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LES BIENS COMMUNS, LE PATRIMOINE ET LA REGULATION Centre Michel Serres pour l’innovation Juin 2013 Florian Du Pasquier INTRODUCTION.......................................................................................................................................... 2 I/LES BIENS COMMUNS .......................................................................................................................... 3 II/LE PATRIMOINE.................................................................................................................................... 6 III/LA REGULATION ................................................................................................................................. 7 A/ Les services publics locaux en France ................................................................................... 8 B/ Les services publics locaux en Angleterre ........................................................................ 10 CONCLUSION............................................................................................................................................. 12 Bibliographie : .......................................................................................................................................... 15

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Perspective théorique sur la possibilité du socialisme des biens communs.

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LES BIENS COMMUNS, LE PATRIMOINE ET LA

REGULATION

Centre Michel Serres pour l’innovation Juin 2013

Florian Du Pasquier INTRODUCTION  ..........................................................................................................................................  2  I/LES  BIENS  COMMUNS  ..........................................................................................................................  3  II/LE  PATRIMOINE  ....................................................................................................................................  6  III/LA  REGULATION  .................................................................................................................................  7  A/  Les  services  publics  locaux  en  France  ...................................................................................  8  B/  Les  services  publics  locaux  en  Angleterre  ........................................................................  10  

CONCLUSION  .............................................................................................................................................  12  Bibliographie  :  ..........................................................................................................................................  15  

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INTRODUCTION   Dans ce travail, j’élabore quelques pistes de réflexion autour des enjeux de la régulation entre capitaux privés et capitaux publics. Partant du principe qu’il est possible d’extraire maintenant la valeur qui dérive d’une valeur future, je propose une réflexion en trois temps autour de la notion de « bien commun ». Un tel « bien commun » est alors un bien dont la valeur actuelle dérive d’une valeur future. C’est par exemple le pâturage dont la propriété est commune. Plus généralement cela peut aussi être un estuaire, une zone humide ou un pont. Et à un niveau encore supérieur, il s’agit de la monnaie commune avec une large extension dans les jeux d’écriture financière. Ainsi, à l’extrême, on peut considérer les produits financiers dérivés comme de tels biens communs puisque la valeur d’un tel titre financier dépend des anticipations des acteurs autant que de la stabilité générale du système1. Pour conduire cette discussion, j’évoquerai d’abord l’impact de l’œuvre d’Elinor Ostrom. Puis j’évoquerai quelques-uns de ses critiques. Enfin, je proposerai un essai de synthèse à partir des textes de Dominique Lorrain qui distingue un modèle anglo-saxon et un modèle continental de régulation publique-privée. S’il insiste que chacun des modèles doit être respecté dans sa cohérence interne pour donner son efficacité, l’ensemble de la discussion doit cependant permettre d’éclairer les enjeux qui se posent quand on cherche à mélanger les deux types de rationalité issue des deux modèles.

                                                                                                               1     La genèse de la faillite de Dexia, par exemple, relève d’un contexte de baisse de rentabilité des prêts aux collectivités territoriales. De cette situation a procédé une confusion des rôles entre la fonction d’investissement et celle de financement. En effet, c’est l’utilisation de la fonction d’investissement qui a permis de rehausser le taux de rentabilité de la fonction de financement. Cela a permis de créer de la valeur monétaire que les banquiers et les responsables des collectivités territoriales se sont négociés. Techniquement, cette valeur monétaire provient de l’utilisation de produits dérivés, c’est-à-dire de titres financiers dont la valeur dérive d’une autre valeur. L’intérêt des produits dérivés est alors de jouer un rôle de mécanisme assurantiel pour celui qui en porte la charge financière. Ainsi, il est par exemple possible de vendre « tant de tonnes de blés à tel prix et à telle échéance » par un contrat de grès à grès de type futur. Par ce contrat je m’assure contre le risque d’une variation à la baisse du cours du blé. Le fonctionnement assurantiel provient du fait que l’acheteur d’un tel contrat puisse aussi bien perdre que gagner de l’argent sur ce contrat selon que le cours du blé est plus élevé ou moins élevé que le cours nominal du contrat futur. Seulement l’acheteur de ce contrat est libre de le revendre à un autre acheteur qui porte alors à son tour le risque assurantiel. Or la valeur de ce contrat dérive de la valeur d’un produit sous-jacent, ici le blé. La valeur à la revente de ce contrat dépend donc de la présupposition du cours du blé à l’échéance du contrat. Cela veut dire que ce contrat futur a permis à son vendeur de s’assurer contre le risque de fluctuation des cours du blé, tandis que ce risque de fluctuation permet à l’acheteur de générer de la valeur en en assumant le risque. La crise financière dite des « surprimes » provient des propriétés émergentes de tels contrats de grés à grés lorsque, par le mécanisme de titrisation opéré par les banques, le système n’a pu couvrir la valeur supposée être engendrée par les risques encourus. Dans le cas de la faillite de Dexia, il s’agit le plus souvent de prêts aux collectivités sur la base de contrats de type swap dérivés de la valeur de taux de change. Ce contrat de couverture est indépendant du contrat initial d’emprunt puisqu’il peut être souscrit à une autre banque. Il est également par nature aléatoire, car il est lié aux anticipations sur l’évolution des marchés financiers. Ainsi, il peut autant alléger qu’alourdir le coût du service de la dette.

Il ne s’agit pas ici de rentrer dans le détail technique de ces produits dérivés, mais de faire sentir à la fois leur utilité et leur danger afin de mettre en évidence la question de la régulation entre capitaux privés et capitaux publics.

