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L’epistemologie mathematique de Gonseth dans la perspective du pragmatisme de Peirce par Gerhard HEINZMANN* Resume Selon un pragmatiste, la reflexion du philosophe porte sur le lien entre la construction et la description des objets matheniatiqucs. Grbce a sa conception d’un raisonnernent dit ccthCorCmati- que)), Peirce a reussi a etablir l’esquisse d’une interpretation pragmatique d’une structure mathe- matique. Cette derniere reste neanmoins vague quant a la categoricite de la structure. - Ici, il est utile de recourir a Gonseth et d’analyser sa reconstruction d’un systeme axiomatique: la genese logique d’une structure selon les principes de I’idoneisme correspond en effet au programme de Peirce, a savoir a I’explication de la signification d’un concept a I’aide d’une sequence cumulative d’ctinterpretants)). Summary According to a pragmatist, philosophical thought bears on the link between the construction and the description of mathematical objects. Thanks to his development of ((theorematic reasoning)), Peirce succeeded in bringing forward a pragmatic interpretation of a mathematical structure, exhibiting however an inherent vagueness with regard to the categoricalncss of the structure. - In this matter, Gonseth’s model of reconstruction of an axiomatic system can be resorted to: the logical genesis of’ a structure considered in his ((Idoneism)) corresponds to Peirce’s program of explaining the meaning of a concept by means of a cumulative sequence of interpretants. Zusamnienfassung Fur einen Pragmatisten betrifft die philosophische Reflexion den Zusammenhang zwischen Objektkonstruktion und Objektbeschreibung. - Durch seine Entwicklung der (ctheorematischen Folgerung)) ist es Peirce gelungen, eine der pragmatischen Maxime entsprechenden Interpretation des Strukturbegriffes vorzulegen, die allerdings bezuglich dcr Kategorizitat der Struktui- eine inharente Vagheit besitzt. - An dieser Stelle kann Cionaeths Rekonstruktionsmodell eines Axio- mensystems eingesetzt werden: die in seinem ((Idoneismus)) rekonstruierte logische Genese einer Struktur entspricht dem Peirceschen Programm der Bedeutungserklarung eines Begriffs mittels einer kumulativen lnterpretantensequenz. * Gerhard Heinzrnann, Fachrichtung 5.1 - Philosophie, Universitat des Saarlandes, D - 6600 Saarbriicken Dialectica Vol. 44, N” 3-4 (1990)

L’;épistémologie mathématique de Gonseth dans la perspective du pragmatisme de Peirce

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L’epistemologie mathematique de Gonseth dans la perspective du pragmatisme de Peirce

par Gerhard HEINZMANN*

Resume Selon un pragmatiste, la reflexion du philosophe porte sur le lien entre la construction et la

description des objets matheniatiqucs. Grbce a sa conception d’un raisonnernent dit ccthCorCmati- que)), Peirce a reussi a etablir l’esquisse d’une interpretation pragmatique d’une structure mathe- matique. Cette derniere reste neanmoins vague quant a la categoricite de la structure. - Ici, il est utile de recourir a Gonseth et d’analyser sa reconstruction d’un systeme axiomatique: la genese logique d’une structure selon les principes de I’idoneisme correspond en effet au programme de Peirce, a savoir a I’explication de la signification d’un concept a I’aide d’une sequence cumulative d’ctinterpretants)).

Summary According to a pragmatist, philosophical thought bears on the link between the construction

and the description of mathematical objects. Thanks to his development of ((theorematic reasoning)), Peirce succeeded in bringing forward a pragmatic interpretation of a mathematical structure, exhibiting however an inherent vagueness with regard to the categoricalncss of the structure. - In this matter, Gonseth’s model of reconstruction of an axiomatic system can be resorted to: the logical genesis of’ a structure considered in his ((Idoneism)) corresponds to Peirce’s program of explaining the meaning of a concept by means of a cumulative sequence of interpretants.

Zusamnienfassung Fur einen Pragmatisten betrifft die philosophische Reflexion den Zusammenhang zwischen

Objektkonstruktion und Objektbeschreibung. - Durch seine Entwicklung der (ctheorematischen Folgerung)) ist es Peirce gelungen, eine der pragmatischen Maxime entsprechenden Interpretation des Strukturbegriffes vorzulegen, die allerdings bezuglich dcr Kategorizitat der Struktui- eine inharente Vagheit besitzt. - An dieser Stelle kann Cionaeths Rekonstruktionsmodell eines Axio- mensystems eingesetzt werden: die in seinem ((Idoneismus)) rekonstruierte logische Genese einer Struktur entspricht dem Peirceschen Programm der Bedeutungserklarung eines Begriffs mittels einer kumulativen lnterpretantensequenz.

