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Henri Lefebvre Le droit à la ville In: L Homme et la société, N. 6, 1967. pp. 29-35. Citer ce document / Cite this document : Lefebvre Henri. Le droit à la ville. In: L Homme et la société, N. 6, 1967. pp. 29-35. doi : 10.3406/homso.1967.1063 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1967_num_6_1_1063

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Henri Lefebvre

Le droit à la villeIn: L Homme et la société, N. 6, 1967. pp. 29-35.

Citer ce document / Cite this document :

Lefebvre Henri. Le droit à la ville. In: L Homme et la société, N. 6, 1967. pp. 29-35.

doi : 10.3406/homso.1967.1063

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1967_num_6_1_1063

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le droit

à la ville*

H E N R I LEFEBVRE

La réflexionthéoriquese voitastreinte àredéfinires formes,fonctions,structuresde la ville(économiques,politiques, culturelles,etc.) ainsi que lesbesoins sociauxinhérentsà la société urbaine.Seulsjusqu ici les besoins individuels,avec leursmotivationsmarquées par lasociétédite de consommation(lasociété bureaucratiquede consommation dirigée)ont été prospectés et d'ailleursplutôt manipulésqu'effectivementconnuset reconnus.Les besoinssociauxont un fondementanthropologique;opposéset complémentaires,ils comprennentle besoindesécuritéet celuid'ouverture, lebesoinde certitudeetet le besoind'aventure,celui d'organisationdu travail et celuide jeu, les besoins de prévisibilitéet d'imprévu, d'unitéet de différence,d'isolementet de rencontre,d échanges et d'investissements,d indépendance (voirede solitude)et de communication, 'immédiatetéet de perspectiveà long terme.L'être humaina aussi le besoind accumuler desénergies et celuide les dépenser, et mêmede lesgaspillerdans le jeu.Il a besoinde voir,d'entendre,de toucher,de goûter, etle besoin de réunircesperceptionsen un «monde>.A ces besoinsanthropologiques élaborés socialement(c est-à-dire tantôtséparés, tantôtréunis,icicompriméset là hypertrophiés) 'ajoutentdes besoins spécifiques,que nesatisfontpas les équipementscommerciauxet

rels plusou moinsparcimonieusementprisen considérationpar les urbanistes.Il s'agitdu besoind activité créatrice,d'oeuvre(pas seulementde produitset de biensmatérielsconsommables),des besoinsd'information,de symbolisme, d'imaginaire,d'activitésludiques.A traversces besoinsspécifiésvitet survitun désirfondamental,dont le jeu,la sexualité,lesactes corporelscommele sport, l'activitécréatrice,l'art et la connaissancesontdes manifestationsparticulières et des moments, surmontantplusou moinsla divisionparcellairedes travaux.Enfin,le besoinde la villeet de la vieurbaine ne s'exprimelibrementque dansles perspectivesqui tententicide se dégager t d'ouvrir l'horizon.Les besoins urbainsspé iiques e seraient-ilspas besoins de lieuxqualifiés,lieuxde simultanéitéet de rencontres, lieuxoùl'échangene passerait pas par la valeurd échange,le commerceet le profit?Ne serait-cepas aussi lebesoind'un tempsde ces rencontres,de ceséchanges?

Unescienceanalytiquede la ville,nécessaire,n'estaujourd'huiqu à l'étatd esquisse.Concepts et théories, au débutde leurélaboration, nepeuventavancer u avec la réalitéurbaine enformation,avec lapraxis(pratiquesociale)de lasociétéurbaine.Actuellement, le dépassementdes idéologieset des prati-

Cetexteconstitueun chapitred'unouvrageIntituléLe Droità la Villeet quiparaîtraprochainement auxÉditionsAnthropos.

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3o HENRILEFEBVRE

ques qui bouchaientl'horizon,qui n'étaientque lesgoulotsd'étranglementdu savoiret de l'action, quimarquaientun seuilà franchir,ce dépassements effectue nonsans peine.

