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1 Les agendas 21 locaux De nouvelles pratiques au service du développement durable ? Gérard Granier IUFM, Reims 28 avril 2010 Un terme introduit récemment dans le vocabulaire mais désormais connu d’une fraction grandissante du grand public. « Agenda 21 » ou « Action locale 21 » (AL21) : un terme à comprendre à comprendre comme un programme, un ordre du jour pour le XXIème siècle Nés au début des années 1990, les agendas 21 locaux se sont multipliés, essentiellement en Europe du Nord et plus tardivement en France (années 2000). Dans quelles conditions sont-ils nés ? En quoi consistent-ils ? Comment se répartissent-ils géographiquement en Europe et en France ? Quel bilan provisoire peut-on tirer aujourd’hui, notamment en France ? 1. Les origines des agendas 21 locaux - Une initiative de l’ICLEI en 1990-91. (Conseil international pour les initiatives environnementales locales, lancé au siège des Nations Unies à New York en 1990) . Une association qui compte aujourd’hui plus de 1000 membres de par le monde (villes, comtés, etc.. ) et cherche à promouvoir des programmes de développement durable à l’échelle locale. Dès 1991, lancement d’une première campagne internationale d’agendas 21 locaux avec 21 collectivités pilotes dont 14 en Europe. Lors de la préparation du Sommet de la Terre de Rio en 1992, l’ICLEI a été chargée de rédiger le chapitre 28, consacré aux collectivités locales, sur les 40 que compte l’agenda 21 global, qui fut adopté par les 173 chefs d’Etat ou de gouvernements rassemblés au Brésil. - L’acte de naissance de l’agenda 21 local, c’est donc bien la conférence de Rio. - Mais dès 1993, la Commission européenne prend le relais en Europe en lançant la « Campagne européenne des villes durables » en lien avec des réseaux de villes préexistants comme le « Conseil des communes et des régions d’Europe » ou la « Fédération mondiale des Cités Unies ». L’objectif est d’accompagner des villes voulant s’engager dans la démarche Agenda 21. Dans ce cadre sont organisés de nombreux colloques et séminaires qui débouchent sur plusieurs textes importants : 1994. La charte d’Aalborg (Danemark) Un texte important mais encore méconnu qui cherche à rompre avec l’urbanisme né de la charte d’Athènes (cf tableau du diaporama) 1996 : Le plan d’action de Lisbonne qui tente une traduction en préconisations concrètes des principes de la Charte d’Aalborg. 2004 « Aalborg+10 » un nouveau texte qui actualise la Charte d’Aalborg 10 ans plus tard.

Les agendas 21 locaux De nouvelles pratiques au service du ... · Selon l’ICLEI, en 2003, plus de 6400 collectivités locales dans le monde se seraient dotées d’un agenda 21

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Les agendas 21 locaux De nouvelles pratiques au service du développement durable ?

Gérard Granier

IUFM, Reims 28 avril 2010 Un terme introduit récemment dans le vocabulaire mais désormais connu d’une fraction grandissante du grand public. « Agenda 21 » ou « Action locale 21 » (AL21) : un terme à comprendre à comprendre comme un programme, un ordre du jour pour le XXIème siècle Nés au début des années 1990, les agendas 21 locaux se sont multipliés, essentiellement en Europe du Nord et plus tardivement en France (années 2000). Dans quelles conditions sont-ils nés ? En quoi consistent-ils ? Comment se répartissent-ils géographiquement en Europe et en France ? Quel bilan provisoire peut-on tirer aujourd’hui, notamment en France ?

1. Les origines des agendas 21 locaux - Une initiative de l’ICLEI en 1990-91. (Conseil international pour les initiatives environnementales locales, lancé au siège des Nations Unies à New York en 1990) . Une association qui compte aujourd’hui plus de 1000 membres de par le monde (villes, comtés, etc.. ) et cherche à promouvoir des programmes de développement durable à l’échelle locale. Dès 1991, lancement d’une première campagne internationale d’agendas 21 locaux avec 21 collectivités pilotes dont 14 en Europe. Lors de la préparation du Sommet de la Terre de Rio en 1992, l’ICLEI a été chargée de rédiger le chapitre 28, consacré aux collectivités locales, sur les 40 que compte l’agenda 21 global, qui fut adopté par les 173 chefs d’Etat ou de gouvernements rassemblés au Brésil. - L’acte de naissance de l’agenda 21 local, c’est donc bien la conférence de Rio. - Mais dès 1993, la Commission européenne prend le relais en Europe en lançant la « Campagne européenne des villes durables » en lien avec des réseaux de villes préexistants comme le « Conseil des communes et des régions d’Europe » ou la « Fédération mondiale des Cités Unies ». L’objectif est d’accompagner des villes voulant s’engager dans la démarche Agenda 21. Dans ce cadre sont organisés de nombreux colloques et séminaires qui débouchent sur plusieurs textes importants : 1994. La charte d’Aalborg (Danemark) Un texte important mais encore méconnu qui cherche à rompre avec l’urbanisme né de la charte d’Athènes (cf tableau du diaporama) 1996 : Le plan d’action de Lisbonne qui tente une traduction en préconisations concrètes des principes de la Charte d’Aalborg. 2004 « Aalborg+10 » un nouveau texte qui actualise la Charte d’Aalborg 10 ans plus tard.

