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L’évolution psychiatrique 76 (2011) 201–217 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Bientraitance Maltraitance Le sentiment de culpabilité et de honte chez les survivants de l’Holocauste , Guilt and shame in Holocaust survivors Katarzyna Prot-Klinger MD, PhD, psychiatre, Institut de psychiatrie et de neurologie, rue Sobieskiego 9, 02-957 Varsovie, Pologne Rec ¸u le 24 novembre 2009 Résumé Les personnes ayant participé à cette étude sont des Juifs ayant survécu à l’Holocauste (n = 89). L’objectif de cette étude était de découvrir si oui ou non un sentiment de culpabilité et de honte était, bien des années après cette expérience traumatisante, toujours présent dans les récits des survivants de l’Holocauste. Une analyse quantitative des réponses concernant les sentiments de culpabilité et de honte n’a pas révélé de différences significatives entre le groupe étudié et les contrôles. Cet article développe la thèse de la prégnance d’un sentiment de culpabilité et de honte chez les rescapés de l’Holocauste. En analysant les données présentes dans la littérature, ainsi que celles révélées par les récits des survivants, l’hypothèse suivante peut être émise : le rescapé est soumis à un processus dynamique lorsqu’il s’agit du sentiment de deuil et de perte. Une question ouverte est alors posée, à savoir si le processus de deuil peut entièrement s’accomplir chez les rescapés de l’Holocauste, au regard de l’étendue et de la gravité du traumatisme. Le programme d’étude portant sur les rescapés de l’Holocauste est le résultat de longues années de travail thérapeu- tique avec des rescapés. Les thérapies – individuelles et en groupes – sont menées depuis 1995, à l’initiative de feu le Pr Maria Orwid. Actuellement, les personnes engagées dans ce projet sont : Lukasz Biedka, Krzysztof Szwajca, Kazimierz Bierzy´ nski, Ewa Domagalska, Ryszard Izdebski. L’objectif principal de la thérapie concernant des rescapés est souvent défini comme une recréation de la continuité entre le passé d’avant la guerre et le présent, vers un retour au «niveau fonctionnel de l’Ego » d’avant-guerre. La reconstruction du Soi des survivants est réalisée par la reformulation de leur vision négative de la vie, en leur démontrant que leur vie est aussi faite de belles/bonnes choses ainsi qu’en insistant sur la force dont ils ont fait preuve et qui leur a permis de survivre. Ces personnes ont besoin d’une aide thérapeutique et d’une redirection de leur propre image – celle d’un être fragile et désemparé – vers celle d’une personne qui a survécu au pire grâce à sa seule force. Traduction : Caroline Bourreau. Je tiens à remercier le Pr Yves Thoret pour ses critiques constructives et ses encouragements ainsi que pour son extraordinaire travail de rédaction. Toute référence à cet article doit porter mention: Prot-Klinger K. Le sentiment de culpabilité et de honte chez les survivants de l’Holocauste. Evol psychiatr 2011; 76 (2). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 0014-3855/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2011.03.011

Le sentiment de culpabilité et de honte chez les survivants de l’Holocauste

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L’évolution psychiatrique 76 (2011) 201–217

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Bientraitance Maltraitance

Le sentiment de culpabilité et de honte chez lessurvivants de l’Holocauste�,��

Guilt and shame in Holocaust survivors

Katarzyna Prot-Klinger ∗MD, PhD, psychiatre, Institut de psychiatrie et de neurologie, rue Sobieskiego 9, 02-957 Varsovie, Pologne

Recu le 24 novembre 2009

Résumé

Les personnes ayant participé à cette étude sont des Juifs ayant survécu à l’Holocauste (n = 89). L’objectifde cette étude était de découvrir si oui ou non un sentiment de culpabilité et de honte était, bien desannées après cette expérience traumatisante, toujours présent dans les récits des survivants de l’Holocauste.Une analyse quantitative des réponses concernant les sentiments de culpabilité et de honte n’a pas révéléde différences significatives entre le groupe étudié et les contrôles. Cet article développe la thèse de laprégnance d’un sentiment de culpabilité et de honte chez les rescapés de l’Holocauste. En analysant lesdonnées présentes dans la littérature, ainsi que celles révélées par les récits des survivants, l’hypothèsesuivante peut être émise : le rescapé est soumis à un processus dynamique lorsqu’il s’agit du sentiment dedeuil et de perte. Une question ouverte est alors posée, à savoir si le processus de deuil peut entièrements’accomplir chez les rescapés de l’Holocauste, au regard de l’étendue et de la gravité du traumatisme.

� Le programme d’étude portant sur les rescapés de l’Holocauste est le résultat de longues années de travail thérapeu-tique avec des rescapés. Les thérapies – individuelles et en groupes – sont menées depuis 1995, à l’initiative de feu le PrMaria Orwid. Actuellement, les personnes engagées dans ce projet sont : Łukasz Biedka, Krzysztof Szwajca, KazimierzBierzynski, Ewa Domagalska, Ryszard Izdebski. L’objectif principal de la thérapie concernant des rescapés est souventdéfini comme une recréation de la continuité entre le passé d’avant la guerre et le présent, vers un retour au « niveaufonctionnel de l’Ego » d’avant-guerre. La reconstruction du Soi des survivants est réalisée par la reformulation de leurvision négative de la vie, en leur démontrant que leur vie est aussi faite de belles/bonnes choses ainsi qu’en insistant surla force dont ils ont fait preuve et qui leur a permis de survivre. Ces personnes ont besoin d’une aide thérapeutique etd’une redirection de leur propre image – celle d’un être fragile et désemparé – vers celle d’une personne qui a survécuau pire grâce à sa seule force. Traduction : Caroline Bourreau. Je tiens à remercier le Pr Yves Thoret pour ses critiquesconstructives et ses encouragements ainsi que pour son extraordinaire travail de rédaction.