* Gerhard Heinzrnann, Fachrichtung 5 . 1 - Philosophie, Universitat des Saarlandes, D - 6600 Saarbriicken

Dialectica Vol. 44, N” 3-4 (1990)

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Mes remarques se divisent en trois sections: 1) une introduction indiquant le cadre general de mon approche 2) l’esquisse d’une reconstruction de la theorie peircienne 3) une reconsideration de l’idonkisme dans la perspective pragmatiste.

1) Pendant une longue periode, la discussion sur les fondements en mathi- matiques s’est centree sur l’alternative de l’intuitionnisme et du platonisme.

Selon un intuitionniste (au sens ou j’utilise ce terme) les entites mathema- tiques existent en tant que constructions mentales ou langagieres: selon un ‘platoniste’, les entites existent independamment de l’esprit et du langage. Dans le cas intuitionniste, on rencontre la difficult6 ou bien de trouver une expression adequate des constructions mentales ( = intuitionnisme brou- werien) ou bien de trouver une demonstration de coherence (= metamathe- matique hilbertienne). Quant au platonisme, il semble Etre une position ma- ximale qui substitue un dogme A l’expiication. Quelle conclusion en a-t-on tire dans la discussion contemporaine?

On trouve soit une resignation instrumentaliste qui s’exprime par exemple dans le titre de Putnam: <<Mathematics without foundations))’, soit mCme une reduction des mathematiques a une extension conservatrice des sciences pre- tendant pouvoir eliminer les entites mathematiques - telles que nombres, ensembles, fonctions - d’une thtorie scientifique sans pour autant restreindre les consCquences de la theorie scientifique en question. Ce n’est pas ici l’endroit de critiquer le livre ((Science without numbers)) de Hartry Field2. Quoi qu’il en soit, la reduction qu’il defend est be1 et bien contro- versee.

2) Quant a moi, je propose une solution beaucoup moins extrCme qui s’inspire de Charles Sanders Peirce et, dans une deuxieme partie, de Ferdi- nand Gonseth. Je ne pretend cependant pas que cette position soit deja adequate pour l’ensemble du corpus mathkmatique.

En gros, elle consiste a introduire une perspective pragmatique au sens de Peirce dans l’intuitionnisme. Pour l’exposer plus en detail, je commence par formuler trois theses qui, vu le temps tres limit& ne peuvent stre justifiees. Neanmoins, je crois qu’elles sont suffisamment plausibles, etant donnee la situation indiquee plus haut concernant les fondements.

a) I1 ne faut pas concevoir l’activitt mathematique indtpendamment de sa description symbolique - on exclut ainsi I’operationnalisme mental. b) I1 ne faut considerer la description symbolique ni comme independante de la cons- truction des objets, ni comme identique a celle-ci - ainsi on exclut les varian-

1 Cf. Hilary Putnam, ‘Mathematics without foundations’, in: H . Putnam, ’Mathematics,

2 cf. Harty Field, ‘Science without Numbers’, (Blackwell), Oxford 1980. Matter and Method’, Philosophical Papers, Vol. I , (Cambridge Univ. Press), Cambridge 1952.

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tes ‘platonistes’ et nominalistes du formalisme. c) Les deux modes de la cons- truction et de la description ne doivent pas @tre considerees comme deux modalites differentes de la connaissance mathematique, mais seulement com- me deux aspects differents de la connaissance mathematique.

Mais quelie est l’unitt sous-jacente et comment la concevoir? Ici intervient la philosophie, entendue comme aspect reflexif de toute activitk. J’appelle reflexion la facult6 qui doit etablir l’unitt cherchee entre la construction et la description. Partant d’une action accompagnte d’une predication vue sous son aspect operatoire (p. ex. en tirant un trait, je dis ‘ligne’ et distingue ainsi un objet), la rkflexion permet d’ttablir des invariances en crkant differentes perspectives de cette execution. De cette maniere, on peut constituer, modulo une invariance, l’objet de la predication en tant qu’objet. La reflexion n’est pas une description de la construction (comme p. ex. la metamathematique est une description des mathematiques), mais elle organise cognitivement la construction. C’est grPce A la reflexion qu’on peut passer d’une predication, qui distingue (construit) un objet, a la description de l’objet de la predication.

Puisque la mise en oeuvre de la reflexion est la tsche de la philosophie, la philosophie n’est pas - dans cette fonction - une metascience qui dtcrit les sciences, mais un aspect reflexif de la science, indispensable pour sa comprt- hension.