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2007 Nouvelle charte sur « la ville européenne durable » adoptée à Leipzig par le conseil européen à l’occasion de la présidence allemande En mai 2010, Dunkerque accueillera la 6e conférence européenne des villes durables En France, le Comité 21, constitué en 1994, s’est donné les mêmes objectifs d’aide au développement des agendas 21 locaux. Il fonctionne comme une association loi 1901 rassemblant des collectivités, des entreprises.

2. Qu’est-ce qu’un agenda 21 local ?

- Un agenda 21 local vise à transcrire au plan local les principes du développement durable tels qu’ils figurent dans le rapport Brundtland de 1987 : un développement économique qui soit compatible avec la préservation de l’environnement et qui cherche à promouvoir plus d’équité sociale. Il naît toujours d’une initiative locale. En principe il n’est pas imposé d’en haut. - Un agenda 21 place la gouvernance participative au centre de sa démarche. La méthode d’élaboration est donc aussi importante que le résultat final. On insiste beaucoup sur l’implication de toutes les parties prenantes : les citoyens d’abord, les associations. Un agenda 21 ne peut être seulement une affaire de techniciens de services municipaux, ni même d’élus locaux. La phase de diagnostic partagé d’une situation, d’élaboration d’un plan d’actions est donc fondamentale. - Il concerne majoritairement les collectivités locales mais peut aussi être conçu par une entreprise, par un service de l‘Etat (ex agenda 21 de la DIREN de Haute-Normandie) et même par un établissement scolaire (cf le site du comité 21, le site Eduscol, le réseau Eco-école) - Il n’existe pas de contenu type d’un agenda 21. Les organismes d’accompagnement qui peuvent être des organisations comme le comité 21 en France ou ICLEI au niveau mondial et le plus souvent des agences privées de consultants ne font que proposer des thèmes possibles d’action, une méthode et aider à la rédaction. Il en résulte une grande hétérogénéité des actions et des pratiques regroupées sous l’appellation A21. Il peut s’agir de politiques d’une ampleur très inégale. - La méthode est celle de la démarche de projet qui suggère différentes étapes : -sensibilisation -diagnostic partagé - élaboration d’un plan d’actions s’appuyant sur des propositions des différents types d’acteurs - Mise en œuvre du plan - Evaluation à l’aide d’indicateurs dont il faut se doter, - Retouches permanentes au plan d’action en fonction d’une stratégie dite d’amélioration continue. Sous le vocable commun d’agenda 21, on peut donc trouver des réalités extrêmement différentes.

