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Calvet Louis-Jean et Dumont Pierre (dir.), 1999, L’enquête sociolinguistique, Paris : L’Harmattan. EXTRAITS Avant-propos (par P.Dumont) ..................................................................................................................................... 9 Introduction (par L.-J.Calvet) ................................................................................................................................... 11 Le questionnaire (par A.Boukous) ............................................................................................................................ 15 La sociolinguistique a pour objet de décrire et d’expliquer les rapports existant entre, d’une part, la société et, d’autre part, la structure, la fonction et l’évolution de la langue. Le sociolinguiste étudie ces rapports dans la vie sociale en collectant les données à analyser in vivo, c'est-à-dire auprès d’un échantillon représentatif de la communauté linguistique, par le moyen d’instruments qui assurent aux résultats de la recherche objectivité et fiabilité. Le questionnaire occupe une position de choix parmi les instruments de recherche mis à contribution par le sociolinguiste car il permet d’obtenir des données recueillies de façon systématique et se prêtant à une analyse quantitative. (p. 15) 1. Objectifs du questionnaire 2. Types de questions 2.1. Contenu des questions On distingue dans les questions relatives au contenu les questions de fait et les questions d’opinion. (I) les questions de fait sont relatives aux phénomènes observables, aux faits vérifiables sur le plan empirique ; la validité de ces questions pet être éprouvée par le recoupement des informations ou par l’observation directe, ce sont par exemple les questions ayant trait au sexe et à l’âge du sujet, ou encore des questions comme : Quelles langues écrivez-vous ? Quels sont les journaux que vous lisez ? (II) les questions d’opinion, dites aussi parfois questions psychologiques, portent sur les opinions, les attitudes, les motivations, les représentations des sujets, etc. (exemple : Estimez-vous qu’enseigner une langue vernaculaire est utile ?) Dans certains cas, il paraît difficile de distinguer questions de fait et questions d’opinion (…). (p. 16) 2.2. Forme des questions et des réponses Le questionnaire peut se présenter sous deux formes, une forme structurée ou une forme non structurée ; le questionnaire structuré est composé de questions fermées ou semi-fermées tandis que le questionnaire non structuré comprend exclusivement des questions ouvertes. (I) les questions fermées suscitent de la part du sujet une réponse positive ou une réponse négative, mutuellement exclusives ; les réponses à ces questions sont fixées à l’avance. (exemple : Parlez- vous une langue étrangère) Dans un questionnaire structuré, les questions peuvent être semi- fermées, elles prennent alors la forme de question à choix multiples où un ensemble de réponses préétablies est suggéré au sujet qui choisit parmi les réponses alternatives celle qui lui paraît la plus conforme à son point de vue. Les réponses données à chaque question doivent couvrir le champ des réponses possibles, il est préférable de proposer aussi une réponse autre (à spécifier) pou donner encore plus de latitude au sujet. (exemple : Pourquoi avez-vous décidé d’apprendre l’anglais ? a. pour avoir un salaire important, b. pour être cultivé, c. pour être moderne, d. autre [à spécifier]) (II) les questions ouvertes sont posées sans suggestion de réponses. (exemple : que pensez-vous de la situation de l’espagnol dans le monde ?) Le sujet est invité à répondre librement, à livrer ses commentaires, à donner des détails, à nuancer sa pensée, à formuler des jugements à sa guise ; l’enquêteur note fidèlement les réponses du sujet pour en traiter le contenu par la suite. Le questionnaire structuré et le questionnaire non structuré présentent des avantages et des inconvénients. L’avantage des question fermées est qu’elles permettent une formulation, un codage et n traitement simples, en outre les résultats se prêtent à une analyse immédiate ; elle ont cependant l’inconvénient d’imposer au sujet de faire un choix parmi des réponses alternatives proposées alors qu’il se peut que son opinion soit plus nuancée que oui/non, d’accord/pas d’accord, favorable/non favorable, etc. ; de plus, le questionnaire qui a une structure rigide peut être ennuyeux pour le sujet et fastidieux pour l’analyste. L’avantage des questions ouvertes est qu’elles donnent l’entière liberté au sujet d’exprimer son point de vue, elles sont notamment appropriées aux questionnaires portant sur l’opinion, l’attitude et la représentation. Elle présentent en revanche l’inconvénient de fournir des réponses difficiles à coder et à traiter ; en outre, en répondant aux question ouvertes, le sujet peut fournir des réponses ne présentant pas de réel intérêt pour le sujet enquêté ou des réponses sans pertinence par rapport à l’objet soumis à l’étude, le sujet peut aussi omettre dans ses réponses des aspects importants de la recherche. C’est pourquoi la plupart des chercheurs préfèrent élaborer un questionnaire structuré comprenant à la