�� Toute référence à cet article doit porter mention: Prot-Klinger K. Le sentiment de culpabilité et de honte chez lessurvivants de l’Holocauste. Evol psychiatr 2011; 76 (2).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2011.03.011

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Peut-être est-ce possible, mais cela nécessite plus de temps. De plus, un certain nombre de conditions doiventêtre préalablement remplies, et notamment l’affirmation et la représentation symbolique de l’Holocauste juifnon seulement dans les récits personnels des rescapés mais aussi dans le discours social.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Holocauste ; Survivant ; Traumatisme psychique ; Culpabilité ; Honte ; Étude rétrospective ; Questionnaire ;Étude comparative ; Revue de littérature

Abstract

Participants in the study were Jewish Holocaust survivors (n = 89). A total of 70 respondents constitutedthe trauma group. The remaining 19 participants were regarded as the controls. The control group consistedof persons of Jewish nationality who had experienced the trauma of anti-Semitic persecution, but their lifehad not been directly threatened. The aim of the study was to find out whether feelings of guilt and shame arestill present in narratives of the Holocaust survivors, years after their traumatic experiences. A quantitativeanalysis of responses concerning guilt and shame feelings revealed no significant differences between thestudy group and the controls. The paper presents a historical outline of thought regarding survivors’ guiltand shame. Combining data reported in the literature and contemporary narratives of the survivors, it canbe hypothesized that we are confronted with a dynamic process of the survivor’s working through grief andbereavement. An open question remains whether the bereavement process can be completed in survivors – itis difficult to complete because of the extent of trauma. Completion of the process is perhaps possible, butrequires more time, besides, some conditions must be fulfilled first – particularly, a place for the JewishHolocaust should be acknowledged and affirmed not only in personal narratives, but also in social discourse.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Holocaust; Survivors; Trauma; Guilt; Shame; Retrospective study; Comparative study; Questionnaire; Reviewof literature

« Nul ne saurait survivre à l’expérience du camp de concentration sans se sentir coupabled’avoir été miraculeusement chanceux quand d’autres ont péri par millions et sous sesyeux »

Bruno Bettelheim, Surviving and other essays ([1], p. 297–98)

« En émergeant de la pénombre, on souffre en retrouvant la conscience de l’humiliationvécue »

« Éprouves-tu de la honte parce que tu es vivant à la place d’un autre ? Et notamment d’unhomme plus généreux, plus sensible, plus utile et plus sage, quelqu’un qui méritait plus quetoi de vivre ? Tu ne peux réprimer de tels sentiments »

Primo Levi, The drowned and the saved ([2], p. 81).

1. Introduction

« La culpabilité du rescapé » a été envisagée en tant que phénomène psychologique vers lafin des années 1960 [3]. Ce phénomène est considéré comme une forme de deuil pathologique,où « l’endeuillé » est prisonnier d’un sentiment de culpabilité. Ce qui rejoint la théorie de Klein[4], laquelle considère la perte et le deuil, « l’endeuillement », comme une régression au stadeinfantile au cours de laquelle l’anxiété et la culpabilité se manifestent de facon récurrente. Selonson opinion, « l’endeuillement » aboutit à une régression vers le stade dépressif, où le nouveau-nééprouve le sentiment que ses fantasmes destructeurs sont dirigés contre l’objet de son affection,

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ce qui provoque un sentiment de peur, de culpabilité, de perte et de deuil ainsi que le besoin deréparer. Ces émotions sont l’essence même du processus pathologique de deuil.

Dans le cas de jeunes rescapés, le sentiment de culpabilité a été envisagé comme étant associé àun sentiment de colère à l’encontre des parents assassinés pendant l’Holocauste, soit des parentsayant échoué et n’ayant pas pu/su protéger leurs enfants contre les persécutions [5]. C’est icile plus grand risque encouru par ceux qui expérimentent le processus « d’endeuillement », quecelui de diriger leur haine contre les êtres chers disparus. Selon Freud [6], cette ambivalence, quidécoule de la suppression de l’agression à l’encontre de l’être perdu, empêche la réalisation duprocessus de deuil dans son entier.

L’hypothèse de « la culpabilité du rescapé » était à l’origine basée sur la théorie del’identification avec l’agresseur développée par Anna Freud [7], qui considère que ce phéno-mène psychologique est l’un des mécanismes de défense parmi les plus puissants lorsqu’il s’agitde gérer le sentiment de menace. Appliquée aux rescapés de l’Holocauste, cette théorie [5,8]considère qu’au moment du traumatisme, la victime humiliée absorbe inconsciemment le carac-tère agressif de son persécuteur. La victime étant alors désemparée, impuissante et sans défense,cette agression ne peut être contre projetée vers le persécuteur et de ce fait, elle se dirige contrele sujet et se manifeste sous la forme du sentiment de culpabilité.

Cette théorie a été développée en détail par Bettelheim [8] avec des références à sa propre expé-rience en camp de concentration. Il considère qu’au début, au cours de la période d’adaptationdes prisonniers aux conditions du camp, ceux-ci tentent de préserver leur propre personnalité,tandis qu’à la fin, lorsque les prisonniers ont vécu/expérimenté le phénomène de régressionvers la dépendance infantile, le fait de s’identifier à leur agresseur les pousse à adopter cer-tains traits de personnalité de leur persécuteur et notamment la brutalité – envers les autresprisonniers.

Une telle justification psychologique des comportements dans les camps de concentration a étécritiquée par certains auteurs qui estiment que la brutalité de prisonniers envers d’autres prisonniersétait soit une décision consciente inhérente à une stratégie de survie, soit un comportement simuléafin de couvrir des activités résistantes [9,10]. L’auteur de la théorie psychoformative du stresspost-traumatique, Lifton, est, dans son étude portant sur les rescapés d’Hiroshima [11], arrivé à laconclusion que leur identification avec les morts était la source de leur sentiment de culpabilité.Lifton démontre comment le fait d’expérimenter ce processus d’identification avec les morts,duquel découle chez les survivants le sentiment de honte et de culpabilité, s’associe à une per-ception unique qui conduit à l’auto-accusation continue. D’après Lifton, la culpabilité du rescapén’est pas liée à l’identification avec l’agresseur, mais est plutôt causée par l’impression éprouvéed’avoir participé à l’effondrement total du sens des valeurs [12]. Ainsi, les rescapés éprouvent dela culpabilité parce qu’ils s’identifient aux morts et non pas en raison de leur acceptation mentalede la violence.

De même, Niederland [13], dans ses derniers travaux, n’associe plus la culpabilité du rescapé àdes tendances agressives, mais il souligne l’identification des survivants aux êtres chers disparus.Il soutient que le fait d’être vivant est inconsciemment percu par les rescapés comme une trahisonde leur part envers leurs proches qui ont été assassinés.

Dans ce contexte, la culpabilité du rescapé est parfois surnommée la culpabilité « imaginée »[14,15], basée sur des fantasmes sur la possibilité d’agir. Garwood [16] pense que l’expérienceprimordiale des rescapés de l’Holocauste réside dans leur impuissance à se défendre et à lutterface à la peur de l’annihilation, renforcée par le dénuement. La réponse à cette totale fragilitéest alors un mécanisme de défense qui se manifeste sous la forme de fantasmes omnipotentsconduisant à l’auto-accusation et au sentiment de culpabilité.

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Danieli [17] considère le sentiment de culpabilité comme une tentative inconsciente de déniou « d’effacement » de l’absence d’une quelconque possibilité de se défendre. Le sentiment deculpabilité agit alors aussi comme une forme de loyauté envers la famille disparue.