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I/LES  BIENS  COMMUNS     La notion de « bien commun » a émergé suite à la notion de « bien public » telle que définie par l’économiste P. Samuelson en 1954. Il visait par là à définir les biens qui ne pouvaient être assurés par les mécanismes de marché. Les deux critères d’un « bien public » sont 1/ qu’on ne peut exclure personne de son usage, 2/ que l’usage du bien pas n’empêche pas un autre usage d’un autre utilisateur. Ces deux critères de non-exclusion et de non-rivalité sont typiquement applicables au cas de l’éclairage public qui est souvent donné comme exemple. Le problème est qu’une telle définition peut être utilisée pour garantir de nouveaux droits aux individus. Or l’utilisation de ces droits sur les biens publics s’avère impossible en théorie selon la logique du dilemme du prisonnier, et telle qu’elle est mise à jour par G. Hardin en 1968 sous le nom de « tragédie des communs ». Si chacun utilise un bien en utilisant les droits que lui confère le statut de bien public (pas de discrimination de l’usager et principe de « premier venu, premier servi ») alors chacun tendra à maximiser l’utilité qu’il retire de ce bien dont l’utilité ira inévitablement en décroissant. Dans l’exemple de l’éclairage public, il en va de même si vous constatez que la place est déjà occupée. D’où les deux critères additionnels de Samuelson, celui d’obligation d’usage et celui de non-encombrement. Pour sa part, Hardin utilise la logique du dilemme du prisonnier pour montrer que chacun a un intérêt rationnel à se comporter comme passager clandestin, c’est-à-dire à exploiter un maximum de valeur dans un temps ou un coût minimal. De là, il conclut à l’inévitabilité d’une de ces trois solutions : limiter la population, nationaliser le bien ou le privatiser. Si le raisonnement d’Hardin a clairement servi de justification aux vagues de privatisation qui débute dans les années 1970, Elinor Ostrom va quant à elle explorer toutes les implications de la première solution. Pour ce faire, elle va faire porter les critères de définition d’un bien public non pas tant sur la nature du bien en question, mais sur les institutions qui en régulent son usage. En ce sens, elle se rattache clairement à l’école économique qui découle du « institutional crafting paradigm ». Toute son œuvre vise donc à démontrer les formes d’intelligence collective qui permettent de sortir du dilemme du prisonnier ou encore de la logique Hobbesienne du politique. Elle s’inscrit donc en position de critique de l’idéologie libérale et commence son livre « Governing the communs » en faisant remarquer que « les institutions sont rarement exclusivement privées ou publique – le marché ou l’État. Beaucoup d’institutions de régulation des ressources communes sont en fait un mélange riche et varié de caractères publics et de caractères privés, qui défie la classification en une dichotomie stérile »   2 . Elle revendique donc une recherche pragmatique pour expliquer pourquoi dans certains cas la théorie des jeux s’avère efficace dans ses prédictions tandis que dans d'autres les acteurs arrivent à une situation quasi optimale en                                                                                                                2  Ostrom  :  «  Governing  the  communs  »,  1990,  p14    «  institutions  are  rarely  purely  private  or  public  –  the  ‘market’  or  the  ‘state’.  Many  Commun  Pool  Ressource  institutions  are  rich  mixture  of  private-­‐like  and  public  –like  institutions  defying  classification  in  a  sterile  dichotomy  ».  

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sens économique du terme. Faisant la synthèse de ses travaux elle écrit : « Le simple fait de permettre à ces individus de pouvoir communiquer entre eux sans même que cette parole ne les engage (cheap talk), permet de réduire la surexploitation et d’augmenter les gains communs, contrairement aux prédictions de la théorie des jeux »  3. « Plus avant, l'application des études empiriques aux politiques publiques nous amène à souligner l'importance de faire correspondre des règles institutionnelles à des contextes socioécologiques spécifiques. Les politiques à taille unique (one size fits all policies) ne sont pas efficaces »  4. Il en ressort deux axes de recherches : 1/ les conditions de la confiance et de la communication, 2/ l’impossibilité ou la forte limite à la démarche qui part d’un cas particulier pour en déduire le cas général. Sur le premier point, elle écrit plus loin : « Les prédictions de la théorie des jeux non coopératifs se révèlent à peu près valides uniquement lorsque les participants à une expérience de laboratoire ne connaissent pas la réputation des autres personnes impliquées dans le dilemme de ressources et ne peuvent pas communiquer avec elles. À l’inverse, lorsque les sujets peuvent communiquer en face à face, ils se mettent souvent d'accord sur des stratégies communes et s’y tiennent, augmentant substantiellement leurs bénéfices nets. En outre, la communication en vue de décider et de concevoir un système de sanctions permet à ceux qui font le choix de cette option d’atteindre des gains proches de l’optimalité ».  5 Elle souligne la nécessité d’un système de sanction sociale permettant la régulation, et insiste que celui-ci ne doit pas peser de manière trop forte sur la comptabilité générale. C’est là que se logent la plupart de ses critiques. Mais avant cela, elle donne un certain nombre d’indications issues de ses enquêtes de terrains sur les conditions de la confiance : (i) La communication est possible avec l'ensemble des participants. Lorsque le face-à-face est possible, les participants utilisent les expressions faciales, les actions physiques, et la façon dont les mots sont exprimés pour juger de la fiabilité des autres personnes impliquées ; (ii) La réputation des participants est connue. Cette connaissance de l'histoire passée des autres participants, qui peuvent ne pas être personnellement connus avant l'interaction, augmente la probabilité de la coopération ; (iii) Les rendements marginaux par tête sont élevés. Dans cette situation, chaque

                                                                                                               3  http://www.ofce.sciences-­‐po.fr/pdf/revue/120/r120-­‐2.pdf  p17  4  Idem,  p17  5  Idem,  p41  

