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Les Amériques noires. Les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, «Bibliothéque scientifique» by Roger Bastide Review by: Régine Rodriguez Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 44 (Janvier-juin 1968), pp. 178- 182 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689450 . Accessed: 15/06/2014 02:39 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.162 on Sun, 15 Jun 2014 02:39:42 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les Amériques noires. Les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, «Bibliothéque scientifique»by Roger Bastide

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Les Amériques noires. Les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, «Bibliothéquescientifique» by Roger BastideReview by: Régine RodriguezCahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 44 (Janvier-juin 1968), pp. 178-182Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689450 .

Accessed: 15/06/2014 02:39

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faut-il dire qu'il hésite entre deux types de réponse, qui ne convergent pas réellement, sinon dans le mouvement polémique du livre :

1) Une analyse en termes de « niveau ». Il y aurait ainsi, pour la langue, un niveau phonologique, un niveau morphologique et lexical, et un niveau translingui8 tique, celui de la phrase et du récit, qui, eux, ne relèvent plus de la structure, mais d'une « situation » (mais il y a aujourd'hui une ébauche d'ana- lyse structurale du récit). Ce niveau serait celui d'un dépassement vers le discours vécu - dépassement inverse et correctif en quelque sorte de la « cou- pure épistémologique » antérieure. Ailleurs, dans l'analyse du monde pavillon- naire, H. Lefebvre met en évidence trois niveaux différents : vécu-fonctionnel, mythique-structural, politique (pouvoir). Les deux premiers forment un sys- tème dénotation /connotation. Le troisième est l'histoire. Mais : existe-t-il une possibilité de dialectiser les « niveaux » pour conserver ainsi, au sein d'une perspective globale, les bienfaits de l'analyse structurale ? La notion de niveau me semble trop empirique et, dans ce qu'elle implique par son analogie avec la dynamique des fluides : dénivellation, tension, équilibre, passage (et non dépassement), trop faible pour articuler les deux démarches, structurale et dialectique-historique.

2) Aussi, H. Lefebvre prend-il parfois, pour récuser le structuralisme, une perspective différente, franchement dialectique, gurvitchienne : la structuration contre la structure, les sous-systèmes, sous-ensembles déstructurés, restructurés, les temporalités différentes, les < blancs » (linguistiques ou sociaux), les astruc- turels irréductibles, etc. Il oppose ici radicalement la totalité ouverte, l'ordre de tous les possibles et 1' « anthrope » indestructible à la clôture du Système et de son ordre tautologique. « Le sys téma Usable, c'est ce qui est déjà mort » résume assez bien, dans sa résonance bergsonienne, cette issue alternative.

Y a-t-il illogisme entre les deux versions ? Je ne le pense pas : la « Position » est une, et elle est contre. Les propositions sont multiples. L'affirmation dialectique traduit le refus véhément du structuralisme dans son principe, la formule des « niveaux » est une tentative d'aménagement stratégique sur le plan de la méthode. Est-ce une stratégie véritable ? Encore une fois, cette notion ne me semble pas suffisante pour retourner contre le structuralisme ses propres armes. De toute façon, l'allure du livre, sa diversité, sa liberté constituent à elles seules une « démonstration efficace et offensive contre le Système.

Les Cybernanthropes, hélas 1 le liront sans doute avec plaisir I Jean Baudrillard.

Faculté des Lettres et Sciences Humaines (Paris-Nanterre).

Roger Bastide, Les Amériques noires. Les civilisations africaines dans le Nouveau Monde, Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique », 1967, 236 p. Au terme de ce livre passionnant on a l'impression d'avoir fait un grand

voyage dans le temps et dans l'espace, dans la « multiplicité » des temps et des espaces socio-culturels de l'afro-américanité.

