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es dveloppements rcents de la recherche en ducation ont permis de susciter diverses rflexions pdagogiques et didactiques et de proposer plusieurs approches novatrices reconnues. Les nouveaux courants de recherche donnent lieu un dynamisme et une crativit dans le monde de lducation qui font en sorte que les proccupations ne sont pas seulement orientes vers la recherche applique et fondamentale, mais aussi vers llaboration de moyens dintervention pour le milieu scolaire.

Les Presses de lUniversit du Qubec, dans leur dsir de tenir compte de ces intrts diversifis autant du milieu universitaire que du milieu scolaire, proposent deux collections qui visent rejoindre autant les personnes qui sintressent la recherche (ducation-RecheRche) que celles qui dveloppent des moyens dintervention ( ducation inteRvention). Ces collections sont diriges par madame Louise Lafortune, professeure au Dpartement des sciences de lducation de lUniversit du Qubec Trois-Rivires, qui, forte dune grande exprience de publication et trs active au sein des groupes de recherche et dans les milieux scolaires, leur apporte dynamisme et rigueur scientifique. ducation-RecheRche et ducation-inteRvention sadressent aux personnes dsireuses de mieux connatre les innovations en ducation qui leur permettront de faire des choix clairs associs la recherche et la pdagogie.

professionnelles

Les critures en situations

Presses de LUniversit dU QUbec Le delta i, 2875, boulevard Laurier, bureau 450 Qubec (Qubec) G1v 2M2 tlphone : 418-657-4399 tlcopieur : 418-657-2096 courriel : [email protected] internet : www.puq.ca diffusion / distribution : CANADA et autres pays

Prologue inc. 1650, boulevard Lionel-bertrand boisbriand (Qubec) J7H 1n7 tlphone : 450-434-0306 / 1 800 363-2864FRANCE AFPu-diFFuSion SodiS BElgIqUE PAtrimoine SPrl 168, rue du noyer 1030 bruxelles belgique SUISSE

ServidiS SA

chemin des chalets 1279 chavannes-de-bogis suisse

La Loi sur le droit dauteur interdit la reproduction des uvres sans autorisation des titulaires de droits. Or, la photocopie non autorise le photocopillage sest gnralise, provoquant une baisse des ventes de livres et compromettant la rdaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels. Lobjet du logo apparaissant ci-contre est dalerter le lecteur sur la menace que reprsente pour lavenir de lcrit le dveloppement massif du photocopillage .

Collection duCation-intervention

professionnellesSous la direction de

Les critures en situations

FRANoise cRos LoUise LAFoRTUNe MARTiNe MoRisse

2009 Presses de lUniversit du QubecLe Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450 Qubec (Qubec) Canada G1V 2M2

Catalogage avant publication de Bibliothque et Archives nationales du Qubec et Bibliothque et Archives Canada vedette principale au titre : Les critures en situations professionnelles (collection ducation intervention ; 26) comprend des rf. bibliogr. isbn 978-2-7605-2378-4 1. enseignement professionnel. 2. criture. 3. Qualifications professionnelles. 4. Pratique professionnelle. 5. Professionnalisation. i. cros, Franoise. ii. Lafortune, Louise, 1951- . iii. Morisse, Martine. iv. collection: collection ducation intervention ; 26. Lc1060.e37 2009 378'.013 c2009-940511-3

nous reconnaissons laide financire du gouvernement du canada par lentremise du Programme daide au dveloppement de lindustrie de ldition (PAdie) pour nos activits ddition. La publication de cet ouvrage a t rendue possible grce laide financire de la socit de dveloppement des entreprises culturelles (sOdec).

Intrieur Mise en pages : inFo 1000 motS Couverture conception : richArd hodgSon illustration : m.c. eScher, Drawing hands, 1948, Lithographie.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2009 9 8 7 6 5 4 3 2 1Tous droits de reproduction, de traduction et dadaptation rservs 2009 Presses de lUniversit du Qubec dpt lgal 1er trimestre 2009 bibliothque et Archives nationales du Qubec / bibliothque et Archives canada imprim au canada

C h a p i t r e

Table des matiresen situations professionnelles..............Franoise Cros, Louise Lafortune et Martine Morisse

Introduction Rflexions sur les critures

1 10

Bibliographie................................

Partie 1 Lcriture comme instrument de dveloppement professionnel..................Chapitre 1

11

Un journal daccompagnement dun changement comme outil dcriture rflexive professionnalisante...............Louise Lafortune

13 16 18

1 . Un accompagnement-recherche-formation dun changement ............................. 2 . Processus permettant de garder des traces et criture rflexive dans laccompagnement : perspective conceptuelle......................

viii

Les critures en situations professionnelles

2 .1 . Garder des traces, un moyen de retour rflexif sur sa pratique professionnelle...... 2.2. Lcriture rflexive dans laccompagnement.................. 3. Deux dispositifs dcriture : fiches rflexives et journal daccompagnement... 3.1. Fiches rflexives......................... 3 .2 . Le journal daccompagnement............. 4. Journaux daccompagnement : une premire exploration des rsultats relatifs au processus dcriture................. 5 . Des moyens de susciter lcriture dans la formation et laccompagnement......... Conclusion.................................. Bibliographie................................ Chapitre 2

18 22 24 25 26 29 33 35 37

Les crits professionnels des enseignants : entre prescrit et rel, entre individuel et collectif..................................Bertrand Daunay et Martine Morisse

41 45 46 48 51 54 55 56 60 62

1 . Les tensions entre le prescrit et le rel, entre le connu et linconnu.................... 1 .1 . La minoration par les enseignants de lcrit professionnel .................... 1.2. Le cahier de textes de la classe dans le secondaire....................... 1.3. La fiche de prparation dans le primaire.... 1.4. En conclusion : lexcutant autonome....... 2 . Des pratiques singulires, solitaires et plurielles................................. 2.1. La fabrication de supports de cours : une activit artisanale motive par ses destinataires...................... 2 .2 . Un solitaire entour ................... 2.3. Une conception interactive de lapprentissage.......................

Table des matires

ix2.4. En conclusion : la singularit des activits scripturales dans un univers complexe ...... 64 64 68 69

3. Des pistes de rflexion en formation sur les pratiques scripturales des enseignants.... Conclusion.................................. Bibliographie................................ Chapitre 3

Caractristiques et fonctions de lcriture sur lactivit professionnelle : lclairage des pratiques de VAE en France............Patricia Champy-Remoussenard

73 75 77 83 83 85 87 89 90 90 92 93 94

1. Le langage et laccs au travail rel............. 2. Lcriture sur lactivit dans la VAE............ 3. Lcriture sur lactivit ; un genre de discours particulier................ 3.1. Caractristiques majeures de lcriture sur lactivit............................. 3 .2 . Phnomnes de mise en conformit........ 3.3. Lcriture sur lactivit, un discours issu dun mtissage entre lcrit et loral ......... 3 .4 . Une nonciation diffre de laction........ 4. Lactivit et sa description..................... 4 .1 . Le rcit comme forme de description de lactivit............................. 4 .2 . Les mailles de la description............ Conclusion et perspectives.................... Bibliographie................................ Chapitre 4

Traces de cheminement soumises des tiers : des dfis de lcriture professionnelle en relation daide une tude de cas........Marie Cardinal-Picard et Rachel Blisle

97 102 102 105

1. Lcriture dans la relation daide : tension entre lindividuel et le social................... 1 .1 . Lcriture en relation daide............... 1.2. Rencontre de lindividuel et du social dans les critures professionnelles : approches thoriques clairantes...........

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Les critures en situations professionnelles

2. Traces de cheminement dans les activits dcriture en orientation...................... 2 .1 . tre conseillre ou conseiller dorientation en milieux communautaires............... 2.2. Les documents en support aux traces de cheminement......................... 2 .3 . Des crits pour plusieurs destinataires potentiels............................... 2.4. Des critures traverses par plus dune logique daction................... 2.5. Des critures sinscrivant dans le temps..... 2.6. La participation des activits dcriture la relation daide....................... 3 . Interprtation des rsultats.................... Conclusion.................................. Bibliographie................................ Chapitre 5

108 108 110 111 112 114 114 116 118 120

La carte ne concidera jamais avec le territoire : crire une thse........... 125Franoise Cros

1. Lcriture scientifique........................ 2 . Le discours de la thse........................ 3 . Une hypothse, celle du pari de la pense....... 4. Des pratiques de thsards rvlatrices dune pense nouvelle........................ 4.1. Un exemple de pratique ordinaire du thsard : la prise de notes lors de la lecture.......... 4.2. Un second exemple de pratique ordinaire du thsard : le recueil de donnes.......... 4.3. Une autre pratique ordinaire : celle de la relation entre le thsard et son directeur.......................... 5. Quelques retombes et effets pratiques de cette recherche............................ 5.1. Ceux portant sur le processus dcriture du doctorant............................ 5.2. Ceux portant sur les processus daccompagnement de la thse............

130 132 134 138 139 141 142 144 144 146

Table des matires

xiPour conclure ................................ Bibliographie................................ 148 149

Partie 2 Lcriture comme instrument de professionnalisation.............................Chapitre 6

153

Lcriture professionnelle denseignants confirms dans un contexte de formation continue oblige.......................... 155Marie-Christine Pollet

1. Le contexte institutionnel..................... 1 .1 . Le premier dispositif..................... 1.2. Balises pour lanalyse des travaux .......... 1.3. Les travaux : quelques lments danalyse... 2. Vers une criture de recherche................. Conclusion et perspectives.................... Bibliographie................................ Chapitre 7

160 161 163 165 168 170 171

Apprendre et se dvelopper travers lcriture du mmoire en formation dadultes : utopie ou possible ralit ? .................. 175liane Godelet

1. Les facults pour adultes luniversit, un contexte dcriture particulier............... 2. Prcisions mthodologiques : une approche exploratoire et historisante.................... 3 . Du geste dcriture lacteur social............. 4. Lcriture du mmoire : la possibilit dun lien entre apprentissage et dveloppement.......... 5 . Reprsentations du mmoire et registres voqus ........................... 5.1. crire un mmoire, de lpreuve luvre............................... 5 .2 . Construire sa pense et sengager, des registres imbriqus...................

