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L’apport des chercheurs du LAJP à la gestion patrimoniale http://www.acaj.org/leroy/texte1.htm 1 sur 12 03/03/2007 18:45 ACAJ Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Centre Malher F-75181 Paris Cedex 04 Fax : +33 1 44 78 33 33 e-mail : [email protected] Etienne LE ROY L’apport des chercheurs du LAJP à la gestion patrimoniale Texte paru dans : Bulletin de liaison du LAJP, n°23, juillet 1998, pp. 29-57. Un proverbe médiéval disait déjà : " qui terre a, guerre a ", c’est tout dire ! Ce proverbe se révèle très contemporain car une large part des conflits internes ou internationaux en Afrique ont directement (cas du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, du Nigeria et du Cameroun depuis 1996) ou indirectement (au Liberia, au Sierra Leone, dans la Casamance sénégalaise, au Rwanda, en Ouganda, en Erythrée... ) des dimensions territoriales et foncières importantes. Le chercheur est donc convoqué pour éteindre ou prévenir (plus rarement) des incendies qui peuvent conduire à l’implosion d’une nation (cas du Rwanda). C’est, par exemple, ce dont ont eu la prescience les autorités sud-africaines pour " surfer", comme on dit, sur la vague démocratique et conduire l’évolution post-apartheid dans une voie néolibérale. Les choix initiaux En fait, c’est d’abord la recherche sur la question foncière qui a fait émerger ce paradigme de l’entre deux, entre tradition et modernité, entre universalisme et particularismes, entre ici et ailleurs, maintenant et plus tard. Le diagnostic global, brut de décoffrage, qu’on peut faire en effet tient dans un divorce profond entre les normes officielles et les pratiques des acteurs, divorce d’abord fondé sur les conceptions développementalistes et maintenant sous-tendu par la globalisation/mondialisation de l’économie. Justifié par une perspective prométhéenne, soutenu par l’idée de progrès et par la conviction que la coopération disposait au Nord du modèle qu’il suffisait de transposer dans les pays du Sud, ce divorce est présenté éthiquement en des termes qui ne sont pas sans évoquer les justifications religieuses apportées au droit de conquête des nations indiennes par les sociétés chrétiennes. Inverser frontalement de tels macro-processus culturels inscrits dans le tréfonds des mentalités est resté jusque maintenant impossible parce qu’impensable pour une grande majorité des acteurs du Nord et ceux du Sud en position de décision sur le plan politique ou financier. L’indéniable supériorité des cultures matérielles de l’Occident réduit à néant toute possibilité de faire accepter l’expérience d’alternatives hors de l’étatisme, de l’individualisme et du capitalisme. De ce fait, et après avoir pendant une quinzaine d’années (de 1965 à 1979) exploré les voies d’une autochtonie foncière (qui sans doute faisait la part belle à la tradition foncière africaine) puis, dans un deuxième temps (de 1980 à 1990) avoir privilégié les résistances des sociétés africaines à la modernité, j’en suis arrivé à explorer le paradigme actuel fondé sur l’entre deux : dans l’un et dans l’autre. Comme souvent en pareil cas, le chercheur bute sur des difficultés qui sont d’autant plus insaisissables qu’elles ne sont pas clairement énoncées. La littérature foncière avait dès le début de la période coloniale présenté les conceptions coloniales et celles des Africains comme opposées terme à terme. Ceci avait conduit lors de la préparation des journées d’études sur les problèmes fonciers en Afrique de septembre 1980 à thématiser la notion de " référent précolonial " que Menu >>

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    ACAJLaboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris

    Universit Paris 1 Panthon-SorbonneCentre Malher

    F-75181 Paris Cedex 04

    Fax :+33 1 44 78 33 33

    e-mail :[email protected]

    Etienne LE ROY

    Lapport des chercheurs du LAJP la gestion patrimoniale

    Texte paru dans : Bulletin de liaison du LAJP, n23, juillet 1998, pp. 29-57.

    Un proverbe mdival disait dj : " qui terre a, guerre a ", cest tout dire ! Ce proverbe se rvletrs contemporain car une large part des conflits internes ou internationaux en Afrique ontdirectement (cas du conflit entre le Sngal et la Mauritanie en 1989, du Nigeria et du Cameroundepuis 1996) ou indirectement (au Liberia, au Sierra Leone, dans la Casamance sngalaise, auRwanda, en Ouganda, en Erythre... ) des dimensions territoriales et foncires importantes. Lechercheur est donc convoqu pour teindre ou prvenir (plus rarement) des incendies qui peuventconduire limplosion dune nation (cas du Rwanda). Cest, par exemple, ce dont ont eu laprescience les autorits sud-africaines pour " surfer", comme on dit, sur la vague dmocratique etconduire lvolution post-apartheid dans une voie nolibrale.

    Les choix initiaux

    En fait, cest dabord la recherche sur la question foncire qui a fait merger ce paradigme delentre deux, entre tradition et modernit, entre universalisme et particularismes, entre ici etailleurs, maintenant et plus tard. Le diagnostic global, brut de dcoffrage, quon peut faire en effettient dans un divorce profond entre les normes officielles et les pratiques des acteurs, divorcedabord fond sur les conceptions dveloppementalistes et maintenant sous-tendu par laglobalisation/mondialisation de lconomie. Justifi par une perspective promthenne, soutenupar lide de progrs et par la conviction que la coopration disposait au Nord du modle quilsuffisait de transposer dans les pays du Sud, ce divorce est prsent thiquement en des termes quine sont pas sans voquer les justifications religieuses apportes au droit de conqute des nationsindiennes par les socits chrtiennes.