Il aura fallu la jonction entre une rare érudition et les qualités spécifiques d'un « connaisseur » au sens le plus profond du mot, pour traiter avec une lucidité aussi incisive que généreuse ce problème difficile entre tous et propre- ment inépuisable. Question particulièrement délicate, en outre, car toute théorie ou conclusion en la matière tire directement à conséquence, comme le souligne Roger Bastide en évoquant les proportions qu'a prises la polémique Herskovits-Frazier. D'autre part, étant donné l'emploi souvent abusif, dis- parate, voire simpliste du terme d' « acculturation », eu égard à la complexité des phénomènes résultant du contact entre cultures, il convient de remarquer que cet ouvrage est aussi une entreprise de clarification. Ce qui ne va pas sans inventaire. Et de fait, c'est par un inventaire minutieux des principaux faits

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culturels afro-américains, et devant leur diversité, que l'auteur est amené (l'ordre de l'exposition ne doit pas faire leurre), à distinguer des concepts capables de saisir cette diversité, dont des notions trop générales ne sauraient rendre compte.

Tout d'abord sont évoqués les faits de la période coloniale < qui peuvent avoir quelque influence sur le maintien - ou, au contraire, la disparition - des civilisations africaines chez leurs descendants américains ». A cet égard, les diverses origines ethniques des Noirs acheminés vers différents endroits de l'Amérique, sont plus importantes que leur nombre (qui reste imprécis) ; de plus, pour un même endroit, mais d'une époque à l'autre, la provenance des Noirs ayant parfois changé, il s'est produit des phénomènes de superposition, des cultures « bossales » (les dernières importées) venant surplomber les cultures arrivées antérieurement.

Si diverses ethnies avaient réussi à se grouper en « nations » (les Blancs trouvant leur intérêt à ces divisions), - elles ont peu à peu disparu, avec la miscegenation progressive, en tant qu'organisations ethniques, pour ne plus subsister que comme traditions culturelles. C'est, dit l'auteur, la « rupture entre l'ethnie et la culture », et ces cultures sans base ethnique dessinent une première carte de l'Amérique noire, celle des civilisations africaines prédomi- nantes, qui ne correspondent pas forcément aux origines ethniques prédomi- nantes. Mais conjointement à ce tableau, il faut également tenir compte de celui d'Herskovits concernant les degrés de rétention des africanismes, tandis que la carte relative à la densité de la distribution des Noirs (d'ailleurs très approximative, en raison de la diversité des critères mis en œuvre lors des recensements), intéresse moins l'ethnologue.

L'auteur expose ensuite sa distinction entre « sociétés africaines et (ou) sociétés nègres », et met en garde contre toute généralisation reposant sur leur confusion. A côté des pans de civilisation proprement africains qui se sont maintenus, il faut relever les traits originaux (ni africains ni occidentaux), créés par des communautés <de Noirs. Et le « principe de coupure » de Roger Bastide permet alors, à la fois, de comprendre la possible appartenance d'un même Noir à une * culture nègre » (dans sa vie quotidienne) et à une « culture africaine » (du point de vue religieux) - et de mieux réfuter les théories à facteur explicatif unique (la mémoire collective, la désagrégation due à l'escla- vage, ou encore les conditions économiques du milieu environnant) venant appuyer soit la négritude, soit l'intégration. Car en réalité, et qu'il s'agisse de l'organisation du travail, du type de famille, de la musique, etc., t tous ces facteurs ont joué, ou jouent, mais à des degrés divers, suivant les situations sociales... ». Il faut donc préciser : Ces communautés « africaines » (où les modèles africains l'emportent sur la pression du milieu environnant) et « nègres » (où la pression du milieu, plus forte que la mémoire collective amoindrie par l'esclavage, et la ségrégation donnent naissance à de nouvelles formes de vie) ne sont que des images idéales ; dans la réalité, on trouve « un continuum » entre ces deux types, un secteur de la société pouvant être africain, un autre, nègre.

Ainsi, les civilisations des nègres marrons, sociétés isolées de fugitifs (par exemple les Bosh des Guyanes hollandaise et française, à culture dominante Fanti- Astianti), tout en se rapprochant le plus du type africain, présentent néanmoins déjà cette t coupure » entre infra- et superstructures. L'examen des variables temporelle et démographique de ces sociétés permet de comprendre pourquoi et comment elles en sont venues à constituer des continuums, c'est-à- dire des communautés de résistance, conservant les modèles africains sur le plan des croyances religieuses et de l'organisation sociale, qui sont en même temps des communautés d'innovations sur le plan de la structure économique, celle-ci étant donc la moins africaine.