178 179 180 182 183 183 184

xii

Les critures en situations professionnelles

6. Quelques particularits de lcriture du mmoire en formation dadulte............. 6 .1 . Une posture dcriture particulire......... 6.2. Lcriture du mmoire : une pratique scripturale insre dans une pratique sociale................. 6.3. Construire une identit nonciative........ 6 .4 . Les limites matrielles et temporelles du processus dcriture................... 6.5. Lcriture du mmoire : une pratique doublement pistmique...... 6.6. crire un mmoire : une voie possible de professionnalisation................... 7. Accompagner le processus de recherche des tudiants adultes......................... 7.1. Accompagner : quelques pistes de rflexion............................. 7 .2 . Des critures intermdiaires lcriture dfinitive..................... 7.3. Accompagner lcriture du mmoire au-del du cognitif....................... 7 .4 . Une posture ajuster..................... 7.5. Accompagner entre apprentissage et dveloppement, entre trajectoire et cheminement .......................... Pour conclure............................... Bibliographie................................ Chapitre 8

186 186 188 189 190 191 192 194 195 196 196 197 198 199 201

Le portfolio de dveloppement professionnel luniversit : enjeux et significations..................... 205France Merhan

1. Les crits professionnalisants luniversit : un genre discursif difficile dfinir............ 2. Le portfolio : un genre dcrit professionnalisant composite qui se dfinit en fonction dun contexte ...................... 2 .1 . Le portfolio : un genre souple et une dmarche dcriture htrogne ......

208 210 210

Table des matires

xiii2.2. Le portfolio lUniversit de Genve : caractristiques......................... 212 214 214 217 219 219 220

3. La rdaction du portfolio par les tudiants : un exercice rflexif et dialogique ouvrant deux types de discours...................... 3.1. Points de vue des tudiants sur lcriture du portfolio............................ 3.2. Le portfolio : un tissage de deux types de discours .............................. 4 . La rdaction du portfolio comme processus de mise en sens de lexprience professionnelle.. 4 .1 . Un enjeu motionnel fort centr sur la notion dpreuve................... 4 .2 . Un enjeu de construction identitaire........

5 . Implications pour le dispositif daccompagnement universitaire lcriture du portfolio ............ 224 Conclusion.................................. Bibliographie................................ Conclusion Rflexion sur des particularits 225 226

de lcriture en situation professionnelle... 231Sylvie Frchette, Kathleen Blanger et Reinelde Landry

1 . Outil de professionnalisation.................. 2. Moyen damliorer sa pratique ................. 3 . Moyen dorganiser sa pense.................. 4. Moyen dexpliciter un processus ou une dmarche............................ 5. Acte social permettant dentrer en relation...... 6. Moyen de dveloppement identitaire........... 7 . Dimensions................................. 7.1. Intertextualit et expansions ............... 7.2. Argumentation et justification............. 7 .3 . Formation recherche.................... 7.4. Tension entre vcu et savoirs thoriques.... 7 .5 . Matrise du langage...................... 7.6. Entreprise difficile....................... 7.7. volution continuelle .....................

234 235 236 237 238 238 239 239 240 240 240 241 241 242

xiv

Les critures en situations professionnelles

Conclusion.................................. Bibliographie................................

242 244

Notices biographiques................................. 247

Cn h rao d ui C tt iro n e i t p

Rflexions sur les critures en situations professionnelles1Franoise Cros Conservatoire national des arts et mtiers [email protected] Louise Lafortune Universit du Qubec Trois-Rivires [email protected] Martine Morisse Universit Charles-de-Gaulle Lille III [email protected]

1.

Nous remercions Pauline Provencher pour son travail de professionnelle associe la prparation de louvrage collectif pour le dpt la maison ddition. Nous avons apprci son professionnalisme et sa disponibilit dans la ralisation de ce travail.

Introduction

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Les recherches sur lcriture dans les situations professionnelles sont relativement rcentes. Lcriture a longtemps t envisage sous son aspect de littrarit, et non pour ses qualits de communication dans les champs professionnels, voire dans le domaine de la formation. Un courant dintrt port aux critures dites ordinaires, illustr principalement par les recherches de Fabre et de son quipe (1993), a constitu une avance significative dans ce domaine. On peut retenir de ces travaux que les crits manent dun lieu, quils ont la fonction de dfinir ce lieu et de lui donner une identit. Le rseau Langage et Travail (Borzeix et Fraenkel, 2001 et 2005 ; Lazar, 1999), fruit dune collaboration depuis une vingtaine dannes entre chercheures et chercheurs issus de plusieurs disciplines, a donn une impulsion notable aux recherches sur les activits langagires dans les lieux de travail. Leurs rsultats mettent en vidence la prolifration des situations de communication au travail, dans lesquelles les activits dcriture occupent une place de plus en plus importante limbrication du langage aux activits de travail avec des statuts et des fonctions varis, limportance des savoirs implicites de tous ordres de ces communications les plus routinires, lhtrognit nonciative de ces pratiques langagires et leurs implications sur lorganisation du travail. Cette attention particulire aux activits dcriture dans lexercice du mtier a permis de dgager, au-del des fonctions de communication de lcriture, des effets en retour sur les personnes qui crivaient, notamment dans le domaine du travail social (Bensadon, 2005). Ce type dcriture comme outil de travail est appel criture professionnelle. Lcriture, en tant que pratique professionnelle, est distinguer de lcriture comme processus de professionnalisation, car le processus mme dcriture influe sur les formes de pense de celui qui crit ; cette forme de communication diffre produit un impact sur la manire de voir les actions relates, sur la faon de les penser (voir ce propos les ouvrages de Goody, 1979 et 1986, mettant en vidence le fait que lcriture donne forme la pense). Au-del des usages professionnels habituels, tels que ceux du mdecin travers la rdaction dune ordonnance ou ceux de larchitecte faisant un compte rendu de travaux ou, encore, la travailleuse ou le travailleur social crivant un dossier de signalisation denfant en danger, lcriture est utilise comme moyen de formation ou, plus exactement, en situation professionnelle et peut devenir un outil de professionnalisation. Dans ce dernier sens, il sagit dune criture qui participe au dveloppement de comptences professionnelles, mis en vidence dans louvrage dirig par Cros (2006).

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Les critures en situations professionnelles

Lcriture occupe une place notoire dans certains lieux de travail, avec une diffusion littraire en constante progression. Signalons ce propos que les crits sont les moyens les plus employs (les supports privilgis) en matire dapprentissage et dvaluation scolaires, y compris dans les examens. Que deviendrait lcole sans lcriture qui relve dun apprentissage fondamental ? Les socits orales sont en voie de disparition et, curieusement, au fur et mesure que linformatique se substitue la plume ou que les crans tlvisuels prolifrent, il ny a jamais eu autant de productions scripturales Il suffit de voir le nombre de productions publies lors de la rentre littraire dautomne en France pour comprendre quel point lcriture est employe Bref, lcriture est devenue un outil aux formes diverses, prsente dans tous les ordres de communication et de formation . De plus en plus de formations demandent une trace finale crite en ingnierie, en travail social, en formation, une sorte de mmoire crit qui retrace les rflexions et analyses lies la pratique professionnelle, que ce soit en formation initiale ou en formation continue. On peut alors convenir que les organismes de formation trouvent des vertus des travaux crits de cette nature. En resituant la rflexion dans le champ de la formation et de lducation, plusieurs questions se posent. Quelles sont les caractristiques de lcriture rflexive, de lcriture professionnelle ? En quoi lcriture favorise-t-elle la professionnalisation en ducation et en formation ? Entre prescription et ralit, transcription et transformation, conformit et singularit, lcriture professionnelle, tout en simmisant dans les activits du travail sous des formes et selon des logiques diffrentes, soulve souvent de nombreuses contradictions. Cest ce quun groupe dune dizaine de chercheures a voulu clarifier en contribuant lactuel ouvrage collectif. Ce groupe est compos duniversitaires francophones, tablis en Belgique, en France, au Qubec et en Suisse, qui travaillent cette question, et qui, pour enrichir cette rflexion, ont accept de rdiger un texte dune vingtaine de pages qui se rapporte leurs recherches sur le thme, en le problmatisant chaque fois de manire prcise. Lensemble de ces textes a t envoy tous les membres de lquipe pour une lecture critique et constructive. Puis chaque chapitre a t envoy deux personnes dinstitutions diffrentes pour une critique plus labore et argumente, permettant denrichir son propre texte et de le rendre plus homogne par rapport aux autres contributions.

Introduction

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Ces changes, qui ont dur deux jours entiers et donn lieu des critiques pointues puis des critiques plus gnrales, visant non seulement la structure des textes, mais aussi les avances thoriques, ont permis dlaborer le prsent ouvrage. Il ne sagit donc pas, comme cest souvent le cas, de juxtaposition, certes intelligente, de contributions sur un thme, mais dune laboration collective et progressive de rflexions suscites par lutilisation de lcriture dans des situations professionnelles non explicites ou dans des situations aux fins de professionnalisation . Chaque contribution a t rcrite dans les mois qui suivirent, en fonction des critiques et des ajustements collectifs et collaboratifs, et relue pour des ajustements dfinitifs avant dtre insre dans louvrage. Ce procd a non seulement permis une coute mutuelle attentive, mais un respect des approches, fort diverses videmment, toutes centres sur la mme question, celle du lien entre critures et situations professionnelles. La qualit des changes et la dcouverte respectueuse entre personnes qui ne se connaissaient pas ont conduit des exigences de qualit que nous naurions pas pu esprer imposer autrement. De plus, la trame de cet ouvrage a t discute de faon collective afin de mieux dfinir le public cible et les limites des questions poses. La prtention de lquipe est de rendre accessibles et lisibles par un large public les textes proposs afin dattirer un public de personnes formatrices sintressant lcriture transitive, soit celle qui devient un outil de rflexion et de professionnalisation. Un tel objectif nous a incites moduler le vocabulaire pour viter quil soit trop scientifique, voire jargonneux. En effet, cet ouvrage collectif vise apporter un clairage aux enseignants et enseignantes, formateurs et formatrices, professionnels et professionnelles uvrant dans le champ de la formation et de lducation, tant dun point de vue thorique, en se situant sur des champs de recherches diffrents, que dun point de vue pratique, dans une perspective dinterventions. Cest donc en respectant les terrains dintervention, les champs de recherche et les questionnements des uns et des autres que cet ouvrage a t ralis. Au-del des formes dcriture propres la profession, caractrisant des situations professionnelles prcises, du sens ou de la signification apports par les auteures et auteurs de louvrage, les retombes concrtes sont prsentes ici, dans une perspective daccompagnement ou de formation.