D’après Leys [18], le concept de traumatisme, depuis son apparition à la fin du XIXe siècle,balance entre la théorie du mimétisme et celle de l’anti-mimétisme. Selon la théorie du mimé-tisme, le traumatisme est concu comme une expérience violente dans laquelle la victime esttotalement immergée et n’a donc pas la distance nécessaire pour avoir une perception cognitivede l’évènement. C’est selon ces termes que les symptômes du traumatisme revécu ou de l’amnésiepost-traumatique sont expliqués. Cette théorie inclut le phénomène de régression qui conduit àl’identification avec l’agresseur. Selon la théorie de l’anti-mimétisme, la victime parvient à conser-ver une certaine distance avec ses expériences, devenant alors à la fois sujet et observateur desévènements. Selon cette théorie, il n’y a pas d’identification avec l’agresseur et le traumatismeest considéré comme une attaque venue de l’extérieur. Le sentiment prédominant est alors celuide la honte, définie comme une expérience consciente où le sujet est exposé au regard consentantde l’observateur, soit lui-même [19].

Sur la base de son étude sur les rescapés d’Hiroshima, Lifton [11] associe le sentiment deculpabilité à celui de la honte, envisageant le processus d’identification aux morts comme un acteà la fois de mimétisme (où le sujet est totalement immergé) et d’anti-mimétisme (en raison duregard accusateur des morts à l’encontre du sujet).

L’identification du rescapé aux morts aboutit alors chez celui-ci à des fantasmes accusa-toires/accusateurs, tout en provoquant chez lui l’impression d’être l’un de ceux qui leur ontôté/volé la vie.

Selon l’approche psychanalytique, le sentiment de honte, de même que celui de culpabilité,est associé à la fonction auto-observatrice de l’appareil psychique – le Surmoi et le Moi idéal.Mais, la honte étant plus liée au sujet qu’à l’objet, ce sentiment peut être plus difficile à effacer.Comme mentionné par de Mendelssohn [20], c’est un sentiment au caractère indélébile puisqu’iln’y a personne qui puisse le compenser. Le sentiment de culpabilité est considéré comme uneexpérience individuelle, tandis que le sentiment de honte est considéré comme une expériencesociale [21].

Les théories qui font appel au processus d’autorégulation mettent en relation le sentiment dehonte avec le Moi, et le sentiment de culpabilité avec le comportement – dans la mesure où uneévaluation négative de soi-même est liée à la honte ressentie tandis que le comportement estlié à la culpabilité éprouvée [22]. Cette distinction entraîne d’autres conséquences concernantles possibilités de réparations, lesquelles sont possibles dans le cas du sentiment de culpabilité,liées à un comportement visant à agir afin d’obtenir ces réparations, mais plus difficiles dansle cas du sentiment de honte qui entraîne le recul [23]. D’autres chercheurs [24] rejettent lavision unidimensionnelle du sentiment de culpabilité en tant qu’émotion à caractère adaptatif. Ilssoulignent que le sentiment de culpabilité peut être lié à une ambivalence émotionnelle et à dessentiments de solitude et d’aliénation.

Il est intéressant de noter que le critère du « sentiment de culpabilité » a disparu de l’échellede classification, alors qu’il était auparavant considéré comme un symptôme essentiel dans lapsychopathologie des survivants. Il était intégré aux critères PTSD au moment où cet ensemblede diagnostics a été introduit en 1980 (DSM-III) [25]. Dans l’édition suivante de la classificationDSM-III R [26], le « sentiment de culpabilité » était désigné comme simple critère « associé »,pour finir par définitivement disparaître de la liste des critères PTSD dans le DSM-IV [27].

Aujourd’hui apparaissent des travaux qui démontrent le rôle essentiel du sentiment de hontedans la naissance des symptômes PTSD [28,29].

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2. Méthode

2.1. Extrait de l’étude

Les participants à cette étude sont des Juifs rescapés de l’Holocauste. La technique de Snow-ball Sampling (« boule de neige ») a été utilisée pour recruter les participants. Cette méthodepeu commune est souvent utilisée lorsque l’étude porte sur des groupes sociaux difficilesd’accès. Les recommandations d’organisations juives de rescapés de l’Holocauste (Les Enfantsde l’Holocauste, l’Organisation des Combattants juifs) ont été très appréciables.

Les entretiens ont été conduits de 2002 à 2004 en Roumanie et de 2004 à 2007 en Pologne.Cinq groupes ont été établis en fonction de leur expérience et de leur statut pendant la guerre :

les victimes de déportation, les rescapés de camps, les rescapés de pogroms et les rescapés aryens,ainsi qu’un groupe de contrôle, des Juifs ayant subi le traumatisme de l’antisémitisme mais quin’ont pas vécu celui de devoir lutter pour survivre (la plupart sont des personnes qui, au momentde la guerre, vivaient aux environs de Bucarest). Au total, c’est 89 personnes qui ont été entendues,70 d’entre elles réparties entre les quatre différents groupes de rescapés et 19 dans le groupe decontrôle. Les premiers participants à cette étude ont par la suite demandé à leurs proches d’yparticiper à leur tour.

2.2. Caractéristiques détaillées des exemples présentés dans les Annexes 1–5

Un semi-questionnaire a été établi afin de définir les situations d’avant-guerre et d’après-guerre des personnes participant à l’étude, ainsi que les circonstances de leur survie (Annexes1–5). Un niveau PTSD était requis, en utilisant le questionnaire de Watson [30] avec le critère Amodifié, afin de satisfaire à la classification DSM-IV, ainsi que le questionnaire Harvard [31,32].L’échelle de Harvard comprend des sujets concernant la culpabilité et la honte (« Est-ce quevous éprouvez un sentiment de culpabilité quant aux évènements traumatisants que vous avezvécu ? Vous sentez-vous coupable d’avoir survécu ?, Avez-vous honte, êtes-vous gênés à causedes évènements traumatisants que vous avez vécu ? »).

Les entretiens ont été analysés de facon à la fois quantitative et qualitative. Pour l’analysequantitative, le SPSS 14.0 a été utilisé.

Pour ce qui est de l’analyse qualitative, la méthode de l’herméneutique textuelle a été employée,laquelle peut être définie comme le fait d’appréhender un texte comme un tout, en considérantqu’il est nécessaire de saisir l’essence et le sens de ce tout afin d’en reconnaître les élémentsparticuliers [33,34]. L’ordre imposé sur l’expérience et le sens qu’elle prend sont le sujet de cetterecherche [35]. Cette méthode est particulièrement utile pour comprendre les changements vécuspar le sujet et qui le définissent en fonction d’une expérience de vie peu commune [36].

3. Résultats

3.1. Analyse quantitative

L’analyse quantitative concernant le sentiment de culpabilité et de honte n’a pas montré dedifférence entre les divers groupes étudiés, et le groupe de contrôle ne présente pas de différencespar rapport aux groupes des rescapés ayant subi des traumatismes. Dans l’ensemble, 11,4 % despersonnes interrogées éprouvent un sentiment de culpabilité lié aux évènements traumatisants

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qu’ils ont vécu, 12,9 % éprouvent un sentiment de culpabilité d’avoir survécu et 17,1 % éprouventun sentiment de honte et de gêne lié aux évènements traumatisants qu’ils ont vécu.

