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Revue internationale du Travail, vol. 149 (2010), n o 3 Copyright © Organisation internationale du Travail 2010 Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2010 Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois: une analyse transversale en Europe Sandrine CAZES* et Mirco TONIN** Résumé.  S’appuyant sur les données d’Eurostat pour la période 1999-2006, les auteurs étudient l’évolution de l’ancienneté dans l’emploi des salariés de l’Union européenne. Ils n’observent pas de baisse généralisée de cette ancienneté, mais un raccourcissement tendanciel parmi les jeunes travailleurs (15-24 ans) dans de nom- breux pays. Leurs résultats montrent que cette tendance est associée à une plus faible protection de l’emploi conférée et par le droit et par la présence de syndicats. Etant donné le faible pouvoir de négociation individuelle des jeunes travailleurs, la ten- dance à une plus forte individualisation des relations d’emploi pourrait, en effet, plus particulièrement les toucher. a mondialisation, ainsi que les progrès des techniques de l’information et L des communications, en intensifiant les pressions concurrentielles, ren- dent les marchés du travail plus réactifs partout dans le monde. Les entreprises doivent alors fréquemment adapter leurs opérations et leur main-d’œuvre pour satisfaire les fluctuations de la demande et les changements économiques. En Europe, de nombreuses réformes du marché du travail ont été mises en place pour assouplir les marchés du travail; ces réformes ont surtout porté sur la légis- lation de l’emploi, notamment en ce qui concerne les formes d’emploi dites «atypiques», telles que les contrats de durée déterminée, le travail à temps partiel et l’emploi temporaire durant les années 1980 et 1990. Ces profondes réformes ont sans doute contribué à accentuer la segmentation du marché du *   Département de l’analyse économique et des marchés du travail, BIT, Genève, courriel: [email protected]   **   Département d’économie, Université de Southampton, courriel: M.Tonin@ soton.ac.uk. Les auteurs remercient la Revue internationale du Travail pour les précieux commentaires et suggestions des évaluateurs. Ils sont aussi reconnaissants à Per Skendinger, Jaewon Kim et aux par- ticipants du séminaire qui s’est tenu au BIT pour la richesse de leurs suggestions et ils remercient aussi Eurostat qui a fourni les données. Les articles paraissant dans la RIT, de même que les désignations territoriales utilisées, n’en- gagent que les auteurs et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Législation sur la protection de l'emploi et stabilité des emplois: une analyse transversale en Europe

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Revue internationale du Travail, vol. 149 (2010), no 3

Législation sur la protection de l’emploiet stabilité des emplois:

une analyse transversale en Europe

Sandrine CAZES* et Mirco TONIN**

Résumé.  S’appuyant sur les données d’Eurostat pour la période 1999-2006, lesauteurs étudient l’évolution de l’ancienneté dans l’emploi des salariés de l’Unioneuropéenne. Ils n’observent pas de baisse généralisée de cette ancienneté, mais unraccourcissement tendanciel parmi les jeunes travailleurs (15-24 ans) dans de nom-breux pays. Leurs résultats montrent que cette tendance est associée à une plus faibleprotection de l’emploi conférée et par le droit et par la présence de syndicats. Etantdonné le faible pouvoir de négociation individuelle des jeunes travailleurs, la ten-dance à une plus forte individualisation des relations d’emploi pourrait, en effet,plus particulièrement les toucher.

a mondialisation, ainsi que les progrès des techniques de l’information etL des communications, en intensifiant les pressions concurrentielles, ren-dent les marchés du travail plus réactifs partout dans le monde. Les entreprisesdoivent alors fréquemment adapter leurs opérations et leur main-d’œuvre poursatisfaire les fluctuations de la demande et les changements économiques. EnEurope, de nombreuses réformes du marché du travail ont été mises en placepour assouplir les marchés du travail; ces réformes ont surtout porté sur la légis-lation de l’emploi, notamment en ce qui concerne les formes d’emploi dites«atypiques», telles que les contrats de durée déterminée, le travail à tempspartiel et l’emploi temporaire durant les années 1980 et 1990. Ces profondesréformes ont sans doute contribué à accentuer la segmentation du marché du

*  Département de l’analyse économique et des marchés du travail, BIT, Genève, courriel:[email protected].    **  Département d’économie, Université de Southampton, courriel: [email protected].

Les auteurs remercient la Revue internationale du Travail pour les précieux commentaires etsuggestions des évaluateurs. Ils sont aussi reconnaissants à Per Skendinger, Jaewon Kim et aux par-ticipants du séminaire qui s’est tenu au BIT pour la richesse de leurs suggestions et ils remercientaussi Eurostat qui a fourni les données.

Les articles paraissant dans la RIT, de même que les désignations territoriales utilisées, n’en-gagent que les auteurs et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sontexprimées.

Copyright © Organisation internationale du Travail 2010Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2010

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travail dans certains pays et à alimenter un sentiment général d’insécurité: lesmarchés du travail semblent évoluer de façon irréversible vers un changementhistorique avec une multiplication des emplois flexibles et de courte durée. Cesderniers ne permettent pas aux travailleurs et aux employeurs d’investir dansdes relations d’emploi de longue durée ni d’en tirer avantage (formation,confiance, prestations sociales). Il s’ensuit qu’une évolution vers une forte vola-tilité du marché du travail exigerait de repenser en profondeur les politiques etles institutions relatives à la protection sociale et au marché du travail. Il estdonc important d’observer objectivement jusqu’à quel point la stabilité des em-plois est remise en cause, voire appartient au passé; et de savoir dans quelle me-sure les marchés du travail des économies avancées se sont radicalementtransformés comme l’affirment souvent les médias. Il y a eu de nombreuses étu-des sur la stabilité de l’emploi, la plupart consacrées aux Etats-Unis et auRoyaume-Uni, pays où la question a suscité le plus d’attention. Alors que denombreuses analyses ont consisté à évaluer la stabilité de l’emploi au cours dutemps dans un pays donné, peu d’entre elles ont été consacrées à son évolutiondans le temps entre pays (à l’exception de l’OCDE 1993 et 1997; BIT, 1996 et2001; voir aussi Cazes et Nesporova, 2001; Auer et Cazes, 2000).

Nous essayons d’apporter ici quelques éclairages sur les changements quise sont effectivement produits sur les marchés du travail dans l’Union euro-péenne à 25 à partir des données sur l’ancienneté des salariés 1 durant la période1999-2006. Nous nous intéressons ensuite aux changements de la législation surla protection de l’emploi 2 en tant que déterminant possible des variations de lastabilité de l’emploi d’un pays à l’autre, mais aussi d’une tranche d’âge à l’autre,en raison de la dualité des réformes menées en Europe au cours de la période.Dans la plupart des pays concernés, les réformes ont été faites «à la marge» (parexemple les nouvelles embauches), tandis que la protection de l’emploi destravailleurs titulaires de contrats permanents restait inchangée. Ainsi, si la légis-lation ne s’applique pas uniformément à tous les travailleurs, les effets des ré-formes devraient être ressentis de façon disproportionnée par les nouveauxentrants, comme les jeunes, les femmes ou les travailleurs immigrés.

Nous commençons par une analyse descriptive de la stabilité de l’emploi,mesurée par l’ancienneté dans l’emploi et les tendances récentes à ce sujet ausein de l’Union européenne à 25. Le niveau et la structure par âge de cet indica-teur constituent notre principal matériel pour l’étude empirique. Les donnéesproviennent des Enquêtes sur les forces de travail d’Eurostat jusqu’en 2006 et neportent que sur les salariés. L’analyse ne montre pas de raccourcissement gé-néralisé de l’ancienneté dans l’emploi, mais une tendance à la baisse parmi les

1 Définie comme la durée d’occupation continue d’un travailleur auprès du même em-ployeur.

2 Par législation sur la protection de l’emploi, il faut entendre toutes les dispositions régle-mentaires relatives aux embauches et aux licenciements, notamment celles qui portent sur les licen-ciements abusifs, les licenciements économiques, les indemnités de licenciement, les périodesminimales de préavis, les autorisations administratives de licencier et la consultation préalable dessyndicats ou de l’administration du travail (voir encadré 2 pour plus de détails).

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jeunes travailleurs (15-24 ans) dans beaucoup de pays. Dans un deuxième temps,nous examinons les explications possibles de cette tendance, en nous intéressantsurtout à la législation sur la protection de l’emploi. Une analyse économétriquepermet de tester l’existence d’un lien entre protection de l’emploi et ancienneté.Nous examinons notamment les effets de la protection de l’emploi sur l’ancien-neté moyenne et sur la fréquence du travail temporaire. Pour conclure, nous for-mulons quelques suggestions quant aux politiques à mener.

Que nous disent les données sur l’ancienneté?Le temps passé par un salarié auprès de son employeur actuel, soit l’anciennetédans l’emploi, est une variable communément utilisée dans les études sur lemarché du travail pour analyser la stabilité sur ce marché à l’échelle macroéco-nomique. Il est bon de rappeler cette ancienneté n’est pas affectée par des chan-gements de poste de travail au sein de la même entreprise ou chez le mêmeemployeur (flexibilité interne). Par ailleurs, l’étude porte sur des relations d’em-ploi encore inachevées. En moyenne, on devrait observer une ancienneté égaleà la moitié de la durée de la relation d’emploi auprès de l’employeur actuel.Dans ce cas, on peut attendre une ancienneté totale égale au double de l’ancien-neté mesurée sur les périodes inachevées. L’indicateur que nous utilisons iciprovient des réponses aux questions des Enquêtes sur les forces de travail rela-tives au mois et à l’année de début de la relation d’emploi avec l’employeur ac-tuel. C’est cet indicateur qu’ont utilisé, par exemple, Gregg et Wadsworth(2002) dans leur étude sur le Royaume-Uni et Farber (2008) pour les Etats-Unis3. Il faut aussi souligner que nous utilisons l’ancienneté moyenne de catégo-ries larges de travailleurs. Un autre moyen d’évaluer la stabilité consisterait àétudier les transitions individuelles des travailleurs sur le marché du travail;mais il serait alors fort difficile et complexe d’obtenir une analyse globale etcomparative. Ci-après, nous nous intéresserons surtout à la question de savoirs’il y a eu ou non une évolution marquée de l’ancienneté moyenne au cours dutemps et entre pays de l’Union européenne à 254, ce qui indiquerait une instabi-lité accrue.