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Les critures en situations professionnelles

Si lcriture est considre comme un outil favorisant le dveloppement de comptences ou la prise de conscience dans lexercice de la profession, cest quelle est plus quune communication visible et diffre. Elle possde une plus-value que cet ouvrage tente de mettre au jour . Cette criture, selon les conditions de sa production, sollicite en effet des comptences mobilises dans les pratiques professionnelles des mtiers, au-del des gestes mmes, et permet un retour sur une pratique enrichie. Cet ouvrage se prsente en deux volets : une premire partie tudie lcriture comme instrument de dveloppement professionnel, cest--dire comme moyen de prise de conscience du lien entre les critures dans la pratique professionnelle et les changements mmes de cette pratique. La seconde partie est plus centre sur le rle jou par lcriture dans le dveloppement professionnel, cest--dire sur lutilisation de lcriture comme outil de professionnalisation, qui deviendrait ainsi une sorte de passage oblig pour obtenir la qualification professionnelle requise. Nous verrons dans la premire partie de cet ouvrage que lcriture, dans certaines conditions, permet la personne qui crit de voir les choses diffremment, comme si le fait de tracer des mots la mettait en situation de dcouvrir ce quelle navait pas vu ou pas su voir jusque-l (ou peut-tre pas voulu voir !), cette activit agissant tel un rvlateur en photographie. Certaines personnes ne disent-elles pas quelles crivent pour savoir ce quelles pensent, illustrant ainsi la fonction pistmique de lcriture qui produirait de la pense, de nouveaux savoirs qui, sans ce processus dcriture nauraient jamais pu merger ? Cette criture appele souvent criture rflexive est un outil servant non seulement la pense, mais ayant aussi des effets sur le comportement mme des gens qui crivent. Elle peut accompagner un changement de pratique tel un journal de bord qui permet de se rendre compte du cheminement de sa rflexion sur le long terme, mais aussi de ses propres changements, sans en avoir ncessairement conscience . Le fait de mettre des personnes en criture dans des conditions dfinir peut accompagner un changement de pratiques professionnelles impos par une rforme ducative, par exemple. Cest ce dont nous entretient Louise Lafortune dans cet ouvrage en dcrivant un dispositif daccompagnement des personnels scolaires pour un changement en ducation . Ce dispositif se compose de journaux de bord, de fiches permettant aux personnes accompagnes de rflchir sur leur pratique pour la changer. Reprenant les catgories

Introduction

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de Kaddouri (2006), lauteure relve quatre formes possibles : lcriture dans sa pratique, lcriture pour sa pratique, lcriture sur sa pratique et lcriture partir de sa pratique. Que disent les enseignants et enseignantes de leurs pratiques dcriture professionnelle et comment produisent-ils certains de leurs crits ? Bertrand Daunay et Martine Morisse illustrent comment le personnel enseignant, considr comme professionnel, minore la quantit et la valeur des crits produits, contraint de surmonter les tensions releves entre une norme institue et des pratiques effectives, plus alatoires. Cependant, certains crits, comme la fiche de prparation ou le cahier de textes, tendent dessiner un genre nouveau et souligner lvolution dune profession. Force est de constater galement la dimension paradoxale, parfois contraste du mtier denseignant, dans la manire de concevoir, de fabriquer et de faire circuler les crits, tout en sinscrivant dans un univers complexe, codifi et rglement. La formation a alors un grand rle jouer pour rhabiliter ces pratiques et en faire un vritable objet de rflexion professionnelle. Comment mettre en forme un discours sur des activits professionnelles qui, par essence, sont de lordre du geste et non de la parole ? On sest aperu que ce ne sont pas forcment les personnes qui sexpriment avec facilit oralement qui russissent le mieux dans leur mtier. Un artisan peut accomplir des chefs-duvre sans, aucun moment, parler ou dcrire ce quil fait. Il semble que la pratique et le discours soient deux univers bien distincts et qui ont du mal concider. Au-del de la parole, il y a lcriture dont la particularit doit tre replace dans ce jeu de discours. Quapporte lcriture la pratique ? Quapporte la pratique lcriture ? Sagit-il de deux mondes inconciliables ? Autrement, quelles conditions peuvent-ils se rejoindre ? Telles sont les questions dont traite Patricia Champy-Remoussenard dans son chapitre . Dautres professions sont aussi amenes utiliser lcriture dun dossier compos de diverses critures consignes pour aider autrui dans le choix de son cheminement personnel et professionnel. Cest le cas tudi par Marie-Cardinal Picard et Rachel Blisle partir du travail des conseillers et conseillres dorientation au Qubec dans le cadre dorganismes communautaires dinsertion sociale et professionnelle . Lcriture ici est celle dun conseiller ou dune conseillre auprs dun adulte en qute demploi, cest--dire que la personne qui produit lcrit nest pas labri dinterprtations, de contre-transferts lis au

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Les critures en situations professionnelles

relationnel dans de forts enjeux sociaux : faut-il crire telle chose ou non ? Le processus de socialisation de lcriture joue pleinement dans une temporalit longue et discontinue faite de traces diverses. Nous sommes dans cette contribution la croise entre une criture professionnelle et une criture des fins de professionnalisation dans lespoir que la personne accompagne prenne en main son choix professionnel partir du contenu de ses crits . La seconde partie de louvrage sancre dans lcriture comme facilitateur du processus de professionnalisation . Lcriture sinscrit dans des dispositifs de formation, elle en est mme parfois lobjet central comme dans la production dune thse . Celle-ci est formatrice, au-del du fait quelle permet au doctorant ou la doctorante de creuser un objet de recherche et de produire de nouveaux savoirs son sujet. Les critures successives aboutissant lcrit final appel thse forment donc une trajectoire scripturale faite de condensations, dexpansions, etc. Toutes ces dynamiques doprations cognitives se font par, dans et travers des traces crites. Leur chronicit rvle un projet qui se btit grce des comptences dorganisation, de classification, de catgorisation, etc. Le chapitre de Franoise Cros tente de mettre en lumire le dveloppement de ces comptences travers les crits sollicits par la production dun texte long appel thse. Si le doctorant ou la doctorante peuvent choisir de rdiger une thse ou non, il est des formations qui obligent crire dans une perspective dvaluation institutionnelle des fins de certification professionnelle. Cest le cas, par exemple, denseignants ou denseignantes du suprieur qui, pour continuer exercer leur mtier, sont contraints dobtenir un certificat daptitude pdagogique appropri lenseignement suprieur . Le chapitre de Marie-Christine Pollet tmoigne de cette formation prise entre deux feux. Il sagit de la production dun dossier comportant une analyse du parcours professionnel, quelques rfrences thoriques choisies dans le domaine pdagogique ou de la didactique de la discipline. Comme le souligne lauteure, cest l un Exercice prilleux puisquil sagit darticuler vcu et savoirs, pratique et thorie, narration et rflexion . Dailleurs, on retrouve cette mme tension dans la demande faite de rdiger des mmoires validant une formation. Lexemple donn par liane Godelet travers les mmoires en formation dadultes en tmoigne. Les rcits recueillis font tat dun travail mtalinguistique obligeant les personnes en processus de rdaction repenser leurs

Introduction

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routines et se repositionner sur le plan identitaire . Les tudiants et tudiantes tant eux-mmes des travailleurs et travailleuses, cette double identit est questionne et met les personnes en situation dinstabilit . Lcriture semble alors leur permettre de produire un engagement, de sinvestir et donc de construire un projet solide. Cela ne se fait cependant pas sans arrachements et incertitudes, ce dont le dispositif de formation/accompagnement est conduit tenir compte . Les mmoires ne sont pas les seuls outils relevant de lcriture et sinscrivant dans un dispositif de professionnalisation. Cest le cas aussi du portfolio, dont la nature reste encore floue. France Merhan se penche sur les portfolios offerts en formation en alternance lUniversit de Genve. Par des entretiens de recherche, elle met en vidence que cet crit reprsente, pour ces tudiants et tudiantes de premire anne, un passage oblig, une sorte de rite de passage leur permettant de reconnatre et de faire reconnatre leur action comme ensemble dactivits dot de sens et de significations, et favorisant le dveloppement de postures rflexives. Et cest bien l quintervient la mise en forme du dispositif de formation, comme interface structurante entre formation et travail, comme tmoignage dune laboration identitaire . En dautres termes, lcriture comporte de multiples facettes et ce nest que rcemment que lon a dcouvert son pouvoir formateur sans connatre fond ses effets, ni le processus luvre dans son laboration. Cet ouvrage tente modestement dapporter un clairage ce questionnement selon deux directions : dune part, dans laspect performatif du langage et, de ce fait, de lcriture qui peut faire advenir des choses en les montrant travers ses traces mmes. Ce matriau dpos sur un support se dtache de la personne qui le produit et acquiert une autonomie suffisante pour le conduire sinterroger sur le choix des mots, sur lorganisation spatiale, sur les non-dits qui affleurent dans la signification qui en est offerte. Bref, on ne matrise jamais totalement lcriture, comme si elle rvlait toujours quelque chose dencore insouponn. Et cest en cela quelle occasionne du stress et autorise un dplacement de pense . Dautre part, lcriture, selon certaines conditions, souvent contraignantes, peut professionnaliser dans la mesure o crire sur sa pratique et partir de sa pratique, pour reprendre la typologie voque prcdemment, dveloppe la conscience de ce que lon fait et permet denvisager des possibles

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Les critures en situations professionnelles

souvent abandonns sans raison consciente et que lon peut, cette occasion, faire surgir et analyser. Cette rvision induit alors un changement de pratiques. Cet ouvrage introduit les lecteurs un domaine large et complexe de la recherche visant tablir un lien entre activits dcriture et situations professionnelles (ou entre criture et mtier). Outre de rendre compte dapproches possibles, den dfinir les contours, il souligne limportance de poursuivre les recherches dans un domaine encore peu explor, devenu cependant incontournable dans les champs professionnels qui sont les ntres.

