui nous touche est multi-sensorielle ; les qualités d’espace, de matière Salk Institute | Louis Kahn | 1965 | San Diego ‘Le regard des sens’ Juhani Pallasmaa février 2011 Simon Caudéran

‘Le regard des sens’ - Ville des possibles · À la lecture de « Le regard des sens » de Juhani Pallasmaa, j’en suis venu à la conclusion qu’il existe un thème central

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Page 1: ‘Le regard des sens’ - Ville des possibles · À la lecture de « Le regard des sens » de Juhani Pallasmaa, j’en suis venu à la conclusion qu’il existe un thème central

À la lecture de « Le regard des sens » de Juhani Pallasmaa, j’en suis venu à la conclusion qu’il existe un thème central commun à l’ensemble de l’architecture, et il se résume dans cette citation significative du livre : « Le sens ultime de tout bâtiment est au-delà de l’architecture ; il dirige notre conscience vers le monde et vers notre propre sens de soi et l’être ». L’acte de construire un bâtiment va donc beaucoup plus loin que simplement une personne plaçant des morceaux ensemble pour en faire un objet, cela impacts aussi sur la nature et les sentiments de l’architecte d’une façon qui modifie la manière dont ils perçoivent l’architecture dans son ensemble ou voire même la façon dont ils perçoivent leur propre vie.

Pallasmaa exprime clairement que l’architecture a une relation proche de l’amélioration de sa propre vie et de la morale quand il mentionne que « l’architecture doit répondre à tous les sens simultanément et fusionner notre image de soi avec notre expérience du monde ». L’architecture est par essence

une extension de la nature dans le royaume que ce fabrique l’homme, lui offrant un terrain de perception et un horizon pour comprendre et expérimenter le monde. Elle n’est pas un artéfact isolé qui se suffit à lui-même ; elle oriente notre perception et notre expérience existentielle vers de plus vastes horizons. L’architecture offre aussi une structure conceptuelle et matérielle aux institutions de la société, ainsi qu’aux circonstances de la vie quotidienne. Elle concrétise le cycle de l’année, le cours du soleil et le passage des heures du jour.

Un autre facteur important de l’architecture qui est l’un des thèmes sous-jacents de ce livre est que les sens jouent un rôle important dans la façon dont nous percevons et interprétons l’architecture. « Les sens sont non seulement la médiation d’informations pour le jugement de l’intellect ; ils sont aussi un moyen d’enflammer l’imagination et d’articuler la pensée sensorielle ». Toute expérience de l’architecture qui nous touche est multi-sensorielle ; les qualités d’espace, de matière

Salk Institute | Louis Kahn | 1965 | San Diego

‘Le regard des sens’Juhani Pallasmaa février 2011 Simon Caudéran

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et d’échelle se mesurent également par l’oeil, l’oreille, le nez, la peau, la langue, le squelette et les muscles. Au lieu de la vision seule ou des 5 sens classiques, l’architecture sollicite plusieurs domaines d’expérience sensorielle qui interagissent et se confondent.

Le son de l’architecture en dit long sur son histoire, la résonance d’une cathédrale nous évoque les chants grégoriens par exemple. Aujourd’hui, les bâtiments sont tellement bien insonorisés que les sons sont gommés et on ne peut plus vivre l’architecture en l’écoutant. Pourtant, le son en dit long sur son usage, une maison vide a un écho que tous les objets du quotidien d’une maison habitée va absorber et rediriger pour recréer une sonorité particulière. Mais on se souvient aussi souvent de l’architecture par son odeur. Pallasmaa prend l’exemple de la ferme de son grand père, il ne se rappelle plus exactement des formes en détail de son architecture mais se rappellera toujours de son odeur caractéristique. Les images rétiniennes de l’architecture contemporaine apparaissent certes stériles et sans vie comparées au pouvoir d’émotion et d’association de l’imagerie olfactive. La peau, quant à elle, lit la texture, le poids, la densité et la température d’un matériau. Notre peau dépiste les

écarts de température avec une précision sans erreur ; l’ombre fraiche et revigorante d’un arbre, ou la chaude caresse d’une tache de soleil deviennent des expériences d’espace et de lieu.

Cependant, l’hégémonie de l’oeil n’a jamais été plus évidente dans l’art architectural que ces trente dernières années, alors que dominait un type architectural visant l’image spectaculaire et facile à mémoriser. Au lieu d’être une expérience existentielle plastique et spatiale, l’architecture a adopté la stratégie psychologique de la publicité et de la persuasion instantanée ; les constructions sont devenues des produits-images détachés de toute profondeur et sincérité existentielles.

Pallasmaa fait le constat que la vision a eu un impact négatif sur la façon dont nous concevons et construisons les bâtiments d’aujourd’hui puisque « les bâtiments sont devenus des produits d’images individuelles détachées de toute forme de profondeur existentielle et de sincérité », et ont perdu le sens « tactile » que certains considéraient être « plus sûrs et moins sensibles à l’erreur que la vision ». On nous dit que « l’habitude actuelle de trop mettre l’accent sur les dimensions intellectuelles et conceptuelles de l’architecture contribue à la

disparition de son physique, de son essence sensuelle et incarnée », que l’architecture a perdu son sentiment spirituel et intime à cause de cette absence de « toucher ». Il est également supposé que dans l’architecture contemporaine, nous avons peut-être oublié que « la bonne architecture offre des formes et des surfaces sculptée pour la caresse de l’œil ».

Enfin, Pallasmaa termine son livre par une citation du célèbre architecte Frank Lloyd Wright : « Ce dont on a le plus besoin aujourd’hui dans l’architecture est la chose même la plus nécessaire dans la vie, l’intégrité ». Cette citation incarne tout ce qui Pallasmaa voulait véhiculer dans son écriture. L’architecture a un besoin désespéré d’avoir des principes fermes qui lui donnent son vrai sens, et ces principes sont de voir l’architecture dans un environnement multi-sens et avec un point de vue spirituel.

Kiasma | Steven Holl | 1998 | Helsinki