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un personnel réduit, peu formé et donc moins coû- teux. De nombreux clubs Basic-Fit ne donnent tout simplement pas de conseils aux clients, confie-t-on au Basic-Fit de Tournai. La réglementation veut en effet que lorsqu’un moniteur intervient pour propo- ser un service d’encadrement, la TVA applicable est de 21%. S’il n’y en a pas, comme on peut le voir dans des salles low-cost, la TVA est de 6% confirme Éric Delchambre, conseiller pédagogique fitness à la Direc- tion générale du sport (ADEPS). Tous les moyens sont bons pour réduire les coûts. Mais selon le professeur d’économie Paul Belleflamme, les salles low-cost ne sont pas moins chères que les salles haut de gamme parce qu’elles réduisent leurs coûts, mais parce qu’elles acceptent d’avoir une marge moins élevée. C’est-à- dire une différence moins importante entre le prix de vente et le coût de revient. Les salles haut de gamme bénéficient simplement d’une demande de consom- mateurs prêts à payer cher. Elles n’ont donc pas besoin de baisser leurs prix et profitent d’une marge élevée. Il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer les consé- quences de l’introduction des salles low-cost sur le marché. Mais le professeur Belleflamme prévoit que si les personnes se sont inscrites dans des salles low- cost sur base du prix, elles risquent de déchanter en réalisant la faible qualité du service. Quelques effets se font d’ailleurs déjà ressentir. De nombreux clients de salles low-cost reviennent dans la salle qu’ils fré- quentaient initialement. C’est en tout cas ce que re- marquent certains gérants de salles plus chères. Ha- drien dirige la salle Axis Wellness à Louvain-la-Neuve et remarque qu’il y a eu un mouvement de clients de- puis l’ouverture de la salle low-cost JIMS, au centre de la ville étudiante. « Certaines personnes sont parties mais sont revenues à cause de la qualité du service et du nombre trop important de clients ». Même son de cloche au Gymnasium, salle milieu de gamme à Ni- velles où, selon le gérant, certains clients sont revenus après avoir essayé le Basic-Fit de Wauthier-Braine. Les clients peuvent également revenir d’une salle low-cost à une autre. C’est le cas du GymFit à An- derlecht, une salle indépendante aux prix très abor- dables (entre 15 et 20€ par mois). Nathalie, employée chez GymFit, constate le même phénomène de retour de la clientèle. Les clients lui confient qu’« il y avait trop de monde chez basic Fit ; ils laissent entrer n’im- porte qui, même des enfants ! Il faisait sale ; il n’y pas de femme de ménage. Ce sont les employés qui nettoient ». L’atout contre le low-cost : le suivi Les clubs qui veulent se différencier l’ont compris : s’ils veulent garder leurs clients – ou en tout cas faire en sorte qu’ils reviennent – le suivi est la clé, à défaut de propo- ser un prix compétitif qui réduit à lui seul le nombre de clients dans la salle. Au Gymnasium de Nivelles, le gérant a toujours misé sur le suivi : les nouveaux clients sont invités à suivre un test cardio-vasculaire et un pro- gramme décliné en trois niveaux de difficulté. Pour les cours collectifs, la salle utilise le logiciel Polar Team qui permet au moniteur de surveiller sur écran géant les fréquences cardiaques de chaque personne sur son vélo. L es salles de sport low-cost font florès en Belgique. Elles ont en apparence tout pour plaire : la proximité, une multitude de ma- chines et, surtout, des prix défiant toute concurrence. Mais elles recouvrent une toute autre réalité. Le service et l’encadre- ment des clients sur lesquels elles rognaient pour être attractives, pourraient bien être leur talon d’Achille. La concurrence l’a bien compris et joue sa dernière carte. La concurrence fait rage entre les salles de sport. Mais surtout entre les clubs « low-cost » des grandes chaines de fitness et les salles de sport indépendantes ou familiales. Cette concurrence est appelée verticale, selon le profes- seur d’économie à l’UCL Paul Belleflamme. « Il s’agit en fait d’une différenciation sur la qualité. On voit coexister une offre de qualité élevée à prix élevé et une offre de qua- lité faible à prix faible ». Le professeur constate qu’il est difficile d’entrer sur un marché occupé par un segment haut de gamme. « Les nouveaux arrivants doivent propo- ser un autre rapport qualité/prix. Cette stratégie permet de se faire une place sur ce marché, même si elle moins profitable pour le commerçant que la stratégie d’entrer sur le marché avec une qualité élevée. La différenciation permet en fait de réduire l’intensité de la concurrence ». Pour proposer un prix aussi faible, les salles low-cost doivent avant tout s’installer dans un lieu où le loyer est faible. Ces salles font partie de grandes chaines de fitness et parviennent ainsi à bénéficier de réductions sur l’achat des machines. Elles peuvent aussi tabler sur Les dessous des salles lowcost 1 - Enquête Enquête - 2

