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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Le Système Des Objets - Jean Baudrillard

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  • Jean Baudrillard

    Le systme des objets

    Gallimard

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  • @ ditions Gallimard, 1968.

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  • INTRODUCTION

    Peut-o~ ~las.ser l'immense vgtation des obj~ts comme une flore ou une faune, avec ses espces trop,icales, glaciaires, ses mutations brusques, . s.es

    ~pces en roie de disparition ? La civilisation urbaine voit se succder . un rythme acclr les gnrations de produits, d'appareils, de gadgets, en regard .desquelles l'homme parat une espce paaj culirem~nt. .stable. Ce foisonnement, rflexion fl,ljte, i;i..'est .P.as plus bizarre que celui des innombrables e~pces naturelles. Or,. celles.ci, l'homme les a

    re~ns.~es. Et, .l'poque o il a commenc .de le faire systmatiquement, il a pu aussi, dans l'Ency

    c~op_d_iC, , donner un tableau exhaustif des objets pratiques et ~echniques dont il tait environ_. DepuiS, l'qilibre est rompu : les objets quoti diens (nous ne parlons pas des machines) prolif-rent, les besoins se multiplient, la production en acclre la naissance et la mort, le vocab~laire manque pour les nommer. Peut-on esprer cla8ser un monde d'objets qui change vue et parvenir un systme descriptif ? Il y aurait presque aut_ant de critres de classification que d'objets eux

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  • 8 Le systme des objets mmes selon leur taille, leur degr de fonction nalit (quel est leur rapport leur propre fonction objective), le gestuel qui s'y rattache (riche pu pauvre, traditionnel ou non), leur forme, leur dure, le moment du jour o ils mergent (prsence plus ou moins intermittente, et la comcience qu'on en a), la matire qu'ils transforment (pour le mou lin caf, c'est clair, mais pour le miroir, la radio, l'auto? Or, tout objet transforme quelque chose)' le degr d'exclusivit ou de socialisation dans l'usage {priv, familial, public, indiffrent) etc. En fait, tous ces modes de classement peu-vent paratre, dans le cas d'un ensemble en conti nuelle mutation et expansion, comme l'est celui des objets, peine moins contingents que l'ordre alpha btique. Le catalogue de la Manufacture d'Annes de Saint-Etienne nous livre dj, dfaut de struc-tures, des subdivisions, mais il ne porte que sur les objets dfinis selon leur fonction : chacun y rpond une opration, souvent infime et htro-clite, nulle part n'affleure un systme de significa cations 1. A un niveau beaucoup plus lev, l'ana lyse .la fois fonctionnelle, formelle et structurale des objets dana leur volution historique que nous trouvons chez Siegfried Giedion (Mechanization takes command, 1948), cette sorte d'pope de l'objet technique1' signale les changements de struc-

    ~.J

    1. Mais ce catalogue lui-mme, son existence seule est par contre riche de sens : dans son projet de nomenclature exhaustive, il a une intense signification culturelle : qu'on n'accde aux objets qu' travers un catalogue, qui puisse tre feuillet ~ pour le plaisir > comme un prodigieux manuel, un livre de contes ou un menu, etc.

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  • Introduction 9

    lutes sociales lis cette volution technique, mais ne' rpond gure la question de savoir comment les objets sont vcus, quels besoins autres que fonctionnels ils rpondent, quelles structures men-tales s'enchevtrent avec les structures fonctionnel-les =et y contredisent, sur quel systme culturel, infra. ou transculturel, est fonde leur quotidien-net vcue. Telles sont les questions poses ici. Il ne s'agit donc pas des objets dfinis selon leur ' fonction, ou selon les classes dans lesquelles on pourrait les subdiviser pour les commodits de l'analyse, mais des processus par lesquels les gens entrent en relation avec eux et de la systmatique des conduites et des relations humaines qui en rsulte.

    ~~-ce....s..tme...e-pul.-..des .nbi~~f .. .'~!!.k . -dire ..

  • 10 Le systme des objets arrive dans le domaine psychologique ou sociolo-gique des besoins et des pratiques est inessentiel. Nous sommes continuellement renvoys par le dis cours psychologique et sociologique sur l'objet un niveau plus cohrent, sans rapport au discoure individuel ou collectif, et qui serait celui d'une langue. technologique. C'est partir de cette lan-gue, de cette cohrence du modle technique que peut se comprendre ce qui arrive aux objets par le fait d'tre produits et consomms, possds et per sonnaliss.

    Il est donc urgent de dfinir ds le dbut un plan de rationalit de l'objet, c'est--dire de struc turation technologique objective. Soit., dans Gilbert Simondon (Du mode d'existence des objets techni ques, Aubier 1958) l'exemple du moteur essence : Dans un moteur actuel, chaque pice importante est tellement rattache aux autres par des chan ges rciproques d'nergie qu'elle ne peut pas tre autre qu'elle est ... La forme de la culasse, le mtal dont elle est faite, en relation avec tous les autres lments du cycle, produisent une certaine temp rature des lectrodes de la bo-gie ; son tour cette temprature ragit sur les caractristiques de l'allu mage et du cycle tout entier.

    Le moteur actuel est concret, alors que Je mo-teur ancien est abstrait. Dans le moteur ancien, chaque lment intervient un certain moment dans le cycle, puis est cens ne plus agir sur les autres lments ; les pices du moteur sont comme des personnes qui travailleraient chacune leur tour, mais ne se connatraient pas les unes les autres... Ainsi il existe une forme primitive de

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  • Introduction 11

    l'objet technique, la forme abstraite, dans laquelle chaque unit thorique et matrielle est traite comme un absolu, ncessitant pour son fonction-nement d'tre constitu en systme ferm. L'int-gration dans ce cas offre une srie de problmes rsoudre ... c'est alors qu'apparaissent des etruc turcs particulires que l'on peut nommer, pour chaque unit constituante, des structures de d-fense : la culasse du moteur thermique comhus tion interne se hrisse d'ailettes de refroidisse-ment. Cellesci sont comme ajoutes de l'extrieur au cylindre et la culasse thorique et ne remplissent qu'une seule fonction, celle du refroi dissement. Dam les moteurs rcents, ces ailettes jouent en plue un rle mcanique, s'opposant comme des nervures la dformation de la culasse sous la pousse des gaz- On ne peut plue distin guer les deu fonctions : il s'est dvelopp une structure unique, qui n'est pas un compromis, mais une concomitance et une convergence : la culasse nervure peut tre plus mince, ce qui permet un refroidissement plus rapide ; la structure bivalente ailettes/nervures assure donc synthtiquement, et d'une faon bien plue satisfaisante, les deux fonc-tions jadis spares : elle intgre les deux fonctions en les dpassant. .. Nous dirons alors que cette structure est plus concrte que la prcdente et correspond un progrs objectif de l'objet techni que : le problme technologique rel tant celui d'une convergence des fonctions dans une unit structurale et non celui d'une recherche de com promis entre les exigences en conflit. A la limite, dans cette dmal'che de l'abstrait au concret, l'objet

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  • 12 Le systme':tJes..,objets tchniqlie tend rejoindre l'tat d'un systme entirement ohrent avec lui-mme, entirement unifi-> (pp. 25-26) . :

    . Cette analyse est essentielle : elle nous donne les'lmentsd'une cohrence jamais vcue, jamais i;sil>le dans ]a.,pvatique. y__!e.~~nologie nous ra conte une .:histoire rigoureuse des ___ b}ets, oii 'les

    d'rgriismes -,r&nctionnels- -se rsolvent dialectiqu;-mt,, __ dans .. t1e8: ati'uctures' plus Jarges. Chaque tramitioii d'un systme un autre mieux intgr, chaque-. con:tmutat-Wn 11intrieur d'un systme dj' structur;bchaque '.synthse de fonctions fai~ 81ll'gir un se~ ~ertfil . ol>jtiv indpe!l

    dane- des" individus qui la-Jl,lettront en uvre. < : JlQY!.::.sOmm_e~-~:RL:.1llb1'iveau .. ,d1une.. .langue, .. _et on

    po~~ait, .P,ar analogie avec les phnomnes de la-linglistiq'ue, appel~r techr!~n:i~~ . > __ ~I! . i_l~,ient, .. t-echniqueiP-simples - diffrents des objets rels - -llUr. le jeu

  • , . / ntroduction. 13

    sonnel rduit au .minimum l'emprise de la mode . Tandis que l'automobile s'puise dans le jeu des formes .tout en conservant un statut technologique minoritaire (refroidissement par eau, moteur cylindres, etc), l'aviation elle, est oblige de pro~ duire les objets techniques les plus concrets. poul' de simples raisons fonctionnelles (scurit, vitesse, efficacit). Dans ce cas, l'volution technologique suit une ligne presque pure. Mais il est clair que, pour rendre compte du systme quotidien des objets, cette analyse technologique structurale est dfaillante.

    On peut -rver d'une description exhaustive des technmes et de leurs rapports de sens qui suffi-rait puiser le monde des objets -rels : m-ais ce .n'est qu'un rve. La . tentation d'user des tech-nmes comme des astres dans l'astronomie c'est--dire selon Platon comme de figures de gomtrie, sans nous arrter ce qui se passe dans le ciel, si nous voulons devenir de vrais astronomes et tirer quelque utilit de la partie intelligente de notre me (La Rpublique, I. Vil), se heurte immdia-tement l_! rali~_ _e_~~~-~?!.?~9-~~- e_t _ s~c_ij)l_ogiq!Je vc\le des objets, qui constitue,_p~J:'~~~!-~)~ul:".~_a.! rialit- seriiii6Ie~jiii __ .9rp~_ae. ~9ntraintea __ telles_q, la cohr~iic~ ., du systme technologique -~n _e.s_t .. continuellement modifi~ -~t .P~rt.urb~e. C'est cette

    perturbation~ i _._111ment la rationalit~ .!ks ..Q.Q.i~ ') vient au~..P.1:!~~~-8..~!~ ..

  • 14 Le systme des objets c~pendant se dtache continuellement la ralit vcue ae l'objt.

    Chacun de nos objets pratiques est affili un ou plusieurs lments structurels, mais par ailleurs ils fuient tous continuellement de la structuralit technique vers les significations secondes, du sys tme technologique dans un systme culturel. L'environnement quotidien reste, dans une trs large mesure, un systme abstrait > : les multi

    I pies objets y sont en gnral isols dans leur fonc tion,, c'est l'homme qui assure, au gr de ses be soins, leur coexistence dans un contexte fonctionnel,

    1 systme peu conomique, peu cohrent, analogue 1 la structure archaque des moteurs essence

    primitifs : assortiment de fonctions partielles, par fois indiffrentes ou antagonistes. La tendance actuelle n'est d'ailleurs pas du tout de rsoudre cette incohrence, mais de rpondre aux besoins successifs par des objets nouveaux. Ainsi se faitil que chaque objet, additionn aux autres subvienne sa fonction propre, mais contrevienne l'ensem hie, parfois mme subvienne et contrevienne en mme temps sa fonction propre.

