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© Masson, Paris, 2005 REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 2-122-124 LETTRE À LA RÉDACTION Le syndrome de Mounier-Kuhn : une étiologie rare de dilatation des bronches S. BOUSNINA, M. SMAOUI, E. HASSINE, K. MARNICHE, L. EL FEKIH, M. L. MEGDICHE, A. CHABBOU Service de Pneumologie, Pavillon II, Hôpital Abderrahman-Mami, 2080 L’Ariana/Tunis, Tunisie. Le syndrome de Mounier-Kuhn est une pathologie congénitale rare dont le diagnostic se fait habituellement à l’âge adulte. Il s’agit d’un défaut de développement du tissu con- jonctif et du muscle lisse de la trachée et des bronches, entraînant une trachéobronchomégalie [1]. OBSERVATION Nous rapportons l’observation d’un jeune homme de 32 ans, menuisier, célibataire, non tabagique, aux antécé- dents de bronchorrhée matinale chronique et d’infections respiratoires basses à répétition. Il était hospitalisé pour aggravation de la toux et accen- tuation des expectorations qui étaient devenues purulen- tes avec apparition d’une dyspnée d’effort stade II. L’interrogatoire ne découvrait pas de cas similaires dans la famille. L’examen physique trouvait un patient présentant un ptosis des deux paupières supérieures avec une hypertro- phie de la lèvre supérieure. Il était fébrile à 38,8°C, poly- pnéique à 23 cycles par minute sans signes de lutte respiratoire, avec, à l’auscultation, des râles ronflants dif- fus aux deux champs pulmonaires et des râles crépitants prédominants au niveau des deux bases. La radiographie du thorax montrait une dilatation de la trachée, ainsi que des opacités confluentes latéro-cardia- ques droites et gauches (fig. 1). Un scanner thoracique était réalisé et montrait une importante dilatation de l’arbre trachéobronchique, avec une trachée de 30 mm de diamètre présentant, dans sa partie haute, des diverticules postérieurs (fig. 2). Les bron- ches souches droite et gauche avaient un diamètre antéro- postérieur respectivement de 21 et 22 mm (fig. 3). Les bronches proximales et segmentaires avaient une paroi irrégulière. Le scanner thoracique montrait également une dilatation des bronches cylindriques diffuse (fig. 4). Le diagnostic de syndrome de Mounier-Kuhn avec pneumopathie infectieuse sur dilatation des bronches était retenu. Dans ce cadre, un spermogramme était effectué : il était dans les limites de la normale. Une radiographie des sinus, faite également, ne découvrait pas de polypose. L’évolution sous traitement antibiotique à base d’amoxi- cilline et d’acide clavulanique était marquée par l’amélio- ration clinique et radiologique de la pneumopathie. DISCUSSION Le syndrome de Mounier-Kuhn a été décrit pour la première fois en 1932 [2]. En 1962, Katz et al. [3] ont introduit le terme de « trachéobronchomégalie ». Ce syndrome est défini par une dilatation de la trachée et des bronches souches, souvent associée à un syndrome polymalformatif et à une polypose sinusienne [4]. Des dilatations des bronches proximales sont présentes chez la majorité des patients atteints de trachéobronchomégalie. Les variétés anatomiques de la segmentation bronchique sont plus fréquentes que dans la population générale [5]. La symptomatologie clinique est similaire à toute infection respiratoire chronique. Ce syndrome peut être découvert à l’occasion d’une toux, d’expectorations, d’hémoptysie, de dyspnée ou d’un hippocratisme digital. Il s’agit de symptômes anciens, remontant à l’enfance, et d’aggravation progressive, proportionnelle au dommage pulmonaire. Une complication telle qu’une pneumonie, un pneumothorax ou une insuffisance respiratoire aiguë, est parfois révélatrice de la maladie [1]. Tirés à part : S. Bousnina, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Mots-clés : Syndrome de Mounier-Kuhn. Trachéobronchomégalie. Dilatation des bronches. Key-words: Mounier-Kuhn syndrome. Tracheobronchomegaly. Bronchial dilatation.

Le syndrome de Mounier-Kuhn : une étiologie rare de dilatation des bronches

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Page 1: Le syndrome de Mounier-Kuhn : une étiologie rare de dilatation des bronches

© Masson, Paris, 2005 REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 2-122-124

LETTRE À LA RÉDACTION

Le syndrome de Mounier-Kuhn : une étiologie rare de dilatation des bronches

S. BOUSNINA, M. SMAOUI, E. HASSINE, K. MARNICHE, L. EL FEKIH, M. L. MEGDICHE, A. CHABBOU

Service de Pneumologie, Pavillon II, Hôpital Abderrahman-Mami, 2080 L’Ariana/Tunis, Tunisie.

Le syndrome de Mounier-Kuhn est une pathologiecongénitale rare dont le diagnostic se fait habituellementà l’âge adulte.

Il s’agit d’un défaut de développement du tissu con-jonctif et du muscle lisse de la trachée et des bronches,entraînant une trachéobronchomégalie [1].