La science de la villea la villepourobjet.Cettescience emprunteses méthodes,démarchesetconcepts auxsciences parcellaires.La synthèseluiéchappedoublement.D'abord,en tant que synthèsequise voudraittotaleet quine peutconsister,à partir de l'analytique,qu en unesystématisationet uneprogrammationstratégiques.Ensuite,parceque l objet,la ville,en tantque réalitéaccomplie,se décompose. La connaissancetient devant elle,pour ladécouper et la recomposerà partirde fragments,lavillehistoriquedéjà modifiée.Commetexte social,cettevillehistoriquen'a plus riend'unesuitecohérente de prescriptions,d'un emploidu tempslié àdes symboles, àun style.Ce textes'éloigne.Ilprendl'allured'undocument,d'uneexposition,d'unmusée.Lavillehistoriquementforméene se vitplus,ne sesaisitplus pratiquement.Ce n'est plusqu'unobjetde consommationculturelle pourles touristes, pourl'esthétismeavides de spectacleset de pittoresque.Même pourceux quicherchentà la comprendrechaleureusement la villeest morte.Pourtant«l'urbain»persiste,à l'étatd'actualitédispersée et aliénée,degerme,de virtualité.Ce que lesyeuxet l'analyseperçoiventsur le terrainpeut au mieuxpasser pourl'ombred'un objetfutur dans la clarté d'unsoleillevant.Impossibled'envisagerla reconstitutionde la

villeancienne,maisseulementla constructiond'unenouvelleville,sur de nouvellesbases, à uneautreéchelle,dans d'autresconditions,dans une autresociété.Niretouren arrière(versla villetraditionnelle),i fuiteen avant,vers l'agglomérationcolossale t informe telleest la prescription.En d autres termes,pource quiconcernela ville,l'objetdela science n'estpas donné.Le passé, le présent,lepossible ne se séparentpas. C est un objetvirtuelqu'étudiela pensée. Ce qui appellede nouvellesdémarches.

Levieilhumanismeclassiquea terminédepuislongtemps, et mal terminé,sa carrière.Il est mort.Son

cadavremomifié,embaumé,pèse lourdet ne sentpas bon.Iloccupe beaucoupde lieuxpublicsounon,transformésainsien cimetièresculturelssous lesapparences de l'humain: musées,universités,publicationsdiverses.Pluslescitésnouvelleset lesrevuesd'urbanisme.Trivialités etplatitudesse couvrentdecet emballage.«Mesurehumaine», dit-on.Alorsquenousdevons prendreen chargela démesure,etcréer«quelquechose »à la taillede l'univers.

Ce vieil humanismea trouvéla mort dans lesguerresmondiales,pendantla pousséedémographiq u ui accompagne les grandsmassacres,devantlesexigencesbrutalesde la croissanceet de la compétition économiqueet sous la poussée des

ques mal maîtrisées.Iln'estmême plusune idéologie, peineun thèmepourdiscours officiels.

Commesi la mortde l'humanismeclassiques'identifiait à celle de l'homme,on a poussérécemmentdehautscris.«Dieuest mort,l'hommeaussi.»Ces fo

rmulesrépandues dansdes livresà succès, reprisespar unepublicitépeuresponsable,n'ontriende neuf.La méditationnietzschéennecommença,il y a prèsd'unsiècle,lorsde la guerrede 1870-1871,mauvaisprésage pour l'Europe,sa cultureet sa civilisation.LorsqueNietzscheannonçaitla mortde Dieuet cellede l'homme,il ne laissaitpas un videbéant;il ne colmataitpas ce videavec des matériauxde fortune,avec du langageet de la linguistique.Il annonçaitaussi le Surhumain, qu'ilpensaitadvenir.Il surmontait e nihilismequ'ildiagnostiquait.Les auteursquimonnaientdes trésorsthéoriqueset poétiquesavecun sièclede retardnousreplongentdans le nihilisme.Depuis Nietzsche, lesdangers du Surhumain sontapparus avec une cruelleévidence. D'autrepart,« l'hommenouveau» que l'onvoit naîtrede la production industrielle etde la rationalité planificatriccommetelle, n'a que trop déçu.Unevoies'ouvreencore,celle de la société urbaineet de l'humaincommeoeuvredans cette société qui seraituvreet non produit.Ou bien le dépassement simultanédu vieil«animalsocial» et de l'hommede la villeancienne,l'animalurbain,versl'hommeurbain,polyvalent,polysensoriel,capablede rapportscomplexeset transparentsavec «le monde»(l'environnementetlui-même);ou bienle nihilisme.Si l'hommeest mort,pour qui allons-nousbâtir? Commentbâtir? Peuimporteque la villeait ou nondisparu,qu'ilfaillelapenser à nouveau,la reconstruiresur de nouveauxfondementsou bienla dépasser. Peu importeque laterreur règne,que la bombeatomiquesoit ou nonlancée,que la planèteTerreexploseou non.Qu'est-ce quiimporte?Quipense,quiagit,quiparleencoreet pour qui?Si le sens et la finalitédisparaissent,sinousne pouvons même plusles déclarerdans unepraxis,rien n'a d'importanceni d'intérêt.Et si lescapacités de « l'être humain», la technique,lascience, l'imagination,l'art,ou sonabsences'érigent

en puissancesautonomeset que la pensée réfléchissante e contentede ce constat,l absence de«sujet», que répliquer?que faire?

