374

Lent Re Tien Psych i at Rique

Embed Size (px)

Citation preview

  • La conduite del'entretien

    psychiatriqueL'art de la comprhension

    Shawn Christopher Shea, M.D.Coordination scientifique de l'dition franaise

    Jean-Louis Terra, Monique Sguin

    Traduit de l'anglais par Adeline Magne

    Prface l'dition franaisePhilippe Jeammet

    ELSEVIER

  • Shawn Christopher Shea, M.D.Adjunct Assistant ProfessorDartmounth Mdical SchoolDepartment of Psychiatry, Lebanon, New Hampshire, tats-UnisPrivate Practice, Keene, New Hampshire, tats-UnisJean-Louis Terra, P.U.Universit Claude-Bernard Lyon 1, UFR RTH Laennec.Directeur-adjoint du laboratoire de psychologie de la sant et du dveloppement(EA 3729), universit Lumire Lyon 2.Chef de service hospitalo-universitaire, centre hospitalier Le Vinatier,95, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, FranceMonique Sguin, Ph.D.Dpartement de psychoducation et de psychologieUniversit du Qubec en Outaouais, Pavillon Alexandre-Tache,283, boulevard Alexandre-Tache, Gatineau, Qubec, CanadaAdeline Magne14, Terrasses du Lyce, avenue Jean-Jaurs, 07100 Annonay, France

    L'dition originale, Psychiatrie Interviewing. The Art of understanding, 2nd dition(ISBN : 0-7216-7011-3), a t publie par W.B. Saunders Company, une marqued'Elsevierdition originale : Psychiatrie Interviewing. The Art of UnderstandingIllustrations : Meg Maloneydition franaise : Conduite de l'entretien psychiatrique. L'art de la comprhensionResponsable ditorial : Sylvie Verckenditeur : Gregg ColinChef de projet : Franoise MthiviezConception graphique et maquette de couverture : Vronique Lentaigne

    1998, 1988, W.B. Saunders Company 2005 Elsevier SAS. Tous droits rservs pour la traduction franaise23, rue Linois, 75724 Paris cedex 15http://france.elsevier.com

    L'diteur ne pourra tre tenu pour responsable de tout incident ou accident, tant aux personnes qu'auxbiens, qui pourrait rsulter soit de sa ngligence, soit cl l 'utilisation de tous produits, mthodes, instruc-tions ou ides dcrits dans la publication. En raison de l 'volution rapide de la science mdicale, l'diteurrecommande qu'une vrification extrieure intervienne pour les diagnostics et la posologie.

    Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procds rservs pour tous pays. Enapplication de la loi du 1er j u i l l e t 1992, il esr interdit de reproduire, mme partiellement, la prsente publi-cation sans l'autorisation de l'diteur ou du Centre franais d'exploitation du droit de copie (20, rue desGrands-Augustins, 75006 Paris). All rights rescrved. No part of this publication may bc translated, repro-duced, stored in a retrieval System or transmitted in any form or by any othcr electronic mcans, mecha-nical, pbotocopying, recording or otberwise, witbout prior permission of th publisber.

    Photocomposition : MCP, 45774 Saran, FranceImprim au Royaume-Uni par MPC, P1.31 IEB BodminDpt lgal : jui l let 2005

    ISBN : 2-84299-656-9ISSN : en cours

    Table des matires

    Prface de l'dition franaise de Philippe Jeammet IXAvant-propos de l'dition franaisede Jean-Louis Terra et Monique Sguin XIPrfaces de l'dition amricaine de Shawn Christopher Shea, MD.................XIIIAvant-propos l'dition amricaine de Leston Havens, MD XXIRemerciements de l'dition amricaine de Shawn Christopher Shea, MD.... XXIII

    Partie 2L'entretien et la psychopathologieChapitre 5. Techniques d'entretien pour la dpression

    et autres troubles de l'humeur. 219Chapitre 6. Techniques d'entretien pour l'exploration de la psychose....... 277Chapitre 7. Les troubles de la personnalit : reflets de l'histoire sociale...359

    Partie 1Les fondamentaux de la conduite d'entretienChapitre 1. Conduire un entretien dans les rgles de l'art ............ 4Chapitre 2. Structure dynamique de l'entretien 57Chapitre 3. Le comportement non verbal : quand l'entretien devient

    une pantomime 139Chapitre 4. Les perspectives de l'valuation :

    le chemin vers un traitement efficace 185

  • Partie 3Les techniques avances de conduite d'entretienChapitre 8. Exploration des ides de suicide et d'homicide 435Chapitre 9. Angles d'observation privilgis sur le fonctionnement

    psychique : les passerelles vers la psychothrapie 505Chapitre 10 L'art de travailler avec les rsistances 561Annexe I Supervision au moyen d'une analyse facilique 607Annexe II Entretien comment

    (intgralit d'une premire consultation de 60 minutes). 611Annexe III La rdaction de l'observation : stratgies efficaces 665Annexe III A. Conseils pratiques pour russir un bon compte rendu . . . 669Annexe III B. Suggestions pour la rdaction de l'observation clinique

    et recommandations d'assurance qualit 676Annexe III C. Exemple d'observation clinique rdige 680Annexe III D. valuation biopsychosociale initiale 686Annexe IV Comment russir les oraux de psychiatrie 693

    Glossaire de termes pour la supervision d'entretien 705Index 713

    Prface de l'dition franaise

    L'ouvrage du Docteur Shawn C. Shea est plutt inattendu et disons-le sur-prenant dans le contexte ditorial psychiatrique franais. Il l'est plus d'untitre et en allant du plus apparent au plus profond par son volume mme quipourrait dcourager le lecteur press de trouver quelques recettes rapides. Ceserait dommage. Nous y reviendrons. Par son sujet, la conduite de l'entretienqui n'a, ma connaissance, jamais fait l'objet d'un travail d'initiation etd'approfondissement aussi complet. Par sa faon de traiter le sujet qui allieune dmarche fondamentalement pdagogique une rflexion constante surla clinique de l'entretien, ses objectifs, ses moyens, ses enjeux, et les condi-tions d'une possible ouverture sur la psychothrapie quelle que soit sonorientation. Par son style enfin, concrtisation exemplaire des lments pr-cdents, clair, concis, au plus prs du droulement concret de l'entretienassociant des squences cliniques avec les consquences pratiques des attitu-des et des propos du clinicien sur les rponses du patient ainsi que l'tablis-sement et la qualit de l'alliance engage. Avec en arrire-fond, une utilisa-tion clectique, mais pleinement matrise, des rfrences thoriques les pluscourantes dans le champ de la psychiatrie : phnomnologie, psychanalyse,approche systmique, interaction, thorie du self...

    clectisme et pragmatisme, clarification constante des objectifs recher-chs, multiplication des squences concrtes alternes avec des rfrencesthoriques multiples, souci de coller au plus prs de la ralit concrte deschanges en font un ouvrage rsonance indniablement trs anglo-saxonnepour un francophone. Rsonance qui peut drouter, irriter, sduire. Quelque soit l'affect ainsi sollicit en premier, acceptons-le pour aller rsolumentplus avant dans l'ouvrage et les diffrents chapitres qui le composent. Je faisle pari que la sduction l'emportera et plus encore l'intrt que cette vritablemaeutique de l'entretien ne peut manquer de susciter.

    C'est d'autant plus vrai que psychiatres et psychologues, mais aussi beau-coup d'intervenants sociaux, ne disposent pas d'une vritable formation l'entretien au cours de leurs tudes. Celle-ci mergera progressivement audcours d'une pratique, laisse le plus souvent leur seule responsabilit,qu'une supervision viendra peut-tre conforter ainsi qu'une psychothrapiepersonnelle laisse leur choix. Avec pour consquence la tentation de

  • X La conduite de l'entretien psychiatrique

    reproduire les conditions de sa propre psychothrapie avec ses patients etd'viter de se confronter aux apports des autres techniques.

    Ce livre ne remplacera pas une formation personnelle. Ce n'est pas sonobjectif. Mais, pour la premire fois, il peut permettre tout tudiant et tout praticien de trouver un guide susceptible de l'accompagner et auquel ilpuisse se rfrer tout au long de sa formation comme de sa pratique. Guidequ'il faut comparer ce que lui aura appris sa formation personnelle tout enlui offrant la possibilit indispensable de se confronter une vue plus largedes possibilits offertes par l'entretien.

    Cet ouvrage redonne l'entretien sa dimension d'outil majeur de l'va-luation, du diagnostic et de l'orientation thrapeutique et psychothrapeuti-que. Il illustre l'importance du premier entretien et son caractre souventdterminant pour la suite de la relation selon la faon dont il a t conduit.

    Il faut remercier ceux qui ont su en reconnatre l'importance et ont con-duit sa traduction et tout particulirement les professeurs Jean-Louis Terraet Monique Sguin ainsi que la traductrice Adeline Magne. Je suis sr que celivre sera un grand succs et une aide de premier plan pour tous les clinicienset les psychothrapeutes, si le lecteur ne s'arrte pas des a priori idologi-ques et qu'il prend la peine de lire ce livre dans son entier en prenant le tempset en vagabondant de chapitre en chapitre sans chercher ncessairement unelecture systmatique.

    Professeur Philippe Jeammet

    Avant-propos l'dition franaise XI

    Avant-propos l'dition franaise

    A l'ouverture d'un premier entretien, le clinicien est sur le seuil d'un lieuinconnu et intime. Seul le patient, par le dpassement de ses craintes et parson engagement, autorisera le clinicien entrer progressivement dans cetespace plong initialement dans l'obscurit. Les mots prononcs seront lalueur principale pour conduire cette prise de connaissance.

    Comment faire natre progressivement une lumire douce dans cette picecharge d'une histoire personnelle et relationnelle afin d'en voir les contours,les ombres, les peurs, les vnements et les souffrances ? De quelle manireaccder aux informations pertinentes pour qu'un dialogue devienne un acteprofessionnel qui permette de connatre, de comprendre et de soigner unautre ? Comment conduire un entretien non directif tout en donnant aupatient le sentiment d'tre soutenu dans sa parole et accompagn par un pro-fessionnel comptent ? Comment rdiger une observation avec sa touche, sacouleur, sa profondeur, qui soit un tableau clinique fidle et transmissible.

    En tant que cliniciens imparfaits voulant se perfectionner, l'ouvragede Shawn Christopher Shea nous est apparu comme crit spcialement pournous ! Cet ouvrage nous fut d'abord utile pour apprendre transmettre lacomptence conduire un entretien avec une personne en crise suicidaire,c'est--dire dans une situation o les enjeux de la relation sont majeurs et lasubjectivit, la pierre angulaire de l'intervention. Les formateurs, psychiatreset psychologues qui ont suivi nos sminaires, dans le cadre de la stratgienationale d'action face au suicide, ont eu l'occasion d'en percevoir l'intrt.

    Mais l'ouvrage de S. C. Shea est bien autre chose : il donne envie d'treclinicien, d'tre un meilleur clinicien malgr nos lacunes, et chaque lecturerenouvelle ce dsir. Il nous donne d'innombrables pistes pour analyser nosattitudes et nos comptences pour nouer une alliance thrapeutique.

