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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Les deux visions de Constantin Author(s): André Brasseur Source: Latomus, T. 5, Fasc. 1/2 (JANVIER-JUIN 1946), pp. 35-40 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41516508 . Accessed: 14/06/2014 06:00 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.162 on Sat, 14 Jun 2014 06:00:14 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les deux visions de Constantin

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Les deux visions de ConstantinAuthor(s): André BrasseurSource: Latomus, T. 5, Fasc. 1/2 (JANVIER-JUIN 1946), pp. 35-40Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41516508 .

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Lactance, parlant de Constantin au Pont Milvius (*) écrit : Commonitus est in quiete Constantinus ut caeleste signum Dei no- tant in scutis9 atque ita proelium committeret. Fecit ut iussus est et transversa X littera, summo capite circumflexo, Christum in scutis notât. Quo signo armatus exercitus capit ferrum. La ba- taille est livrée et Constantin est vainqueur. M. Henri Grégoire (2), passant en revue toute une série d'arguments, trouve que « Lac- tance ne nous offre qu'une première version d'une légende qui naquit à son époque » et tend à démontrer que Lactance attes- tant ce songe de Constantin ne dit pas la vérité.

Il examine d'abord une lettre de Cyrille, évêque de Jérusalem (3). En 351, « un météore lumineux en forme de croix parut à l'Orient et les contemporains virent dans ce prodige un présage de la vic- toire décisive de Constance II sur Magnence (bat. de Mursa 351) ».

L'évêque Cyrille, « annonçant ce prodige à Constance, poursuit M. Grégoire, ne craint pas de lui dire que la glorieuse vision dont il fut honoré le met bien au-dessus de son père Constantin. Celui-ci en effet aurait trouvé la croix dans les entrailles de la terre, tan- dis que Constance, lui, aurait vu, faveur bien plus grande refusée à Constantin, le signe du salut resplendir au ciel en plein jour » (4).

M. Grégoire continue en constatant (p. 255) « qu'un grand évê-

que palestinien connaissait la légende de l'Invention de la Croix

par Constantin, mais n'avait jamais entendu parler de la vision miraculeuse ignorée par Eusèbe lui-même dans son Histoire ecclé-

siastique .

(1) Lactance, Ďe mortibus persečutorum, edit. Corpus Scriptor. Ecclesias - ticorum (Vienne, 1897), p. 223.

(2) La f conversion » de Constantin dans Revue de V Université libre de Bru- xelles , t. 36 (1931), pp. 231 sqq. Tous les rétroactes de l'affaire y sont expo- sés d'une manière claire, convaincante et neuve.

(3) Miqne, P. G., t. 33, col. 1165. (4) H. Grégoire, op . cit., p. 254.

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Qu'entend M. Grégoire par ces mots : vision miraculeuse ? Què Constantin avait eu un « songe au chrisme » en 321 ? Je ne vois pas ce que la mention de ce songe viendrait faire ici : avec une vision concernant Constance II où la croix était apparue, seul un épisode de la vie de Constantin où la croix intervenait aussi était à mettre en parallèle, en l'espèce sa découverte de la croix. Dès lors, rien ne prouve que Cyrille, pour ne pas en avoir fait mention ici, ne connaissait pas le prodige de 312.

Que Constantin avait eu une « vision à la croix » ? Mais personne avant Cyrille ne connaissait cette histoire tardive ni n'en parlait, puisqu'elle n'avait jamais eu lieu. Cyrille nous eût donc bien surpris en en parlant. Autre argument de M. Grégoire : il existe une Vita Constantini , attribuée à Eusèbe, mais dont l'authenticité est chancelante. Cette Vita nous raconte qu'avant le départ pour l'Italie, «au début de l'après-midi,» Constantin aurait «vu de ses propres yeux, dans le ciel , au-dessus du soleil, le trophée de la croix, fait de lumière, accompagné d'une inscription : « Vaincs par ceci ». Le lendemain, « pendant son sommeil, le Christ lui apparut, porteur du signe qu'il avait vu le matin, et l'invitant à le reproduire et à s'en servir comme talisman guerrier dans les combats » i1). La Vita continue en nous donnant la description du labaron inscrit d'un X et d'un P entrelacés.

« Le récit de la Vita , dit M. Grégoire, n'a nullement l'air de se référer au même événement que le songe de Lactance ». J'en con- viens entièrement, mais ce n'est pas une raison suffisante pour rejeter Lactance en bloc et son historicité en même temps. On parle dans la Vita de choses qui se sont passées en Gaule, avant le départ de Constantin pour l'Italie ; il y a un « songe à la croix » allié à une « vision au chrisme » : tout ceci sent le remaniement, tout ceci est truqué. Pourquoi et comment? C'est bien simple à mon avis.