Premiers éléments factuelsLes relations d’emploi de longue durée constituent les formes les plus fréquentesdes marchés du travail en Europe. Des études récentes ont montré une nettepréférence pour la stabilité: 68 pour cent des Européens qui travaillent ont lemême employeur que cinq ans auparavant, tandis que 57 pour cent estiment

3 D’autres moyens de mesurer l’ancienneté sont de considérer la probabilité d’une poursuiteininterrompue de la relation d’emploi ou le taux de maintien dans l’emploi (voir, par exemple, Neu-mark, Polsky et Hansen, 1999).

4 La Bulgarie et la Roumanie ne peuvent pas être comprises dans l’étude du fait d’un manquede données. Les données relatives à l’Autriche ont aussi été exclues, parce qu’elles ne sont pas tou-jours fiables ni parfaitement comparables.

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qu’ils auront toujours le même employeur dans cinq ans (Eurofound, 2007). Unautre trait saillant est que les entreprises tendent à conserver leur main-d’œuvredurant les récessions, même si cette attitude implique de payer un taux salarialsupérieur à la productivité du travail (Hamermesh, 1989). Ces deux élémentsdonnent à penser que les entreprises tout comme les travailleurs attachent unevaleur positive aux relations d’emploi durables. Selon la théorie économique, cephénomène peut avoir trois explications principales. La première tient à l’exis-tence d’un capital humain spécifique à l’entreprise, ce qui incite les travailleurset les entreprises à entretenir des relations durables, et que l’adéquation entre letravailleur et l’entreprise ne se dévoile qu’avec l’ancienneté (Jovanovic, 1979)5.Une autre explication – qui peut être complémentaire – se rapporte au cadreinstitutionnel, et notamment à la législation sur la protection de l’emploi: lesmodèles économiques indiquent que l’emploi sera plus stable et la relation indi-viduelle d’emploi plus durable lorsque la législation est plus protectrice6.

Un troisième élément à prendre en considération tient aux préférenceshétérogènes des travailleurs en ce qui concerne la mobilité de l’emploi (voir les«modèles de Mover-Stayer», dans l’ouvrage de Blumen, Kogen et McCarthy,1955). Bien que les travailleurs aient des attitudes différentes au regard de lamobilité, les nouveaux entrants sur le marché du travail sont susceptibles d’êtreplus mobiles au début de leur carrière lorsqu’ils peuvent espérer des augmen-tations significatives de salaires (Topel et Ward, 1992). En outre, on peut s’at-tendre à ce que l’âge soit une variable critique pour l’ancienneté dans l’emploi,parce que les relations d’emploi durables offrent aux travailleurs une assurancecontre les fluctuations de revenu et leur permettent de construire des relationsfamiliales et sociales dans la stabilité (logement, scolarité des enfants, etc.).L’évolution de la mobilité professionnelle (lorsqu’elle est volontaire) dépenddonc probablement de l’âge.

Le tableau 1 présente l’ancienneté moyenne dans les principaux pays del’Union européenne, à partir des données d’Eurostat. En 2006, la moyenne nonpondérée pour les 24 pays était de 9,9 ans, c’est-à-dire au même niveau qu’en1999. Lorsque l’on effectue une pondération en fonction du volume de l’emploi,nous observons un léger accroissement de 9,9 ans en 1999 à 10,2 ans en 2006. Lesdifférences entre pays sont très prononcées, et les données montrent que les an-ciennetés les plus courtes s’observent dans les nouveaux pays membres del’Union européenne: l’Estonie et la Lettonie apparaissent comme les pays pré-sentant la plus faible ancienneté moyenne; suivent des pays dont les marchés dutravail sont très flexibles, comme le Danemark, l’Irlande ou le Royaume-Uni.Les anciennetés les plus longues s’observent en Slovénie, en France, en Italie, auLuxembourg et en Belgique, suivis de près par le Portugal, la Suède, l’Alle-magne et Malte. Les différences entre pays semblent perdurer au cours dutemps et aucune aggravation de l’instabilité ne semble avoir eu lieu au cours des

5 Pour plus de précisions, voir Auer, Cazes et Spiezia (2001).6 Cet aspect des choses est étudié et développé plus loin dans cet article. La simple observa-

tion des données transversales montre une corrélation entre l’ancienneté et la rigueur de la législa-tion sur la protection de l’emploi (voir plus bas figure 1).

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dernières années en Europe. Ainsi, les données de la période 1999-2006 sem-blent confirmer les résultats de la période 1992-1999 (Auer et Cazes, 2000; Auer,Cazes et Spiezia, 2001).

Toutefois, cette évaluation directe de la stabilité de l’emploi doit être inter-prétée avec beaucoup de précaution du fait de deux types d’effets: les effets destructure et ceux du cycle économique. Comme l’ancienneté moyenne est unesomme pondérée selon les groupes de travailleurs ayant différentes caractéris-tiques, l’effet de structure vient des changements dans les poids respectifs des ca-tégories qui peuvent masquer la variation réelle de l’ancienneté au sein dechaque catégorie. Ainsi, l’évolution de l’ancienneté moyenne peut-elle en fait re-fléter des changements dans la composition démographique de la main-d’œuvre:

Tableau 1. Ancienneté moyenne dans l’emploi (années)

Pays 1999 2000 2001 2004 2005 2006

Allemagne 10,5 10,4 10,4 11,1 10,9 10,9

Belgique 11,6 11,3 11,5 11,8 11,9 11,6

Danemark 8,3 7,9 8,0 8,5 8,4 8,1

Espagne 9,1 9,2 9,0 8,9 9,0 8,9

Finlande 9,8 9,9 9,8 10,2 10,2 10,0

France 11,3 11,1 10,8 11,8 11,8 11,6

Grèce 10,1 10,2 10,6 10,3 10,7 10,6

Irlande 8,2 8,3 8,4 8,1 8,6 8,5

Italie 11,8 11,7 11,7 11,5 11,4 11,5

Luxembourg 11,0 11,3 11,0 11,6 11,7 11,5

Pays-Bas 9,4 9,1 8,9 10,6 10,9 10,2

Portugal 10,4 10,3 10,2 10,8 11,1 11,1

Royaume-Uni 8,2 8,2 8,1 8,2 8,2 8,3

Suède 11,9 11,5 10,8 11,3 10,9 10,7

Nouveaux Etats membres

Chypre 9,4 9,5 9,1 8,8 9,0 9,3

Estonie 7,5 7,9 7,7 8,0 7,8 7,8

Hongrie 9,3 9,5 9,4 9,6 9,5 9,6

Lettonie n.d n.d 8,3 7,8 7,5 7,6

Lituanie 8,5 8,8 8,7 8,4 8,4 8,5

Malte n.d 10,5 10,2 10,6 10,5 11,0

Pologne 10,5 10,1 10,2 10,0 9,9 9,7

Slovaquie n.d n.d 10,8 10,0 10,0 10,0

Slovénie 11,4 11,8 12,0 11,9 11,6 11,8

République tchèque 10,0 10,2 9,0 9,9 10,0 9,9

Moyenne (pondérée) 9,9 9,9 9,9 10,3 10,3 10,2

Moyenne 9,9 9,9 9,8 10,0 10,0 9,9

n.d.: non disponible.Source: Eurostat.

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il est probable que les travailleurs soient plus mobiles quand ils sont jeunes – soitvolontairement, pour accumuler une expérience diversifiée et obtenir des pro-motions en changeant d’emploi, soit involontairement parce qu’ils peuvent êtreles premiers frappés en cas de licenciement. Il s’ensuit qu’un pays dont la popu-lation est relativement jeune présentera une ancienneté moyenne inférieure àcelle d’un pays dont la population est plutôt vieillissante. Le même phénomènedémographique joue au cours du temps. Etant donné que les travailleurs les plusâgés ont en moyenne plus d’ancienneté, un vieillissement de la population peutaussi masquer une évolution vers des emplois moins stables. Pour prendre encompte ce biais potentiel, nous désagrégeons la variation de l’anciennetémoyenne en deux composantes pour la période la plus récente (1999-2006)7. Lapremière composante reflète la variation de l’ancienneté moyenne due au chan-gement de la structure par âge; la seconde composante mesure la variation del’ancienneté moyenne non pondérée, c’est-à-dire la variation de l’anciennetémoyenne qui aurait eu lieu si la répartition par âge était restée inchangée depuisla période initiale, ici 1999 (voir encadré 1).

Comme le montre le tableau 2, dans la grande majorité des pays considé-rés, le glissement de la structure par âge dû au vieillissement a «mécanique-ment» induit un accroissement de l’ancienneté moyenne8. Ce n’est qu’en Suèdeet en Pologne que la structure par âge a changé en sorte de légèrement réduire

7 Cela est le suivi et la mise à jour d’une recherche antérieure menée dans ce sens pour la pé-riode 1992-1999 (voir Auer, Cazes et Spiezia, 2001).

8 La décomposition ne pouvait être faite que pour 21 pays, les données pour Malte n’étantdisponibles que depuis 2000 et celles de la Lettonie et de la Slovaquie depuis 2001. Comme ce typed’analyse exige une même date initiale, nous avons exclu ces trois pays. Les données pour l’Autricheont été exclues pour les raisons mentionnées plus haut (voir note 4).