    En outre, les connotations formelles et techniques s'ajoutant l'incohrence fonctionnelle, c'est tout le systme des lleSofns-~ socialies ou inconscients, culturels ou pratiques - tout un systme vcu inessentiel qui vient refluer sur l'ordre technique essentiel et compromettre le statut objectif de l'objet.

    Prenons un exemple : ce qui est essentiel > et structurel, donc le plus concrtement objectif dans un moulin caf, c'est le moteur lectrique,

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  • l ntroduction 15 cest l'nergie qui est distribue par la centrale. ce sont les lois de production et de transformation de l'nergie - ce qui est dj moins objectif parce que relatif au besoin de telle ou telle personne, c'est sa fonction prcise de moudre le caf - ce qui n'est plus du tout objectif, et donc inessentiel, c'est qu'il soit vert et rectangulaire, ou rose et trapzodal. Une mme structure, .le moteur lec-trique, peut se spcifier en diverses fonctions : la diffrenciation fonctionnelle est dj seconde (par o elle peut tomber dans l'incohrence du gadget). Le mme objetOnction son tour peut se spci fier en diverses formes : nous sommes ici dans le domaine de la c personnalisation ~. de la conno-tation formelle, qui est celui de l'inessentieL Or, ce qui caractrise l'objet industriel par opposition l'objet artisanal, c'est que l'inessentiel n'y est plus laiss au hasard de la demande et de l'ex-cution individuelles, mais qu'il est aujourd'hui repris et systmatis par la production 1, qui assure travers lui (et la combinatoire universelle de la mode) sa propre finalit.

    C'est cette inextricable compliction qui fait que les conditions d'autonomisation d'une sphre tech nologique. et donc de possibilit d'une analyBe structurale dana le domaine des objets, ne sont pas les mmes que dans le domaine du langage. Si on excepte les objets techniques purs, auxquels nous

    1. Les modalits de transition de l'essentiel l'ineasentiel 1ont donc elleemmes aujourd'hui relativement systmati qDl't. Ceue systmatisation de l'ineeseutiel a des aspecta so).

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  • 16 Le systme des objets n'avons jamai;; affaire en tant que sujets, nous observerons que les deux niveaux, celui de dno tation objective et celui de connotation (par. o l'objet est investi, commercialis, personnalis, par o il arrive l'usage et entre dans un systme cul-turel) ne sont pas, dans les conditions actuelles de production et de consommation, strictement disso ciables comme le sont ceux de la langue et de la parole en linguistique. Le niveau technologique n'a. pas une autonomie structurelle telle que les faits de parole (ici l'objet parl ) n'aient pas plus d'importance dans une analyse des ob-jets . qu'ils n'en ont dans l'analyse des faits de langue. Si le fait de prononcer le r roul ou .gras-sey ne. change rien au systme de la langue, c'e&t ,dire si Je sens de connotation ne compromet en rien les structures dnotes, la connotation d'objet, elle,. grve et altre sensiblement les structures tehniques. A la diffrence de la langue, la techno logie ne constitue pas un systme stable. A:u contraire des monmes et des phonmeg, les tech nmes sont en continuelle volution. Or, le fait que le . systme technologique soit tellement im pliqu, par sa rvolution permanente, dalis le temps mme des objets pratiques qui le par lent - ce qui est aussi le cas de la langue, mais dans une .mesure infiniment moindre - le fait que ce systme ait pour fins une matrise du monde et une satisfaction de besoins, c'est--dire des fins plus .
  • Introduction 17

    que, et donc e l'ordre global de production et de consommation, contrainte externe qui ne s'exerce pas du tout sur la langue, - de tout ceci r sulte {bi.e le systme des objets, contrairement celui de

    ....... ' ' t ,. . . ..... , . , .,._ . ...-. . .... . . _ .,......,,.~-

    la langl1F,lr'"t>llrfi"acfifsdenti/iquement. qu'en tan~ :te"~durl~-' ne sont pas

    tant les structures cohrentes de la technique . que les modalits d' incidence des pratiques sur les tech niques, ou plus exactement les modalits d'enrayage des techniques par les pratiques. Pour tout dire,. la description du systme des objets ne va pas sans une c;ritique de l'idologie pratique du systme. Au nivean technologique, il n'y a pas de contradiction : il n'y a que du sens. Mais une science humaine ne peut tre .que lle du sens et du contresens : comment ~~.....!'Y!!!.~.~!t._~.~.ht)..Q]ogique .. cohrent dif . fuse-til en un . syst~~e praH.m,1~ . i~ohrent, com J!lCnt la -langue. ~.es objets est-elle parle >, de qiiIe fao_~. ce systme de la parole fou intrnieHaire entre l!l langue et la parole) ohli tre-til celui de la laugue ? O sont finalement, non pas la cohrence abstraite, m ais les contra dictions vcues dans le systme des objets 1 ?

    l. Sur la base de ('ette distinction, on peul faire un rap prochemenl troit entre l'analyse des objets et la linguis tique, ou plutt la smiologie. Ce que nous appelons, dan~ Je champ des objets, diffrence marginale, ou inessentieJle, est analogue la notion introduite en smiologie, de c champ de dispersion > : c Le rhamp de dispersion est constitu par les varits d'excution d'une unit (d'un phnomne par exemple), tant que ces varits n'entranent pas un

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  • 18 Le systme des objets t'hangement de sens (c'est-dire ne passent pas au rang de variations pertinentes) . On pourra parler en nourriture de champ de di8persion d'un mets, qui sera constitu par les limites dans lesquelles ce meta reste signifiant, quelles que soient les c fantaisies > de son excutant. Les varits qui composent le champ de dispersion s'appellent des variante combinatoires : elles ne participent pas la commutation du sens, elles ne sont pas pertinentes- On a longtemps considr les variations combinatoires comme faits de pa role ; elles en sont, certes, trs proches, mais on les tient maintenant pour faita de langue. ds lors qu'elles sont c obliges >. (Roland BarthP.s, Communicatiorn, n 4, p. 128.) Et R. Barthes ajoute que cette notion est promise devenir centrale en smiologie, car ces variations qui sont insi gnifiantes sur le plan de la dnotation peuvent redevenir signifiantes sii.r le plan de la connotation.

    On voit que l'analogie est profonde entre variation com-binatoire et diffrence marginale : les deux concernent l'ines-sentiel, elles sont sans pertinence, elles relvent d'une com binatoire et prennent leur sens au niveau de la connotation. Mais la distinction capitale est que, si la variation combi natoire reste extrieure et indiffrente au plan smiologique de dnotation, la diffrence marginale, elle, n'est justement jamais c marginale >. Car le plan technologique ne dsigne pas, comme celui de la langue pour le langage, une abstrac tion mthodologique fixe, qui vient au monde rel par la mouvance des connotations, mais un schme structurel vo lutif que les connotations (les diHrencea inessentielles) viennent figer, strotyper et faire rgresser. Le dynamisme structurel de la technique se fige au niveau des objets, dans la subjectivit diffrentielle du systme culturel, qui se rpercute lui-mme sur l'ordre technique.

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  • A. LE SYSTME FONCTIONNEL ou

    LE DISCOURS OBJECTIF

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    1. LES STRUCTURES DE RANGEMENT : :

    LENVIRO.NNEMENT TRADITIONNEL

    La configuration du mobilier est une image fid~e ds structures familiales et sociales dune poqlie. L'intrieur bourgeois type est d'ordre patriarcal : c"st l'ensemble salle manger chambre couch~r. Les meubles, divers dans leur fonction, mais forte. nient intgr~s, gravitent autour du buffet ou du )i,t de mi1ieh. 'Il y a tendance l'accumulation et -.~ l'oupation ile l'espace, sa clture. Unifonction rialit, inamovibilit, prsence imposante et tj. quette hirarchique. Chaque pice a une destina tion stricte 'qui correspond aux diverses fonctio~e de la cll~e familiale, et plus loin renvoie .un~ coricption de la personne comme dun assemblage quilibr ae 'facults distinctes. Les meubles se re'g.rdent, se gnent, s'impliquent dans une -u'nii qu(est moins ' spatiale que d'ordre moral. Ils ~'or: donnent autour d'un axe qui as!!ure la chronologie rgulire des conduites : la pr11ence toujours sym bolise de la famille elle-mme. Dam cet espae

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  • 22 Le systme des objets priv, chaque meuble, chaque pice son tour intriorise sa fonction et en revt la dignit symbo-lique - la maison entire parachevant l'intgi;ation des relations personnelles dans le groupe semi-clos de la famille.

    Tout ceci compose un organisme dont la struc ture est la relation patriarcale de tradition et d'au-torit, et dont le cur est la relation affective complexe qui lie tous ses membres. Ce foyer est un espace spcifique qui tient peu compte d'un amna-gement objectif, car les meubles et les objets y ont d'abord pour fonction de personnifier les relations humaines, de peupler l'espace qu'ils partagent et d'avoir une me 1 La dimension relle o ils vivent est captive de la dimension morale qu'ils ont signi fier. Ils ont aussi peu d'autonomie dans cet espace que les divers membres de la famille en ont dans la socit. Etres et objets sont d'ailleurs lis, les objets prenant dans cette collusion une densit, une valeur affective qu'on est convenu d'appeler leur prsence ~. Ce qui fait la profondeur des maisons d'enfance, leur prgnance dans le souvenir, est videmment cette structure complexe d'intrio rit o les objets dpeignent nos yeux les bornes d'une configuration symbolique appele demeure. La csure entre intrieur et extrieur, leur opposi tion formelle sous le signe social de la proprit et sous le signe psychologique de l'immanence . de la famille fait de cet espace traditionnel une trans cendance close. Anthropomorphiques, ces dieux

    1. Ils peuvent avoir par ailleurs du got et du style, t'omme ils peuvent n'en pas avoir.

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  • , ' ,.

    Les structur:es de . 'rangement 23

    lares que -sont, les -objets se font, incarnant dans l~pare les -liens affectifs et la -permanence du group, doucement immortels, jusqu' ce qu'une gnration moderne les relgue o.u les disperse ou parfois.les rinstaure dans une actualit nostalgique de vieux objets. Comme les dieux souvent, les meu bles-aussi ont parfois Ja chance d'une existence seconde,-.passant de l'usage naf au baroque cultu rel

    .. -L'ordre de la salle _ m-anger et de -la chambre coucher-, cette structure mobilire lie la struc-ture immobilire de la maison est encore celle que propage la publicit dans un vaste public. Lvitan et le& Galeries Barbs proposent toujours au got collectif les normes de l'ensemble c: dcoratif . >, mme si -les lignes -se sont stylises '>, mme -si le. dcor a perdu de son affection. Si ces meubles ee vendent, ce n'est pas qu'ils soient moins chers, c'est qu'ils portent en eux la certitude officille du-. groupe-et la sanction bourgeoise. C'est aussi que ces meubles-monuments (buffet, lit, armoire} et leur agencement rciproque rpondent une pel'liistance des structures familiales traditionnelles dans de trs larges couches de la socit moderne.