    Aussi, quand Adeline Magne s'est penche sur cet ouvrage pour en envi-sager la traduction et que les ditions Elsevier ont accept le principe d'unedition franaise, notre souhait de faire partager la richesse de cet auteur estdevenu un projet enthousiasmant qui n'a pu tre men terme que par leurgrand professionnalisme. Nous tenons les remercier trs sincrement.

  • XII La conduite de l'entretien psychiatrique

    La traduction d'un tel ouvrage est un immense chantier o prime le res-pect de l'auteur et le choix des mots les plus justes. Notre rle de coordon-nateurs n'a pu se restreindre au vocabulaire technique car les mots les plussimples ont une importance essentielle pour parler d'un patient. Nous avonsveill ainsi ce que la douceur et la prcision de l'auteur imprgnent l'ditionfranaise.

    Nous esprons que cet ouvrage saura transmettre le dsir, mme aux cli-niciens chevronns, de continuer se perfectionner et, aux plus jeunes,d'entrer de la meilleure faon possible dans la dcouverte de l'art de la com-prhension de l'autre. Ce livre ne peut pas se lire sans le dpassement de cer-taines apprhensions et sans un vif esprit de curiosit. Nous tenons remer-cier trs chaleureusement Philippe Jeammet de le dire, avec son immensetalent, dans la prface l'dition franaise et d'inviter le lecteur oser porterun regard approfondi sur le cur de son mtier en compagnie de S.C. Shea.

    Jean-Louis Terra, Monique Sguin

    Prface de la deuxime ditionamricaine

    L'objectif d'une vie consiste rendre service, manifester de lacompassion et la volont d'aider les autres. Alors seulement nous-mmesdevenons vritablement humains.

    Albert Schweitzer

    C'est avec un vrai plaisir que je m'attelle la rdaction de la Prface pour ladeuxime dition. Depuis sa parution, voici dix ans, notre domaine de santmentale a subi maints changements, certains positifs, d'autres moins. Masatisfaction tient au fait que la sensibilit et la compassion, pierres angulairesde la premire dition, trouvent un cho parmi nos collgues, encore notrepoque. En fait, dans le contexte actuel du managed care1 et de contraintesde temps, ces qualits servent plus que jamais de lignes directrices.

    Ces 10 dernires annes, j'ai t particulirement heureux de constater le bonaccueil rserv au systme de la facilique , prsent la premire dition. Ceconcept constitue dsormais un lment fondamental de programmes de forma-tion dans plusieurs disciplines universitaires : des matrises en counseling et entravail social jusqu'aux internats de psychiatrie. Pour ceux qui ne le sauraientpas, la facilique est une mthode permettant aux cliniciens de premire ligne quenous sommes de structurer nos entretiens avec le plus de tact et de grer effica-cement les contraintes de temps de la premire valuation. Un aspect novateurde la facilique tient dans un systme schmatique d'apprentissage facile, servantaux superviseurs pour suivre les stratgies de structuration et d'engagement duclinicien. Il s'agit d'une stnographie de supervision, qui offre une base visuelle la supervision individuelle et aux discussions en groupe. Quoique mise aupoint bien avant l'avnement du managed care et des difficults affrentes, lafacilique est apprcie des superviseurs et des cliniciens en ce qu'elle leur permetde dcouvrir de nouvelles manires d'aborder avec doigt ces mmes contrain-tes. Voil pourquoi la deuxime dition fait la part belle cette notion.

    Je me suis efforc de ne pas toucher aux lments les plus efficaces d'aprs lescritiques des lecteurs. D'ailleurs, en dehors de mises jour apportes au DSM-FV,1. Systme priv de gestion des soins aux tats-Unis. Le managed care n'a pas d'quivalent

    rel dans le systme de soins franais (Note des coordinateurs)

  • XIV La conduite de l'entretien psychiatrique

    la plupart des chapitres ont subi peu de changements, l'exception du chapitre 8sur l'valuation du risque de suicide et de violence, considrablement dvelopp.J'y prsente notamment une nouvelle technique de mise en lumire des ides desuicide. J'espre que le lecteur en tirera un bnfice pratique immdiat. En outre,ce chapitre s'attarde beaucoup sur des conseils et des stratgies pratiques pourl'valuation des ides de violence, point relativement faible de la premire dition.

    Ce sont les annexes qui constituent les changements les plus importants, avecune centaine de pages supplmentaires. En parlant des lecteurs lors des ateliersque j'anime dans tous les tats-Unis, ce qu'on me suggrait sans doute le plussouvent, c'tait d'amliorer l'ouvrage en intgrant la retranscription commented'un vritable premier entretien de 60 minutes. La deuxime requte par ordrede frquence portait sur l'ajout de renseignements pratiques sur la rdactiond'une valuation clinique, dans un souci d'utilit clinique et de responsabilitmdico-lgale. Les annexes de la deuxime dition satisfont ces deux demandes.

    En outre, une annexe supplmentaire fournit des recommandations sp-cifiques d'assurance de la qualit et des suggestions pour la rdaction del'observation. Un exemple de plan-type d'valuation clinique a galement tinsr l'attention des cliniciens qui prfrent retranscrire les informationssur un document standardis. Les annexes contiennent aussi une reproduc-tion d'une observation, rdige partir de l'entretien comment : le lecteurpeut ainsi le suivre tel qu'il se droule en pratique relle, de l'accueil dupatient au point final du document crit.

    Au fil des ans, de jeunes psychiatres m'ont souvent demand si cet ouvragepouvait les aider prparer leurs oraux. J'ai toujours pens en toute sincrit quec'tait le cas, mme si la premire dition n'tait pas prcisment conue cettefin. En effet, je suis fortement persuad que la connaissance des bonnes rglescliniques est une des cls de la russite aux examens. Avec cette deuxime di-tion, je suis dsormais en mesure de rpondre oui car toute une annexe pr-sente des conseils et des stratgies pratiques pour russir aux oraux.

    J'espre que le lecteur tirera autant de satisfaction la lecture de ce livre quej'en ai eu sa rvision. Au bout du compte, la conduite d'entretien devrait treun plaisir. Il importe, mon sens, d'insister sur le fait que ce livre ne prtend pasmontrer la bonne manire de procder, car il n'y a justement pas de bonnemanire. En revanche, j'offre des suggestions qui, avec un peu de chance, appor-teront au lecteur des principes ncessaires au dveloppement de son propre style,et l'aideront toujours adapter sa structuration aux besoins de son patient, nonaux diktats d'une cole de pense.

    En conclusion, cet ouvrage est un recueil de connaissances, appliques l'art de la gurison. En dernire analyse, en tant qu'lves dans cet art, notregrand privilge sera toujours de nous assurer que le savoir de notre esprit estguid par la compassion de notre cur.

    Shawn Christopher Shea, MD

    XV

    Prface de la premire ditionamricaine

    Aprs tout, il n 'est rien de plus intressant au monde que les autres,on ne les tudiera jamais assez.

    Vincent Van Gogh

    Le premier entretien psychiatrique est un acte de cration. Une tude dumouvement et du changement. Il est unique. Les circonstances, l'environne-ment, les personnes impliques ne peuvent jamais se dupliquer. Quand bienmme les deux interlocuteurs dsireraient reproduire leur interaction, ils nele pourraient pas, car chaque phrase, leur relation volue de maniresubtile ; chaque phrase, ils dfinissent un nouveau phnomne. Cette cra-tivit est bride par deux principes essentiels : (1) la solidit de l'engagementdu patient, et (2) l'tablissement d'une base de donnes valide et complte enun temps limit. C'est sur ces deux principes que repose la rencontre thra-peutique initiale. L'un et l'autre sont complmentaires : men avec sensibi-lit, un recueil exhaustif de donnes reflte un engagement efficace.

    Au vu des rapides progrs en matire de sant mentale, l'art de conduireune premire valuation a t contraint d'voluer. Ces 40 dernires annes,un ventail impressionnant d'interventions thrapeutiques est apparu. Aunombre de ces avances rvolutionnaires, citons des modalits comme lesantidpresseurs tricycliques, la modification du comportement, les thrapiesfamiliale et de groupe ainsi que des formes plus complexes des psychothra-pies dynamiques et de l'hypnose, pour ne citer qu'elles.

    L'avnement de tant de nouveaux instruments pose un dfi redoutable auclinicien lors du premier entretien, surtout lorsqu'il agit en tant que consul-tant ou responsable de l'orientation du patient, qu'il ne reverra donc plusjamais. Plus prcisment, en vue de raliser un plan de traitement et uneorientation efficace, le clinicien doit recueillir en 50 minutes une quantitd'informations qui, 40 ans plus tt, aurait donn le tournis un collgue. l'poque, il n'tait pas ncessaire de mettre au jour les symptmes neurov-gtatifs de dpression, les antidpresseurs tricycliques n'ayant pas t dcou-verts. Nul besoin de dterminer avec soin le diagnostic d'agoraphobie, cardes techniques de thrapie comportementale comme l'immersion n'taient

  • XVI La conduite de l'entretien psychiatrique

    pas disponibles. La prsence, chez le patient, de symptmes vocateurs demanie tait sans importance : le lithium n'tait alors qu'un rve en attente decristallisation dans le cerveau de John Cade. En somme, cette explosion th-rapeutique a gnr la ncessit criante d'un recueil de donnes plus efficaceet plus complet au cours du premier entretien.

    prsent, le dfi de cet entretien porte sur la manire de recueillir desdonnes cruciales sans jamais ngliger la relation avec le patient. Pour cha-que dyade clinicien-patient, cette tension doit tre rsolue avec crativit.Tout clinicien de talent fait preuve d'une souplesse remarquable. Maintenantcomme avant, la validit des donnes dpend directement de la solidit del'engagement thrapeutique. En fait, au fil des ans, l'importance de l'alliances'est mme accrue. En dfinitive, un diagnostic fiable, un plan de traitementefficace, l'observance thrapeutique et l'adhsion de la famille au traitementsont tous limits par un facteur commun : la capacit du thrapeute obtenirl'engagement du patient. Le premier entretien sert donc de fondement toute intervention de sant mentale. Cet ouvrage accorde cet art l'attentionqu'il mrite.

    Ce livre mane du travail que j'ai men en qualit de directeur mdical etd'instructeur de conduite d'entretien au Diagnostic and Evaluation Center(DEC) [Centre d'valuation et de diagnostic], au Western Psychiatrie Insti-tute and Clinic de l'universit de Pittsburgh. Dans notre programme, d'unedure de 3 mois, nous mettons l'accent sur un enseignement didactique, desentretiens en conditions relles, des jeux de rles, et sur le retour d'informa-tion apport directement par les tudiants avec les enregistrements et lasupervision directe. Je voyais l'immense utilit d'un ouvrage pratique,mlant les thmes de l'engagement, le diagnostic et le plan de traitement. Or, ma grande surprise, ce genre de livre tait introuvable. Certes, il existed'excellents titres, mais chacun ciblait principalement une catgorie particu-lire d'entretiens, les mthodes psychodynamique ou comportementale, parexemple. La Conduite de l'entretien psychiatrique : l'art de la comprhen-sion cherche combler cette lacune par une synthse de nombreuses perspec-tives, dont celles de diverses coles de psychiatrie, de psychologie et de coun-seling.