3.2. Analyse qualitative

3.2.1. Le processus de deuilAu cours de l’analyse des récits des rescapés, on rencontre des histoires qui mettent en évidence

le besoin de préserver la vie d’avant-guerre ainsi que la vie pendant la guerre comme des périodesfaisant encore partie du présent, du « vivant ». Une rescapée du ghetto de Varsovie définit celacomme le fait de « mettre les choses en place » :

« Ils s’embrassaient, se disaient au revoir sur les marches, là. Nous attendions ce prêtre,[espérant] qu’il apporterait quelque chose dehors. Les marches étaient couvertes de monde.Enfin, seule une tempête ou bien quelqu’un auraient pu faire fuir les gens. . .Souvent, jereste sur les marches et j’y pense. C’est quelque chose dont je me rappelle très bien et queje mets en place, à sa place, la place qui lui est due.

Quand vous avez remis chaque chose à sa place, comment vous sentez-vous ? Mieux ?

Mieux. Parce que je sais bien quelle était sa place. J’essaye même de mettre à leur placeles lieux précis où j’avais l’habitude de m’asseoir ou de sauter sur un pied. Ce n’est pascomme si je me plaignais tout le temps, après tout, je jouais et je m’amusais (Jadwiga)

Le prix que Jadwiga paie pour ce témoignage, ce sont peut-être ses cauchemars.

« Une fois, j’ai oublié de prendre mes somnifères, je les avais préparés mais j’ai oublié etj’ai retraversé Gehenne cette nuit-là. J ai parcouru la moitié du ghetto (. . .) Je crois que jen’ai pas eu un seul instant de sommeil. J’ai marché dans la moitié de l’espace du ghetto,j’ai ressenti la moitié des impressions, je ne peux pas vous dire ce que je ressentais. Je nepeux pas vous le décrire. J’ai crû alors que j’étais en train de mourir ».

Les cauchemars récurrents peuvent être interprétés comme une tentative de contrôler l’anxiétéet les sentiments douloureux liés au traumatisme dans le processus visant à intégrer les expériencestraumatisantes.

La scène fondamentale dans l’histoire de Jadwiga pendant la guerre est celle où elle voit lecorps de son père sans avoir la possibilité de l’enterrer :

« J’ai reconnu mon papa grâce à ses chaussures et je voulais courir mais des collègues demon papa m’ont attrapée, m’ont bâillonnée, m’ont soulevée et m’ont portée vers un escalierjusqu’à ce que je me calme. Et plus tard, une voiture est venue pour mon papa, ils l’ontbalancé dans la voiture ».

Et pourtant, un processus de deuil inachevé encourage Jadwiga à croire qu’elle peut encoreretrouver son père :

« J’ai beau l’avoir vu mort, assassiné, je ne cesse de guetter les hommes chauves dans larue, ca pourrait être papa. Et j’avais l’habitude de m’imaginer comment ce serait, lorsqu’ilm’attraperait dans ses bras, qu’il me serrerait contre lui et m’embrasserait » et sa famille« Je continue de croire que quelqu’un de ma famille va m’appeler, il m’est impossible decroire qu’ils ont tous été tués ».

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Le thème récurrent dans le récit de Jadwiga, ce sont les tombes familiales qui n’ont pu êtretrouvées – la tombe d’avant la guerre de sa mère et la tombe de son père, mort pendant la guerreet probablement « enfoui » dans un charnier de masse.

3.2.2. Le sentiment de culpabilité des rescapésComme cela a déjà été mentionné, les rescapés, en grande majorité, nient éprouver de la

culpabilité suite aux évènements traumatisants qu’ils ont vécu. Cependant, une partie d’entre eux,au cours de cette étude, se souvient de situations qu’ils vivent encore aujourd’hui en éprouvantde la culpabilité.

« C’est une forme de culpabilité de ma part et de la part de mes parents. Mon grand-père avait84 ans, Mamie était aveugle (. . .). Les juifs qui avaient été amenés ici plus tôt avaient crééune maison pour les vieux/les personnes âgées. Nous y avons laissés mes grands-parents,avec une tante qui avait été déportée. Nous ne les avons pas laissés seuls, et pourtant j’avaisl’impression de les abandonner. Ils sont morts peu de temps après. Et maintenant je mesens coupable – pourquoi ne les avons-nous pas emmenés avec nous ? Ils seraient sûrementmorts, mais ils seraient morts près de nous. Je me sens responsable de cela, parce que je lesaimais tellement (. . .) J’ai le sentiment qu’ils sont morts tels des bébés abandonnés. Je nesais même pas si quelqu’un leur a donné ne serait-ce qu’un verre d’eau ce jour-là » (Miriam)

Fait intéressant, les personnes interrogées nient souvent et ouvertement éprouver un quelconquesentiment de culpabilité, mais leurs réflexions concernant la question de la culpabilité ou de laresponsabilité au regard de ces évènements se font jour dans un contexte émotionnel différent.Par exemple, alors qu’il était directement interrogé au sujet du sentiment de culpabilité, l’un desparticipants à l’étude a nié en éprouver ne serait-ce qu’une once, il a déclaré qu’il connaissait cetteinterprétation par le biais de la littérature mais qu’il la rejetait entièrement. Il estime que ni lui, niaucun autre rescapé ne pourrait éprouver une quelconque forme de culpabilité, étant donné qu’ilsn’ont eu aucune influence sur la situation. Au cours de son récit, il décrit comment, à la rampede sélection d’Auschwitz, comprenant la question posée en allemand « Y-a-t-il des jumeaux ? »,il n’a pas mentionné ses jeunes frères, lesquels on été tués après la sélection :

« je continue de me demander si j’ai bien fait en ne les mentionnant pas, en ne disantpas qu’ils étaient jumeaux. Mais je ne comprends pas comment quelqu’un peut se sentircoupable d’avoir survécu. Je n’ai jamais été dans une situation où j’étais en compétitionpour défendre ma vie, je n’ai pris la place de personne » (Oliver)

Les témoignages de rescapés indiquent leur refus d’accepter le fait de séparer leur destin decelui de leur nation et de leur famille :

« Lorsque je rendais visite à des familles ou des parents qui avaient perdu leurs enfants,j’avais l’impression qu’ils pensaient : « Pourquoi toi tu as survécu, et pas les miens ? ». Ilsne le disaient pas, mais je le ressentais dans la manière qu’ils avaient de me traiter (. . .)Encore aujourd’hui je me demande pourquoi j’ai survécu, et je cherche une réponse maisje n’en trouve pas. Cela fait partie de mon destin. Tout le monde a un destin » (Iancu)

Durant l’entretien, les rescapés insistent souvent sur le fait qu’ils doivent leur survie « à lachance, simple et pure, juste la chance ». Il semble que l’importance qu’ils accordent à cetteexpression peut être liée à leur sentiment de culpabilité et à la question qu’ils ne cessent de seposer : « Pourquoi moi ? ».