Ceci constitue le noyau d’un point de vue pragmatique qui s’oriente vers la theorie de la connaissance de C.S. Peirce. Pourquoi ce point de vue est-il pragmatique? Parce que, dans la thCorie de la connaissance de Peirce, le moyen mis en Oeuvre par la reflexion pour relier l’objet et le signe est la maxi- me pragmatique. Elle dit: donsiderons les effet pratiques que nous pensons pouvoir &tre produits par I’objet de notre conception. La conception de tous les effets est alors la conception complkte de l ’ o b j e t . ~ ~ En d’autres mots, la signification d’un concept d’un objet consiste en les schemes d’actions (habit) que l’objet implique. (concept = signe symbolique).

Dans une note, Peirce se defend contre une interpretation simpliste de sa maxime dans un sens empiriste, qui reduirait les effets que l’objet implique a des actions concretes et singulieres. Appliquee aux objets mathematiques, cctoute la doctrine des incommensurables serait alors irnpo~sible))~; car com- ment determiner par des mesures physiques que la diagonale du carre est incommensurable avec les cbtds? On sait d’autre part que Peirce a justement concu sa maxime pour soustraire les concepts abstraits des mathematiques au ‘rasoir’ de Berkeley. Comment faut-il alors interpreter les effets pragmatiques appliques aux concepts abstraits?

3 e.g. Peirce, Collected Papers, ed. Ch. Hartshorne (P. Weiss), Vol. I-VIII (1933-58). 5.2. ibid.5.3.

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Pour resoudre la question Peirce insiste sur le rde des schemes d’action. Ainsi, l’attente d’un effet pratique n’aurait plus sa cause au niveau des sensa- tions musculaires, mais su ruison au niveau du langage (les schemes d’opera- tions avec les nombres rationnels suggerent leur plongement dans les nombres reels). Puisque la transition des nombres rationnels aux nombres reels serait alors realisee par une modification algebrique, l’effet pragmatique de la maxi- me se trouverait Ctre reduit a une sorte de ‘prati~abilite’~. Toutes les barritres que le pragmatisme voulait eriger contre le non-sens de la metaphysique s’effondreraient. C’est pour cette raison que Peirce rejette par la suite cette solution et reste dans une aporie.

Cette aporie chez Peirce nous fournit cependant la cle pour comprendre sa dtfinition des mathematiques en tant que science ccqui tire des consequences necessaires a partir des hypotheses pures)); car si l’on refuse d’utiliser la maxi- me pragmatique en tant que critere de signification pour la determination con- ceptuelle des entites mathematiques du ler ordre (nombres), la perspective post-hilbertienne nous suggere d’affaiblir cette determination conceptuelle en une determination structurelle et d’essayer ensuite d’identifier les consequen- ces deductives du systeme en question h des ‘effets pratiques’. I1 s’agit donc de la determination pragmatique de la signification d’un concept d’une relation du deuxieme ordre:

A cette fin, Peirce distingue deux sortes de consequences logiques (NE IV 49): les consequences corollarielles et les consequences theorematiques. Le proces- sus deductif d’un corollarielles reste au niveau conceptuel et l’on obtient son resultat par le seul recours aux significations des symboles explicitement deter- minees par des regles conventionnelles. Les syllogismes servent d’exemples. Par contre, une consequence thtorematique se rapporte toujours au niveau des objets en ajoutant un nouvel element aux hypotheses.

Le raisonnement theorematique est un raisonnement ou, dans un contexte pragmatique, le rapport des signes aux objets est restituk dans ses droits par la semiotique. Dans quelle mesure la skmiotique pragmatique nous fournit-elle une alternative a la theorie kantienne de l’intuition pure qui accompagne la construction des concepts mathematiques?

I1 faut chercher la reponse dans une reconstruction detaillie de la proce- dure d’un raisonnement thtorematique. En resumant trts brikement les risultats obtenus6, on peut dire que le point central de la reconstruction du

ibid,5.33. On trouvera tous les dCtails dans Gerhard Heinzmann ‘Zwischen Objektkonstruktion und

Strukturanalyse, Uberlegungen zur Philosophie der Mathematik von J.H. PoincarC et C.S. Peir- ce’, A paraitre.

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raisonnement thkorematique est le lien entre la prernisse, en tant que concept du 2‘ ordre, et la construction d’un diagramme, donc d’un signe artificiel, qui represente en m@me temps la prernisse et la conclusion. La representation est alors une semiose qui reflttte la triade entre signe materiel (la marque), I’objet signifie (singulier) et la signification (genkrale) et qui se constitue dans une sui- te de significations telle que chaque signification est en m@me temps une mar- que du m@me objet.