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Calvet Louis-Jean et Dumont Pierre (dir.), 1999, L’enquête sociolinguistique, Paris : L’Harmattan.EXTRAITS

Avant-propos (par P.Dumont) .....................................................................................................................................9

Introduction (par L.-J.Calvet) ...................................................................................................................................11

Le questionnaire (par A.Boukous) ............................................................................................................................15La sociolinguistique a pour objet de décrire et d’expliquer les rapports existant entre, d’une part, la société et,d’autre part, la structure, la fonction et l’évolution de la langue. Le sociolinguiste étudie ces rapports dans la viesociale en collectant les données à analyser in vivo, c'est-à-dire auprès d’un échantillon représentatif de lacommunauté linguistique, par le moyen d’instruments qui assurent aux résultats de la recherche objectivité etfiabilité. Le questionnaire occupe une position de choix parmi les instruments de recherche mis à contributionpar le sociolinguiste car il permet d’obtenir des données recueillies de façon systématique et se prêtant à uneanalyse quantitative. (p. 15)

1. Objectifs du questionnaire2. Types de questions2.1. Contenu des questions

On distingue dans les questions relatives au contenu les questions de fait et les questions d’opinion.(I) les questions de fait sont relatives aux phénomènes observables, aux faits vérifiables sur le plan

empirique ; la validité de ces questions pet être éprouvée par le recoupement des informations oupar l’observation directe, ce sont par exemple les questions ayant trait au sexe et à l’âge du sujet, ouencore des questions comme : Quelles langues écrivez-vous ? Quels sont les journaux que vouslisez ?

(II) les questions d’opinion, dites aussi parfois questions psychologiques, portent sur les opinions, lesattitudes, les motivations, les représentations des sujets, etc. (exemple : Estimez-vous qu’enseignerune langue vernaculaire est utile ?) Dans certains cas, il paraît difficile de distinguer questions defait et questions d’opinion (…). (p. 16)

2.2. Forme des questions et des réponsesLe questionnaire peut se présenter sous deux formes, une forme structurée ou une forme non structurée ; lequestionnaire structuré est composé de questions fermées ou semi-fermées tandis que le questionnaire nonstructuré comprend exclusivement des questions ouvertes.

(I) les questions fermées suscitent de la part du sujet une réponse positive ou une réponse négative,mutuellement exclusives ; les réponses à ces questions sont fixées à l’avance. (exemple : Parlez-vous une langue étrangère) Dans un questionnaire structuré, les questions peuvent être semi-fermées, elles prennent alors la forme de question à choix multiples où un ensemble de réponsespréétablies est suggéré au sujet qui choisit parmi les réponses alternatives celle qui lui paraît la plusconforme à son point de vue. Les réponses données à chaque question doivent couvrir le champ desréponses possibles, il est préférable de proposer aussi une réponse autre (à spécifier) pou donnerencore plus de latitude au sujet. (exemple : Pourquoi avez-vous décidé d’apprendre l’anglais ?a. pour avoir un salaire important, b. pour être cultivé, c. pour être moderne, d. autre [à spécifier])

(II) les questions ouvertes sont posées sans suggestion de réponses. (exemple : que pensez-vous de lasituation de l’espagnol dans le monde ?) Le sujet est invité à répondre librement, à livrer sescommentaires, à donner des détails, à nuancer sa pensée, à formuler des jugements à sa guise ;l’enquêteur note fidèlement les réponses du sujet pour en traiter le contenu par la suite.