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L’histoire d’un rescapé de Birkenau, (ne faisant pas partie de notre groupe) illustre les cruelsdilemmes moraux auxquels ils doivent faire face :

« Ce que je suis sur le point de vous raconter, c’est le plus grand dilemme de ma vie, jedevrais vous en révéler d’autres, mais celui-ci. . . Bien évidemment j’essayais tout le tempsde m’approcher le plus près possible du baraquement dans lequel je savais que mon frère étaitdétenu. . . [le baraquement où se trouvaient les enfants sélectionnés pour le crématorium].Quand j’ai vu l’un des gardes, je lui ai demandé : « Est-ce que je peux entrer là et prendremon frère avec moi ? » « Non » a-t-il répondu, « c’est de la folie, non, je suis responsableici. . . » Je me suis éloigné de quelques trente, quarante pas et il m’a rappelé : « Viens ici ! Tusais, peut-être qu’après tout on peut faire quelque chose, va-t-en, cherche un gamin et dis luique tu veux donner quelque chose à ton frère mais que tu ne peux pas y aller et dis au gossede venir me voir. On va faire sortir ton frère et on fera entrer l’autre gamin là, comme ca lecompte sera bon » deux cent quarante-trois ou presque, c’est pas important, juste il faut quece soit le même nombre. J’en ai trouvé un, je lui ai dit ce que je devais lui dire et il a dit :« Pourquoi est-ce que je devrais y aller ? » alors je lui ai dit que je lui donnerais la moitiéd’un pain, ma ration, bref, OK. Je ne sais pas s’il a réussi à marcher une centaine de mètresdans cette direction, je lui ai couru après, je lui ai sauté dessus et je l’ai cloué au sol et jelui ai dit : « Tu n’iras nulle part. . . ». Il m’a demandé : « Pourquoi ? » « Non, non, tu ne vasnulle part. ». . . J’étais très énervé, je l’ai frappé, je lui ai sauté dessus mais je lui ai rien dit.J’étais une boule de nerfs, et même encore maintenant que je me souviens, c’était horriblepour moi, mais je n’avais pas les tripes de l’envoyer là-bas. Les enfants sont restés parquéslà pendant trois jours encore, parce qu’il n’y avait plus de place dans le crématorium, etpuis ils ont été gazés. (. . .) Après la libération, je l’ai croisé par hasard à l’Apelplatz. Mapremière réaction : j’ai couru vers lui et je l’ai embrassé. Il m’a embrassé et dit : « D’abordtu me dis de faire quelque chose, ensuite tu me frappes et maintenant tu m’embrasses, tum’embrasses comme un frère » Évidemment, je ne lui ai jamais révélé de quoi il s’agissaitvraiment (. . .) Et encore une chose que je veux vous dire. J’ai été suffisamment chanceuxpour ne plus jamais le rencontrer, juste cette fois-là. Et encore une chose. À l’époque j’aipensé : et si je l’avais envoyé là-bas, mon frère serait sorti, mais à la sélection suivante. . .J’aurais tué ce gamin, pour rien. . . Pour revenir à mon frère je sais qu’il n’existe aucun juge,aucune cour qui puisse me condamner pour avoir mal agi, mais je sais aussi qu’il n’existepas un juge qui puisse m’acquitter. C’est mon dilemme. Je sais que pas un mot – bon oumauvais – ne peut être ajouté ici. . . (Laszlo)

Ce récit est le résultat des réflexions d’un rescapé sur toute une vie. Le témoignage cité nepeut être réduit à la simple question du sentiment de culpabilité, mais illustre bien le dilemmeinhumain que personne, ni Laszlo, ni aucun juge, ne peut résoudre.

3.2.3. La honte des survivantsLes rescapés décrivent aussi la honte et l’humiliation en insistant sur la nature sociale de ces

sentiments.

« Certains se sont sentis plus humiliés dans le ghetto que dans le camp. Dans le camp, quandon vous battait, le sentiment de honte n’existait pas. Tout ca s’était produit bien avant lecamp, vous n’étiez plus un être humain, vous n’aviez plus de nom. Les autres prisonniersbattus étaient comme vous, personne autour n’était quelqu’un que vous connaissiez. Il yavait juste la fureur et le sentiment de rébellion. La situation était quelque peu différente

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dans le ghetto de Cluj et dans d’autres ghettos. Le premier jour, tout le monde a été fouillépour les bijoux. Tout le monde a aussi passé un examen anal, et les vagins des femmes ontété examinés. Les policiers hongrois fouillaient même les petites filles, âgées de 13 à 14 ans.Les mères hurlaient que leurs filles étaient vierges. Les policiers procédaient à l’examenavec brutalité et des doigts sales. Dans le ghetto, tous les gens faisaient partie d’une famille.Les policiers avaient l’habitude de sélectionner 10 à 15 jeunes filles parmi les plus jolieset les emmenaient afin qu’elles satisfassent le commandant du camp, le maire de la ville.Pour une jeune fille de 16 ans, élevée dans l’atmosphère du cocon familial, revenir verssa mère après ca. . . Vous imaginez. . . On ne peut pas comparer cela à la situation dans lecamp où tout le monde luttait pour ne pas se faire assassiner. Que nous nous tenions debout,nus, en attendant la sélection – ce n’était pas le problème. La question, c’était de savoir sivous seriez épargnés ou non par la sélection. (. . .) Dans les camps, on se soulageait dansdes pots, sous les yeux de nos camarades prisonniers, on avait tous la diarrhée et tout lemonde s’en fichaient. Dans le ghetto, des trous avaient été creusés où tout le monde sesoulageait ensemble – hommes et femmes. Vous pouvez imaginer – arrachés d’une maisonnormale – femmes, filles, hommes, tout le monde les fesses à l’air. Il y a même des photosqui ont été prises dans un ghetto, et ensuite publiées avec le commentaire suivant : « Voilàà quoi ressemble la moralité juive » (Oliver)

Ceci concorde avec les sentiments éprouvés par l’une des personnes interrogées, une femmedéportée à Transnistria :

« Durant les trois années que j’ai passé dans cet endroit, il y avait un trou creusé tout aubout du jardin où tout le monde faisait ses besoins, femmes et hommes. C’était tellementembarrassant, tellement déshumanisant. Il fallait oublier la honte. J’ai ressenti cette déshu-manisation dès le premier instant. Cela m’a affectée, je ne sais pas si ce fut plus fort pourmoi que pour les autres, mais en tout cas, cela m’a beaucoup frappée. La hantise de la saletéest restée profondément ancrée en moi. Je ne supporte aucun manque d’hygiène » (Miriam)

Il semble que pour beaucoup de personnes interrogées, la honte liée à la nudité est importante,de même que l’impression profonde d’un total effondrement de la structure sociale et culturelle.

