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L’échelle pK HB de basicité de liaison hydrogène des amines tertiaires aliphatiques Jérôme Graton, François Besseau, Michel Berthelot, Ewa D. Raczy½ska et Christian Laurence Résumé : Le pouvoir accepteur de liaison hydrogène (liaison H) de 40 amines tertiaires a été mesuré à partir de leurs constantes de complexation 1:1 avec le 4-fluorophénol dans CCl 4 à 25°C (échelle pK HB ) par spectrométrie infrarouge à transformée Fourier (IRTF), ainsi qu’au moyen du déplacement de fréquence (OH) de la bande (OH) méthanol complexé par liaison H avec ces amines. La comparaison des échelles de basicité de liaison H thermodynamique pK HB et spectroscopique (OH) et de basicité de Brønsted pK a met en évidence la grande sensibilité de l’échelle pK HB aux effets stériques, et l’absence de corrélation entre les échelles pK HB et pK a . L’échelle pK HB des amines tertiaires s’étend de 2,71 pour la quinuclidine à –0,34 pour la N,N-diisopropyl-3-pentylamine. Les principaux effets expliquant ces varia- tions (17 kJ·mol –1 sur une échelle d’enthalpie libre) sont les effets inductifs électroattracteurs et les effets stériques (e.g., ouverture des angles CNC et difficulté plus grande de la fixation du groupe OH sur les paires libres de l’atome d’azote). Les spectres infrarouges (IR) montrent que le 4-fluorophénol, outre sa fixation sur l’azote amino, se fixe également sur l’azote nitrile des amino-nitriles Me 2 NCH 2 C N et Me 2 NCH 2 CH 2 C N, sur l’oxygène de la N- méthylmorpholine, et sur les sites des tripropargylamine (HC CCH 2 ) 3 N et tribenzylamine (PhCH 2 ) 3 N. Dans ce der- nier cas, les effets inductifs des trois substituants benzyle et surtout l’exceptionnel encombrement stérique de l’azote réduisent quasiment à néant sa basicité de liaison H, de telle sorte que la tribenzylamine, base de Brønsted azotée, se comporte essentiellement comme une base de liaison H. À partir de cet exemple, on insiste sur les différences importantes entre les échelles pK HB et pK a des bases organiques. Mots clés : basicité, liaison hydrogène, amines tertiaires, échelle pK HB . Abstract: The hydrogen bond acceptor strength of 40 tertiary amines has been measured by Fourier transform – infrared (FTIR) spectrometry from their 1:1 complexation constant towards 4-fluorophenol in CCl 4 at 25°C (the pK HB scale). Also measured was the frequency shift, (OH), of the (OH) band of methanol hydrogen-bonded to these amines. The comparison of the thermodynamic hydrogen bond basicity scale, pK HB , with the spectroscopic one, (OH), and with the Brønsted pK a scale, points to the great sensitivity of pK HB to steric effects. The pK HB scale of tertiary amines extends from 2.71 for quinuclidine to –0.34 for N,N-diisopropyl-3-pentylamine. The main factors gov- erning this important variation (17 kJ·mol –1 on the Gibbs energy scale) are the electron-withdrawing inductive effect and various kinds of steric effects (e.g., opening of the CNC angles and hindrance to OH fixation on the nitrogen lone pair). Infrared (IR) spectra show the attachment of 4-fluorophenol to the nitrile nitrogen of Me 2 NCH 2 C N and Me 2 NCH 2 CH 2 C N, to the oxygen of N-methylmorpholine, and to the electrons of (HC CCH 2 ) 3 N and (PhCH 2 ) 3 N, in addition to the attachment to the amino nitrogen. In (PhCH 2 ) 3 N, the electron-withdrawing effect of the three benzyl substituents and, mainly, the very important congestion of the nitrogen lone pair reduce the nitrogen hydrogen-bond ba- sicity almost to nothing, so that tribenzylamine, a nitrogen Brønsted base, turns to a base in hydrogen bonding. From this example, the large differences between the pK HB and pK a scales of organic bases are emphasized. Key words: basicity, hydrogen bonding, tertiary amines, pK HB scale. Graton et al. 1385 Introduction Nous construisons actuellement (1) une échelle thermo- dynamique du pouvoir accepteur de liaison hydrogène (liai- son H) des molécules organiques. Cette échelle repose sur la constante de formation de liaison H entre ces bases organiques et un donneur de liaison H de référence, dans des conditions standard de solvant, de température et de stœchiométrie. Reprenant l’idée originale de Gurka et Taft (2), nous mesurons cette échelle, notée pK HB et appelée Can. J. Chem. 80: 1375–1385 (2002) DOI: 10.1139/V02-176 © 2002 CNRC Canada 1375 Reçu le 21 juin 2002. Publié sur le site Web des Presses scientifiques du CNRC à http://revcanchimie.cnrc.ca le 31 October 2002. J. Graton, F. Besseau, M. Berthelot et C. Laurence 1 . Université de Nantes. Laboratoire de Spectrochimie. Faculté des Sciences et des Techniques, 2, rue de la Houssinière, B. P. 92208, 44322, Nantes CÉDEX 3, France. E.D. Raczy½ska. Department of Chemistry, Warsaw Agricultural University, 02776 Warsaw, Pologne. 1 Auteur correspondant (courriel : [email protected]).