Encadré 1. Décomposition de l’ancienneté moyenne

L’ancienneté moyenne pour l’année x est donnée par ATx = ∑j sj,x ATj,x,, où j est unindice indiquant la tranche d’âge (dans notre cas trois tranches: 15-24 ans, 25-44 ans et45 ans et plus) et ATj,x est l’ancienneté moyenne de la tranche d’âge j l’année x, sj,x étantla part de la population appartenant au groupe j l’année x. La variation de l’anciennetémoyenne entre l’année x et l’année y s’écrit ainsi:

ΔAT = ∑j sj,x ATj,x – ∑j sj,y ATj,y = ∑j (sj,x ATj,x – sj,y ATj,y )

Nous pouvons formuler la variation de l’ancienneté moyenne imputable à la tranched’âge j comme:

sj,x ATj,x – sj,y ATj,y = (sj,x – sj,y) ATj,y + (ATj,x – ATj,y) sj,x = Δsj ATj,y + ΔATj sj,x

Par agrégation sur j nous pouvons décomposer la variation de l’ancienneté moyennecomme suit:

ΔAT = ∑j (Δsj ATj,y + ΔATj sj,x) = ∑j Δsj ATj,y + ∑j ΔATj sj,x

où∑j Δsj ATj,y représente la variation de l’ancienneté moyenne imputable aux variations dela répartition par âge;∑j ΔATj sj,x représente la variation de l’ancienneté moyenne imputable aux changementsde l’ancienneté moyenne au sein de chaque tranche d’âge.

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cette ancienneté. Une fois l’effet de l’âge éliminé, il devient apparent que 18 sur21 des pays de l’échantillon ont des durées d’ancienneté moyenne qui raccour-cissent. Au Luxembourg par exemple, l’augmentation de l’ancienneté moyennesemble pour une grande part due au vieillissement de la population. Ainsi, cetexercice de décomposition suggère que la stabilité apparente de l’anciennetédans certains pays pourrait être due aussi à l’effet contraire du vieillissement dela main-d’œuvre. Il est donc très important d’analyser l’ancienneté moyenne partranche d’âge.

Désagrégation par tranche d’âgeAu tableau 3 figurent les valeurs de l’ancienneté moyenne selon les tranchesd’âge en 1999 et 2006. Même si l’ancienneté s’est réduite dans la majorité despays, cette décomposition par âge ne fait apparaître aucune tendance nette.S’agissant des jeunes travailleurs (15-24 ans), on n’observe aucune diminutionsystématique, sauf dans les pays d’Europe centrale et orientale où l’instabilitéde l’emploi s’est significativement aggravée pour les nouveaux entrants sur le

Tableau 2. Décomposition des variations de l’ancienneté moyenne (1999-2006)

Pays Age Ancienneté moyenne Total

Allemagne 0,36 0,15 0,51

Belgique 0,60 –0,66 –0,06

Danemark 0,42 –0,60 –0,18

Espagne 0,39 –0,56 –0,17

Finlande 0,53 –0,38 0,16

France 0,39 –0,13 0,26

Grèce 0,63 –0,19 0,45

Irlande 0,59 –0,52 0,07

Italie 0,51 –0,73 –0,23

Luxembourg 0,85 –0,38 0,48

Pays-Bas 0,56 –0,21 0,35

Portugal 0,58 0,12 0,70

Royaume-Uni 0,19 –0,12 0,08

Suède –0,08 –1,14 –1,22

Nouveaux Etats membres

Chypre 0,33 –0,45 –0,12

Estonie 0,06 0,21 0,27

Hongrie 0,79 –0,50 0,29

Lituanie 0,20 –0,26 –0,05

Pologne –0,07 –0,75 –0,82

Slovénie 0,74 –0,34 0,40

République tchèque 0,33 –0,48 –0,15

Sources: Eurostat et calculs des auteurs.

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marché du travail, à l’exception de la Slovénie. Dans deux pays seulement, l’Ir-lande et les Pays-Bas, les jeunes travailleurs bénéficient d’une stabilité nette-ment accrue9.

S’agissant des travailleurs de la tranche intermédiaire (25-44 ans), la dimi-nution de l’ancienneté moyenne semble encore plus prononcée que pour lesjeunes. Dans certains pays, Danemark, Italie, Suède, et ici encore dans la plu-part des pays d’Europe centrale et orientale, le raccourcissement de l’ancienne-té semble affecter toutes les tranches d’âge; ce n’est qu’en France et en Estonieque l’ancienneté a significativement augmenté pour les travailleurs de la tran-

9 La même tendance avait déjà été observée pour ces deux pays dans notre recherche anté-rieure (voir Auer, Cazes et Spiezia, 2001).

Tableau 3. Ancienneté moyenne par tranche d’âge (1999, 2006)

Pays 15-24 ans 25-44 ans 45+ ans

1999 2006 1999 2006 1999 2006

Allemagne 2,4 2,3 8,2 8,4 17,1 17,3

Belgique 1,5 1,7 9,1 8,5 20,6 19,7

Danemark 1,6 1,5 6,1 5,7 14,9 13,9

Espagne 1,4 1,5 7,2 6,4 17,4 17,1

Finlande 1,0 1,1 7,4 6,7 16,7 16,6

France 1,5 1,4 8,9 8,2 18,8 19,7

Grèce 2,3 2,4 8,3 7,9 18,0 18,1

Irlande 1,8 2,1 7,8 6,9 16,1 15,7

Italie 2,4 2,3 9,2 8,4 19,8 19,0

Luxembourg 2,3 2,3 8,9 8,5 19,3 18,8

Pays-Bas 1,9 2,3 7,9 7,6 17,2 16,6

Portugal 2,7 2,6 8,5 8,7 18,4 18,6

Royaume-Uni 1,9 2,0 7,2 6,9 12,8 12,8

Suède 1,9 1,3 8,5 7,1 18,3 17,4

Nouveaux Etats membres

Chypre 1,7 1,7 7,5 7,3 16,9 15,8

Estonie 2,2 1,6 5,9 5,9 10,9 11,6

Hongrie 2,8 2,2 8,1 7,4 14,6 14,4

Lettonie1 2,3 1,7 7,1 6,3 12,2 11,3

Lituanie 2,2 1,8 6,3 6,7 14,2 12,8

Malte2 2,8 2,9 9,6 9,9 18,0 17,7

Pologne 1,9 1,6 8,7 7,7 16,2 15,8

Slovaquie1 2,9 2,3 9,0 8,1 17,0 15,2

Slovénie 1,9 2,0 9,9 9,4 19,0 18,8

République tchèque 2,7 2,2 7,9 7,6 15,5 14,8

1 2001.    2 2000.Source: Eurostat.

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che la plus âgée (45 ans et plus). A cause des effets du cycle économique, ceconstat n’est pas suffisant pour établir l’existence d’une tendance au raccourcis-sement de l’ancienneté. On peut penser que l’ancienneté moyenne diminuerapendant les périodes de récession, car davantage de travailleurs sont licenciés, etl’incertitude économique conduit les entreprises à demander plus de flexibilité àleur main-d’œuvre; réciproquement, on peut attendre une augmentation del’ancienneté moyenne pendant les périodes d’expansion, les entreprises étantplus disposées à proposer des emplois stables.

Les effets du cycle économique sur l’ancienneté moyenne sont plus com-plexes à saisir. En effet, durant les phases ascendantes du cycle, soit l’anciennetépeut diminuer – du fait d’une mobilité volontaire plus intense s’expliquant parl’augmentation du nombre de possibilités professionnelles et parce que les nou-veaux emplois sont par définition associés à une faible ancienneté partant de zé-ro –, soit elle peut augmenter du fait de la baisse du nombre de licenciementslorsque le contexte économique est favorable. Durant les phases descendantesdu cycle économique, non seulement les départs volontaires diminuent (ce quifait augmenter l’ancienneté) et les licenciements augmentent (ce qui diminuel’ancienneté), mais, selon les observations empiriques, les destructions d’em-plois affectent principalement les emplois de plus courte durée (ce qui induitaussi une augmentation de l’ancienneté moyenne). L’effet net dépendra doncdu taux de départs et du taux de licenciements. Habituellement, l’effet de «rac-courcissement» des départs volontaires fait plus que compenser celui des licen-ciements, ce qui induit une baisse de l’ancienneté dans les périodes d’expansion.Le contraire est vrai lors des périodes de récession au cours desquelles l’ancien-neté moyenne s’accroît.

Dans les économies avancées, les faits observés montrent que la rotationde la main-d’œuvre s’accélère durant les périodes de croissance économique etdiminue lors des récessions: la réduction des départs volontaires fait plus quecompenser l’augmentation des licenciements comme on l’a vu (Boeri, 1996;BIT, 1996 et 2001). Ainsi, essentiellement pour des raisons tenant à l’offre detravail, la rotation de la main-d’œuvre tend à être procyclique, tandis que l’an-cienneté moyenne a tendance à se raccourcir pendant les périodes de crois-sance. Il apparaît donc que, lorsque les travailleurs se sentent suffisamment enconfiance pour quitter leur emploi du fait d’un degré élevé de protection institu-tionnelle lors de leur transition d’un emploi à l’autre, ils se sentent moins «coin-cés» et sont plus mobiles. Toutefois, dans les pays d’Europe centrale et orientalece schéma est inversé, avec une diminution de la rotation et une augmentationde l’ancienneté pendant les périodes de croissance (Cazes et Nesporova, 2003);ce comportement contrecyclique de la rotation de la main-d’œuvre, que l’on ad’abord identifié au cours de la décennie de transition, celle des années 1990,s’est confirmé dans la première moitié des années 2000 (Cazes et Nesporova,2007). Cela peut s’expliquer en partie parce que la demande de main-d’œuvreest restée contrainte pendant longtemps et aussi par la faiblesse des politiques etdes institutions du marché du travail dans ces pays. La perception de l’insécuritédue à l’instabilité des emplois nouvellement créés et à la faiblesse des filets de

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294 Revue internationale du Travail

sécurité en cas de chômage (faibles allocations de chômage, politiques activesdu marché du travail limitées) a fait que les travailleurs se montrent réticents àla perspective de quitter leur emploi volontairement, même dans les périodes dereprise économique10.