« Pour nous, un enseignant était un saint, une personne suprême, nous en avions peur, c’étaitune personne extraordinaire. Il y avait plusieurs raisons à cela, parmi lesquelles – la stabilité,nous étions habitués à avoir le même enseignant pour longtemps, donc leur situation étaitstable. Bon, retournons à mes souvenirs, un jour j’ai vu ma maîtresse d’école – elle faisaitla queue pour les toilettes et j’ai demandé à ma mère : « Pourquoi est-ce qu’elle se tient lesjambes croisées ? » Maman a répondu qu’elle avait probablement très envie de faire pipiet qu’elle ne pouvait pas. . . Je veux que vous compreniez. . . C’est comme si Dieu étaitdescendu sur terre, et même plus bas que terre, sous la terre, moins que la terre. . . elleressemblait à une petite fille, j’avais honte de regarder vers elle. Ca été mon plus grandchoc. Une telle humiliation. . . » (Laszlo)

Ce témoignage est celui d’une personne qui a survécu six mois à Birkenau et Buchenwald.Néanmoins, il se souvient de la première période comme de celle où l’ordre des choses qui existaitavant s’est effondré.

« Ce n’est pas par hasard que je vous raconte tant de choses à ce sujet, c’est une questionqui continue de me choquer. Car l’un des aspects de la vie les plus intimes, voire le plusintime, est lié aux besoins physiologiques. (. . .) Et ce choc. . . Étant vous-même psychiatre,

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vous comprenez ce que je veux dire. . . Ce choc a duré durant tout le voyage jusqu’au camp,dans le train nous étions obligés de faire nos besoins devant tout le monde, c’était quelquechose. . . Ce n’est pas seulement la question de la saleté, c’était quelque chose d’autre. . .évidemment, un enfant, un adolescent ne réalise pas ce genre de choses, c’est dans lanature humaine, mais pour moi c’était terrible et ce choc est resté présent en moi jusqu’àaujourd’hui. L’intimité de l’être humain a disparu en l’espace d’une nuit. . . » (Laszlo)

Après la guerre, les rescapés se sentaient honteux lorsqu’ils se retrouvaient en présence deleurs connaissances et relations d’avant-guerre.

« D. dit : « allons chez toi maintenant ». Et j’ai dit : « Jamais de la vie, J’ai honte » (. . .) Jen’avais pas honte d’être en vie alors que tous les autres étaient morts, j’avais honte pour lesautres ou j’avais honte des autres. . . (. . .) C’est resté ancré en moi. Je ne sais pas » (Dora)

Cela montre combien les sentiments de culpabilité et de honte sont proches. La personneinterrogée parle spontanément de la possibilité d’éprouver un sentiment de honte lié au fait d’avoirsurvécu à la guerre.

Dans la perspective d’une analyse plus poussée sur le sentiment de honte, l’entretien suivant,avec un rescapé de Birkenau et d’autres camps allemands est intéressant – il mentionne sponta-nément la honte deux fois, la première fois en abordant la question de la difficulté des rescapés àparler de leur expérience après la guerre :

« Alors, je lui ai demandé : dis-moi, je vois bien que ta petite-fille sait tout de toi, commentse fait-il alors que ta fille ne savait rien au même âge ? Parce que tu ressentais, à vrai dire, dela honte au sujet de ce qui s’était passé, mais quel genre de honte ? Je me rappelle commentles Allemands se sont comportés quand ils ont perdu la guerre : d’abord la Wehrmachtétait magnifique, puis ils sont devenus des prisoners of war (POW) à leur tour, portant desuniformes rayés comme les nôtres. Ils étaient assis et attendaient juste qu’on leur donne àmanger. Un jour, j’étais sur la route entre Rouen et Paris, là où les prisonniers allemandsétaient transportés vers des lieux de travail, et on se moquait d’eux. On les attendait de piedferme depuis qu’on savait que ces magnifiques camions américains remplis de prisonniersallaient passer par-là. Quand ils furent près de nous, on leur a lancé des pierres. Ils n’avaientplus d’armes, et quand vous n’avez pas d’armes et que votre ennemi est armé, ne serait-ceque d’une pierre, alors vous vous sentez soudain moins brave. . . » (Ruben)

Le rescapé ne nomme pas la source de la honte, mais la scène décrite – l’impuissance et ledésarroi des Allemands après la guerre et l’opportunité de la revanche par la moquerie – suggèreque c’est le sentiment d’impuissance et d’humiliation éprouvé auparavant qui est la source de lahonte. Il mentionne le sentiment de honte pour la seconde fois en évoquant le silence des rescapés :

« lors de nos rencontres, nous ne parlions jamais de ces sujets, peut-être parce qu’en raisonde cette honte, les gens ne s’en souvenaient pas. . . (. . .) Honteux étaient ceux qui ne l’avaientpas été. . . (. . .) Les Juifs n’ont pas à avoir honte de quoi que ce soit, je ne parle pas de cela,mais les Hongrois et les Roumains avaient des inhibitions. . . » (Ruben)

Cela montre deux aspects de la « collusion du silence » – les rescapés ne parlent pas parce qu’ilséprouvent un sentiment de honte après ce qu’ils ont vécu et traversé et les autres ne posent pas dequestions, retenus par la honte de leur indifférence, voire de leur participation au crime.

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3.2.4. Des traumatismes harassantsLes survivants retournent à leurs souvenirs, souvent après bien des années, ce qui leur permet

de revivre ces évènements d’une manière différente.Ce processus est très bien illustré par le témoignage suivant que j’ai recu d’une des personnes

interrogées, qui a commenté ce qu’étaient sa véritable histoire et ses véritables sentiments. Àl’âge de 18 ans, il a été déporté à Auschwitz avec l’ensemble de sa famille. Sa mère et ses jeunesfrères et sœurs ont été tués, tandis que son père, son frère et lui ont été déportés à Birkenau. Letroisième jour, on a demandé que toute personne nantie d’une éducation/formation – mécaniciens,électriciens – sorte du rang. Son père s’est exécuté. Il est mort à Mathausen.