Si nous restons le plus possible dans l'hypothèse énoncée par M. Grégoire, pp. 254 svv., hypothèse suivant laquelle la Vita , pu- bliée après la mort d'Eusèbe, serait « un récit remanié qui con- tient plus d'un élément adventice et tardif », le remanieur de cette Vita était postérieur à la lettre de Cyrille, tellement même que, si cette lettre est apocryphe, la Vita recule immédiatement à la fin du ive siècle (ibid., p. 255).

(1) Eusèbe (?), De uita Constantini , I, 28-29.

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Dès lors, quoi de plus naturel que d'affirmer que ce remanieur de la Vita , « lecteur de Cyrille », trouvant qu'en effet Constantin méritait bien lui aussi d'avoir vu une croix lumineuse, lui a voulu octroyer une vision de ce genre, et que celle qui se trouve dans la Vita est alors de sa propre main. Dans son souci de bien faire, et de réhabiliter son héros, il avance la preuve de l'authenticité de son récit : « Si ce récit, dit-il, était fait par quelqu'un d'autre, les lecteurs lui accorderaient difficilement leur confiance, mais puisque c'est l'auguste vainqueur lui-même qui me l'a raconté après que j'étais devenu son intime et son familier, et qu'il a ga- ranti ses dires par un serment religieux , qui, après cela, n'accorde- rait crédit à cette narration ? » On ne pouvait rien trouver de mieux comme preuve de naïve duplicité que ce suave « serment religieux ».

De plus, il surenchérit sur le prodige décrit par Cyrille : ici c'est le Christ lui-même qui intervient dans le songe de Constantin et l'engage, en lui montrant la croix, à vaincre par ce signe.

Le songe « à la croix » est un remaniement manifeste d'une Vita primitive dont l'auteur parlait d'un « songe au chrisme » en 312, comme Lactance. Dans l'esprit où travaillait notre remanieur, le chemin n'était pas long de l'un à l'autre. Quand on admettait que Constantin avait eu une vision diurne portant sur une croix, celle qu'il avait eue pendant la nuit suivante (chose curieuse, ce « complément d'information » !) ne pouvait, elle aussi, porter que sur une croix. Le remanieur remplaçait par ces deux nouveautés la vision de 312, devenue trop vieux jeu depuis le prodige du Gol- gotha. La preuve en est que le chrisme (ou ce que nous appelons ainsi pour la facilité) ne disparaît pas complètement de la version dernière : il y apparaît sous la forme d'un X et d'un P à poser avec la croix sur le labaron.

Pour ce qui est de ce labaron, qui, dans la Vita remplace les scu ta de Lactance, je trouve sa mention très plausible dans un ouvrage tardif que commençaient à influencer bien des confusions, à base de propagande religieuse sans doute. Parmi celles-ci, je ne citerai que celle qui dut naître des pirouettes apologétiques de Ter- tullien i1). Elle est célèbre, mais elle n'est pas la première en

(1)- Tertullien, Apologétique , XVI, 6 : Religio tota castrensis signa vene - ratur , signa adorat , signa jurat , signa omnibus deis praeponit. Omnes illi ima - ginum suggestus in signis monilia crucum sunt ; siphara illa vexillorum et can - tabrorum stolae crucum sunt. Laudo diligentiam : noluistis incultas et nudas cru- ces consecrare !

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date О- A. ce point de nos recherches, nous pouvons conclure que rien ne s'oppose à ce que Constantin ait eu une vision au Pont Milvius. Je sais qu'on peut toujours m' opposer qu'Eusèbe est com- plètement muet sur ce point : j'y reviendrai d'ailleurs bientôt. Mais voici qu'une nouvelle objection retient mon attention : Con- stantin n'avait aucune raison de se montrer pro-chrétien au moment d'engager la lutte décisive contre Maxence, que toute la littérature religieuse de l'époque a représenté comme un empereur tolérant et jouant même le rôle de bras séculier dans les démêlés intérieurs de l'Église d'alors. S'il fut tyran, ce fut dans ce rôle et dans son zèle à le remplir à la lettre.