Afin de savoir s’il y a une tendance à plus d’instabilité, nous avons testél’existence d’un trend à partir de régressions sur des données de panel (entrebranches d’activité et au cours du temps) pour chaque pays et chaque grouped’âge, en tenant compte des effets sur l’emploi du cycle économique, pour la pé-riode 1996-200611. Les estimations présentées dans le tableau 4 permettent dedétecter une tendance temporelle négative et statistiquement significative pourcertains groupes d’âge dans l’Union européenne. Premièrement, au cours de lapériode 1999-2006, l’ancienneté des jeunes travailleurs (15-24 ans) a diminué aucours du temps dans tous les pays où la variable temporelle était significative, àl’exception de la Belgique, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas et duRoyaume-Uni. Les travailleurs de la tranche d’âge intermédiaire (25-44 ans) ontconnu une évolution similaire dans la majorité des pays où cette même variableétait significative: Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Italie,Suède, Hongrie, Slovaquie et Slovénie. Enfin, et toujours pour la même période,un certain nombre de pays ont connu une diminution de l’ancienneté des tra-vailleurs les plus âgés (45 ans et plus): Belgique, Danemark, Espagne, Irlande,Italie, Suède et Slovaquie. Dans deux pays seulement, la Suède et la Slovaquie, ladiminution de l’ancienneté s’est généralisée à toutes les tranches d’âge. En re-vanche, une tendance significative mais positive est observée en Allemagne et auPortugal pour les tranches d’âge de 25-44 ans et 45 ans et plus.

En résumé, nous n’observons pas de baisse générale et systématique del’ancienneté dans l’emploi au cours de la période 1999-2006 dans l’Union euro-péenne. Cela confirme nos résultats précédents concernant la période 1992-1999. Toutefois, si l’on concentre l’analyse sur les années les plus récentes, nousconstatons que les jeunes travailleurs ont des durées d’ancienneté dans l’emploiplus courtes et ce dans de nombreux pays, cette tendance ne semblant pas affec-ter dans les mêmes proportions les travailleurs les plus âgés; bien sûr le tableaudiffère d’un pays à l’autre. Ces résultats n’impliquent pas pour autant une aggra-vation générale de l’insécurité de l’emploi et leur interprétation appelle uneanalyse plus approfondie à la lumière des diverses lignes théoriques présentéesplus haut. Nous nous intéresserons ainsi dans la partie suivante au rôle particu-lier qu’ont pu jouer les réformes de la législation sur la protection de l’emploi

10 Ce résultat est aussi appuyé par une forte corrélation entre le cycle économique et les fluxsur le marché du travail – par exemple les passages de l’emploi au chômage ou à l’inactivité – dans lamajorité des pays d’Europe centrale et orientale étudiés par Cazes et Nesporova (2003 et 2007).

11 L’équation estimée est la suivante:

où d est un ensemble de variables indicatrices sectorielles, BCr est le taux de croissance de l’emploilorsqu’il est négatif (récession), BCb est le taux de croissance de l’emploi lorsqu’il est positif (expan-sion), t exprime une tendance chronologique linéaire (temporelle), et j le groupe d’âge. La variableexpliquée, ancienneté, est exprimée en mois.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 295

dans ces évolutions, sachant que ces réformes ont modifié la flexibilité-stabilitédu marché du travail.

Le rôle de la législation sur la protectionde l’emploiThéoriePar législation sur la protection de l’emploi (LPE), il faut entendre les disposi-tions réglementaires relatives aux embauches et aux licenciements, notammentcelles qui régissent les cessations d’emploi, les indemnités de licenciement, lespériodes de préavis et autres obligations procédurales. Dans l’encadré 2, nous

Tableau 4. Evolution de l’ancienneté moyenne par tranche d’âge (1999-2006)

Pays 15-24 ans 25-44 ans 45+ ans

Allemagne –0,01 0,07 0,06

Belgique 0,05 –0,06 –0,07

Danemark 0,00 –0,07 –0,14

Espagne –0,01 –0,08 –0,04

Finlande 0,02 –0,06 –0,02

France –0,02 –0,02 0,17

Grèce –0,01 0,01 0,04

Irlande 0,03 –0,12 –0,07

Italie 0,00 –0,07 –0,04

Luxembourg –0,02 –0,02 –0,03

Pays-Bas 0,02 –0,03 –0,03

Portugal 0,00 0,08 0,08

Royaume-Uni 0,02 –0,01 0,01

Suède –0,07 –0,14 –0,10

Nouveaux Etats membres

Chypre 0,01 –0,03 –0,04

Estonie –0,02 0,00 –0,04

Hongrie –0,09 –0,05 0,05

Lettonie –0,05 0,00 0,03

Lituanie –0,04 0,10 –0,12

Malte 0,00 0,11 –0,07

Pologne –0,04 0,02 –0,02

Slovaquie –0,11 –0,15 –0,20

Slovénie –0,03 –0,07 0,03

République tchèque –0,07 0,02 0,20

Les coefficients en gras sont significatifs au seuil de 5 pour cent. Voir note 11 pour plus de précisions sur la régres-sion.    Le nombre d’observations varie de 77 à 162, selon le pays et la tranche d’âge.    Estimation par FGLS corri-gée pour l’hétéroscédasticité et pour l’erreur AR(1), pondérée en fonction du niveau de l’emploi.Sources: Eurostat et calculs des auteurs.

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296 Revue internationale du Travail

présentons les dispositions en question prises en considération par l’OCDE pourcalculer son indice de protection de l’emploi, indice que nous utilisons pour l’ana-lyse empirique.

Comme on l’a vu, la législation sur la protection de l’emploi s’imposecomme un élément d’explication de la variation de la stabilité de l’emploi d’unpays à l’autre, mais aussi d’une tranche d’âge à l’autre, dans la mesure où leschangements de la législation peuvent ne pas s’appliquer uniformément à l’en-semble des travailleurs. Effectivement, de nombreuses réformes de cette légis-lation sont très souvent asymétriques, en ce sens qu’elles ne portent que sur unepartie de la population concernée. Nous procéderons ici à une étude critique desprincipales hypothèses théoriques relatives aux effets de cette législation surl’adaptation des marchés du travail – notamment sur la stabilité des emplois – etsur la structure de l’emploi (parts respectives des emplois temporaires et perma-

Encadré 2. Calculs des indicateurs de la protection de l’emploi:la méthodologie de l’OCDE

Pour chaque pays la protection de l’emploi est décrite selon 21 sous-éléments quipeuvent être rangés dans trois grandes catégories: i) protection des travailleurs perma-nents contre les licenciements individuels; ii) réglementation des formes d’emploi tem-poraire; iii) exigences particulières relatives au licenciement collectif. Il est fait référenceà la protection de l’emploi conférée par la loi et les règlements, assortie de procéduresde mise en application. Les précisions sur la méthode utilisée pour convertir des don-nées brutes en valeurs cardinales sur une échelle de 0 à 6, les valeurs les plus élevéesindiquant une réglementation plus stricte, sont disponibles à l’adresse <www.oecd.org/employment/protection>.

i) Le licenciement individuel de travailleurs titulaires de contrats permanents: cesous-indicateur prend en compte trois aspects de la protection en cas de licencie-ment: a) contraintes de procédure auxquelles l’employeur se trouve confrontélorsqu’il souhaite procéder à un licenciement – par exemple, obligations de noti-fication et de consultation; b) délai de préavis et indemnités de licenciement, les-quelles varient, en règle générale, en fonction de l’ancienneté du salarié; etc) difficulté de licencier, ce qui renvoie aux circonstances dans lesquelles il est pos-sible de licencier et aux répercussions que cela a, pour l’employeur, si un licencie-ment est jugé abusif (par exemple, indemnisation et obligation de réintégration).

ii) Les surcoûts en cas de licenciement collectif: la plupart des pays imposent desdélais accrus, des surcoûts ou des obligations de notification plus lourdes lorsqu’unemployeur licencie en une seule fois un grand nombre de travailleurs. Ce sous-indicateur ne prend en compte que les surcoûts que l’employeur doit supporter parrapport à un licenciement individuel. Il ne reflète pas le degré global de rigueur de laréglementation en cas de licenciement collectif, lequel correspond au coût des licen-ciements individuels plus les éventuels surcoûts en cas de licenciement collectif.

iii) La réglementation visant les contrats de travail temporaire: ce sous-indicateurprend en compte la réglementation visant les contrats de durée déterminée et lescontrats de travail temporaire, lorsque ce type de contrat est autorisé, et leur durée.Cette mesure prend aussi en compte la réglementation régissant les conditions decréation et de fonctionnement des agences d’intérim et l’obligation qui leur est faited’assurer aux travailleurs qu’elles emploient les mêmes conditions de rémunérationet/ou de travail que celles dont bénéficient des travailleurs équivalents dans l’entre-prise utilisatrice, ce qui peut renchérir le coût du recours à des travailleurs intéri-maires plutôt que d’embaucher des travailleurs sous contrat permanent.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 297

nents), car la théorie prévoit qu’un ensemble de dispositions réglementaires de-vrait affecter les évolutions et la structure de l’emploi plutôt que son niveaumoyen 12.

La première fonction de la législation sur la protection de l’emploi est degarantir aux travailleurs une plus grande sécurité, tant dans leur emploi actuelqu’en cas de licenciement. Le préavis informe le travailleur des plans de licen-ciement et lui donne du temps pour chercher un nouvel emploi. Dans certainpays, la législation oblige les employeurs à proposer un reclassement interne sicela est possible et à coopérer avec les syndicats et les services publics de l’em-ploi pour trouver un nouvel emploi aux travailleurs en surnombre, tout en leurattribuant une compensation financière pour faire face aux difficultés découlantdu licenciement. Le but de ces dispositions est de renforcer l’attachement du-rable des travailleurs à leurs emplois et à leurs employeurs ou, si leur réaffecta-tion interne n’est pas possible, de faciliter un reclassement externe tout enlimitant la perte de revenu. Les perspectives d’emploi stables encouragent lestravailleurs à entreprendre des formations et à améliorer leurs qualifications, demême qu’elles incitent les entreprises à investir dans ces formations susceptiblesd’améliorer la productivité du travail et de faciliter la flexibilité interne de lamain-d’œuvre, toutes choses bénéfiques pour l’adaptation des entreprises auxévolutions du marché (voir Piore, 1986) 13.