BibliographieBensadon, P. (2005). De lcriture aux crits professionnels : contrainte, plaisir ou trahison ?, Paris, LHarmattan . Borzeix, a. et d. Fraenke (2001/2005). Communication, cognition, action , dans Langage et Travail, nos 1 et 2, Paris, CNRS. Cros, F. (dir.) (2006). crire sur sa pratique pour dvelopper des comptences professionnelles, Paris, LHarmattan . FaBre, d. (dir.) (1993). Ethnologie des crits ordinaires, Paris, ditions Maison des Sciences de lHomme. Goody, J. (1979). La raison graphique, Paris, Armand Colin. Goody, J. (1986). La logique de lcriture, Paris, Armand Colin. kaddouri, M. (2006). Quelques considrations transversales propos de lcriture sur sa pratique professionnelle , dans F. Cros (dir.), crire sur sa pratique pour dvelopper des comptences professionnelles, Paris, LHarmattan, p . 241-253 . Lazar, a. (1999). Langage et travail : enjeux de la formation, Paris, Actes de colloque, INRP/CNRS.

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i p a r t

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LCRiTuRe CoMMe insTRuMenT de dveLoppeMenT pRoFessionneL

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C h a p i t r e

un journal daccompagnement dun changement comme outil dcriture rflexive professionnalisante2Louise Lafortune Universit du Qubec Trois-Rivires [email protected]

2.

Je remercie Kathleen Blanger, David Lafortune et Nathalie Lafranchise qui ont contribu lvolution de lanalyse des donnes.

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Actuellement, plusieurs changements en ducation exigent une dmarche complexe, surtout en ce qui concerne le passage de la transmission de connaissances au dveloppement de comptences tant chez les personnels scolaires que chez les lves. Au Qubec, pour la mise en uvre du Programme de formation de lcole qubcoise (PFEQ), le ministre de lducation a structur plusieurs moyens afin den favoriser la russite : des sessions de formation disciplinaire ou propos de lvaluation, des rencontres avec des personnes-ressources ou des cadres scolaires au plan provincial en plus des nombreux documents labors pour les personnels scolaires . En outre, un projet dAccompagnement-Recherche-Formation a t lanc pour soutenir la mise en uvre du programme de formation3 (PFEQ). Ce projet tait un processus dcriture rflexive professionnalisante qui comportait trois volets. 1) Un premier volet a consist demander aux personnes accompagnes4 de remplir des fiches de rflexion pendant chacune des rencontres de deux jours raison de trois ou quatre fois par anne et la fin de chacune delles. 2) Un deuxime volet de ce processus dcriture concernait la compltion dun journal daccompagnement par des personnes participantes. 3) Enfin, les personnes accompagnatrices, soit celles qui soutiennent laccompagnement-formation, devaient rdiger un rapport des rencontres en tenant compte la fois des aspects descriptifs, analytiques et rflexifs (tche professionnelle et professionnalisante). Comme il sagissait dun projet ralis sur six annes (20022008), pour les secteurs public et priv, francophone et anglophone du Qubec, avec un millier de personnes accompagnes, on peut imaginer lampleur des donnes recueillies et analyses . Il en rsulte des milliers de fiches et des centaines de journaux daccompagnement fournissant des observations dans un grand nombre de contextes, surtout que ce ne furent pas les uniques donnes recueillies. Pour un court texte tel celui-ci, il sest avr ncessaire de faire un choix. Nous avons donc choisi de centrer notre analyse du contenu des journaux daccompagnement en axant le codage sur ce qui relve du processus dcriture. Ce nest videmment quune infime partie des donnes analyses qui est expose ici.3. 4. Voir le site du projet : . Dans ce projet, les personnes accompagnes sont celles qui tirent profit de laccompagnement-formation par des personnes accompagnatrices . Elles sont galement des personnes participantes au projet. Dans le cadre de leur travail, elles peuvent aussi devenir des personnes accompagnatrices.

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Pour dcrire le processus dcriture rflexive professionnalisante ralis dans le cadre de ce projet, nous en prsentons dabord le contexte ainsi que le cadre conceptuel. Le premier dispositif est brivement prsent, car cest du deuxime dont il est question dans ce texte, soit celui qui fait rfrence au journal daccompagnement. Quant au troisime dispositif, il fera lobjet dune publication ultrieure . Nous mettons donc laccent ici sur les rsultats dune recherche exploratoire lie au processus dcriture dans la rdaction des journaux daccompagnement . Ces rsultats conduisent proposer des moyens pour favoriser un processus dcriture rflexive professionnalisante. En conclusion, des perspectives, autant daccompagnement-formation que de recherche, sont suggres .

1.

un accompagnement-recherche-formation dun changement

La constitution dune quipe accompagnatrice provinciale qubcoise a donn le coup denvoi en 2002 un projet dAccompagnementRecherche-Formation (ARF) pour la mise en uvre du PFEQ (MEQ, 2001, 2004, 2007). Ce projet a donn lieu ltablissement dun partenariat entre le ministre de lducation, du Loisir et du Sport (MELS), les directions rgionales de ce mme ministre, les commissions scolaires participantes et lUniversit du Qubec Trois-Rivires (UQTR) (2002-2008). Offert lensemble du rseau qubcois, ce projet assure accompagnement, formation et suivi dans la mise en place dun changement majeur prescrit en ducation auprs de directions dtablissement, de conseillers et conseillres pdagogiques, denseignants et denseignantes et dautres personnels scolaires qui jouent un rle daccompagnement dans leur milieu. Ces personnes sont ensuite appeles devenir des ressources dans leur milieu et accompagner des personnels scolaires afin que le changement se rende jusquaux lves. Lintgration dune dmarche de recherche ce projet visait modliser la dmarche de recherche et fournir une analyse des conditions facilitant le changement ainsi que des rpercussions du projet (Lafortune, 2008b). Laccompagnement sous-jacent ce projet sest donc ralis sur plusieurs journes et au-del dune mme anne . La dure et la continuit dans le temps consacres laccompagnement sont deux facteurs considrs comme favorisant le processus de changement et lint-

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gration de ses fondements et contenus . Le sens de laccompagnement dans ce projet, comme tout accompagnement, englobe, divers degrs et selon les circonstances, les concepts daide, de soutien, de conseil, de communication, de formation, douverture lautre, dinteraction, de mdiation, de rparation, de cheminement, de modelage, pour ne nommer que ceux-l. De mme, il comprend des pratiques, des moyens et des stratgies lis ces concepts . Cependant, il sagit ici de laccompagnement dun changement orient, prescrit, dans une perspective socioconstructiviste, ce qui suppose interactions, rflexivit, coconstruction et conflits sociocognitifs en lien avec la mtacognition et la pratique rflexive (Lafortune, 2008b). Dans cette conception de laccompagnement, tant les personnes accompagnatrices que les personnes accompagnes confrontent leur modle pdagogique ou professionnel celui qui est propos par le changement. La confrontation des pratiques stimule la rflexion individuelle et collective. Une fois rassembls, les aspects discuts peuvent inclure des lments de thorisation qui tmoignent des pratiques en cours, tout en refltant leur volution dans le processus de changement. Cet accompagnement qualifi de professionnel est un soutien qui suppose une cohrence entre ce qui est ralis par les personnes accompagnatrices et ce que lon voudrait quelles fassent auprs des personnes quelles accompagnent. En dautres mots, cela veut dire que lon vise modeler (fournir un exemple en action) ce qui serait transposer dans le travail avec les milieux. Aussi, cet accompagnement professionnel vise la professionnalisation des personnes qui ont mettre en uvre un changement majeur tout en tant ax sur le renouvellement des pratiques, ce qui exige des remises en question, suscite des doutes et des inquitudes. Il ne sagit donc pas daider les personnes faire des expriences quelles ont le got de mettre en pratique, particulirement si elles ne respectent pas les fondements du changement . En considrant la ncessit daccorder du temps pour transformer ses pratiques, tout nest pas acceptable. Deux volets caractrisent ce projet : un volet daccompagnementformation et un autre daccompagnement-recherche . Les instruments de collecte de donnes servent doutils de formation et inversement. Ils sont labors et valids en ce sens. Aprs avoir prsent ci-dessus le volet daccompagnement-formation, le volet daccompagnementrecherche contribue 1) garantir rigueur et souplesse, il permet, dune certaine faon, des ajustements aux ralits volutives des diffrents groupes accompagns ; 2) sadapter et cheminer en tenant compte

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du degr douverture des personnes participantes et des partenaires ; et 3) conserver les traces de la dmarche afin danalyser les expriences ralises dans les milieux de travail. Les instruments de collecte de donnes utiliss sont construits dans la perspective de susciter une criture rflexive professionnalisante. Il se peut que certaines personnes ou certains groupes ne se soient pas engags pleinement dans le processus dcriture . Certaines manifestations clairement exprimes ont permis de le constater. En outre, il se peut que des rsistances lengagement dans lcriture aient t prsentes sans quelles aient pu tre notes. Toutefois, compte tenu de la quantit de donnes recueillies, il est possible de tirer quelques conclusions associes au processus dcriture . En songeant la vise du projet et ce qui a t vcu dans ce projet, on peut se demander sil est possible de raliser laccompagnement dun changement majeur et prescrit sans garder des traces de la dmarche afin de pouvoir rinvestir ce qui est construit par la rflexion-interaction dans les rencontres des groupes. Lcriture sous diverses formes a pris une grande place dans ce projet daccompagnement autant comme outil de formation que comme instrument de collecte de donnes de recherche .

2.

processus permettant de garder des traces et criture rflexive dans laccompagnement : perspective conceptuelle

La perspective conceptuelle sous-jacente ce texte porte sur le processus qui permet de garder des traces et, par consquent, sur le processus de lcriture rflexive professionnalisante. Garder des traces se veut un moyen pour effectuer un retour rflexif sur sa pratique professionnelle et sur laccompagnement du changement . Ces traces se concrtisent dans le processus dcriture qui peut tre rflexif et professionnalisant .