    Inverser frontalement de tels macro-processus culturels inscrits dans le trfonds des mentalits estrest jusque maintenant impossible parce quimpensable pour une grande majorit des acteurs duNord et ceux du Sud en position de dcision sur le plan politique ou financier. Lindniablesupriorit des cultures matrielles de lOccident rduit nant toute possibilit de faire accepterlexprience dalternatives hors de ltatisme, de lindividualisme et du capitalisme.

    De ce fait, et aprs avoir pendant une quinzaine dannes (de 1965 1979) explor les voies duneautochtonie foncire (qui sans doute faisait la part belle la tradition foncire africaine) puis, dansun deuxime temps (de 1980 1990) avoir privilgi les rsistances des socits africaines lamodernit, jen suis arriv explorer le paradigme actuel fond sur lentre deux : dans lun et danslautre.

    Comme souvent en pareil cas, le chercheur bute sur des difficults qui sont dautant plusinsaisissables quelles ne sont pas clairement nonces. La littrature foncire avait ds le dbut dela priode coloniale prsent les conceptions coloniales et celles des Africains comme opposesterme terme. Ceci avait conduit lors de la prparation des journes dtudes sur les problmesfonciers en Afrique de septembre 1980 thmatiser la notion de " rfrent prcolonial " que

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    proposaient J.-P. Chauveau et J.-P. Dozon sur la base de leurs travaux en Cte dIvoire. Puis, enprparant la publication de ces travaux sous le titre Enjeux fonciers en Afrique noire, nous noussommes rendus compte que ce rfrent prcolonial ntait en fait quune application du principe delenglobement du contraire caractristique de lidologie moderne selon L. Dumont !

    Le biais idologique justifiait ainsi, au nom de la modernit, une prsentation antagonique deslogiques dacteurs en oprant par ailleurs une norme falsification des donnes. La littrature, surdes bases incertaines, supposait que toutes les socits connaissent une proprit foncire,publique ou prive, collective ou individuelle, et autorisent cessions et alinations alors que destravaux plus rcents confortent thoriquement nos observations de terrain en associant linventionde la proprit de la terre puis sa gnralisation lmergence du capitalisme.

    Rduire ce biais idologique nest cependant pas rtablir une vrit dont les Africains nont quefaire si les rponses quon leur propose ne tiennent pas compte de linscription indissociable deleurs pratiques dans la tradition et dans la modernit ou, selon une autre terminologie, danslconomie affective (au sens de Goran Hyden) et dans lconomie capitaliste.

    Pour tre opratoires, les rponses doivent contenir des solutions intgrant lun et lautre des deuxdispositifs. Il fallait trouver des solutions mtisses et deux options soffraient nous.

    Le choix tait crucial.

    La premire option auquel un anthropologue sattache parfois indment est la prservation delautochtonie passant par la voie dune adaptation des logiques endognes aux enjeux de lamodernit qui lui sont soumis, au risque que, par un effet inverse et inattendu, la modernitabsorbe et assimile totalement les options proposes. Outre ce risque qui peut tre matris aumoins partiellement, lobstacle fondamental est quaucun des acteurs en position de gouvernancefoncire ne veut, ou ne peut, sortir dune matrice conceptuelle de type occidental. Mmelexprience, pourtant fort prudente, des Sngalais avec la loi sur le domaine national est remiseen question par les programmes dajustement structurel parce que ne correspondant pas ladlivrance de titres fonciers et la reconnaissance de droits de proprit prive. Aprs mtre battudurant vingt cinq ans pour faire comprendre les vertus dune approche endogne, jacceptais, enfonction du pragmatisme dont jai fait ma rgle de mthode, de considrer la seconde option.

    Cette seconde option suppose donc un mtissage partir du droit foncier occidental qui sert desupport une prise en compte, dose tolrable, de donnes africaines endognes. Le fait detravailler majoritairement dans des pays dAfrique francophone me conduisait utiliser le supportdu code Napolon de 1804 tenu pour le droit positif de certains de ces pays ou pour la rfrence deleurs lgislations en tant que " raison crite ". Il est maintenant clair, sur la base de la thsedlisabeth Gianola-Gragg que si javais eu travailler dans des pays de common law lesraisonnements et les dmarches auraient t substantiellement diffrents, ainsi que les rsultats. Onne sait pas encore avec prcision dans quelle mesure la dmarche de gestion patrimoniale qui estici prconise est compatible ou non avec les catgories de la common law.

    Ceci pos et qui nallait pas sans dbats, la recherche a pu avancer en prenant au srieux deuxides exprimentes loccasion de mes enseignements. La premire ide est que les catgories ducode civil permettant didentifier quatre rgimes de proprit que nous dtaillerons par la suiterelvent dune vritable modle structural au sens donn par Claude Lvi-Strauss. La seconde ideest que ce modle peut en cacher un autre ou plus exactement que le travail des rdacteurs du Codecivil a consist simplifier considrablement les donnes du droit commun coutumier franais. Cequi a t simplifi peut donc inversement tre rintroduit sur la base, dans le contexte africain, nonde la reprise des catgories du droit commun coutumier franais mais danalogies entre catgories,lenrichissement du modle devant se faire de telle faon que les catgories nouvelles restentlogiquement compatibles tant avec celles du droit traditionnel africain quavec celles du CodeCivil.