La plupart des modèles théoriques concordent nettement sur le fait quel’emploi est plus stable et les relations individuelles d’emploi plus durables lors-que la législation sur la protection de l’emploi est plus stricte: étant donné unschéma salarial cyclique constant, l’augmentation des coûts de licenciement sta-bilise l’emploi lors des récessions économiques, mais retient aussi les em-ployeurs d’embaucher lors des périodes d’expansion; en effet, si les coûts derotation sont élevés, les entreprises peuvent avoir des réticences à ajuster leurmain-d’œuvre, ce qui a pour effet de ralentir les passages de l’emploi au chô-mage et le retour du chômage à l’emploi14.

Une autre voie par laquelle les réformes de la législation sur la protectionde l’emploi peuvent affecter la configuration de l’emploi tient au fait que trèssouvent les changements portent sur les marges et ne concernent pas l’ensembledes travailleurs. Une différence de rigueur de la réglementation s’appliquantaux emplois permanents et temporaires (contrat de durée déterminée etcontrat de travail temporaire ou d’intérim) modifiera vraisemblablement lastructure de l’emploi. A l’évidence, une réglementation plus protectrice desemplois permanents incitera les entreprises à proposer des emplois temporaires.

12 Pour un passage en revue exhaustif du nombre considérable de textes de recherche (tantthéoriques qu’empiriques) sur les effets de la législation sur la protection de l’emploi sur la demandeagrégée de travail, voir par exemple OCDE (2004).

13 La sécurité de l’emploi devrait aussi atténuer la résistance des travailleurs à l’introductionde nouvelles techniques ou méthodes de travail (Akerlof, 1984).

14 Pour des modèles d’équilibre partiel, voir, par exemple, Bentolila et Bertola (1990); Ber-tola (1992); Bentolila et Saint-Paul (1992). Pour des modèles d’équilibre général de l’appariement,voir, par exemple, Blanchard et Portugal (1998).

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298 Revue internationale du Travail

Potentiellement, cela aura pour effet de créer une distorsion de la structure op-timale de l’emploi entre contrats temporaires et permanents. En outre, ceuxqui sont à même de conserver un contrat permanent assorti d’une forte sécuritéde l’emploi conférée par la législation bénéficieront d’un niveau supérieur desécurité, facilitant les pressions à la hausse sur les salaires (Bentolila et Dolado,1994). Inversement, ceux qui travaillent sous contrat temporaire (souvent lesjeunes et les autres travailleurs n’ayant guère d’expérience ou dont les qualifi-cations sont faibles) supporteront le coût de l’ajustement (Saint-Paul, 1996).Kahn (2007) a constaté que la rigueur de la législation sur la protection de l’em-ploi augmente la fréquence relative de l’emploi temporaire pour les tra-vailleurs les moins expérimentés et les moins qualifiés; ces effets sont souventamplifiés dans les pays où la couverture de la négociation collective est large.Les changements de la réglementation peuvent aussi suivre une voie duale, laréforme ne s’appliquant qu’à la marge, aux nouvelles embauches, tandis que lesdroits des travailleurs en place restent inchangés. Cela conduira nécessaire-ment à une aggravation de la segmentation du marché du travail entre «in-siders» et «outsiders», surtout dans les pays où la rigueur de la législation pourles travailleurs permanents est associée à de faibles contraintes sur les contratsde durée déterminée. Si les coûts de licenciement sont plus bas pour les emploistemporaires et plus élevés pour les emplois permanents, la probabilité de voirdes contrats temporaires transformés en contrats permanents sera diminuée(Cahuc et Postel-Vinay, 2002; Güell, 2000).

Ces stratégies, appliquées dans certains pays15 pour créer des emplois quisans cela n’auraient pas vu le jour, peuvent aussi encourager les entreprises àsubstituer les emplois temporaires aux emplois permanents et induisent uneforte rotation dans les emplois de courte durée. Globalement, les résultats deces mesures sur le chômage ne sont pas nets et peuvent même, malgré la créa-tion de nouveaux emplois, se traduire par un niveau de chômage plus élevéqu’antérieurement, malgré la création de nouveaux emplois (Blanchard et Lan-dier, 2002). Boeri et Garibaldi (2007) ont montré que la promotion des emploistemporaires peut expliquer un «effet lune de miel» transitoire, avec une crois-sance de l’emploi dans les pays où les travailleurs permanents bénéficient d’uneforte protection. Sans doute, cette croissance de l’emploi ne dure-t-elle pas éter-nellement, mais les réformes du marché du travail à la marge permettent unecertaine flexibilité, de par le recours aux contrats temporaires, et sont donc at-tractives pour les décideurs politiques. Ainsi, les effets de la législation sur le ni-veau de l’emploi restent ambigus et la principale question ne semble pas être lalégislation sur la protection de l’emploi en soi, mais plutôt sa structure. Un autreélément essentiel est de savoir comment la législation est effectivement mise enapplication. Par exemple, Bertola, Boeri et Cazes (2000) avancent que, étantdonné la complexité croissante du cadre institutionnel et le vide réglementaire

15 On citera, par exemple, le cas de l’Espagne où, dans les années 1980 et 1990, les contratstemporaires ont été utilisés pour stimuler la création d’emplois (Dolado, García-Serrano et Jimeno,2002).

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 299

relatif aux droits des travailleurs au titre de nouveaux types de contrat, ce sontles administrations et les tribunaux du travail qui, de fait, déterminent l’applica-tion de la législation sur la protection de l’emploi.

Résultats économétriquesNous procéderons ici à un examen empirique de l’association entre législationsur la protection de l’emploi et ancienneté, au moyen d’une analyse transversale(voir figure 1). Nous étudierons aussi la relation entre législation sur la protec-tion de l’emploi et fréquence de l’emploi temporaire. Nous constaterons quel’affaiblissement de la législation relative aux contrats permanents est associé àun déclin de l’ancienneté moyenne des jeunes, sans qu’il y ait de lien significatifentre le changement de la part de jeunes ayant un contrat temporaire et leschangements de l’un des trois indicateurs de la rigueur de la protection de l’em-ploi (contrat permanent, contrat de durée déterminée, licenciement collectif).

Protection de l’emploi et ancienneté moyenneNous examinons ici le taux de variation de l’ancienneté moyenne au cours despériodes 1999-2002 et 2003-2006 pour la plupart des pays membres de l’Unioneuropéenne et sa corrélation avec l’évolution de la rigueur de la législation surla protection de l’emploi telle que mesurée par l’OCDE16. Dans notre spécifica-tion de base, nous estimons une équation de régression avec pour variable expli-quée la variation de l’ancienneté et pour variable explicative les changementsdes trois indices partiels relatifs à la législation sur la protection de l’emploi, etce pour chaque tranche d’âge. Pour tenir compte des effets de l’évolution démo-graphique et des fluctuations du cycle économique17, nous utilisons les varia-tions du niveau d’emploi exprimé comme le nombre de salariés appartenant àchaque tranche d’âge. Une contraction de la population en âge de travailler im-plique un allongement de l’ancienneté moyenne, celle-ci devant augmenteravec l’âge, et les travailleurs les plus âgés constitueront alors une plus large partde la main-d’œuvre. Le fait de tenir compte des variations du niveau de l’emploipermet d’éliminer cet effet. En outre, pour prendre en considération la variationde l’âge d’entrée des jeunes sur le marché du travail et des comportements enmatière de recherche d’emploi, nous contrôlons les effets des variations du tauxd’activité, celui-ci étant le rapport entre population active et population totale,et ce pour chaque tranche d’âge. Un report de l’entrée sur le marché du travail,du fait d’une scolarité plus longue, par exemple, impliquerait un raccourcisse-ment de l’ancienneté moyenne. Tenir compte de la variation du taux d’activité

16 Plus précisément, l’analyse porte sur les pays de l’Union européenne à 25 à l’exclusion del’Autriche, de la Bulgarie et de la Roumanie (pour les raisons mentionnées à la note 4), de Chypre,du Luxembourg et de Malte, car aucun indicateur de la protection de l’emploi n’est disponible pources trois derniers pays. Pour les autres pays, du fait de la disponibilité des données, l’analyse ne porteque sur la période 1999-2006.

17 Comme nous utilisons des moyennes sur quatre ans, l’évolution démographique prédomi-nera sur les fluctuations du cycle économique.

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300 Revue internationale du Travail

permettra de contrôler cet effet. Enfin, nous contrôlons aussi les effets d’autresinstitutions du marché du travail qui peuvent avoir une incidence sur l’ancienne-té comme le taux de syndicalisation (une définition précise de toutes les va-riables figure en annexe).