2.1. Garder des traces, un moyen de retour rflexif sur sa pratique professionnelleCette section fournit des explications sur le processus dcriture comme moyen de rflchir sur sa pratique professionnelle pour lamliorer et la changer tout en sachant quil nest pas toujours simple de

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sengager dans une dmarche de changement . Ce processus dcriture peut galement contribuer dvelopper des comptences professionnelles (Cros, 2006 ; Lafortune, 2008a). Presse (2006, p. 243), en dcrivant les modalits de lcriture sur sa pratique, affirme que le praticien crivant vise dconstruire les diffrentes composantes qui fondent sa pratique, pour en reconstruire de nouveaux fondements . Il est donc possible de supposer que tout changement et remise en question, par le travail dcriture, peuvent tre des causes dbranlements et de difficults en ce que lcriture modifie et oblige une rlaboration et valuation des expriences antrieures. Au sujet de lcriture rflexive dans un contexte professionnel, Kaddouri (2006) dcrit les quatre formes quelle peut prendre : lcriture dans sa pratique professionnelle (crits dans limmdiatet de laction, par exemple, la prise de note) ; lcriture pour sa pratique professionnelle (crits pour la prparation de laction, par exemple, pour llaboration de projets de formation) ; lcriture sur sa pratique professionnelle (crits dans des moments rflexifs et rtrospectifs pour soutenir une dmarche analytique et interprtative, par exemple, questionner sa pratique) ; lcriture partir de sa pratique professionnelle (crits qui interrogent le sens de sa pratique et visent la comprhension de phnomnes, par exemple, crire propos de certaines approches pdagogiques pouvant devenir un essai en ducation). Ces quatre formes dcriture pourraient contribuer prciser son propre rapport lcrit dfini comme un ensemble de relations du sujet avec lobjet crit en lien avec diffrentes dimensions de la personne (Cardinal-Picard et Blisle, 2009). Pour clarifier ce rapport lcrit, il serait intressant de tenter de rpondre la question suivante : Que se passe-t-il lorsque des professionnelles et professionnels crivent propos de leur pratique ? Riffault (2000) souligne que, dans lacte dcrire, les ides prennent forme et certaines, dont on ne pourrait souponner lexistence, peuvent merger. Selon Berthon (2006, p. 111),[il] ressort que lcriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rle de rvlateur, avec des effets de cristallisation, dinstallation des changements, des reprsentations et des comptences ralises au cours de laction ; mais elle joue aussi un rle de transformateur : cest partir du moment o a a t crit que je ne vois plus les choses de la mme manire .

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Pour rendre compte de loriginalit du travail dcriture, Berthon (2006, p. 105) crit :Si lanalyse rflexive qui accompagne laction peut parfaitement avoir lieu dans une dmarche dchanges oraliss, les caractristiques de lcriture donnent penser quelle joue un rle spcifique dans cette dmarche de recherche et de formation. En effet, lcriture met en uvre une dmarche de concentration convergente sur des points o la parole purement orale, plus gnralement divergente, tend glisser Elle offre la permanence dune trace qui facilite la prise de conscience et la prise de distance par rapport aux pratiques, trace sur laquelle lauteur peut revenir rgulirement pour la transformer .

En effet, la distanciation rflexive rendue possible par lcriture engendre ce que Berthon (2006, p. 108) explicite partir de quelques citations provenant dauteurs anonymes : ce travail ma permis de prendre du recul sur les ides et actions mises en place au cours de lanne Ce travail permet dapprofondir la rflexion sur certains aspects de laction [] Revenir au pourquoi de la mise en place du projet et dfinir plus clairement les objectifs . Dans un tel contexte dvolution de sa rflexion, lcriture permet de prendre du recul par rapport aux actions passes, quelles soient porteuses ou non daspects positifs, mais permet galement et peut-tre surtout dadmettre les rats et les dfaillances qui ont marqu ses expriences. En effet, durant laction, il semble toujours plus difficile dagir de faon trs pertinente, plus forte raison lorsque la personne accompagnatrice se retrouve confronte des situations nouvelles ou fortement charges motionnellement. Lcriture a posteriori permet alors de se dgager et de porter un regard nouveau, la situation vcue perdant ainsi une charge subjective qui, au moment o elle a t vcue, a empch deffectuer les choix les plus judicieux. Le rsultat dun tel travail sur les situations potentiellement problmatiques permet de se prparer en laborant des stratgies qui, lors du premier vnement, navaient pu tre mises en uvre. Ici, porter un regard plus objectif ne veut pas dire priv dmotions. Il offre simplement la possibilit de se dgager dune situation dapprentissage ou daccompagnement qui pourrait susciter des ractions ayant peu de rapport avec les contenus de formation. Par exemple, crire propos daspects concernant sa vie personnelle peut dtourner du travail accomplir auprs des personnes apprenantes ou accompagnes . Dans une optique de retranscription de laction, Morisse (2006, p. 218) dveloppe ce quelle nomme le rflchissement. Pour elle :

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le concept de rflexivit renvoie un certain nombre dactivits cognitives mentionnes par les quipes de recherche. Le rflchissement, cest--dire comment dire le faire [] correspond dabord la fonction dexplication et de communication de laction. [] Les mots rsistent souvent la volont de communication des personnes, la signification que les auteurs veulent donner laction. Cette rsistance provient de la fugacit des situations professionnelles, le sujet ne fait jamais la mme chose au travail. Lextrme singularit de lactivit et du rapport du sujet laction provoque une relle difficult de mise en mots de laction. Do lextrme difficult de dire le faire, et de produire un crit entre laction et le langage .

Cest entre deux dimensions dire le faire et produire un crit que se trouve le sujet, un sujet qui vient apporter une rsistance linformation fournie . Le passage subjectif offre une retranscription de lvnement qui chappe au regard externe et qui rend compte du fonctionnement cognitif, mais galement, et peut-tre surtout, de sa dimension affective (voir galement Godelet, 2009). En abordant lide de temporalit diffrente, entre le moment o les traces crites sont conserves puis leur relecture, Delamotte (2000, p. 210) affirme, dans un ouvrage crit en collaboration avec Gippet, Jorro et Penloup, que la cration dun tel matriel rflexif souvent vient jouerun effet de rassurance auprs des scripteurs : lcrit rend explicite et tangible le travail de pense. Au-del de cet effet, la matrialit marque leffort cognitif du sujet, son implication dans une activit. Le travail autour de labcdaire et des cartes jouer donne corps la pense, tmoigne dun investissement personnel ou collectif. Les crits produits indiquent quun passage a bien eu lieu [et que] lintrt de la matrialit parat encore plus manifeste lorsque le scripteur considre, travers la production effective, une trace de son altrit . En effet, par le rapport lobjet, le scripteur peut prendre conscience des transformations vcues, sprouve comme sujet crivant. La matrialit rflchit le passage.

Peut-on dsormais concevoir la pratique scripturale comme un moyen de prendre conscience pour son auteur ou auteure des mouvements ainsi que des contenus rflexifs qui sont en jeu travers elle ? Ainsi, la pratique scripturale aide apprhender lensemble des forces et des potentialits mises en mouvement dans le travail dcriture et de renouer avec des habilets grer sa dmarche mentale en situation de rsolution de problmes, par exemple. Ces habilets

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font rfrence la mtacognition et aux processus mentaux en cause en situation dapprentissage (Lafortune et St-Pierre, 1996). Les ides de Grosjean et Lacoste (1999), reprises par Balcou Debussche (2004, p. 138-139), clairent encore davantage les enjeux mtacognitifs de la pratique scripturale. Par consquent,pour ltudiant en formation, crire sur lactivit, en situation, ce nest donc pas seulement relater des lments observables : cest observer plus que voir, couter plus quentendre, mettre en relation plus que juxtaposer. crire sur lactivit conduit privilgier la dimension verticale, la mise en relief et la recherche de sens.

En outre, Delamotte, Gippet, Jorro et Penloup (2000, p. 210) ajoutent quesi le retour sur une trace crite est loccasion pour le scripteur de stonner de son rcit, de prendre conscience de son implication, de relever les systmes de valeurs circulant dans le texte, daccepter la relativit de son positionnement, la matrialit ici permet une interaction criture-lecture-discussion .

Certains types dcriture, selon lutilisation qui en est faite dans la formation ou laccompagnement, peuvent tre loccasion dun retour rflexif sur les actions poses dans sa pratique et du positionnement qui a eu lieu, pour des prises de conscience ultrieures par le travail dautovaluation et dautocritique propos de sa pratique. Cela peut tre le cas de certaines utilisations des crits sur lactivit professionnelle (Remoussenard, 2009), de la rflexion crite en lien avec le processus dcriture de la thse (Cros, 2009), des pratiques de lcrit en situation professionnelle comme la conseillance en orientation (Cardinal-Picard et Blisle, 2009), de la rdaction du portfolio de dveloppement professionnel luniversit (Mehran, 2009), de la production du mmoire en formation dadultes (Godelet, 2009), des crits professionnels en situation denseignement (Daunay et Morisse, 2009). Lorsquon sengage dans une dmarche dcriture, il est possible de constater que ltat habituel de rflexion et de retour sur soi-mme neutralise les passions et forme une vraie philosophie pratique. Lquilibre que lon parvient acqurir, par la rflexion et lcriture journalire, permet de garder, en tout, un juste milieu principe de la philosophie aristotlicienne (Hess, 1998, p. 33).

2.2. Lcriture rflexive dans laccompagnementDans sa dmarche daccompagnement, Presse (2006) dcrit la place qua pu occuper lcriture pour mener bien sa tche. Ainsi, pour elle,

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accompagner [] rimait [alors] avec proximit : lcriture produite par moi-mme sest articule avec celle des praticiens de terrain. Eux ont crit sur leurs pratiques, rendant compte de lexprience vcue aprs avoir pris la distance suffisante quimpose, de fait, lcriture sur ses pratiques. Moi accompagnatrice, jai crit sur mes pratiques daccompagnement (Presse, 2006, p. 136).