Le questionnaire structuré et le questionnaire non structuré présentent des avantages et des inconvénients.L’avantage des question fermées est qu’elles permettent une formulation, un codage et n traitement simples, enoutre les résultats se prêtent à une analyse immédiate ; elle ont cependant l’inconvénient d’imposer au sujet defaire un choix parmi des réponses alternatives proposées alors qu’il se peut que son opinion soit plus nuancéeque oui/non, d’accord/pas d’accord, favorable/non favorable, etc. ; de plus, le questionnaire qui a une structurerigide peut être ennuyeux pour le sujet et fastidieux pour l’analyste. L’avantage des questions ouvertes estqu’elles donnent l’entière liberté au sujet d’exprimer son point de vue, elles sont notamment appropriées auxquestionnaires portant sur l’opinion, l’attitude et la représentation. Elle présentent en revanche l’inconvénient defournir des réponses difficiles à coder et à traiter ; en outre, en répondant aux question ouvertes, le sujet peutfournir des réponses ne présentant pas de réel intérêt pour le sujet enquêté ou des réponses sans pertinence parrapport à l’objet soumis à l’étude, le sujet peut aussi omettre dans ses réponses des aspects importants de larecherche. C’est pourquoi la plupart des chercheurs préfèrent élaborer un questionnaire structuré comprenant à la

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fois des questions fermées et des questions semi-fermées, plutôt qu’un questionnaire composé uniquement dequestions ouvertes. Dans certains cas, le chercheur est conduit à construire un questionnaire qui englobe desquestions fermées, des questions semi-fermées et des questions ouvertes. (p. 17-18)

3. construction du questionnaireLe but du questionnaire étant de permettre d’obtenir des informations auprès d’une population déterminée, ilconvient de poser des questions appropriées, c'est-à-dire des questions dont les réponses fournissent desinformations pertinentes par rapport au sujet de la recherche. C’est pourquoi une attention particulière doit êtreprêtée à la formulation des questions. La construction du questionnaire est une tâche délicate qui nécessite unebonne préparation, du temps et des moyens. (p. 18)Tout en sachant que la construction du questionnaire est une affaire d’expérience et de savoir-faire et que sonapprentissage ne peut se réduire à des recettes infaillibles et généralisantes à l’infini, on peut à titre d’indicationsfaire quelques recommandations sur les propriétés du bon questionnaire. (p. 19)

3.1. systématicité du questionnaireLe même questionnaire doit être administré à tous les groupes et sous-groupes de l’échantillon, c’est la conditionmême de la mesurabilité de l’objet de recherche. (p. 19)

3.2. Durée du questionnaireElaborer un questionnaire aussi bref que possible permet d’économiser la durée de la passation et celle dutraitement ; un nombre important de questions implique généralement un nombre proportionnel de questions derecherche, d’hypothèses et de variables, ce qui contribue évidemment à alourdir la recherche. Les sujets sont plusenclins à répondre quand le questionnaire est court et précis, il est donc préférable d’éviter de bourrer lequestionnaire en éliminant les questions dont les réponses se trouvent dans d’autres sources et celles que u fontdouble emploi. La durée raisonnable d’une passation à domicile, dans une salle de classe ou dans tout lieutranquille peut atteindre une heure, en revanche une passation effectuée dans des conditions moins favorables,par exemple dans la rue ou dans un lieu de travail, ne devrait pas excéder un quart d’heure. S’il y a nécessitéd’un questionnaire lourd, le segmenter en deux ou plusieurs questionnaires soumis à des échantillonscomparables et indépendants permet parfois de résoudre le problème de la durée de la passation. On peut aussisoumettre des parties différentes du questionnaire aux mêmes sujets à des moments différents, il faut êtreconscient alors qu’entre-temps les sujets ont pu réfléchir, il faut être conscient alors qu’entre-temps les sujetsont u réfléchir aux questions, révisé leur attitude, etc. (p. 19)

3.3. maîtrise de la langue du questionnaireUne recommandation évidente mais utile : le questionnaire doit être rédigé dans une langue parfaitementmaîtrisée par les sujets. (p. 20)

3.4. exhaustivité des réponses suggéréesLorsque le questionnaire est structuré, il convient de faire en sorte que les réponses suggérées aux questionssemi-fermées soient exhaustives, cas qu’elles couvrent le champ des réponses pertinentes possibles. (p. 20)

3.5. Une idée par question[Une seule idée, sans présupposé, par question, pas question de fait + question d’opinion dans la même questionpar exemple.]