OBSERVATION

Nous rapportons l’observation d’un jeune homme de32 ans, menuisier, célibataire, non tabagique, aux antécé-dents de bronchorrhée matinale chronique et d’infectionsrespiratoires basses à répétition.

Il était hospitalisé pour aggravation de la toux et accen-tuation des expectorations qui étaient devenues purulen-tes avec apparition d’une dyspnée d’effort stade II.

L’interrogatoire ne découvrait pas de cas similairesdans la famille.

L’examen physique trouvait un patient présentant unptosis des deux paupières supérieures avec une hypertro-phie de la lèvre supérieure. Il était fébrile à 38,8°C, poly-pnéique à 23 cycles par minute sans signes de lutterespiratoire, avec, à l’auscultation, des râles ronflants dif-fus aux deux champs pulmonaires et des râles crépitantsprédominants au niveau des deux bases.

La radiographie du thorax montrait une dilatation de latrachée, ainsi que des opacités confluentes latéro-cardia-ques droites et gauches (fig. 1).

Un scanner thoracique était réalisé et montrait uneimportante dilatation de l’arbre trachéobronchique, avecune trachée de 30 mm de diamètre présentant, dans sa

partie haute, des diverticules postérieurs (fig. 2). Les bron-ches souches droite et gauche avaient un diamètre antéro-postérieur respectivement de 21 et 22 mm (fig. 3). Lesbronches proximales et segmentaires avaient une paroiirrégulière. Le scanner thoracique montrait également unedilatation des bronches cylindriques diffuse (fig. 4).

Le diagnostic de syndrome de Mounier-Kuhn avecpneumopathie infectieuse sur dilatation des bronchesétait retenu.

Dans ce cadre, un spermogramme était effectué : ilétait dans les limites de la normale. Une radiographie dessinus, faite également, ne découvrait pas de polypose.

L’évolution sous traitement antibiotique à base d’amoxi-cilline et d’acide clavulanique était marquée par l’amélio-ration clinique et radiologique de la pneumopathie.

DISCUSSION

Le syndrome de Mounier-Kuhn a été décrit pour lapremière fois en 1932 [2]. En 1962, Katz et al. [3] ontintroduit le terme de « trachéobronchomégalie ».

Ce syndrome est défini par une dilatation de la trachéeet des bronches souches, souvent associée à un syndromepolymalformatif et à une polypose sinusienne [4]. Desdilatations des bronches proximales sont présentes chez lamajorité des patients atteints de trachéobronchomégalie.Les variétés anatomiques de la segmentation bronchiquesont plus fréquentes que dans la population générale [5].

La symptomatologie clinique est similaire à touteinfection respiratoire chronique. Ce syndrome peut êtredécouvert à l’occasion d’une toux, d’expectorations,d’hémoptysie, de dyspnée ou d’un hippocratisme digital.Il s’agit de symptômes anciens, remontant à l’enfance, etd’aggravation progressive, proportionnelle au dommagepulmonaire. Une complication telle qu’une pneumonie,un pneumothorax ou une insuffisance respiratoire aiguë,est parfois révélatrice de la maladie [1].

Tirés à part : S. Bousnina, à l’adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Mots-clés : Syndrome de Mounier-Kuhn. Trachéobronchomégalie. Dilatation desbronches.

Key-words: Mounier-Kuhn syndrome. Tracheobronchomegaly. Bronchial dilatation.

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SYNDROME DE MOUNIER-KUHN 123

Une asthénospermie ou une azoospermie a été rap-portée chez certains patients porteurs du syndrome deMounier-Kuhn, associée à un micrognatisme, un ptosisbilatéral, un épicanthus et un excès de peau de la lèvresupérieure [6].

Notre malade avait un spermogramme normal, mais ilprésentait des anomalies faciales : ptosis bilatéral, ethypertrophie de la lèvre supérieure.

Le diagnostic positif est radiologique. Normalement,le diamètre antéro-postérieur de la trachée est inférieur à26 mm chez l’homme et à 23 mm chez la femme [6].

La radiographie standard du thorax permet de poser lediagnostic si, chez un adulte, le diamètre de la trachée etcelui des bronches souches droite et gauche dépassent res-pectivement 30 mm, 24 mm et 23 mm. En outre, la trachéea un aspect caractéristique irrégulier, bien visible sur laradiographie de profil [5].

Le scanner pose le diagnostic si ces diamètres dépas-sent 30 mm, 20 mm et 18 mm respectivement. Il permetd’objectiver des bronchectasies proximales cylindriquesou kystiques, s’étendant jusqu’aux bronches de qua-trième ordre. L’arbre bronchique distal est généralementnormal [7].

La bronchographie, examen actuellement abandonné,permet aussi de visualiser la dilatation trachéobronchiqueet les bronchectasies [3, 5].

L’exploration fonctionnelle respiratoire montre unsyndrome obstructif irréversible et une augmentation duvolume résiduel [1].