Le fait d’examiner les variations de niveaux plutôt que les niveaux eux-mêmes présente l’avantage d’éliminer toutes les différences entre pays stablesdans le temps. Ainsi, il est inutile de prendre en compte les différences de struc-ture économique, de préférences ou de cadre institutionnel, inchangées durantla période analysée. Comparer des moyennes sur quatre ans lisse les fluctua-tions de court terme dues, par exemple, au cycle économique, mais aussi règle leproblème posé par le fait que les indices de l’OCDE ne sont pas calculés annuel-lement: ils n’ont été calculés que pour 1998 et 2003 sur la période que nous consi-dérons. Le fait que nous mesurons la rigueur de la législation sur la protection del’emploi au début des deux périodes de quatre ans pour lesquelles l’anciennetéest observée permet de tenir compte du décalage entre les modifications de la lé-gislation et leurs effets sur l’ancienneté. Pour mesurer le taux de variation del’ancienneté, nous prenons la différence entre ses valeurs pour les deux périodesdivisée par la moyenne de ces deux valeurs. Ainsi, le taux de variation entre1999-2002 et 2003-2006 est:

Cette méthode diffère quelque peu de celle d’une variation en pourcentage clas-sique et a l’avantage de rendre possible le calcul du taux de variation pour une va-

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 301

riable dont la valeur de départ est 018. L’analyse a été menée pour trois tranchesd’âge: 15-24 ans, 25-44 ans et 45 ans et plus, que nous désignerons par: jeunes (Y),intermédiaires (M) et âgés, ou tranche supérieure (O). Certaines des covariablesvarient selon les pays et les tranches d’âge, par exemple, le taux d’activité ou leniveau d’emploi. D’autres, comme les indices de protection de l’emploi, ne va-rient qu’entre pays. Donc, les équations que nous avons estimées sont de laforme générale suivante:

^

^^

où la tranche d’âge est signalée par l’indice i (avec i = Y, M, O) et le pays par j.L’accent circonflexe signale qu’il s’agit du taux de variation de la variable tel quespécifié ci-dessus. Ainsi, Tij donne le taux de variation de l’ancienneté moyennepour le groupe d’âge i et le pays j. Di est une variable indicatrice du groupe d’âge,Xij est un vecteur de variables changeant selon les pays et les groupes d’âge, tan-dis que Zj est un vecteur de variables ne changeant qu’entre les pays. ε est unterme d’erreur. Dans l’estimation, la question des corrélations entre observa-tions au sein d’un même pays est réglée par un regroupement au niveau du pays.

Les données statistiques relatives à ces variables, ainsi qu’à d’autres, fi-gurent au tableau 5. Dans la première spécification, la régression explique l’an-cienneté par les trois indices partiels qui constituent l’indice de rigueur de lalégislation (voir tableau 6). C’est l’indice partiel relatif aux contrats permanentsqui a l’effet le plus significatif sur l’ancienneté des jeunes travailleurs. Le signedu coefficient implique qu’un changement de la réglementation qui abaisse laprotection pour les contrats permanents est associé à une baisse de l’anciennetémoyenne des jeunes. Dans cette spécification de base, la valeur du coefficient in-dique qu’une baisse de l’indice de protection de l’emploi pour les contrats per-manents de 1 pour cent est associée à une diminution de l’ancienneté moyennedes jeunes de 0,6 pour cent. Les indices partiels relatifs aux contrats temporaireset aux licenciements collectifs n’ont pas de coefficients significatifs pour latranche d’âge des jeunes, de même que tous les indices partiels pour les autrestranches d’âge. Il apparaît clairement que, pour les contrats temporaires et les li-cenciements collectifs, le caractère non significatif des coefficients n’est pas dû àun manque de précision de l’estimation, car ces coefficients sont toujours trèsproches de 0. Dans le cas des contrats permanents des travailleurs d’âge inter-médiaire et âgés, les coefficients sont faibles et non significatifs, mais positifs. Ilnous faut maintenant vérifier la robustesse de l’association entre l’anciennetédes jeunes et la protection de l’emploi pour les contrats permanents en vérifiantles effets de variables additionnelles qui peuvent avoir une influence sur l’an-cienneté.

Le tableau 7 présente les résultats de cette vérification pour le niveau del’emploi et le taux d’activité. On s’attend à ce que le coefficient de l’emploi soitnégatif pour les jeunes parce que les nouveaux arrivants ont par définition une

18 En outre, la valeur obtenue est symétrique, c’est-à-dire que le taux de variation d’une va-riable passant de X1 à X2 est le même en valeur absolue que celui d’une variable passant de X2 à X1.

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302 Revue internationale du Travail

ancienneté faible, et donc une croissance de leur emploi diminue l’anciennetémoyenne. C’est effectivement ce que l’on observe; toutefois, le coefficient n’estpas statistiquement significatif. Pour les autres tranches d’âge, l’augmentationdu nombre de salariés n’est pas seulement due au recrutement mais aussi auvieillissement de ceux qui sont déjà en emploi, avec des effets ambigus sur l’an-

Tableau 5. Statistiques descriptives

Tableau 6. Ancienneté moyenne et législation sur la protection de l’emploi – spécification de base

Période Moyenne Maximum Minimum

Valeur Pays Valeur Pays

Taux d’activitéJeunes 1999-2002 46 72 Pays-Bas 36 Belgique

2003-2006 43 72 Pays-Bas 27 Lituanie

Trancheintermédiaire

1999-2002 84 89 Lituanie 75 Italie2003-2006 85 89 Suède 77 Italie

Tranchesupérieure

1999-2002 41 69 Suède 23 Hongrie2003-2006 47 73 Suède 30 Slovénie

Protection de l’emploiContratpermanent

1998 2,485 4,333 Portugal 0,948 Royaume-Uni2003 2,402 4,167 Portugal 1,115 Royaume-Uni

Contrattemporaire

1998 1,890 4,750 Grèce 0,250 Irlande, Royaume-Uni2003 1,807 3,625 France 0,375 Slovaquie,

Royaume-Uni

Licenciementcollectif

1998 3,389 4,875 Italie, Lituanie 0,000 Lettonie2003 3,425 4,875 Italie 2,125 Rép. tchèque, France

Indice de Kaitz 2002 39 50 Irlande 30 Estonie2006 39 51 Irlande 29 Grèce

Dépenses relativesau chômage

1999-2002 8 647 34 868 Danemark 87 Estonie2003-2006 8 265 31 031 Danemark 181 Estonie

Coin fiscal 1999-2002 40 51 Belgique 18 Irlande2003-2006 39 49 Belgique 17 Irlande

Tauxde syndicalisation

1995 42 84 Danemark 9 France2004 31 80 Danemark 8 France

Ancienneté Jeunes Tranche intermédiaire Tranche supérieure

Coefficient t ratio Coefficient t ratio Coefficient t ratio

Variable 0,01 0,28 −0,02** −2,34 −0,01 −0,82

Protection de l’emploiContrat permanent 0,60** 2,63 0,09 1,64 0,12 1,44Contrat temporaire 0,00 −0,04 0,00 −0,18 0,01 0,24Licenciement collectif 0,01 0,38 −0,01 −0,78 −0,01 −0,51

Nombre d’observations = 63. Prob. > F = 0,000. R2 = 0,18.Variable expliquée: ancienneté, régression linéaire, erreur-type regroupée par pays.*** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent; ** de 5 pour cent; * de 10 pour cent.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 303

cienneté moyenne. Nous observons un coefficient négatif et significatif à un seuilde 10 pour cent pour la tranche d’âge intermédiaire et un coefficient positif,mais non significatif, pour les travailleurs les plus âgés.

Un accroissement du taux d’activité augmente l’ancienneté moyenne desjeunes, mais n’est pas significatif pour les autres tranches d’âge. L’âge d’entréedans la vie active est probablement le principal facteur qui détermine le tauxd’activité des jeunes de 15 à 24 ans, la durée de la scolarité étant le déterminantle plus important de cet âge d’entrée (Ryan, 2001). En effet, il y a une forte cor-rélation négative entre la variation des taux d’activité des jeunes et celle de lascolarisation pour les périodes et les pays considérés. Un autre facteur affectantl’âge d’entrée est, par exemple, l’existence et la durée d’un service militaire obli-gatoire. Le report de l’entrée sur le marché du travail réduit le taux d’activité et,dans le même temps, l’ancienneté moyenne, ce qui induit une corrélation posi-tive entre ces deux variables.

Un inconvénient possible du recours à ces covariables additionnelles estqu’elles peuvent être endogènes, biaisant ainsi les résultats de l’estimation. Acet égard, il est rassurant de noter que les coefficients associés à tous les indicespartiels de la protection de l’emploi restent fondamentalement inchangés parrapport à la régression de base. Les indices partiels pour les contrats tempo-raires et les licenciements collectifs restent très proches de 0 et fortement non si-gnificatifs. L’indice partiel pour les contrats permanents est positif, mais nonsignificatif pour les salariés des tranches d’âge intermédiaires et supérieures.S’agissant des jeunes, l’effet négatif de la réduction de la protection de l’emploipour les contrats permanents est confirmé.

Au tableau 8 figure la vérification des effets possibles des changements af-fectant les politiques et institutions du marché du travail. Celle-ci a notammentporté sur des indicateurs relatifs au salaire minimum, au chômage et à la fisca-lité, ainsi qu’au niveau de syndicalisation. La taille limitée de l’échantillon nous

Tableau 7. Ancienneté moyenne et législation sur la protection de l’emploi – variables de contrôle additionnelles

Ancienneté Jeunes Tranche intermédiaire Tranche supérieure

Coefficient t ratio Coefficient t ratio Coefficient t ratio

Variable 0,06* 1,95 −0,02 −1,54 0,00 0,27

Emploi −0,16 −1,01 −0,41* −1,94 0,02 0,3

Taux d’activité 0,98*** 3,91 0,75 0,71 −0,11 −1,05

Protection de l’emploi

Contrat permanent 0,57*** 3,64 0,06 0,95 0,10 0,98

Contrat temporaire 0,01 0,16 0,01 0,47 0,01 0,19

Licenciement collectif 0,00 −0,10 −0,01 −0,97 −0,01 −0,33

Nombre d’observations = 63. Prob. > F = 0,000. R2 = 0,50.Variable expliquée: ancienneté, régression linéaire, erreur-type regroupée par pays.*** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent; ** de 5 pour cent; * de 10 pour cent.