3.6. Des questions qui font sensLa formulation des questions ne doit pas dérouter le sujet, le cadre de référence des questions doit être clair etcohérent pour tous les sujets. [cohérence question/sujet, question/questionnaire/ question elle-même.] (p. 20)

3.7. Simplicité et clarté de l’énoncé des questionsLe lexique employé doit éviter le jargon en étant à la portée des sujets. Par exemple, éviter les questionscomme : Pratiquez-vous le bilinguisme avec ou sans diglossie ? Dans quelles situations pratiquez-vous le code-mixing ? Ces questions ne sont comprises que par les sujets qui maîtrisent le jargon sociolinguistique, il estnaturel que les autres sujets n’y répondent pas ou donnent des réponses au hasard, sans en comprendre le sens, cequi contribue à biaiser les résultats de l’analyse. Plutôt que d’employer des notions qui ne sont comprises que desspécialistes, il est recommandé d’en donner la définition métalinguistique, par exemple la question sur le code-mixing peut être ainsi reformulée : Dans quelles situations mélangez-vous les langues ?. (p. 21)

3.8. Neutralité des questionsLes questions formulées doivent éviter de charrier les préjugés de l’analyste sinon cela pourrait provoquer unpréjudice déterminant la réponse du sujet ; aussi les termes et les expressions chargées de subjectivité feront-ilsplace à une langue neutre. (p. 21)

3.9. Ordonnancement des questionsLe rangement des questions selon un ordre logique et psychologique approprié permet de mettre à l’aise le sujetpar exemple en faisant en sorte que les questions générales précédent les questions spécifiques et que lesquestions d’opinion suivent les questions de fait. (…) L’ordre des questions peut aussi influer sur la réponses dusujet, qui a tendance à interpréter les question selon leur position dans le questionnaire. (p. 23)

4. récupération du questionnaire

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L’idéal serait que l’enquêteur puisse récupérer le questionnaire immédiatement après la passation, sinon il aintérêt à procéder à un suivi régulier du retour d’un nombre maximum de questionnaires afin de garantir lareprésentativité de l’échantillon et la crédibilité des résultats de la recherche. Des questionnaires récupérés aprèsun laps de temps important après leur administration non seulement retardent l’opération de traitement maisencore risquent de biaiser les résultats de l’analyse. (p. 23)

5. Validation du questionnaireUne fois que le chercheur a estimé que le questionnaire est conçu à peu près correctement, que les questions sontassez bien formulées et bien classées, il procède à sa vérification empirique auprès d’un échantillon limité par lemoyen d’un pré-test permettant de procéder à la validation de la version provisoire du questionnaire, pours’assurer qu’il est approprié à la population et adéquat aux question que se pose le chercheur. Cette opérationpermet notamment de savoir si les questions sont bien comprises par tous les sujets de la même façon, si ellessont comprises comme les entend le chercheur et si elles ne présentent pas de difficultés d’interprétation. Le pré-test a également pour objectif de vérifier l’adéquation de la procédure de constitution de l’échantillon et decontrôler la fiabilité des enquêteurs. (p. 23- 24)

6. Avantage et inconvénients du questionnaireSi l’entretien permet le contact direct avec les sujets sur lesquels porte l’enquête sociolinguistique et s’il offrel’avantage de placer l’enquêteur et l’enquêté dans une relation humaine, souple et coopérative, il présentenéanmoins quelques inconvénients dont les plus importants sont le coût en temps et en moyens matériels etfinanciers, la réduction de la taille de l’échantillon et le fait que la plupart des informations qu’il permet decollecter peuvent être obtenues par le moyen de questionnaires écrits soumis aux sujets. Le questionnaire est eneffet bien souvent plus pratique et plus efficace que l’entrevue, il présente surtout l’avantage de permettre detravailler avec un échantillon plus large que celui qui peut être touché par l’entrevue. Le caractère standardisé duquestionnaire permet notamment de soumettre les sujets exactement aux mêmes instructions ; de ce fait, lapersonnalité, l’humeur ou les préférences de l’enquêteur n’interviennent pas dans le déroulement de l’enquête etn’entachent pas les résultats de la recherche. En bref, le sujet enquêté maîtrise mieux les réponses à des questionsformulées dans un questionnaire que celles énoncées lors d’un entretien non directif où interviennent des faitsliés à la subjectivité.Mais la construction d’un questionnaire adéquat et fiable est une opération délicate qui, lorsqu’elle n’est pasaccomplie selon les normes méthodologiques, donne lieu à un instrument qui présente l’inconvénient desoumettre aux sujets des questions sans pertinence pour la recherche ou des questions pouvant être malcomprises ou mal interprétées par eux, il est en effet difficile de formuler des questions claires, bien ordonnées etdénuées d’ambiguïté pour tous les sujets. (p. 24)