Les dessous des salles low-cost

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Page 1: Les dessous des salles low-cost

un personnel réduit, peu formé et donc moins coû-teux. De nombreux clubs Basic-Fit ne donnent tout simplement pas de conseils aux clients, confie-t-on au Basic-Fit de Tournai. La réglementation veut en effet que lorsqu’un moniteur intervient pour propo-ser un service d’encadrement, la TVA applicable est de 21%. S’il n’y en a pas, comme on peut le voir dans des salles low-cost, la TVA est de 6% confirme Éric Delchambre, conseiller pédagogique fitness à la Direc-tion générale du sport (ADEPS). Tous les moyens sont bons pour réduire les coûts. Mais selon le professeur d’économie Paul Belleflamme, les salles low-cost ne sont pas moins chères que les salles haut de gamme parce qu’elles réduisent leurs coûts, mais parce qu’elles acceptent d’avoir une marge moins élevée. C’est-à-dire une différence moins importante entre le prix de vente et le coût de revient. Les salles haut de gamme

bénéficient simplement d’une demande de consom-mateurs prêts à payer cher. Elles n’ont donc pas besoin de baisser leurs prix et profitent d’une marge élevée.Il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer les consé-quences de l’introduction des salles low-cost sur le marché. Mais le professeur Belleflamme prévoit que si les personnes se sont inscrites dans des salles low-cost sur base du prix, elles risquent de déchanter en réalisant la faible qualité du service. Quelques effets se font d’ailleurs déjà ressentir. De nombreux clients de salles low-cost reviennent dans la salle qu’ils fré-quentaient initialement. C’est en tout cas ce que re-marquent certains gérants de salles plus chères. Ha-drien dirige la salle Axis Wellness à Louvain-la-Neuve et remarque qu’il y a eu un mouvement de clients de-puis l’ouverture de la salle low-cost JIMS, au centre de la ville étudiante. « Certaines personnes sont parties mais sont revenues à cause de la qualité du service et du nombre trop important de clients ». Même son de cloche au Gymnasium, salle milieu de gamme à Ni-velles où, selon le gérant, certains clients sont revenus après avoir essayé le Basic-Fit de Wauthier-Braine. Les clients peuvent également revenir d’une salle low-cost à une autre. C’est le cas du GymFit à An-derlecht, une salle indépendante aux prix très abor-dables (entre 15 et 20€ par mois). Nathalie, employée chez GymFit, constate le même phénomène de retour de la clientèle. Les clients lui confient qu’« il y avait trop de monde chez basic Fit ; ils laissent entrer n’im-porte qui, même des enfants ! Il faisait sale ; il n’y pas de femme de ménage. Ce sont les employés qui nettoient ».