L'échelle p K HB de basicité de liaison hydrogène des amines tertiaires aliphatiques

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L’échelle pKHB de basicité de liaison hydrogènedes amines tertiaires aliphatiques

Jérôme Graton, François Besseau, Michel Berthelot, Ewa D. Raczy�ska etChristian Laurence

Résumé : Le pouvoir accepteur de liaison hydrogène (liaison H) de 40 amines tertiaires a été mesuré à partir de leursconstantes de complexation 1:1 avec le 4-fluorophénol dans CCl4 à 25°C (échelle pKHB) par spectrométrie infrarouge àtransformée Fourier (IRTF), ainsi qu’au moyen du déplacement de fréquence ��(OH) de la bande �(OH) méthanolcomplexé par liaison H avec ces amines. La comparaison des échelles de basicité de liaison H thermodynamique pKHB

et spectroscopique ��(OH) et de basicité de Brønsted pKa met en évidence la grande sensibilité de l’échelle pKHB auxeffets stériques, et l’absence de corrélation entre les échelles pKHB et pKa. L’échelle pKHB des amines tertiaires s’étendde 2,71 pour la quinuclidine à –0,34 pour la N,N-diisopropyl-3-pentylamine. Les principaux effets expliquant ces varia-tions (17 kJ·mol–1 sur une échelle d’enthalpie libre) sont les effets inductifs électroattracteurs et les effets stériques(e.g., ouverture des angles CNC et difficulté plus grande de la fixation du groupe OH sur les paires libres de l’atomed’azote). Les spectres infrarouges (IR) montrent que le 4-fluorophénol, outre sa fixation sur l’azote amino, se fixeégalement sur l’azote nitrile des amino-nitriles Me2NCH2C�N et Me2NCH2CH2C�N, sur l’oxygène de la N-méthylmorpholine, et sur les sites � des tripropargylamine (HC�CCH2)3N et tribenzylamine (PhCH2)3N. Dans ce der-nier cas, les effets inductifs des trois substituants benzyle et surtout l’exceptionnel encombrement stérique de l’azoteréduisent quasiment à néant sa basicité de liaison H, de telle sorte que la tribenzylamine, base de Brønsted azotée, secomporte essentiellement comme une base � de liaison H. À partir de cet exemple, on insiste sur les différencesimportantes entre les échelles pKHB et pKa des bases organiques.

Mots clés : basicité, liaison hydrogène, amines tertiaires, échelle pKHB.

Abstract: The hydrogen bond acceptor strength of 40 tertiary amines has been measured by Fourier transform –infrared (FTIR) spectrometry from their 1:1 complexation constant towards 4-fluorophenol in CCl4 at 25°C (the pKHB

scale). Also measured was the frequency shift, ��(OH), of the �(OH) band of methanol hydrogen-bonded to theseamines. The comparison of the thermodynamic hydrogen bond basicity scale, pKHB, with the spectroscopic one,��(OH), and with the Brønsted pKa scale, points to the great sensitivity of pKHB to steric effects. The pKHB scale oftertiary amines extends from 2.71 for quinuclidine to –0.34 for N,N-diisopropyl-3-pentylamine. The main factors gov-erning this important variation (17 kJ·mol–1 on the Gibbs energy scale) are the electron-withdrawing inductive effectand various kinds of steric effects (e.g., opening of the CNC angles and hindrance to OH fixation on the nitrogen lonepair). Infrared (IR) spectra show the attachment of 4-fluorophenol to the nitrile nitrogen of Me2NCH2C�N andMe2NCH2CH2C�N, to the oxygen of N-methylmorpholine, and to the � electrons of (HC�CCH2)3N and (PhCH2)3N, inaddition to the attachment to the amino nitrogen. In (PhCH2)3N, the electron-withdrawing effect of the three benzylsubstituents and, mainly, the very important congestion of the nitrogen lone pair reduce the nitrogen hydrogen-bond ba-sicity almost to nothing, so that tribenzylamine, a nitrogen Brønsted base, turns to a � base in hydrogen bonding. Fromthis example, the large differences between the pKHB and pKa scales of organic bases are emphasized.

Key words: basicity, hydrogen bonding, tertiary amines, pKHB scale.

Graton et al. 1385

Introduction

Nous construisons actuellement (1) une échelle thermo-dynamique du pouvoir accepteur de liaison hydrogène (liai-son H) des molécules organiques. Cette échelle repose sur la

constante de formation de liaison H entre ces basesorganiques et un donneur de liaison H de référence, dans desconditions standard de solvant, de température et destœchiométrie. Reprenant l’idée originale de Gurka et Taft(2), nous mesurons cette échelle, notée pKHB et appelée

Can. J. Chem. 80: 1375–1385 (2002) DOI: 10.1139/V02-176 © 2002 CNRC Canada

1375

Reçu le 21 juin 2002. Publié sur le site Web des Presses scientifiques du CNRC à http://revcanchimie.cnrc.ca le 31 October 2002.

J. Graton, F. Besseau, M. Berthelot et C. Laurence1. Université de Nantes. Laboratoire de Spectrochimie. Faculté des Scienceset des Techniques, 2, rue de la Houssinière, B. P. 92208, 44322, Nantes CÉDEX 3, France.E.D. Raczy�ska. Department of Chemistry, Warsaw Agricultural University, 02776 Warsaw, Pologne.

1Auteur correspondant (courriel : [email protected]).

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échelle de basicité de liaison H, à partir de la formation decomplexes 1:1 du 4-fluorophénol dans CCl4 à 25°C dans letétrachlorure de carbone (équations [1]-[3]). Le choix

[1] B + 4-FC6H4OH � 4-FC6H4OH···B

[2]Kc

3 16 4

6 4dm mol[4 FC H OH B][B][4 FC H OH]�

�� � � �

��

[3] pKHB = log10 Kc

de ces conditions permet de mesurer la constante d’équilibreKc avec précision dans une large gamme de basicités’étendant d’environ pKHB = –1 pour les bases très faibles àpKHB = +4 pour les bases fortes. Il suffit de déterminer laconcentration du 4-fluorophénol à l’équilibre, soit parrésonance magnétique nucléaire (RMN) du 19F (2), soit parspectrométrie UV sur la transition ���* à 281 nm (3), soitpar spectrométrie infrarouge (IR) sur la bande �(OH) à3614 cm–1 (4).