L’autopsie des sujets atteints de ce syndrome a révéléun défaut de développement du tissus conjonctif et desfibres musculaires lisses [1]. Ce défaut entraîne une dila-tation du cartilage et une protrusion des espaces intercar-tilagineux, expliquant la formation de diverticulestrachéaux. Ainsi, la trachée et les bronches souches

deviennent flasques, avec une dilatation au cours de l’ins-piration et une tendance au collapsus complet au cours del’expiration. Cette altération de la dynamique respiratoire

Fig. 1. — Radiographie du thorax. Opacités confluentes latéro-cardiaquesdroites et gauches.

Fig. 2. — Tomodensitométrie thoracique. Dilatation de la trachéemesurant 30 mm de diamètre.

Fig. 3. — Tomodensitométrie thoracique. Dilatation des bronchessouches.

Fig. 4. — Tomodensitométrie thoracique. Dilatation des bronchescylindriques diffuses.

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124 S. BOUSNINA et COLL.

est mise en évidence par des radiographies de thorax enexpiration. Associée à une hypersécrétion bronchique,elle prédispose à des infections respiratoires à répétitionet à la dilatation des bronches.

L’étiologie du syndrome de Mounier-Kuhn est incer-taine. Il peut être secondaire, chez l’adulte, à une fibroseinterstitielle diffuse [8], et peut également survenir aprèsla ventilation mécanique d’un nouveau-né prématuré. Lamajorité des cas sont sporadiques, mais il existe certai-nes formes familiales transmises sur un mode autosomi-que récessif, avec une prédominance masculine et uneprédisposition accrue de la race noire.

La trachéobronchomégalie peut être associée àd’autres pathologies telles que le syndrome de Marfan,le syndrome d’Ehler-Danlos, le syndrome de Kenny-Caffey [9], l’ataxie-télangiectasie et certaines vasculari-tes. Il peut être également associé à une hypogammaglo-bulinémie ou survenir au cours de l’évolution de laspondylarthrite ankylosante [10].

Les patients asymptomatiques ne nécessitent pas detraitement spécifique. En effet, le traitement est limité àun bon drainage bronchique grâce à la kinésithérapierespiratoire et à un traitement des surinfections bronchi-ques et des complications de la maladie. L’arrêt du tabacest recommandé. La chirurgie est d’indication rare, vule caractère diffus de la maladie ; elle serait indiquéedans les formes avec dyskinésie trachéobronchiquemajeure.

CONCLUSION

Les malformations de l’appareil respiratoire sontdécouvertes, dans la plupart des cas, au cours des pre-

mières semaines de la vie. Toutefois, le diagnostic dusyndrome de Mounier-Kuhn se fait généralement à l’âgeadulte. Il doit être évoqué devant l’association d’un syn-drome polymalformatif et d’une symptomatologie respi-ratoire traînante. Un diagnostic précoce permet d’éviterles complications de cette maladie, notamment l’évolu-tion vers une insuffisance respiratoire chronique. Le dia-gnostic positif est facile grâce aux données del’imagerie. Le traitement est principalement médical.

RÉFÉRENCES

1. Lazzarini-De-Oliveira LC, Costa-De-Barros-Franco CA,Gomes-De-Salles CL, De Oliveira AC Jr. A 38-year-old manwith tracheomegaly, tracheal diverticulosis, and bronchectasis.Chest 2001;120:1018-22.

2. Mounier-Kuhn P. Dilatation de la trachée : constatations radiolo-giques et bronchoscopiques. Lyon Med 1932;150:106-9.

3. Katz I, Levine M, Herman P. Tracheobronchiomegaly. TheMounier-Kuhn syndrome. Am J Roentgenol Radium Ther NuclMed 1962;88:1084-94.

4. Bellguic C, Léna H, Renaud JC, Desrues B, Delaval P. Bron-chectasies. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris) Pneumologie 2000;6- 031- A- 10.

5. Bateson EM, Woo-Ming M. Tracheobronchomegaly. Clin Radiol1973;24:354-8.

6. Woodring JH, Howard RS, Rehm SR. Congenital tracheobron-chomegaly (Mounier-Kuhn syndrome): a report of 10 cases andreview of the literature. J Thorac Imaging 1991;6:1-10.

7. Spencer H. Congenital abnormalities of the lung: congenital tra-cheobronchomegaly. In : Spencer H, ed. Pathology of the lung.Oxford, UK: Pergamon Press, 1985:129-30.

8. Woodring JH, Barrett PA, Rehm SR. Acquired tracheomegaly inadults as a complication of diffuse pulmonary fibrosis. Am JRoentgenol 1989;152:743-7.

9. Sane AC, Effmann EL, Brown SD. Tracheobronchomegaly: theMounier-Kuhn syndrome in a patient with the Kenny-Caffey syn-drome. Chest 1992;102:618-9.

10. Padley S, Verma N, Flower CD. Tracheobronchomegaly in asso-ciation with ankylosing spondylitis. Clin Radiol 1991;43:139-41.