    Plus prcisment, les tudiants semblaient dsireux de disposer d'un livrequi mle un grand nombre de sujets diffrents : le langage corporel, le dia-gnostic diffrentiel selon les critres du DSM-III-R, l'tablissement d'un plande traitement, la structure interne de l'entretien... Ils insistaient continuelle-ment sur l'intrt de prendre connaissance des phrases et des questions sp-cifiques, utilises par diffrents cliniciens pour explorer diffrentes sphres.

    Dans le cours de conduite d'entretien (auquel participaient des internes etdes rsidents en psychiatrie, en psychologie et en mdecine gnrale, desinfirmiers psychiatriques, des tudiants en travail social, des internes aux

    Prfaces XVII

    urgences et des tudiants en mdecine), nous avons men cet expos pratiquepar les mthodes exprimentales voques plus haut. Cet ouvrage vise lesmmes objectifs au moyen d'une plthore d'exemples de questions, devignettes cliniques, d'extraits retranscrits d'entretiens rels, et de dialoguesfictifs, imagins pour illustrer des points d'enseignement prcis. C'est unouvrage de clinicien centr sur les aspects pratiques d'une conduite d'entre-tien faite avec sensibilit.

    Ce livre a pour vocation de servir de guide et reflte en tant que tel les pr-occupations de tout professionnel charg de raliser un premier entretien. Ils'adresse donc principalement aux internes en psychiatrie, aux conseillers,aux psychologues cliniciens, aux travailleurs sociaux et aux psychiatres. Sonformat s'adapte un usage individuel, en cours ou en sminaire. Flexible, ilse prte aussi bien une lecture intgrale ou par sections. Chaque chapitre atendance constituer une unit, ce qui permet au lecteur de relever des l-ments au gr de ses propres besoins.

    Cet ouvrage vise galement servir de rfrence aux futurs mdecins etaux futurs infirmiers lors de leurs tudes de psychiatrie. En effet, quelle quesoit la spcialit choisie, tout mdecin, tout infirmier devrait savoir obtenirefficacement l'engagement du patient et dterminer la prsence d'une psy-chopathologie et la ncessit d'un traitement. Ce livre fournit les bases de cescomptences essentielles. En outre, de nombreux manuels de psychiatriedonnent des faits mais pas des mthodes. A cause de cela, les tudiants infir-miers et les tudiants en mdecine savent bien ce qu'est une dpression, maisn'ont pas la moindre ide de comment rechercher cette maladie en condi-tions relles. Ce livre constitue une passerelle pratique de la thorie l'exer-cice clinique. Les tudiants ont tout particulirement intrt lire leschapitres 1, 4, 5, 6, 7 et 8 ; la partie sur l'examen de l'tat de sant mentale,dans le chapitre 9, est galement trs utile pour ceux qui se destinent tra-vailler dans les services de clinique.

    En tant que rfrence clinique, ce livre constitue galement un supplmentde lecture essentiel en matire de psychopathologie. En effet, il illustre lesaspects humains de la psychopathologie tels que l'entretien en donne l'exp-rience. De ce fait, il prsente le patient, non comme une tiquette sortie d'unmanuel, mais dans son individualit. cet gard, les chapitres 4, 5, 6 et 7sont les plus pertinents.

    L'ouvrage se prsente en trois parties intitules : (I) les fondamentaux dela conduite d'entretien, (II) l'entretien et la psychopathologie et (III) les tech-niques avances de conduite d'entretien.

    Dans la premire partie, sur les fondamentaux de la conduite d'entretien,les deux premiers chapitres abordent des gageures essentielles de l'entretiend'valuation, comme par exemple la fiabilit des donnes recueillies et desrsistances frquentes (patients prolixes ou, au contraire, absolument fer-

  • XVIII La conduite de l'entretien psychiatrique

    mes). Ces considrations dterminent la nature mme de l'entretien : poursavoir comment conduire au mieux une consultation, il faut dj compren-dre son pourquoi.

    Dans le troisime chapitre, nous explorerons le monde fascinant du lan-gage corporel, notamment le dialogue non verbal qui survient au cours del'entretien. Nous accorderons une attention particulire la faon impor-tante dont le langage corporel et le paralangage du clinicien influencent laconversation au travers de facteurs multiples (engagement, validit des don-nes, rythme de l'entretien lui-mme).

    Le chapitre 4 a pour objet le plan de traitement et l'organisation des don-nes cliniques. Il constitue une introduction une stratgie pratique et sim-plifie pour utiliser le DSM-III et le DSM-III-R, dont les cinq axes sontdcrits en dtail. Nous y examinerons aussi d'autres mthodes d'importancegale, comme l'analyse par le systme familial ou le cadre de rfrence.

    Dans la deuxime partie, intitule L'entretien et la psychopathologie , lesprincipes exposs prcdemment sont appliqus trois domaines majeurs depsychopathologie, dont chacun fait l'objet d'un chapitre : (1) les troubles affec-tifs, (2) la schizophrnie et le processus psychotique et (3) les troubles de la per-sonnalit. En tudiant intensivement les principes de la conduite d'entretien autravers de ces trois catgories, on cherche dfinir divers points fondamentaux,gnralisables bien d'autres psychopathologies, les troubles anxieux, l'alcoo-lisme et la toxicomanie, par exemple. Ainsi, les chapitres 5, 6 et 7 agrandissentles subtiles nuances de l'entretien et en amliorent la comprhension, permettantainsi la mise au point d'un style personnel.

    Afin de simplifier notre tude, les chapitres 5 et 6 se prsentent en deuxparties complmentaires. Dans la premire, nous examinons en dtail lestechniques d'entretien utiles l'tablissement d'un diagnostic diffrentielselon les critres du DSM-III et du DSM-III-R. Ces principes sont examinsau travers d'analyses d'entretiens tirs de cas rels ou fictifs, imagins desfins didactiques. La deuxime partie tente d'claircir la phnomnologie dechaque tat pathologique en mettant en exergue leurs rpercussions sur dif-frents systmes impliqus dans le plan de traitement au cours de l'entretienprliminaire.

    Dans le chapitre 7, consacr aux troubles de la personnalit, nous insis-tons sur la ncessit de comprendre non seulement les critres diagnostiquesmais aussi la vision du monde de ces patients. Un effort d'ensemble vise donner au lecteur une exprience de l'tre-au-monde de ces personnes. cette fin, nous examinons en dtail des sujets comme la mise en lumire, avectact, d' histoires difficiles , dont notamment l'histoire sexuelle et les ant-cdents d'alcoolisme et de toxicomanie. Nous parlons galement d'autresthmes pineux, comme la ralisation d'un examen cognitif structur oul'attitude adopter face un patient en larmes ou en colre.

    Prfaces XIX

    Dans la troisime partie, sur les techniques avances de conduite d'entre-tien, nous nous concentrons sur des mthodes plus labores d'analyse et deconduite d'entretien. Tout un chapitre est consacr une thmatiqueessentielle : l'valuation des ides de suicide et d'homicide. Nous y exami-nons les nombreux facteurs de risque pertinents sur la base d'exemples, etnous y tudions soigneusement plusieurs techniques d'entretien utiles dansce domaine. Le chapitre 9 porte sur la manire de passer d'un angle d'explo-ration un autre, par exemple en regardant tour tour ses propres ractionsmotionnelles, ses ides insolites et son contre-transfert. Dans le chapitre 10,nous abordons de front le dlicat sujet de la rsistance au clinicien. Nous yformulons des principes gnraux et des mthodes spcifiques applicables des situations difficiles ; des questions de patients nous servent de tremplin la discussion.

    Pour clore cette introduction, il me revient en tte que si l'on me deman-dait de dfinir l'objectif principal de cet ouvrage, je serais submerg derponses possibles. Tout d'abord, ce livre ne prtend pas puiser le sujet, etdonc, le lecteur. J'ai plutt cherch rdiger un prcis examinant en dtailles questions pratiques et cliniques fondamentales, relatives la conduite dupremier entretien. Cette tude, je l'espre, permettra d'atteindre mon princi-pal objectif : l'excitation intellectuelle. Puisse-t-elle inciter le lecteur conti-nuer de son ct explorer cet art, bien aprs avoir ferm ce livre.

    Je tiens galement ajouter que le style dcrit dans les pages qui suiventn'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres tout aussi efficaces. Je ne leprsente pas comme la seule bonne manire de conduire un entretien. Jele propose plutt en guise d'encouragement la cration de styles person-nels, par l'emprunt certaines mthodes, le rejet d'autres techniques et lamise au point de nouvelles.

    Je souhaiterais terminer en disant que mes entretiens m'ont fait vivre desmoments fascinants. Je pense que nous tudions une interaction humainetrs spciale et qu'y participer relve du privilge. La conduite d'entretien estun art consomm, une uvre de cration mene en commun, au serviced'une personne dans le besoin.

    Veuillez noter que le nom de tous les patients a t chang et que certainsfaits ou qualits caractristiques ont t modifis pour mieux protger leuranonymat.

    Shawn Christopher Shea, MD

  • Avant-propos XXI

    Avant-propos l'dition amricaine

    Ce bel ouvrage, d'une utilit immense, est un formidable don. C'est par luique devraient se familiariser la clinique tous les professionnels de santmentale, car l'objectif ultime de toutes nos interventions repose directementsur les informations rassembles avec tact partir de nos entretiens. Einsteina remarqu qu'au dbut d'une science, les exemples servent davantage queles concepts ; on peut mme dire qu'ils forment les premiers concepts. Sheainitie le clinicien novice au mtier au moyen de situations concrtes etd'extraits de dialogues cliniques. Nul ne saurait trouver de meilleur point dedpart. l'avenir, je prdis que des cliniciens dbutants et beaucoup d'autresplus aguerris se replongeront dans cet ouvrage comme on revient aux livresles plus profonds, les plus vocateurs, se contentant d'en relire quelquespages chaque fois, pour les savourer, les apprcier, se pntrer de leursagesse.

    L'ouvrage commence au point de dpart de tout entretien : dans le noir,le clinicien sachant qu'il lui faut progresser tout doucement, ttons. Il lefaut non seulement du fait de l'extrme difficult d'un recueil de donnesvalides, mais aussi parce que notre travail consiste en priorit tablir unerelation propice un suivi efficace. En d'autres termes, Shea prend l'entre-tien cur, c'est--dire qu'il prend cette relation au srieux et qu'il donnetout son poids la dcouverte de rsultats valides.

    Dans le mme temps, Shea ne se prend pas, lui, trop au srieux. Il attirenotre attention sur ses propres erreurs, sources de rflexion empreinte d'unhumour plein de finesse, et nous montre directement les enseignements qu'ilen a tirs. On ne saurait fournir de meilleur modle d'apprentissage audbutant : souvent intimid, l'tudiant acquiert tout de suite de l'aisance,autant avec lui-mme qu'avec l'auteur. En outre, Shea n'ignore pas que, par-fois, un entretien et une relation tendent vers des objectifs opposs. Il sou-haite donc que les patients n'aient pas l'impression de subir un entretien mais de parler avec quelqu'un . Il a tt fai t d'exposer son objectif : recueillir efficacement les informations cliniques ncessaires, tout en obte-nant un profond engagement du patient .