L’enquête dialectologique. Les atlas linguistiques (par P.Brasseur) ....................................................................25

L’entretien et ses techniques (par J.Bres) ................................................................................................................61L’interview est un type d’interaction verbale auquel ont recours les sciences humaines, notamment lasociolinguistique. Pourquoi interviewer ? Avant de répondre, remarquons –c’est une évidence – que l’interviewne fait pas partie dans outils des sciences de la matière : leur objet existe en soi – même s’il a bien sûr besoind’être défini et construit – en dehors de toute verbalisation, alors que fréquemment en science humaines l’objetd’étude ne peut être appréhendé en dehors de la médiation de la parole, quand ce n’est pas la verbalisation elle-même qui fait l’objet d’analyse. La sociolinguistique qui traite des pratiques et des représentations(socio)linguistiques a, plu que tout autre science sociale, affaire à du matériau verbale, à de la matière discursive.Cet objet, elle peut l’atteindre par l’observation des pratiques réelles. (p. 61)[le corpus est coûteux à constituer si on observe les interactions verbales sans les provoquer] Pour réduire le coûtde la récolte et multiplier ses fruits, la solution est de susciter des interactions verbales sur le thème en question :d’interviewer. (p. 62)

1. Interview et interaction(s) verbales(s)L’entretien relève, comme toutes les pratiques langagières, de la catégorie de l’interaction verbale. (citation deGardin, Bakhtine…).L’entretien, en tant que produit en interaction verbale, appartient au type dialogal des interactions verbales, auxcôtés de la discussion, du débat, de colloque… et de la conversation qui fonctionne comme le prototype de cetype discursif. Par rapport à la conversation, l’interview se caractérise essentiellement par 5 traits :

• sa plus grande formalité• son caractère finalisé• l’organisation des participants en 2 parties (au sens que ce terme a en droit civique, par exemple, dans

partir adverse : intervieweur/interviewé• L’asymétrie des rôles : l’intervieweur est à l’initiative de l’interaction ; il l’a sollicitée et, dans

l’entretien, il lui revient essentiellement de poser des questions, l’interviewé a une mission dialogale

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réactive : il a accepté la proposition d’interviewer et sa tâche discursive est (en principe) de répondreaux questions qui lui sont posées

• la présence d’un tiers absent, d’une autre scène, signalés par le magnétophone ou la caméra qui ferontque les paroles de l’interview ne s’envoleront pas. (p. 62-63)

2. Les différents types d’entretienOn peut distinguer trois types d’interview : directive, non directive, interactive (p. 63)

2.1. L’interview directiveIl s’agit du questionnaire que ce questionnaire soit fermé ou ouvert. Le principe qui préside à sa conception estcelui de la standardisation ; dans le souci et l’objectif de pouvoir comparer scientifiquement les différentesréponses, on adresse aux interviewés exactement les mêmes questions. Sont notamment préétablis leur formelinguistique et leur ordre : l’intervieweur lit une question puis passe à la suivante lorsque son interlocuteur a finide répondre. (p. 63)[problèmes que posent ce type d’interview]

• dans la conversation, l’ordre des tours de parole pas plus que leur forme linguistique ne sontprédéterminées : ils font l’objet de constantes négociations. (…) La questionnaire, faisant fonctionnerchaque couple de question/réponse comme un échange isolé, s’interdit cette pertinence, ce qui produitfréquemment une désagréable impression de discontinuité (…).

