L'épilepsie de Vincent van Gogh

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L'pilepsie de Vincent van Gogh

L'pilepsie de Vincent van Gogh

Dietrich Blumer

Vincent van Gogh (1853-1890) avait une personnalit hors du commun. D'humeur dysphorique, il a prsent des pisodes psychotiques rcurrents dans les deux dernires annes de son existence mouvemente. Il s'est suicid l'ge de 37 ans. On a pos beaucoup de diagnostics peu satisfaisants sur sa maladie.Au terme d'une recherche fouille, Henri GASTAUT (1) lui a reconnu une pilepsie temporale, confirmant ainsi, pour l'essentiel, le diagnostic pos plus d'un demi-sicle plus tt par les mdecins de van Gogh.Les points marquants de l'tude de GASTAUT, associs de nouveaux claircissements sur la vie de van Gogh (2,3) sont ici revus et discuts la lumire des dcouvertes rcentes concernant les troubles psychiatriques qui accompagnent rgulirement l'pilepsie. Ces troubles faits de dysphorie intercritique et d'accs psychotiques s'associent avec des modifications subtiles mais caractristiques de la personnalit (4, 5, 6).La maladie de van Gogh constitue un exemple remarquable des modifications contradictoires observes chez les pileptiques au niveau des affects, du comportement et de la personnalit, telles qu'elles ont t lucides par SZONDI (7).En dehors des quelques pisodes de dsordre mental svre, la crativit exceptionnelle de van Gogh s'est maintenue jusqu'au dernier jour. Comme pour tout autre artiste, son temprament s'est exprim dans son art et la maladie l'a exalt davantage qu'elle ne l'a altr.

La vie de van Gogh

Vincent tait fils de pasteur. Dans sa gnalogie, on trouve des pasteurs, des artistes et des marchands de tableaux.Sa mre perdit son premier-n l'ge de 33 ans, un an avant la naissance de Vincent en 1853. Il fut caractriel et indisciplin ds le plus jeune ge, ce qui ncessita son placement dans une cole prive. Une photographie de van Gogh adolescent et ses autoportraits ultrieurs font apparatre une dissymtrie crniofaciale nette. Le caractre et la physionomie de Vincent laissent suggrer qu'il a d subir un traumatisme crnien, la naissance ou un peu plus tard. Son extrme motivit, manifeste ds l'enfance, est devenue incoercible dans l'ge adulte.Il l'a reconnu lui-mme: "Je suis un homme que domine la passion. Je suis prompt me lancer dans des entreprises plus ou moins folles qu'il m'arrive de regretter plus ou moins" (2).A l'ge de 16 ans, van Gogh entame une carrire de marchand de tableaux. Quatre annes durant, il travaille La Haye dans le milieu familial puis il s'tablit Londres o il sjourne deux ans. C'est Londres qu'il connat sa premire dception amoureuse. Il est profondment dprim et se dsintresse de son mtier de marchand de tableaux.Van Gogh s'enthousiasme alors pour la religion. Il tudie un an puis consacre les trois annes suivantes sa vocation de pasteur. Il exerce son ministre dans une rgion minire de Belgique au milieu d'une population misrable, partageant tout ce qu'il possde avec ses frres humains si bien qu'il apparat bientt lui-mme comme aussi crasseux que les gueules noires.Sa charit dbordante est considre par ses suprieurs comme incompatible avec la dignit de sa charge cclsiastique.Son chec comme pasteur est durement ressenti par ses parents.Van Gogh abandonna les croyances religieuses qui l'avaient soutenu jusque l, ce qui aboutit creuser encore un peu plus le foss entre lui et sa famille pour qui il devint de plus en plus un tranger.Il fit une grave dpression et se mit en qute d'une nouvelle vocation.A l'ge de 27 ans, il dcida qu'il deviendrait artiste.Il s'engagea dans cette nouvelle voie avec un enthousiasme peu banal et fit sa formation en autodidacte.Il tait capable de persvrance en dpit d'une absence totale de notorit, mais il bnficiait du soutien inconditionnel, tant matriel que moral, de son frre Tho qui tait marchand de tableaux Paris.La vie de Vincent nous est bien connue sur la base du flot de lettres qu'il adressait Tho.Il connut sa seconde et ultime passion amoureuse travers la cour incroyablement passionnelle et assidue qu'il fit sa cousine Kee qui n'avait que ddain pour lui. Il s'loigna encore davantage de sa famille en se mettant en mnage pour quelque temps avec une prostitue.Pendant tout ce temps, sa passion pour l'art ne se relcha pas.