  • XXII La conduite de l'entretien psychiatrique

    Cet ouvrage porte sur l'valuation clinique plutt que sur la psychothra-pie, mais il a assez de matire pour tous les psychothrapeutes. Ainsi, tout aulong du livre, Shea insiste sur le fait qu'un premier entretien bien structur,sans constituer une psychothrapie, n'en demeure pas moins toujours thra-peutique. Il montre ensuite comment parvenir cet objectif complexe aumoyen d'illustrations pratiques, y compris la retranscription intgrale d'unde ses entretiens.

    Autre apport de Shea : la facilique , ensemble de principes innovantspour tudier et comprendre les mthodes de structuration de l'entretien etcelles de gestion du temps. Merveilleusement pratique, la facilique permet demanuvrer lgamment entre les contraintes de temps de la pratique clini-que moderne. Shea opre un mariage russi entre le recueil de donnes et unecoute pleine de compassion. Il complte ce travail d'association en mettantl'accent sur les nombreuses techniques concrtes d'entretien, mises au pointpar les tenants d'une myriade d'coles de pense (analytique, interperson-nelle, psychologie du self, cognitivocomportementale, existentialiste...) dontl'expos pratique ne laisse pas de rvler une comprhension profonde.

    Trop souvent, les discussions cliniques ont une prtention, hautementthorique, portant sur le caractre conscient ou inconscient des processuscrbraux. Nous ne sommes pas des chercheurs en physique thorique, ausens o notre mission d'assistance autrui n'implique pas de pntrer lesrouages de la nature et de la socit. En soins cliniques, nous serions pluttdes ingnieurs visant construire des passerelles pratiques et des fondationssolides, propices la gurison. Il nous faut aller de A B, tablir des liens partir de trouvailles, des hypothses partir de suppositions, des impressionsfortes partir d'intuitions. Shea dmonte les tapes, rvle les distinctions etnous permet d'laborer nos propres mthodes de travail partir des nom-breux exemples qu'il fournit. Nous devons nous exercer des techniques eten crer de nouvelles jusqu' ce que l'accomplissement d'un large spectred'actions devienne une seconde nature.

    C'est l que le travail clinique doit commencer. Nous ne saurions tre ende meilleures mains.

    Leston Havens, MD

    Remerciements XXIII

    Remerciements de la deuximedition amricaine

    Pour commencer, je tiens de nouveau exprimer ma profonde gratitude tous ceux qui ont particip la premire dition.

    En ce qui concerne la deuxime dition, je souhaiterais tout d'abord remer-cier le dpartement de psychiatrie de la Dartmouth Mdical School. Toute mareconnaissance va Peter Silberfarb, MD, directeur du dpartement de psychia-trie, ainsi qu' Leighton Huey, MD, et David Budlong, PhD, pour le soutienadministratif qu'ils ont bien voulu tous trois accorder mes projets de formation la conduite d'entretien, et, quant aux deux derniers, pour leur contributiongracieuse mon programme de formation dans ce mme domaine.

    cet gard, je tiens remercier tout spcialement Ron Green, MD, direc-teur du programme d'internat, qui, ces 10 dernires annes, m'a apport uneaide sans rserve dans l'laboration d'un plan de formation refltant lesidaux de cet ouvrage. En vue d'atteindre ces objectifs pdagogiques, le pro-gramme Dartmouth prvoit que tous les internes en 3e anne de psychiatriesoient suivis par un mentor en conduite d'entretien , devant lequel ilsmnent un premier entretien pendant 2 heures, une fois par semaine, et celadurant 1 anne. Ce mentorat intensif porte sur des enregistrements vido,des sances de supervision directe et d'apprentissage par imitation, des jeuxde rle et un programme d'apprentissage individualis pour chaque interne.

    Naturellement, je tiens remercier tous ceux de la facult de Dartmouthqui ont rempli ce rle de mentor ces dernires annes, je veux parler du Club des Transitions Fantmes . Merci tout particulirement des men-tors comme Ron Green, partie prenante au programme Dartmouth depuisson lancement. Ce comit restreint compte des noms comme Bruce Baker,PhD, Christine Barney, MD, et Stephen Cole, PhD. Leurs critiques, leursdfis et leurs innovations se refltent dans la prsente dition. En outre, cesont d'excellents collgues et amis que j'admire sincrement.

    Depuis la rdaction de la premire dition, j 'ai surtout travaill au sein decentres de sant mentale dans la communaut. D'une manire trs concrte,mes collgues spcialistes des programmes de soutien de proximit et des ser-vices pour adultes m'ont permis de m'accomplir sur un plan professionnelautant que personnel, panouissement qui, je l'espre, transparat dans la

  • XXIV La conduite de 'entretien psychiatrique

    deuxime dition. Merci vous tous. J'adresse tout particulirement mesremerciements deux groupes de personnes : d'une part, ces merveilleuxcliniciens du Continuous Treatment Team (CTT) [quipe de traitement con-tinu] et d'autre part, aux patients du CTT et leurs proches. Ces deux grou-pes m'ont rvl le sens vritable des mots compassion pour les premierset courage pour les seconds. Je leur reste redevable jamais.

    L'une des amliorations les plus consquentes de la deuxime ditionrside dans la stratgie d'entretien dnomme mthode d'valuation Chro-nologique des pisodes Suicidaires, ou mthode ECES. Je tiens exprimerma gratitude David Jobes, PhD, pour sa relecture du chapitre dcrivantcette stratgie, ainsi qu' Thomas Ellis, PhD, pour le soutien enthousiastequ'il a accord la mthode ECES depuis tant d'annes.

    Je suis galement redevable toute l'quipe de WB Saunders, et notam-ment Judith Fletcher, Paul Fry et Bob Keller : leur aide a donn mes idesleur poli dfinitif. Merci tout particulirement Marjory Fraser, dont lestalents de rdactrice ont normment bonifi le texte.

    Naturellement, je tiens remercier Leston Havens, MD, pour son soutienenthousiaste et pour avoir russi trouver le temps d'crire son aimableavant-propos la deuxime dition.

    Enfin, je ne pourrais trop remercier Susan, ma femme, pour son amour,sa comprhension et son soutien. Comme lors de la premire dition, Susanm'a prt une remarquable oreille critique ainsi qu'une aide prcieuse lardaction. Avant tout, cependant, c'est elle qui a cru avec le plus de ferveur la mission et aux idaux de cet ouvrage.

    tous, encore, merci.Shawn Christopher Shea, MD

    Remerciements de la premiredition amricaine

    Pour commencer, je tiens exprimer ma profonde gratitude ThomasDetre, MD et directeur du Western Psychiatrie Institute and Clinic, ainsiqu' David Kupfer, MD et prsident de ce mme organisme, pour le soutienenthousiaste qu'ils ont apport cet ouvrage. Tous deux ont galementaccord un appui sans rserve mes tentatives pour mettre sur pied un pro-gramme de formation la conduite d'entretien et pour crer un laboratoireautorisant l'tude empirique que ce sujet mrite. Je souhaiterais galement

    Remerciements XXV

    remercier les autres administratifs du Western Psychiatrie Institute and Cli-nic pour leur soutien dterminant notre programme de conduite d'entre-tien et pour les prcieuses critiques dont beaucoup ont enrichi l'ouvrage,notamment : Carol Andersen, PhD, le Dr George Board, praticien hospita-lier, Richard Cohen, MD, George Huber, JD, Joan Kyes, MSN, Loren Roth,MD, Duane Spiker, MD, et Jack Wolford, MD.

    Toute ma reconnaissance va galement aux cliniciens suivants pour leurrelecture de plusieurs chapitres de l'ouvrage et pour leurs commentaires :Cleon Cornes, MD, Peter Fabrega, MD, Rohan Ganguli, MD, Tom Horn,MD, Stan Imber, PhD, Paul Pilkonis, PhD, et Grady Roberts, PhD. Merci dufond du cur Val Brown, PhD, et Mimi Brown, MSN, pour leurs criti-ques constructives et leur exquise amiti. Je sais galement gr Jeff Wilson,MD, de m'avoir autoris utiliser plusieurs citations qu'il avait dcouvertes.Ces extraits relatifs la phnomnologie du processus psychotique appor-tent une vritable plus-value au chapitre 6.

    Merci tout spcialement Richard Simons, MD, que j'ai poursuivi alorsqu'il tait press de prendre l'avion aprs son discours d'ouverture la con-frence annuelle de l'Association for Acadmie Psychiatry. M. Simons m'atout de suite donn son accord pour la relecture de plusieurs chapitres et m'a,par la suite, apport un soutien enthousiaste. L'aide qu'il a consentie debonne grce un jeune professeur reflte l'esprit universitaire dans ce qu'il ade meilleur.

    Je tiens galement remercier tout particulirement Juan Mezzich, MD,PhD, mon mentor pendant tant d'annes et sans qui cet ouvrage n'auraitjamais vu le jour. J'exprime aussi ma reconnaissance la mmoire duregrett Peter Henderson, MD : son dvouement son travail de formateurrestera toujours une source d'inspiration, jamais je n'oublierai le soutienqu'il a accord ma carrire et cet ouvrage.

    titre d'auteur d'un ouvrage de formation, les personnes auxquelles jesuis sans doute le plus redevable sont celles qui m'ont tout appris. Plusieursd'entre elles ont dj t nommes, mais pas les cliniciens suivants, dont lacompassion et l'excellence ont cr un climat d'exprience stimulant pendantmes annes d'internat au Western Psychiatrie Institute and Clinic : AnselmGeorge, MD, Carol Heape, RN, MSN, Diane Holder, MSW, George Hsu,MD, Tony Mannarino, PhD, Bob Marin, MD, Swami Nathan, MD, ElainePortner, PhD, Al Rossi, MD, Mike Shostack, MD, Paul Soloff, MD, SusanStewart, MSW, Rick Tomb, MD, Paul Weiss, MD, Gerhard Werner, MD, etBob Wittig, MD.

    Merci galement mon diteur, Bill Lamsback, pour avoir cru en ce pro-jet et pour s'tre efforc de raliser un ouvrage aussi agrable lire qu'regarder. Je souhaiterais galement remercier Jack Ferrel, du service com-mercial, pour son soutien enthousiaste et ses ides novatrices qui, esprons-

  • XXVI La conduite de l'entretien psychiatrique

    le, assureront le succs de l'ouvrage. Enfin, je sais gr ma secrtaire, MariaAntonich, pour son aide patiente la prparation du livre et pour la corres-pondance qui s'y rattache.

    Je tiens terminer par quelques remerciements particulirement impor-tants. J'ai eu grand plaisir travailler avec Meg Maloney. Sa crativit et sonimagination, sa capacit donner une reprsentation visuelle nos idesn'ont jamais cess de constituer une source de stimulation. J'estime que sesillustrations compltent l'crit d'un vritable sentiment d'effroi empreint desensibilit.

    Je souhaiterais remercier tous mes tudiants : je ne cesse d'apprendre leur contact et leurs questions excitantes constituent un gage d'panouisse-ment. Merci tout particulirement Barb McCann, PhD, et Scott Bohon,MD, deux anciens tudiants et maintenant collgues qui travaillent avec moi une meilleure comprhension de l'art de la conduite d'entretien.