Ces techniques montrent que le 4-fluorophénol n’est passuffisamment acide et que CCl4 n’est pas un solvant suffi-samment polaire pour permettre le transfert du proton, mêmeavec les amines les plus basiques (5, 6). Dans ce travaill’équilibre de transfert de proton [4] peut donc être négligé.

[4] 4-FC6H4OH + NR3 � 4-FC6H4O–···+HNR3

L’intérêt de construire l’échelle pKHB est double. D’unepart, l’échelle pKHB permet une comparaison quantitativedes énergies de Gibbs (�G° = –5,7 pKHB, �G° en kJ·mol–1)de formation de liaison H, interaction moléculaire omni-présente en chimie (7) et en biologie (8). D’autre part, alorsque la basicité protonique de Brønsted est quantitativementbien définie par les échelles pKa en phase aqueuse (9), et GBen phase gazeuse (10), la mesure de la basicité de Lewisreste à effectuer (11). Certains auteurs (11–13) s’accordent àreconnaître qu’une description quantitative et générale de labasicité de Lewis doit reposer sur au moins deux paramètres,l’un électrostatique, l’autre covalent. Dans la mesure où laliaison H est une interaction principalement électrostatique(14), l’échelle pKHB pourrait mesurer la partie électrostatiquedes interactions entre les acides et les bases de Lewis.

Nous avons déjà mesuré pKHB pour un grand nombre debases carbonées, halogénées, oxygénées, soufrées et azotées(1). Dans cette dernière famille, nous avons étudié les nitriles(15), les amidines (16) les pyridines (17), les aminesprimaires (18) et les amines secondaires (19). Ce travailconcerne la mesure par spectrométrie infrarouge à transforméeFourier (IRTF), de l’échelle pKHB des amines tertiaires.

De manière à couvrir un vaste domaine de basicité et àdéterminer les principaux effets structuraux modifiant labasicité de liaison H des amines tertiaires, nous avonssélectionné 40 composés incluant 12 alkylamines avec desgroupes alkyles de longueur et de ramification différentes,17 amines hétérocycliques, 9 amines substituées pardifférents groupes électroattracteurs (CH=CH2, Ph, C�CH,Cl, C�N) et deux diamines. Nous obtenons ainsi une échellequi s’étend sur trois unités de pK, soit environ 17 kJ·mol–1,de la quinuclidine (pKHB = 2,71) à i-Pr2NCH(Et)2 (pKHB =–0,34). Au-delà, nous trouvons la tribenzylamine,(PhCH2)3N, qui est une base azotée de liaison H si faiblequ’elle se comporte comme une base �.

L’utilisation de la spectrométrie IRTF comporte troisprincipaux avantages. D’abord, la grande précision photo-métrique des spectromètres IRTF permet de mesurer les con-centrations des espèces de l’équilibre [1] avec une meilleureprécision que la résonance magnétique nucléaire (RMN) du19F initialement utilisée (2). Un autre avantage del’infrarouge est de pouvoir mesurer la fréquence OH ducomplexe de liaison H, qui est d’autant plus basse que la li-aison H est forte. Le déplacement ��(OH) = �(OH, libre) –�(OH···N) est considéré (20) comme une échelle spectro-scopique de basicité de liaison H des amines qu’il estintéressant de comparer à l’échelle thermodynamique pKHB.Enfin la spectrométrie IR permet de déterminer si les autressites potentiellement accepteurs de liaison H dans les aminessubstituées, e.g., l’oxygène de la N-méthylmorpholine oul’azote sp de Me2NCH2CH2C�N, contribuent à la constanteKc mesurée. Dans ce cas, elle permet de séparer, dans laconstante totale Kc mesurée, la partie due à l’azote amino decelle due aux autres sites accepteurs de liaison H (vide infra).

Partie expérimentale

ProduitsToutes les amines étudiées sont des composés

commerciaux, à l’exception de la 4-phénylquinuclidinefournie par R.W. Taft (Université de Californie, Irvine). Les3-chloroquinuclidine (15), 3-chlorométhyl-N-méthylpipéridine(19), 4-chloro-N-méthyl-pipéridine (20), N,N-diméthyl-3-chloropropylamine (27) et 1-(2-chloroéthyl)-pyrrolidine (29)ont été extraites de leurs chlorhydrates par neutralisationavec un excès de soude. Les liquides sont distillés puisséchés sur tamis moléculaire 4 Å (1 Å = 0,1 nm) et (ou) parchromatographie sur alumine basique. Les amines solides,ainsi que le 4-fluorophénol, sont purifiés par sublimationpuis séchés sur P2O5. Le tétrachlorure de carbone est distillépuis stocké sur une colonne de tamis moléculaire 4 Å avantd’être soutiré. Le méthanol de qualité spectroscopique estséché sur tamis moléculaire 3 Å. Les produits purifiés sontmanipulés en boîte sèche pour préparer les solutions etremplir la cellule IR.

Spectres IRIls sont enregistrés sur des spectromètres Bruker IFS 48

ou Vector 22 avec une résolution de 1 cm–1. La cellule enquartz possède un trajet optique de 1 cm. Elle est thermo-régulée à 25,0 ± 0,2°C à l’aide d’un système thermoélectri-que à effet Peltier.