Paris: le dbut de la maladie

Aprs avoir pass six annes aux Pays-Bas et en Belgique, Vincent rejoignit Tho Paris o il vcut deux ans (1886-1888).Il y fit la connaissance de quelques peintres gniaux qui allaient devenir clbres, dont Paul Gauguin. Pendant son sjour parisien, il commena prsenter des accs paroxysmaux mineurs consistant en attaques de panique, douleurs pigastriques exquises et obnubilation de la conscience.La consommation d'absinthe, boisson alcoolique doue de proprits convulsivantes, alors en honneur chez les artistes franais, joua un rle crucial dans la prcipitation de la maladie. Vincent tait dbraill et querelleur, se laissant volontiers emporter dans des controverses interminables qui se terminaient souvent par des changes de coups.Vivant avec son frre, il l'entranait souvent dans d'interminables discussions jusque tard dans la nuit. Tho finit par souhaiter qu'il s'loignt tout en restant en bons termes. Dans une lettre sa plus jeune soeur, Tho dcrit son frre en ces termes: "On dirait qu'il y a deux personnes en lui, une qui est merveilleusement doue, tendre et raffine et l'autre qui est gocentrique et impitoyable. Ces deux personnes se manifestent tour tour si bien qu'on l'entend parler dans un sens tantt dans l'autre et toujours avec des arguments opposs. Quel malheur qu'il soit un ennemi pour lui-mme car il se fait une vie impossible comme il la fait aux autres" (2).

Provence: la maladie se rvle.

Quand van Gogh dbarque Arles au dbut de l'anne 1888, il est un artiste accompli.A travers une production absolument inoue, il va maintenant crer des oeuvres qui sont probablement les plus puissantes qu'on ait jamais faites.Mais c'est Arles galement que sa maladie va voluer jusqu' toucher vers la fin de 1888, la dimension psychotique.Peu aprs son arrive Arles, il crit: "J'tais srement sur le droit chemin d'attraper une paralysie quand j'ai quitt Paris. a m'a joliment pris aprs! Quand j'ai cess de boire, quand j'ai cess de tant fumer, quand j'ai recommenc rflchir au lieu de chercher ne pas penser. Mon Dieu quelle mlancolie et quel abattement..." (8,p.98).Mais il reprit bientt ses vieilles habitudes. Dans une lettre il tente d'expliquer comment il se dbat avec ses sentiments excessifs. Plutt que de ressasser des penses catastrophiques il exprime la volont de se jeter corps perdu dans le travail" (...) "si l'orage en dedans gronde trop fort, je bois un verre de trop pour m'tourdir"(8,p.217).Il devint de plus en plus perturb. Les moments de crativit fbrile alternaient avec une apathie proche de la paralysie. Des changements d'humeur imprvisibles le faisaient passer de la dysphorie l'euphorie avec des "crises d'angoisse indescriptibles".Des extraits de ses lettres crites aprs le premier accident clairent parfaitement les tats mentaux qu'il avait expriments prcdemment un moindre degr: "Je ne peux pas prcisment dcrire comment est-ce que j'ai, c'est des angoisses terribles parfois sans cause apparente ou bien un sentiment de vide et de fatigue dans la tte..." "... j'ai parfois des mlancolies, des remords atroces..." (9,lettre sa soeur Wilhelmine,p.486)."... j'ai des moments o je suis tordu par l'enthousiasme ou la folie ou la prophtie comme un oracle grec sur son trpied (...) j'ai alors une grande prsence d'esprit en paroles..." (8,p.448).

