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Cycle de séminaires
le renouveau urbainrénovation urbaine et mixité sociale
Synthèse des 6 séances 2007-2008
Les enjeux de culture du renouvellement urbain
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Ce document final rassemble l’ensemble des textes distribués avant le déroulement de chacune des six séances du séminaire‐atelier « Enjeux culturel du renouvellement urbain », ainsi que les synthèses réalisées à l’issue de ces séances. Chaque synthèse restitue les propos tenus par les divers participants, qu’il s’agisse des intervenants ou des personnes ayant pris la parole au cours des débats. Table des matières
- p. 3 : Atelier 1 – Les enjeux de culture du renouvellement urbain contemporains au regard de l’histoire
- p. 16 : Atelier 2 – La culture comme levier d’attractivité urbaine, les rôles dévolus - à la créativité urbaine dans le renouvellement urbain
- p. 44 : Atelier 3 – La pensée de la diversité dans le renouvellement urbain : masque,
espoir ou règle, les conditions de réalité de la ville cosmopolite
- p. 74 : Atelier 4 – Vivre la ville durable, entre fantasme et réalité, entre rédemption et utopie
- p. 89 : Atelier 5 – Nouvelles temporalités de l’action spatiale : une condition
incertaine ?
- p.109 : Atelier 6 – Le renouvellement urbain en ses lieux : observateurs et observations
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Atelier 1
Les enjeux de culture du renouvellement urbain contemporains au regard de l’histoire
Attendus précédant la séance Afin d’encadrer la réflexion de cette série d’ateliers consacrée aux enjeux de culture du renouvellement urbain, la première séance prendra une forme différente des rendez‐vous suivants. Elle sera l’occasion de préciser l’objet des discussions à venir et de soulever l’ensemble des questions qui accompagneront le déroulement des autres séances, au travers d’une mise en perspective historique des pratiques actuelles. Exceptionnellement, cet atelier fonctionnera à l’appui de plusieurs interventions de spécialistes (enseignant‐chercheurs, praticiens, grands témoins) qui permettront d’offrir des éclairages divers sur l’histoire du renouvellement urbain et de ses enjeux, en repositionnant les questionnements contemporains dans le temps long de la fabrique de la ville. Il s’agira en premier lieu de se pencher sur l’évolution historique des modèles urbanistiques et de questionner à cette aune les enjeux contemporains du renouvellement urbain. La problématique du renouvellement de la ville sur elle‐même, telle qu’elle est envisagée aujourd’hui semble apporter une grande nouveauté dans la façon de penser et de faire la ville, en comparaison avec les modèles de développement urbains extensifs pratiqués au cours des dernières décennies. Pourtant, ce changement de pratique n’est‐il pas à réinterroger si l’on change d’échelle temporelle de référence ? Au regard de l’histoire des villes, la pratique du renouvellement urbain, du changement de fonction et de sens des lieux au cours du temps, est‐elle si neuve ? On pourra ainsi s’interroger sur la nature de la période que nous vivons actuellement : fin d’un cycle après la parenthèse de l’urbanisme moderne, continuité des modèles anciens, ou au contraire innovation opérationnelle et intellectuelle… en repositionnant le renouvellement urbain contemporain dans l’histoire de l’urbanisme. Cette séance sera l’occasion de rappeler la généalogie de certains modèles architecturaux, spatiaux et sociaux, et d’évoquer la circulation de ces cadres intellectuels dans l’espace et le temps. En second lieu, on pourra se demander si le renouvellement de la ville et des quartiers a fait émerger une nouvelle culture professionnelle et de nouveaux modes opérationnels. Peut‐on parler d’une culture professionnelle du renouvellement urbain ? Sommes‐nous en présence ou non de lieux de sédimentation d’une nouvelle manière d’envisager la conception et la gestion des villes ? Peut‐on repérer des glissements ou des évolutions notables dans les manières d’enseigner l’architecture, l’urbanisme, l’aménagement et la gestion urbaine ? Les appels d’offre de recherche récents, les colloques, les instances de réflexion professionnelles rendent‐ils compte de l’apparition de nouvelles préoccupations, de nouvelles manières d’envisager la ville ? Le renouvellement de la ville sur elle‐même
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implique‐t‐il l’intervention de nouveaux corps de métiers ? De nouvelles compétences sont‐elles rendues nécessaires ? Donne‐t‐il lieu à de nouvelles modalités d’interventions : nouveau cadre juridique, évolution des politiques publiques et des maîtrises d’ouvrages, transformation du système d’acteurs et des pratiques de l’aménagement, émergence de la participation et de l’évaluation ? Ou devons‐nous nuancer les innovations culturelles et pratiques engendrées par le renouvellement des villes et des quartiers ? Synthèse de la séance