Constantes KcElles sont définies par l’équation [5] dans laquelle Cc, Ca

et Cb sont respectivement les concentrations en mol·dm–3 àl’équilibre du complexe, du 4-fluorophénol et

[5] KC

C CC C

C C C Cc

c

a b

ao

a

a bo

ao

a

� ��

� �( )

de l’amine; Cao et C b

o sont les concentrations initiales,déterminées par pesées, sauf pour l’amine gazeuse Me3N quia été dosée dans CCl4 par neutralisation avec une solutionaqueuse d’acide chlorhydrique. C a

o est de l’ordre de4 mmol·dm–3 pour éviter l’autoassociation du 4-fluorophenol.

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1376 Can. J. Chem. Vol. 80, 2002

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C bo est ajustée de manière à ce que 20 à 80 % de phénol soit

complexé. Le rapport des concentrations C bo /Ca

o varie ainsientre 2 et 5 pour la quinuclidine la plus basique, et entre 100et 220 pour l’amine la moins basique. La concentration Caen phénol non complexé est déterminée à partir del’absorbance de la bande �(OH) à 3614 cm–1 par la loi deBeer–Lambert (coefficient d’absorption molaire égal à237 dm3·mol–1·cm–1 dans CCl4 à 25°C). On vérifie quel’espèce formée est le complexe de stœchiométrie 1:1 àpartir de la constance de Kc calculée à cinq concentrationsdifférentes d’amine. En tout état de cause, les solutions trèsdiluées en 4-fluorophénol, ainsi que l’excès d’aminepermettent de rendre minimale la présence de complexes 1:2tels que :

L’erreur maximale sur pKHB est estimée à ±0,03.

Déplacements de fréquence ��(OH)Le déplacement de la fréquence d’élongation �(OH) par

formation d’une liaison hydrogène OH···N ne peut pas êtrefacilement mesuré avec le 4-fluorophénol, car la bande�(OH) du complexe de liaison H est perturbée par (i) lesbandes �(CH) du 4-fluorophénol et de l’amine qui nepeuvent être parfaitement soustraites car elles sontlégèrement déplacées par complexation et (ii) des bandes decombinaison de �(OH···) avec les fréquences d’élongation etde déformation de la liaison H (21). Nous avons doncremplacé le 4-fluorophénol par un donneur de liaison Hmoins fort, le méthanol. La bande �(OH···) des complexes dece dernier avec les amines se situe en effet avant les bandes�(CH), et sa forme quasi gausso-lorentzienne permet de bienpointer son maximum. On définit alors ��(OH) par ladifférence [6]. La précision sur ��(OH) est estimée à ±3 cm–1.

[6] ��(OH) = �(OH, MeOH libre)

– �(OH···, MeOH complexé par liaison H)

Calculs ab initioIls ont été effectués avec Gaussian 94 (22) sur un

ordinateur personnel bi-processeur Pentium II 300 MHz. Lesgéométries des amines ont été optimisées au niveau HF/6–31G**. Pour les amines conformationnellement flexibles, nousn’avons pas exploré la totalité de l’espace conformationnel,mais nous sommes partis de plusieurs conformationsinitiales différentes et nous nous sommes appuyés sur desrésultats conformationnels bien établis (23, 24). Les confor-mations trouvées les plus stables par calculs HF/6–31G**sont toujours en accord avec celles, expérimentales, desbases de données MOGADOC (25), pour la phase gazeuseou structurale de Cambridge CSD (26), pour l’état solide.

Le potentiel électrostatique calculé autour de l’azoteamino (pour la conformation la plus stable) est le potentielélectrostatique minimum sur la surface moléculaire définie,selon Bader et al. (27), par la surface d’isodensité électro-nique 0,001 e·Bohr–3. Il est noté Vs,min et donné générale-ment en kcal·mol–1 (1 cal = 4,184 J).

Résultats

L’échelle pKHB de basicité de liaison H des aminestertiaires est donnée dans le tableau 1 conjointement avec(i) les valeurs ��(OH) du déplacement de la fréquence�(OH) du méthanol par complexation avec ces amines,(ii) les valeurs pKa de ces amines, dans l’eau généralement à298 K, et (iii) le potentiel électrostatique autour de la pairelibre de l’azote amino.

Pour cinq amines, nous observons sur le spectre IR, entrela bande fine �(OH) du 4-fluorophénol libre à 3614 cm–1 (oucelle à 3644 cm–1 du méthanol) et la bande large �(OH···N)correspondant au complexe sur l’azote amino, une bandesupplémentaire (fig. 1). Puisque ces cinq amines possèdentun (des) site(s) potentiel(s) accepteur(s) de liaison H supplé-mentaire, nous attribuons cette bande supplémentaire à undeuxième complexe de liaison H se formant soit surl’oxygène éther de la N-méthylmorpholine (26), soit sur l’azotesp des aminonitriles (33) et (37), soit sur le nuage � acétyl-énique de la tripropargylamine (36), soit enfin sur le nuage �aromatique de la tribenzylamine (40). En effet, ces bandessupplémentaires sont bien aux positions attendues pour lescomplexes de liaison H avec des éthers (28), des nitriles(15), des bases � acétyléniques (29), ou aromatiques (29).