Le syncrétisme s'instaure avec la « rencontre du Noir et de l'Indien ». Le

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CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 12*

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métissage se fera surtout entre Nègres marrons et Indiennes, donnant naissance à des traits culturels mixtes, dont il est difficile d'interpréter les influences réciproques, qu'il faudrait pouvoir départager avec les phénomènes de conver- gence. Le cas le mieux connu jusqu'à présent de cette « fusion » de deux cultures en contact est celui des Caraïbes noirs, où domine l'élément indien.

D'autres syncrétismes encore, montrent l'intégration d'éléments africains dans des structures indiennes (par exemple le catimbo dans le nord-est du Brésil), ou bien l'inverse. Ainsi, le candomblé de cabocles au Brésil, de même que la macumba (cette dernière ayant conduit au spiritisme á' Umbanda, répandu un peu partout au Brésil aujourd'hui), sont des cultes à structure africaine ayant incorporé des esprits indiens.

Un des points les plus intéressants de ces syncrétismes est l'existence de tables de correspondance entre dieux africains et esprits indiens, comme d'autre part entre saints catholiques et divinités traditionnelles, suite à l'évan- gélisation.

L'auteur reviendra sur ces syncrétismes, après avoir étudié comment les « dieux en exil » ont pu survivre. Le moyen institutionnel nécessaire au maintien des souvenirs, a été le regroupement en associations ethniques ou « nations », et en confréries religieuses (les nègres étant baptisés) d'après ces nations. Là où ces associations n'ont pas été tolérées par les Blancs (comme au sud des U.S.A.), les religions africaines se sont « sécularisées » dans le folklore.

Examinant de près les diverses religions dominantes qui se sont conservées : Fanti-Ashanti (Guyanes, Antilles anglaises) ; islam nègre (Brésil du xixe siècle, Cuba) - en union avec le culte Yoraba ; religions bantoues (dont il ne reste cependant que des traces, alors que le folklore s'est préservé partout) ; religions du Calabar (Cuba) ; Yoruba, la plus fidèle aux modèles ancestraux (Brésil, où les rites d'initiation sont particulièrement bien connus grâce notamment aux travaux de l'auteur ; Cuba, où c'est la mythologie qui a le mieux sur- vécu), etc., Roger Bastide souligne le rôle sécurisant de ces sectes qui pratiquent et consolident la solidarité de la communauté noire. Il montre leur fonction compensatrice (accession possible à un statut de prestige, d'après le critère africain qui est de « donner ») et dégage également la nécessité de faire la distinction sociologique entre « religions en conserve » et « religions vivantes », distinction qu'il illustrera à propos de la religion des Fon du Dahomey.

Au Brésil existe le Vaudou « en conserve » (soit « moulé » sur le culte dominant Yoruba - avec table de correspondances entre Orishas et Vodous, soit sous une forme très pure, comme dans la « Casa das Minas » à S. Luiz de Maranhão), de même qu'à l'île de la Trinité, où prédomine le culte yoruba. Le Vaudou « en conserve », c'est le Vaudou sous sa forme figée et conservatrice, vécue bien sûr, mais non vivante, en raison de l'environnement hostile. Mais tous les cultes africains en Amérique, à part le Vaudou haïtien, ont subi ce phéno- mène de « minéralisation », comme réflexe à la menace extérieure. Les religions « en conserve » sont ainsi l'expression institutionnalisée de la lutte des Noirs pour la sauvegarde de leurs valeurs propres, face à une tentative générale visant à leur imposer les valeurs blanches, et face aux préjugés raciaux. Et nous voyons pourquoi le Vaudou haïtien fait exception. Il est « vivant » parce qu'il évolue avec la société environnante : processus normal, étant donné que le Noir haïtien a pu déployer librement sa personnalité (au lieu d'avoir à lutter pour son maintien), après l'élimination des Blancs lors de l'Indépendance. Et si la transe mystique et en général les rites sont toujours africains - « la mémoire- motrice étant plus durable que la mémoire-souvenir » - , le panthéon des Fon s'enrichit au fur et à mesure de divinités « nées dans l'île », et la mythologie est, elle, toute nouvelle ; les Vaudou se multiplient et se créolisent. Bref, la religion est ici vivante, originale, haïtienne.