En faisant rfrence aux ides de Presse (2006), Guibert (2006, p. 230) signale que lcriture fait prendre des risques, mais son accompagnement permet une rgulation . [Dans ce cadre,] elle peut mme dvoiler des conflits . Dans le cas particulier de lcriture de la thse, son accompagnement aide mettre en vidence des processus cognitifs en cause pour en venir une criture de recherche, une criture scientifique (Cros, 2009). Dans laccompagnement et les actions pdagogiques, pour mettre en place une dmarche dcriture rflexive, Morisse (2006) propose de prendre en considration : 1) les rsistances vaincre et les prises de risques enclenchs par le passage lcriture ; 2) les processus cratifs et cognitifs enclenchs par le rflchissement et la mise distance ; 3) les prises de conscience suscites par les interactions oral/crit et les changes entre pairs ; 4) les activits dauto-observation et dautoanalyse ; 5) les savoirs mthodologiques et thoriques en jeu dans le dveloppement de comptences rflexives pour des activits langagires et discursives ; enfin, 6) les possibilits de variation des postures dans lcriture. Dans le cadre du projet dont il est question dans ce texte, laccompagnement socioconstructiviste dun processus de changement ax sur le renouvellement des pratiques professionnellesest une mesure de soutien lie un champ dexpertise professionnelle. Offerte par des personnes qui accompagnent des personnels viss par le changement selon un modle de pratiques professionnelles, cette mesure vise la construction de connaissances relatives au changement et le dveloppement de comptences professionnelles pour laccompagnement (Lafortune, 2008a, p. 178).

Dans cet accompagnement, lcriture rflexive se dfinit comme un dispositif structurant utilisant lcriture pour rflchir sur sa pratique professionnelle et pour lanalyser a posteriori. Elle vise la construction de connaissances, le dveloppement de comptences, mais aussi la formation et lautoformation . Cette action a pour but ultime la modlisation de la pratique professionnelle. Elle cherche donc la conceptualisation en passant par un regard sur laction (une mise distance) mme si celui-ci tire profit du regard pos dans

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laction. Lcriture rflexive peut tre complmentaire lcriture narrative qui a pour but de raconter une histoire, de faire part dune anecdote, de communiquer des faits dhistoire, dexpriences, de pratiques de prciser des aspects contextuels, motifs, etc. Une criture rflexive merge dexpriences contextualises potentiellement transposables. Lorsque lcriture est rflexive, elle peut aider la personne qui sy engage entrer dans une boucle o, simultanment, elle construit ses connaissances, se forme et pose des gestes professionnels. Lcriture rflexive savre un soutien pour se distancier de laction, prendre un recul, se dcentrer et dcontextualiser laction. Dans une dmarche daccompagnement o le processus dcriture est central, lcriture rflexive favorise mme lmergence dune thorie, gnralisable, communicable Le je personnel qui crit devient le je professionnel. Dans ce cas, lcriture rflexive devient une criture professionnalisante, car elle contribue favoriser lanalyse du dveloppement de ses comptences professionnelles pour ventuellement en faire part dautres afin den discuter et ainsi amliorer sa pratique. Le dveloppement de ses comptences professionnelles devient alors objet de rflexion et le processus dcriture se situe dans une perspective de professionnalisation. Lcriture rflexive nest pas inne : elle suppose un apprentissage, une bonne dose dhumilit, de confiance en soi et dans les autres, surtout lors des discussions propos de ses crits . Cest aussi une reconnaissance de lerreur comme source de formation. Au contraire dune criture libre , lcriture rflexive et professionnalisante sexerce partir de deux vises principales dans laccompagnement socioconstructiviste : 1) une analyse de pratiques et 2) une conceptualisation de sa pratique.

3.

deux dispositifs dcriture : fiches rflexives et journal daccompagnement

Dans le cadre du projet daccompagnement dun changement prescrit la base de ce texte, le droulement du projet, la recherche sous-jacente, les observations et discussions collectives incitent penser quune telle dmarche ne peut se raliser sans garder de traces crites, mme si aucune recherche systmatique nest prvue. Ces traces servant lanalyse a posteriori permettent dviter des commentaires comme on a toujours fonctionn de la sorte ou on na pas vraiment chang nos

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pratiques . On entend de tels commentaires lorsque des changements sont intgrs dans la pratique professionnelle et quaucune trace nest garde ; il devient difficile de se rappeler de ce qui tait fait avant lamorce du changement. En outre, les nouvelles pratiques peuvent tre tellement bien intgres quil semble impossible que cela nait pas t fait de la sorte auparavant. En tant que personne accompagnatrice, garder des traces incite celles qui sont accompagnes le faire et choisir, de faon collgiale, les traces conserver. Cela permet de faire des analyses en groupe, de vrifier son volution, mais aussi de reflter au groupe leur propre cheminement . En ce sens, si les personnes accompagnes, aprs plusieurs mois, un an ou deux de travail collgial, en viennent dire on faisait dj cela avant ou cela na rien chang , il est possible au cours du cheminement (des lments des changements) de relever des exemples concrets qui proviennent de ce que le groupe ou les individus ont vcu et crit. Pour susciter ces prises de conscience, plusieurs moyens ont t utiliss : 1) des fiches rflexives remplies par toutes les personnes participantes au projet ; 2) des journaux daccompagnement rdigs par un sous-groupe de ces mmes personnes ; 3) des rapports descriptifs et rflexifs dresss par les personnes accompagnatrices de lensemble de la dmarche . Dans ce texte, lorsquil est fait rfrence aux personnes accompagnes, il sagit de celles qui se sont engages volontairement dans un projet pour tirer profit de la dmarche. Cette dernire vise aider des personnels scolaires modifier leurs pratiques pour mettre en uvre un changement qui suppose un programme dfini en termes de comptences auprs des lves. Le groupe de personnes participantes sont celles qui, lchelle du Qubec, jouent un rle daccompagnement-formation en tirant profit du travail ralis avec la chercheure-accompagnatriceformatrice .

3.1. Fiches rflexivesDans le projet dARF la base de ce chapitre, des fiches rflexives ont t utilises pour conserver des traces pour la recherche, mais aussi pour inciter les personnes accompagnes garder leurs propres traces. Dans les faits, ces fiches taient axes sur le questionnement, mme si quelques-unes comportaient des tableaux complter ou des questionnaires remplir. Les consignes pour la compltion des fiches dpendaient des dcisions concernant le type danimation employ lors dune rencontre en particulier ou un moment particulier dune

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rencontre. Deux types de fiches ont t soumises aux personnes participantes. 1) Des fiches visant susciter la rflexion dans laction (au dbut, pendant ou la fin des rencontres de deux jours) et portant particulirement sur le contenu approfondir. Par exemple : Quest-ce que la pratique rflexive, selon vous ? Quelles sont les caractristiques des questions qui suscitent la mtacognition ? 2) Des fiches portant sur les apprentissages raliss, les dfis ou actions entrevus, les conditions favorisant laccompagnement ou les rpercussions de la dmarche. Par exemple : Quels apprentissages avez-vous raliss ? Quavez-vous lintention de rinvestir dici la prochaine rencontre ? Les premires avaient essentiellement pour but de favoriser la rflexion dans laction (elles ntaient gnralement pas recueillies) ; les deuximes servaient dans laccompagnement-recherche et avaient un but de collecte de donnes et de prise de conscience du cheminement de sa dmarche (elles taient recueillies pour tre traites et analyses). Ces dernires fiches ont pu tre comptabilises, car elles ont t recueillies. Cest entre 3000 et 4000 fiches qui ont t compltes en cours de projet. Cela fait une moyenne de 3 ou 4 fiches par personne, ce qui veut dire que lcriture plus ou moins rflexive, plus ou moins professionnalisante a t grandement utilise dans ce projet et quelle mrite une attention particulire . Lanalyse des donnes issues de la compltion de ces fiches dites rflexives sattardera deux aspects : 1) le contenu des fiches qui fait merger la culture pdagogique dveloppe dans le cadre du projet et 2) les rsultats lis au processus dcriture. Le point 4 prsentera cette analyse .

3.2. Le journal daccompagnementLautre volet du processus dcriture rflexive et professionnalisante a consist faire rdiger un journal daccompagnement . La dmarche de compltion dun journal daccompagnement a t ralise au cours des trois premires annes du projet (2002-2005) et, sur 350 personnes, 35 ont accept de le produire. Cinq ou six journaux (de quatre cinq pages) ont t rdigs par personne sur une priode denviron une anne et demie (six rencontres de deux jours). Cela fait environ 200 journaux (800 900 pages de texte). Pour ce journal daccompagnement, aucune structure na t impose au dpart, mme si certains lments proposs pouvaient y tre intgrs. Au fur et mesure que des journaux taient remis et lus, ils taient comments et des

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exigences particulires taient formules. Cette faon de procder est lie une dmarche de recherche qui tient compte de la ralit professionnelle dun milieu et qui veut produire des rsultats refltant ce qui merge de la dmarche. La rdaction du journal visait aider les personnes accompagnes approfondir leur propre cheminement professionnel et recueillir des donnes dun chantillon de volontaires qui acceptaient de sengager tenir un tel journal. Les personnes qui ont rdig un journal daccompagnement taient inscrites un programme court de deuxime cycle de six crdits universitaires (90 heures de cours) intitul Formation laccompagnement dans lesprit du nouveau curriculum scolaire au Qubec . La compltion du journal tenait lieu de travail raliser dans le cadre de cette formation. Lvaluation finale tait indique par les cotes succs (S) ou chec (E) . Dans les faits, lorsque les journaux taient remis, la cote S (pour succs) tait attribue ; cest lvolution de la qualit des productions qui a justifi cette position. Ce faisant, les personnes accompagnes se sentaient plus laise pour crire, car lvaluation ntait pas vraiment un enjeu. Les personnes qui avaient accept de tenir un journal provenaient de plusieurs rgions du Qubec. Elles nassistaient pas toutes aux mmes rencontres. Pour rtroagir de faon lectronique au contenu des journaux daccompagnement, la chercheure-accompagnatrice5 adressait des commentaires gnraux lensemble des personnes accompagnes ; ces commentaires mergeaient de la lecture de tous les journaux reus un moment donn. Dautres commentaires taient fournis aux individus et les concernaient plus particulirement. La chercheureaccompagnatrice a fait des commentaires entre chaque journal produire (de trois cinq pages destines chaque personne). De faon gnrale, ces commentaires visaient lamlioration sur le plan de lanalyse des pratiques et de la rflexion. Ces donnes de recherche ont t analyses et les rsultats complets seront prsents dans un autre texte. Cependant, des lments de rsultats sont rapports dans la section 4 du prsent chapitre dans une perspective exploratoire et pour contribuer la rflexion sur le processus dcriture dans laccompagnement dun changement . Dans les crits, il est spcialement fait mention du journal de bord ; ce concept est le plus souvent utilis. Cependant, comme la notion daccompagnement est maintenant entre dans les pratiques de formation et dintervention, lide de parler dun journal daccompagnement5 . Il sagit ici de Louise Lafortune .