Il devint de plus en plus enclin des colres violentes et remarqua que ses intrts sexuels baissaient. Il se plaignait souvent d'tre lipothymique ou bien d'avoir une "circulation ralentie" et une "digestion faible".Cependant il continuait crire presque quotidiennement Tho, lui prcisant jusque dans les moindres dtails la composition de ses esquisses et de ses peintures.Et il n'arrtait pas de peindre.Un jour il annona Tho qu'il venait de peindre sa premire "Nuit toile": "Et, cela me fait du bien de faire du dur. Cela n'empche que j'ai un besoin terrible de - dirai-je le mot - de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les toiles..." (8,p.326).A Arles, van Gogh se sentait seul. Par l'intermdiaire de Tho, il persuada Gauguin de le rejoindre avec le projet de fonder l' "Atelier du Sud".Le sjour de Gauguin ne dura que deux mois et se termina en catastrophe. La relation entre les deux artistes devint rapidement de plus en plus orageuse et Gauguin menaa de s'en aller.Van Gogh crit: "... la discussion est d'une lectricit excessive, nous en sortons parfois la tte fatigue comme une batterie lectrique aprs la dcharge..." (8,p.441).Un jour, aprs une crise de fureur o il avait jet un verre d'absinthe la tte de Gauguin, une suite d'vnements tranges survint. Van Gogh s'approcha de Gauguin avec un rasoir, fut repouss par celui-ci, s'loigna et se trancha un morceau de l'oreille gauche dont il fit cadeau sa prostitue prfre.On le trouva inconscient son domicile et il fut hospitalis.A l'hpital, il glissa dans un tat psychotique aigu avec agitation, dlire et hallucinations si bien qu'il dut tre isol durant trois jours.Il ne garda aucun souvenir ni de son agression contre Gauguin, ni de son automutilation ni des premiers temps de son hospitalisation.Flix Rey, le jeune mdecin qui reut van Gogh, diagnostiqua une pilepsie et lui administra du bromure de potassium.Van Gogh rcupra en quelques jours.Trois semaines aprs son admission, il tait en mesure de peindre son magnifique "Autoportrait avec oreille bande et pipe" qui le montre dans une attitude inhabituellement sereine.Au temps de sa convalescence et dans les semaines qui suivirent, il dcrivit son tat mental dans les lettres Tho et sa soeur Wilhelmine: "Les hallucinations intolrables ont cependant cess, actuellement se rduisant un simple cauchemar, force de prendre du bromure de potassium, je crois..." (8,p.442).. "tout en tant absolument calme au moment donn, puis facilement retomber dans un tat de surexcitation par de nouvelles motions morales" (8,p.457)... "Je vais bien de ces jours-ci, sauf un certain fond de tristesse vague difficile dfinir..."(8,p.468).A la mme poque, il note d'une manire presque fortuite: "... je me suis vanoui trois fois sans raison plausible et ne gardant pas le moindre souvenir de ce que je sentais alors..." (9,lettre Wilhelmine,p.484).Aprs deux nouveaux pisodes psychotiques et l'humiliation d'un internement prescrit sur requte officielle, van Gogh entre l'asile de Saint-Remy en mai 1889.Pendant l'anne entire qu'il y passe, il fait quatre rechutes psychotiques, une la date anniversaire de son premier accs, les trois autres la suite de sorties Arles, probablement arroses l'absinthe.Pendant son sjour l'asile de Saint-Remy, il ne reut pas de mdication anticomitiale. Lors de son ultime pisode psychotique, le plus long de tous, qui dura de fvrier avril 1890, il fut en proie de terrifiantes hallucinations et une forte agitation.Quand il fut remis, il se plaignit amrement du contenu religieux de ses hallucinations et il exprima le voeu qu'on le tnt l'cart des religieuses qui s'occupaient de lui.A Saint-Remy cependant, il continua de produire de nombreuses oeuvres dont plusieurs copies de scnes religieuses inspires des matres anciens, et ce que nous considrons comme son chef d'oeuvre absolu: "La Nuit toile", peinte en juin 1989.

Auvers: le suicide.

Tho se fiana la fin de l'anne 1888, se maria quatre mois plus tard et devint pre au dbut de l'anne 1890.Tous ces vnements concidrent avec une srieuse aggravation de l'tat de Vincent.Peu de temps avant d'entrer Saint-Remy, Vincent crivait son frre: "Si j'tais sans ton amiti on me renverrait sans remords au suicide et quelque lche que je sois je finirais par y aller!" (8,p.489).Tho n'avait jamais cess d'encourager son frre.A sa sortie de Saint-Remy en mai 1890, Vincent dmnagea Auvers-sur-Oise au nord de Paris o il passa le peu de temps qui lui restait vivre.Son art commenait tre apprci. Il avait vendu un tableau.Cependant le soutien financier que lui assurait Tho devint problmatique lorsque la sant de celui-ci se mit dcliner.Les deux frres changrent quelques propos acrimonieux. Vincent avait le sentiment d'tre un fardeau pour Tho.Dans les dernires semaines il peignit d'immenses champs de bls sous des cieux tourments qu'il commentait en ces termes: "... je ne me suis pas gn pour chercher exprimer de la tristesse, de la solitude extrme..." (8,p.729).Moins de trois mois aprs sa sortie de l'asile, bien qu'il ft dlivr de son tat psychotique et de ses troubles de la conscience, Vincent van Gogh se tira une balle au coeur dans les champs autour d'Auvers. Il mourut deux jours plus tard avec Tho son chevet.Tho lui survcut six mois.