• La standardisation des questions repose sur le présupposé selon lequel les locuteurs recevraient unmême stimulus, et partageraient donc pour un même sens. La sociolinguistique et l’analyse du discoursont montré qu’il n’en est rien. Le sens est co-produit en interaction : un même énoncé peut avoirdifférents sens, un même sens être produit par des énoncés différents.

• La standardisation repose également sur le présupposé de la transparence du sens : l’interviewéactualiserait le même sens que l’intervieweur. On sait qu’il n’en est rien : parvenir à un même sensnécessite des ajustements de part et d’autre que le cadre même du questionnaire interdit.

• [toute question non seulement demande une réponse, mais l’oriente –plus ou moins directement – par cequ’elle présuppose : la réponse est donc toujours déjà en partie contenue implicitement dans laquestion ; par sa batterie de questions toutes prêtes d’autre part, l’enquêteur directif guide l’entretien aubout en bout. Ainsi cadrée, la parole de l’enquêté est sous la forte dépendance de celle de l’enquêteur.]

De sorte que l’interview aboutit à des effets inverses de ceux attendus : elle est de ce fait sans cesse guetté parl’artificialité, le malentendu, la superficialité et la stéréotypie qui minent de l’intérieur sa pertinenceméthodologique. (p. 64-65)

2.2. L’interview non directiveLa méthode de l’interview non directive s’est élaborée en réaction contre le questionnaire (…) Pour pallier cescontraintes fautrices de facticité, l’interview non directive propose de réduire les interventions de l’enquêteur àleur plus simple expression : une seule question initiale, la moins contraignante et la moins orientée possible àlaquelle l’interviewé doit répondre, l’enquêteur n’intervenant dès lors plus que pour assister l’interviewé àaccoucher de sa parole par des régulateurs et des relances. La longueur de cette réponse-entretien est parfoisfixée à l’avance. (…)Les principaux gains escomptés de ce type d’entretien sont les suivants :

- en limitant la participation de l’enquêteur au rôle de pur auditeur idéal, on recueille la vraie parole del’enquêté : minimalement liée à – donc déterminée par – la parole de – et plus globalement l’interactionavec – l’autre qui n’est là que pour assurer passivement sa réception

- en laissant se prolonge la parole de l’enquêté, on l’invite à revenir sur elle-même, à dépasser lasuperficialité première, à accéder à des lieux dérobés à l’échange social, à se confronter à sescontradictions, à se construire en autonomie : on recueille une parole authentique, débarrassée – aumoins en partie – des censures de la sociabilité ;

- en ne posant pas de question (sauf bien sûr celle qui engage l’entretien), on accède aux questions que seposent les enquêtés sur un thème – et par voie de conséquence à celles qu’ils ne se posent pas -, donc àleur façon de le problématiser, de le rendre signifiant de l'intérieur au lieu d’imposer de l’extérieur cetteproblématisation comme dans le questionnaire ;

- en cédant l’initiative à l’enquêté, l’interviewer se place en position haute, plus propice audéveloppement du discours et à son investissement par le sujet parlant.

Si l’entretien non directif ne maque pas de qualités, on ne saurait cependant taire ses défauts qui s’originent dansla croyance qu’il existerait un lieu d’authenticité de la parole qui se situerait hors interaction, ce qui impliquerait,afin de l’approcher sinon l’atteindre, des techniques pour (tenter de) la neutraliser. (…) En refusant qu’elle[l’alternance des tours de parole] ne se produise, l’entretien non directif place le locuteur dans une situationd’extrême contrainte, fautrice de malaise interactif : devoir parler à quelqu’un sans que celui-ci réponde apparaîtartificiel (…).

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Ces critiques n’invalident pas l’interview non directive en tant qu’outil de recueil de données ; elles visent àprésenter les difficultés que ne manquera pas de rencontrer qui l’utilisera, à expliciter les biais induits par cetteméthode. (p. 65-67)