J'en conviens parfaitement. Mais si tous ces arguments inter- disent à Constantin d'avoir eu au Pont Milvius un songe chrétien, lui interdisent-ils d'avoir eu un songe tout court? Et d'autres faits, de simples nécessités militaires, ne l'y obligeaient-ils pas? Car si on parle uniquement stratégie, et si on relit Eusèbe (2) et surtout les précisions de Lactance lui-même, la partie n'était pas très égale entre Constantin et Maxence : Plus virium Maxentio erat , quod et patris sui exercitum receperat a Severo , et suum pro- prium de Mauris atque Italis nuper extraxerat (3). Il s'agissait donc de compenser l'infériorité numérique par un moral éprouvé, de démontrer aux soldats que l'étoile du chef était encore loin de pâlir. Or, en 310 (4) Constantin, ralliant Trêves après avoir été combattre Maximien Hercule, a vu « Apollon son dieu, accompagné de la victoire, lui offrant des couronnes de laurier qui apportent chacune le présage de trente années de règne ». Voilà donc dès cette date Constantin, assuré miraculeusement d'un règne pour ainsi dire éternel. Les soldats le savent et suivant un rite militaire abondamment attesté par la numismatique, peut-être ont-ils gravé sur leurs boucliers des vœux pour 30 ans (6). Ceci étant, met- tons que, la veille de notre bataille, Constantin ait été averti en songe de faire inscrire sur les boucliers les lettres V et P entre-

il) Saint Justin, 1* Apologie , LV, cité par H. Grégoire, La statue de Constantin et le signe de la croix dans V antiquité classique, t. I (1932), p. 140.

(2) Hist, ecclés. . IX, 9, 3. (3) Lact., op. cit., 44,2. (4) Panegyrici latini, VII, 21, p. 177, éd. Baehrens (Leipzig, 1887), (5) H. Grégoire, op. cit., pp. 257 et 258.

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lacées, ce qui signifie Victoria perpetua ou Victoria principis per- petua , et est autorisé tant par la numismatique 0 que par les exemples et les détails que nous fournit Végèce (2). Nous imagi- nerons aisément de la sorte un signe VP ; il sera la suite logique des vota de 310 et en même temps le signe de ralliement des légion- naires de Constantin. Car il en fallait un. Dans une mêlée comme celle qui s'annonçait et où la guerre civile opposait des soldats, sinon de même race, du moins de même formation et por- tant même uniforme, il fallait un signe distinctif. Ce pourrait être un mot de passe, dans une opération d'avant-garde ou de patrouille. Dans la bagarre, le signum mutum est préférable. On le place généralement sur les armes, et le bouclier, qui présente à l'adversaire une surface large et unie, constitue un emplacement de choix. Et le chrisme direz- vous, où le mettrez- vous ?

A M. Grégoire on posait autrefois une question similaire à propos du salutare signum de la statue de Constantin (3). Il n'a eu aucune difficulté d'y répondre : c'est le vexillum déformé par Eusèbe grâce à une déformation (combien légère!) de la vérité. Je crois que, de la même manière, les chrétiens de l'époque ont suggéré à Lac-

. tance sa pieuse mystification. Le signe VP, en tirant un peu sur les branches du V, vers le bas bien entendu, est devenu XP sous leur main zélée (4). Et l'auteur du De mortibus n'a plus eu qu'à cueillir - avec délicatesse - un fruit presque mûr. Il a donc repris l'affaire, le songe de Constantin. Notons qu'il s'est bien gardé de dire qui l'heureux dormeur avait vu en songe : n'aurait-il pas soulevé des contestations à si peu de distance d'événements encore si récents? N'en a-t-il pas soulevé malgré tout, et ces mots indiscrets : caeleste signum Dei , Christum , n'ont-ils pas attiré à leur auteur de cinglants démentis? Et n'est-ce pas pour cette raison qu'Eusèbe, reprenant douze ans plus tard le travail amorcé, dans le même dessein de faire de Constantin un christianophile d'avant 313, évite de relancer un lièvre malheureux pour en sou- lever un autre, celui du vexillum , sans songe cette fois?

(1) H. Grégoire, ibid. (2) Cf. De re militari , 3,5, sunt et alia muta signa , quae dux in

equis , aut indumentis et in i p s i s ar mi s praccipit custodiri. (3) La statut de Constantin et le signe de la croix dans L'antiquité classique ,

t. I (1932). (4) Cf. H, Grégoire, op. cit., p. 258.

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Du reste, n'eussent été toutes ces coïncidences, tous ces rappro- chements naturels ou forcés, toute cette littérature apologétique, jamais le songe du Pont Mulvius n'aurait eu un tel retentissement : les stratagèmes de ce genre étaient chose banale, et il y fallait vrai- ment un procédé original pour que mention spéciale en fût faite. Ce qui nous amène à conclure, maintenant que tout semble ren- tré dans l'ordre, par le mot de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien.

Bruxelles . André Brasseur,

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