Puisque nous sommes toujours en excès d’amine, la for-mation d’un complexe de stœchiométrie 2:1 (2 phénols – 1amine) est peu probable, et nous avons essentiellement ensolution deux complexes 1:1, un complexe OH···N surl’azote amino et un complexe OH···X sur le site accepteur deliaison H supplémentaire. Dans ce cas, la constante decomplexation mesurée à partir de l’absorbance de la bande�(OH) du 4-fluorophénol libre correspond à la formation deces deux complexes, et il est facile de montrer qu’elle est lasomme de deux constantes, Kc(N) et Kc(X), ou 3 Kc(X) pourla tripropargylamine (36) et la tribenzylamine (40). Laconstante propre à l’azote amino peut donc être calculée àpartir de l’équation [7] s’il

[7] Kc(totale) = Kc(N) + xKc(X) (x = 1 ou 3)

est possible d’évaluer Kc(X). Nous l’avons fait à partir desdéplacements de fréquence IR ��(OH···X), en utilisant lescorrélations entre pKHB et ��(OH) établies dans des travaux

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Graton et al. 1377

Fig. 1. Spectre IR dans la région (OH) d’une solution deméthanol ( 10–2 mol·dm–3) et de Me2NCH2CH2C�N (en largeexcès) dans CCl4 montrant (1) la bande �(OH) du méthanol libreà 3644 cm–1, (2) la bande �(OH···N�C) d’un premier complexe1:1, déplacée de 80 cm–1, et (3) la bande �(OH···N) d’un secondcomplexe 1:1, déplacée de 362 cm–1.

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1378 Can. J. Chem. Vol. 80, 2002

Tableau 1. Échelles de basicité de liaison hydrogène, pKHB et ��(OH) (cm–1), et de Brønsted, pKa, des amines tertiaires. Potentielélectrostatique minimum Vs,min (kcal·mol–1) autour de l’azote amino.

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précédents pour les familles des éthers (28), des nitriles (15)et des bases � acétyléniques (29) et aromatiques (29). Ledétail des calculs est donné dans le tableau 2. Pour latribenzylamine, nous avons vérifié expérimentalement que laconstante de complexation sur l’azote amino n’est pascomplètement égale à zéro. Avec une solution trèsconcentrée en tribenzylamine (0,5 mol·dm–3) et en diminuantla température pour déplacer les équilibres vers la formationdes complexes, nous voyons en effet apparaître (fig. 2) unetrès faible contribution attribuée à une bande �(OH···N).

Pour les polyamines, la constante mesurée correspond àplusieurs complexes 1:1 sur les multiples atomes d’azote (unexcès d’amine permet de minimiser la formation de com-plexes de stœchiométries supérieures). En supposant que lesn atomes d’azote de ces polyamines ont la même basicité, la

constante mesurée est égale à n fois la constante propre à unatome d’azote. Cette correction statistique (30) de la valeurpKHB par –log n (n = 2 pour 4, 11, 13, 17; n = 3 pour 23, etn = 4 pour 31) doit être effectuée pour relier pKHB auxpropriétés moléculaires caractérisant la basicité par atomed’azote (��(OH) ou potentiel électrostatique, ou constantesde substituants).

Discussion

Comparaison des échelles de basicité pKHB, pKa et��(OH)

Il est aujourd’hui bien établi que les échelles pKHB et pKaprésentent d’importantes différences (1). Certains auteursont cependant proposé des relations par familles entre

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Graton et al. 1379

Tableau 1 (suite et fin).

bValeur statistiquement corrigée (en parenthèses).cValeur corrigée (en parenthèses) de la contribution d’un (ou de plusieurs) autre(s) site(s) accepteur(s) de liaison hydrogène (voir tableau 2).

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échelles de basicité de liaison H et l’échelle pKa deprotonation (31–34). Ces relations sont probablementfortuites ou n’ont qu’un domaine limité de validité, car pourla famille des amines primaires (18) il faut exclure lescomposés ayant une liaison hydrogène intramoléculaire, etpour celle des amines secondaires (19), pKa n’explique que74 % de la variance de pKHB, ce que nous avons interprété(19) par une plus grande sensibilité de l’échelle pKHB auxeffets stériques que l’échelle pKa. Les amines tertiairesdonnent une corrélation encore plus mauvaise que lessecondaires, puisque seulement 38 % de la variance de 23

valeurs pKHB est expliquée par pKa (fig. 3). La pentaméthyl-pipéridine (32), la tripropylamine (28) et la tributylamine(25) présentent à nouveau les déviations les plus importantesà la tendance générale (fig. 3). Elles montrent, puisque leuratome d’azote porte des substituants encombrants, quel’échelle pKHB est plus sensible aux effets stériques quel’échelle pKa.

La comparaison des échelles pKHB et ��(OH) metégalement en évidence la sensibilité de l’échelle pKHB auxeffets stériques. Dans des travaux précédents (17, 19, 28),nous avons montré que la diminution de basicité par effetstérique est plus importante pour pKHB que pour ��(OH).Ainsi les éthers ROR (28), les pyridines ortho-substituées 2-RC5H4N (17) et les amines secondaires RNHR (19),encombrées par des substituants R et R volumineux, ont-ilsdes valeurs pKHB (très) faibles par rapport à leurs valeurs��(OH). Il en est de même pour les amines tertiaires. La fig-ure 4 montre qu’il n’existe pas de relation générale entre

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Tableau 2. Évaluation de la constante de complexation sur l’azote amino, Kc(N), dans le cas desamines possédant un (d’)autre(s) centre(s) X accepteur(s) de liaison H.

adm3 mol–1.bValeur expérimentale.ccm–1. ��(OH···X) = 3614 – �(OH···X) est le déplacement de fréquence de la bande �(OH) du 4-fluorophénol par

complexation sur le(s) site(s) X.dCalculée à partir des relations pKHB versus ��(OH···X) pour les familles des éthers (26), des nitriles (33, 37), des

bases � acétyléniques (36) et des bases � aromatiques (40).eKc(N) = Kc (totale) – x Kc(X), x = 1 (26, 33, 37) ou x = 3 (36, 40).f%N = 100 Kc(N)/Kc (totale).