L’atout contre le low-cost : le suivi

Les clubs qui veulent se différencier l’ont compris : s’ils

veulent garder leurs clients – ou en tout cas faire en sorte

qu’ils reviennent – le suivi est la clé, à défaut de propo-

ser un prix compétitif qui réduit à lui seul le nombre

de clients dans la salle. Au Gymnasium de Nivelles, le

gérant a toujours misé sur le suivi : les nouveaux clients

sont invités à suivre un test cardio-vasculaire et un pro-

gramme décliné en trois niveaux de difficulté. Pour les

cours collectifs, la salle utilise le logiciel Polar Team qui

permet au moniteur de surveiller sur écran géant les

fréquences cardiaques de chaque personne sur son vélo.

Les salles de sport low-cost font florès en Belgique. Elles ont en apparence tout pour plaire : la proximité, une multitude de ma-

chines et, surtout, des prix défiant toute concurrence. Mais elles recouvrent une toute autre réalité. Le service et l’encadre-ment des clients sur lesquels elles rognaient pour être attractives, pourraient bien être leur talon d’Achille. La concurrence l’a bien compris et joue sa dernière carte.La concurrence fait rage entre les salles de sport. Mais surtout entre les clubs « low-cost » des grandes chaines de fitness et les salles de sport indépendantes ou familiales. Cette concurrence est appelée verticale, selon le profes-

seur d’économie à l’UCL Paul Belleflamme. « Il s’agit en fait d’une différenciation sur la qualité. On voit coexister une offre de qualité élevée à prix élevé et une offre de qua-lité faible à prix faible ». Le professeur constate qu’il est difficile d’entrer sur un marché occupé par un segment haut de gamme. « Les nouveaux arrivants doivent propo-ser un autre rapport qualité/prix. Cette stratégie permet de se faire une place sur ce marché, même si elle moins profitable pour le commerçant que la stratégie d’entrer sur le marché avec une qualité élevée. La différenciation permet en fait de réduire l’intensité de la concurrence ».Pour proposer un prix aussi faible, les salles low-cost doivent avant tout s’installer dans un lieu où le loyer est faible. Ces salles font partie de grandes chaines de fitness et parviennent ainsi à bénéficier de réductions sur l’achat des machines. Elles peuvent aussi tabler sur

Les dessous des salles lowcost

1 - Enquête Enquête - 2

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Le gérant se félicite d’un tel investissement au vu du suc-cès pour ces cours. Le suivi semble donc payer dans ce club qui compte certains clients inscrits depuis dix ans voire même depuis l’ouverture, il y a près de vingt ans. « Je suis payé pour encadrer les clients. Mon boulot, c’est d’être en salle, pas derrière mon bureau. Je travaille ici depuis dix ans, je connais tous les prénoms de mes clients. Ici, il n’y a pas de portique, mais une poignée de main ou une bise ». Quand le gérant a appris officieusement qu’une salle Ba-sic-Fit allait bientôt s’installer dans la ville, il a décidé de proposer durant le mois de février une réduction de 20% sur l’abonnement d’un an. Il reste toutefois persuadé que l’engouement pour le futur concurrent low-cost se tassera bien vite, une année tout au plus. Car malgré l’arrivée à Ni-velles ces dernières années d’un Fit For Fun et d’une salle mi-lieu de gamme Akinoa, le Gymnasium enregistre une hausse des fréquentations pour la cinquième année consécutive.L’Axis Wellness de Louvain-la-Neuve met également un point d’honneur à l’encadrement. Et la tactique paye puisque le club maintient des chiffres stables depuis six ans, malgré la proximi-té des concurrents comme Fitness Club du Parc et JIMS. Ici, le nouveau client est accueilli avec un café et un programme de base. Il revoit ensuite les coaches toutes les six semaines. Le gé-rant de l’Axis Wellness, Hadrien, explique que les coaches « sont toujours en salle. Ils regardent comment les clients s’entrainent et vont les corriger. C’est, à mon avis, une attention et une source de motivation qu’on ne retrouve pas dans les salles low-cost ». « Si les gens n’ont pas un coach qui les attend, ils ne viennent pas » ajoute Delphine, coach personnelle à l’Axis. Outre le coaching, l’espace de relaxation – sauna, hammam, massage, luminothé-rapie – constitue une réelle plus-value du club selon le gérant.