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participant peut savoir que ses propres contributions importeront davantage que si les rendements marginaux étaient faibles et que les autres sont davantage susceptibles de reconnaître ce lien ; (iv) Capacités d'entrée ou de sortie. Si les participants peuvent se retirer d’une situation sociale en contrepartie d’un faible coût, cela leur donne la possibilité de ne pas se faire berner sans réagir et les autres participants peuvent comprendre qu’ils peuvent se retirer (et saisir d'autres opportunités) si leur volonté de coopération ne trouve pas de réciproque ; (v) De plus longs horizons de temps. Les participants peuvent s'attendre à ce que davantage puisse être gagné du fait de la coopération sur une longue période de temps par rapport à une courte période ; (vi) Des capacités de sanction décidées d’un commun accord. Alors que les modalités de sanction imposées ou appliquées de manière externe peuvent réduire le degré de coopération, lorsque les participants eux-mêmes conviennent d’un système de sanctions, ils n'ont bien souvent pas besoin d'utiliser des sanctions fortes ou répétées et les bénéfices nets peuvent en être sensiblement améliorés6. En refusant la philosophie politique de Hobbes, elle semble singulièrement réactiver le libéralisme de John Locke, lui-même critique de Hobbes et qui affirmait que l’état de nature d’où procède l’institution étatique était caractérisé, non pas par la guerre, mais par la confiance, elle-même issue de la certitude d’avoir la propriété de son corps et donc des résultats de son travail. Elle formule finalement une liste de critères qui qualifie les expériences de gestion d’une ressource commune proche de l’optimum économique :

— Des groupes aux frontières définies ; — Des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et

besoins locaux ; — La capacité des individus concernés à les modifier ; — Le respect de ces règles par les autorités extérieures ; — Le contrôle du respect des règles par la communauté qui dispose d’un système de

sanctions graduées ; — L’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ; — La résolution des conflits et activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées.

Si cette liste est très certainement utile, elle n’en a pas moins une certaine saveur tautologique puisqu’elle nous dit en substance « les communautés historiques sont les communautés historiques », l’histoire ayant ici essentiellement à voir avec la frontière. Malgré cette remarque de philosophie politique, on peut tout de même lui donner le dernier mot, à savoir celui de la conclusion de son dernier article publié quelques jours

                                                                                                               6  Idem,  p54  

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avant sa mort : « Établir des objectifs peut permettre de dépasser l’inertie, mais chacun doit y trouver un enjeu : pays, états, villes, organisations, entreprises et habitants. Le succès dépend du développement d’une pluralité de politiques pour atteindre les objectifs ».7 En effet, il importe de mettre en évidence l’inspiration kantienne de son œuvre et notamment son pragmatisme autour de ce que Kant nommait la « cosmopolitique ». La raison cosmopolitique selon Kant doit synthétiser la raison pure (les mathématiques) et la raison pratique (qui se rapporte à des objets). Ainsi, « la philosophie s’achève seulement avec l’usage communicationnel de la raison, de l’herméneutique sociale et politique »  8. « La fin ultime de l’usage de la raison, en tant que raison essentiellement publique et communicationnelle consiste dans la tentative de penser la création d’un “cosmos” de droit dans la société humaine par l’action politique »9. De cela il découle que l’histoire, comme la nature, procède lentement par évolution et par petites touches. « Pour penser la réalisation de l’idée du droit dans le monde sensuel, il suffit de penser l’histoire comme espace et processus dans lesquels l’humanité, en tant que série infinie de générations, peut réaliser le droit de façon processuelle, discursive et communicative. La communauté de droit est donc un nouveau “cosmos” que l’humanité peut constituer selon les principes de la raison pratique et discursive. La société structurée par le droit est ainsi une “seconde nature”10.

II/LE  PATRIMOINE   À défaut de bien saisir l’aspect et la condition kantienne des thèses d’Elinor Ostrom, la plupart de ses critiques se tiennent sur le terrain de Rousseau. Ici la différence est que pour Kant l’acteur est l’individu tandis que pour Rousseau l’acteur du contrat social est le peuple. Et c’est ainsi qu’Harribey peut écrire que “la faille de la thèse d'Ostrom est de rester prisonnière de la croyance que les systèmes de règles sont le produit de délibérations entre des acteurs à égalité à l'intérieur d'une communauté” 11. En somme, c’est parce que l’usage public de la raison n’est pas indéfini, que nous nous trouvons soit du côté de Rousseau et de son contrat social pour l’aspect logique, soit du côté de Montesquieu et de la sociologie politique pour l’aspect pratique d’une telle délibération. D’un côté, donc, un contrat social où le peuple est seul agent de ce contrat, c’est-à-

                                                                                                               7  Ostrom : http://www.project-syndicate.org/commentary/green-from-the-grassroots#Bq2C6cpycwt5ptjw.99 8 Francis Cheneval : La cité des peuples : mémoires de cosmopolitismes, p176 9 Idem, p172 10 Idem, p 242 11 Jean-Marie Harribey, économiste, maître de conférences à l'université Montesquieu-Bordeaux IV L'Economie politique n° 049 - janvier 2011 http://www.alternatives-economiques.fr/le-bien-commun-est-une-construction_fr_art_1072_53003.html