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304 Revue internationale du Travail

empêche d’ajouter d’autres covariables. Notons toutefois que la lenteur de l’évo-lution des indicateurs relatifs aux institutions, par exemple le degré de coordina-tion de la négociation salariale, fait qu’ils ne devraient pas être inclus, dans lamesure où nous nous intéressons à des variations et où la valeur des indicateurspeut être considérée comme inchangée au cours de la période considérée. Lechoix des covariables additionnelles dépend aussi de la disponibilité des don-nées. Le lien entre certaines de ces variables, comme la fiscalité et l’ancienneté,n’est pas évident au premier abord; elles ont néanmoins été incluses pour s’assu-rer de la robustesse de la relation entre ancienneté et protection de l’emploi. Lesvariations de l’indice de Kaitz rendent compte des effets de la politique en ma-tière de salaire minimum: cet indice est égal au rapport entre le salaire minimumet le salaire moyen; c’est un indicateur classique du caractère «contraignant» dusalaire minimum. Il n’a été calculé que pour les pays où existe un salaire mini-mum obligatoire, c’est-à-dire tous sauf cinq où des minima sectoriels sont fixéspar la négociation collective: Danemark, Finlande, Allemagne et Suède. Unevariable indicatrice nommée «No MW» est utilisée pour cette vérification. Enoutre, pour trois pays (Belgique, France et Grèce), la source des données est dif-férente, ce qui nous a conduits à utiliser une autre variable, «indice de Kaitz 2»(voir l’annexe pour plus de précisions). Les variations de la politique en matièrede chômage sont exprimées par la variation des dépenses par tête en termesréels consacrées aux mesures actives et passives, tandis que les variations ducoin fiscal (salaire disponible net rapporté au coût du travail) rendent compte

Tableau 8. Ancienneté moyenne et législation sur la protection de l’emploi – covariables additionnelles relatives à la politiquedu marché du travail

Ancienneté Jeunes Tranche intermédiaire Tranche supérieure

Coefficient t ratio Coefficient t ratio Coefficient t ratio

Variable 0,15** 2,48 −0,01 −0,28 −0,01 −0,22

Emploi −0,27 −1,16 −0,32 −1,53 0,06 0,27

Taux d’activité 0,91** 2,80 0,51 0,62 −0,08 −0,63

Protection de l’emploi

Contrat permanent 0,49* 1,98 0,07 0,77 0,09 0,65

Contrat temporaire −0,02 −0,43 0,00 0,04 0,01 0,15

Licenciement collectif −0,01 −0,34 −0,03*** −3,83 −0,01 −0,43

Indice de Kaitz 1 −0,84 −1,28 −0,49*** −5,15 −0,11 −0,63

Indice de Kaitz 2 0,10 0,20 0,09 0,74 −0,07 −0,24

No MW −0,10 −1,30 −0,01 −0,36 0,01 0,37

Politiques du chômage −0,01 −0,14 0,06*** 3,09 −0,02 −0,23

Coin fiscal −0,12 −0,23 0,55** 2,60 0,20 0,47

Taux de syndicalisation 0,21** 2,60 0,00 −0,01 −0,03 −0,36

Nombre d’observations = 63. R2 = 0,77.Variable expliquée: ancienneté, régression linéaire, erreur-type regroupée par pays.*** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent; ** de 5 pour cent; * de 10 pour cent.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 305

des effets de la politique en matière de fiscalité et de charges sociales. Finale-ment, nous avons vérifié le taux de syndicalisation.

Parmi toutes ces covariables additionnelles, seul le taux de syndicalisationest significatif pour les jeunes, avec un coefficient positif qui indique qu’un dé-clin de la syndicalisation est associé à une diminution de leur anciennetémoyenne. La protection de l’emploi pour les contrats permanents reste signifi-cative, bien que l’estimation soit moins précise. Cela n’est guère surprenant,étant donné l’inclusion de nombreuses covariables additionnelles et de la faibletaille de l’échantillon. Toutefois, le fait d’ôter les variables qui ne sont pas signi-ficatives, quelle que soit la tranche d’âge, maintient le coefficient de l’indice par-tiel relatif aux contrats permanents significatifs au seuil de 1 pour cent. Lecoefficient est légèrement inférieur du fait que dans le modèle de base il renddéjà partiellement compte des effets de la baisse de la syndicalisation. La faibletaille de l’échantillon par rapport au nombre de variables de contrôle ne permetpas de tirer trop d’enseignements de cette régression. Cependant, elle confirmela robustesse de la corrélation positive entre l’évolution de l’ancienneté moyennedes jeunes et la variation de l’indice partiel de la protection de l’emploi pour lescontrats permanents 19.

Enfin, dans la plupart des pays la protection de l’emploi des salariés du sec-teur public est très différente de celle des travailleurs du secteur privé. L’indicede protection de l’emploi de l’OCDE est calculé pour rendre compte des règless’appliquant au secteur privé. Nos données ne nous permettent pas de faire clai-rement la différence entre ces deux secteurs. Toutefois, nous avons reproduitl’analyse en restreignant l’échantillon à deux secteurs: «administration publiqueet défense; sécurité sociale obligatoire» (L dans la classification NACE 2006),dont la plupart des salariés sont susceptibles d’appartenir au secteur public, et«industrie manufacturière» (M dans la classification NACE 2006), dont les sala-riés appartiennent vraisemblablement au secteur privé. Nous avons observé quel’indice partiel de la législation pour la protection de l’emploi des contrats perma-nents, ainsi que les autres indices partiels ne sont pas significatifs dans le cas destravailleurs employés dans l’administration publique, alors qu’il est positif et si-gnificatif pour l’industrie manufacturière (voir tableau 9)20.

Protection de l’emploi et jeunes travailleursPour résumer, nous avons observé une corrélation positive entre la variation del’ancienneté moyenne des jeunes et celle de l’indice de protection de l’emploipour les contrats permanents. Pour autant, il est plus complexe d’en conclureque le raccourcissement de l’ancienneté moyenne des jeunes est effectivement

19 Cette corrélation est aussi robuste lorsque les spécifications n’incluent que l’indice partielpour les contrats permanents, ou lorsque l’on exprime toutes les variables en termes de variation ab-solue, ou encore lorsque l’on exprime l’indice partiel de la législation sur la protection de l’emploi entermes de variation absolue et toutes les autres variables en termes de variation en pourcentage (lesrésultats ne figurent pas ici).

20 Ce résultat n’est guère étonnant, car dans de nombreux pays les agents de l’administrationpublique ne relèvent pas du droit du travail, qui s’applique au secteur privé, mais ils sont régis par unstatut particulier qui prévoit en général une très forte protection de l’emploi.

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306 Revue internationale du Travail

dû à l’affaiblissement de la protection de l’emploi pour les contrats permanents.La corrélation pourrait être due à la dépendance commune de l’ancienneté et dela législation d’autres variables évoluant dans le temps et qui n’ont pas été prisesen compte. Il peut y avoir aussi un lien de causalité inverse: le déclin de l’ancien-neté des jeunes (dû par exemple au recours aux contrats de durée déterminée)peut être la cause d’un affaiblissement de la législation sur la protection de l’em-ploi pour les contrats permanents, par exemple si cette protection voit s’affaiblirses soutiens politiques. Toutefois, le fait que la relation soit significative seule-ment pour les jeunes réduit la probabilité d’un biais dû à des variables omisesparce qu’il faudrait que la variable omise, changeant avec le temps, affecte laprotection de l’emploi, qui vaut pour l’ensemble de l’économie, et l’anciennetémoyenne des jeunes, sans pour autant affecter l’ancienneté moyenne des tra-vailleurs des tranches d’âge intermédiaire et supérieure. Le fait que la protec-tion de l’emploi a été évaluée en 1998 et 2003, au début de chacune des périodes

Tableau 9. Ancienneté moyenne et législation sur la protection de l’emploi – administration publique et industrie manufacturière

Ancienneté Coefficient t ratio Coefficient t ratio Coefficient t ratio

Administration publique et défense; sécurité sociale obligatoire

Protection de l’emploi

Contrat permanent – jeunes −0,17 −0,47 −0,18 −0,60 −0,43 −1,13

Contrat permanent – tranche intermédiaire −0,21 −1,31 −0,19 −1,23 −0,04 −0,18

Contrat permanent – tranche supérieure 0,05 0,28 0,05 0,24 −0,08 −0,55

R2 0,12 0,33 0,55

Nombre d’observations 63 63 63

Covariables additionnelles:

Protection de l’emploi: contrats temporaires et licenciements collectifs

X X X

Emploi, taux d’activité X X

Variables relatives à la politique X

Industrie manufacturière

Protection de l’emploi

Contrat permanent – jeunes 0,44** 2,16 0,42** 2,55 0,55*** 2,91

Contrat permanent – tranche intermédiaire 0,20*** 3,54 0,08 0,47 0,05 0,37

Contrat permanent – tranche supérieure 0,12 0,75 0,12 0,51 0,11 0,34

R2 0,15 0,46 0,72

Nombre d’observations 63 63 63

Covariables additionnelles:

Protection de l’emploi: contrats temporaires et licenciements collectifs

X X X

Emploi, taux d’activité X X

Variables relatives à la politique X

Variable expliquée: ancienneté, régression linéaire, erreur-type regroupée par pays.*** Statistiquement significatif au seuil de 1 pour cent; ** de 5 pour cent; * de 10 pour cent.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 307

de quatre ans (1999-2002 et 2003-2006) pour lesquelles nous avons mesuré l’an-cienneté, réduit la probabilité que la corrélation soit l’effet d’une causalité in-verse. De plus, le fait que la législation sur la protection de l’emploi n’a pasd’effet sur l’ancienneté dans l’administration publique, où à l’évidence elle nes’applique pas, montre bien que ce que nous évaluons est bien l’effet de cette lé-gislation.

Comment se peut-il qu’une réduction de la protection de l’emploi pour lescontrats permanents affecte l’ancienneté moyenne des jeunes, sans toucherles autres catégories d’âge? Une explication possible est que, du fait de leur re-latif manque d’expérience et de capital humain spécifique à l’entreprise, lesjeunes disposent d’un moindre pouvoir de négociation individuelle et donc sontplus sensibles aux changements institutionnels qui accentuent la flexibilité sur lemarché du travail. Le fait que les jeunes sont aussi significativement touchés parle déclin de la syndicalisation (une syndicalisation plus faible impliquant une an-cienneté moyenne plus courte) suggère bien que l’«individualisation» des rela-tions de travail les affecte, en effet, tout particulièrement.