2.3. L’interview interactiveCe troisième type d’entretien est également nommé semi-directif, ce qui pourrait inciter à penser qu’il se situe àégale distance des types directifs et non directif, en un juste milieu permettant d’éviter les excès de ces deuxextrêmes. Il n’en est rien. L’entretien interactif s’est construit non en emprunt aux deux méthodes précédemmentdécrites, mais en rejet de la position qui leur est commune : (croire) neutraliser l’interaction pour obtenir de laparole authentique. Au contraire, il s’agira, dans l’entretien interactif (..) de choisir l’interaction verbale au lieude tenter – en vain – de la contourner. (…)Par cette dimension [interactive], l’entretien voit son caractère formel diminué, sans pour autant se confondreavec une conversation : l’enquêteur a pour visée non de parler mais de faire parler ; il subordonne sa parole à laparole de l’autre et à l’écoute minutieuse qu’il en fait. [c’est contraignant, on ne pas en faire + de 3/j] (p. 68)Ce sont là trivialités qu’il me semble important de rappeler dans la mesure où elles conditionnent tant le recueildes données que leur analyse : la parole produite en entretien ne saurait échapper à l’interaction ; il convientdonc dans la collecte de la choisir plutôt que de tenter stérilement de la neutraliser ; dans l’analyse, de l’intégrercomme paramètre plutôt que de la passer sous silence.L’entretien interactif trouve ses limites moins en lui-même que dans ce qu’il requiert de l’intervieweur. Laposition en dehors que permet l’entretien tant directif que non directif peut apparaître comme moins risquéesinon comme plus confortable que la position au-dedans qu’implique l’entretien interactif : l’intervieweur nepeut plus s’abriter derrière ses questions prêtes à dire ou se retrancher dans la non intervention ; il est dansl’arène de l’interaction et, pour poursuivre cette métaphore tauromachique, le succès de l’entretien dépend despasses verbales qu’il saura accomplir avec l’enquêté. Ajoutons que ce risque à prendre fait aussi l’intérêt voir lecharme de l’entretien interactif. (p. 70)

3. un exemple d’enquête sociolinguistique par entretiens interactifs La question du magnétophoneCommençons tout d’abord par une évidence : le tiers absent, représenté par le magnétophone, est à prendrecomme un des paramètres de l’interaction ; pas plus que l’intervieweur, on ne saurait l’effacer (voir dans Labov1973/76 : 145-156 quelques moyens pour neutraliser localement ces deux paramètres) (p. 74)conclusionL’entretien n’est pas la voie royale d’accès à la parole des locuteurs mais un moyen commode de provoquer saproduction – et donc sa récolte – dans un cadre particulier : l’interaction de l’interview. Il convient donc de leconcevoir en complémentarité avec – et non en substitution de – l’observation des pratiques langagières de la viesociale.

Les enquêtes « micro » Pratiques et transmissions familiales des langues d’origine dans l’immigration enFrance (par Ch.Deprez) ..............................................................................................................................................77

L’observation des pratiques réelles (par C.Juillard) ............................................................................................103

Jeu de rôles et recueil de données socio( ?)linguistiques (par B.Maurer) ..........................................................115

Analyser les discours. Le cas de l’interview sociolinguistique (par J.M.Barbéris)...........................................125

Retour à Babel : les systèmes de transcription (par B. Maurer).........................................................................1491. La fidélité : mission impossible de la transcription1.1. Limites d’ordre sémiotique

G. Psathas et T. Anderson (1990 : 90) développent les différents aspects de cette rupture sémiologique et fontremarquer que :a. L’écriture est discrète. Elle divise un courant continu de sons en unités discrètes ;b. elle est organisée en séries ;c. elle est disposée en un format ligne à ligne ;d. elle peut seulement être lue en série et non appréhendée comme une totalité de sons et action/mouvement à lamanière dont elle était primitivement disponible aux participants/producteurs de l’interaction ;e. elle peut être lue différemment de l’original en dépit des efforts du transcripteur ;f. elle est sujette à toutes les interprétations habituelles en lecture. (p. 151)

1.2. Les limites de l’écouteA cet écart, irréductible car de nature épistémologique, viennent s’ajouter ensuite des contraintes plus matériellesdont la prise en compte n’est pas moins importante. Au premier chef, il convient de prendre en considération lesdifficultés d’écoute d’une bande enregistrée.