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dire, seule entité légitime à exercer par l’institution le pouvoir et la sanction. Cette référence est nécessaire pour saisir ce qui est en jeu dans l’appropriation de la règle et de la sanction. Dans cette perspective théorique, une certaine forme de populisme découle alors de la patrimonialisation de ces “biens communs”. C’est bien en ce sens que Dominique Reynié pour soutenir la thèse d’un populisme patrimonial12  propre aux nations européennes. De cela découle la nécessité de bien prendre en compte la tradition historique d’où provient l’idée de Nation, et l’ensemble des éléments de croyance qui s’y rattache. Il s’agit notamment de faire avec Montesquieu une enquête sociologique sur ce qui permet l’efficacité économique. Du côté des critiques d’ordre pratique, on signalera alors celle de Cleaver13  qui souligne en 1999 que “la participation est donc devenue un acte de foi dans le développement ; quelque chose en quoi nous croyons et que nous questionnons rarement. Cet acte de foi est basé sur trois piliers : 1/la participation est intrinsèquement bonne (particulièrement pour les participants), 2/l’approche technique des enjeux est essentielles à la tenue des négociations, 3/la politique de manière générale doit être évitée en tant que clivante et obstruante ”. Ainsi, Cleaver dresse le portrait d’une démarche participative ayant en angle mort ses propres conditions : on peut perdre au jeu de la participation, tout le monde n’est pas au même plan technique, la politique ne fait qu’avaliser ce qu’une enquête de sociologie aurait pu découvrir. Afin de faire valoir cette nécessité de la sociologie, elle demande : “la codification des droits des plus vulnérables suppose surement plus que la nécessité qu’ils prennent part aux comités ou qu’ils parlent individuellement lors des réunions ?” Ce faisant, elle souhaite attirer l’attention sur l’épaisseur culturelle qui régule nos relations et donc, partant, nos jeux institutionnels. Nous avons donc une thèse sur la notion de “bien commun” qui s’appuie pour une bonne part sur le libéralisme de Locke : cela l’ouvre à une critique inspirée de Rousseau du point de vue théorique et à une critique inspirée de Montesquieu du point de vue pratique. Nous suggérons qu’une telle notion de “bien commun” est réconciliable avec la notion de “patrimoine” à la condition de rexploiter les virtualités de la raison cosmopolitique kantienne.

III/LA  REGULATION   L’introduction de Dominique Lorrain au livre collectif : “L’expérience française du financement prive des équipements publics”14 nous paraît répondre de ces deux enjeux théoriques et pratiques. Il cherche à y distinguer des modèles de financement public-privé, c’est-à-dire différentes coopérations entre ces deux régimes juridiques. Soit la coopération entre 1/ le droit du service local, qui dépend du rôle de l’État dans la                                                                                                                12 Dominique Reynié: Populisme, la pente fatale, 13  Frances Cleaver, Paradoxes of participation : questioning participatory approaches to development, Journal of International Development J. Int. Dev. 11, 597±612 (1999) 14 http://www2.cdu.urbanisme.developpement-durable.gouv.fr/cdu/DATAS/DOCS/OUVR18/sommaire.htm#som

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juridiction et 2/ le droit des contrats qui dépend lui des coutumes et de la jurisprudence. Il écrit donc que “l'esprit des contrats intervient autant que la lettre. Il convient alors d'accorder de l'importance aux cultures politiques, aux mentalités, c'est-à-dire à tout cet ensemble de pratiques non dites, évidentes pour les natifs d'un pays et qui semblent parfois si incompréhensibles à ceux qui lui sont étrangers. Et c'est cet ensemble de dispositions qu'il faut avoir présent à l'esprit pour s'engager dans la comparaison de solutions nationales relativement typées que nous appelons modèles… Ces modèles ont leur propre unité, leur logique interne. Les réformes doivent en tenir compte sans quoi on court le risque d'additionner des solutions qui cumulent leurs inconvénients… L'important est de bien comprendre que certaines techniques, pour donner leur pleine mesure, doivent fonctionner dans un certain environnement”. La généralisation sur les enjeux de régulation publique-privée doit donc prendre en compte une dimension culturelle et contingente. Pour autant la démarche est bien de faire apparaître des modèles qui nous renseignent sur la stabilité des institutions qui régulent nos biens communs. Dominique Lorrain propose donc trois séries de critères qui définissent les “services publics locaux ”. 1/Ils se définissent par ce qui les distingue d’une activité privée. Il s’agit par exemple de l’obligation de continuité de service ou d’égalité des citoyens à l’accès au service. 2/Ils supposent de pouvoir définir ce qui revient à l’État et ce qui revient au local. Il s’agit ici plus de suivre le résultat de l’histoire que de la logique. 3/Ils demandent à être classifiés en services publics industriels et commerciaux (SPIC) et en services publics administratifs (SPA).

A/ Les services publics locaux en France Le service public local se trouve défini historiquement par deux bornes opposées : d’un côté l’autonomie locale qui par la loi de 1884 édicte que “le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune” et de l’autre par le rôle prépondérant de l’État qui définie notamment le principe de liberté de commerce et de l’industrie par la loi 2-17 mars 1791 dit “décret Allarde”. Il fixe donc la liberté de choix des communes quant au statut de l’exploitant. La stabilité du modèle français dépend de la contingence de l’histoire et des problèmes qu’il a fallu régler. On peut signaler deux problèmes historiques qui se sont sédimentés dans le modèle français. Le premier tient à l’utilisation culturelle du sentiment de “retard” pour activer la procédure politique. Cela commence avec Colbert qui va faire fournir à la France une flotte militaire sur l’argument du retard français face aux concurrents Hollandais et Britanniques. Du fait qu’il s’agit de construction dans le domaine régalien de la défense, l’État y a joué un rôle prépondérant en faisant un appel d’offres. L’argument en faveur de l’appel aux entreprises privées est d’abord que l’aboutissement des travaux est d’autant