    L'OBJET MODERNE LIBR DANS SA FONCTION

    En mme temps que changent les relations de l'iDdividu la famille et la socit change le style des objets _mobiliers. Cosys, lits de coin, ta

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  • 24 Le systme des objets bles basse~, rayonnages, lments supplantent l'an cien rpertoire de meubles. L'organisation change aussi : le lit s'esquive en banquette-lit, le buffet et les armoires en placards escamotables. Les choses se replient et se dplient, s'effacent, entrent en scne au moment voulu. Bien sr, ces innovations n'ont rien d'une improvisation libre : la plupart du temps, cette plus grande mobilit, commutahi lit et opportunit n'est que le rsultat d'une adaptation force . au manque d'espace. Cest la pauvret qui fait l'invention. Et si la vieille salle manger tait charge d'une lourde convention morale, les intrieurs modernes >, dans leur in gniosit, font, eux, souvent l'effet d'~dients fonctionnels. L' absence de style > est d'abord absence d'espace, et la fonctionnalit maximale une solution d'infortune o le chez-soi, sans perdre sa clture, perd son organisation intrieure. La dstructuration sans reconversion de l'e,pace et de la prsence des objets est d'abord un appauvrisse ment.

    Ainsi se prsente l'ensemble modeme de srie : dstructur mais non restructur - rien n'tant venu compenser le pouvoir d'expression de l'an cien ordre symbolique. Pourtant il y a progrs : entre l'individu et ces objets plus souples dans leur usage, qui n'exercent ni ne symbolisent plus de contrainte morale, la relation est plus librale : l'individu n'est plus strictement relatif la famille travers eux 1 Il trouve dans leur mobilit, leur

    l. Mais il faut se demander s'il ne devient pas du mm& coup relatif travers enx la socit gfobale sur ce point. voir : c Modles et sries >.

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  • , Les structures de rangement 25

    multifonctionnalit une plus grande libert d'or ganisation, reflet d'une plue grande disponibilit dans eee relations sociales. Mais ceci n'est qu'une sorte de libration partielle. Au niveau de l'objet de srie, en l'absence d'une restructuration de l'es pace, cette volution fonctionnelle :. n'est, pour reprendre la distinction marxienne, qu'une man cipation, et non une libration, parce qu'elle ne signifie que la libration de la fonction de robjet, et non de l'objet lui-mme. Cette table neutre, l-gre, escamotable, ce lit sans pieds, sans cadre, sans ciel, qui est comme le degr zro du lit, tous ces objets de lignes pures > qui n'ont mme plue l'air de ce qu'ils sont, rduite leur plus sim pie appareil et comme dfinitivement sculariss : ce qui est libr en eux, et qui, en se librant, a libr quelque chose en l'homme (ou que l'homme, en se librant, a libr en. eux), c'~st leur fonction. Celle-ci n'est plus obscurcie par la thtralit mo-rale des vieux meubles, elle s'est dgage du rite, de l'tiquette, de toute une idologie qui faisaient de l'environnement le miroir opaque d'une atruc ture humaine rie. Aujourd'hui enfin les objets transparaissent clairement dans ce quoi ils eer vent. Ils sont donc libres en tant qu'objets de Jonc tion, c'est--dire qu'ils ont lit libert de fonctionner et (pour les objets de srie) n'ont pratiquement que celle-l 1

    1. De la mme faon, la rvolution bourgeoise et indus trielle libre peo peu l'individu de l'implication religieuse, morale, familiale, il accde une libert de droit en tant qu'homme. mais une libert de fait en tant que force de travail, c'est-dire la libert de se vendre comme telle.

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  • 26 ,,mlbetion,. ; l'h:omme rciproquement n'est libr que comme usager:de cet objt .. Ceci encore une fois est .uri progrs, mais non pas un moment dcisif. Un lit est un:lit,: une chaise une chaise : il n'y a pas .. de relation entre. eux tant qu'ils ne servent qu' ce quoi ils. servent. Sans relation, pas d'es-pace, .. car respace ; . il~existe qu'ouvert, suscit, rythm, largi par une corrlation des objets et un dpassement. de , leur fonction dans cette struc-ture neuve. L'espace. est en quelque sorte la libert relle de l'objet, sa. .fonction n'est que sa libert formelle. La salle manger bourgeoise tait struc ture, ,mais ,c'tait une structure .close. L'environ nement fonctionnel est plus ouvert, plus libre, mais il est 'dstructur, .. ~orcel . en ses diverses fonc-tions. Entre :les deux, .. dans la csre entre espace psychologique intgr et espace fonctionnel mor cel, les . objets de srie se meuvent, tmoins de l'un et.de l'autre, souvent dans le cadre d'un mme intrieur. . '" ..

    ,L '1NTR_IEUR MODLE Les lments. ,;

    Cet: espace intro~vable, qui ne serait plus .. ni l'extriorit contrainte ni l'intriorit refuge, cette

    Ce . p'est pas-ici une concidence, mais une corrlation pro-fonde._ L'objet . < ,fonctionnel > de srie comme l'individu social sont -librs dans leur objectivation < fonctionnelle >, non dans leur singularit et leur totalit d'objet ou de personne..

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  • , Les .str.uctures de.J:afisement 2-7

    libert,. ce style illisihl~ dans l'objet de serie parce qu'il est asservi sa fonction, nous le troit-vo11s prsent dans . les intrieurs modles. L se dgagent une structure neuve et une volution _si gnificative 1

    En feuilletant ces luxueuses revues que sont la 'Maison Franaise; Mobilier et Dcoration , etc., on observe l'alternance de deux thmes : une part 'sublime de maisons hors concours, vieil les ' demeures du xvtt1, villas miraculeusement amnages, jardi11s italiens chauffs l'infra-rouge et peupls de statuettes trusques, bref le monde de l'unique, qui ne peut que forcer la contem"..

    -plation sans esp()ir (du moins sociologiquement raisonnable) L sont les modles aristocratiques qui sous-tendent de leur valeur absolue l'autre p~ : . celle du dcor . d'amnagement moder~e~ Ls objets et ies meubles proposs ici, quoique d'n haut standing , ont cependant une inci-dence sociologique, ce ne sont plus des crations de rve, non commerciales, ce sont au sens pro

    pr~ .des modles. Nous ne sommes plus dans l'art pur, mais dans un domaine qui (virtuellement du moins) intrSse toute fa socit. .

    Ces modles de l'avant-garde mobilire s'ordoii nent selon une opposition fondamentale : L

    . }, Donc une niveau pri".ilgi. Et il y a un problme so.ciologique et social dans .le fait qu'un groupe restreint ait la libert concrte de s'exprimer, travers ses objets et 'aes , ineubles, comme : modle aux yeux d'une socit

    enti~re. Mais ce .problme sera.discut par ailleurs (c Mod-ls et sries >).

    2. Une revue voue aux meubles de srie est impenf!llble : on n'a cet effet que des catalogues.

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  • 28 Le systme des objets MENTS/ SIGES, et l'impratif pratique auquel ils obissent eat celui du RANGEMENT, ou calcul syntagmatique, auquel vient s'opposer, comme les siges aux lments, le concept gnral d' AM BIAN CE.

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  • J r

    =~# ... ;:; . .

    Les structures de rangement 29

    allez les adopter pour crer vous ;iussi dans votre maison cette atmosphre raffine dont vous rvez. >

    Ces exemples font apparatre le dpassement de l'objet-fonction vers un nouvel ordre pratique d'organisation. Les valeurs symboliques, et les va-leurs d'usage s'estompent derrire les valeurs or ganisationnelles. Substance et forme des anciens meubles sont dfinitivement abandonnes pour un jeu de fonctions extrmement libre. On n'investit plus les objets d'une me :. et ils ne vous invea tissent plus de leur prsence symbolique : la rela tion se fait objective, elle est d'agencement et de jeu. La valeur qu'elle prend n'est plus d'ordre in&-tinctif t psychologique, mais tactique. Ce sont les diffrences et les dmarches de votre jeu qui vous signalent, non le secret de la relation singulire. Une clture fondamentale est leve, paralllement une modification sensible des structures sociales et interpersonnelles.

    Les murs et la lumire.

    Les pices et la maison elles-mmes dpa88ent la csure traditionnelle du mur, qui faisait d'elle des espaces-refuges. Les pices s'ouvrent, t)Ut commu nique, elles se fragmentent en angles, en zones diffuses, en secteurs mobiles. Elles ~e libralii;ent. Les fentres ne sont plus ces orifices imposs l'irruption de l'air et de la lumire, laquelle venait de rextrieur se poser sur les objets, pour les illuminer comme de rintrieur >. Plus simple-ment il n'y a plus de fentre et 1a lumire inter--

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  • ~ ... ]~e .sntme de~. obj~ts .. v~~nt JU~reient est devenue fonction universelle de ,J:~st~nce deis cho_s~s. De mme les ohjets.-QAt p~r4 ,Ja ,s~i:itance qui les fondait, Ja, :fo~me qui l~~ .J:J.f~rma~t, et par . o l'homme les annexait . l~piage ~e sqi : c'~t maintenant l'espa_ce,.qu.ijQe li~r~:w:.e%\.,.entl;'e eux et. devient -la fonc~io~. univ._t

    ~lle ~e l_eurs rapports et de leurs y.aleurs >. .. ', ' \

    ~ .:1~-r~!..,, ..

    L'.~!czirage. :; '~ ~ . . ' ~ " :Dans)e,.mm,e ordre .. d'volution bien des dtails SC?~t s~gn!fic~tifs : la _tendance par exemple effa. cer 1~.sourc~s lum~neuses. Un retrait .du plafoi;W

    a~~ite; ,s:ur. tout son pourtour ~es rampes de noJJ. qui .. as~:Jlr.ent . un clairage gnral 4issimul ,>, . ~,la~~_Me uniforme par rampes dissimules en 4~:r~~s points : sous la rentre du plafond qui court tout le long du voilage, derrire la partie sup rieure du long du meuble, sous les placards du haut etc. Tout se passe comme si la source de lumire tait encore un rappel de l'origine des choses. Mme lorsqu'elle n'claire plus du plafond le c~r.le de famille, mme disperse et dmulti ppe, elle est encore le signe d'une intimit privi l,Q~~ elle pose une valeur singulire sur les choses,

    eU~. cre des ombres, elle invente des prsences. OR- -~c9mprend qu'un systme qui tend au calcul

    obj~ti.f .d'lments simples et homognes veuille ef!~,.er jJisqu' ce de:rnier signe de rayonnement i~trjeur et d'enveloppement symbolique .des cho-ses. ;p~r le regard ou le dsir.

    r a ~

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  • , ~ \

    Les structures de rangement 31

    Miroirs et portraits.