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Il arrive fréquemment que le chercheur soit confronté à un enregistrement de mauvaise qualité. Ceci estparticulièrement fréquent dans le cas d’une enquête sociolinguistique visant à décrire les usages sociaux d’unelangue. (p. 151-152)Il arrive fréquemment qu’au terme de plusieurs écoutes par différents transcripteurs, plusieurs solutionsirréductibles restent proposées et la solution de sagesse consiste alors à transcrire les différentes variantespossibles (…). (p. 153)

1.3. Les limites de la codificationLe système de transcription peut être construit à partir de l’alphabet phonétique international et procéder à unenotation minutieuse des caractéristiques phonétiques de la parole des interactants (…). (p. 154)On peut, toujours en utilisant l’alphabet phonétique international, s’en tenir à un système de notation seulementphonologique (…)Le recours au système orthographique est également possible, plus simple à utiliser pour le transcripteur, plussimples à lire également. (…)Une quatrième solution est possible consistant à adopter un système de notation orthographique tout en rendantquelques-unes des caractéristiques majeures de l’oralité (…) (p. 155)Le choix du code n’est pas tout, il faut encore adopter un certain nombre de positions de principe relatives àquelques points importants que nous allons rapidement évoquer :

(1) l’intonationOn peut penser que la notation de l’intonation est capitale dans la construction du sens et que bien souvent c’estelle qui porte les informations les plus pertinentes, son apport sémantique pouvant inverser le sens de ce qui estexprimé par l’énoncé comme c’est le cas dans les séquences ironiques. Néanmoins la notation de l’intonationpose des problèmes, autant pour l’adoption d’un système de codage performant qu’en raison du niveau detechnicité requis par une telle entreprise.

(2) la ponctuationLa ponctuation appartient au système de notation orthographique de la langue parlée : son emploi, quicorrespond à une visualisation des relations syntaxiques à l’intérieur d’un énoncé ou d’un texte, relève déjà d’unprocessus interprétatif ; l’utiliser lors de la phase de transcription revient à faire, avant même la phase d’analyse,des interprétations syntaxiques, sémantiques qui risquent d’orienter par trop l’exploitation ultérieure du corpustranscrit. D’un autre côté, si l’on adopte le système orthographique, l’absence de toute ponctuation rend parfoisdifficilement lisible un texte qui va se révéler plein d’ambiguïtés et contrevenir aux modes de lecture habituels.On voit que le parti pris, quel qu’il soit, pose des problèmes.

(3) Les pausesLa pause n’est pas une partie négligeable de la communication. (…)

(4) Les attitudes des locuteursLa position du corps, les mimiques, la gestuelle sont autant de manifestations qui accompagnent la parole et serévèlent extrêmement signifiantes.

(5) Les ratés de la communication verbaleBégaiements, changements de programme de phrase, arrêts d’un programme de phrase, lapsus, mots-valises sontautant de phénomènes que les linguistiques de la langue considèrent comme des contingences peu dignesd’intérêt, des scories de la communication mais que les linguistes de la parole ne peuvent négliger à priori tantces phénomènes sont nombreux dans toute interaction verbale. (p. 155-157)

2. Dis-moi pourquoi tu transcris, je te dirai comment le faireLa fidélité absolue étant de l’ordre de l’improbable, il convient d’adopter une position pratique et de se contenterd’une fidélité relative, conçue non plus par rapport au document de départ, à l’amont de la recherche, mais entenant compte de la nature des faits recherchés, de l’aval en quelque sorte ; selon les objectifs poursuivis,l’accent en termes de fidélité devra être mis sur telle ou telle composante de la communication, plus ou moinsimportantes selon les cas. (p. 158)Conclusion : Chaque transcription est une version des données orales pour un projet particulier d’analyser.Transcrire, c’est déjà commencer en cela l’analyse. On comprend mieux la raison de la diversité des systèmes detranscription unique, permettant au lecteur d’accéder sans effort particulier à tous les corpus oraux transcrits.Tout au plus peut-on émettre le vœu que, dans chaque grand domaine de la recherche sociolinguistique, unaccord soit trouvé sur un certain nombre de conventions communes de manière à ce que si chacun continue àprendre en compte des faits particuliers les mêmes conventions soient utilises par des chercheurs ayant desobjectifs communs pour transcrire les mêmes phénomènes. (p. 165-166)

Quelles méthodes d’enquête sont effectivement employées aujourd'hui en sociolinguistique ? (parB.Maurer) ...................................................................................................................................................................167