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plus certain qu’ils sont motivés par le profit qui correspond à la prise de risques. Et ensuite, que cet aboutissement dépend de la taille et de la solidité financière des entreprises. On voit donc la genèse des travaux de Coase sur les coûts de transaction : les grandes entreprises offrent plus de garanties dans l’exécution des contrats puisqu’elles internalisent les coûts qui autrement seraient perdus dans le jeu de la concurrence. Si le sentiment de “retard” permet bien souvent en France d’activer la commande publique, la culture de l’intervention publique répond néanmoins d’une grande diversité : le libéralisme y côtoie l’étatisme dans une grande variété de configurations. On donnera à titre d’exemple l’opposition entre le juriste Cauwès (1843-1917) et l’ingénieur Colson (1853-1939) : “La méthode de Cauwès consistait à énoncer les problèmes du secteur de services publics du moment et à proposer une solution juridique sur la base de choix politiques. Le secteur des services publics évoluait au fur et à mesure des besoins historiquement ressentis”15. “Beaucoup plus distant sur le plan politique, l’ingénieur Colson part d’un cas précis. Le calcul économique lui permet alors de déterminer le meilleur rapport coût/utilité pour le choix, la réalisation et pour la gestion du service public, dans l’intérêt général, confondu alors avec celui des contribuables… L’ingénieur part donc d’un problème concret à résoudre et fait intervenir le calcul économique. Sa démarche est pragmatique. Dans le même esprit, il examine l’intérêt respectif des systèmes de la régie ou de la concession et opte fermement pour cette dernière, complétée par un contrôle ‘de l’autorité publique sur les concessionnaires’.16 ‘L’un reste dans la tradition d’économie politique de l’époque, selon laquelle la recherche de bonnes lois associées au protectionnisme réglera les problèmes économiques et sociaux. L’autre introduit la démarche économétrique. On se trouve là à l’aube d’une nouvelle tradition’.  17 La conception française des services publics locaux répond (au moins) de cette double logique : l’une politique et juridique et l’autre technicienne. C’est ce qui fait conclure Dominique Lorrain que ‘le système français, c'est la grande entreprise justifiée par l'économie et la régulation par le politique, autrement dit Coase et Colbert tempérés par la démocratie’. Ailleurs, il ajoute : ‘si on résume le point, il y a une limite à vouloir déconstruire la firme multidivisionnelle pour la rendre transparente comme si on se trouvait dans un marché atomistique. Coase nous dit donc pas de transparence absolue pour la très grande entreprise (TGE). De plus, la relation politique — entreprise n’est pas de même nature que celle firme-firme: elle demande une maturité propre particulièrement sur la question des profits’18.

                                                                                                               15 Le Van-Lemesle Lucette, « Cauwès et Colson, le juriste et l'ingénieur : une ou deux conceptions du service public ? », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2005/3 no 52-3, p. 75-87. 16 Le Van-Lemesle Lucette, 2005, Idem 17 Le Van-Lemesle Lucette, 2005, Idem 18  Guérin-­‐Schneider  Lætitia  et  Lorrain  Dominique,  «  Note  de  recherche  sur  une  question  sensible  »  Les  relations  puissance  publique  -­‐  firmes  dans  le  secteur  de  l'eau  et  de  l'assainissement,  Flux,  2003/2  n°  52-­‐53,  p.  35-­‐54.  

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Mais avant d’arriver à une telle conclusion, il signale deux prérequis à la stabilisation de ce modèle. Le premier est que la rente de situation issue d’un monopole se gère très bien par la comparaison et la concurrence statistique. ‘Dans un marché oligopolistique, une compétition statistique, bien organisée, a une efficacité. Cela passe par la mise en place d’indicateurs ; en nombre limité ils permettent d’avoir un suivi du secteur ; s’ils sont bien calibrés, ils peuvent se comparer à ceux d’autres pays européens’19. Ainsi, même si un acteur privé gère une situation de monopole localement, celui-ci n’est pas en situation de monopole absolu puisque les usagers et les autorités politiques locales peuvent comparer les résultats de leurs prestataires avec ceux d’autres prestataires limitrophes. Ceci limite sévèrement la rente de situation d’un monopole et explique la montée en puissance d’un nombre restreint d’acteurs de l’économie de l’eau par exemple. Le deuxième prérequis tient au fait que la démocratie de processus importe plus que la démocratie de procédure. Ainsi, ce qui compte n’est pas tant le respect rigoureux de la procédure (élections, mandats, etc.) que le respect du processus démocratique, c’est-à-dire et par exemple le respect des travaux des commissions locales et le processus d’expression des plaintes des usagers. Tout cela dessine une régulation globale ‘à la française’ : le maire pilote globalement les services publics locaux, en faisant appel à de grandes entreprises qu’il met virtuellement en compétition statistique. Et « l’équilibre des forces se boucle par l’existence d’une ‘arme de dissuasion’ aux mains de la puissance publique : l’option d’une rupture anticipée du contrat. Cette approche représente certainement une voie nouvelle des rapports entre puissance publique et firme. Dans laquelle la première prend acte de la structure d’une offre et se concentre sur le pilotage de tout l’ensemble ».20 Ainsi, c’est bien sur la figure du Maire comme expression d’un processus de démocratie locale que repose la gouvernance des services publics locaux. Un tel fonctionnement requiert une confiance globale dans le processus politique et partant, la possibilité d’un long et couteux blocage institutionnel.