    Autre symptme : la disparition de la glace et du miroir. Une psychosociologie du miroir serait faire, aprs tant de mtaphysique. Le milieu paysan traditionnel ignore la glace, peuttre mme l'a craintil : elle est un peu sorcire. L'intrietir bourgeois au contraire, et ce qu'il en reste dans le mobilier actuel de srie, multiplie les miroirs aux murs> sur les armoires, les dessertes, les buffets, lespanneaux. Comme la source.lumineuse, la glace est un lieu privilgi de la pice. A ce titre, elle joue partout dans la domesticit aise son rle idologique de redondance, de superfluit, de re-flet : c'est un objet rihe, o la pratique respec tUeuse d'ellemme de la personne bourgeoise trouve le privilge de multiplier son apparence et de jouer avec ses biens. Disons plus gnralement que le miroir, objet d'ordre symbolique, non sen lement reflte les traits de l'individu, mais accom pagne dans son essor l'essor historique de la cons cience individuelle. Il porte donc la sanction de tout un ordre social : ce n'est pas lcln hasard ei le Sicle de Louis XIV se rsume dans la Galerie des Glaces, et si, plus rcemment, la prolifration de l glace d'appartement concide avec celle du pha-risasme triomphant de la conscience bourgeoise, de. Napolon III au Modem Style. Mais les choses ont chang." Dans l'ensemble fonctionnel, le reflet por le reflet n'a plus cours. La glace existe to.u jours : elle prend sa fonction exacte dans la salle d'eau, non encadre. Voue au soin prcis de l'ap

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  • 32 Le systme des objets parence qu'exige le commerce social, elle se libre des grces et des prestiges de la subjectivit do mestique. Du mme coup, les autres objets sont librs d'elle, ils ne sont plus tents de vivre en circuit ferm avec leur image. Car le miroir finit l'espace, il suppose le mur, il renvoie vers le cen tre ~ plus il y a de glaces, plus glorieuse est l'inti mit de la pice, mais aussi plus circonscrite sur elle-mme. La tendance actuelle multiplier les ouvertures et les parois transparentes va propre-ment l'inverse. (En outre tous les truquages per-mis par ]a glace vont l'encontre de l'exigence actuelle de franchise du matriau.) Un certain cercle a t bris, et il faut reconnatre l'ordre moderne une logique relle lorsqu'il limine, en mme temps que les sources lumineuses centrales ou trop visibles, les glaces qui les refltaient, c'est -dire en mme temps tout foyer et tout retour au centre, librant l'espace de ce strabisme convergent qui faisait, l'image de la conscience bourgeoise, loucher le dcor sur lui-mme 1

    Autre chose encore, parallle au miroir, a dis paru : c'est le portrait de famille, la photo de ma riage dans la chambre coucher, le portrait en pied ou en buste du propritaire dans le salon, le visage encadr des enfants un peu partout. Tout ceci, constituant en quelque sorte Je miroir dia chronique de la famille, disparat avec les miroirs

    1. Le miroir fait parfois sa rentre, mais alors sur le mode culturel baroque, comme objet second : miroir romantique, glace ancienne, miroir convexe: Sa fonction n'est plus la mme et sera analyse plus loin dans le cadre des objets anciens.

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  • Les structures de rangement 33

    rels un certain niveau de modernit (dont la diffusion est encore relativement modeste). Mme l'uvre d'art, originale ou reproduite, n'y entre plua comme valeur absolue, mais sur un mode combinatoire. Le succs de la gravure dans la d-coration, de prfrence au tableau, s'explique entre autres par sa moins grande _valeur absolue, donc sa plus grande valeur associative. Pas plus que la lampe ou le miroir. nul objet ne doit redevenir un foyer trop intense.

    L'horloge et le temps.

    Autre mirage rvolu dans l'intrieur moderne celui du temps. Un objet essentiel a disparu l'horloge, ou la pendule. Souvenons-nous que si la pice paysanne a pour centre le feu et la chemine, l'horloge est elle aussi un lment ma jestueux et vivant. Dans l'intrieur bourgeois ou petit-bourgeois, elle devient pendule, couronnant souvent la chemine de marbre, elle-mme domine souvent par la glace - le tout constituant le plue extraordinaire raccourci symbolique de la domes-ticit bourgeoise. Car l'horloge est l'quivalent dans le temps du miroir dans l'espace. De mme que la relation l'image spculaire institue une clture et comme une introjection de l'espace, de mme l'horloge est paradoxalement symbole de perma nence el d'introjection du temps. Les horloges paysannes sont un des objets les plus recherchs : c'est qu'elles sont prcisment, parce qu'elles cap lent ]e temps sans surprise dans l'intimit d'un

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  • Le systme des objet meuble, ce qu'il y a de pfs rassurant au monde. La hronomtrie est angoissante lorsqu'elle nous assi ge aux tches sociales ; mais elJe est scurisante lorsqu'elle substantifie le temps, et le dcoupe comme un objet consommable. Tout le monde a prouv combien le tic-tac d'une pendule ou d'une li\lHoge consacre l'intimit d'un lieu : c'est qu'il le rend semblable l'intrieur de notre propre corps. L'horloge est un cur mcanique qui nous rassure sr notre propre cur. C'esf ce processus d'infu sion, d'assimilation de la substance temporelle, c'est cette prsence de la dure qui est rcuse, au mme titre que tous les autres foyers d'involution, par un ordre moderne qui est d'extriorit, d'es pce et de relation objective. . ,

    V.ERS UNE SOCIOLOGIE DU RANGEMENT?

    C'est tout l'univecs de la Stimmung > qui a 1disparu, celui de l'unisson naturel des mouve 'mbits de l'me et de la prsence des choses :

    '}~ambiance intr'iorise {par opposition l'ambiance 'extrforise des intrieurs modernes). Aujour o'hi la valeur n'est plus d'appropriation ni d'inti 'mit, mais d'information, d'invention, de contrle, de disponibilit continue aux messages objectifs ::..,.;.. elle est dans le calcul syntagmatique, qui fonde prriprement le discours de l'habitant moderne. ' C'est toute la conception de la dcoration qui a hang. Le got traditionnel, comme dtermina

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  • Les structures de rangement 35

    tion du beau selon les affinits secrtes, n'inter vient plus ici. C'tait un discours potique, une vocation d'objets clos qui se rpondent : aujoul' d'hui les objets ne se rpondent plus, ils communi quent - ils n'ont plus de prsence singulire mais, das le meilleur des cas, une cohrence d'ensem hie, faite de leur simplification comme lments de code et du calcul de leurs rapports. Selon une combinatoire illimite, l'homme mne avec eux son discours structural.

    :La publicit fait valoir partout ce nouveau mode de dcoration : Faites un 3 pices habitable et cohrent sur 30 m1 ! > Multipliez votre apparte-ment par quatre ! > Plus gnralement, elle parle d'intrieur et d'ameublement en termes de pr blme > et de solution >. Plus que dans le got >, c'est l o rside le sens actuel de la dcoration : non plus implanter un thtre d'objets ou crer une atmosphre, mais rsoudre un pro blme, donner la rponse la plus subtile un en chevtrement de donnet1, mobiliser un espace.

    Au niveau des objets de srie, la possibilit de ce discours fonctionnel est rduite. Objets et meu hies sont des lments disperss, dont la syntaxe n'est pas .trouve : s'il . y a calcul de rangement, c'est un calcul pnurique, et les objets apparais$ent pauvres' dans leur abstraction. Cette abstraction cependant est ncessaire : c'est elle qui fonde au

    ni~~ati: du. modle l'homognit des termes d je fontionriel. n faut d'abord que l'homme cesse' de se'mler aux choses, de les investir son imag pour pouvoir ensuite, au-del de l'usage qu'il .en a; projee

  • 36 Le systme des objets cours, et investir ce jeu mme comme un message aux autres, et un message soi-mme. A ce stade, le mode d~existence des objets ambiants> change totalement et une sociologie du meuble succde i.uie sociologie du rangement 1

    L'image et le discours publicitaires tmoignent de l'volution : le discours, en mettant directe ment en scne le sujet comme acteur et manipu lateur, l'indicatif ou l'impratif ; l'image au contraire, en omettant sa prsence : c'est que cette prsence serait en quelque sorte anachronique. Lui, c'est l'ordre qu'il met dans les choses, et cet ordre exclut la redondance : l'homme n'a plus qu' s'effacer de l'image. Sa prsence est exerce. Ce qu'il institue, cest un espace, non un dcor, et si la figure du propritaire tait normale dans 'le dcor traditionnel, dont elle tait la connotation la plus claire - la signature elle est trangre par contre un espace c fonctionnel >.

    J. R. Barthes dcrit eette phase nouvelle propos de l'auto-mobile : c - l'uniformit des modles semble condamner l'ide mme de performance technique : la condwte " nor male" devient alors le seul champ possible o investir des fantaemea de puissance et d'invention. L'automobile transmet son pouvoir phantasmatique un certain corps de pratique&. Puisqu'on ne peut plus bricoler l'objet lui-mme, c'est la

    conduite qu'on va bricoler- ce ne sont plue les formes et les fonctions de l'automobile qui vont solliciter le rve humain, e'est son maniement, et ce n'est plus bientt peut-tre. une mythologie de rautomobile qu'il faudra crire, mais une mythologie de la conduite > (Ralits, n 213, octobre 1963).

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  • Les st..ructures de r,angement 37.

    .' L'HOMME DE .RANGEMENT .;,.

    Nous voyons .quel type m:iuveau d'habitant se pr.~pose. .comme modle : 1' homme de range-ment n'est .. ni propritaire ni simplement usa ger, c'est , un informateur actif de l'ambiance. Il d.ispose . de l'espace comme d'une structure de dis tribution, . travers le contrle de cet espace, il dtient to.utes les possibilits de relations rcipr,o ques, et don~ . la totalit des rles que peuvent assume.r les objets. (Il doit donc tre lui-mme

    1..fonc_tion~el , homogne cet espace, s'il veqt que les messages de rangement puissent partir de lui et lui revenir.) Ce n'est ni la possession ni la

    jo_uissanc~1 . c'est la responsabilit qui lui importe, au sens .. piopre o il mn!lge la possibilit pcrma n.ente de . rponses . Sa praxis est toute d'extrio-rit. L'habitant moderne ne consomme pas ses objets .. (L encore, le got n'a plus rien voir, qui nous renvoie dans son double sens des objets clos, . dont la forme contient pour ainsi dire une sbstance .comestible qui les donne intrio riser.) . Il .lei; matrise, il les contrle, il les ordonne. n 'se retrouve.dans une manipulation et dans l'qni libre tactique d'un systme. :n y a dans ce modle d'habitant fonctionnel >

    mie ab~traetion v.iden,te. La publicit veut nous faire croire que l'homme moderne n'a plus au fond besoin de sea objets, qu'i] n'a plus qu' op rer parmi eux comme technicien intelligent des communications. Or, l'environnement est un mode

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  • 38 Le systme des objets d'existence vcu, il y a donc une grande abstraction lui appliquer des modles de computation et d'information pris dans le domaine de la technique pure. Par ailleurs, ce jeu objectif ae double de tout un lexique ambigu : votre got >, c vos mesures >, personnalisation >, cette am biance sera la vtre >, etc., qui semble le contre-dire et en fait lui sert d'alibi. Le jeu objectif pro-pos l'homme de rangement est toujours repris par le double jeu de la publicit. Cependant la logique mme de ce jeu emporte l'image d'une stratgie gnrale des relations humaines, d'un projet humain, d'un modus vivendi de l're tech nique - vritable changement de civilisation dont les aspects sont lisibles jusque dans la vie quoti dienne.