Basic-Fit se repositionne Les salles de sport low-cost Basic-Fit et les salles milieu de gamme Health City appartiennent en fait à la même société hollandaise. La

société a décidé de revoir son positionnement sur le marché belge. Depuis deux ans, la grande majorité des salles Health City sont passées au régime Basic-Fit. Et leurs clients aussi. Aujourd’hui, seules trois salles Health City subsistent en Belgique. Si certains sont ravis de payer désormais leur abonnement trois fois moins cher, d’autres apprécient moyennement ce passage forcé. C’est le cas de Gilles Quoistiaux, client chez Health City à Rogier, devenu Basic Fit. Il constate la disparition de nombreux services : distri-buteur d’eau, savon dans les douches, casiers accessibles avec une carte, certains cours collectifs. Il remarque que les coaches du Ba-sic Fit d’Evere où il se rend également changent très régulièrement. Jérôme, gérant d’un des deniers Health City, à Woluwe Saint-Lambert, analyse les économies réalisées dans les salles Health City désormais passées au low-cost : « le personnel passe de cinq plein temps à un plein temps et plusieurs mi-temps. Il y a donc beaucoup de boulot pour ce personnel en sous-effec-tif. Il y a également moins de cours collectif : de 50 heures, on passe à 15-20 heures par semaine et de plus en plus de cours se suivent sur la télévision ». Il remarque lui aussi que beau-coup de clients reviennent à son club Health City, refroidis par le nombre trop important de personnes dans les Basic-Fit. Le professeur d’économie à l’UCL Paul Belleflamme confirme qu’il peut y avoir un effet de congestion dans les salles de sport. « La qualité de l’offre dépend du nombre de personnes qui fré-quentent la salle. Le retour de bâton d’une politique de bas coûts, c’est la détérioration de la qualité des services. Il peut donc y avoir un effet négatif d’une trop grande popularité : temps d’attente trop long pour une machine, trop de monde aux cours collectifs, etc. ». Ce phénomène renforce alors le positionnement des salles de haute qualité. Ces salles sont chères, moins fréquentées, et donc plus prisées. Le professeur va même jusqu’à imaginer qu’à l’ave-nir, les clients de salles de sport sélects soient prêts à payer plus pour éviter le monde et rester avec des personnes de leur milieu.

Outre la conversion de ses clubs Health City en version low-cost, la chaine hollandaise pro-cède à de nombreux rachats dans la capitale. « Je ne crois pas que l’on puisse ne pas souffrir de la présence de Basic Fit. Sauf si, évidemment, on est au même prix. Ce n’est pas notre cas, nous proposions des abonnements à 50€ » constate amèrement Bernard, gérant de l’Olympic Trai-ning Center à Koekelberg, qui vend sa salle au géant hollandais. « Basic Fit peut compenser ses coûts par des économies d’échelle, ce qu’un petit indépendant ne peut pas faire, que ce soit au niveau publicitaire, matériel, réparations... Je ne crois pas que l’on puisse le faire sans un ré-seau de salles ». Le géant orange du fitness aura donc raison du club indépendant en difficulté financière depuis un an.

Sarkis Geerts

Le low-cost, c’est quoi ?

Le qualificatif de « low cost » est à la mode : col-lez-le à une chaîne de restaurants, à une com-pagnie aérienne ou à une gamme d’offre cosmé-tique, ça fonctionne – et même pire : ça attire.

Mais en matière de sport, qu’est-ce que le « low cost » ? Trois critères reviennent constamment – tant dans les opérations communications des salles de sport que de la bouche des clients : prix, offre matérielle et offre coaching. Une triade qui laisse parfois le client dubitatif, mais pragmatique.