    Enfin, la qualit d'un clinicien et d'un formateur repose sur ses collabo-rateurs, des personnes qui lui apportent sans cesse ides cratrices et soutienmotionnel. Je tiens donc remercier de leur aide indfectible Karen Evanc-zuk, RN, Anita Zeiders, MS, et Patty McHugh, MSW, qui forment le brasclinique/administratif du DEC. Merci tout spcialement aux infirmires etaux conseillers tlphoniques du DEC : on ne saurait trouver de personnelplus dvou et plus talentueux. J'ai grand plaisir travailler avec eux et jeleur suis profondment reconnaissant de l'esprit de famille qu'ils donnent notre quipe.

    Un grand merci galement ma sur, Sandy, qui m'a rvl la beaut del'enseignement, et mon frre, Chuck, un modle dans l'art de la compas-sion.

    Enfin, tous mes remerciements ma femme, Susan, pour son amour, sacomprhension et son soutien. Sa perspicacit et ses remarques rdactionnel-les ont t essentielles l'amlioration de cet ouvrage, auquel elle a toujourscru. Je lui suis aussi extrmement reconnaissant de son aide dactylographi-que.

    tous, encore merci.Shawn Christopher Shea, MD

    A mon pre, qui m'a montr la porte de la crativit.En souvenir de ma mre, qui m'a incit chaleureusement l'ouvrir. Susan, Brenden et Ryan, qui attendaient de l'autre ct.

  • P a r t i e

    Les fondamentauxde la conduited'entretien

  • C h a p i t r e

    Conduire un entretiendans les rgles de l'art

    Quand un mdecin me dit qu'il obit strictement telle ou telle mthode ,je doute de ses rsultats thrapeutiques. [...]. Je traitechaque malade aussi individuellement qu'il m'est possible, car la solutiondu problme est toujours personnelle.

    C. G.Jung Ma vie : souvenirs, rves et penses 1

    Dans les pages qui suivent, nous allons commencer une tude de la conduited'entretien. Nous y analyserons cet art par lequel un tre humain entreprendla formidable tche de comprendre un autre tre humain. Pour imager notrepropos, ce travail ressemble assez l'exploration d'une pice obscure, dansune vieille maison victorienne, la seule lueur d'une bougie : parfois, alorsqu'on scrute les ombres, un coup de vent souffle la flamme et replonge la picedans le noir. Pourtant, avec de la patience, le visiteur commence bientt distinguer plus clairement les contours des portraits de famille et des lampesa huile. De la mme manire, les caractristiques subtiles d'un patientmergent peu peu. Il s'avre que certains cliniciens plus perceptifs que

    1- C.G. Jung, Ma vie : souvenirs, rves et penses recueillis par Aniela Jaff, Paris,Gallimard, 1967, coll. Tmoins, traduit de l 'allemand par Roland Cahen et Yves Le Lay,P. 157. Reproduit avec l'aimable autorisation de l'diteur.

  • 4 Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    d'autres se familiarisent mieux avec la pratique de cette dcouverte endouceur, comme si, avant mme d'y pntrer, ils connaissaient plus ou moinsle plan de la pice, ce qui, d'une certaine manire, est le cas.

    C'est de cette connaissance a priori dont traite ce chapitre. Nous allonstenter de discerner quelques-uns des principes qui sous-tendent la russite oul'chec d'un premier entretien. Comme le suggre Jung dans l'pigrapheci-dessus, loin de devenir des rgles rigides, ces principes doivent, aucontraire, tre considrs comme des recommandations souples, aptes donner une forme ce qui semble initialement sans structure.

    Une seconde analogie peut s'avrer clairante. Dans leur rcent ouvragesur l'art au XIXe sicle, Rosenblum et Janson s'efforcent de dcrire lesnombreux processus conduisant la cration d'une uvre d'art [1] : influen-ces de l'environnement, proccupations politiques, aspirations et limitationsde l'artiste lui-mme. Chaque tableau amne ces historiens une rflexionsans concession sur des concepts comme la couleur, la composition, l'origi-nalit, la perspective, le thme... Pour ce faire, Rosenblum et Janson utilisentun langage artistique spcifique, compos de termes dfinis de manireconcise. Ce vocabulaire leur fournit les outils pour conceptualiser et commu-niquer leur comprhension. Le partage de ce langage par la majorit du milieuartistique permet l'expos et le dbat d'ides.

    Le travail du clinicien ressemble celui de l'historien d'art, la diffrenceque notre art est vivant. Nous pouvons tudier cet art vivant aprs avoirassimil un langage qui nous permet de conceptualiser nos styles d'entretien.Alors, les principes qui semblent fournir un plan de la pice au clinicienexpriment se dgagent naturellement.

    Ce chapitre a pour objet la mise au point d'une langue pour dcrire leprocessus d'entretien. Il se prsente en deux parties : tout d'abord, unedfinition oprationnelle de ce processus, puis une conceptualisation concrtedes objectifs principaux de l'entrevue. Cette incursion dans le langage appor-tera un nouvel clairage sur des situations familires, permettant ainsi dedvelopper un style plus souple et pntrant.

    Vers une dfinitionL'analyse d'un bref passage de dialogue clinique constitue sans doute lameilleure mthode pour dfinir le processus d'entretien : un extrait, mmecourt, permet d'amener la lumire des principes clairants.

    L'change suivant, tir d'un entretien diagnostique film, prsente notam-ment une clinicienne aux prises avec une difficult assez frquente : le patient errant . Cette clinicienne s'est ainsi plainte de n'tre mme pas

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 5

    parvenue [se] faire une ide du problme principal de la patiente, parcequ'elle partait sur tous les sujets qui lui venaient en tte . L'entretiencherchait mettre en lumire des symptmes de dpression majeure chezcette patiente d'ge moyen, qui dcrivait quelques-uns des problmes de sonfils, atteint d'un trouble de l'attention.

    Pt. : [...] Il a un problme de comportement. C'est peut-tre une phase traverser. [La clinicienne prend des notes.] Il a des crises de larmes, parfoissans raison apparente. Son professeur essaie de lui parler pour voirexactement ce qui ne va pas avec cet enfant parce qu'il est stress, il pleure,et a ne lui ressemble pas. Il a toujours t insouciant.Clin. : Est-il toujours plutt hyperactif ?Pt. : Oui, oui... Depuis qu'on a diminu les doses de mdicaments, il va unpeu mieux, mais j'tais absolument furieuse contre ce mdecin. C'est vrai,l'un d'eux aurait pu m'expliquer.

    Clin. : Je crois que a a d tre assez frustrant pour vous.

    Pt. : Oui.

    Clin. : Et quels taient les effets sur votre humeur ?

    Pt. : Ah... Mon mari travaille en quipe [La clinicienne prend des notes],et pourtant il veut se mler de tout. J'avais un boulot jusqu'en fvrier,mais j'ai t licencie. Je faisais plus que mon compte d'heures. Mon mari,lui, il n'en fiche pas une. Je travaillais environ 60 heures par semaine maislui n'aurait mme pas daign soulever une assiette. a, a me hrisse aupossible.

    Clin. : Mmh. Pas de doute.

    Pt. : Surtout si vous partez travailler le samedi et le dimanche pour sixheures et demie du matin et que vous ne rentrez pas avant huit heures dusoir.

    Clin. : Vous travaillez dans quoi ?

    Pt. : Dans le montage lectronique. Avant, j 'ai t technicienne en radio-logie pendant 10 ans, et puis on a dcid de fonder une famille. Jetravaillais l'hpital de Terryhill. Et puis, euh, il m'a dit, et je comprendsson point de vue...

    A premire vue, il est facile de comprendre la frustration de la clinicienne :en aucune faon, la patiente n'est presse de dcrire son humeur et sessymptmes dpressifs. Au contraire, interroge directement sur ce point,elle dvie tout de suite la conversation vers un dnigrement de son mari. Ellesemble errer de sujet en sujet. Cependant, y regarder de plus prs, cet

  • Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    extrait de dialogue laisse apparatre un constat intressant : qui, de lapatiente ou de la clinicienne, mrite la palme de l'errance ? D'un communaccord, elles semblent parties, main dans la main, pour une flnerienocturne.

    L'entretien visait spcifiquement mettre en lumire des ides de dpres-sion, mais interroge sur son humeur, la patiente, suivie cet instant crucialpar la clinicienne, choisit d'luder la question. Sans l'avoir voulu, la clini-cienne risque mme d'avoir rcompens cette bifurcation par sa prise denotes. Celle-ci suggre que les paroles de la patiente sont assez importantespour tre releves et constitue une invitation poursuivre la conversationdans cette direction. Il en est de mme de la formulation d'empathie : Mmh.Pas de doute. Pour couronner le tout, la clinicienne embote le pas en posantune question sur le nouveau thme.

    Il ressort donc que sa patiente et elle s'influencent mutuellement et formentun systme dyadique, inconsciemment ax sur la perptuation d'un entretientangentiel.

    Cet exemple illustre le fait que les entretiens crent des processus d'inter-actions qui facilitent ou, au contraire, entravent la communication. Tous cesprocessus sont si caractristiques qu'il est possible de les nommer. Celui quenous venons de voir pourrait ainsi s'appeler entretenir l'errance . Ilconstitue une technique mal adapte la mise en lumire de donnes prcisessur un thme particulier mais pourra, curieusement, favoriser l'installationd'une atmosphre propice aux associations libres. Dans tous les cas, leclinicien peut et doit le garder en tte pour s'en servir dans les situationsadaptes et l'viter ailleurs.

    Nous verrons ainsi dans le chapitre suivant que notre clinicienne auraitcertainement pu limiter les digressions de la patiente par des formulations derecentrage. Dans l'immdiat, cependant, intressons-nous plutt ce quecet extrait nous rvle du processus d'entretien, dont nous pouvons prsent baucher une dfinition clinique, valable aussi bien pour untravailleur social menant une valuation que pour un animateur de dbattlvis :

    Un entretien constitue un dialogue la fois verbal et non verbal entre deuxparticipants dont les comportements influencent leur style de communicationrespectif, donnant ainsi lieu des schmas spcifiques d'interactions. L'un desparticipants se dsigne comme celui qui conduit l'entrevue et vise des objectifsprcis tandis que l 'autre participant assume en gnral le rle de celui quirpond aux questions.

    Cette dfinition met l'accent sur l'interactivit de l'entretien. Il est aussipossible de l'adapter au contexte et aux objectifs souhaits. Afin de la rendre

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 7

    plus spcifique d'une valuation clinique, il suffit d'envisager les visesparticulires d'une situation de soins. Ces objectifs sont, globalement, lessuivants :

    1. tablir un profond engagement du patient dans une alliance thrapeu-tique ;

    2. runir une base de donnes valides ;3. dvelopper une comprhension volutive du patient fonde sur l'empa-

    thie ;4. effectuer une valuation d'o dcoule une hypothse diagnostique ;5. dvelopper un plan de traitement appropri ;6. rduire en partie l'anxit du patient ;7. lui donner espoir et s'assurer qu'il viendra au rendez-vous suivant.