Commentaires neuropsychiatriques.

Le diagnostic des mdecins franais

Henri GASTAUT a attir l'attention sur le fait que le jeune mdecin qui avait soign van Gogh pour la premire fois Arles devait tre familier de la conception qu'on se faisait des troubles psychiatriques lis l'pilepsie dans la France mdicale de la seconde moiti du 19e sicle, et que les autres mdecins qui lui ont succd n'ont pas remis le premier diagnostic en question.En 1860, Benedict Auguste MOREL (10) avait dress la liste des symptmes qui devaient s'avrer tellement manifestes dans la forme d'pilepsie prsente par van Gogh: "Sous la dnomination d'pilepsie larve, j'ai dcrit une forme d'pilepsie qui ne se manifeste pas au travers de vritables attaques, ni grandes ni petites, mais bien par tous les autres signes qui accompagnent ou prcdent les crises qui caractrisent l'pilepsie ordinaire, c'est--dire: l'alternance priodique de phases d'excitation et de dpression, des accs de fureur soudains et immotivs, la moindre occasion, une propension frquente l'irritabilit, des amnsies comparables celles qu'on rencontre communment dans l'pilepsie caractrise, et des passages l'acte dangereux au cours d'accs de rage momentans ou transitoires... Certains pileptiques de ce genre ont mme fait des hallucinations essentielles, visuelles et auditives..."Les observations de MOREL ont t faites au 19e sicles sur des pileptiques hospitaliss.Les observations qu'on peut faire aujourd'hui montrent que les bouffes de rage qui surviennent chez les pileptiques sont habituellement contenues et suivies, typiquement, de remords. L'auto-agression et le suicide constituent des risques infiniment plus importants et plus frquents que l'htro-agression. MOREL avait dj not la disposition hyperconsciencieuse de ces sujets quoiqu'il ne mentionne pas ce fait dans la citation supra.De nos jours, la plupart des complications psychiatriques qui surviennent encore dans une minorit de cas d'pilepsie rpondent efficacement au traitement pharmacologique (11).L'interprtation de GASTAUT au sujet de van Gogh garde toute sa validit. Bien que le rle des lsions crbrales prinatales dans l'pilepsie temporale ait t relativis (12), dans le cas de van Gogh, la prsence d'une lsion prcoce temporo-limbique est suggre par ses anomalies caractrielles et motionnelles, devenues de plus en plus patentes au fil du temps, et par sa sensibilit particulire la consommation d'absinthe lors de son sjour parisien et de ses sorties de l'asile de Saint-Remy.Comme il l'a reconnu lui-mme, van Gogh avait besoin d'un "verre en plus" pour calmer les tourmentes intrieures quand elles le submergeaient. L'artiste n'a probablement pas bu davantage que ses contemporains mais il tait singulirement vulnrable la boisson favorite des artistes franais de son temps: l'absinthe avec ses proprits convulsivantes aujourd'hui bien connues. L'essence d'armoise, extraite de l'herbe appele Artemisia absinthium, constitue le principe toxique de cette boisson alcoolique. Elle contient un terpne, la thuyone, qui est un isomre du camphre. La thuyone et le camphre sont convulsivants et on les a utiliss dans les annes 20-30 pour induire l'pilepsie exprimentale. Avant de recourir au camphre, von MEDUNA a utilis la thuyone pour la convulsivothrapie de la schizophrnie (13,14). En 1873, MAGNAN a dcrit pour la premire fois ce qu'il a nomm l'pilepsie absinthique (15) et les traits de neurologie de l'poque n'ont jamais manqu de mentionner la relation troite entre l'pilepsie et la consommation d'absinthe jusqu' ce que la fabrication de celle-ci soit interdite au dbut du vingtime sicle.C'est pendant sa priode parisienne o il fut initi l'absinthe que van Gogh dveloppa des crises temporales subliminales dans le mme temps que s'aggravaient ses troubles motionnels et comportementaux antrieurs.Chez la plupart des sujets atteints d'pilepsie temporale, les modifications de la personnalit sont frquentes mais difficilement perceptibles.Chez van Gogh par contre, les changements ont clat au grand jour, caractriss par une exacerbation de l'motivit, l'oscillation bipolaire entre l'irascibilit et les transports hyperthicoreligieux - au point de donner l'impression d'une double personnalit -, une focalisation sur les dtails et une persvration opinitre (la viscosit), l'hyposexualit enfin (7,16). Il dveloppa un tat intercritique de dysphorie avec son large spectre de symptmes transitoires et polymorphes: dpressivit-irritabilit ponctue de crises syncopales et de malaises physiques alternant avec des moments d'angoisse et de brve euphorie. A l'acm de sa maladie, il devint paranode, hallucin et dlirant, en proie des affects intenses, l'agitation et des pisodes confuso-amnsiques comme il est de rgle dans les psychoses pileptiques (5,6).