Le prix : le cœur de la communication « low cost »

Quand ils pensent «  low cost  », les clients des salles de sports bon marché pensent immédiatement au prix. Pour Kathleen, 27 ans et cliente bihebdomadaire du Basic Fit de Bruxelles-Central (le vendredi à 18h), ça a été l’argu-ment-clef : « Je n’aurai pas pu y mettre au-dessus de vingt eu-ros mensuel. Les salles à cinquante euros par mois, c’est plus possible ! ». C’est, de fait, le principal critère entendu de la part des clients : en dessous du seuil symbolique des vingt euros, la salle est automatiquement rangée dans le sec-teur des « low cost ». Certaines salles « à prix abordables » comme les définit Nicolas, client quadragénaire du même lieu au même horaire, sont aussi praticables mais plutôt vues comme du « milieu de gamme ». Mais dans le cas de Nicolas, c’est la proximité qui justifie son assiduité à payer l’abonnement mensuel au Basic Fit de la capitale. 19.99 eu-ros : c’est le prix affiché par l’enseigne couleur orange-criard. Quand on y regarde de plus près, le véritable abonnement résiliable mensuellement – celui appelé « Basic-Fit Flex » – vaut en réalité 23.99 euros par mois et impose, surtout, 39.99 euros de frais d’inscription. Le marketing du prix est bien l’élément définitionnel numéro 1 de la salle de sport « low-cost ».

Une concurrence des extrêmes

Les salles « milieu de gamme » auraient plutôt tendance à disparaître. Entendez ces salles qui sont au-dessus des vingt euros établis pour obtenir ce statut – implicite, voire tabou – de « low cost », mais en dessous des cinquante euros fixés comme étant le cap à ne pas franchir pour être considéré comme étant abordable. Les salles demandant au-delà de cette somme sont bien souvent des salles impliquant sauna, jacuzzi ou cours personnalisés dans leur offre. Ce qui n’est typiquement pas le cas des salles Jims, comme le confirme Laurent, gérant du Jims de Louvain-la-Neuve : « Les douches sont en option à deux euros par mois, mais on n’a pas jacuz-zi-sauna-machin et tout ! Je ne gère pas une salle de soixante euros par mois… (…) Les clients doivent avoir leur propre cadenas s’ils veulent fermer leur casier ».

Une offre matérielle relative…et un «  suivi  » quasi inexistant

De fait, pour vingt euros par mois (voire quinze ou bien les fameux 14.95 euros qui font passer la pilule au moment de tirer sa carte du portefeuille), l’offre n’est pas toujours optimale et, surtout, elle suscite questions et curiosités de la part des concurrents. Nathalie est employée d’une salle de sports indépendante et « familiale » à Bruxelles, le Gym Fit : « Basic Fit, son seul tort, c’est qu’ils n’ont pas de femme de ménage : ce sont les employés eux-mêmes qui nettoient. Beaucoup de personnes sont alors revenues chez nous (…). L’hygiène n’est pas vraiment ce qui devrait être dans une salle de fitness. » Et si la qualité des machines peut parfois se faire entendre (notamment par des bruits peu rassurants de huilerie oubliée) c’est surtout l’absence de coaching personnalisé qui marque les esprits. Nicolas, qui fréquentait un club « milieu de gamme » avant de se rabattre sur le Basic Fit de Tournai par souci de proximité avec son domicile, est catégorique  : «  Quand tu rentres au Basic Fit, tu es seul. Tu dis Bonjour à l’entrée, tu passes le portique et c’est tout : ça a beau être une salle de sports où l’on pédale à cinq centimètres de son voisin, t’es seul. A la moindre erreur… ». Résultat  : le client-type est plutôt pragmatique. Une fois inscrit il « tolère » le service four-ni réduit à peau de chagrin. Ce nouveau «  consomma-teur sportif » sait quel type de salle il obtient pour le prix minimal qu’il paie.