Avec sa ‘first real discovery’, c’est-a-dire avec sa decouverte de la dif- ference entre le raisonnement corollariel et le raisonnement theortmatique, Peirce a rkussi a etablir l’esquisse d’une theorie du raisonnement pragmati- que. Et pourtant, cette thtorie possttde, par rapport a la categoricite et la com- pletude, un vague inherent: la definition des concepts et des relations du ler ordre reste nkcessairement incomplete, ces notions ne sont determinees que structurellement. Ainsi, le statut ontologique des entites abstraites est irreduc- tible ou ambigu.

3) Ici, un recours a l’idontisme de Gonseth me parait trtts utile’. D’un point de vue systematique, son analyse de la reconstruction genetique d’un systeme d’axiomes est complementaire au programme peircien.

Tout comme Peirce, Gonseth s’oriente - dans sa philosophie scientifique - conformement au standard methodologique des sciences exactes. Comme Peirce, il cherche une solution entre I’empirisme et le rationalisme et refuse de considerer avec Kant les thkoremes mathtmatiques comme enonces synthe- tiques a priori. Gonseth cherche comment faire dependre les moyens theo- riques de la connaissance d’une idoneite pratique. La methode idoine d’explication qui en resulte se resume en quatre maximes: le principe de dualite exige une conception duale entre ‘realite’ et ‘conceptualite’ , le principe de revisibilite exige l’ouverture de la theorie de la connaissance vis-a-vis du progres scientifique, le principe de technicite souligne la dependance de la connaissance d’un modele d’explication de la connaissance et, le principe de solidarite est I’expression d’un monisme methodique.

C’est selon ces 4 maximes que Gonseth concoit la gentse logique de la rela- tion entre la connaissance du monde exterieur et la connaissance du sujet. Plongees dans le dialogue des chercheurs, les etapes de cette genese sont appelees ‘syntheses dialectiques’ entre la ‘realit?, le ‘sujet’ et la ‘thkorie’ (ce dernier terme designant, sans tenir compte du niveau de la reflexion, les aspects semiotiques de la constitution des objets, les articulations du langage et les systemes formels).

’ Cf. Heinzmann, ibid., chap. 1.2 et Heinzmann, ‘Schematisierte Strukturen. Eine Unter- suchung iiber den ctldoneisrnus>) Ferdinand Gonseths auf dem Hintergrund eines konstruktivisti- schen Ansatzes’, (Haupt), Bern 1982.

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Au programme peircien d’une explication de la semantique d’un signe a l’aide d’une sequence cumulative d’interpretants, explication qui conduit a une determination progressive de l’objet du signe, correspond chez Gonseth une sequence de syntheses dialectiques. A travers la creation de perspectives invariantes, I’objet et son modde d’explication, son image, se recouvrent mutuellement. Je citerai comme reference un passage de c<Les mathematiques et la realitei): cL’)action tde l’explication idoine) prksente deux phases assez distinctes:

a) Elle substitue a l’objet de l’explication un autre objet, dont les details qu’elle fera intervenir et la structure totale qu’elle invoquera soient suf- fisamment en notre possession. [Ceci s’explique par l’artifice du modtle d’explication.] b) Elle fait appel ensuite, pour porter la comprehension et la connais- sance de l’un sur l’autre, a une certaine identit6 de structure, qui ne peut jamais &re totale.8

Puisque, pour Gonseth, le retour A une base non conceptuelle est une illu- sion, puisqu’il refuse donc une information a 1’Ctat pur, les objets et leurs liens sont deja des constructions schtmatiques, ou, selon la terminologie gon- sethienne, des horizons de rkalitk ouverts aux prkcisions. Les objets sont tou- jours des objets signifies. Ceci correspond assez bien A la theorie peircienne.

Gonseth institue la geometric comme paradigme de sa methode d’explica- tion. Le moyen conceptuel en est un ‘scheme constitutif’ d’actions, qui permet de developper simultanement la syntaxe et la semantique dans un processus de schematisation comportant trois niveaux: partant d’un niveau ou on traite des choses d’une manihe intuitive, oh les aspects de l’action, de l’aperception et de l’tnonciation se confondent et ou les connaissances geometriques sont jus- tifiees par une realisation directe, on acc&de l’aide du scheme constitutif au deuxieme niveau de I’experience instrumentale: a partir des realisations intui- tives, on isole par abstraction des aspects theoriques et pratiques. A ce niveau, les objets idkalisks de la geometrie sont les concepts des objets instrumentaux qui jouent le r61e des objets. Car, cornme Dingler, Gonseth construit les notions fondamentale de ‘plan’, ‘droite’, ‘point’, ‘orthogonalite’, ‘paralle- lisme’ etc. a l’aide de rodages effectues sur des surfaces metalliques approxi- mativement planes.