    Notons en outre que les objectifs d'un premier entretien varient selon lesexigences des conditions de l'valuation, en particulier selon les contraintesde temps et la ncessit de dterminer quelles donnes cliniques permettentl'tablissement d'un traitement adquat. Ainsi, un intervenant de crise appeldans un service d'urgence surcharg, auprs de la victime d'un viol, ne vacertainement pas utiliser la mme structure d'entretien clinique qu'unanalyste qui on aura demand d'valuer, en 1 2 heures, un patient cultivsollicitant une psychothrapie pour dpression chronique. En rsum, ce sontles exigences de la situation clinique qui doivent dterminer le style d'entre-tien, pour autant que le clinicien reste dispos modifier avec souplesse sonapproche.

    Ces constats soulignent un des dfis frquents du premier entretien : laconstitution d'une base de donnes exhaustive et valide, dans un laps detemps rduit, tout en s'assurant de l'engagement du patient. Plus le temps estcompt, plus cette tche s'avre complexe. Pour reprendre la mtaphore de lapice de la maison victorienne, le clinicien se trouve pour ainsi dire sommd'effectuer, en temps limit, l'inventaire d'une pice plonge dans le noir, enprenant bien soin de ne pas trop dranger le dcor : pari redoutable, mmepour un expert. Les difficults culminent sans doute lorsque le clinicien ou lepsychiatre consultant est charg d'une tche peu enviable : l'valuationinitiale. Cet entretien, souvent limit 60 minutes environ par les nombreu-ses contraintes de temps d'une consultation surcharge, sert de base au plande traitement du patient.

    C'est ce type particulirement exigeant d'entretien que j'ai choisi d'tudierdans ce livre, car les principes ncessaires sa conduite lgante peuventensuite se gnraliser la plupart des contextes d'entretiens, parfois moinsserrs dans le temps, donc mens sur un rythme plus paisible. En somme, lesdifficults des entretiens d'valuation fournissent des occasions formidables

  • 8 Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    pour acqurir des aptitudes essentielles la comprhension du fondement dequasiment tous les entretiens psychiatriques : les interactions dlicates entrel'engagement et le recueil des donnes. Nombre de ces aptitudes serviront enfin de compte en psychothrapie.

    La dfinition oprationnelle d'un entretien d'valuation, dont nous dispo-sons grce notre analyse, nous permet d'laborer une sorte de plan, illustren figure 1. Ce schma, qui dlimite les divers objectifs d'un entretien, acomme point de dpart le processus d'engagement, qui dtermine maintsgards la russite des autres objectifs. Effectu en parallle ce processus, lerecueil de donnes conduit peu peu une meilleure connaissance du patientdans son unicit. Cette comprhension repose sur la capacit du clinicien percevoir la vision du monde, les peurs, les souffrances et les espoirs dupatient. Au fil de l'entretien, le clinicien commence raliser une valuationclinique, comprenant un diagnostic diffrentiel provisoire. L'valuation de lasituation du patient et la comprhension de son individualit permettent auclinicien d'laborer un plan thrapeutique adapt aux besoins personnels deson interlocuteur et ce, malgr les contraintes que les limitations du systmede sant mentale font peser sur les soins.

    PROCESSUSD'ENGAGEMENT

    EVALUATIONET DIAGNOSTIC

    RECUEILDES DONNES

    COMPRHENSIONDE LA PERSONNE

    ORIENTATIONET PLAN DE TRAITEMENT

    Figure 1. Plan du processus d'entretien.

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 9

    Dans les faits, les processus d'engagement, de recueil de donnes, decomprhension et d'valuation se droulent en parallle. Les flches quitournent en sens inverse au centre du schma soulignent ce fait. L'attention apporter l'engagement pendant les 60 premires minutes apparat ainsiclairement.

    Cration d'un entretien : objectifs et variantesProcessus d'engagement

    Alliance et empathieLe processus d'engagement commence avec les toutes premires impressionsvisuelles, auditives, olfactives et tactiles de l'change clinicien/patient. Aucours de ces interactions complexes, leurs informations sensorielles se rfl-chissent sur l'cran incertain de leurs souvenirs. Chacun s'inspire de cescomparaisons pour tenter de dterminer la place qu'il occupera dans la vie del'autre. Mme un geste aussi simple qu'une poigne de mains peut engendrerdes impressions durables. Le clinicien expriment pourra dj constater lapoigne nergique d'un Hercule rsolu s'imposer ou la paume moite d'unCharlie Brown en attente d'une rebuffade.

    C'est ce moment mme que le patient aura commenc son propreclassement mental du clinicien. Cela se voit clairement chez un patient quirpond une main tendue par un regard ddaigneux. La raction du clinicien ce rejet d'une rgle lmentaire de courtoisie offre son interlocuteurquelques indices sur ses ressorts psychologiques. Ainsi, un clinicien, obsdpeut-tre par le besoin de mener les choses [son] gr , tendra sans doutede nouveau la main en demandant d'un ton irrit : Vous ne voulez pas meserrer la main ? Un autre, probablement reint de travail, ragira sche-ment : On n'est pas d'humeur serrer la main ?

    Dans les deux cas, le patient a mis au jour un filon d'o il tirera desrponses des questions telles que : (1) Ce clinicien va-t-il se mettre en colrecontre moi ? (2) Va-t-il me forcer faire certaines choses ? (3) Suis-je enscurit ici ? L'exemple ci-dessus laisse transparatre les interactions comple-xes qui jouent sur l'engagement, point de dpart de la dlimitation desterritoires personnels.

    Avant de continuer, toutefois, dfinissons deux termes : engagement etalliance. L'engagement fait rfrence au dveloppement progressif d'un senti-ment de scurit et de respect, grce auquel les patients se sentent de plus enplus libres de confier leurs problmes au clinicien, en mme temps qu'ilsprennent confiance dans son aptitude les comprendre. L'alliance dsigne,

  • 10 Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    quant elle, tous les indices comportementaux et motionnels qui suggrent,au cours de l'entretien, la russite de ce processus d'engagement. En d'autrestermes, l'engagement sert dfinir un ensemble d'objectifs et l'alliancefournit une mthode pour surveiller l'efficacit des stratgies employes pouratteindre ces objectifs.

    La distinction entre engagement et alliance n'est pas releve par tous lesauteurs mais, mon sens, elle est importante. En effet, l'tude des techniquesd'engagement prsente peu d'intrt sans une mthode fiable pour mesurerleur efficacit au cours de l'entretien. La notion d'alliance constitue doncpour le clinicien une approche d'autosurveillance active : des difficults dansl'alliance peuvent l'alerter et l'inciter changer de stratgie avant que le lienavec son interlocuteur ne soit profondment dgrad.

    Trois approches complmentaires permettent d'valuer la qualit del'alliance : l'une est subjective, l'autre objective, la troisime repose sur lejugement personnel du patient. D'aprs la mthode subjective, le clinicienpeut reconnatre les sensations provoques par un engagement optimal : ensomme, ce qu'il ressent lors d'un bon entretien. Les enseignants suggrentqu'une fois identifie, cette composante intime et idiosyncrasique peut, chaque instant, servir de thermomtre pour mesurer l'intensit de l'alliance[2].

    Cette approche subjective varie bien entendu d'un clinicien l'autre.Quelques descriptions fournies par des praticiens peuvent donc aider s'enfaire une meilleure ide :

    a. Pour moi, une bonne alliance ressemble plus une conversation qu' unentretien ou un interrogatoire.

    b. Je sais que l'alliance est noue quand tout coup, au cours de l'entretien,je ralise que je parle une personne qui souffre vritablement, et pas uncas avec des dfenses supposes.

    c. Quand l'alliance est bonne, j'ai remarqu que je me sens plus l'aise, ilm'arrive mme de pousser un soupir. Curieusement, je ressens aussidavantage d'intrt.

    Ces descriptions suggrent que l'installation d'une alliance est toujours un casunique. C'est cette particularit individuelle qui fait de l'alliance un instru-ment de surveillance fiable et sensible de la qualit de l'engagement. Leclinicien qui s'entrane vrifier de temps autre l'volution de l'alliances'offre une perspective pour tudier le droulement du processus d'engage-ment. Dans cette mesure, l'entretien devient moins nbuleux, plus concret. Ilvolue en quelque chose de modifiable.

    Cette concrtisation peut encore tre amliore par la deuxime grandemthode de surveillance de l'alliance : un examen objectif des caractristiquescomportementales de l'entretien lui-mme. Les indices suggrs par le

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 11

    langage corporel seront tudis dans le chapitre 3. Pour l'instant, nous allonsanalyser les caractristiques structurelles et le rythme de l'change verbal.

    Il s'agit pour le clinicien de relever dans cet change verbal les signescomportementaux concrets d'une alliance solide. Wiens [3] et al. ont labordes mthodes fascinantes, quoique simples, d'analyse des caractristiquestemporelles du discours, fondes sur trois variables discursives : la dure del'nonc (DDE), le temps de latence de la rponse (TLR) et le pourcentaged'interruptions. La DDE correspond en gros la dure de la rponse dupatient une question. Le TLR reprsente le laps de temps ncessaire aupatient pour ragir une question. Le pourcentage d'interruptions informesur la propension du patient couper les questions de son interlocuteur. Cesvariables peuvent aussi s'appliquer aux schmas discursifs du clinicien.

    Pour en revenir l'alliance, ces trois lments permettent de dtermineravec davantage d'objectivit l'efficacit de l'entretien. En effet, certainescatgories d'changes peuvent voquer une alliance fragile. Ainsi, un patientdfensif ou souponneux privilgiera-t-il des rpliques laconiques (DDEcourte), prendra-t-il son temps avant de rpondre (TLR long) et coupera-t-ilquelquefois son interlocuteur pour rectifier ses propos. La survenue d'un teltype d'change peut indiquer au clinicien un engagement inefficace.

    Un autre exemple l'extrmit oppose d'un continuum concerne despersonnes souffrant d'anxit, d'hypomanie ou d'histrionisme dont lediscours aura tendance errer, avec une DDE longue, un TLR trs bref et defrquentes interruptions. Notons que le clinicien peut alors lui-mme treamen interrompre son interlocuteur pour tenter tant bien que mal deglisser un mot.

    D'ailleurs, avec ces trois types de patient, l'alliance revt souvent unesuperficialit singulire. Ils font preuve de spontanit verbale et se livrentavec une rapidit anormale, ne laissant pas l'alliance s'installer progressive-ment, l'inverse de la plupart des patients. L'alliance ainsi cre est unilat-rale, superficielle, unipolaire , selon la formule judicieuse d'un tudiant.

    Ces deux exemples nous enseignent que des variations dans les profilslmentaires de production verbale, comme la DDE ou le TLR, fournissentdes indications objectives sur la qualit de l'alliance. Cette mthodeapporte-t-elle cependant des avantages supplmentaires l'approchesubjective tudie prcdemment ? mon avis, oui, ce qui ne veut pas direque l'une doit supplanter l'autre. Elles doivent plutt se complter, commedans le cas, loin d'tre rare, o les cliniciens passent ct du diagnosticd'hypomanie ou d'histrionisme pour s'tre laiss prendre au discours deleurs patients.