Marie Thieffry

3 - Enquête Enquête - 4

Julien Hauchart, gérant du Gymnasium à Nivelles, fait passer un test cardio-vasculaire à chaque nouveau client - ©Sarkis Geerts

Source : sites web des salles, Statbel

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Chacun y trouve son compte  : de l’extrême low cost à la salle haut de gamme en passant par le milieu de classe, c’est la spécialisation des offres en matière de sport qui frappe aujourd’hui. Chaque entreprise vise un public de plus en plus catégorisé qui répond à la demande qui lui est faite – au point, comme Basic Fit et Health City, de relever du même groupe en offrant les deux extrêmes de l’offre sportive. C’est que cette offre est adaptée à un pu-blic de moins en moins flexible et de plus en plus exigeant.

De l’étudiant au travailleur : la stratégie du public-cible

Les publics visés sont clairement ceux qui ont des horaires non conventionnels. Soit : les étudiants pouvant passer à la salle en journée et les travailleurs qui pratiquent le soir ou le week-end. Deux exceptions sont notables, dépendant de l’implantation de la salle. La première : c’est le Jims de Lou-vain-la-Neuve qui vise principalement les jeunes après avoir littéralement créé la demande (les jeunes représentent 40% de la clientèle d’après Laurent, le gérant de la salle) ; la période de rush est clairement celle de 16h-20h lorsque les cours se terminent d’après le gérant. La seconde, le Basic Fit de Bruxelles Gare Centrale où le public est à « 75% fait de quadra qui travaillent et viennent le soir et le week-end » d’après Federica qui est responsable de l’entrée de la salle.

Un mot-clé : fle-xi-bi-li-té

Pour plaire à ce public, le grand atout des salles low cost, c’est leur capacité à s’adapter. Car les clients sont friands de flexibilité : depuis le lancement de l’offre mensuelle du Jims, le succès est au rendez-vous selon Laurent, gérant de la salle à Louvain-la-Neuve. Les clients « ça les arrange » de pou-voir payer un mois complet, quitte à devoir payer un sup-plément au moment de l’inscription comme au Basic Fit, alors que « dans le fitness dans le passé c’était d’office 6 mois / 1 an ». D’après le professeur d’économie de l’UCL Paul Belle-flamme, cette standardisation couplée de « sur-spécialisa

tion » des salles de sports fait partie des lois du marché. Quoiqu’il arrive il y aura toujours une partie du public qui privilégiera des salles de sport spacieuses proposant la qualité et composées de personnes de leur milieu : des-salles haut de gamme pour lesquelles un public spécifique a les moyens de payer pour. D’après ce spécialiste, la seg-mentation du public a eu tendance à s’intensifier depuis la venue sur le marché de ces salles low cost. Bombardant le public de messages promotionnels vantant leur offre de niche, c’est bien cette flexibilité qui attire le futur client.

Un flot de client critique, mais fidèle

Dans l’étude que nous avons menée, une série de com-mentaires critiques étaient récurrents. Le plus récurrent concernait l’hygiène des lieux. Un jeune client de 25-30 ans affirme que «  l’état des vestiaires laisse à désirer », un autre trouve une pratique peu acceptable : « parfois les machines sont plutôt sales et demander aux clients de les nettoyer à la fin de l’entrainement avec du papier est sim-plement ridicule, c’est un pur gaspillage de papier et de temps  ». Le paradoxe  ? Ce sont tous des utilisateurs de longue durée de ces salles qu’ils critiquent eux-mêmes.

Un étudiant en éducation physique va même plus loin dans la critique et remet en question la sécurité de ces lieux de sport : « Je suis très satisfait, j’ai ce que je demande. Je suis par contre interpellé par le manque de coaching pour Monsieur et Madame Toutlemonde. (…) je vois très sou-vent des gens les réaliser dans une position exécrable (vive les problèmes de dos et autres articulations sensibles) sans que le personnel du centre face la moindre remarque. Je ne trouve pas ça normal dans une salle de fitness où la voca-tion première devrait être la santé et le respect du corps ».

Le constat est clair : ce public qui fait le succès des salles low cost est lui-même flexible et accepte les conces-sions. Pour un prix plus bas, il tolère la qualité low cost.