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est ressortie des travaux raliss dans le cadre du projet relat dans ce texte. Dans ce projet, un journal daccompagnement est dfini comme un outil daccompagnement, de formation et de recherche permettant de consigner des lments dobservations et de rflexions personnelles utiles la comprhension de lvolution du processus dun changement. Il peut aussi bien traiter de lvolution de laccompagnement ralis que des lments sur sa propre volution dans cette dmarche. Il comporte gnralement plusieurs sections qui peuvent tre regroupes comme suit : les apprentissages raliss (connaissances, comptences, attitudes, etc.), le cheminement ralis (volution, prise de conscience, questionnement), les traces lies un projet daction ou daccompagnement (par exemple : conditions favorables, lments de modles, rpercussions, lments de thorisation mergente) et autres informations (notes de lectures, rflexions personnelles, observations ou rflexions pour donner suite des rencontres avec le milieu scolaire). Les informations contenues dans ce journal peuvent tre runies sous trois thmes : la dmarche daccompagnement, les rsultats attendus et les rflexions que ceux-ci suscitent propos de sa dmarche professionnelle dans laccompagnement. 1) a dmarche daccompagnement contient : ce qui a t fait (aspect descriptif) ; la perception des ractions des personnes accompagnes (observation, manifestations) ; une analyse et une interprtation des ractions (le pourquoi) ; des ajustements pour une prochaine tape incluant les raisons de ces changements (rgulation). 2) Les rsultats attendus comportent une modlisation de la dmarche entreprise : par exemple, les lments de lvolution dun groupe particulier, dune commission scolaire particulire, dune cole particulire, dune classe particulire (caractristiques, principes, aspects gnraux). Ils peuvent dcrire les conditions qui facilitent laccompagnement : lesquelles, pourquoi ? Enfin, ces rsultats peuvent contenir une exploration des rpercussions pour les personnes engages dans le changement et particulirement pour celle qui tient le journal. 3) Les rsultats attendus apportent des rflexions relativement sa dmarche professionnelle. En ce sens, le journal peut faire tat de diffrents lments : ses apprentissages, son volution, ses rflexions lies au changement de pratique, ses dfis professionnels. Les personnes qui rdigent ce journal daccompagnement dcident des aspects quelles veulent partager ; cependant, la chercheure-accompagnatrice accorde une attention particulire lanalyse (explication, justification, critique) et le fait de se limiter se raconter ou dcrire est relev et critiqu pour susciter lanalyse lors dune prochaine tape .

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Au regard dun retour rflexif sur sa pratique, lejournal suppose lcriture comme un moyen de communication . Ce moyen permet non seulement de garder des traces des ides, des expriences et des rflexions, mais aussi de revenir sur ce qui sest pass ou ce qui a t pens. De plus, diverses expriences nous laissent supposer que le processus dcriture exige une organisation de la pense, ce qui exige des prises de conscience et oblige faire un retour rflexif sur ses actions (Lafortune et Cyr, 2004, p. 250).

Dans un tel contexte, lcriture est un instrument de cration et le journal est en soi une cration. Il faut donc quil reflte celui qui le cre. Le journal est essentiellement un miroir o lon se trouve et se retrouve (Par, 1984, p. 27). Dans le cadre du volet de recherche de ce projet, il nest pas possible de comparer lapport du processus dcriture pour les personnes qui ont tenu le journal daccompagnement par rapport celles qui nont particip quau processus dcriture associ aux fiches rflexives ; cependant, cela pourrait tre intressant de le faire dans une recherche ultrieure. En tant que limite, on peut penser quune dmarche de recherche, comme celle ralise o les personnes participantes ont rdig un journal, a rejoint celles qui acceptent dcrire et que lactivit dcriture ne rebute pas au dpart. Dans une telle recherche, il serait possible de communiquer avec les personnes qui ont complt le journal daccompagnement pour explorer avec elles ce quelles ont conserv de cette pratique, aprs deux ou trois ans, dans leur pratique en rapport avec le processus dcriture. Dans une autre recherche, il pourrait tre envisag de rejoindre celles qui ont dclin loffre de tenir un tel journal afin de connatre les raisons pour lesquelles elles ne se sont pas engages dans ce processus de rflexion bas sur lcriture .

4.

Journaux daccompagnement : une premire exploration des rsultats relatifs au processus dcriture

Les rsultats prsents ici portent sur ce qui est dit propos du processus dcriture et propos de la rflexion rapporte dans les journaux daccompagnement. Ces journaux faisaient tat des lments suivants : les expriences ralises dans les milieux de travail, le vcu

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sur le plan professionnel, le cheminement ou leurs apprentissages raliss. La chercheure-accompagnatrice a, de diffrentes faons, demand aux personnes accompagnes de rflchir sur ce que leur apportait le fait de rdiger leur journal . Compte tenu du contexte professionnel vis par le projet, le processus de garder des traces a t utilis en tant que dmarche de formation, de rflexion et danalyse dans une perspective de changement de pratique. Le praticien ou la praticienne conserve des traces crites de son cheminement professionnel et peut y revenir diffrents moments pour rflchir sur sa pratique et lanalyser et ainsi sengager dans une pratique rflexive. ce sujet, une personne dclare : je lance des ides ple-mle. Le fait de les crire me permet une meilleure rflexion6 . Ce processus peut aussi permettre daborder des dimensions de sa pratique et de porter un regard rtrospectif sur un vnement ou une situation. Ainsi, lcriture permet de fermer la boucle suite un vnement, de voir de nouvelles avenues et de [se] retrouver avec [soi-mme], [dtre] plus concentr la tche. Si les personnes en arrivent prendre conscience de limportance de conserver des traces, la pratique de lcriture rflexive peut sintgrer progressivement leurs habitudes et les aider saisir que les paroles senvolent et les crits restent et que ces derniers sont indispensables pour revenir sur leurs penses aprs un certain temps. Aussi, pour favoriser une bonne supervision et la continuit dans laction, il importe de monter des dossiers au fur et mesure des actions poses. Toutefois, il ne semble pas simple de maintenir un tel processus. En ce sens, une personne crit : mon dfi est darriver utiliser [le journal daccompagnement] quotidiennement pour quil puisse me servir avant, pendant et aprs mes rencontres. Il me permettrait de planifier mes rencontres avec des intentions visant dvelopper un accompagnement mtacognitif intgr [et ] rtroagir sur celles-ci pour pouvoir me rguler, valuer mon processus et me rajuster. Ainsi, cette dmarche dcriture peut aider constater [son] volution et [ se] donner en [exemple] pour un accompagnement futur. Cest une faon de prendre du temps de recul [] pour encadrer les apprentissages [raliss] et les rinvestir au besoin. Certains propos extraits des journaux daccompagnement laissent supposer que le processus mis en uvre dans lexpression crite fournit une occasion de rflexion et de mtacognition. Par exemple, la rflexion dans laccompagnement est souvent difficile concrtiser :6. Les propos en italique de cette section sont des extraits des journaux daccompagnement .

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pour ce qui est de lapproche rflexive, je crois que lappropriation de cette habilet lors danimation est loin dtre simple. En fait, dans un premier temps, il faut dabord tre rflexif envers soi-mme afin dtre conscient des actions rflexives poses. Jai tent dajuster les questionnements de mes documents crits afin de massurer que les questions amenaient les participants un certain niveau mtacognitif. Juste le fait de prparer les questions avec un souci rflexif permet de beaucoup cheminer au niveau de la porte du questionnement dans le dveloppement dhabilets mtacognitives chez nos participants. Lors de mes animations, dans le feu de laction, srement pour montrer que lon est en contrle de son contenu, il mest encore difficile de faire des pauses rflexives. Je mefforce dobserver les occasions o je pourrai utiliser un questionnement mtacognitif afin de faire avancer les gens par eux-mmes.