« J’ai pensé toute la nuit à une chose : pourquoi père était-il parti, pourquoi s’était-il portévolontaire, pourquoi ne nous avait-il pas pris avec lui, pourquoi ne nous avait-il rien dit ?La question résonne encore dans ma tête aujourd’hui, aussi claire que si c’était hier, mêmeaprès 27 ans. Cette nuit-là, je me suis emporté contre lui, je l’accusais (. . .) Comment avait-ilpu nous abandonner ? Il aurait dû rester avec nous ou nous aurions dû partir ensemble. Unpère n’a pas le droit d’abandonner ses enfants. Même la menace d’une mort imminente nesaurait l’autoriser à commettre un tel acte (. . .) Et voici la seule réponse que j’ai trouvée.Papa a eu peur. Il a eu peur de la proximité des cheminées du crématorium. Il était si effrayépar le côté inévitable de la mort qu’il en a oublié tout le reste et tout le monde, consumé parune seule idée : quitter Birkenau aussi vite que possible, afin de ne plus voir les cheminéesdu crématorium. Cela m’a pris du temps pour accepter la logique et l’évidence de cetteexplication. Ma version justifiait mon père, effacait mes accusations à son encontre et mesoulageait. Je ne pouvais vivre en haïssant mon père. Je me suis aussi senti coupable delui avoir rarement parlé (. . .) en dépit des nombreuses disputes que je revivais dans matête pour tenter d’accepter cette explication, jusqu’à ce qu’un doute s’immisce – mon pèren’était pas timide (. . .). En le jugeant maintenant, maintenant que je suis moi-même pèrede deux enfants, tentant de comprendre le tourment qui fût le sien (. . .) je suis certain quel’argument clé de sa décision était la certitude qu’il avait qu’en restant, il n’amélioreraitpas notre situation, il la rendrait pire. Il savait combien il était important pour nous, qu’aulieu de nous occuper de nous, nous prendrions soin de lui, tandis qu’il perdait sa force ets’affaiblissait (. . .) Il voulait mourir seul (. . .). Je crois qu’il ne voulait pas que nous soyonsprésents auprès de lui durant les derniers moments de sa vie. Il avait prévu la fin et il voulaitêtre seul, afin de ne pas affaiblir par sa mort notre volonté de survivre » [37].

J’ai relevé un important fragment de ses réflexions afin de montrer leur évolution ainsi quecelle de ses émotions, relatives au traumatisme. Comme ce témoin le déclare : « À ce moment-là, envisageant toute la situation de mon regard d’enfant, il m’était impossible de trouver descirconstances atténuantes » [37]. Laissant de côté la réalité du camp (Dans quelle mesure le pèreétait-il conscient des conséquences de son pas hors du rang ? Comprenait-il que cela signifiaitêtre séparé de ses fils ?), le témoin nous parle de son sentiment d’abandon. Ce qui confirme l’idéemise en avant dans l’introduction – celle de la souffrance des jeunes rescapés qui ont le sentimentd’avoir été abandonnés par leurs parents décédés.

Dans le témoignage retranscrit ci-dessus, il apparaît clairement combien l’impression d’avoirété blessé et le sentiment de culpabilité sont proches. Juste après la phrase qui décrit le sentimentde haine à l’égard de son père éprouvé par le témoin, celui-ci explique son sentiment de culpabilitéenvers lui. « Faire la paix » avec le père bien des années plus tard permet au témoin d’exprimersa gratitude envers lui :

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« Comment y suis-je arrivé ? Comment ai-je survécu ? Quel miracle s’est produit ? Qui m’aappris à me battre ? Une seule réponse à ces questions : mon père. (. . .) Il m’a appris à aimerla vie, à croire, à garder l’espoir. Il m’a enseigné les choses les plus importantes » [37].

4. Conclusion

L’analyse quantitative des réponses des rescapés au sujet de leurs sentiments de culpabilitéet de honte ne révèle pas de différences significatives entre les groupes étudiés et le groupe decontrôle. C’est peut-être dû à la spécificité même du groupe de contrôle – des Juifs qui n’avaientpas eux-mêmes vécu de traumatisme extrême, mais qui, comme pour les groupes étudiés, avaientperdu leurs familles durant l’Holocauste.

Les rescapés de l’Holocauste se situent à différentes étapes du processus de deuil. Les cauche-mars récurrents de Jadwiga peuvent être interprétés comme une tentative de maîtriser la peuret les sentiments douloureux liés au traumatisme, dans le cadre du processus visant à inté-grer l’expérience traumatisante [38]. Jadwiga reste plongée dans la réalité de l’Holocauste – sil’Holocauste n’est pas encore fini, il reste encore une chance pour qu’un être cher revienne [13,16].Les tombes familiales qui n’ont pas été retrouvées, Jadwiga les porte en elle et le fait d’entretenirsa douleur est un moyen de construire une tombe intérieure pour les membres de la famille dis-parus [14]. « L’endeuillement » persistant est vécu comme un souvenir des êtres perdus. On peutinterpréter cela comme une sorte d’identification aux morts où le « fait de mettre les choses enplace » est le moyen d’introduire de l’ordre dans le processus de deuil et d’expiation [11].

D’après mon expérience et les entretiens avec les rescapés, la culpabilité du rescapé liée aufait existentiel d’avoir survécu est souvent rattachée à un seul évènement – par exemple lorsqu’ensortant du ghetto, forme de retour à la vie, il a éprouvé de la joie, ou le soulagement éprouvélorsqu’à Auschwitz il est, pendant la sélection, désigné « bon à vivre » [39]. Ce qui concordeavec l’observation de Lifton que les survivants se sentent coupables d’éprouver un sentiment desoulagement ou de joie qui est associé à leur survie [40].

Les dynamiques de réponse à la perte d’un être cher peuvent être analysées selon les termesde la théorie de l’attachement. Selon Bowlby [41], la réponse à la perte est un processus qui sedéroule en quatre étapes : la confusion pour commencer, suivie du manque, puis la recherche del’objet perdu et enfin la colère. Après la troisième étape, faite de désorganisation et de désespoir,interviennent la réorganisation et le détachement. Ces étapes sont similaires à la description duprocessus de réponse à la perte proposée par Kubler-Ross [42], laquelle comprend le déni, lacolère, l’adaptation, la dépression et l’acceptation.

L’évolution historique des analyses concernant la culpabilité et la honte du rescapé mises enavant dans l’introduction s’est déplacée de l’identification à l’agresseur à l’identification avecles disparus. Une question intéressante est alors soulevée, à savoir si cette différence doit êtreinterprétée comme le seul résultat d’une évolution dans le mécanisme de réflexion des chercheursou bien si des changements se sont produits dans l’esprit des rescapés quant à leur sentiment deculpabilité. Les premiers récits de rescapés publiés, basés sur des études sur les réparations deguerre [43], l’ont été à une époque où leur colère prévalait probablement sur leur sentiment dedépression, si l’on se réfère aux catégories proposées par Kubler-Ross. Ainsi, on peut considérerque l’histoire de la pensée concernant la culpabilité des rescapés est aussi celle du processus dedeuil chez les rescapés.

D’après les données recueillies dans la littérature et les récits contemporains des rescapés,on peut émettre l’hypothèse qu’on se trouve face à un processus dynamique où le rescapétente de surmonter son deuil. Le déroulement de ce processus, selon Klein [44], conduit à un

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approfondissement de la relation de l’individu avec des « objets internes », ainsi qu’à une joieaccrue lorsqu’il les retrouve après avoir éprouvé le sentiment de perte. L’histoire de Lustigest une illustration émouvante de ce processus de « récupération des objets », lorsqu’il tentede comprendre ses complexes sentiments vis-à-vis de son père. Se révèlent ainsi, au cours del’étude, différents aspects du sentiment de culpabilité, lesquels sont liés à des étapes différentesdans le processus de travail sur ce sentiment [24].