    Ce problme survient en partie parce que le clinicien, fascin par le rcitqu'il entend, a le sentiment subjectif d'une alliance anormalement bonne. Enfait, il s'agit, comme nous l'avons vu, d'une alliance unipolaire, de qualitartificielle. Pour peu qu'elle soit reconnue, cette unipolarit peut mettre la

  • puce l'oreille du clinicien, gar par le style plaisant et la comdie subtile dupatient. S'il prend alors du recul pour analyser la DDE et le TLR, il peutreconnatre les signes typiques d'une alliance unipolaire et en rechercher lesventuelles causes psychopathologiques. L'approche objective redresse laconfusion engendre par une apprciation uniquement subjective del'alliance.

    Des paramtres objectifs comme la DDE et le TLR prsentent galementl'avantage de permettre l'valuation d'une technique d'entretien particulire.Prenons l'exemple d'un clinicien qui tente activement d'amener un patientrticent parler : une hausse de la DDE constituera l'un des signes de russiteles plus prcoces et les plus faciles reprer. L'volution des sentimentssubjectifs d'une alliance en bonne voie risque, quant elle, de se manifesterplus tardivement et d'tre plus difficile reconnatre.

    Le jugement personnel du patient fournit une troisime mthode d'valua-tion de l'alliance. Il arrive que celui-ci dise spontanment dans quelle mesureil apprcie l'change, mais la plupart du temps, le clinicien terminera la sancepar une question telle que : Alors, que pensez-vous de notre entretiend'aujourd'hui ? Or, souvent, par peur de paratre ingrats ou grossiers, lespatients vont rpondre que tout allait bien, mme si ce n'est pas vrai. Aucontraire, d'autres discuteront clairement de problmes spcifiques et formu-leront ainsi quelquefois des critiques constructives et pertinentes.

    Dans d'autres cas, le jugement personnel procure des claircissementsinattendus, surtout lorsqu'il contredit les approches subjective et objective del'valuation de l'alliance. Je me rappelle ainsi un jeune homme qui semblaitquelque peu se dsintresser de l'entretien ; il parlait d'une voix douce, sansentrain. Petit petit, je me suis senti gn, comme si nos personnalits allaientmal s'accorder. Les signes objectifs et subjectifs d'alliance suggraient unmauvais engagement, mais ma grande surprise, au terme de l'entretien, moninterlocuteur m'a assur qu'il s'tait senti tout fait l'aise avec moi et aaffirm d'un air sincre avoir apprci la conversation.

    Ce patient souffrait d'une schizophrnie paranode en rmission, et c'taitun moussement affectif rsiduel qui induisait ces signes extrieurs et subjec-tifs de mauvaise alliance. En ralit, l'engagement n'tait pas prcaire. Cettedisparit mettait en pleine lumire les malentendus que pouvait facilementgnrer chez autrui une rserve aussi dsarmante que trompeuse. En analy-sant l'alliance au travers de ce jugement personnel, j'ai beaucoup mieuxcompris le regard de ce patient sur le monde. En outre, l'intrt probabled'une thrapie axe sur l'acquisition de comptences sociales devenait envi-sageable.

    Le clinicien peut donc avoir avantage savoir apprcier l'alliance par cestrois approches : subjective, objective et base sur le jugement personnel dupatient. Ces techniques l'esprit, l'entretien devient la fois moins obscur et

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 13

    plus gratifiant. Le clinicien ressent cette gratification lorsqu'il se rend comptequ'il peut modifier le cours mme de l'entretien de manire crative.

    Une fois l'alliance analyse, le clinicien possde une ide concrte de lasolidit de l'engagement, tout instant et pour n'importe quel patient. Or, lamauvaise qualit de ce processus risque d'accrotre la probabilit d'un recueilde donnes non valides et de rendre la compliance plus problmatique. Unengagement fragile voque l'une des trois situations suivantes :

    1. la manire d'agir du clinicien compromet activement l'engagement dupatient ;

    2. les processus ou les dfenses psychopathologiques du patient entraventson engagement ;

    3. une combinaison des deux causes prcdentes.

    Si le clinicien a le sentiment que la fragilisation de l'alliance provient de lapremire situation, il tentera alors de modifier consciemment son styled'interactions. Confront, par exemple, un patient paranode, susceptibled'tre rebut par une attitude extravertie, le clinicien optera pour un style plusneutre afin de calmer les peurs de son interlocuteur.

    Si, en revanche, la fragilit de l'alliance peut s'expliquer par la deuximesituation, le clinicien recherchera alors plus prcisment les types de psycho-pathologie susceptibles de bloquer un tel processus, comme nous l'avons vuavec l'histrionisme. Bien sr, si le blocage provient de la troisime situation,il convient alors d'accorder une attention accrue au style d'interaction aussibien qu' la psychopathologie.

    Jusqu' prsent, nous avons pass en revue trois mthodes pour valuerdirectement l'alliance et indirectement l'engagement. Il peut tre utile derevenir la reprsentation schmatique du processus d'entretien expos plushaut. Ce schma dbute, juste titre, par le processus d'engagement, parceque celui-ci dtermine tous les objectifs ultrieurs de l'entretien.

    Plus prcisment, la faiblesse de l'engagement soulve de srieux doutessur la validit des donnes recueillies car les patients sont en gnral rticents se confier une personne qu'ils n'apprcient pas. Faute d'un engagementefficace, le clinicien dcouvrira rarement les recoins intimes de la sombrepice de la maison victorienne voque plus haut, et il n'aura en dfinitivequ'une comprhension superficielle de la souffrance du patient. En outre,l'absence d'informations valides et cohrentes met en grave danger sonvaluation et son diagnostic. Enfin, un engagement de mauvaise qualitpourra dissuader le patient de venir un deuxime rendez-vous, au risque derendre inutile le travail effectu au premier entretien.

    Ce concept somme toute assez nbuleux d'engagement s'avre donc tre lacharnire d'une grande partie de la pratique clinique. Fort heureusement, ceprocessus n'est pas aussi capricieux qu'il pourrait paratre premire vue. Un

  • Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    examen plus fouill permet de mettre en lumire des principes spcifiquespour l'engagement : (1) l'valuation de l'alliance, (2) la transmission efficaced'un sentiment d'empathie, (3) l'aptitude mettre en place un climat descurit propice la confidence, (4) la facult de paratre authentique etnaturel et (5) la capacit afficher une comptence rassurante. Tout au longdes pages suivantes, nous allons nous efforcer de dpasser les significationsvidentes de ces termes pour en reconnatre les applications pratiques.Commenons par l'empathie.

    Transmission d'un sentiment d'empathie :stratgies et cueilsNombre de cliniciens estiment que le concept d'empathie est simple. Il n'enest rien. La quantit d'articles de recherche consacrs sa dfinition tmoignede son caractre insaisissable. Heureusement, au fil des ans, des perces ontpermis de rendre plus tangible cette qualit que tout le monde a le sentimentde possder, bien qu'elle soit sans doute moins rpandue qu'on le pense. Il estsomme toute naturel de commencer notre expos en parlant de Cari Rogers,qui a dvelopp le domaine du counseling centr sur le client. Pour lui,l'empathie se dfinit comme l'aptitude du clinicien percevoir avec prci-sion le systme interne de rfrence d'autrui, avec les composantes motion-nelles et les significations qui s'y rapportent, comme s'[il] tait cette autrepersonne, mais sans jamais perdre de vue ce comme si [4] . En termes plussimples, l'empathie dsigne l'aptitude reconnatre clairement la perspectivemotionnelle immdiate d'autrui sans, dans le mme temps, abandonner lasienne.

    Comme l'a remarqu Rogers, empathie et identification peuvent sechevaucher, mais elles se distinguent par un point important. Le clinicien quis'identifie au patient non seulement en reconnat l'tat motionnel, mais vajusqu' le ressentir. Distinction importante, car cette identification donnesouvent lieu des drives thrapeutiques non reconnues comme l'puisementou les contre-transferts non identifis. La persistance de sentiments intensesd'identification doit avertir le clinicien du besoin d'entamer ou de reprendresa propre thrapie sous peine de dtruire rapidement le processus thrapeu-tique.

    Le pauvre patient qui prsente des traits tats-limites mrite une petiteprire s'il rencontre un clinicien qui lui affirme sans dtour : Je peuxressentir votre douleur. En effet, son identit diffuse lui donnera dj assezde problmes sans avoir en plus affaire un clinicien camlon. Nouspouvons donc retirer de l'tude de l'empathie un enseignement simple, maisimportant : la plupart des patients ne recherchent pas quelqu'un qui ressenteles mmes choses qu'eux, mais qui tente de comprendre ce qu'ils ressentent.

    G. T. Barrett-Lennard jette un jour plus net sur la notion d'empathie enconstatant qu'elle n'a d'effets que si patient et clinicien sont l'un et l'autre

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 15

    impliqus [5]. Cette raction partage, qu'il dsigne sous le nom de cycle del'empathie , fournit un excellent cadre l'tude des applications pratiquesde ce concept. Examinons donc en dtail chaque phase de ce cycle : (1)l'expression d'un sentiment par le patient, (2) la reconnaissance de cesentiment par le clinicien, (3) la transmission de cette reconnaissance aupatient, (4) la rception par le patient de cette transmission et (5) la ractionen retour signifiant au clinicien que cette reconnaissance a bien t reue [5].Ce cycle procure une ide bien plus claire du processus empathique, dontl'chec peut en fait survenir au cours de chacune des cinq phases.

    Premire phase du cycle de l'empathie - la premire phase du cycle, aucours de laquelle le patient exprime une motion spcifique, divers processuspeuvent perturber l'empathie. Plusieurs dfenses, la fois conscientes etinconscientes, sont susceptibles de l'empcher d'exprimer une motion relle,comme l'illustre de manire mouvante le dialogue ci-dessous. Une mreparle de son fils, un enfant de 7 ans prsentant un retard mental lger :

    Clin. : Parlez-moi un peu du comportement de John avec les autres enfants.

    Pt. : Oh, il n'y a pas vraiment de problme ce sujet, il est tout faitnormal, pas diffrent des autres enfants. Bon, il n'aime pas beaucoup jouerou faire du sport, mais il a ses ides lui : un jour, peut-tre, il serachampion de golf ou de ski.

    Clin. : Tout l'heure, vous avez dit quelque chose au sujet de son locution.Pt. : Oh, mmh, son zzaiement, vous voulez dire. Eh bien, mon avis, c'estune phase de l'enfance qu'on traverse tous. a lui passera dans quelquesannes. Vous savez, moi, j 'ai du mal comprendre la plupart des petitsenfants quand ils parlent, c'est normal avec les petits.

    Dans cette situation pour le moins mouvante, le dni et la rationalisationservent de dfenses cette mre contre l'expression d'une profonde souf-france. Je ne pense pas qu'elle ragirait favorablement une dclarationempathique du genre : II semble que vous viviez des moments difficiles avecJohn. Ici, ce sont les dfenses inconscientes de la patiente qui ont empchle dveloppement spontan du cycle de l'empathie.