    L'objet : ce figurant humble et rceptif, cette sorte d'esclave psychologique et de confident tel qu'il fut vcu dans la quotidiennet traditionnelle et illustr par tout l'art occidental jusqu' nos jours, cet objetl fut le reflet d'un ordre total, li une conception bien dfinie du dcor et de la perspective, de la substance et de la forme. Selon cette conception, la forme est dmarcation absolue entre l'intrieur et l'extrieur. Elle est contenant fixe, l'intrieur est substance. Les objets ont ainsi - les meubles tout particulirement - en dehon de leur fonction pratique, une fonction primor diale de vase, qui est de l'imaginaire 1 A quoi cor

    1. Cependant une loi de dimension semble jouer dans rorgani5ation symbolique : au-del d'une certaine taille, tout objet, mme phallique de de5tination (voiture, fuse) devient

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  • Les structures de rangement 39

    respond leur rceptivit psychologique. Ils sont ainsi le reflet de toute une vision du monde oit chaque tre est conu comme un vase d'intrio rit >, et les relations comme corrlations trans cendailtes des substances - la maison ellemme tant l'quivalent symbolique du corps humain, dont Je schme organique puissant se gnralise ensuite dans un schme idal d'intgration des structures sociales. Tout ceci compose un mode total de vie, dont l'ordre fondamental est celui de la Nature, en tant que substance originelle dont dcoule la valeur. Dans la cration, ou f ahrication d'objets, l'homme se fait, travers l'imposition d'une forme qui est culture, transsubstantiateur de nature : c'est la filiation des substances, d'ge en ge, de forme en forme, qui institue le schme ori ginel de crativit : cration ab utero, avec toute la symbolique potique et mtaphorique qui l'ac compagne 1 Ainsi, le sens et la valeur dcoulant de la transmission hrditaire des substances sous la juridiction de la forme, le monde est vcu comme donn (il en est toujours ainsi dans l'inconscient et dans l'enfance), et le projet est de le dvoiler et de le perptuer. Ainsi, la forme circonscrivant l'objet, une parcelle de nature y est incluse, telle que dans le corps humain : l'objet est fondamen talement anthropomorphique. L'homme est li alors aux objets ambiants par la mme intimit

    rceptacle, vase, utrua - en d~ d'une certaine taille, il en pnien (mme s'il est VllSe ou bibelot).

    1. La prodaction intellectuelle et artistique, sons son aspect traditionnel de don, inspiration, gnie, n'en a jamais t que l'quivalent.

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  • 4() viscride l h>.t,lte$ , pro.portions gardes) qu'aux or.0 ganes..de. eon propre corps, et la proprit > de l'objet tend toujours virtuellement la rcupra tion de cette substance .par annexion orale et c aasi milation : >. . .

    ,Ce (que .. noue entrev,oyon&,, aujourd'hui dans les i~~rieun modernes, . c'est la fin de cet ordre de Nature, c'est, traven la rupture de la forme, travers la rsoltfon de la limite formelle intrieur extrieur et de.toute .. la dialectique complexe .de l'tr.e ~t. . ~~: . J7apparene qui s'y rapportait, une qualit nouvelle . de- relation et de responsabilit objective,, Le projet vcu .d'une socit technique,

    c'est]a;~emj5e,~n cause de l'ide mme de Gense; c'estJ?~missi9n. des . origines, du sens donn et des c .essences . ~, dont les bons .:vieux meubles furet encore Jes symboles concrets - c'eat une compu tation et uu,e conceptalisation . pratiques sur la base . d'une . abstraction totale, c'est l'ide d'un monde non . plua-. donn, maie produit - matris~

    num~pul, . inventori ~.et contrl : acquis'. . ::-Ce,t .ordre modernef spcifiquement diffrent de

    l'ordre traditionnel de procration, relve pour tant lui :aussi d'un ordre symbolique fondamental. Si .. Ja cj.yilisation antrieure, fonde sur l'ordre

    natu~l. .des substances, peut -tre rattache des structures ~~e&; il fau\ .voi.r~ dans l'ordre moderne

    l. ' ~~ 'medI~ . de praxis n~~;~~r~t d'ailleura clairement qu' un haut niveau technologique, 011 au niveau d'objets quotid.iens trs volus: : magntophones. voitures, appareils mna.gers, o 'iodique.,la relation de matrise et de distri b.ution dans les , cadrans . tableaux . de bord, boutons de commande, et~. Par ailleurs, la quotidiennet est encore rgie tr:s largement par une praxis traditionnelle.

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  • Les structures de rangement 41

    de production, de calcul et de fonctionnalit un ordre phallique, li l'entreprise de dpassement, do transformation du donn, d'mergence vers des 1tructures objectives, - mais aussi un ordre de la fcalit, fond sur l'abstraction, la quintassence visant instruire une matire homogne, sur le calcul et le dcoupage de matire, sur toute une agressivit anale sublime dans le jeu, le discours. l'ordre, le classement, la distribution.

    L'organisation des choses, mme lorsqu'elle se donne pour objective dans l'entreprise techni

    c.i.~nne, est toujours e~ mme temps un registre pissant de projection et d'investissement. La D;leilleure preuve en est dans l'obsession qui affleure souvent derrire le projet organisation nel, et, . dans notre cas, den:ire la volont de i:an~

    ge.r;n~nt : il faut qe tout comm~nique, que tout s.it f

  • II. LES STRUCTURES D'AMBIANCE

    Le rangement, qui rsume l'aspect organisa tionnel de l'environnement, n'puise cependant pas le systme de l'intrieur moderne, qui se fonde sitr une opposition : celle du RANGEMENT et de l'AMBJANCE, A l'impratif technique de rangement vient toujours s'ajouter dans le discours publici taire l'impratif culturel d'ambiance. Tous deux structurent une mme pratique, ce sont les deux aspects d'un mme systme /onctionnel. Dans l'un comme dans l'autr s'exercent les valeurs de jeu et de calcul : calcul des fonctions pour le rangement, calcul des couleurs, des matriaux, des formes, de l'e&pace pour l'ambiance 1

    LES VALEURS D'AMBIANCE LA COULEUR

    La couleur traditionnelle. Traditionnellement, la couleur est charge d'allu

    sion.s psychologiques et morales. On aime telle cou l. Le rangement comme traitement de l'espace devient

    d'ailleurs lui aussi lment d'ambiance.

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  • Lea structures d'ambiance li3

    leur, on a sa couleur. Ou bien elle est impose par l'vnement, la crmonie, le rle social. Ou bien elle est l'apanage d'une matire, bois, cuir, toile, papier. Surtout, elle reste circonscrite par la forme, elle ne cherche pas les autres couleurs, elle n'est pas une valeur libre. La tradition soumet la couleur la signification intrieure et la clture des lignes. Mme dans le crmonial plus libre de la mode, la couleur prend larg.ement son sens hors d'elle-mme : elle est mtaphore de significationa culturelles indexes. Au niveau le plus pauvre, la symbolique des couleurs se perd dans le psycho-logique : le rouge passionnel, agressif, le bleu signe de calme, le jaune optimiste, etc. ; le langage des couleurs rejoint alors celui des fleurs, des rves, des signes du Zodiaque.

    Ce stade traditionnel est celui de la couleur nie comme telle, refuse comme valeur pleine. L'int rieur bourgeois la rduit le plus souvent d'ailleurs la discrtion des c teintes > et des c nuances >. Gris, mauve, grenat, beige, toutes ces teintes dvo-lues aux velours, drape, satins, la profusion des toffes, rideaux, tapis, tentures ainsi qu'aux sub-stances lourdes et aux formes c de style > : il y a l un refus moral de la couleur comme de l'espace. De la couleur surtout : trop spectaculaire, elle est une menace pour l'intriorit. Le monde des cou leurs s'oppose celui des valeurs, et le c chic >est toujours bien l'effacement des apparences au pro. fit de l'tre 1 : noir, blanc, gris, degr zro de la

    1. Les couleura c voyantes > voua regardent. Mettes un costume rouge, vous tes plus que nu, vous tes un objet pur,

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  • 44 Le systme des objets couleui:; - c'est aussi le paradigme de la dignit, du refoulement et du standing moral.

    La couleur naturelle :..

    For~ement culpabilise, la couleur ne ftera sa lib1'ation que trs tard : les automobiles et les machines crire mettront des gnrations ces ser d'tre noires, les rfrigrateurs et les lavabos plus longtemps encore cesser d'tre blancs. C'est

    l~ peinture qui librera la couleur, mais il faudra lon-gtemps pour que l'effet en soit sensible dans fo quotidien : fauteuils rouge vif, divans bleu ciel, tables noires, cuisines polychromes, livings en deux ou trois tons, parois contrastes, faades bleues ou roses, sans parler des sous-vtements mau ves et noirs : cette libration apparat bien lie la rupture d'un ordre global. Elle est d'ailleurs contemporaine de la libration de l'objet fonction nel {apparition de matires de synthse : poly. morphes, et d'objets non traditionnels : polyfonc tionnels) . . Mais elle ne va pas sans problmes : parce que la couleur s'affiche comme telle, elle est vite perue comme agressive : les modles ]a rpudient et :reviennent volontiers l'intriorit des teintes discrtes, dans le vtement et l'ameublement. Il y a comme une obscnit de la couleur que la moder nit, aprs l'avoir exalte au mme titre que l'cla

    ~ment des formes, semble apprhender au mme titre que la fonctionnalit pure. Nulle part le tra

    sans intriorit. C'est en relation avec le 1>tatut eocial d'objet de laifemme que le costume fminin penche -plus particu lirement vers les couleurs vives.