Controverses diagnostiques.

Les troubles psychiatriques de l'pilepsie ont intrigu nombre de psychiatres contemporains peu familiariss avec l'pilepsie. C'est un fait qui devient vident quand on considre la masse des diagnostics poss propos de van Gogh. Les signes vocateurs de psychose maniaco-dpressive et de schizophrnie accompagnent l'pilepsie de manire intermittente et atypique, associs toutes sortes d'autres symptmes. Le diagnostic diffrentiel entre les grandes formes de psychose et autres dsordres psychiatriques classiques n'offre aucune difficult dans le cas de van Gogh si on veut bien prendre en compte les pisodes confusoamnsiques de la phase cruciale de sa maladie, ses traits de personnalit tellement caractristiques, le renversement rapide des affects et la prsence de multiples pisodes "critiques".En raison du caractre atypique et polymorphe de leur symptomatologie, les troubles psychiatriques de l'pilepsie appellent chez les mdecins un large ventail de diagnostics divers. Tous les mdecins ont tendance privilgier une catgorie diagnostique particulire avec son cortge de formes atypiques en scotomisant tous les symptmes qui ne viennent pas la rescousse de leur diagnostic favori. Le cas van Gogh est paradigmatique de ces errances mdicales. A son propos, la quantit de diagnostics proposs avoisine la trentaine. Par exemple, dans une publication rcente, ARENBERG et collaborateurs ont prtendu que van Gogh souffrait de la maladie de Mnire et de rien d'autre (17). Des symptmes somatiques non spcifiques sont communment rapports dans les cas d'pilepsie accompagns de dysphorie et il est vrai que van Gogh se plaignait souvent ouvertement de "vertiges" et se sentait souvent vertigineux, tourdi ou brieux.Depuis ESQUIROL jusqu' la fin du 19e sicle, le terme de vertige a t utilis dans la littrature mdicale de langue franaise, avec une prcision toute relative, pour dsigner les troubles pileptiques mineurs dans les cas o on notait la prsence de troubles mentaux (18). ARENBERG et collaborateurs, spcialistes de l'oreille interne, ont sans doute t conduits au diagnostic de maladie de Mnire du fait d'une drive smantique lie leur interprtation propre de la notion de vertige.Van Gogh consignait ses multiples manifestations symptomatiques de manire objective et lucide. Il n'a jamais fait mention du vertige, des acouphnes et de l'hypoacousie tels qu'on les rencontre classiquement dans le syndrome de Mnire. Une fois qu'il a t malade, il ne craignait pas tant les crises de "vertige" que le retour des pisodes psychotiques qui avaient pour effet de le rendre incapable de peindre. Le diagnostic de maladie de Mnire est ici hautement douteux et n'est gure dfendable au regard de l'ensemble des faits.

La tourmente intrieure de l'artiste.