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3. Etat des lieux des agendas 21 en Europe et en France. Selon l’ICLEI, en 2003, plus de 6400 collectivités locales dans le monde se seraient dotées d’un agenda 21 (plus d’actualisation de ce chiffre depuis…) Vision très optimiste car bien distinguer les déclarations d’intentions et les mises en œuvre réelles. Tout d’abord un phénomène avant tout mais pas exclusivement européen (malgré présence au Canada, surtout au Québec, et dans certains pays méditerranéens (Turquie, Maroc). 80 % des agendas 21 sont en Europe. La diffusion des agendas 21 en Europe On pourrait distinguer une diffusion en 3 étapes : - Royaume-Uni, pays scandinaves : Le Royaume-Uni a pris des initiatives dès 1993. Une démarche encouragée par Tony Blair après son arrivée au pouvoir en 1997. En Suède, dès 1998, plus de la moitié des municipalités disposaient d’un A21. Originalité : des aides financières substantielles de l’Etat vers les collectivités. Au Danemark, les agendas sont généralisés et selon Cyria Emelianoff, « on peut considérer que la démarche est un succès ». Plus qu’ailleurs elles s’appuient sur une forte implication citoyenne. La Finlande est également très active alors que la Norvège paraît plus en retrait. -Allemagne, Italie, Espagne Absorbée par la question de la réunification, l’Allemagne a un peu tardé à s’engager mais dès 2006 on comptait 2600 municipalités (environ 25%) ayant entamé un processus de rédaction d’un A21.Ils accordent une large place au thème du changement climatique. Plus surprenant, l’Italie est présente grâce notamment à l’Emilie-Romagne (Bologne, Modène). Donc l’Italie du nord. Mais des agendas ambitieux encore peu suivis de réalisations. L’Espagne n’est pas absente grâce à une politique volontariste de la Catalogne, très active au sein de la « campagne européenne des villes durables » (185 municipalités dès 2003). La Députation de Barcelone reçoit le prix européen de la ville durable en 1999. On met l’accent sur la préservation d’un environnement très malmené dans les années du miracle économique. Mais pas de généralisation à l’échelle de la totalité de ces deux grands pays méditerranéens. - La situation française est spécifique. Un intérêt tardif. L’accélération ne se fait qu’à l’occasion du Grenelle de l’environnement et des dernières élections municipales (2008). Le premier appel à projets lancé par le Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement en 1997 (donc une fois de plus en France, une initiative venue d’en haut) n’avait pu retenir que 16 collectivités pour 36 000 communes Au 2 ème appel à projets, en 2000, 29 lauréats retenus. En 2004, 41 lauréats. Donc une montée en puissance assez lente mais il est vrai qu’on peut faire un A21 sans répondre à l’appel du ministère. Certes quelques expériences pionnières, plutôt situées dans le Nord et l’Est de la France, dans des régions frontalières influencées par l’Allemagne rhénane. On peut citer notamment la communauté urbaine Dunkerque, Lille, la Région Nord-Pas-de-Calais. Parmi d’autres villes, on cite souvent Angers ou Orléans, un peu moins Le Havre, pourtant réellement active (2e plan d’action lancé en 2009 après un premier dès 2006) Le bilan quantitatif est donc encore très modeste. En 2009, 560 agendas 21 délibérés (cf tableau stat) selon l’estimation du Comité 21

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Les agendas 21 de collectivités locales en France en 2009 Agendas « délibérés »

(source Comité 21) Agendas « reconnus » par le Ministère de l’Ecologie

Régions 19 3 Départements 40 11 Intercommunalités 107 Dont PNR 6 Dont Pays 9 Dont communauté d’agglos ou de communes

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Communes 372 49 TOTAL 560 102 Le rôle d’accompagnement du ministère de l’Ecologie - Il propose un « cadre de référence » pour bâtir un A21 qui repose sur 5 finalités :

- Lutte contre le changement climatique - Préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources - Cohésion sociale et solidarité entre territoires et entre générations - Epanouissement des êtres humains et qualité de vie - Dynamiques de développement suivant des modes de production et de consommation

responsables Donc des finalités globales mais appliquées à l’échelle locale. Ce cadre de référence préconise aussi une démarche reposant sur 5 éléments :

- participation des acteurs - organisation du pilotage - transversalités des approches - évaluation partagée - stratégie d’amélioration continue

Les collectivités estimant se conformer à ce cadre de référence peuvent se faire « reconnaître » nationalement en déposant un dossier évalué par un comité ad hoc. Une sorte de label qui ne dit pas son nom. Une reconnaissance valable 3 ans qui est une forme de valorisation pour la collectivité qui en bénéficie. En novembre 2009, 102 collectivités et territoires reconnus dont 6 Parcs naturels régionaux, 49 communes, 17 Communautés d’agglomérations, 7 communautés de communes, 9 pays, 11 départements, 3 régions. Pour 2013, un objectif affiché de 1000 A21 dont 250 « reconnus ». (cf tableau) Un exemple : Agenda 21 Le Havre Un A21 communal. Une commune de 185 000 hab (la plus importante de Normandie) au sein d’une agglo de 250 000 hab. Un maire de notoriété nationale, Antoine Rufenacht. Une commune à la situation économique et démographique difficile, (bien qu’il s’agisse d’un grand port de commerce), à la recherche d’une nouvelle image (classement récent au patrimoine mondial UNESCO)

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Un premier projet d’agenda 21 amorcé en décembre 2005. Phase de concertation (1 400 propositions !) débouchant sur un premier plan adopté en décembre 2006 Premier plan : 96 actions dans 9 domaines d’actions En 2009, selon la mairie du Havre, 92 % des projets sont réalisés ou en cours. Evaluation de ce premier plan par un cabinet privé (« Arcet notation ») Le Havre notée A++ donc un excellent bilan Lancement d’un 2ème plan qui reflète le souci de s’inscrire dans le cadre du Grenelle de l’Environnement (Le Havre a organisé en 20008-2009 un « Grenelle de l’Estuaire »). A nouveau une phase d’appel à idées auprès de la population. 3000 personnes touchées selon la mairie. En 2010, lancement de ce 2ème plan : 5 thèmes 14 domaines 107 actions programmées dont 30 issues de la concertation Conclusion : Des chiffres flatteurs mais l’A21 n’aborde pas un certain nombre d’enjeux environnementaux vivement polémiques sur le territoire: projet de construction d’un canal Port 2000-Tancarville, projet de construction d’une centrale thermique au gaz naturel(Poweo) en lien avec un nouveau terminal méthanier à Antifer. 4. En France, les ambiguïtés des agendas 21 - Quelques acquis : - l’A21 permet d’introduire des enjeux écologiques globaux comme le changement climatique au niveau local - Il a un rôle « pédagogique » de sensibilisation aux enjeux environnementaux - des petits acquis locaux correspondant par exemple à des suggestions de groupes de citoyens au niveau des quartiers -Mais aussi des limites vite atteintes :