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    Brve lecture commente du Code civil

    Dans son livre II, " Des biens et des diffrentes modifications de la proprit ", articles 516 et s., leCode civil pose un principe et introduit quelques exceptions.

    Le principe est celui de la gnralisation de la proprit prive selon le modle dun droit exclusifet absolu que consacre larticle 544 CC (" la proprit est le droit de jouir et de disposer des chosesde la manire la plus absolue condition de respecter les lois et rglements en vigueur ") aprslarticle 17 de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 qui la dclaraitinviolable et sacre. En outre, larticle 537 fait des " particuliers " les bnficiaires de ce rgime dedroit priv. Dans ce dispositif, deux termes sont essentiels, le " bien" diffrenci par la doctrine dela chose comme " une chose ayant une valeur pcuniaire et susceptible dappropriation " et privoppos public dans la dfinition du domaine public, principale exception au rgime gnral dansla rdaction initiale du code et qui est dfini dans larticle 538 comme ce qui " porte sur des chosesqui ne sont pas susceptibles de proprit prive "

    Public/priv, chose/bien sont les paramtres du modle civiliste qui permet, outre le rgime de laproprit prive (art. 537 et 544) et celui du domaine public (art. 538) de distinguer le rgime descommunaux (art. 542 o la libert dalination est rduite) puis par voie doctrinale etjurisprudentielle au XIX sicle, la terminologie du code civil tant ici peu claire, le domaine privde ltat et de ses collectivits territoriales qui favorise la gestion des ressources mises ladisposition des services publics selon des rapports de droit priv (les choses sont ainsi requalifiesen biens)

    Tableau N 1Modle structural des rgimes civilistes de proprit

    Lenrichissement du modle partir des catgories du droit traditionnel africain

    Ce modle ainsi construit demandait tre enrichi. Deux nouveaux choix ont t faits. Le premiera consist proposer dintroduire des catgories nouvelles entre celles identifies par le Codecivil. Lenrichissement se veut donc interne au code dont il considre les catgories commeconstitutives des limites du modle. Cest au coeur de la matrice que des apports vont tre faits. Lesecond choix relve de la seule pragmatique. Il consiste slectionner les catgoriesintermdiaires sur une base acceptable, selon les critres que jai nonc de double compatibilit lgard du droit traditionnel africain et du code civil.

    Le rsultat parat relever du coup de baguette du magicien. Mais en fait je me suis aperu que jedisposais dj des catgories qui, globalement, avaient t identifies dans ma thse de doctoratdtat de 1970 pour ressortir vingt ans aprs !

    - La premire distinction entre public et priv est enrichie sur la base des nombreux travaux duLAJP soulignant que dans des socits communautaires, et la diffrence des socitsindividualistes du Code civil qui connaissent lopposition public/priv, les distinctions des usagessocialement reconnus privilgient des relations sociales qui sont internes, internes-externes (oudalliance) et enfin externes aux communauts de rfrence. Pour assurer la cohrence logique delensemble de ces catgories, on les redfinit selon le critre de " ce qui est commun " ou " ce quiest partag par " :

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    - est public ce qui est commun tous, indiffremment,- est externe ce qui est commun n groupes, n dsignant un nombre dtermin mais variable,- est interne-externe ce qui est commun deux groupes,- est interne ce qui est commun un groupe,- est priv ce qui est commun ou propre une personne juridique physique ou morale.

    Dans chaque cas, cest la socit qui dfinit ce qui est ou nest pas groupe ou personne et le sensdonn chacune de ces deux fictions.

    - Le second axe de la chose et du bien posait plus de problmes tant ces domaines de rechercheavaient t ngligs par la recherche internationale. Partant des distinctions de lanalysematricielle de ma thse de doctorat, je distinguais chez les Wolof trois positions des ressources, lesavoirs (am), la possession (mom) et la proprit fonctionnelle, exclusive mais non absolue (lew).Une tude comparative du droit successoral pour la socit Jean Bodin pour lhistoire desinstitutions mayant donn loccasion de gnraliser ces distinctions, il restait assurer lacompatibilit de ces distinctions avec celles du code civil. La solution est venue de la lecture pourle conseil de rdaction de la revue Natures, Sciences, Socits dun article propos par A.Sandberg reprenant les analyses dElinor Ostrom et dEstella Schlagger .

    Celles-ci proposaient deux lignes danalyse pertinentes pour mon propos.

    Tout dabord, tout en distinguant deux niveaux dorganisation et de reconnaissance des droitsfonciers, un niveau oprationnel (N.O.) (" l o les choses arrivent ") et un niveau collectifdappropriation (N.C.) (" l o les choses sont dcides") ces auteurs introduisent une nouvelletypologie de droits fonde sur une progressivit, du plus simple au plus complexe :

    - le droit dentrer ou daccs,(N.O.)- le droit de soustraire ou dextraire, (N.O.)- le droit de grer et de rguler lusage des ressources, (N.C.)- le droit dexclure et de dcider qui a le droit daccs et comment le transmettre, (N.C.)- le droit daliner au sens de se dfaire dun droit de manire discrtionnaire et absolue (N.C.).

    Le second apport de ces auteurs est de montrer que ces droits se combinent par additionssuccessives pour dfinir diffrentes catgories juridiques. Dans le modle de Schlager et Ostrom etconformment une lecture de common law qui privilgie les rapports hommes/hommes, ce sontdes catgories de personnes qui sont ainsi identifies (unauthorized user, authorized user, claimant,proprietor, owner). Faisant lconomie de sa prsentation quon trouvera par ailleurs, je vais enfaire une adaptation selon les distinctions des statuts de ressources (rapports hommes/choses)dimension privilgie dans une lecture de type civiliste comme le montre justement la thse dE.Gianola-Gragg.