Fig. 2. Spectres IR dans la région �(OH) d’une solution de 4-fluorophénol (4,8 × 10–3 mol·dm–3) et de tribenzylamine (0,53mol·dm–3) dans CCl4 à –5, 25 et 45°C montrant (1) la bande�(OH) du 4-fluorophénol libre à 3614 cm–1, (2) la bande �(OH···�)d’un premier complexe 1:1, déplacée de 58 cm–1, et (3) le débutd’une bande très large �(OH···N) d’un deuxième complexe 1:1(une perte d’énergie vers 3100 cm–1 due aux absorptions �(CH)de la tribenzylamine cache le reste de la bande).

Fig. 3. Absence de corrélation entre les échelles pKHB et pKa desamines tertiaires. Les points des amines encombrées, e.g., 25, 28et 32, ont des valeurs pKHB trop faibles par rapport à la tendancegénérale.

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pKHB et ��(OH) (coefficient de corrélation r = 0,609 pourn = 36 points), principalement à cause des composésencombrés (e.g., 25, 28, 32, 34, 35 et 38). Ainsi c-Hex2NEt(34) a pratiquement la même valeur ��(OH) (419 cm–1) queEtNMe2 (6) (418 cm–1) mais une valeur pKHB beaucoup plusfaible (1,14 au lieu de 2,17). De même le passage de la 1-méthylpipéridine (10) à la 1,2,2,6,6-tétraméthylpipéridine(32) abaisse considérablement pKHB (de 2,11 à 1,23) sanschanger significativement ��(OH) (421 cm–1 et 419 cm–1). Ilest cependant possible d’établir une corrélation limitée auxamines tertiaires les moins encombrées, en partant desamines bicycliques 1, 2, 4, 15 et 31, puisque la cyclisationtire vers l’arrière les trois chaînes alkyles, ce qui dégage au

maximum la paire libre de l’azote. Ces composés, ainsi quedeux amines monocycliques 18 et 23 et la triméthylamine(8) qui porte les trois groupes alkyles les moins volumineuxdessinent une droite frontière (fig. 4, éq. [8]) au dessous delaquelle se placent les autres amines tertiaires. Celles-ci sontainsi

[8] pKHB = 1,23 [��(OH)/100] – 2,82

n = 8; r = 0,992; écart type s = 0,06

désignées comme plus stériquement encombrées que lesamines bicycliques. Ce sont effectivement les amines lesplus encombrées 25, 28, 32, 34, 35 et 38 qui dévient le plusde la droite frontière (fig. 4).

Effets des substituants inductifs électroattracteursL’effet inductif et (ou) de champ (pour une discussion

récente sur ces deux concepts d’effet électronique en sériesaturée, voir la référence 35) de substituants électro-attracteurs diminue fortement la basicité de liaison H desamines tertiaires. Ainsi, l’effet inductif et (ou) de champ duchlore diminue pKHB de 0,74 unité en passant de laquinuclidine (1), à la 3-chloroquinuclidine (15), et celui dugroupe cyano diminue pKHB de 1,46 unité de Me3N (8) àN�CCH2NMe2 (37). La constante de substituant �F (36)dont les valeurs (37) sont reportées dans le tableau 3 pourraitmesurer les variations de pKHB dans les séries d’amines pourlesquelles les autres effets structuraux agissant sur la basicitéde l’azote, essentiellement les effets stériques (38) et l’effetde polarisabilité (39) (il n’y a pas d’effet de résonance, carla paire libre de l’azote n’est conjuguée avec aucun système� dans les amines 1–40), sont faibles et (ou) quasi constants.Cela semble être le cas dans la série des N,N-diméthyl-amines substituées XNMe2 (éq. [9]), et mieux encore dans lasérie des amines hétérocycliques (éq. [10], fig. 5). Pour cesdernières, nous considérons la variation de pKHB, �pKHB, par

[9] pKHB = 2,02 – 4,57 �F

n = 9 (8, 11, 13, 16, 21, 22, 27, 33, 37);

r = 0,956; s = 0,15

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Fig. 4. Comparaison des échelles thermodynamique pKHB etspectroscopique ��(OH) de basicité de liaison H des aminestertiaires. Les amines (�) dont l’encombrement stérique est min-imum dessinent une droite frontière au dessous de laquelle seplacent les composés (�) dont l’encombrement stérique est plusou moins important.

Substituant � a �F

a �b Substituant �Fa

Hc 0 0 0 CH2CH=CH2 0,03

Me CH3 –0,35 0 0,52 CH2Ph 0,05

Et CH2CH3 –0,49 0 0,56 (CH2)3Cl 0,06

n-Pr (CH2)2CH3 –0,54 0 0,68 CH2C�CH 0,12

n-Bu (CH2)3CH3 –0,57 0 0,68 NHMe 0,12

n-Oct (CH2)7CH3 –0,59 0 0,68 (CH2)2Cl 0,12

i-Pr CH(CH3)2 –0,62 0 0,76 (CH2)2C�N 0,16

c-Hex c-C6H11 –0,61 0 0,87 CH2Cl 0,23

i-Bu CH2CH(CH3)2 0 0,98 OH 0,30

3-Pent CH(CH2CH3)2 0 1,51 CH2C�N 0,31

(CH2)6NMe2 0 Cl 0,45

(CH2)2NMe2 0,03aValeurs tirées de la référence 37.bValeurs tirées de la référence 46.cSubstituant de référence.

Tableau 3. Constantes de polarisabilité, � a, inductive, �F

a, et stérique, �b, des substituants de l’azote desamines étudiées.