B/ Les services publics locaux en Angleterre À l’inverse, on notera que la gouvernance à l’Anglo-saxonne cherche au contraire à limiter l’influence et l’impact de la politique locale pour loger la légitimité au sein d’Agences d’experts et de techniciens. Ainsi, les lois successives sur la dévolution ont progressivement vidé les pouvoirs locaux des Councils en matière de services publics. C’est que la logique qui préside à de tels choix est clairement issue de la théorie

                                                                                                               19  Guérin-­‐Schneider  Lætitia  et  Lorrain  Dominique,  2003,  Idem  20 Guérin-Schneider Lætitia et Lorrain Dominique, 2003, Idem

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économique néo-classique : la théorie de l’optimum économique entre offre et demande ; et la théorie des marchés imparfaits en situation de monopole. De ces deux corps de théorie découlent les points pratiques suivants : 1/ introduire la concurrence partout où elle peut l’être, 2/ établir des contrats précis à court terme, 3/ créer des Agences de régulation et de monitoring. Pour que ce modèle soit efficace, il faut que les coûts fixes de ces Agences de régulation ne dépassent pas les économies réalisées par la mise en concurrence initiale des acteurs. On voit donc que la stabilité du modèle dépend de la mise en concurrence des acteurs plutôt que de la taille et de l’efficacité de l’entreprise délégataire. Cette mise en concurrence n’est pas sans lien avec la financiarisation de l’économie dont il faut dire quelques mots. Dans le secteur des infrastructures, en tant qu’éléments du patrimoine, on observe l’émergence de ce qu’on pourrait nommer des ‘conglomérats instables’. Il s’agit de fonds d’investissement cherchant la rentabilité maximale. ‘Ici, avec ces acteurs financiers, ce qui prime est la rotation des actifs ; donc l’histoire compte moins ; la notion de cœur de compétence industrielle disparaît. La logique de développement relève d’une autre nature. Ces acteurs ont inventé un nouveau type de firme : ‘le conglomérat instable’. 21 La question qui se pose est alors de savoir pourquoi ces conglomérats apportent de la valeur alors que la théorie managériale montre que la valeur d’un conglomérat est moindre que la somme de ses parties ? Une partie de la réponse tient certainement à la proximité du métier de banquier et de celui de private equity. En effet, il faut signaler le recours considérable à la dette, qui permet aux entreprises de réduire leur coût du capital, mais qui est aussi au bénéfice des banquiers. De même, il faut signaler que la rotation des actifs devient un but en soi au détriment de la stratégie industrielle et au bénéfice encore une fois des banquiers qui organisent ces marchés. Enfin, l’hypertrophie des produits dérivés caractérise ce secteur. De cela découle l’observation que l’intervention des fonds d’investissement dans le secteur des infrastructures joue effectivement son rôle initial de mise en tension et en concurrence. Ils permettent la comparaison et dégagent des avantages comparatifs. Il faut donc mettre en évidence trois problèmes relatifs à la forme du contrat, puisque c’est là que la régulation fait défaut. Le premier tient à l’asymétrie informationnelle entre le principal et l’agent. C’est-à-dire que la puissance publique en tant que ‘principal’ manque nécessairement d’informations par rapport à l’agent qui exécute sa décision, ici l’entreprise. Dit autrement, une fois que la décision a été prise de déléguer l’exécution d’une décision, il est très difficile de revenir en arrière, puisque le délégataire perd ainsi les compétences qui lui permettaient de le faire lui-même. Deuxièmement, un contrat est par définition incomplet. Il s’appuie soit sur une clef de voute politique, soit sur une jurisprudence. Nous y reviendrons en conclusion. Enfin, le rôle de l’Agence de régulation échappe difficilement à la dimension politique, c’est-à-dire à sa ‘capture’ par des groupes de pression. De refuser, en raison de la théorie économique, une gestion globale par la politique et son jeu institutionnelle, le modèle anglo-saxon, avec ses Agences n’en reste pas moins ouvert au politique et à l’influence                                                                                                                21 Lorrain Dominique, « L'industrie de la finance et les infrastructures (1) : les fonds privés d'investissements », Flux, 2008/1 n° 71, p. 78-91

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technique et infrapolitique. On verra particulièrement ici, le très difficile combat que l’Inde doit mener contre la corruption alors qu’elle dispose pourtant d’une constitution extrêmement libérale. En résumé, le modèle Anglo-saxon introduit la concurrence comme facteur d’efficacité, mais peine à trouver sa stabilité en raison du fait que le régulateur se trouve aux prises avec ‘le politique’, c’est-à-dire tout ce qui influe la vie en commun sans pour autant passer le filtre formel de la politique. C’est la raison pour laquelle le régulateur gagne à utiliser la ‘science politique’ de Montesquieu, c’est-à-dire une sociologie permettant de rendre compte de l’efficacité économique.

CONCLUSION   Le modèle libéral anglo-saxon trouve donc son fondement avec Hobbes dans l’absence de confiance vis-à-vis de la politique institutionnelle et dans la nécessité d’exiger des citoyens un sacrifice de liberté contre un gain de gouvernabilité. Cette gouvernabilité s’exerce tendanciellement par le biais d’Agence d’experts, dont le modèle est à chercher du côté du programme d’action de Roosevelt lors de son New Deal. Ainsi, cette conclusion avance-t-elle de manière prospective qu’une des questions essentielles est de savoir quel niveau d’expertise les citoyens sont capables de tolérer. En effet, si le niveau de tolérance est faible, alors la politique s’active autour de l’égale capacité des citoyens à interpréter la loi. Au contraire, si ce niveau de tolérance est fort, c’est qu’il y a une cohésion infrapolitique qui lie options politiques et croyances. C’est la raison pour laquelle nous suggérons que ce modèle gagne en stabilité par l’analyse sociologique. La question qui se pose alors est de savoir si l’impérialisme économique est en train d’attaquer l’un des derniers champs de la critique22. La question reste ouverte pour le champ de la recherche. Au niveau pratique on observe cependant bien ce phénomène. La financiarisation de l’économie et notamment la cotation en bourse permettent de faire grandir le capital avec une efficacité maximale. Il faut pour cela une déduction d’impôts sur la dette et une politique de dividende. Mais cette croissance du capital de l’entreprise laisse la place à un rendement par unité de production décroissant. C’est ce deuxième phénomène qui explique la montée en force du marketing, et du renouvellement hystérique des gammes de produits. Ainsi, on voit assez clairement que le marketing effectué par les entreprises joue ce rôle de sociologie stabilisatrice d’un modèle issue de la défiance politique. Nous avons aussi soulevé le problème du lobbying auprès du régulateur et la dérive vers la corruption. À cet égard, il est significatif de noter que pour un entrepreneur africain comme Mohammed Ibrahim la lutte contre la corruption passe par une ‘organisation sur le terrain’.  23 Que ce soit le sociologue ou le responsable marketing,