Puisque cette production a des limites physiques au-dela desquelles aucune amelioration technique n’est possible, Gonseth peut dire que le type instru-

* Ferdinand Gonseth, ‘Les mathematiques et la realit? (1 1936). (Blanchard), Paris 1974, p.300.

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mental dkfini par le scheme de rodage represente en tant que ‘token’ un scheme ideal d’une maniere ‘sommaire’, et que ce scheme ideal nomme le ‘type instrumental’ d’une maniere ‘symbolique’ .

A un troisitme niveau, finalement, les symboles du langage geomttrique sont eux-mCmes soumis a une autre schematisation. On identifie a l’aide d’un dictionnaire de transcriptions certaines sequences de symboles du langage geo- metrique telles que les schemes ideaux du deuxieme niveau deviennent les ‘tokens’ d’une structure schematisee d’un ordre supkrieur: d’un systeme de schemes d’axiomes. Sa ‘structure interne’ n’est rien d’autre que sa forme syn- taxique et sa ‘signification exterieure’ concerne ses modeles semantiques.

En appliquant les resultats programmatiques de Gonseth aux hypotheses pures de Peirce, celles-ci perdent leur caractere conventionnel, puisqu’elles peuvent Ctre considCrees comme des structures schematisees auxquels le rai- sonnement theorematique est alors applicable.

Le concept gonsdthien de la logique est d’ailleurs compatible avec le rai- sonnement theorematique: Gonseth, il est vrai, concevant la logique comme ‘physique de I’objet quelconque’, insiste sur une opposition empiriste a la con- ception analytique de l’empirisme logique. Neanmoins, d’un point de vue sys- tematique, il ne veut pas - plus tard - instituer la logique comme science empirique, mais comme discipline traitant des schemes en tant que schemes c’est-a-dire traitant des objets quelconques qui sont obtenus a partir des hori- zons de faits. La dCnomination de la logique comme ‘physique’ souligne que le developpement du scheme ‘objet’ ainsi que les relations auquel il obeit n’est envisageable qu’a travers difftrents niveaux d’une schematisation mathemati- que telle que le raisonnement logique presuppose a chaque niveau la connais- sance du lien entre signe et signifit:

((Les concepts specifiquement logiques . , . ne se constituent pas indkpendamment de certains autres concepts specifiquement mathkmatiques . . . La notion abstraite ne peut Ctre evoquee et concue qu’a travers ce qui deviendra, par reaction, sa realisation))g.

L’approche de Gonseth correspond a 1’idCe de Peirce de lier la syntaxe et la semantique de la logique a l’aide d’une analyse semiotique de la pratique du raisonnement mathematique. Et pourtant, la portke philosophique exacte de l’idoneisme reste dans l’ombre tant que sa portee mathematique est obscure. En effet, en gtomktrie, la schematisation des axiomes topologiques pose deja probleme: c’est pour cette raison que Poincare considera ces axiomes comme des postulats synthetiques a priori. En arithmetique, Poincare me semble

Ferdinand Gonseth, ‘La logique en tant que physique de I’objet quelconque’. Actes du Congres lnt. de philosophie scientifique, Paris 1935. Actualites Scientifiques et Industrielles 393, (Herrnann), Paris 1936, pp. 1-23.

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avoir lui aussi bien dtlimitt le pragmatisme. La pierre de touche constitue ici l’induction complke. Le passage a une application infinie du ‘modus ponens’ est, pour ainsi dire, la limite suptrieure du pragmatisme.

En rtsumt, l’attitude qui s’impose dans les fondements des mathtmatiques est a nuancer: au lieu de rejeter globalement l’existence des entites mathtma- tiques, il faut d’abord une analyse precise des moyens mathtmatiques en ques- tion et ne stparer qu’ensuite les parties pragmatiques des mathematiques de ses parties fictives - sans tvidemment vouloir attribuer a la philosophie une quelconque ambition normative par rapport A l’activite mathtmatique. Au contraire, ainsi qu’on distingue en mathtmatique des degres d’insolubilite, d’enumerabilitt ou de prtdicativite, je propose de distinguer, dans les fonde- ments, des degrts pragmatiques en fonction des moyens non pragmatiques utilists.

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