    Tableau N 2Corrlations entre nature des droits et rgimes dappropriation

    La progression entre les droits permet ainsi de justifier le rapport entre les diffrents rgimes et laplace ultime reconnue la proprit prive, le rgime le plus complet mais aussi le rgimedappropriation le plus exceptionnel que seuls les Occidentaux tiennent pour un mode gnraldappropriation.

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    La combinaison des enseignements des tableaux 1 et 2 permet de construire une matrice gnraledes matrises foncires intgrant les droits et obligations sur la terre, les matrises tant dfiniescomme " lexercice dun pouvoir et dune puissance donnant une responsabilit particulire celuiqui, par un acte daffectation de lespace, a rserv, plus ou moins exclusivement ou absolumentcet espace ". Ce sont ces matrises qui sont la base de la gestion patrimoniale.

    Tableau N 3Matrice simplifie des matrises foncires

    (on consultera loriginal dans La scurisation foncire en Afrique op. cit. p. 73 ainsi que ladescription de chacune des 25 catgories dsignes par les initiales A1 E5)

    La gestion patrimoniale et le jeu des lois

    La gestion patrimoniale a t plus particulirement illustre par Henri Ollagnon travers sestravaux pour le Ministre de lagriculture et sur la base de la gestion de nappes aquifres enAlsace. Il dfinit la gestion patrimoniale comme une " approche " et non une dmarche codifie.Cette approche " suppose de considrer la qualit (et par extension la nature) comme un objet dengociation sociale qui se centre sur la ncessaire ractualisation continue des rgles et objectifsde la gestion, dans le but de maintenir la vitalit du lien social et le renouvellement de la f

    orce de lengagement ". A la dmarche patrimoniale, la thorie des matrises foncires apporte uneconception dynamique et complexe des rgles juridiques en vitant quelles soient enfermes dansle droit de proprit prive et que la thmatique de la gestion soit rduite cette peau de chagrinquon dnomme la tragdie des communs (tragedy of the commons) de Hardin et qui nest quunesuite de lieux " communs " qui ont t ports au statut de type idal par les idologues libraux dela proprit prive. Rciproquement, la gestion patrimoniale apporte la recherche foncire sacapacit lire et rsoudre de manire dynamique des situations conflictuelles, ce qui a t illustrdans notre ouvrage sur La scurisation foncire en Afrique. De manire plus large encore, onremarquera combien les objectifs que sassigne cette approche correspondent lesprit du prsentouvrage, en vue de " maintenir la vitalit du lien social et le renouvellement de la force delengagement " comme le disait Henri Ollagnon.

    Ainsi, par rapport aux paramtres du jeu des lois, lapproche de gestion patrimoniale privilgie lescases 7 (forums), 8 (ordonnancements sociaux), 9 (enjeux) et 10 (rgles du jeu), les autresparamtres tant dpendants de lun ou lautre de ces facteurs privilgis.

    - Le forum de gestion patrimoniale est le cadre le plus immdiatement identifiable de cetteapproche. Sans forum stable, autonome, ayant une visibilit institutionnelle, une reconnaissancejuridique et une efficacit pratique, la runion dacteurs pour entrer en ngociation na aucunechance de se prenniser et daboutir un dveloppement reproductible et durable selon les critresde la confrence de Rio de Janeiro de 1992. Cest le forum qui dtermine la qualit et le statut des

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    acteurs ainsi que le type de ressources qui sera susceptible dtre pris en compte et gr selonlapproche patrimoniale. Privilgiant une logique fonctionnelle, un forum doit tre plus ou moinstroitement spcialis un type de ressources. Dans les expriences actuelles ralises Madagascar on prend en considration des ressources trs prcisment dtermines (une fortclasse, une rserve de biosphre...) et souvent considres comme appartenant au patrimoinemondial. Par contre, aux Comores la dmarche est plus globale au niveau des ressources mais pluslimite dun point de vue territorial (un bassin versant par exemple). De manire gnrale,lapproche patrimoniale privilgie lchelle locale avec des variations importantes selon la naturede la ressource.

    - Les ordonnancements sociaux sont ensuite le facteur le plus dterminant de lapprochepatrimoniale en privilgiant le mode ngoci dans des contextes antrieurement rguls selon lemode impos, technocratique ou bureaucratique au sommet, tatillon, interventionniste etcaporaliste la base quand il sagissait des interventions des Eaux et Forts avant leur rformeinterne dans nombre de pays africains. Le choix de la ngociation reprsente une vritablervolution culturelle au sein de ladministration. Il aura fallu batailler ferme Madagascar pourlobtenir. Au Mali, lide est accepte " du bout des lvres ". Ailleurs, le principe adopt peut trecontredit dans la pratique.