Des prises de conscience orales peuvent tre intressantes couter et faire merger, mais lorsquelles sont crites, il est possible de les reprendre et de les examiner diffrents moments dun accompagnement. Une dmarche rflexive sur ces propres processus mentaux et sur ses actions semble aider dgager diffrents lments et un questionnement autour de la mtacognition. Ainsi, il devient possible de se fixer comme objectif de porter personnellement un regard sur [sa] dmarche mentale dans le but de planifier, dajuster, de vrifier et dvaluer [son] processus dapprentissage. cela sajoutent des gestes poss pour voluer dans [sa propre] mtacognition : comme essayer de dvelopper un climat affectif, tenter dtablir une relation de confiance, sajuster dans laction, amener les personnes accompagnes faire des liens entre des ides mises par les personnes du groupe pour en faire des nouveaux, questionner beaucoup plus quauparavant, montrer [ses] croyances et sautovaluer . Il se rvle ncessaire de rflchir sur ses propres processus dapprentissage et dintervention pour pouvoir accompagner les autres le faire. Ainsi, on ne peut faire vivre aux autres ce que nous navons pas vcu nous-mme. Au-del de laspect descriptif, il apparat primordial de se prvoir des temps darrt aprs certaines activits, afin de permettre [aux personnes accompagnes] de porter deux regards. Le premier sur le processus, les stratgies daccompagnement utilises et le deuxime sur les apprentissages. Porter un regard rflexif et mtacognitif supposerait donc que soient amnags des temps de rflexion cet effet. Les propos recueillis sur lapport du processus dcriture dans un journal daccompagnement laissent entrevoir les possibilits quoffre cette dmarche. Cependant, cette recherche tant exploratoire, une autre recherche pourrait permettre de comprendre tous les facteurs

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contribuant ces actions, apprentissages et rflexions. Lcriture peut ressortir comme un de ces facteurs. Mais est-ce le facteur principal ? Comment est-il alli aux autres facteurs ? Quels en sont les avantages et les limites ? De faon synthtique, certains propos des journaux daccompagnement laissent penser, par exemple, quil y a une prise de conscience de la complexit de rflchir sur ses apprentissages (mtacognition) et ses actions (pratique rflexive). Dautres propos relvent quil est difficile de donner des temps de rflexion et, surtout, de le faire dans laction, a fortiori si ces moments nont pas t prvus lors de la prparation des rencontres . Une autre ide ressort et concerne le fait dtre capable de le faire pour pouvoir le faire faire ; il y a donc la rflexion sur soi pour ensuite pouvoir la susciter chez les autres. Ces prises de conscience sont stimules par des discussions, mais il semble quavoir pris le temps dcrire aide avoir un certain degr de conscience. Cela peut contribuer au passage dune conscience superficielle une conscience approfondie ou dune tincelle lintgration des prises de conscience dans ses actions (Lafortune, 2007). Dans les moments de difficults, il semble que lcriture aide trouver des solutions (travaux de Pennebaker, rapports par Gaschler, 2007). Certaines actions sont tenues pour tre plus prometteuses : se rendre compte de ce qui est fait dans laction et de ce qui est plutt mtacognitif ; questionner les personnes accompagnes en sinterrogeant sur la dimension rflexive de ses propres questions ; sautovaluer et faire un retour sur ses dmarches ; accepter le regard des personnes accompagnes sur ses ides et croyances et sur ses actions. Enfin, encore ici, des crits des journaux portant particulirement sur des apprentissages raliss lors des rencontres du projet daccompagnement-recherche : par exemple, lorsquil est question des explications concernant la mtacognition, ce sont les lments de formation qui sont mis en avant. Les retrouver dans les journaux daccompagnement aide se rendre compte de la porte de la formation . Comme pour les autres aspects rapports dans cette partie des rsultats, il nest pas possible de confirmer que les prises de conscience ne sont dues quau processus dcriture. Mais on peut supposer que le fait dcrire aide prcisment lintgration des ides mises et effectuer des actions dans le sens des prises de conscience. Une recherche plus pousse permettrait de confirmer cette hypothse .

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5.

des moyens de susciter lcriture dans la formation et laccompagnement

Dans tout ce qui a t relat dans le prsent texte, il na pas beaucoup t question du fait quil nest pas toujours simple damener des personnes accompagnes du milieu scolaire sengager dans un processus dcriture propos de leurs pratiques et sur leurs pratiques. crire prend du temps et prendre du temps pour le faire ne semble pas utile, voire ncessaire, une dmarche de changement. Dans les rencontres, comme personne accompagnatrice, il est possible de se rendre compte que : 1) certaines personnes attendent que les autres aient fini dcrire, 2) dautres semblent penser ce quelles criraient sans le faire, 3) dautres crivent un peu tandis que 4) dautres sengagent dans la tche de sorte quil est parfois ncessaire de les arrter dcrire. On peut alors se demander ce quil conviendrait de faire pour favoriser lengagement dans lcriture. 1) Dabord, il semble important de croire soi-mme lutilit dcrire de faon rflexive, de le montrer, de le dire et dcrire pour faire part de son propre processus dcriture . 2) Ensuite, il apparat ncessaire de provoquer des moments dcriture et, avec le temps, de faire en sorte que lcriture soit considre dans la formation ou dans laccompagnement comme faisant partie intgrante de la dmarche. Car il faut avouer que trop souvent, les moments dcriture sont courts et proposs en fin de parcours lorsque les personnes accompagnes sont puises et ne peuvent mettre toute la concentration ncessaire lcriture, surtout si elle se veut rflexive. 3) Il importe que les tches dcriture aient du sens pour les personnes accompagnes. Pour y arriver, il est souvent ncessaire dajuster dans laction ce qui tait prvu de demander dcrire tout en gardant lesprit le fil conducteur de la rencontre et ce qui tait vis par la formation. 4) De plus, les tches dcriture sont souvent prsentes laide de questions. Alors, transformer les questions que lon pose habituellement en questions rflexives nest pas toujours simple (Lafortune, 2004). Par consquent, se former au questionnement apparat une avenue prometteuse pour que la tche dcriture amne une rflexion approfondie. 5) Enfin, il semble indispensable dencourager la discussion sur la ncessit de garder des traces jusqu sengager dans un processus dcriture rflexive et professionnalisante dans laccompagnement dun changement . Les cinq ides qui prcdent sont des moyens de susciter lengagement dans un processus dcriture rflexive et professionnalisante. Mais quels peuvent tre les moyens dcrire de faon rflexive vers

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la professionnalisation . Les moyens dcrits ci-aprs correspondent ceux qui sont prsents dans le texte ; nous leur avons cependant donn une touche diffrente pour favoriser des adaptations dans diverses situations. Des fiches construites a priori afin de faire merger les connaissances, expriences et comptences antrieures. Il peut y tre ajout des questions comme : Quest-ce qui a permis de construire ces connaissances, de vivre ces expriences et de dvelopper ces comptences ? Des fiches permettant un travail en quipe sur des mises en situation proposes . Des fiches fournissant une grille danalyse de situations qui demandent des explications. Une question la fin de certaines fiches pour demander ce qua permis la rflexion amorce par les autres questions poses. Des fiches portant explicitement sur le processus dcriture et demandant ce que le fait dcrire propos de ses pratiques. Des questions menant poser diffrents regards sur sa pratique ou les pratiques : ce qui est fait, comment cela est fait, pourquoi cela est fait, ce que cela apporte, ce que le processus dcrire propos de ces diffrents regards apporte . Un journal daccompagnement demandant de dcrire, a priori, une situation professionnelle vivre et faire vivre, danticiper les ractions, de prparer des ajustements possibles insrer dans laction . Un journal daccompagnement demandant de dcrire, a posteriori, une situation professionnelle vcue, de donner les ractions des personnes accompagnes ou formes, de discuter de ce qui pourrait tre fait une autre fois . Un journal daccompagnement souple et ouvert permettant de laisser libre court aux ides, impressions et rflexions. Les discussions sur les crits favorisent le raffinement partir de ce que les personnes accompagnes veulent retirer du processus dcriture et des constations faites la suite dun tel exercice dcriture, plutt libre.

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Des notes de formation prises dans laction avec autant des lments de contenu de ce qui se passe que des lments de rflexion propos de ce qui se passe. A posteriori, ces notes sont utiles pour faire un retour sur la rencontre et servir la prparation dune autre rencontre . Un document de prparation dune rencontre ou de retour sur une rencontre. Un tel document plutt descriptif prcise les tapes raliser et le temps consacrer chaque tape. Plus complet, il apporte une dimension rflexive par des anticipations examines la suite de la rencontre, par des analyses de ses pratiques, par des analyses de laction satisfaisante ou non Un rapport o lon retrouve la fois une description des actions, une analyse des actions et des perspectives de changements pour une prochaine fois, ainsi que des lments de thorisation mergente pouvant ventuellement mener la conceptualisation de sa pratique ou des pratiques et mme la publication dun livre sous la forme dun essai en ducation .

ConclusionLe prsent texte porte plus particulirement sur lutilisation dun journal daccompagnement comme moyen dcriture rflexive professionnalisante. Une dmarche exploratoire donne les rsultats suivants. Le processus dcriture est complexe sil vise faire rflchir sur ses apprentissages (mtacognition) et sur ses actions (pratique rflexive). Le processus dcriture nest pas simple, sil sagit de donner des temps de rflexion et de le faire dans laction, afin que cela soit intgr aux moments de formation. Le processus dcriture suppose dtre capable de le faire pour ventuellement le faire faire, ce qui demande de rflchir sur sa pratique professionnelle dcriture pour ensuite amener les autres faire de mme . Le processus dcriture mne des discussions qui favorisent des prises de conscience, mais il semble que davoir pris le temps dcrire accroisse ce degr de conscience .

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Le processus dcriture visant susciter certaines actions peut avoir des rpercussions prometteuses : se rendre compte de ce qui est fait dans laction et de ce qui est plutt mtacognitif ; questionner les personnes accompagnes en sinterrogeant sur la dimension rflexive de ses propres questions ; sautovaluer et faire un retour sur ses dmarches ; accepter le regard des personnes accompagnes sur ses ides et croyances ainsi que sur ses actions . Avec le processus dcriture, il est possible de percevoir les rpercussions de la formation . Le processus dcriture nest pas le seul moyen de raliser des prises de conscience et des passages laction, mais il nest pas facile de distinguer ce qui provient du processus dcriture de ce qui relve dautres actions de formation ou daccompagnement. Le processus dcriture semble avoir aid structurer la pense des personnes accompagnes et laborer des formations organises tout en ayant une certaine souplesse . ces rsultats sajoute une rflexion lie au projet dARF de la mise en uvre dun changement en ducation la base de ce texte. Est-il possible daccompagner un changement important et en profondeur sans songer garder des traces de la dmarche ou sengager dans une dmarche dcriture rflexive professionnalisante ? Lexprience ralise autorise penser quun accompagnement exige que des traces soient gardes par la personne accompagnatrice et que tant les personnes accompagnatrices que les personnes accompagnes ont avantage sengager dans un processus dcriture rflexive. Comme laccompagnement exige un suivi et une continuit, lcriture permet de suivre son cheminement personnel ainsi que celui du groupe, mais aussi de revenir sur certaines rflexions et actions divers moments dans la dmarche. Dautres questions mergent de cette ide quun accompagnement exige de garder des traces, davoir une pratique scripturale : Quest-ce qui peut aider des personnes accompagnes sengager dans un processus de garder des trac