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[10] �pKHB = –0,02 – 1,63 �F

n = 7; r = 0,995; s = 0,03

(i) chloro-substitution en � de la fonction amine (1, 15 et5, 29) (ii) chloro-substitution en �, i.e., chlorométhyle-sub-stitution en � (10, 19 et 10, 20), (iii) oxo-substitution en �(10, 26) et (iv) aza-substitution en � (10, 17). Dans la sérieXNMe2, les constantes �F correspondent à une substitutiondirecte de l’azote, tandis que pour les amines hétéro-cycliques, elles sont choisies pour une substitution en �; ilest donc normal d’observer un plus faible coefficient desensibilité aux effets mesurés par �F dans ce dernier cas. Lerapport des coefficients de régression des équations [9] et[10] correspond à un facteur d’atténuation de l’effet inductifde 1,67 par groupe méthylène qui est de l’ordre de grandeurde celui (1,95) trouvé pour les réactions de protonation enphase gazeuse (39).

Effets des substituants alkylesIl est généralement établi que les groupes alkyles ont un

effet inductif négligeable (36, 39, 40). Leur influence sur labasicité de liaison H des amines tertiaires est alors dueprincipalement à leur effet de polarisabilité et à leurs effetsstériques. Ces deux effets agissent en sens opposé sur pKHB.L’effet de polarisabilité augmente la basicité de liaison H,probablement grâce à la contribution des forces de disper-

sion et de polarisation à l’énergie de liaison H (41). Cet effetest généralement mesuré par la constante de substituant �

de polarisabilité, définie par Hehre et al. (42) à partir de lavariation, par substitution d’un modèle ad hoc (42, 43), dupotentiel de polarisation calculé ab initio. La valeur absoluede � augmente avec la longueur et la ramification dugroupe alkyle (voir tableau 3).

À l’inverse, l’effet stérique affaiblit la basicité de liaisonH. Nous l’avons établi pour les éthers (28), les pyridinesortho-substituées (17), les amidines (16) et les aminessecondaires (19). Plusieurs mécanismes peuvent êtreenvisagés dans le cas de la complexation des aminestertiaires par le 4-fluorophénol. Le premier consiste enl’ouverture des angles CNC de l’amine par répulsionstérique entre les trois substituants alkyles de l’azote. Cetteouverture provoque une diminution du caractère p de lapaire libre de l’azote et donc de sa basicité intrinsèque. Letableau 4 rassemble les valeurs �CNC de la somme des troisangles CNC autour de l’azote. Ces valeurs montrent quel’azote passe d’un état tétragonal (�CNC = 328,4° pour unazote sp3) pour la quinuclidine (1) à un état quasi trigonal(�CNC = 360° pour un azote sp2) pour les amines les plusencombrées. Cela entraîne un potentiel électrostatique moinsnégatif autour de l’azote : |Vs,min| diminue de 40,72 kcal·mol–1

pour la quinuclidine (1) à 7,38 kcal·mol–1 pour i-Pr2NCHEt2(39). La figure 6 montre la relation significative (r = 0,85pour 17 alkylamines) entre Vs,min et �CNC. Il s’ensuit unaffaiblissement de la liaison H (une interaction moléculaireprincipalement électrostatique (41)) par diminution de

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Fig. 5. Corrélation entre la constante de substituant inductiveet (ou) de champ �F et la variation de pKHB d’amineshétérocycliques par �-chloro, -oxo, et -aza substitution, et�-chlorosubstitution.

No Composé �CNC No Composé �CNC1 Quinuclidine 329,3 14 Triéthylamine 337,63 Tropane 340,3 24 Trioctylamine 338,35 N-Méthylpyrrolidine 334,0 25 Tributylamine 338,36 N,N-Diméthyléthylamine 341,8 28 Tripropylamine 338,37 N,N-Diméthylcyclohexylamine 341,8 32 1,2,2,6,6-Pentaméthylpipéridine 348,28 Triméthylamine 336,0 34 N,N-Dicyclohexyléthylamine 350,69 N,N-Diméthylisopropylamine 341,5 35 N,N-Diisopropyléthylamine 349,810 N-Méthylpipéridine 336,1 38 N,N-Diisopropylisobutylamine 348,412 N-Butylpyrrolidine 338,9 39 N,N-Diisopropyl-3-pentylamine 356,4

Tableau 4. Somme des angles CNC (°) autour de l’azote, �CNC, mesurée sur la géométrie HF/6–31G** des alkylamines tertiaires dutableau 1.

Fig. 6. Corrélation entre –Vs,min, potentiel électrostatique autourde l’azote, et �CNC, somme des angles CNC, pour lesalkylamines tertiaires.

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l’attraction électrostatique entre l’amine et le phénol. Le sec-ond mécanisme est dû à l’encombrement de la paire libre del’azote. Celui-ci est évident pour i-Pr2NCHEt2 lorsque l’oncompare son volume moléculaire à celui de la quinuclidine(fig. 7). Lorsqu’on approche une molécule de 4-fluorophénoldans l’axe de la paire libre de l’azote à une distance d(N···H)de 1,85 Å (valeur moyenne trouvée (44) dans la basestructurale de Cambridge (26) pour 66 contacts de liaison Hentre des phénols et des amines tertiaires), on constate unplus grand recouvrement des nuages électroniques du phénolet de l’amine pour les amines encombrées. Il s’ensuit uneénergie de répulsion (le terme d’échange dans le calculquantique de l’énergie (41)) plus importante qui diminuel’énergie de la liaison H. Le dernier mécanisme concernel’augmentation de l’entropie de complexation. Nous avonstrouvé (44) que celle-ci est de –55,8 J·K–1·mol–1 pour lacomplexation de la quinuclidine par le 4-fluorophénol,tandis que celle de l’amine encombrée i-Pr2NEt s’élève à–74,0 J·K–1·mol–1 (valeur relative aux fractions molaires).Cette variation d’entropie de 18,2 J·K–1·mol–1 fait chuterpKHB de 0,95 unité (T�S/5,709) à 298 K.