                                                                                                               22  Chavance Bernard, ‘Philippe Steiner et François Vatin, (dir.), Traité de sociologie économique, Presses universitaires de France, 2009, 816 p.’, Revue de la régulation [En ligne], 7 | 1er semestre/Spring 2010, mis en ligne le 04 juin 2010, consulté le 12 juin 2013. URL : http://regulation.revues.org/7901 23  Mohammed  Ibrahim,  «  Pour  lutter  contre  la  corruption,  il  faut  une  organisation  sur  le  terrain  »  http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/06/12/mo-ibrahim-president-de-la-mo-ibrahim-foundation-en-finir-avec-la-corruption-en-afrique_3428539_3234.html

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chacun quadrille le terrain en laissant aussi peu d’ombre que possible pour permettre d’expliquer le fonctionnement des raisonnements économiques. S’ils ne veulent pas être les valets des politiques et du grand capital, ils gagnent à éclairer l’enjeu du droit des consommateurs. Puisque c’est bien ainsi qu’ils contrebalanceront le conflit de pouvoir entre capital et salariat d’un côté et capital et consommateurs de l’autre. C’est en effet le point fort des institutions libérales que de savoir déterminer les droits. Elles sont en revanche beaucoup moins à l’aise quand il s’agit d’énoncer la loi. Cette difficulté est ce qui caractérise l’Union Européenne dans sa construction actuelle. A cet égard, on notera la probable condamnation de l’état français par la Cour de Justice Européenne, sur initiative de la Commission pour manquement à la Directive de 1991 sur la qualité de l’eau24.   On évoque des pénalités de 130 000 euros par jours pour des taux de nitrate trop élevés en Bretagne. C’est dire la capacité de l’Union Européenne à s’imposer dans la détermination des droits et son ancrage dans le modèle libéral anglo-saxon. Elle ne sait que libéraliser nos vielles Nations25 alors que la systématicité de la crise financière réclame une réactivation de la politique institutionnelle.   Le modèle français, et plus généralement continental puisqu’il s’applique aussi largement à l’Allemagne, s’appuie en revanche sur la confiance dans le jeu de la politique locale. Si l’oligopole de l’eau (Suez-Veolia-SAUR) a nourri quelques espoirs de développent à l’international au début de la vague de mondialisation des années 1990, le conflit électoral en Côte d’Ivoire marque un relatif échec26 tempérée néanmoins par le développent de Bolloré dans les activités portuaires africaines27. Dans la construction de ce modèle nous avons insisté sur la capacité des politiques à énoncer la loi et soulevé une certaine tendance à un populisme patrimonial qui s’y rattache. C’est que l’énonciation de la loi pour produire des droits créer une tendance à l’empilement des droits dont nous avons qu’ils sont à la base du problème des communs. Pourtant nous vu avec Elinor Ostrom qu’une capacité communautaire à énoncer la règle pour un coût marginal est un des critères essentiels à la résolution de ce problème. Ce modèle pourrait donc gagner en stabilité si ses porteurs se faisaient une spécialité de l’évaluation des politiques publiques. En dépassant ou en contenant la polémique autour de l’évaluation de ces politiques publiques, ils réduisent l’alternance politique comme expression de cette polémique et ils permettent une lente maturation de la question collective du profit dans l’exploitation des ressources ‘communes’ ou ‘de droit’. Cependant, cela soulève un problème autour de la batterie d’indicateurs comme architecture de cette évaluation des politiques publiques. Ce problème s’articule autour de ‘l’idée que les outils utilisés pour décrire et agir sur le réel formatent ce réel, finissent

                                                                                                               24 http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/13/l-europe-condamne-la-france-pour-ses-eaux-polluees_3429170_3244.html 25  Andrew  Moravcsik,  “Le  mythe  du  deficit  democratique  europeen”,  2003   http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RAI_010_0087

26 Thierry Lentz, Responsable des relations Extérieures SAUR : L’affermage dans la delegation de services publics: l’exemple de l’electricite de Cote d’Ivoire, http://www2.cdu.urbanisme.developpement-durable.gouv.fr/cdu/DATAS/DOCS/OUVR18/part8.htm