    Pour ngocier il faut que les intervenants soient globalement galit. Il faut donc aider les plusfaibles runir leurs informations, approfondir leurs analyses et pondrer leurs choix : organiserleurs conduites sur les plans stratgique et tactique. Pour ce faire, on recommande de former desformateurs quon appelle mdiateurs environnementaux Madagascar, mdiateurs patrimoniauxaux Comores et qui sont choisis en raison de leurs expriences, comptences et proximitpsychologique avec les populations assister. Il va falloir en effet se plier, pour tous lesprotagonistes de la ngociation, une dmarche intellectuelle dlicate fonde sur une mthodergressive et associant divers processus. Dans un premier temps, les acteurs sont invits dterminer en commun lobjectif quils assignent leur gestion en se projetant sur vingt trenteans (une gnration, celle de leurs enfants). Ils dterminent donc un rsultat atteindre comptetenu des informations en leur possession (pression et projection dmographiques, volution dumarch, environnement national et international...). Puis, par rgressions successives, mergenttoutes les contraintes dont il faut tenir compte et les rponses que chaque acteur devra apporterpour que lobjectif final soit atteint. On passe ainsi de lhorizon trente ans lhorizon un an, voireun mois ou un jour en cas durgence, cette combinaison de mso et de micro-processus faisantprendre conscience de lindispensable solidarit par interaction spatio-temporelle des dcisionscollectives.

    - Enjeux et rgles du jeu sont, nouveau, troitement associs. Les solutions adoptes doivent eneffet prendre une forme juridique et leur adoption doit tre assez solennelle pour que le mode degestion soit stabilis sur une longue priode. Actuellement, la dmarche adopte Madagascarprconise la forme contractuelle accompagne de rituels sociaux et religieux (kabary et sacrificede boeufs). Le choix du contrat fait cependant lobjet dun rexamen car, comme le souligneFranois Ost, le caractre instantan du contrat ne permet que difficilement de faire une juste partaux intrts non reprsents dans la ngociation, en particulier les gnrations futures. Il nousfaudra sans doute faire un appel dides pour tenter de rsoudre ce type de difficults. Ce problmedu choix de la bonne forme juridique est en effet essentiel pour concrtiser lenjeu de langociation qui est dassurer une fonction substantiellement juridique au sens de Pierre Legendre :assurer la reproduction biologique, cologique et idologique du collectif de tous les utilisateurs dela ressource concerne.

    - Reste enfin un dernier problme, celui de la qualification de ce mode de gestion. Derrireladjectif patrimonial que veut dire patrimoine ? En quoi ce mode de gestion se distingue-t-il duneapproche domaniale ou privative-capitaliste ? Cest l o linventivit des jeunes chercheurs a puse dvelopper .

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    Variations sur le thme du patrimoine

    Patrimoine et gestion patrimoniale sont pour moi, parmi les termes disponibles dans le vocabulairejuridique et dveloppementaliste, les moins mauvais. Je ne dfendrai donc pas les termeseux-mmes si dautres dnominations apparaissent plus euristiques. Leur inconvnient est deprter confusion dans trois domaines, celui de la sociologie o Max Weber en fait un idal typedes modes de gestion de la socit, celui de la science politique africaine qui fait une large placeavec Jean-Franois Mdart au nopatrimonialisme des lites, juridique enfin, sur le plan juridique,nous sommes en face de trois conceptions distinctes, aux statuts variables et dont les relationsnavaient gure taient approfondies.

    Trois conceptions du patrimoine

    La conception premire du patrimoine est prmoderne, surtout mdivale pour ce que nous enferons dans les contextes africains. Elle privilgie la transmission des statuts (dhritier, degestionnaire, de trustee...) et la permanence de laffectation de ressources ou de richesses au profitdune ligne, dune gnration lautre et selon le principe du droit romain " paterna paternis,materna maternis ", aux parents par le pre les biens agnatiques, aux parents par la mre les biensutrins. Cest l o lon trouve lorigine de la notion de propres et de biens propres, ressourcesaffectes une ligne. Dans leur histoire du droit priv, et avec un prjug peu favorable, PaulOurliac et Jehan de Malafosse notent :

    " Pour le droit coutumier, (...), lindividu ne compte gure et la volont du testateur est toujourssuspecte. Pour une socit prise dordre et de stabilit, la famille seule est permanente. Lasolidarit qui existe entre parents leur impose de dfendre en commun leur vie et leur honneurmais aussi leurs biens. Dans cette vue des choses, lindividu na plus sur son patrimoine quunpouvoir transitoire; les droits de la famille existent avant les siens et sa mort, plus quunesuccession, ouvre un retour du bien leur origine.

    Ainsi stablit une correspondance presque mystique entre la terre et la famille : toutes deuxjouissent de la mme perptuit et chaque famille est comme enracine sur la terre dont souventelle porte le nom "

    Ce mode dapproche a donn lieu deux types de pratiques juridiques, des coutumescommunautaires assurant le maintient du patrimoine au sein de la communaut familiale sanspartage ou des coutumes lignagres ou parentlaires, la vocation hrditaire tant lie la parent.Ce qui parat ici essentiel, outre la permanence de laffectation , est de noter ce caractre quasimystique qui lie le groupe et le patrimoine dans le droit coutumier franais. Dans le droitcoutumier africain ou malgache, on naura qu retirer le prfixe quasi pour comprendre limpactde la sacralit de la terre sur les pratiques foncires et la " quasi-impossibilit " de sortir duneconception patrimoniale (au sens du droit coutumier) pour grer les rapports fonciers tant que lamarchandisation de la terre nest pas gnralise et donc que le capitalisme na pas substitu sesmodes de penser aux conceptions antrieures.