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  • , Les structures
  • 46 Le systme des objets Cependant, les deux compromis : la fuite dans

    le noir et blanc, et la fuite dans le pastel, s'ils expriment au fond le mme dsaveu de la couleur pure comme expression directe de la pulsion, ne le font pas selon le mme systme. Le premier se sys-tmatise en un paradigme noir/ blanc d'ordre net tement moral et anti-naturel, l'autre se systmatise en un registre plus large fond non plus sur l'anti-nature, mais sur la naturalit. Les deux systmes n'ont pas non plus la mme fonction. Le noir (le gris) a encore aujourd'hui valeur de distinction, de culture, oppose toute la gamme des couleurs vulgaires 1 Le blanc, lui, domine encore largement dans le secteur organique :.. Salle de bains, cui sine, draps, linge, ce qui est dans le prolongement immdiat du corps est vou depuis des gnrations au blanc, cette couleur chirurgicale, virginale, qui opre le corps de son intimit dangereuse lui mme et efface lee pulsions. C'est aussi dans ce sec-teur impratif de la propret et des travaux pri maires que les matires de synthse, le mtal lger, le formica, le nylon, le plastifie~ l'aluminium, etc., ont pris le plua grand essor et se sont imposes. Cer tes la lgret, l'efficacit pratique de ces matires y sont pour beaucoup. Mais cette facilit mme ne fait pas qu'allger le travail, elle contribue dsin vestir en valeur tout ce secteur primaire. Les formes simplifies, fluides, de nos rfrigrateurs ou autres appareils, leur matire allge, plastiqe ou arti

    J,. Dj cependant bien det sries de voitures ne ee font plue du tout en noir ; sauf pour le deuil ou le crmonial officiel, la eiviJisation amricaine ne connat pratiquement plas le noir (sauf le rinstaurer comme valeur combi natoire).

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  • Le& &tructure& tJ: ambiance 47

    ficielle sont bien aussi comme une blancheur >, un degr non marqu de la prsence de ces objets, qui affiche l'omission profonde, dans la conscience, de la responsabilit qui s'y rattache et des fonctions jamais innocentes du corps. Peu peu la couleur fait son apparition ici aussi : mais les rsistances sont profondes. De toute faon, les cuisines fussent elles. bleues ou jaunes, les salles de bains roses (ou noires : le noir c snob > en raction au blanc moral ),nous pouvons nous demander quelle nature ces couleurs font allusion. Lors mme qu'elles ne virent pas au pastel, elles connotent une certaine nature qui a son histoire, et qui est celle des loisirs et des vacances.

    Ce n'est pas la nature c vraie > qui vient transfi gurer l'ambiance quotidienne, ce sont les vacances, ce simulacre naturel, cet envers de la quotidiennet qui vit non pas de .nature, mais de l'ide de Nature, ce sont les vacances qui jouent comme modle et

    . dlguent leurs couleurs dans le domaine quoti dien primaire. C'est d'ailleurs dans l'ersatz d'envi ronnement naturel qui est celui des vacances (cara vane, tente, accessoires), vcu comme modle et champ de libert, que s'est affirme d'abord la ten dance la couleur vive, la plasticit, la prac ticit phmre des appareils, etc. Ayant commenc par transplanter son chez soi dans la Nature, on finit par implanter chez-soi les valeurs de loisir et l'ide de nature. Il y a l comme une fuite des objets dans le loisir : libert et irresponsabilit s'inscrivent la fois dan.a la couleur et dans le carac-tre transitif et insignifiant de la matire et des formes.

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  • 48 Le systme des objets

    La couleur fonctionnelle . ' Ainsi, aprs de brefs pisodes de libration vlo

    lente ( dans l'art surtout, et au fond assez timide-nrent dans le quotidien, sauf dans la publicit et le secteur commercial o joue fond le caractre prostitutif de la couleur), la couleur libre est tout tl' nltinte; de toute morale, de toute nature et ne rpondent plus qu' un impratif : le calcul d'ambiance.

    ~. Enfait, nous n'avons plus alors exactement affaire -!d'es coweurs, mais des valeurs plus abstraites : le " ton, la tonalit. Combinaison, assortiment, ontrastes'de tonalits constituent le vrai problme de l'ambiance en matire de couleur. Le bleu peut

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  • Les structures d'ambiance 49 1'ass.ocier au vert (toutes les co'uleurs sont combi nahles), .mais certains bleus seulement avec cer tains verts, et ce n'est plus alors une question de bleu ou de vert, c'est une question de chaud ou de froid. Simultanment, la couleur n'est plus ce qui souligne .chaque objet et l'isole dans le dcor~ les couleur,s sont des plages opposes, de moin&, n moins valorises dans leur qualit sensibli;l, disse).. cie souvent de la forme, et ce sont leurs diffren ces de ton qui vont rythmer une pice. De la mme faon que les meubles par lments perdent leur fonction spcifique pour ne plus valoir Ja limite que :par leur position mobile, ainsi les cou leurs perdent leur valeur singulire et deviennent obligatoirement relatives les unes aux autres, 't ' l'ensemble : ce qu'on entend en disant qu'elles sont .fonctionnelles .

    -:- La structure des siges a t peinte dans le mme ton que les murs, tandis que celui du recou vrement se retrouve dans les tentures. Accord dans les tom froids, blanc cass et bleu, mais qulques accents apportent la contrepartie chaude ; le cadre dor du miroir Louis XVI, le bois cJair de la table, le parquet et les tapis souligns de rouge vif... Le rouge tablit comme un courant ascen dant : rouge du tapis, rouge du sige, rouge du coussin, qui s'oppose au courant descendant des bleus : tentures, canaps, siges. (Betty Pepy&, Le Guide pratiqe de la. dcoration, p. 163.)

    - Fond neutre blanc mat coup de grandes s~rfaces bleues (au plafond). Ce blanc et ce bleu se retrouvent dans l'agencement dcoratif : table en. marbre blanc, paroi cran . Un accent chaud :

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  • 50 Le systme des objets les portes rouge vif du meuble bas de rangement. En fait, nous nous trouvons dans un volume trait en couleurs franches, dpourvu de tons nuancs ou doux (toute la douceur s'tant rfugie dans le tableau gauche), mais quilibr par de larges zones blanches lP 179), etc. Le petit jardin tropical intrieur est rythm en mme temps que protg par une dalle de verre maill noir. > (Notons que le noir et le blanc n'ont plus rien ici de leur valeur traditionnelle, ils s'vadent de l'oppo-sition blanc/ noir pour prendre une valeur tactique dans la gamme tendue de toutes les couleurs.) Si nous considrons par ailleurs ce conseil : Vous choisissez telle couleur parce que votre mur est grand ou petit, perc de tant ou tant de portes, parce que vos meubles sont anciens ou modernes, taills dans des essences europennes ou exotiques, ou encore pour d'autres raisons bien prcises... > (p. 191), il apparat que ce troisime stade est bien celui d'une objectivit de la couleur : strictement parlant elle n'est plus qu'une donne plus ou moins complexe parmi d'autres, un lment de solution. Encore une fois, c'est en cela qu'elle est fonction nelle >, c'estdire ramene un concept abstrait de calcul.

    Le chaud e~ le froid.

    L' c: ambiance > . repose en matire de couleurs sur l'quilibre calcul des tons chauds et des tons froids. Opposition significative fondamentale. Elle

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  • Le$ structures. d'ambiance contribue, avec quelques autres : lments/ siges 1, rangement/ ambiance, donner au systme discur sif de l'ameublement une grande cohrence, et en faire par l une catgorie directrice du systme

    ( global des objets. (Nous verrons que cette cohrence n'est peut-tre que celle d'un discours manifeste, sous lequel un discours latent mne sans cesse ses contradictions.) Pour en revenir la chaleur des tons chauds, ce n'est certes plus une chaleur de c9.nfiance, d'intimit, d'affection, chaleur organique mane des couleurs et des substances. Cette cha le~r-l avait sa densit pre>pre et ne requrait pas

    d~ t~ns froids pour s'y opposer significativement. Au lieu qu'aujourd'hui il faut des tons chauds et des tons froids .pour jouer dans chaque ensemble en

    interf~.rence avec la. structure et la forme. Quand notJs lisons La chaleur des matriaux donne une intimit ce bureau bien organis ou encore 'Portes en palissandre du Brsil huil mat. coupes jts, elle n~j.t de l'al~rnance systmatiqu,e, dd syti~hronie abstraite_.d continuel chau,d~e..t f ro.id . >, le chaleure~ > y. est sans .. cesse tff .~. Cest une chaleur signifie, et qui par l mme ne

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  • 52 Le systme_ des objets se ralise jamais. Ce qui caractrise cette chaleur, c'est l'absence de tout foyer.

    LES VALEURS D'AMBIANCE LE MATRIAU

    Bois naturel, bois culturel.

    La mme analyse vaut pour le matriau. Le bois par exemple, si recherch aujourd'hui par nostal-gie affective : car il tire sa substance de la terre, il vit, il respire, il travaille >. Il a sa chaleur latente, il ne fait pas que rflchir comme le verre, il brle par le dedans ; il garde le tempe dans ses fibres, c'est le contenant idal, puisque tout contenu est quelque chose qu'on veut soustraire au tempe. Le bois a son odeur, il vieillit, il a mme ses parasite, etc. Bref, ce matriau est un tre. Telle est l'image du plein chne > qui vit en chacun de nous, vo-catrice de gnrations successives, de meubles lourds et de maisons de famille. Or, la chaleur > de ce bois (et aussi bien de la pierre de taille, du cuir naturel, de la toile crue, du cuivre battu, etc., tous ces lmenf.8 d'un rve matriel et maternel qui alimentent aujourd'hui une nostalgie de luxe), garde-t-elle aujourd'hui son sens ?

    De nos jours, toutes les manires organiques ou naturelles ont pratiquement trouv leur quivalent fonctionnel dans des substances plastiques et poly morphes 1 : laine, coton, soie ou lin ont trouv leur

    1. Ralisation au moins partielle du mythe substantialiste qui, ds le xv1' sicle, s'inscrivait dans le stuc et la dmiurgie

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  • Les structures d'ambiance 53

    substitut uniyersel dans le nylon ou ses innotnbra bles variantes. Bois, pierre, mtal cdent la place au bton,. formica et pofystyrne. Il n'est pa!! question de renier cette volution et de rver idalement de la substance chaleureuse et humaine des objets de jadis. L'opposition substances natures/ substances de synthse tout comme l'opposition couleur tradi tionnelle/ couleur vive, n'est qu'une opposition morale. Objectivement, les substances sont ce qu'elles sont : il n'y en a pas de vraies ou de faus ses, de naturelle$ ou d'artificielles. Pourquoi le bton serait-il moins authentique que la pierre ? Nous prouvons des matires synthtiques ancien nes telles que le papier comme tout fait naturelles, et le verre est une des matires les plus riches qui soient. Au fond. il n'y a de noblesse hrditaire de la matire que pour une idologie culturelle ana logue celle du mythe aristocratique dans l'ordre humain, et mme ce prjug culturel s'efface avec le temps.

    L'important est de voir, en dehors des perspec tives immenses que ces matires nouvelles ont ouvertes . la pratique, en quoi elles ont modifi le sens > des matriaux.