Protection de l’emploi et travail temporaireNous avons appliqué la même méthodologie que dans la partie précédente pouranalyser le lien entre la protection de l’emploi et le travail temporaire exprimépar le pourcentage de travailleurs temporaires par rapport au nombre total desalariés. Nous avons étudié les mêmes pays sur les mêmes périodes, à l’excep-tion de l’Estonie qui a été exclue de l’analyse du fait du manque de données surla proportion de travailleurs temporaires et l’Autriche qui figure dans la pré-sente analyse, mais n’était pas incluse dans celle de l’ancienneté moyenne. Lestranches d’âge sont quelque peu différentes, la catégorie intermédiaire allant de25 à 49 ans au lieu de 25 à 44 ans dans l’analyse précédente, et les travailleursâgés étant ceux de plus de 50 ans au lieu de 45 ans.

Le taux de variation de la part des salariés temporaires est la variable ex-pliquée d’une régression où les variables explicatives sont les variations des troisindices partiels de la protection de l’emploi pour chaque groupe âge avec et sansvariables additionnelles relatives à la politique du marché du travail. Nous avonsutilisé les variations absolues plutôt que le taux de variation (résultat non rap-porté ici). Sous différentes spécifications, aucun indice partiel de la protectionde l’emploi n’est significatif pour les jeunes travailleurs. En revanche, la syndi-calisation a un effet significatif sur la part de salariés temporaires, le déclin de lapremière étant associé à un accroissement de la seconde. Pour les travailleurs deplus de 50 ans, il semble apparaître qu’une augmentation des indices de protec-tion pour les contrats permanents et les licenciements collectifs est associée avecune diminution de la part des travailleurs temporaires.

Suggestions d’ordre politiqueLes résultats de nos régressions indiquent que le déclin de l’ancienneté moyennedans l’emploi des jeunes travailleurs (15-24 ans) dans l’Europe des 25 est asso-cié à une moindre protection de l’emploi conférée par la loi et par les syndicats.

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308 Revue internationale du Travail

Premièrement, et conformément à ce que prévoit la théorie, nous avons constatéun effet direct de la législation sur la protection de l’emploi relative aux contratspermanents – qui rend essentiellement compte des coûts et procédures de licen-ciement – sur l’ancienneté moyenne des jeunes, comme l’indique la corrélationpositive entre ces deux variables. Ensuite, nous n’avons constaté aucun effet desubstitution dû à l’assouplissement de la législation protectrice de l’emploi rela-tive aux contrats temporaires (qui devrait avoir induit un accroissement descontrats de durée déterminée ou une aggravation de la segmentation du marchédu travail): le coefficient de l’indice de protection de l’emploi pour les contratstemporaires n’est jamais significatif quelle que soit la spécification. Deuxième-ment, les syndicats, autres garants de la stabilité de l’emploi et de la protectioncontre les pertes d’emplois, semblent aussi être rattachés à l’instabilité del’emploi des jeunes travailleurs. Plus spécifiquement, le taux de syndicalisationprésente un coefficient statistiquement significatif et indique une corrélation po-sitive avec l’ancienneté moyenne des jeunes. Ainsi, l’affaiblissement général dessyndicats, illustré par l’effondrement du taux de syndicalisation de 42 pour centen 1995 à 31 pour cent en 2004, semble avoir particulièrement affecté les tra-vailleurs des groupes les plus vulnérables comme le montre le raccourcissementde l’ancienneté moyenne des jeunes.

Nos résultats doivent être prudemment interprétés, et confirmés par denouvelles recherches avant que l’on en tire des conclusions claires et nettes. Ilsprésentent aussi des lacunes, notamment quant à la complexité d’établir une me-sure de la législation sur la protection de l’emploi et au manque de séries chrono-logiques concernant cette dernière. Toutefois, ces résultats donnent à penser queles jeunes sont particulièrement exposés à l’instabilité croissante des marchés dutravail due au fait que la protection offerte par la loi et par les syndicats s’affaiblit.Nous avons aussi observé que les dispositions réglementaires concernant lerisque de perte d’emploi et de licenciement (telles qu’exprimées par l’indice de laprotection de l’emploi pour les contrats permanents) influent sur la stabilité del’emploi, tandis que les dispositions relatives aux embauches (indice relatif auxcontrats temporaires) ne semblent pas avoir d’effet significatif. Ainsi, toutes in-terventions d’ordre législatif visant à renforcer la stabilité du marché du travailpour les jeunes devraient prendre en compte les divers aspects de la législationsur le marché du travail qui influent sur l’ancienneté. En outre, la présence desyndicats semble être importante pour les jeunes (contrairement au postulat se-lon lequel les syndicats se préoccuperaient uniquement des «insiders» et non des«outsiders» comme les jeunes): les effets d’un affaiblissement des syndicats de-vraient donc être pris en considération dans l’analyse des marchés du travail desjeunes. A la lumière du premier résultat, on devrait notamment être vigilantquant à la tendance à l’individualisation accrue des relations d’emploi et à ses ef-fets négatifs sur les perspectives des jeunes sur le marché du travail.

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Législation sur la protection de l’emploi et stabilité des emplois 311

Annexe.  Description et sources des données utilisées

Ancienneté et emploi: Enquêtes sur les forces de travail d’EurostatLa variable «ancienneté» est dérivée des réponses aux questions sur l’année et le moisauxquels la personne à commencer à travailler pour son employeur actuel. Nous consi-dérons l’ancienneté moyenne sur les périodes 1999-2002 et 2003-2006, sauf pour la Let-tonie et la Slovaquie où la première période est limitée à 2001-02 du fait du manque dedisponibilité des autres données.

Taux d’activité: EurostatLes actifs sont définis en pourcentage de la population totale du même âge pour lestranches d’âge suivantes: 15-24 ans, 25-54 ans et 55-64 ans. La tranche d’âge 25-54 ans aété dénommée intermédiaire et la tranche 55-64 ans, âgée ou supérieure. Nous avonsutilisé les moyennes pour les périodes 1999-2002 et 2003-2006.

Législation sur la protection de l’emploi: OCDE et calculs des auteursNous avons pris en compte l’indice relatif à la législation sur la protection de l’emploipour 1998 et 2003; cet indice est calculé par l’OCDE pour ses Etats membres. Pourl’Estonie (1998), la Lituanie (1998) et la Lettonie (1998 et 2003), les indices ont été cal-culés par les auteurs en suivant la méthodologie de l’OCDE et en partant des informa-tions figurant dans Eamets et Masso (2004). Pour l’Estonie (2003), la Lituanie (2003) etla Slovénie (1998 et 2003), les indices ont été calculés par les auteurs, suivant la métho-dologie de l’OCDE, en se fondant sur des informations dérivées de la législation natio-nale (voir Tonin, 2009). Pour plus de précisions sur la méthodologie de l’OCDE, voirOCDE (2004).

Indice de Kaitz: Eurostat et calculs des auteurs à partir des donnéesde l’OCDE et d’EurostatEurostat donne le salaire minimum mensuel en tant que pourcentage des revenus men-suels bruts moyens dans l’industrie et les services pour tous les pays à l’exception duDanemark, de la Suède, de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Finlande – oùil n’y a pas de salaire minimum obligatoire – à l’exception aussi de la Belgique, de laFrance et de la Grèce. Pour ces trois derniers pays, Eurostat donne le salaire minimummensuel, tandis que la base de données de l’OCDE «Statistiques des impôts sur lessalaires» donne les revenus salariaux bruts moyens des travailleurs adultes à pleintemps dans l’industrie et les services (NACE 2006 C-K). Les indices de Kaitz pour cestrois pays ont été calculés par les auteurs en divisant ces deux valeurs. Nous considéronsles indices de Kaitz pour 2002 et 2006 à l’exception de l’Estonie, de la Lettonie et desPays-Bas pour lesquels nous avons pris les indices de 2002 et 2005 compte tenu de la dis-ponibilité des données.

Dépenses relatives au chômage: Eurostat et calculs des auteursEurostat fournit les dépenses consacrées au chômage, à prix constant (euro de 1995) parhabitant, en incluant les politiques actives (formation professionnelle, services de pla-cement et aide à la recherche d’emploi) et les politiques passives (allocations de chô-mage, indemnités de licenciement). Eurostat fournit les données sur le nombre dechômeurs rapporté à la population totale en âge de travailler et le rapport entrepopulation totale en âge de travailler (15-64 ans) et la population totale. Les dépenses

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consacrées au chômage par chômeur ont été calculées par les auteurs. On a considéréles périodes 1999-2002 et 2003-05, sauf pour l’Estonie et la Pologne où la premièrepériode a été limitée à 2000-02 et le Portugal pour lequel la seconde période est 2003-04, compte tenu des données indisponibles.

Coin fiscal: EurostatCet indicateur est calculé par Eurostat comme la somme des impôts sur les revenus sala-riaux bruts et des cotisations de sécurité sociale des salariés et de leurs employeurs,exprimés en pourcentage du coût total du travail du salarié, défini comme son revenubrut plus les cotisations sociales de l’employeur et les taxes ou impôts sur la masse sala-riale lorsque ces derniers existent. Le coin fiscal est calculé pour les célibataires sansenfant gagnant 67 pour cent du salaire moyen. Jusqu’en 2000 (pour l’Irlande, surl’ensemble de la période), ce salaire moyen était la moyenne de celui d’un travailleur dela production à plein temps dans l’industrie (manufacturière). Depuis 2000, pour la Slo-vénie et l’Estonie (2005), il s’agit du salaire moyen dans l’industrie et les services(NACE 2006 C-K). Nous avons considéré les moyennes pour les périodes 1999-2002 et2003-2006.

Taux de syndicalisation: Commission européenneLe taux de syndicalisation est calculé comme le nombre de salariés rémunérés membresd’un syndicat (donc à l’exclusion des chômeurs, des étudiants et des retraités) divisé parle nombre total de salariés du pays. Les données datent de 1995 (1996 pour la France,1998 pour la Lettonie et la Lituanie) et de 2004 (2003 pour la République tchèque).Pour plus de précisions, voir Commission européenne (2006, p. 25).