La question reste ouverte de savoir si oui ou non le processus de deuil peut être achevéchez les rescapés. Étant donné la gravité du traumatisme vécu par les rescapés, dérouler ceprocessus dans son entier est certes difficile, mais peut-être pas impossible, bien qu’il néces-site beaucoup plus de temps. De plus, certaines conditions doivent être au préalable remplies,telles que la reconnaissance de l’Holocauste Juif dans le discours social et non plus simple-ment dans les récits individuels, ce à quoi se réfère Bacque [45] lorsqu’il évoque le traumatismecollectif.

Il était impossible de réaliser ce processus de deuil au moment même où les êtres chers ontdisparu : pendant la guerre, la priorité était de lutter pour sa propre survie et après la guerre, il fallaitreconstruire sa vie ; d’autant qu’à ce moment-là, les rescapés espéraient encore retrouver vivantsceux qu’ils avaient perdus. Des études démontrent l’importance du post-war embracement [46],soit l’influence cruciale des soins et de l’aide recus après la guerre sur le processus de guérison dutraumatisme [47,48]. La « collusion du silence » [49], de même que des sentiments de solitude,d’incompréhension et parfois aussi d’accusation, que les rescapés soulignent dans leurs récits, nelaissaient alors aucune place à un possible déroulement du processus de deuil.

Le fragment de l’entretien avec Laszlo cité dans cet article suggère que, en accord avec lathéorie de Lifton, la culpabilité du survivant ne peut être concue comme la culpabilité compul-sive et auto-accusatrice d’une personne névrosée mais comme une émotion créative menant auchangement – un sentiment de culpabilité capable de transformer la souffrance en sentiment deresponsabilité [50]. Dans ses derniers travaux, Lifton [12] introduit une séparation entre le senti-ment moral de culpabilité et le sentiment psychologique de culpabilité. « La culpabilité morale »est une expérience d’adaptation et si elle est « traitée », elle permet à l’individu de comprendreses limites.

5. Les limites de cette étude

« La génération de mes parents ne vit plus, on ne peut plus leur poser de question à ce sujet(. . .) Nos souvenirs sont différents, vous comprenez ? On jouait, tous les enfants étaientensemble (. . .) les plus jeunes de cette génération ont été gazés et les plus vieux ont disparu.Et pour ce qui est des personnes telles que moi, octogénaires, on se rappelle du bon tempsqu’on a passé dans le ghetto. Vous comprenez ? » (extrait d’une entrevue – Laszlo, Kluz,2004)

Cela est un extrait du témoignage de l’un des participants à cette étude. Son récit montre bienles problèmes posés par le choix d’une étude portant sur les rescapés de l’Holocauste. C’est uneétude qui considère un groupe très spécifique d’individus, lesquels n’ont pas seulement survécu àl’Holocauste mais aussi à d’autres évènements pénibles dans les années qui ont suivi. Et lorsquel’on fait une étude qui pose en particulier la question du sentiment de culpabilité chez les rescapés,il faut prendre en considération la persistance et la prégnance de ce sentiment, un sentiment difficileà gérer et dévastateur, qui peut mener au suicide, comme on l’a fréquemment observé chez desrescapés.

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Cette hypothèse est corroborée par les textes d’un autre rescapé de camp de concentration,Primo Levi. Selon lui, dans une majorité de cas, le suicide vient d’un sentiment de culpabilitéqu’aucune punition ne peut soulager.

« Quelle sorte de culpabilité cela peut-il être ? Quand tout fut fini, nous nous rendîmescompte que nous n’avions rien fait ou pas assez, contre ce système dans lequel nous étionsabsorbés » [2]

Nous ne pouvons recenser que ceux qui ont accepté de l’être. Cette étude suppose par avanceque les personnes qui ont été interrogées et entendues sont donc, de fait, des rescapés qui ont enpartie surmonté le traumatisme qu’ils ont vécu, du moins suffisamment pour accepter d’en parleret de se livrer, afin de partager leur expérience tout en apprenant à mieux comprendre leur proprehistoire.

Déclaration d’intérêt

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe 1. Âge et sexe de chaque groupe.

Groupe Genre n % Moyenne SE Min. Max.

De contrôle Homme 4 21 81,25 2,394 75 85Femme 15 79 80,27 1,827 68 94Total 19 100 80,47 1,503 68 94

Côté aryen Homme 4 14 78,00 3,536 69 86Femme 24 86 70,25 1,335 63 86Total 28 100 71,36 1,332 63 86

Déportés Homme 5 28 76,40 3,311 71 89Femme 13 72 83,31 2,520 67 98Total 18 100 81,39 2,125 67 98

Camp Homme 12 71 79,83 1,014 74 85Femme 5 29 78,60 2,293 73 85Total 17 100 79,47 0,951 73 85

Pogrom Homme 1 14 83,00 83 83Femme 6 86 82,00 3,540 70 92Total 7 100 82,14 2,995 70 92

Total Homme 26 29 79,23 1,004 69 89Femme 63 71 77,11 1,142 63 98Total 89 100 77,73 0,863 63 98

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Annexe 2. Niveau d’éducation pour chaque groupe.

Niveau d’éducation (%)

Primaire Professionnelle/technique Secondaire Supérieur n (100 %)

De contrôle 11 5 26 58 19Côté aryen 18 7 43 32 28Déportés 17 11 22 50 18Camp 47 18 6 29 17Pogrom 14 0 29 57 7

Total 21 9 27 43 89

Annexe 3. Métiers exercés.

Profession dans chaque groupe (%)

Sans profession Cadres/enseignants/professions libérales Technicien Ouvrier n (100 %)

De contrôle 0 63 21 16 19Côté aryen 11 64 50 11 28Déportés 5,5 56 33 5,5 18Camp 35 29 29 6 17Pogrom 14 57 29 0 7

Total 12 44 35 9 89

Annexe 4. État civil.

État civil (%)

Célibataire Marié Veuf/veuve Divorcé n (100 %)

De contrôle 5 11 58 26 19Côté aryen 11 36 18 36 28Déportés 5,5 22 66,7 5,5 18Camp 53 0 47 0 17Pogrom 0 14 86 0 7

Total 6 29 47 18 89

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Annexe 5. Orientation religieuse dans la famille d’origine.

Orientation religieuse (%)

Croyant Non croyant Traditionnel n (100 %)

De contrôle 42 26 32 19Côté aryen 40 40 20 20Déportés 66,5 5,5 28 18Camp 88 0 12 17Pogrom 71 29 0 7

Total 59 20 21 81

Références

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