Les « syncrétismes et métissages des religions » sous l'effet de r evangelisation des Noirs diffèrent selon qu'ils se produisent en milieu protestant ou catholique.

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En Amérique latine, catholique, où l'évangélisation a été moins contraignante qu'en Amérique du Nord, l'auteur relève différents types de syncrétisme : syncrétisme spatial (ou en mosaïque), syncrétisme temporel (le calendrier grégorien servant à y « nicher » une matière africaine), et syncrétisme par correspondance (entre dieux païens et saints catholiques), ce dernier étant le plus fondamental. Il existe également des syncrétismes sur le plan des rituels, sur le plan magique, et celui du culte des morts.

En Amérique du Nord, protestante, l'évangélisation rigoureuse ayant détruit les traditions africaines, a donné lieu à un protestantisme nègre qui consiste, d'après la terminologie d'Herskovits, en une « réinterprétation » du protestantisme ou de la Bible à travers la mentalité noire, réinterprétation où domine l'espérance de salut. Cependant, avec la conscience grandissante de leur exploitation, on assiste à une désertion du christianisme par les nègres, qui inventent de nouvelles religions.

Quant au folklore africain, on le rencontre partout en Amérique, latine aussi bien que du Nord. L'auteur dresse le bilan, richissime, de ses manifestations, qui sont surtout d'origine bantoue. Ayant été moins persécutées, elles sont plus nombreuses que les manifestations religieuses. Tout comme ces dernières, elles peuvent également être divisées en folklore africain, en folklore nègre et en folklore emprunté. Qu'il existe une véritable concurrence entre folklores noirs et blancs n'est pas pour étonner dans le contexte de sociétés maintenant l'inégalité raciale de façon ouverte ou plus indirectement. Les processus de créolisation aboutissent au remplacement de l'improvisation collective par la virtuosité individuelle, et, pour les danses, de la « rencontre des nombrils » par le « heurt des nombrils », désexualisé.

L'auteur analyse enfin les institutions originales propres aux « communautés nègres », qu'il s'agisse de la famille nègre (matrifocalité, mariage coutumier, polygénie successive), de l'importance de la vie sociale, ou encore des églises ou associations en tant qu'elles constituent le cadre de la fraternité des Noirs. Mais ces modèles nègres sont rejetés par la minorité des Noirs appartenant à la classe moyenne et adoptant les modèles blancs. Ces derniers, étant ceux de la société globale, s'opposent aux modèles nègres et exercent une sollicitation constante sur les Noirs. Mais, dit Roger Bastide, que ce soit dans la société de « castes » (U.S.A.) ou dans la société de classes multiraciales (Amérique latine), les modèles blancs restent pour la plupart des Noirs des modèles « idéaux », en ce sens que les Noirs ne peuvent réaliser les conditions économiques et sociales (à cause de la ségrégation institutionnalisée ou non) qui leur permet- traient de les vivre effectivement. N'empêche que dans la mesure où les Noirs considèrent les modèles occidentaux comme un idéal à atteindre, et où, en Amérique latine, le modèle paternaliste tend peu à peu à céder la place au modèle concurrentiel comme aux États-Unis, la mentalité du Noir s'occi- dentalise. C'est ce que l'auteur appelle l'acculturation formelle. Il la distingue de l'acculturation matérielle qui a trait aux seuls contenus des cultures en contact, indépendamment de la mentalité, qui en l'occurrence et jusque-là, avait pu garder, sur beaucoup de points, même pour les cultures nègres, son caractère africain originel. Distinction capitale : elle nous semble établir au niveau des civilisations ce qu'on peut observer (d'après l'hypothèse de L. Gold- mann) sur le plan épistémologique en général, à savoir l'existence d'une diffé- rence, d'un décalage entre la conscience de fait et la structure mentale. Ainsi, les contenus culturels sont-ils bien à la mentalité collective (d'une communauté ou d'un peuple), déterminée avant tout par la structure sociale, ce que les contenus de conscience sont à la structure mentale (ou la « conscience possible »), celle-ci présentant une certaine latitude et une certaine résistance ?