- Une faible mobilisation citoyenne. Dans la phase de gestation de l’A21, les collectivités ont la plus grande peine à faire participer les citoyens à des groupes de travail au sein de « forums 21 » comme en Italie et encore davantage en Allemagne ou R.U. Quelques exceptions selon C.Emelianoff : Lille, Echirolles (agglomération grenobloise) Orléans, Le Havre. Au mieux l’élaboration de l’A21 n’est souvent que l’affaire des élus et des services, au pire c’est un travail quasi exclusif d’un bureau d’études.

- Un risque « d’effet d’annonce » pour se donner une coloration « verte » sans réelle mis en œuvre d’une politique de DD. La communication peut l’emporter sur l’action.

- Les aides financières extérieures (Etat, Régions) beaucoup trop faibles, voire purement symboliques, n’ont pas permis de trouver là un facteur incitatif. L’Etat délivre force trophées mais guère plus. Toutefois les régions sont dotées d’un vrai pouvoir d’incitation et d’animation des A21 mais elles l’exercent inégalement. Deux exceptions : la région Nord Pas de Calais qui accorde un soutien financier, par collectivité, supérieur à celui de l’Etat, la région Midi-Pyrénées (71 A21 en 2009).

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D’autre part les villes craignent parfois une mise sous tutelle des Régions par ce biais d’un A21

- Difficulté de mettre en œuvre au sein des services une politique « transversale » qui va à l’encontre des traditions administratives. Le positionnement des responsables du suivi d’un A21 dans l’organigramme de la collectivité est fondamental quant à ses chances de réussite. Si rattachement à une direction de l’environnement le résultat ne sera pas le même que si l’A21 dépend directement d’un secrétariat général. L’engagement personnel du maire est donc fondamental.

- L’émiettement communal a longtemps gêné l’émergence d’A21. Le renforcement récent des communautés d’agglomérations ou de communes change la donne, car que signifie un A21 d’une ville-centre (Orléans) ou d’une ville de banlieue sans implication des communes limitrophes.

- Plus profondément l’A21 n’est pas le seul outil pour mettre en place une politique

de développement durable au sein d’une collectivité. Il existe depuis longtemps la possibilité de se doter d’une « Charte environnementale » qui peut ressembler à un A21. Cas des Chartes des PNR. D’autre part, une politique de DD doit d’abord s’appuyer sur la législation existante qui s’est beaucoup étoffée depuis 15 ans avec les grandes lois sur l’aménagement et l’urbanisme : - la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) en 1999, dite loi Voynet, qui incite les collectivités à se doter de chartes ou de projets conformes aux recommandations de l’A21. Ces projets ont pu être inscrits dans les Contrats de plan Etat-Région (CPER) et à ce titre bénéficier d’un financement croisé de l’Etat et des Régions - la loi Solidarité et Renouvellement urbain (SRU) de 2000, qui instaure deux outils de planification spatiale : les plans locaux d’urbanisme (PLU) qui doivent reposer sur un Projet d’aménagement et de développement durable (PADD), les SCOT (schémas de cohérence territoriale) à l’échelle des agglomérations, pour traiter la question d’un étalement urbain excessif En fait il est assez difficile de distinguer une politique d’A21 et une politique de ville durable.

Conclusion L’A21 local constitue une innovation profonde dans le mode de gestion et d’aménagement d’une collectivité. Il s’appuie sur une démarche systémique donc transversale qui oblige au décloisonnement, il suppose une mobilisation de tous les types d’acteurs, il cherche vraiment à concilier le développement économique, le mieux-être humain et à prendre soin de l’environnement. D’autre part il faut aussi que la démarche A21 s’inscrive dans la durée pour espérer apporter des résultats. Or la démarche est lourde, souvent volontariste et soumise aux risques d’un changement de majorité politique par exemple. En France, l’A21 est en plein essor, porté par la vague DD mais on part de zéro. Donc il reste beaucoup à faire.