Le vieilhumanismes'éloigne,il disparaît. Lanostalgie s'atténueet nous nousretournonsde plusenplus rarementpour revoirsa formeétendueau travers de la route.C'étaitl'idéologiede la bourgeoisielibérale.Il se penchaitsurle peuple sur les souffrances umaines.Il couvrait,il soutenaitla rhétoriquedes belles âmes,des grandssentiments,des bonnesconsciences. Il se composaitde citationsgréco-latines saupoudrées de judéo-christianisme.Unaffreuxcocktail, unemixtureà vomir.Seulsquelques

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intellectuels(de «gauche» maisy a-t-il encoredes intellectuelsde droite?)ont encore du goûtpourcetteboisson triste, ni révolutionnaires,ni ouvertement éactionnaires,ni dionysiaques,ni apolliniens.

C est doncvers un nouvel humanismeque nousdevons tendreet nousefforcer,c'est-à-direvers une

nouvellepraxiset unhommeautre,celuide la sociétéurbaine.Enéchappant auxmythesquimenacentcettevolonté,en détruisantles idéologiesqui détournentce projetet les stratégiesquiécartentce trajet.Lavie urbainen'a pas encore commencé.Nous achevonsaujourd'huil'inventairedes débris d'unesociétémillénairedans laquelle la campagne a dominélaville,dont les idées et «valeurs», les tabous et lesprescriptions, étaientpour unegrandepart d'origineagraire,à dominanteruraleet «naturelle». Descitéssporadiquesémergeaientà peinede l océan campagnard. La société ruraleétait (elle est encore) cellede la non-abondance,de la pénurie,de la privationacceptée ou refusée,des interditsaménageant etrégularisantles privations.Ce futd'ailleurscelledela Fête, maiscet aspect, le meilleur,n'a pas étéretenu,et c est luiqu'ilfaut ressusciter et non lesmythes etles limites Remarquedécisive : la crisede la cité traditionnelleaccompagnela crise mondiale de la civilisationagraire,également traditionnelle. llesvontensembleet mêmeelles coïncident.A «nous» de résoudrecettedoublecrise,notammenten créantavec la villenouvellela vienouvelledansla ville.Les paysrévolutionnaires(dontl U.R.S.S.dixou quinzeans après la révolutiond Octobre) ontpressentile développementde la société basée surl'industrie.Seulementpressenti.

Dans les phrases précédentes, le «nous» a seulement la portéed'unemétaphore.Ildésigne les intéressés. Nil'architecte,ni l'urbaniste,ni le sociologue,ni l'économiste,ni le philosophe ou le politiquenepeuventtirer du néantpardécretdes formeset desrapportsnouveaux.S'ilfautpréciser, l'architecte,pasplusque le sociologue,n'a les pouvoirs d'unthaumaturge. i l'un ni l'autrene créentles rapportssociaux.Dans certainesconditions favorables,ils aidentdestendances à se formuler(à prendre forme).Seule laviesociale(lapraxis)dans sa capacitéglobale,pos

sède de tels pouvoirs.Ou ne les possèdepas.Lesgens nommésplus haut, prisséparément ou enéquipe,peuventdéblayerle chemin;ilspeuventaussiproposer,essayer, préparerdes formes.Et aussi (etsurtout) inventorierl expérienceacquise,tirer laleçondes échecs,aiderl'enfantementdu possible,par unemaïeutiquenourriede science.