    La deuxime conception, moderne et civiliste, a en fait t formule au dbut du XIX sicle parles jurisconsultes Aubry et Rau partir dun hritage romain. Elle associe le patrimoine lapersonne juridique, non au statut au sein du groupe, donc au groupe. Seules les personnesjuridiques ont un patrimoine. Donc seuls les collectifs reconnus comme dtenteurs de lapersonnalit juridique ont un patrimoine, ce qui aboutit slectionner les collectifs qui sontsusceptibles dentrer dans la vie juridique, politique et conomique. Le patrimoine nat avec lapersonne et disparat avec elle. Le patrimoine est donc aussi intransmissible que la personnalit, ladisparition de lun, pour cause de dcs pour les personnes physiques, de dissolution pour lespersonnes morales, entranant le partage du patrimoine au profit de tous les ayant droit.

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    Trois autres traits psent particulirement sur la mise en oeuvre de cette conception moderne.Dune part lunicit du patrimoine comme consquence de la reprsentation unitaire de lapersonne dans la pense moderne. Si la doctrine a tent au dbut du XX sicle de corriger ceprincipe par la notion de " patrimoine daffectation", ce serait au mieux une exception au principede lunit de patrimoine. Une deuxime contrainte concerne le caractre essentiellementmontariste, voire mercantile qui caractrise la dfinition doctrinale actuelle du patrimoine. PourFranois Terr, le patrimoine est "lensemble des rapports de droit apprciables en argent, qui ontpour sujet actif ou passif une mme personne juridique et qui sont envisags comme formant uneuniversalit juridique " . Ce critre de lapprciation en argent de la valeur dun patrimoinecontinue de heurter la sensibilit de ceux qui considrent que des biens de famille, comme ladouleur de la sparation, sont sans prix. Une troisime contrainte tient la notion duniversalitjuridique qui exprime lide que le patrimoine nest li rien dautre qu la personne juridiquedont il est le double en terme dactif et de passif. En particulier aucune obligation, aucun intrt ouaucune contrainte de gestion ne psent irrvocablement sur le dtenteur du patrimoine du chef deses auteurs ( c.a.d. du fait de ceux qui lont fait hriter et qui ont pu exprimer des obligationsparticulires pour lusage de certains biens). Le pouvoir dapprciation du juge en matire declauses testamentaires a pu, au XIX sicle, pousser la libert de " jouir et de disposer des choses "effectivement dans ses retranchements les plus absolus. Or, que ce soit pour lexercice du droit deproprit ou pour la libert patrimoniale, lvolution de ce sicle est bien celui dun encadrementprogressif de cette libert quapprcient positivement ou ngativement la doctrine selon sesorientations idologiques.

    On notera que pour remdier aux carences du droit positif, la diffrence de la common law, ladoctrine propose dintroduire un quivalent du droit anglais du trust avec la notion de fiducie.Ainsi pourrait tre retrouv le fil de la transmission intergnrationnelle dont on redcouvre lesexigences avec le droit de lenvironnement.

    La troisime conception du patrimoine est, disons, " transmoderne ". Elle nassocie le patrimoineni un collectif particulier ni une personne mais des entits mystico-abstraites, lHumanit, laNation, le Genre humain, le Monde, la Nature. On retrouve ici ce lien mystique de la penseprmoderne et un dbordement de la pense moderne rduisant le patrimoine aux seules personnesjuridiquement reconnues. Lavantage est dautoriser un contournement de ceux des acteurs du jeuofficiel qui bloqueraient une gestion reproductible et durable, spcialement certains tats.Linconvnient est de rduire la capacit dester en justice aux seuls acteurs reconnus par les droitstatiques tant que des juridictions internationales ne sont pas comptentes dans ce domaine. Dansquelle mesure y a-t-il un sens prtendre, pour une association de dfense de lenvironnement,reprsenter les droits et obligations de lhumanit ? Il ny a pas, me semble-t-il, dautre rponseque sur le plan politique. Je pense donc que dans ce domaine et pour satisfaire aux exigences deltat de droit, la recherche juridique devra mieux apprcier les niveaux de comptence requis etles critres dopposabilit soit des obligations contractuelles quand elles existent soit du droitstatutaire et des conventions internationales. Dans La scurisation foncire en Afrique, jecommente ainsi (1996, 55/56) les travaux de Franziska Tschofen distinguant deux registres : lesressources qui sont associes aux espaces internationaux et qui relvent dun " Common Hritageof Mankind (CHM) " et les ressources qui relvent de la juridiction des tats mais qui, impliquantdes valeurs globales (global values), doivent tre gres selon les principes du trust ou de lafiducie, tout en sauvegardant la souverainet tatique : " the sovereign rights of states are therebynot violated but reinterpreted in recognition of the necessity of common efforts to cope withcommon problems/issues ".

    Un des effets les plus visibles de ce type de recherches est de remettre au premier plan les notionsde commun, communaux, communautaire et communaut que la pense moderne avaitdvalorises et sur lesquelles je reviendrai dans le dernier point.

    Mais, plus gnralement, les analyses de la notion de patrimoine dans sa triple fonctionnalit

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    prmoderne, moderne et postmoderne apportent effectivement le cadre conceptuel dont nousavions besoin pour penser la gestion foncire dans lentre deux de la tradition et de la modernit,donc dans la contemporanit. Cest parce que, en Afrique et Madagascar mais aussi en France,certains acteurs se situent dans des logiques traditionnelles et communautaires et dautres dans deslogiques capitalistes quil convient de confronter leurs points de vue et leurs besoins considrschacun comme initialement lgitimes mais ngocier ncessairement. Si lon revient au tableauN 3 et aux solutions que propose la thorie des matrises foncires, on remarque que la grandediversit des options proposes peut aboutir des montages de dispositifs de scurisation foncirefort diffrents mais aussi fort proches des besoins des acteurs . Dans la scurisation foncire enAfrique, on a conduit le test sur deux types de domaines, les pratiques forestires et les pratiquespastorales. La mise en parallle des matrises foncires utilises donnent les rsultats suivants

    PASTORALISME : A1, B1, A2, B2, B3, A3, B3, C3, D4, E3, E4.