En conclusion, Roger Bastide qualifie tous ces divers comportements culturels : résistance, rétention des traditions, adaptation (c'est-à-dire, accultu- ration et créations originales), ou réinterprétation, comme des « réponses à une

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situation de coexistence interraciale dans l'inégalité >. Le mythe de la négritude est désigné de façon très perspicace comme < marronnage idéologique ». L'im- possibilité de maintenir l'Afrique vivante, puis l'impossibilité de réaliser l'intégration, ont conduit à une Afrique mythique, alors que seule l'Afrique métissée est ici réelle.

Urbanisation et industrialisation grandissantes risquent, de l'avis de l'au- teur, d'entraîner la mort de la culture authentique du Noir américain. Mais, il pense également que, le vide spirituel et les contraintes de nos civilisations créant de nouveaux besoins, les Noirs sont, et seront probablement plus aptes que d'autres à y répondre, et que les cultures afro-américaines donneront encore de « nouvelles floraisons ».

Il apparaît bien, en effet, que les Amériques noires sont encore capables de « donner ». Seulement, il nous semble que tout dépend du contexte, non pas industriel - qui est inévitable - , mais socio-économique, où cette capacité se déploie et va se déployer. Car, il ne faudrait pas que les Amériques noires soient réduites à se contenter - après avoir tant contribué à l'accumulation des profits blancs - d'alimenter maintenant culturellement une civilisation en crise, mais toujours dominante. En un mot, un certain rayonnement culturel, pour possible qu'il soit, ne nous paraît guère qu'un pis-aller dans le cadre de sociétés prolongeant l'inégalité socio-économique. Le Noir américain a droit, comme l'Indien et le Métis également exploités, à vivre dans une société dont les bases socio-économiques lui donnent enfin la possibilité de manifester pleinement son génie propre.

Il nous reste à mentionner l'extraordinaire richesse des notes bibliogra- phiques de l'étude de Roger Bastide. Véritable somme ethnologique visante l'essentiel en la matière, nous voyons également en cette œuvre majeure des prolégomènes dorénavant indispensables à toute étude sociologique des Amériques noires.

Régine Rodriguez. G'¿V./Í.5.

Louis Dumont, Homo hierarchicus, Essai sur le système des castes, Paris, Éditions Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines, 1966, 445 p. Louis Dumont n'a guère besoin d'être présenté au public français. Sa

thèse principale, Une sous-caste de Vinde du Sud, organisation sociale et religion des Pramalai Kallar, fut une des monographies les plus marquantes dans son domaine depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ; et sa thèse secondaire, Hierarchy and Marriage Alliance in South Indian Kinship fut une contribution théorique importante à l'étude des systèmes de parenté de l'Inde du Sud.

Le volume dont nous rendons compte est le premier consacré par un Français au système des castes depuis les livres dus au grand indianiste E. Sénart (Les castes dans VJnde. Les faits et le système, Paris, 1894) et au sociologue C. Bougie (Essais sur le régime des castes, Paris, 1908). On possédait, certes, le petit livre riche en idées de A.-M. Hocart (Les castes, Paris, 1938) ; et la mise au point empiriste de J. H. Hutton avait été traduite en français chez Payot en 1949. Depuis lors, cependant, nombre de recherches ethnographiques ont été entreprises et menées à publication par des chercheurs plus soucieux que leurs devanciers des problèmes de méthode. Et la décision de faire le bilan du Work in Progress s'est naturellement imposée à un homme qui se tient admirablement au courant des travaux concernant son domaine.

L. Dumont admet avec Bougie que le système des castes « divise l'ensemble de la société en un grand nombre de groupes héréditaires distingués et reliés par trois caractères : séparation en matière de mariage et de contact direct ou indirect (nourriture) ; division du travail, chacun de ces groupes ayant une profession traditionnelle ou théorique dont ses membres ne peuvent s'écarter que dans certaines limites ; hiérarchie enfin, qui ordonne les groupes en tant

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