Au pointoù nousen arrivons,signalonsl'urgenced'une transformationdes démarches et des instrumentsintellectuels.En reprenantdes formulationsemployées ailleurs,certainesdémarches mentalesencore peufamilièressemblentindispensables.

a) La transduction.C est une opération

tuellequipeutse poursuivre méthodiquementet quidiffèrede l'induction,de la déductionclassiquesetaussi de la constructionde «modèles»,de la simulation,du simpleénoncé des hypothèses.La transductionélabore et construitun objetthéorique,unobjetpossible et cela à partir d'informationsportant

sur la réalitéainsique d'une problématiqueposéepar cetteréalité.La transductionsuppose un feedback incessantentre le cadre conceptuelutiliséetles observationsempiriques.Sa théorie(méthodolo g i e et en formecertainesopérationsmentalesspontanées de l'urbaniste,de l'architecte,du sociologue,du politique,du philosophe.Elleintroduitlarigueurdans l'invention etla connaissance dansl'utopie.

b) L'utopie expérimentale.Aujourd'hui,qui n'estutopien?Seulsdes praticiensétroitementspécialisés,qui travaillentsur commandesans soumettre aumoindreexamencritiqueles normeset contraintesstipulées,seuls ces personnages peu intéressantséchappentà l'utopisme.Tousutopiens,y comprislesprospectivistes,les planificateursqui projettentleParisde l'an 2000,les ingénieursqui ont fabriquéBrasilia,et ainside suitelMais il y a plusieursuto-pismes.Le pire, ne serait-cepas celuiqui ne ditpas son nom, qui se couvrede positivisme,quiimposeà ce titre les contraintesles plusdureset laplusdérisoireabsencede technicité?

L'utopieest à considérerexpérimentalement,enétudiantsur le terrainses implicationset conséquences lles peuventsurprendre.Quels sont, quelsserontles lieuxsocialementréussis? Comment lesdétecter?Selon quels critères?Quels temps,quelsrythmesde vie quotidiennes'inscrivent,s'écrivent,se prescriventdans ces espaces«réussis», c est-à-dire favorablesau bonheur?Voilàce qui a de l intérêt.

Autresdémarchesintellectuellementindispensables discernersans les dissocierlestroisconceptsthéoriquesfondamentaux,à savoirla structure,lafonction,la forme.Connaîtreleurportée,leurs airesde validité,leurs limiteset leursrapportsréciproques savoirqu'ilsfont un tout, maisque les él

émentsde ce tout ontune certaineindépendanceetune autonomierelative 1ne pas privilégierl'und'eux,ce qui donneune idéologie,c'est-à-direunsystèmedogmatiqueet ferméde significations: lestructuralisme,le formalisme.Les utilisertourà tour,sur un piedd'égalité,pourl analyse du réel(analysequi jamaisn'estexhaustiveet sans résidu)ainsiquepourl'opérationdite «transduction». Biencomprendre u'unefonction peuts'accomplirpar le moyendestructuresdifférentes,qu'il n'y a pas de lien uni-voqueentre les termes.Que fonctionet structureserevêtentde formesqui les révèlentet les voilentque la triplicitéde ces aspects constitueun <tout»

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pables d'initiativesrévolutionnaires peuventprendreen chargeet menerjusqu àpleinaccomplissementlessolutionsaux problèmesurbains;de ces forcessociales et politiquesla ville rénovée deviendral uvre. Il s'agitd abord de défaireles stratégiesetles idéologiesdominantesdans la société actuelle.Qu'ily ait plusieursgroupesou plusieursstratégies,avec des divergences(entrel'étatiqueet le privé,parexemple)ne modifiepas la situation.Des questionsde propriété foncièreauxproblèmesde la ségrégati on , haqueprojetde réformeurbainemeten question les structures,celles de la société existante,celles des rapportsimmédiats(individuels)et quotidiens,maisaussi cellesque l'on prétendimposer parla voie contraignanteet institutionnelleà ce quirestede réalitéurbaine.En elle-mêmeréformiste,la stratégie de rénovationurbaine devient«forcément»révolutionnaire,non par la force des choses maiscontreles chosesétablies. Lastratégieurbainefondée sur la science de la villea besoind'unsupportsocial et de forcespolitiquespourdeveniragissante.Ellen'agitpas parelle-même.Ellene peutpas ne pass appuyer sur la présence et l'actionde la classeouvrière,seule capablede mettrefinà uneségrégation irigéeessentiellementcontreelle.Seule cetteclasse, en tant que classe, peutdécisivement contribuer la reconstructionde la centralitédétruiteparla stratégiede ségrégationet retrouvéedans la formemenaçantedes «centresde décision».Cela ne veutpas dire qu à elleseule la classe ouvrièrefera lasociété urbaine,maisque sans elle rien n'est poss