    FORESTERIE : A1, B2, A3, C3, D3, A4, D4, E4

    13 sur 25 matrises sont exploites et 6 seulement 2 fois. Aucune ne fait appel la proprit priveou des matrises absolues. 5 solutions sur 17 font appel un droit de proprit fonctionnel avecmatrise exclusive qui pourrait devenir absolue si la marchandisation de la terre ou des ressourcestait acceptable.

    Par ailleurs, il ny a scurisation des pratiques que si les acteurs peuvent tre assurs pouvoirdisposer de plusieurs matrises dans des situations qui sont soit successives soit alternatives. Parexemple, un pasteur doit successivement aller des terres de cures sales aux pturages, aux puits etaux marchs. Il doit aussi pouvoir se rendre sur un pturage neuf si celui quil exploite est sec oupuis. Un seul droit mme absolu conduit la destruction du troupeau si la scheresse est absolueet quil nexiste pas dautre alternative pour conduite le troupeau, hors la possibilit, trs limite enAfrique, dachat de fourrage.

    Les notions de patrimonial et de patrimoine sont donc bien des catgories diatopiques et dialogalesopportunes pour fonder une scurisation foncire pertinente.

    Quen disent les jeunes chercheurs ?

    Explorer les voies dune gestion environnementale du patrimoine

    Roland Razafindraibe, sociologue malgache traitant de la scurit foncire des couverts forestierscomplants par les paysans des hautes terres malgaches confirme dans sa thse de sociologie dudveloppement la pertinence des conclusions prcdentes dans le cas de Madagascar. Lapossibilit dun recoupement des intrts et des logiques des diffrents acteurs lui parat autoriserun dialogue neuf entre les paysans propritaires (au sens de matrises exclusives) des fortscomplantes (principalement en eucalyptus robusta), les services des domaines et des Eaux etForts au plan national et, lchelle internationale, les bailleurs de fonds conduits par la Banquemondiale laquelle a li lavenir de la rforme foncire au plan environnemental. En outre,souligne-t-il, lexprience des mdiateurs environnementaux est suffisamment significative pourque la dynamique de gestion patrimoniale puisse aboutir une gestion rellement reproductible etdurable.

    lisabeth Gianola-Gragg, avocate amricaine, a le mrite, entre autres, de disposer duneformation pluridisciplinaire qui lui a permis de comparer avec la mme profondeur les apports dela common law et de la thorie civiliste dans le domaine des droits de proprit puis de disposerdune formation ethno-anthropologique qui lui a permis de confronter les discours et les pratiquesjuridiques sur le terrain. Elle a ainsi abouti la conclusion que si la conception de la common lawfonde sur le bundle of rights , faisceau de droits toujours susceptibles dtre affins, spcifis etcontractuellement grs, peut assurer le dveloppement conomique, lapport de la gestion

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    patrimoniale se situe sur un autre plan. Grce la thorie des matrises foncires qui prend encompte les diverses situations et autorise des adaptations de rgimes juridiques sans entrerncessairement et irrmdiablement dans le rgime de la proprit prive, la gestion patrimonialerpondrait lexigence dun " dveloppement humain " entendu comme un dveloppement visage humain prenant en considration les contraintes immatrielles et non seulement matrielleset marchandes dans la reproduction de la vie en socit.

    La reconnaissance de la relation ainsi tablie entre thorie des matrises foncires, gestionpatrimoniale et dveloppement visage humain me parat particulirement valorisante et sembletre, pour le concepteur, la rcompense des travaux parfois bien dlicats conduire. Il nen restepas moins quon peut se demander si lopposition entre dveloppement conomique etdveloppement visage humain apparat encore comme pertinente, la Banque mondiale ayant faitces dernires annes un virage remarqu, en particulier propos de lAfrique, pour tenter decoordonner ses exigences macro-conomiques et les attentes de justice sociale dans la gestion de latransition micro-conomique.

    Par ailleurs, je doute que lapproche fonde sur la gestion patrimoniale et la thorie des matrisesfoncires privilgie un dveloppement humain au dtriment dun dveloppement conomique. A lediffrence dapproches collectivistes classiques du type des rformes socialistes abolissant laproprit prive des moyens de production, la thorie des matrises foncires fait une placeinconteste la proprit prive/absolue ou exclusive et interne, soit dans les catgories de notretableau N 3 les donnes E5, E4, D5, D4, C5, soit 20 % des solutions offertes. En fait, tout dpendde ce quon entend par dveloppement conomique. Pour un jeune chercheur amricain, il ny apas dautre dfinition du dveloppement conomique que capitaliste. Comme le remarquaitlauteur lors de la prparation de la soutenance, aux tats-Unis hors du capitalisme point de salut.Il faudra donc interprter les potentialits de la gestion patrimoniale avec une vision renouvele dudveloppement conomique et du capitalisme, ce qui, reconnaissons le, nest pas actuellementvraiment lordre du jour. Les options de politique foncire restent donc confrontes lalternative entre la diffusion de la proprit assurant le dveloppement conomique et non lajustice sociale et le recours la gestion patrimoniale qui autorise mieux ngocier les transitionssans assurer immdiatement un dcolage de lconomie, si tant est quon puisse continuer utilisercette terminologie des annes cinquante.