De nombreux paramètres empiriques ont été proposéspour mesurer l’effet stérique des substituants, parmi lesquelsles plus populaires sont les constantes de substituants Es deTaft (45) et upsilon (�) de Charton (46). Une équationmultiparamétrique entre pKHB et les constantes de

polarisabilité �� et stérique Es (ou �) est cependant impossi-ble à établir pour les trialkylamines pour deux raisonsprincipales. La première est due à la corrélation significativeentre les constantes �� et � (ou Es) (r = 0,945 pour les neufsubstituants alkyles du tableau 3), car toutes deuxaugmentent avec la taille (i.e., le nombre d’électrons) dugroupe alkyle. La deuxième raison provient de la non-additivité des effets stériques qui imposent des équationscomplexes (47) pour faire intervenir les trois constantesstériques des substituants alkyles. Néanmoins, une analysegrossière de l’influence des substituants alkyles sur labasicité de liaison H des amines tertiaires est possible àpartir du graphe pKHB versus �� (fig. 8). On peut voir quelorsque la somme des constantes stériques des troissubstituants (i.e., le volume, le nombre d’électrons et lapolarisabilité) augmente, pKHB reste constant pour les faibleseffets stériques, tandis qu’il chute spectaculairement quandles effets stériques augmentent. En d’autres termes l’effet depolarisabilité réussit à compenser les effets stériques quandceux-ci sont faibles (série AlkNMe2 6–9) mais quand lestrois chaînes alkyles continuent à s’allonger et à se ramifier,les effets stériques prédominent largement.

La tribenzylamineNous avons montré que la tribenzylamine est

principalement une base � de liaison H, puisque la basicitéde liaison H de son azote est extraordinairement faible(pKHB � –1,5). Au contraire, c’est une base de Brønstedazotée dont le pK de l’ion tribenzylammonium est de 4,1dans le DMSO et de 6,4 dans le méthanol (48) (nousn’avons pas trouvé la valeur pKa dans l’eau). Lacomparaison de ces valeurs avec celles de l’iontriéthylammonium (respectivement 9,0 et 10,9) dans lesmêmes solvants (48) met en évidence l’effet inductifélectroattracteur des trois groupes benzyle.

Cet effet inductif doit également diminuer la basicité deliaison H. À partir de l’équation [9] et en supposant addi-tives les valeurs �F, nous estimons un pKHB de 1,33. Cettevaleur est très éloignée de celle (–1,5) estimée à partir de lavaleur expérimentale après déduction de la contribution destrois sites � (voir tableau 2). Pour diminuer encore de 2,83unités (16,2 kJ·mol–1) le pKHB, nous ne pouvons invoquerque d’exceptionnels effets stériques des trois groupes

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Fig. 7. Illustration de l’encombrement stérique de l’azote de i-Pr2NCHEt2 (39), comparativement à celui de la quinuclidine (1).

Fig. 8. Variation de pKHB en fonction de la somme desconstantes stériques � des substituants alkyles de l’azote desamines tertiaires. Dans la série AlkNMe2 (�), pKHB restequasiment constant entre 2,11 et 2,17 tandis qu’il chute jusqu’à–0,34 (39) quand les effets stériques augmentent.

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benzyle. La structure cristalline de la tribenzylamine (49)montre que l’atome d’azote est particulièrement encombré :comme l’illustre la figure 9, les trois noyaux aromatiquesencerclent l’atome d’azote et empêchent quasiment l’accèsde la paire libre à un donneur de liaison H.

Notons qu’il n’y a pas d’augmentation des angles CNCautour de l’azote, leur somme étant (49) de 329,9°. Le faiblepotentiel électrostatique (–19,4 kcal·mol–1) semble dûprincipalement aux effets inductifs des trois benzyles. Eneffet, la comparaison des Vs,min de Me3N et PhCH2NMe2montre qu’un groupe benzyle diminue Vs,min de7,53 kcal·mol–1, valeur comparable au tiers (5,73 kcal·mol–1)de la différence entre (PhCH2)3N et Me3N.

Conclusions

1. Nous avons mesuré la basicité de liaison H de 40amines tertiaires vis-à-vis du 4-fluorophénol, dans CCl4et à 298 K (échelle pKHB).

2. Cette échelle s’étend sur 24 kJ·mol–1 d’énergie de Gibbsde la quinuclidine à la tribenzylamine.

3. Les effets structuraux modifiant la basicité de liaison Hsont, par ordre croissant d’importance, l’effet depolarisabilité, l’effet inductif et les effets stériques.

4. Ces derniers réduisent pratiquement à zéro le pouvoiraccepteur de liaison H de la tribenzylamine, qui devientde ce fait une base � de liaison H. La tribenzylaminerejoint ainsi la 2,6-ditertbutylpyridine (50) commedeuxième exemple de base azotée à système(s) � qui seprotonne sur l’azote mais accepte la liaison H sur sesélectrons �.

5. Ces différences entre sites de liaison H et sites deprotonation, ainsi que l’absence de corrélation généraleentre les échelles pKHB et pKa pour les aminessecondaires (19) et tertiaires (ce travail) montrent quel’usage de l’échelle pKa pour prévoir la basicité de liai-son H est risqué. C’est l’échelle pKHB qui est l’échellede choix pour étudier le comportement accepteur de li-aison H des molécules organiques.

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Fig. 9. Structure cristalline de la tribenzylamine illustrantl’encombrement stérique de l’azote par les trois groupes benzyle.

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