Marie Thieffry

Des conseils de nutrition « souvent illégaux, parfois dangereux »Il n’est pas rare de recevoir quelques recommandations diététiques des coaches dans les salles de fitness. Elles varient d’un simple conseil d’alimentation à la pres-cription d’un plan nutritionnel complet, un acte qui est normalement réservé à un professionnel de la santé. Mais il est rare que ces coaches soient formés dans ce sens. Donner ce genre de conseils n’entre pas dans leur cadre de compétence. Serge Pieters, diététicien du sport et président de l’Union professionnelle des diététiciens de langue fran-çaise, nous explique que « toute personne qui pratique ce genre de chose-là est dans l’illégalité par rapport à cette prescription ». Le terme « coach » signifie d’ailleurs souvent qu’il n’y a aucune formation derrière. Certes, la plupart du temps, les conseils donnés sont sans risque. Mais il faut savoir que cer-taines recommandations peuvent accentuer des problèmes de santé chez certaines personnes si on ne s’est pas rensei-gné avant. « Si quelqu’un a, sans le savoir, un problème ré-nal et qu’un coach lui conseille de prendre des poudres hyper protéinées, la personne pourrait souffrir de complications ré-nales avec des fortes conséquences », poursuit Serge Pieters.

Vitamines et protéines en vitrineUn autre danger rencontré dans les salles de fitness, c’est la prise de complé-ments alimentaires. Le personnel des salles pro-pose à leurs clients des cocktails sur-vitaminés. Il est clair aussi que les sportifs sont souvent de-mandeurs de ce genre de mélanges. De nouveau, le public est rarement bien renseigné. « Il a été dé-montré que la vitamine E augmentait les risques de cancer de la prostate.

Et on sait que des prises im-portantes de vitamines A augmentent les risques de cancer du poumon chez le fumeur », explique le diététicien Serge Pieters. « Quand on voit qu’ils jouent comme ça avec des méga doses de vitamines, on est quand même à la limite de la mal prescription. » Le problème est le même avec la prise de protéines. « J’ai vu récemment un patient qui avait reçu un programme protéiné à sa salle de fitness. Après analyse, son taux de protéine frôlait les 5 grammes par kilogramme et par jour. Or, il faut savoir que la recommandation est de 0,9 gramme par kilogramme… », témoigne-t-il.

Simon Hamoir

« La présence de moniteurs diplômés est cruciale »Dans la plupart des salles Basic Fit, il n’y pas de personnel formé pour don-ner des conseils ou de l’encadrement sportif aux clients. Il leur est d’ailleurs légalement interdit de le faire. Les clients se retrouvent seuls face à leur machine. Professeur Henri Nielens, le fait qu’aucun conseil ne soit don-né n’engendre-t-il pas des blessures ?Oui, c’est sûr. C’est un élément très im-portant, crucial même. Surtout pour quelqu’un qui n’y connait rien et qui veut s’y mettre. Là où les gens doivent être en-cadrés au moins un certain temps, c’est au début évidemment. Sur un appareil de musculation, on doit connaître le positionnement, le choix des charges, du nombre de répétition. On ne peut pas in-venter ça tout seul si on n’y connait strictement rien. Si le prix est raboté en bradant la qualité du personnel qui encadre les sportifs, c’est préoccupant. Dans une salle de fitness plus traditionnelle, il y a souvent 1 ou 2 moniteurs qui tiennent les sportifs à l’œil pour s’assurer que des erreurs ne soient pas faites. C’est un certain facteur de sécurité. Je ne connais pas le contenu du coaching virtuel des salles lowcost, mais il y a clairement un risque supplémentaire en termes de sécurité, de positionne-ment sur les machines et donc de potentielle blessure. Le dan-ger vient quand on se lance dans l’escalade de charges lourdes.

Quelles sont les blessures qui reviennent le plus souvent chez les pratiquants du fitness ?