    De mme que le passage aux tonalits (chaudes c mondaine > du baroque : couler Je monde entier dans une matire toute faite. Ce mythe substantialiste est un des aspects du mythe fonctionnaliste dont nous parlons par ail leurs : c'est l'quivalent sur le plan de la substance de l'automatisme sur le plan des fonctions : une machine de toutes les machines supplerait tous les gestes h.umains -instaurerait un univers de synthse. Cependant, le rve ~uh~tantiel est l'aspect le plus primitif, le plus rgressif du myrhe : c'est l'alchimie tranm1b~tantiatrire, phase ant~ rieure l'poque mranicienne.

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  • ou fr~ides ou intermdiaires) signifie pour les cou leurs un dgagement de leur statut moral et symho J.ique vers une abstraction qui rend possible la sys tmatique et le jeu, de mme la fabrication de syn thse signifie pour le matriau un dgagement de son symbolisme naturel vers un polymorphisme, degr d'abstraction suprieure o devient possible un jeu d'association universelle des matires, et donc un dpassement de l'opposition formelle matires naturelles/ matires artificielles : il n'y a plus de .diffrence 'de nature aujourd'hui entre

    . la paroi de thermoverre et le bois, le bton brut et et le cuir ' : valeurs chaudes ou valeurs froi des >,.ce sont tous au mme titre des matriauxl m~nts. Ces matriaux en soi disparates sont homo gnes comme signes culturels et peuvent s'instituer en -systme cohrent. 1:-eur abstraction permet de les combiner merci 1

    Lq. Jqgique de r ambiance.

    Couleurs, substances, volumes, espace, c;e dis cours d'ambiance > affecte en mme tempe tous les

    lm~nts dans un grand remaniement systmti 1. L est la diffrence radicale entre le c plein chne >

    traditionnel et:le .bois -.de teck : ce n'est pas son origine, son el(otisme .o.o so_n prix qui distinguent foncirement ce i)er nier, c'est son nsage fin d'ambiance, qui fait qu'il n'est justement plus une substance naturelle primaire, dense et doue de chaleur, mais biell -un simple signe culturel . de cette chaleur, et rinvesti - titre de signe, comme tant

    ~'!lutres matires C npb}es >, dans le systme de l'intrieur moderne. Non plue boieml)tire, mais-bois-lment. Non plus qualit de prsence, mais valeur d'ambiance.

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  • Les st1w;ture~ d!.ambiance 55 que : c'est parce que les meubles sont devenus l-n1ents mobiles dans un espace dcentralis, c'est plirce qu'ils ont une structure plus lgre d'assem blage et de placage qu'ils requirent en mme temps des bois plus abstraits : teck, acajou, palissan dre ou bois. scandinave 1, Et il se trouve que la cou-le,ur de ces bois n'.est plus aussi celle traditionnelle du bois, mais apparat .dans des variantes plus clai rea, plus sombres, souvent vernies, laques ou volon tairement brutes , peu importe : la couleur comme le matriau sont abstraits et l'objet d'une manipulation mentale, en mme temps que le reste. Tout l'environnement moderne passe ainsi en bloc au niveau d'un systme de signes : l'AMBL\NCE, qui ne .. rsulte plus du traitement particulier d'un des lments. Ni de sa beaut . ni de sa laideur. Cej. valait pour le systme incohrent et subjectif des gts et des couleurs, dont on ne discute pas . Dans le systme cohrent actu.J, c'est au niveau des contraintes. d'abstraction et d'association que se situe la russite d'un en.semble. Que vous aimiez le bois de teck ou non, il faut aJmettre qu'il y a coh& rence de ce bois de teck , l'organisation par l ments, cohrence de la teinte du teck la surface

    plan~, c,lonc aussi . un certain rythme de l'es pace, etc., et que c'est l la loi du systme. Il n'est p,a,sjusqu'au vieil objet, jusqu'au meuble rustique :.:. 1 . _Bois techni.~uement mieux adapt.s au placage et 1'11s, smblage qe le chne : certes. Il faut dire aussi que l'eJCo tisme joue ici le mme rle que le concept de vacances dans les couleurs vives : un mythe d'vasion naturelle. Mais au fond, l'essentiel est qu' cause de tout cela, ces bois soient d.es bois seconds ,, .. qui portent en eux une abstraction culturelle, et pufosent ainsi obir la logique du systm~.

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  • 56 Le systme des objets en plein bois ,jusqu'au bibelot prcieux ou arti sanal qui ne rentrent dans le jeu et ne tmoignent de la possibilit illimite d'intgration abstraite. Leur prolifration actuelle n'est pas une contra diction au systme' : ils y entrent trs exactement comme les matires et les couleurs les plus moder-nes > titre d'lments d'ambiance. Seul un. juge ment traditionnel et au fond naf peut trouver incohrente la rencontre sur un bahut plaqu teck d'un cube futuriste de mtal brut et du bois pourri d'une statue du XVI. Simplement la cohrence n'est plus ici celle, naturelle, d'une unit de got : c'est celle d'un systme culturel de signes. Mme une pice provenale :., mme un salon Louis XVI authentique ne tmoignent que d'une vaine nostal gie d'chapper au systme culturel contemporain : l'une et l'autre sont aussi loin du c style >dont ils se rclament que n'importe quelle .table en formica ou sige en ska et fer noir. La poutre au plafond est aussi abstraite que le tube chrom ou la paroi d'Emaug]as. Ce que le nostalgique prend pour tota lit authentique de l'objet n'est encore que variante combinatoire, ce que signale le langage en parlant dans ce cas d' c ensemble > rustique ou de style. Le terme d' c ensemble >, corrlatif d' ambiance > rintroduit tout lment possible, qllelle que soit la subjectivit investie, dans la logique du systme. Que ce systme soit affect en mme tempe de connotations idologiques et de motivations laten-tes, c'est certain, et nous y reviendrons. Mais que sa

    1. EJle signale cependant une dfaillance du systme; maie intgre. Cf. sur ce point, plus loin : c L'objet ancien >

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  • Les structures tf ambiance 57 logique - celle d'une combinatoire de signes eoit irrversible et illimite est indniable. Nul objet ne peut s'y soustraire, de mme que nul pro-duit n'chappe la logique formelle de la marchan dise.

    Un matriau modle : le verre.

    Un matriau rsume ce concept 'd'ambiance, o on peut voir comme une fonction moderne univer-selle de l'environnement : le VERRE. C'est, selon la publicit, le matriau de l'avenir >, qui eera transparent >, comme chacun sait : le verre est donc la fois le matriau et l'idal atteindre, la fin et le moyen. Ceci pour la mtaphysique. Ct psychologique (dans son usage la foie pratique et imaginaire) : c'est le rcipient moderne idal : il ne prend pas le got >, il n'volue pae avec le temps en fonction du contenu (comme le bois ou le mtal) et ne fait pas mystre de ce contenu. Il coupe c.ourt toute confusion et n'est pas conduc teur de ]a chaleur. Au fond, ce n'est pae un rci pient, c'est un isolant, c'est le miracle d'un fluide fixe, donc d'un contenu contenant et fondant par l la transparence de l'un et de l'autre : dpasse-ment dont nous avons vu que c'est le premier imp-ratif de l'ambiance. Il y a par ailleurs dans le verre~ la foie la symbolique d'un tat second et celle d'un degr zro du matriau. Symb1>lique de la conglation, donc de l'abstraction. Cette abetrac tion introduit celle du monde intrieur : sphre de cristal de la fo]ie, celle de l'avenir : boule de

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  • 58 Le systme des objets cristal . de la voyance - celle du monde de .Ja nature : . par le microscope et le tlescope, l'il accde.-aux mondes diffren~. Par ailleurs, indes tructible, imputrescible, incolore, inodore, etc., le verre est bien une espce de degr zro de la matire : ce que le vide est l'air, le verre l'est la matire. Cette valeur de jeu et de calcul lie l'abstraction, nous l'avons reconnue dans le systme de l'ambiance. Mais surtout, le verre matrialise au

    plus .haut point l'ambigut fondamentale de l' ambiance : celle d'tre la fois proximit et distance, intimit et refus de l'intimit, communi cation et non-communication. EmbalJage, fentre, ou paroi, le verre fonde une transparence sans tran sition:: on voit, mais on ne peui toucher. La com munication est universelle et abstraite. Une vitrine, c'est ferie et frustration, c'est la stratgie mme de la publicit. La transparence des produits comes tibles en bocal : satisfaction formelle, collusion visuelle, maie au fond relation d'exclusion. Le verre, trs exactement comme l'ambiance, ne laisse trans-par.atre que le signe de son contenu et s'interpose dans sa transparence, tout comme le systme de l'ambiance dans sa cohrence abstraite, entre la matrialit des choses et ]a matrialit des besoins. Sans compter la vertu cssentiel1e, qui est morale ~ sa :, puretf sa loyaut, son objectivit, l'immense c.onnotation hyginique et prophylactique qui en fait vraiment le matriau de l'avenir, un avenir de dsaveu de son propre corps et des fonctions pri maires et organiques au profit d'une objectivit radieuse et fonctionnelle dont l'hygine est la ver sion morale pour le corps.

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  • Les structures d'ambiance 59 - Vivre dans un jardin en intimit avec la

    nature, prouver totalement le charme de chaque eaison sans renoncer au confort d'un intrieur moderne - cette nouvelle version du paradis terres tre est le privilge des maisons largement vitres. >

    - Les briques et pavs de verre sertis dans le bton permettent de construire des murs, des cloi sons, des votes, des plafonds translucides, aussi soli des que s'ils taient en pierre. Ces transparoie > ee laissent traverser par la lumire qui circule ainsi librement dans toute la maison. Mais elles bronil lent les images et protgent ainsi l'intimit de cha que pice. -. _

    On voit que la symbolique ternelle de la mai eon de verre > est toujours prsente, mais perd d son sublime dans la modernit. Les prestiges de la transcendance ont cd. la place ceux de l'am biance (de mme que pour le miroir). Le verre offre des possibilits de communication acclre entre l.'intrieur et l'extrieur, mais simultanment il ins-titue une ' csure invisible et matrielle, qui emp-che que cette communication devienne une ouver ture relle sur le monde. En fait, les maisons de verre > modernes ne sont pas ouvertes sur l'ext-

    rie~ :. c'est le monde extrieur, 1a nature, le pay sage qui viennent au contraire, grce au verre et l'abstraction du verre, transparatre dans l'intimit, 4!ms le d.omaine priv, et y jouer librement > titre d'lment d'ambiance. Le monde entier rin

    ~gr~. dans l'univers domestique comme spectacle~. 1. L'ambigut du verre ressort clairement lorsqu'on pane

    de l'habitat la consommation et au conditionnement, o son usage s'amplifie toua les jours. L encore, le verre a

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  • 60 Le systme des objets

    L'HOMME DE RELATION ET D'AMBIANCE

    L'analyse des couleun et des matriaux nous mne ds maintenant quelques conclusions. L'alternance systmatique du chaud et du froid dfinit au fond le concept mme de l' c am biance >, qui est toujours la fois chaleur et dis tance.