L'approfondissement et l'exaltation de l'motivit est une caractristique majeure des pileptiques atteints de perturbations de l'humeur. Ils sont prdisposs vivre des moments d'euphorie mais plus encore des moments de dpression intense. Dans ce dernier cas, le risque de suicide est grand (19).Vincent vivait pour son art et pour son frre.Dans la famille, Tho tait le seul lui avoir conserv sa confiance et il a t de fait celui qui a tenu le fil rouge de la carrire artistique de son frre.Quand le soutien de Tho s'est relch, le tourment intrieur est devenu intolrable.Van Gogh est rest merveilleusement cratif jusqu' sa mort.Il n'a pas peint durant ses pisodes psychotiques sauf lors du dernier, le plus long, Saint Rmy.Durant cette priode il a peint de mmoire quelques scnes qu'il a nommes "rminiscences du nord".Jan HULSKER (20) souligne que ces oeuvres sont, parmi sa production prolifique, les seules qui portent la marque d'une dfaillance mentale.Les sujets naturels ont toujours t invariablement la source de l'inspiration de Van Gogh.L'influence de son hypermotivit sur son art est vidente chaque fois qu'il peint des objets naturels, en particulier lorsqu'il s'agit du ciel.

La "nuit toile", peinte en juin 1989 Saint-Rmy, est incontestablement son oeuvre la plus mystrieuse.L'artiste, d'ordinaire si disert ,n'a jamais rvl l'origine de cette reprsentation d'un ciel aussi spectaculairement transfigur.TRALBAT (2) crit ce propos :"Le feu qui crpitait en lui et qui alimentait ses hallucinations sensorielles est ici projet sur la toile de la manire la plus impressionnante".Il est bien possible que van Gogh ait ici immortalis une vision apocalyptique obsdante et probablement rcurrente, telle qu'il l'a exprimente dans ses tats crpusculaires.Cette vision est transfre sur l'environnement familier des paysages tendrement vallonns de Provence et des cyprs en forme de flamme; et le village domin par la flche pointue du clocher de l'glise rappelle les hameaux de son Brabant natal.C'est de l que je viens, semble-t-il nous dire, et c'est l que je suis aujourd'hui, c'est mon univers, agit de puissantes temptes.

Conclusion

GASTAUT a publi son tude sur van Gogh en 1956 aprs avoir men des recherches nombreuses et fouilles sur les modifications motionnelles des patients atteints d'pilepsie temporale caractrise. Il a mis en vidence le contraste entre leur irritabilit et leur caractre hypersocial, le ralentissement et la viscosit, l'hyposexualit gnrale (16,21,22).D'un point de vue historique, l'pilepsie a constitu un ple important de l'intrt des psychiatres jusqu'au tournant des annes cinquante o on ne l'a plus considre que comme une maladie de type exclusivement neurologique.C'est la raison pour laquelle les recherches proprement neuropsychiatriques de GASTAUT ont t pratiquement ignores cependant qu'il tait mondialement reconnu comme un des plus grands spcialistes de l'pilepsie sur la seule base de ses minentes recherches neurologiques.SZONDI a mis en vidence l'exacerbation passionnelle et la labilit thymique particulires des pileptiques, identifiant leur conflit nuclaire entre la rage meurtrire et les aspirations thico-spirituelles comme le composant binomial d'un besoin par ailleurs universel (7,23,24,25).En raison de la tendance actuelle ne considrer l'pilepsie que comme un trouble purement neurologique, sa construction gniale d'un systme des pulsions incluant un facteur e (pileptique) a t considre comme obsolte et abandonne l'oubli.La vie de van Gogh a fascin beaucoup de monde tandis que sa maladie conservait l'aspect d'un puzzle.La connaissance renouvele des troubles mentaux lis l'pilepsie peut apporter quelqu'claircissement sur la complexit d'un homme et d'un artiste hors du commun.Si nous admirons les remarquables progrs de la science mdicale moderne, ayons aussi la modestie de reconnatre qu'il y a plus d'un sicle, des mdecins franais ont t capables de porter un diagnostic exact sur une maladie qui jusqu' ce jour est reste un puzzle.

Portrait du Docteur Rey,Arles,Janvier 1889.

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Dietrich BLUMER,M.D.Professor of PsychiatryUniversity of TennesseeDirector of Neuropsychiatric Epi-Care Center930 Madison AvenueMemphis ,TN 38103

Le prsent texte est le dernier chapitre d'un livre actuellement sous presse: Psychiatric Aspects of Epilepsy, Vol. 2, Blumer D. Editor, Washington DC, American Psychiatric Press.Traduit de l'amricain par Martine Stassart et Jean Mlon.