ible. L'intégrationsans ellen'a pas de sens,et ladésintégrationcontinuera,sous le masqueet la nostalgie de l'intégration.Il y a là non seulementuneoptionmaisun horizonqui s ouvre ou se ferme.Lorsquese tait la classe ouvrière,lorsqu'ellen'agitpas et qu elle ne peut accomplirce que la théoriedéfinitcommesa «missionhistorique», alorsmanquentle «sujet», et « l'objet».Lapensée quireflèteentérinecetteabsence. Celaveutdirequ'il convientd élaborer deuxséries de propositions:

a) Un programmepolitiquede réformeurbaine,réforme nondéfinieparles cadres et possibilitésde lasociétéactuelle,nonassujettieà un «réalisme»,bienque basée sur l'étudedes réalités(autrementdit: laréformeainsiconçuene se limitepas au réformisme).Ce programmeauradonc un caractère singulier etmêmeparadoxal.Ilsera établipourêtreproposéauxforces politiques,c'est-à-direaux partis.On peutmêmeajouterqu'ilsera soumispréférentiellementauxpartis<de gauche», formationspolitiquesreprésentant u voulant représenterla classe ouvrière.Maisil ne sera pas établien fonctionde ces forceset formations. Parrapportà elles,il auraun caractèrespécifique, celuiqui vientde la connaissance.Il auradonc une partiescientifique.Il sera proposé (quitte

à être modifiéparet pourceux quile prendraientencharge).Que les forcespolitiquesprennent leursresponsabilités. Dansce domainequiengagel'avenirdela société moderneet celuides producteurs,l ignorance,la méconnaissance,entraînentdes responsabili t é s evant l'histoiredonton se réclame.

b) Desprojetsurbanistiquestrès poussés,comprenant es «modèles», des formesd espace et detemps urbains,sans se préoccuper deleurcaractèreactuellementréalisable ou non, utopiqueou non(c'est-à-direlucidement«utopiens»).Ilnesemblepasque ces modèles puissentrésulter soitd'unesimpleétudedesvilleset des typesurbains existants,soitd'unesimplecombinatoired'éléments.Lesformesdetempset d espace seront,saufexpériencecontraire,inventéeset proposéesà la praxis.Que l'imaginationse déploie,non pas l'imaginairequipermetla fuiteet l'évasion,quivéhiculedes idéologies,maisl'imaginaire ui s'investitdans l'appropriation(dutemps,del espace, dela vie physiologique,du désir).A la villeéternellepourquoine pas opposerdes villeséphémèreset des centrantes mouvantesaux centresstables?Toutesles audacessontpermises.Pourquoilimiterces propositions àla seule morphologiedel espaceet dutemps?Iln'estpas excluque des propositionsconcernentle stylede vie,la façonde vivredans la ville,le développementde l'urbainsur ceplan.

Dans ces deuxsériesentrerontdes propositionsàcourtterme,à moyenterme,à longterme,celles-ciconstituantla stratégieurbaineproprement dite.

La société où nousvivonsparaittendue verslaplénitudeou du moinsversle plein(objetset biensdurables,quantité, satisfaction,rationalité).En fait,ellelaisse se creuserunvidecolossal;dans ce vides'agitentles idéologies,se répandla brumedes rhétoriques. Un des plusgrandsdesseinsque puisse seproposerla pensée active,sortiede la spéculationetde la contemplation,et aussi des découpagesfragmentaireset des connaissancesparcellaires,c est depeuplercette lacune,et pas seulementavec dulangage.

Dans une période oùles idéologuesdiscourentabondammentsur lesstructures,la déstructurationdela villemanifestela profondeurdes phénomènesdedésintégration(sociale, culturelle).Cette société,considéréeglobalement,se découvrelacunaire.Entreles sous-systèmeset les structuresconsolidéespardiversmoyens(contrainte,terreur, persuasion idéologique , il y a des trous,parfoisdes abîmes.Cesvidesne viennentpas du hasard.Ce sontaussi leslieuxdupossible.Ilsen contiennentleséléments,flottants ou dispersés, maisnon la forcecapablede lesassembler.Bienplus: les actionsstructurantes etlepouvoirdu videsocialtendentà interdirel'actionetla simpleprésence d'unetelleforce.Les instances

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du possiblene peuvents'accomplirqu aucoursd'unemétamorphose radicale.