    L'intrieur d' ambiance > est fait pour que joue entre les tres la mme alternance chaleur non chaleur, intimit-distance, qu'entre les objets qui le toutes les vertua : il dfend le produit contre la contagion, ne Jai66e passer que le regard. c Bien contenir et laisser voir > : c'est 1a dfinition idale du conditionnement. Prt toua les moulagea, le verre doone ses chances illimites l'esthtique. Il c habillera > demain les primeure et les fruits, qui garderont grce lui 1a fracheur de l'aurore. Il enveloppera de sa transparence notre bifteck quotidien. I.nvi 1ihle et partout prsent, il rpondra la dfinition d'une vie plua belle et plus claire. De plus, quel que soit son destin. il ne peut jamais tre un dtritus, puisqu'il n'a pas d'odeur. C'est un matriau c noble >. Cependant, on engage le consommateur le jeter aprs usage, c ni consigne ni retour >. Le verre pare de son prestige c indestructible > l'achat, mais il doit tre dtruit immdiatement, Y a-til contradiction ? Non : le verre joue bien toujours son rle d'lment d'ambiance, mais cette ambiance prend ici son sens ccTnomique prcis : c'est le conditionnemenL Le verre fait vendre. il est fonctionnel, mais il doit tre consomm lui aussi, et sur un rythme acclr. La fonctionnalit psycho-logique du verre (sa transparence, sa puret) est totalement reprise et immerge dans sa fonctionnalit conomique. Lo sublime joue comme motivation d'achat.

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  • Les structures '1 ambiance 61

    composent. Ami ou parent, famille ou client, une certaine relation est toujours de rigueur, mais elle doit rester mobile et fonctionnelle : c'est-a-dire qu'elle soit tout moment possible, mais que la sub jectivit en soit rsolue : les divers types de rela tions doivent pouvoir s'changer librement. Telle est la relation fonctionnelle, dont le dsir est (tho riquement) absent : il est dmobilis au profit d'une ambiance 1 C'est l que commence l'ambi gut 1

    Les siges.

    De cett ambigut tmoignent les objets qui eignifient le mieux la relation d'ambiance : les si ges, que nous voyons alterner constamment, dans le systme du mobilier contemporain, avec les l ments. Ces deux termes dans leur opposition concr tisent celle des deux concepts majeurs de rangement et d'ambiance (mais n'en sont pas les supports exclusifs).

    La moindre fonction des innombrables siges qui remplissent les revues de mobilier et de dcora

    1. La sexualit ellemme dans sa conception moderne rejoint ce type de relation : diffrente de la sensualit, qui est chaleureuse et instinctuelle, la sexualit est CHAUDE ET FROIDE : c'est par l qu'elle devient. au lieu d'tre passion, pure et simple valeur d'ambiance. Mais c'est par l anssi qu'elle devient discours au lieu de se perdre en effusion.

    2. Dans le systme des objets comme dans tout systme vcu, 1es grandes oppositions structurelles sont toujours en effet autre chose que cela : ce qui est opposition structurelle 11u niveau du systme peut tre rationalisation coh~rente d'on conflit.

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  • 62 Le systme des objets iion est: sans doute de permettre aux gens de t.1.asseoir. S'asseoir pour se reposer, s'asseoir une table pour y manger. La chaise ne gravite plus autour de la table. C'est le sige aujourd'hui qui pr.cnd son sens propre et auquel se subordonnent les l;lllbles basses. Or, ce sens n'est plus de posture cor porelle, mais de position rciproque des interlocu teure. La disposition gnrale des siges et l'change abtil des,poeitions au cours d'une soire par exem-ple, constitue soi seul un discours. Les siges modernes (du pouf au canap, de la banquette au fauteuil-relaxe) mettent partout l'accent sur la sociabilit et l'interlocution : loin d'accuser la posi tion assise dans ce qu'elle peut avoir de spcifique de la confrontation, ils favorisent une espce de position universelle de l'tre social moderne. Plue de lite pour tre couch, plus de chaises pour tre assis 1, mais des siges fonctionnels > qui font de toutes les positions (et donc de toutes les relations humaines) une synthse libre. Tout moralisme en est .e1(clu : vous ne faites plus face personne. Impossible de s'y mettre en colre, impossible d'y dbattre ou d'y chercher convaincre. Ils condi tionnent une socialit assouplie, sans exigence, ouverte, mais sur le jeu. Du fond de ces siges, vous n'avez plus soutenir le regard d'autmi ni fixer le vtre sur lui : ils sont ainsi faits que les regarda S:Qnt. justifis de n'avoir qu' se promener sur les autres personnes, l'angle et la profondeur du sige ,J;amenant naturellement , les regards mi

    . 1. Seules, devant la table o on mange, les chaises se font droites et prennent une connotation paysanne: mais c'eet 'l uo processus culturel rflexe.

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  • Les structures d'ambiance 63 hauteur, une altitude diffuse o ils sont rejoint& par les paroles. Ces siges rpondent peut-tre une proccupation fondamentale : n'tre jamais seul, mais jamais non plus face face. Dcontraction dn corps mais surtout mise au vert du regard, dimeri aion prilleuse. La socit moderne, en nous dga:. geant trs largement de la promiscuit des fonctions primaires, accuse la promiscuit des fonctions secon daires, accuse la promiscuit des regards et leur dimension tragique. Aussi, de mme que les exi gences primaires sont voiles, tout est-il fait pour ter la socialit ce qu'elle pourrait avoir d'abrupt; de contradictoire, et au fond d'obscne, qui est ]e jeu direct de ragressivit et du dsir dans le regard.

    Le binme lments/siges nous livre donc un systme complet : travers les lments, l'homme moderne tient son discours organisationnel, du fond de ses siges il poursuit son discours relationne' . Ainsi l' homme de rangement se double touJo~s

    d~ l' homme de relation et d'ambiance > ...,..:... l'ensemble constituant l'homme fonctionnel :.. .

    Culturalit et ce~ure.

    Non seulement pour les siges, mais pour" totts le objets, la culturlit est aujourd'hui de rigueli~

    1. Ou t~ut simplement passif : car n'oublions pas que, dans la publicit mobilire, l'impratif actif de rangement le cde de loin la suggestion passive de relaxation. L'am bi11nce, l aussi,. est ambigu : c'est un concept actif et passif. L'homme fonctio.nnel est d'avance .fatigu. Et les million&' de siges de cuir ou Dunlopillo, tous plus profonds les uns que les autres, qui hantent de leurs vertus modernes d'ambiance

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  • Le systme des objets au mme titre que le calcul Jadis, les meubles avouaient leur fonction. Celle, nourricire et fon damentale, de la maison, se lit sans ambages dans les tables et les buffets, lourds, ventrus, sursigni , fiant maternellement. Si leur fonction tait tabou, ils s'clipsaient absolument, comme le lit dans l'alcve. Mme encore le lit de milieu affiche la conjugalit bourgeoise (non la sexualit videm ment). Aujourd'hui plus de lit ; il est devenu sige, divan, canap, banquette, ou bien il s'efface dans la cloison, non plus par interdit moral, mais par abstraction logique 1 La table se fait basse, se dcentre, ne pse plus. La cuisine entire perd sa fonction culinaire et devient . laboratoire fonction nel. Et ceci est un progrs, puisque l'environne ment traditionnel dans sa franchise tait aussi

    et de relantion les pages des revues de luxe, sont comme l'immense nvi1e de la civlisalion fu1ure la rsolution des tensions et l'euphorie apaise du septime jour. Toute l'idologie de celle civilisation, la fois lointaine et immi nente dans les modles, est dans ces images d'une modernit aussi idyllique que les bergeries anciennes, o l'habitant contemple son ambiance du fond moelleux de son sige. Ayant rsolu ses passions, ses fonctions, ses conlradictions, et n'ayant plus que des relations, un syslme de relations dont il retrouve la struclure dans un systme d'objets, ayllnt fait nailre l'espace aulour de lui et c cr > les multiples possibilits d'intgration des lmenls l'ensemble de la pice comme de luimme l'ememble social, ayant ainsi reconslitu un monde disculp des pulsions et des fonctions primaires, mais lourd de connotations sociales de calcul el de prestige, notre habitant moderne, fatigu au terme de cet effort. bercera son ennui au creux d'un sige qui pousera les formes de eon corps. .

    1. Sauf le rintroduire sous une telle connotallon cuita relie que l'obscnit en est circoncise : Je vieux lit de milieu xvm espagnol. (Sur ce poinl, voir plus loin : c L'objet anrien >.)

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  • Les .structures &ambiance 65

    celui de l'oh!lession morale et de la difficult ma-trielle . de vivre. Nous llommes plus libres dans les intrieurs modernes. Mais ceci se double d'un formalisme plus subtil et d'une nouvelle morale : tout signifie la transition oblige du manger, du dormir, du procrer, au fumer, au boire, au rece voir, au discourir, au regarder et au lire. Les fonc tions viscrales s'effacent devant les fonctions culturalises. Le buffet contenait du linge, de la vaisselle, de la nourriture, les lments fonction nele sont, eux, vous aux livres, aux bibelots, au bar, au vide. Le terme raffin >, qui est avec fonctionnel un des termes-chocs de la dcoration dirige, rsume clairement cette contrainte de cul ture. Les pices ont chang les symboles de la famille contre les indices de la relation sociale. Elles ne sont plus le dcor solennel de l'affection, mais celui, tout aussi rituel, de la rception. A lire de prs les meubles et les objets contempo-rains, on voit qu'ils conversent dj avec le mme talent que le feront les invits du soir, qu'ils se mlent et . se dnouent avec la mme libert -et .. qu'il n'est . pas besoin de travailler pour vivre.

    Certes, la culture a toujours jou ce rle idolo gique d'apaisement : sublimer les tensions lies au rgne des fonctions, pourvoir, audel de la matrialit et des conflits du monde rel, la reconnaissance de l'tre dans une forme. Cette forme, qui tmoigne envers et contre tout d'une finalit et assure la rminiscence vivante de .J'en veloppement fondamental, est sans doute plus urgente ~ncore dans une civilisation technique. Simplement, comme la ralit qu'elle reflte et

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  • 66 Le systme des objets dsavoue en mme temps, cette forme aujourd'hui ae systmatise : une technicit systmatique rpond une culturalit systmatique. C'est cette culturalit systmatique au niv~au des objets que nous appelons l' AMBIANCE.

    LES VALEURS D'AMBIANCE LE GESTUEL ET LES FORMES

    Lol'8que, toujours dans l'analyse des valeurs d'ambiance, on aborde l'tude des formes fonc