27 Voir : http://www.bollore-africa-logistics.com/ports-et-terminaux/nos-terminaux-a-conteneurs.html

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par produire un ‘construit’, qui est pris alors comme réalité. Les institutions y jouent leur part… Autrement dit, la société politique – des élus et de la haute fonction publique – construit l’édifice des institutions et des droits non par suppression, mais par ajout, offrant l’image d’une société sédimentée’28. Dominique Lorrain donne ici l’exemple de la mesure de la répartition des salaires : « Avec une répartition des salaires se faisant dans un rapport de 1 à 3,2 pour 80 % des Français et une économie en moindre croissance, les écarts à l’intérieur d’une même classe sont si faibles que toute mesure se traduit cette fois par une modification des places »29 dans le réel de la politique, ajouterons-nous. De ce fait, une réflexion cohérente sur le bouclage ‘droit-loi’ semble nécessaire afin de dégager un ordre stable de cette ‘sédimentation’. Cette cohérence doit provenir du respect de la logique interne du modèle que nous avons dégagés, et de la juste compréhension du mouvement vers la libéralisation de ce modèle. « Autrement dit, si les ‘institutions contractuelles’ sont imparfaites, les initiatives des acteurs, la multiplication des contrats peuvent les compenser, mais cette capacité de réparation ne suffit pas à remplacer les ‘institutions de droits ’ (property rights institutions). Ceci revient à hiérarchiser l’édifice des institutions. Tout en haut se trouvent les institutions définissant des droits et des principes, au milieu des institutions intermédiaires (les instruments plus techniques), en bas les acteurs, leurs agissements et leurs contrats privés. Si le sommet ne s’adapte pas, la compensation par les deux autres niveaux ne dure qu’un moment. Une société a besoin d’institutions fondatrices qui cadrent les droits et les obligations, donne du sens aux transactions privées. Si cela fait défaut, si, avec le temps et l’empilement des règles et des normes techniques, le brouillage devient trop grand, alors le système s’épuise ».30 En somme, Dominique Lorrain conseille de ne pas faire trop porter à la politique au risque de susciter ce populisme face à un amas informe et abscons de règles et de normes techniques. Pourtant, il signale ailleurs, dans un article qui fait référence31, que la fin des mythes fondateurs implique un surinvestissement rhétorique et programmatique des autorités métropolitaines. Il nous semble, avec ces quelques remarques, avoir essayé de circonscrire le problème des indicateurs : ils instruisent autant qu’ils construisent le réel auquel réagit la politique. C’est ce paradoxe ou cet ‘englobant’ qui conditionne la réussite des institutions métropolitaines. Et cette réussite pourrait être conditionnée par une évaluation des politiques publiques qui lie programme et résultats tout en prenant acte de ce paradoxe. Que cela soit possible, l’œuvre d’Elinor Ostrom semble le suggérer. À tout le moins, Dominique Lorrain indique l’écueil à éviter : ‘l’institution est une catégorie englobante ; elle cadre les droits et la vision commune. Sans travail réflexif sur le chaînage qui conduit des principes à leur mise en œuvre ou, à l’inverse, qui remonte du terrain via des indicateurs, l’acteur s’expose à une dérive ; celle-ci peut conduire à une altération du projet fondateur’32.

                                                                                                               28  Lorrain  Dominique,  «  La  dérive  des  instruments  »  Les  indicateurs  de  la  politique  de  la  ville  et  l'action  publique,  Revue  française  de  science  politique,  2006/3  Vol.  56,  p.  429-­‐455.  DOI  :  10.3917/rfsp.563.0429  29 Dominique Lorrain: Idem 30Lorrain Dominique: Idem 31 Lorrain Dominique, « Gouverner « dur-mou » : neuf très grandes métropoles », Revue française d'administration publique, 2003/3 no107, p. 447-454. DOI : 10.3917/rfap.107.0447 32 Lorrain Dominique: Idem

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En résumant ce parcours, l’œuvre d’Elinor Ostrom nous a montré que la tragédie des communs n’est pas une fatalité. Cependant, l’analyse théorique nous a montré qu’elle s’expose à une critique de type populiste et à une critique de type sociologique. En construisant deux modèles de régulation publique-privée à partir des indications de Dominique Lorrain, nous avons cherché comment ces critiques théoriques peuvent participer à la force et à la stabilité du modèle autant qu’à son instabilité si la logique interne n’est pas assumée. La conclusion de ce travail revient à une équipe de jeunes chercheurs ayant réalisé une étude les dispositifs institutionnels environnementaux (DIE) et les institutions générales : Le modèle méditerranéen cumule de faibles intensités de réglementation environnementale et d’État-providence ; Le modèle libéral associe faible niveau de protection sociale et faible DIE, à l’exception de segments de ces deux domaines gérés par le marché ; Le modèle social-démocrate allie un DIE plutôt contraignant avec un haut niveau de protection sociale universaliste ; Le modèle d’Europe du centre serait marqué par un fort niveau d’intervention de l’État et une socialisation de la gestion des problèmes environnementaux couplée avec un État-providence de type bismarckien. Ainsi, notre hypothèse H2 n’est pas infirmée dans la mesure où les modèles avec la plus forte protection sociale (bismarckien et social-démocrate) sont aussi les modèles avec le plus haut niveau de protection de l’environnement, et les modèles avec le plus faible niveau de protection sociale (latin et libéral) sont aussi les modèles avec la plus faible protection de l’environnement. D’une part, les typologies environnementales présentent des caractéristiques communes avec les typologies économiques générales, d’autre part, il est possible d’expliquer certains contenus de DIE en mobilisant le rôle des complémentarités institutionnelles. Évidemment, le débat n’est pas clos ; au contraire, le chantier heuristique, dans ses dimensions qualitative et explicative, ne fait que s’ouvrir. 33

Bibliographie  :    

— Lorrain Dominique, ‘Gouverner ‘dur-mou ’ : neuf très grandes métropoles’,                                                                                                                33  Luc  Elie,  Bertrand  Zuindeau,  Mathieu  Bécue,  Mamoudou  Camara,  Ali  Douai  et  André  Meunié,  «  Approche  régulationniste  de  la  diversité  des  dispositifs  institutionnels  environnementaux  des  pays  de  l’OCDE  »,  Revue  de  la  régulation  [En  ligne],  12  |  2e  semestre  /  Autumn  2012,  mis  en  ligne  le  19  décembre  2012,  consulté  le  23  avril  2013.  URL  :  http://regulation.revues.org/9951  

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— Luc Elie, Bertrand Zuindeau, Mathieu Bécue, Mamoudou Camara, Ali Douai et

André Meunié, ‘Approche régulationniste de la diversité des dispositifs institutionnels environnementaux des pays de l’OCDE’, Revue de la régulation [En ligne], 12 | 2e semestre/Autumn 2012, mis en ligne le 19 décembre 2012, consulté le 23 avril 2013. URL : http://regulation.revues.org/9951