    Deuxime phase du cycle de l'empathie - Toutefois, les frquents checsd'un contact empathique ne surviennent pas exclusivement pendant cettepremire tape. La phase 2 (reconnaissance des sentiments du patient) peutaussi tre problmatique si les facults perceptives ou intuitives du clinicienfont dfaut, ventuellement du fait de ses propres dfenses ou d'une psycho-pathologie sous-jacente. Il lui faut notamment tre conscient des rpercus-sions de son propre tat motionnel sur sa capacit faire preuve d'empathie bon escient. Ainsi, un clinicien perturb par une rcente sance de supervi-sion risque d'avoir beaucoup de mal relever les subtils indices de souffrance

  • 16 Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    intime de son patient. l'extrme inverse, un clinicien rcemment divorcpeut facilement projeter ses sentiments personnels de trahison sur un patientengag dans une procdure de sparation, sans que ce dernier ressente rien detel. Dans les deux cas, l'tat motionnel du clinicien empche une perceptionprcise des motions de son interlocuteur.

    la lumire de ces constats, il s'avre que les cliniciens n'ont pourinstrument de mesure que leur propre personne. Ici, pas de microscope ou descanner pour aider voir plus clair. Cependant, tout comme les appareilssophistiqus, les cliniciens peuvent involontairement biaiser leurs donnes.Avant un entretien, il est donc souvent utile de vrifier l'absence de tels biaiset de se donner un instant de rflexion pour faire le point sur son tat d'esprit.Cette dmarche lmentaire permet de prendre conscience de facteurs dedformation potentiels tels qu'un sentiment d'urgence, de colre, de tristesseou, tout simplement, de lassitude. Averti de ses facteurs de distorsion, leclinicien pourra esprer carter un peu plus le risque de recueillir des donnesnon valides.

    La deuxime phase du cycle de l'empathie soulve galement plusieursquestions intressantes concernant la nature relle de l'intuition. Margulies etHavens [6, 7] soulignent deux dispositions d'esprit, apparemment intrins-ques au processus empathique. Tout d'abord, le clinicien doit pouvoircouter avec une navet discipline et essayer littralement de ressentir lemonde du patient, sans rechercher des liens de cause effet, sans catgoriseret sans formuler de jugements de valeur. Cette ouverture d'coute a faitl'objet d'une exploration magistrale par l'cole psychologique de phnom-nologie, dont nous parlerons davantage plus loin dans ce chapitre. Cetteexploration se rsume l'injonction suivante : le clinicien doit apprendre suspendre toute pense analytique susceptible de dtruire l'engagement.

    La seconde disposition d'esprit concerne l'aptitude du clinicien imaginerles expriences intrieures du patient par une projection cratrice dans lemonde de ce dernier. Margulies compare cette qualit l'imagination poti-que des artistes et insiste sur la facult de se dplacer activement dans cetunivers, aussi dnomm inspect [8]. Lorsque le clinicien y russit, il estcapable non seulement de dresser un tableau du monde du patient mais aussid'y entrer.

    L'aptitude couter en suspendant toute analyse et la capacit seprojeter avec sensibilit dans l'exprience d'autrui peuvent tre considrescomme deux qualits mres de l'intuition. Essentielles une pratique cliniqueefficace, elles jouent la plupart du temps un rle considrable lorsquel'alliance est optimale.

    Nous voici confronts un paradoxe fascinant : le talent d'un clinicien secaractrise en partie par sa capacit discerner quand utiliser son intuitionmais aussi quand y renoncer. En des termes lgrement diffrents, l'habiletd'un clinicien provient de ses facults tant intuitives qu'analytiques. Ainsi, le

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 17

    clinicien expriment passera, en quelques minutes, d'une coute intuitive une rflexion analytique. D'ailleurs, chez le clinicien aguerri, ces deux proces-sus ont tendance se guider l'un l'autre. Prenons l'exemple d'un clinicien quiressent intuitivement, chez son patient, la peur intense d'une dsintgrationdu Moi. En plus de renforcer immdiatement l'alliance, cette intuitionpourrait inciter le clinicien rechercher, en vue d'un diagnostic, la prsenced'une personnalit tat-limite ou narcissique.

    De mme, il arrive qu'un processus analytique renforce l'empathie duclinicien. Si, par exemple, il observe au fil de l'entretien que le patient vite lecontact visuel et devient de plus en plus anxieux, ce constat analytiquel'incitera prendre conscience, par empathie, du malaise de son interlocu-teur. De telles situations peuvent appeler des questions prvenantes comme : Je me demande ce que cela reprsente pour vous de voir un psychiatre ? Une coute empathique peut alors soulager considrablement le sentiment deculpabilit ou de gne du patient. Ce qu'il faut se rappeler, c'est qu'intuitionet analyse sont complmentaires, et pas antagonistes : toutes deux sontsouvent utilises au cours du premier rendez-vous.Troisime phase du cycle de l'empathie - Cette phase, pendant laquelle leclinicien affirme vraiment son empathie, est le thtre de nouvelles interac-tions complexes entre les deux personnes et peut receler quelques surprises.L'un de ces tours inattendus vient du fait que les dclarations d'empathie nefonctionnent pas toutes avec la mme efficacit chez tous les patients. Afin demieux comprendre pourquoi, examinons cette phase avec attention.

    L'un des aspects les plus bizarres des formulations d'empathie rside dansleur surprenante capacit rompre rapidement l'engagement d'une petiteminorit de patients : en somme, accomplir prcisment l'inverse de l'objec-tif dsir. Cette situation n'est pas sans rappeler les diffrentes maniresd'accepter des compliments observes dans la vie de tous les jours : certainespersonnes leur font bon accueil, d'autres non. Un compliment sincre peutsusciter chez ce deuxime type de personne une gne profonde, assortie d'unerponse ddaigneuse comme : Merci, mais ce n'est rien du tout, vraiment.

    Ce phnomne particulier s'explique notamment par le fait que l'logeplace la personne complimente dans l'une des deux situations de gnesuivantes : (1) l'acceptation d'une image de soi perue comme inexacte ou (2)la plonge dans un tat motionnel indsirable (sentiment d'une valorisationpersonnelle flatteuse, par exemple), comme c'est parfois le cas chez desindividus soumis au joug chronique d'un Surmoi punitif. De la mmemanire, les formulations d'empathie deviennent contre-productiveslorsqu'elles poussent le patient dans une niche interpersonnelle qu'il n'a pasenvie d'occuper.

    Reste savoir si cette situation est vitable ou non. mon sens, oui,en grande partie. C'est notamment pour empcher ces rpercussions

  • 18 Les fondamentaux de la conduite d'entretien

    indsirables qu'un raisonnement analytique s'avre d'un grand secours.Plus prcisment, on peut distinguer, avec la prudence qui s'impose, deuxcatgories de patients : ceux qui sont confiants et ceux qui sont dfensifs.C'est avec ces derniers que les formulations d'empathie prsentent lafcheuse tendance rompre l'engagement. Ils peuvent tre sur leurs gardespour plusieurs raisons, notamment une peur du clinicien, une personnalitintrinsquement mfiante, un tat paranoaque au stade prpsychotique oupsychotique.

    Quelles que soient les causes de cette dfiance, les formulations d'empathieont souvent pour effet de rduire la distance interpersonnelle avec le clinicien.Cette proximit est exactement ce que des patients mfiants ou paranodesrefusent. Dpouills de leur zone tampon par la sollicitude du clinicien, ilne leur reste qu'une alternative : le retrait ou l'attaque. En clair, ces personnesont besoin d'une distance , ce que les cliniciens tendent trop souvent oublier.

    Nous avons prsent dmontr que les ouvertures empathiques entra-nent des ractions varies selon la qualit dfensive du patient, allant d'unparti pris de confiance une franche paranoa. Notre comprhensions'approfondira par l'analyse de trois caractristiques des formulationsd'empathie en gnral car un changement de ces variables peut modifier lesractions des patients dfensifs.

    Les formulations d'empathie semblent, cet gard, s'chelonner le long detrois axes qui expriment : (1) le degr de certitude implicite du clinicien quantaux sentiments du patient, (2) le niveau de proximit implicite entre leclinicien et le patient et (3) la proportion d'lments que le clinicien attribuepar intuition au patient en fonction des propos de ce dernier. Bien entendu,ces trois axes se chevauchent normment. Toutefois, par souci d'unemeilleure comprhension, il peut s'avrer intressant de les examiner un parun, car leurs remarquables caractristiques servent de base pour saisir laporte des formulations d'empathie en gnral. Sur chaque axe, celles-civarient d'lmentaires complexes.

    Commenons par rflchir au premier axe, qui dtermine le degr decertitude sous-entendue par une formulation d'empathie. Plus simplement,cet axe caractrise le degr selon lequel le clinicien sous-entend qu'il saitexactement ce que vit le patient. Les formulations lmentaires expriment uneincertitude considrable, au contraire des formulations complexes, qui trans-mettent une certitude forte, comme l'illustre le dialogue suivant. Le patientest ici un jeune homme de temprament potique qui vient de subir l'preuved'un divorce non dsir ; l'ge de 13 ans, il a galement perdu sa mre,emporte par une leucmie. la suite des propos du patient figurent, titred'exemple, deux formulations, l'une lmentaire et l'autre complexe, quiexpriment deux niveaux de certitude implicite :

    Conduire un entretien dans les rgles de l'art 19

    Pt. : Quand ma femme m'a quitt, c'est comme si une toile avait implos.Tout semblait si vide... Elle n'tait plus qu'un souvenir, ma vie a commence se dsagrger. Peu de temps aprs, je me suis senti trs dprim, j 'avaistoujours envie de pleurer.Clin. : [Formulation d'empathie lmentaire.] [Avec douceur.] C'estcomme si votre univers s'croulait tout autour de vous.Clin. : [Formulation d'empathie complexe.] [Avec douceur.] Vous ressen-tiez alors que votre univers s'croulait tout autour de vous.

    Les formulations d'empathie lmentaires sont souvent de l'ordre du comme si et peuvent amliorer efficacement l'engagement des patientsconfiants aussi bien que dfensifs. Avec le premier type de personnes, lesformulations complexes sont parfois encore plus productives car ellespeuvent indiquer au patient un partage plus profond de sa vision des choses,au sens phnomnologique. En revanche, elles risquent de rompre l'engage-ment d'un patient dfensif, comme dans l'extrait ci-dessous :

    Pt. : Les gens sont d'une cruaut effarante. Mon ancien patron refusecompltement de me parler, il refuse mme de m'accorder une minute deson foutu temps. a fait mal, vraiment. Et pourtant, au point o j'en suis,j'ai des tonnes de problmes et personne pour m'aider.Clin. : Vous vous sentez trs bless.

    Pt. : Mais qu'est-ce que vous en savez, vous ? Vous avez dj t licenci ?Clin. : Non, en effet, mais a doit srement tre une exprience traumati-sante.

    Pt. : Pour certains, peut-tre. [Il lui lance un regard noir.]

    Ici, la certitude hasarde par le clinicien dans cette formulation d'empathiecomplexe semble avoir perturb son interlocuteur perscut, et cette dcla-ration a fonctionn comme une sorte de boomerang verbal. Cette ractioncontre-productive provient peut-tre de l'aspiration du patient une sphreintime et donc sre. En clair, il semble ne pas apprcier qu'on lui dise ce qu'ilressent ou ce qu'il doit faire car cette sphre est la sienne et les intrus n'y sontpas les bienvenus.

    Cette intrusion se traduit par un moment assez embarras