Dans cetteconjoncture,l'idéologieprétenddonnerun caractèreabsolu à la «scientificité», la scienceportantsur le réel,le découpant,le recomposantetde ce faitécartant lepossibleet fermantle chemin.Or la science (c'est-à-direles sciencesparcellaires)dans unetelleconjoncturen'aqu'uneportéeprogrammatique. Elleapportedes élémentsà un programme.Si l'onadmetque ces élémentsconstituentd'oresetdéjà unetotalité,si l'onveutexécuterlittéralementleprogramme,on traite l'objetvirtuelcommeun objettechnique,déjà là. Onaccomplitun projetsans critique ni autocritique,et ce projetréaliseen laprojetant sur le terrainune idéologie,celle des technocrates. Nécessaire,le programmatiquene suffitpas.Au coursde l'exécutionil se transforme.Seule laforcesociale capablede s'investirelle-mêmedansl'urbain,au coursd'unelongueexpériencepolitique,peut prendreen chargela réalisationdu programmeconcernantla société urbaine.Réciproquement,lasciencede la villeapporteà cetteperspectiveun fondement théoriqueet critique,une base positive.L'utopiecontrôlée parla raisondialectiquesert degarde-fouauxfictionsprétendument scientifiques,àl'imaginairequi s'égarerait.Ce fondement etcettebase, d'autrepart, empêchentla réflexionde seperdredans le pur programmatique.Le mouvementdialectiquese présenteicicommeun rapport entrela science et la forcepolitique,commeun dialogue,

ce qui actualise les rapports«théorie-pratique» et«positivité-négativitécritique».

Nécessairecommela science, non suffisant,l'artapporteà la réalisationde la société urbainesalongueméditationsur la viecommedrameet jouissance. De pluset surtout, l'artrestituele sens del uvre; il donnede multiplesfiguresde tempsetd espacesappropriés: nonsubis,nonacceptésparune résignationpassive, métamorphosésen uvre.Lamusiquemontrel'appropriationdu temps,la peintureet la sculpturecelle de l espace. Si les sciencesdécouvrentdes déterminismespartiels,l'art (etaussila philosophie)montrecomment unetotaliténaît àpartir de déterminismespartiels.A la forcesocialecapablede réaliserla sociétéurbaine,il incombederendreeffective etefficacel'unité(la«synthèse»)del art,de la technique,de la connaissance.Autantquela sciencede la ville,l'art et l'histoirede l'art entrentdans la méditationsur l'urbain,qui veut rendreefficaces les imagesqui l'annoncent.Cetteméditationtendueversl'actionréalisatriceseraitainsiutopiqueet réaliste,en surmontantcetteopposition.Il estmêmepossibled'affirmerque le maximumd'utopismerejoindral'optimumde réalisme.

Parmiles contradictionscaractéristiquesde

que,il y a celles (particulièrementdures)entre lesréalitésde la société et les faits de civilisationquis'yinscrivent.D'uncôtéle génocide,et de l'autrelesperformances(médicaleset autres)qui permettentdesauver un enfantou de prolonger uneagonie. L'unedes dernièrescontradictions,non la moindre,a étémiseen lumièreici même: entre la socialisation dela société et la ségrégation généralisée. Il y en abiend'autres, parexempleentre l'étiquettede révolutionnaireet l'attachementauxcatégoriesd'un rationalismeproductivistedépassé.Au sein des effetssociaux dus à la pressiondes masses, l'individuelne meurtpas et s'affirme.Desdroitsse fontjour;ilsentrentdans des coutumesou des prescriptionsplusou moinssuivies d actes, et l'on sait commentces«droits» concretsviennentcompléterles droitsabstraits de l'hommeet ducitoyeninscritsaufrontondesédificespar ladémocratielorsde ses débutsrévolutionnaires : droitsdes âges et sexes (la femme,l'enfant,le vieillard),droitsdes conditions (leprolétaire, le paysan),droitsà l'instruction età l éducation, roitau travail,à la culture,au repos,à la santé,au logement.Malgré,ou à traversles destructionsgigantesques, lesguerresmondiales,les menaces,laterreurnucléaire.La pressionde la classe ouvrièrea été et reste nécessaire (maisnonsuffisante)pourla reconnaissancede ces droits,pourleurentréedansles coutumes,pourleur inscriptiondans les codes,encore bienincomplets.