    Olivier Barrire pour le droit de lenvironnement, Catherine Barrire pour lobservationanthropologique et la place de la sacralit ont conduit au Mali, grce lassistance de nombreusesinstitutions, une des premires grandes enqutes de longue dure sur les pratiques foncires etleurs implications environnementales dans le delta intrieur du fleuve Niger. Parmi leursnombreuses et abondantes publications, je retiens le chapitre publi dans La scurisation foncireen Afrique. Ce texte nest ni le plus rcent ni le plus complet mais cest celui qui est le plusdirectement en relation avec la gestion patrimoniale et les matrises foncires.

    Parmi les apports de cette recherche je relve :

    - le traitement spcifique de chacun des rgimes juridiques propres aux types de ressourcesobligeant distinguer entre rgimes pastoral, agricole, sylvicole, forestier, halieutique etcyngtique. La situation exceptionnelle du delta confirme le besoin dune lecture spcialise quenous faisions des rgimes dappropriation dans Lappropriation de la terre en Afrique noire (Paris,1991).

    - lutilit distinguer entre les normes et les pratiques effectives, les droits de premire main et lesdroits dlgus. Sous cet angle, cette recherche anticipe les orientations actuelles de laprogrammation internationale des travaux sur les droits de proprit et les modes de faire valoir.

    - Enfin, en adoptant une lecture environnementale et en adaptant de ce fait la terminologie desmatrises (la matrise indiffrencie du tableau N 3 devenant minimale ici), les auteurs distinguent

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    entre les statuts des espaces et les statuts des ressources puis tablissent une corrlation entre cesstatuts et ceux des matrises. Soit le tableau suivant :

    Tableau N 4Les droits corrls aux espaces et aux ressources naturelles renouvelables

    (adapt du tableau N 11 de La scurisation foncire en Afrique, p. 163)

    Interprtant cette nouvelle prsentation, je pense quil conviendrait en effet de bien distinguer dansnos analyses entre les matrises foncires qui portent sur la terre ou lespace et les matrisesfruitires qui portent sur les ressources et peuvent tre ventuellement dissocies des espaces, enremettant en cause, comme certaines

    lgislations lont dj fait, le principe de larticle 552 CC tablissant que la proprit du solemporte celle des ressources du dessus et du dessous. Jen arrive ainsi, en prolongeant le tableauprcdent, identifier huit formules de scurisation dont on peut restituer les relations en suivantlordre de 1 8, du plus simple au plus complexe..

    Tableau N 5Formules de scurisation des droits, du plus simple au plus complexe

    La formule 1 concerne principalement les aires protges, 2 le pastoralisme, 3 la foresterie, 4lagriculture extensive, 5 lexploitation halieutique, 6 lagriculture intensive avec grandsamnagements hydrauliques, 7 et 8 lagriculture capitaliste pour ses fruits (7) et les surfacesfoncires (8).

    Dans ses travaux actuels au Sngal oriental, O. Barrire sintresse plus particulirement au statutjuridique des aires protges et propose de substituer la matrise absolue un droit de gestionintentionnelle au profit de ltat, pour contrler les consquences de la marchandisation.

    Il approfondit la nature juridique de la gestion patrimoniale en analysant comment la combinaisondun espace ressource et dun espace cologique produit un patrimoine commun au groupeconcern. Cest donc, lui aussi, autour dune redfinition du res communis que se concentrent sestravaux.

    Dans le cadre de la prparation dune thse de doctorat en Droit sur le thme " Gestionpatrimoniale et viabilit des politiques forestires Madagascar ", Sigrid Aubert fait lespropositions suivantes.

    Elle suggre tout dabord dadopter le concept dcounme propose par Jacques Berque pour

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    traiter " une entit relationnelle la mesure terrestre de lhumanit, une entit qui stablit en unrseau de relations mystiques, phnomnologiques et anthropiques. La notion dcounme noussemble dpasser celle denvironnement dans le sens o elle peut tre saisie par des socits qui neplacent pas ncessairement lhomme au centre de lunivers et qui ont choisi de ne pas objectiver lanature. Au travers du spectre de lcounme, les divers lments dun cosystme prennentlapparence de , comme autant de liens rattachs des entits distinctesqui se noueraient autour dun mme support ".

    Elle propose ensuite de lire la diversit des rgimes juridiques partir de la gestion duncosystme en corrlant deux variables, la nature intrinsque de lobjet supportant le droitrevendiqu dune part, la norme que revendique lutilisateur de lautre. Les applications quelleprsente partir de son travail de terrain proposent des rponses trs dtailles et trs fines sur leplan des enseignements. Ceux-ci devraient tre repris dans la perspective du jeu des lois pourvaloriser limpact de chacune des variables sur ce riche corpus dinformations.

    Citons enfin sa conclusion qui met au clair ses choix de problmatique :

    " La prise en compte de lexistence de patrimoines multiples revendiqus par des personnesdistinctes et reposant sur les lments dun cosystme considr sous le spectre de lcounmepeut contribuer la recherche et la ngociation dune situation viable pour lensemble desacteurs concerns. (...) Le concept de patrimoine autorise la conjugaison dchelles spatiales ettemporelles variables. Il permet la prise en compte dintrts et dinterventions tant au niveau localquau niveau global, alors que la recherche de lorigine des droits attachs aux lments delcosystme concern intgre les dimensions passes, prsentes et futures "...

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