Fondamentalement, il y a tout ce qui est blessure de l’appareil locomoteur : les tendinites, les problèmes de dos, d’épaules, les problèmes de genoux liés au ménisque si on utilise des charges trop lourdes. C’est toujours en rapport avec de la musculation à charge trop lourde. Beaucoup de jeunes vont faire du fitness uni-quement pour avoir un plus bel aspect, avoir des pectoraux, des muscles, pour être plus beaux. C’est l’effet plage. Plus on veut faire une musculation « plage », plus il faut soulever des charges lourdes. Et quand on entre dans cette dynamique-là, on se retrouve un jour ou l’autre avec des problèmes de dos ou d’autres douleurs.

L’expansion des salles bon marché est-elle une bonne chose ?

D’un point de vue médecin du sport, je dirais que le danger, c’est surtout de ne pas faire d’activité physique. Tout procédé, tout moyen, toute initiative qui rend le sport accessible pour le plus de gens, c’est très bien et on s’en félicite. Si on réussit à pro-poser un service à peu de choses près équivalent à des salles plus chères, on doit s’en féliciter. En termes d’exercice, si on fait du sport correctement, qu’on le fasse à l’intérieur ou dehors, c’est équivalent sur le plan physiologique, organisme ou santé.

Propos recueillis par Simon Hamoir

La santé, un enjeu primordial

Le Professeur Henri Nielens, directeur médi-cal adjoint des cliniques universitaires Saint-Luc, médecin du sport et professeur à l’Université catholique de Louvain.

- ©Simon Hamoir

5 - Enquête Enquête - 6

Des protéines en vente dans une salle lowcost. - ©Simon Hamoir

Source : données récoltées via sondage

Ces salles de sports qui attirent un public bien précis

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L’Axis Wellness à Louvain-la-Neuve propose 75 cours collectifs sur la semaine. Aucun n’est virtuel- ©Sarkis Geerts

Enquête - 87 - Enquête

L’horaire des cours collectifs de Basic Fit Tournai : uniquement des cours virtuels - Capture d’écran Basic-fit.be

Pièces d’enquêteEn 2013, la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB), sous l’impulsion d’André Antoine, alors ministre wallon du sport, adopte un décret qui octroie un label de qualité aux clubs de fitness qui le désirent. Ces clubs doivent respecter certaines conditions comme l’obligation d’employer des moniteurs de sport dont la formation est reconnue par la FWB. Le gérant du club doit contracter une assurance en responsabilité civile, tenir un règlement d’ordre intérieur ou encore interdire la vente de produits dopants.

Le décret devrait entrer en vigueur dans les pro-chains mois, affirme Pierre Wiliquet, responsable de la cellule sport au cabinet de l’actuel ministre wallon du sport René Collin. « Je pense que ce sont plus les salles indépendantes qui verront l’intérêt de ce label parce que ça leur donnera une visibilité et

une caution supplémentaire. Je pense que certaines personnes vont se diriger vers les salles qui auront ce label de qualité » affirme M. Wiliquet. Pour le pro-fesseur d’économie à l’UCL Paul Belleflamme, les salles qui offrent de la qualité élevée ont intérêt à ce que la qualité soit connue. « Ce label peut jouer ce rôle-là, surtout s’il est administré par une institution. S’il fonctionne, cela augmentera la différenciation verticale et le consommateur sera prêt à payer plus pour une salle qui possède le label ».

Du côté des clubs de sport, l’avis sur le label est mi-tigé. Pour Julien, gérant d’une salle familiale, il est difficile de savoir si le suivi est réellement de quali-té. « Un coach diplômé peut très bien ne pas encadrer ses clients. À la limite, les clients devraient eux-mêmes décider d’octroyer ou non le label au club ».

Sarkis Geerts

Salle indépendante - Pour Pierre Wiliquet, du cabinet de René Collin ministre des sports de la Fédération Wallo-nie-Bruxelles : «les salles indépendantes verront plus l’intérêt du label pour se démarquer ». ©Sarkis Geerts

Un label pour les salles de qualité, de quoi se démarquer