Assezétrangement, ledroità lanature(à la c a m

pagneet à la «purenature»)entredans la pratiquesocialedepuisquelquesannées à la faveurdes loisirs. Ila cheminé àtraversles vitupérationsdevenuesbanalescontre lebruit, lafatigue,l'univers« concentrationnaire» des villes(alorsque la villepourritouéclate).Cheminementétrange,disons-nous: la natureentredans la valeurd échange et dans la marchandise; lle s achète et se vend.Les loisirscommercialisés, ndustrialisés,organisés institutionnellement,détruisentcette«naturalité» donton s occupe pourla trafiqueret pour entrafiquer.La «nature»ou prétendue telle,ce quien survit,devientle ghettodesloisirs,le lieuséparé de la jouissance,la retraitedela «créativité».Les urbainstransportentl'urbainaveceux,mêmes'ilsn'apportentpas l'urbanitélColoniséepareux,la campagnea perdules qualités,propriétéset charmesde la vie paysanne. L'urbainravagelacampagne;cettecampagneurbanisées opposeà uneruralitédépossédée,cas extrêmede la grandemisèrede l'habitant,de l'habitat,de l'habiter.Le droità lanature etle droità lacampagnene se détruisent-ilspas eux-mêmes?

Face à ce droitou pseudo-droit,le droità lavilles annonce commeappel,commeexigence. Par desdétourssurprenants la nostalgie,le tourisme,leretourversle cur de la villetraditionnelle,l appel

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des centrantesexistantes ou nouvellementélaboréesce droitcheminelentement. Larevendicationde

la nature,le désird'enjouirdétournentdu droità laville.Cettedernièrerevendications énonce indirectement,commetendance à fuir la villedétérioréeetnon renouvelée,la vieurbainealiénéeavantd'exister«réellement». Le besoinet le «droit» à la naturecontrarient ledroità la villesans parvenirà l'éluder.(Cecine signifiepas qu'ilne faillepas préserverdevastes espaces«naturels» devantles proliférationspeu urbainesde la villeéclatée.)

Le droità la villene peutse concevoircommeunsimpledroitde visiteou de retourversles villestraditionnelles. Il ne peutse formulerque commedroità lavieurbaine, transformée,renouvelée.Quele tissuurbainenserrela campagneet ce qui survitde viepaysanne,peu importe,pourvuque «l'urbain», lieude rencontre,prioritéde la valeurd usage, inscription

dans l espace d'un tempspromuau rang de biensuprêmeparmiles biens,trouvesa base morphologique, a réalisationpratico-sensible.Ce quisupposeune théorieintégralede la villeet de la sociétéurbaine, utilisantles ressourcesde la science et del'art. Seule la classe ouvrièrepeut devenirl'agent,porteurou supportsocial de cette réalisation.Iciencore, commeil y a un siècle, ellenie et conteste,de parsa seule existence,la stratégiede classedirigéecontreelle.Commeil y a un siècle,bienquedansdes conditionsnouvelles, ellerassemble les intérêts

(dépassant l'immédiatet le superficiel)de la sociétéentière, etd abord de tous ceux qui habitent.LesOlympienset la nouvellearistocratiebourgeoise (quil'ignore?)n'habitentplus.Ilsvontde palaceen palaceou de châteauen château; ilscommandentuneflotteou unpays àpartird'unyacht;ilssontpartoutet nullepart. De là vientqu ils fascinentles gensplongésdans le quotidien;ils transcendentla quotidienneté;ilspossèdent la nature etlaissentlessbiresfabriquerla culture.Est-ilindispensablede décrire longuement,à côtéde la conditiondes jeunes et de la jeunesse,desétudiantset des intellectuels,desarméesde trav illeurs avec ou sans colblanc,des provinciaux,descoloniséset semi-colonisés detoutessortes,de tousceuxquisubissent une quotidiennetébienagencée,est-ilnécessaire ici d'exhiberla misèredérisoireetsans tragiquede l'habitant,des banlieusards,desgensqui séjournentdans les ghettos résidentiels,dans lescentres pourrissantsdes villes

ancienneset

dans les proliférationségarées loin des centresdeces villes?Il suffitd'ouvrirlesyeuxpourcomprendrela viequotidiennede celuiquicourtde sonlogementà la gare procheou lointaine,au métrobondé,aubureau ouà l'usine,pourreprendrele soir ce mêmechemin,et venirchezluirécupérerla forcede recommencer le lendemain.Le tableaude cettemisèregénér lisée n'iraitpas sans le tableaudes « satisfactions qui la dissimulentet deviennent moyensdel'éluderet de s en évader.

Facultédes Lettresde Paris (Nanterre).