Propos introductif En introduction à ce premier rendez‐vous, mais aussi à l’ensemble des séances de cet atelier, Michelle SUSTRAC et François MENARD ont souhaité dire quelques mots sur la raison d’être de cette initiative et son fonctionnement. L’idée de cet atelier est née à la fois de la conviction que l’entrée par la culture était une manière pertinente pour aborder les mutations en cours dans la ville, quelle permettait d’offrir un regard et de développer une pensée en décalage par rapport aux façons habituelles d’envisager le fait urbain, mais aussi par un manque ressenti et la nécessité de compléter et d’enrichir les réponses apportées par les précédents appels d’offre de recherche. Il se donne donc pour objectif d’explorer en quoi les nouvelles configurations urbaines, les nouveaux modes de conception sont créateurs de nouvelles formes cultures et vice‐versa. Cet atelier se conçoit comme un lieu de débat ouvert, où la diversité des personnes invitées et des regards croisés doit permettre un échange fructueux. Si ces différentes séances ont une valeur pour elles‐mêmes et qu’elles ont pour objectif premier d’instaurer un questionnement enrichi et novateur, elles s’inscrivent aussi, comme c’est la règle au PUCA, dans la perspective d’élaborer à terme un appel d’offre de recherche, grâce aux pistes réflexives qui y auront été identifiées et creusées. Sans vouloir donner des définitions a priori, trop rigides, Michelle SUSTRAC et François MENARD précisent ce qu’ils entendent par les termes employés dans l’intitulé « Enjeux de culture du renouvellement urbain ». Le « renouvellement urbain » se conçoit ici au sens large du terme et désigne à la fois la régénération urbaine des villes ou des quartiers anciens, en France et ailleurs ; une pratique plus française liée à la Politique de la ville, centrée sur la requalification ou, comme on l’appelle aujourd’hui la « rénovation urbaine » des quartiers d’habitat social ; mais aussi le renouveau des villes sur elles‐mêmes qui s’opère sans que celui‐ci soit directement imputable à un geste politique particulier. La notion de culture est, elle aussi, appréhendée de la manière la plus large possible et renvoie à la fois à la culture savante ou artistique dans un sens plutôt classique, et à la culture comme système de valeurs et de représentations, comme champ de pratiques. En convoquant l’expression « enjeux de culture du renouvellement urbain », Michelle SUSTRAC et François MENARD faisaient l’hypothèse que les transformations récentes du tissu bâti et de la manière d’envisager le développement de la ville étaient créatrices de nouveaux enjeux au niveau des pratiques sociales et artistiques, mais que ces évolutions
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étaient aussi la résultante de nouveaux modèles d’appréhension de la vie urbaine, la concrétisation de modèles sociétaux. A partir de cette piste initiale, ils souhaitaient explorer dans quelle mesure le contemporain propose des conceptions, des promesses et des modèles différents de ceux qui ont été proposé par le passé, ou au contraire mieux cerner les héritages qui perdurent aujourd’hui encore. Synthèse des interventions Afin d’apporter à cette première séance un cadre réflexif préalable aux échanges, il a été demandé à plusieurs personnes, venues d’horizons différents, de préparer une intervention permettant de resituer les enjeux de culture du renouvellement urbain contemporain à l’aune d’expériences ou de catégories d’action et de pensée plus anciennes. C’est à partir de ces quatre interventions que s’est ensuite structuré le débat avec l’ensemble des personnes présentes. Nous tentons ici de synthétiser les principaux arguments de leur propos. Certaines remarques de ces intervenants, plus liminaires, seront quant à elles évoquées ensuite, dans le cadre de la synthèse du débat. Marion SEGAUD a entamé la séance en donnant quelques grands repères dans l’histoire des idées sur la ville, sur la façon dont peut être pensée la relation entre milieu urbain et comportement. Marion SEGAUD débute son exposé en se référant à l’Ecole de Chicago, fondatrice de la sociologie urbaine à la suite de Simmel, et à la notion de ville‐milieu et à la figure du citadin et de l’étranger développées par des auteurs comme Wirth ou Park. Pour l’Ecole de Chicago et ses différents auteurs, la ville devient en soi une variable explicative : la vie urbaine et ses formes – hétérogénéité et densité notamment – suscitent la création d’une nouvelle culture fondée sur l’anonymat, le relâchement des liens familiaux… c'est‐à‐dire le passage de relations primaires à des relations secondaires de socialisation. Marion SEGAUD évoque ensuite la critique de cette vision urbaine développée par Manuel Castells dans les années 1970 qui, dans une perspective marxiste, réfute la naturalisation de la notion de ville‐milieu et l’impact des conditions spatiales sur les conduites. Pour lui, la culture urbaine est en fait la traduction culturelle du contexte d’industrialisation capitaliste et de rationalisation de la société moderne. Plus proche de celle des américains, l’approche d’Henri Lefebvre ensuite décrite met en lumière la vie sociale et culturelle qui se met en place à partir de la morphologie urbaine et des conditions économiques. Face à une vie sociale des masses confisquée, aliénée, Henri Lefebvre propose une approche par la vie quotidienne qui permet, en repensant la relation entre espace et culture, d’instaurer une distance réflexive et une réappropriation du quotidien par les citadins. Cette notion de vie quotidienne est aussi, nous dit Marion SEGAUD, à la base des réflexions des constructivistes russes puis du Bauhaus sur la ville et l’homme nouveau qu’elle doit permettre de faire émerger. Gainsbourg par exemple développe la notion de « condensateurs sociaux », bâtiments et équipements de type nouveau, à la fois moules à l’intérieur desquels l’homme va se transformer et reflets construits à l’image de la société future. Ces penseurs socialistes mettent en relation transformation de l’espace et transformation des usages dans une perspective révolutionnaire.
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Dans un contexte différent, Le Corbusier développe lui aussi une théorie mettant en relation architecture et évolution sociétale. En associant à chaque espace une fonctionnalité propre, dans le contexte d’un espace rationalisé, l’architecture et l’urbanisme doivent permette à l’individu du XXème siècle d’accéder à la modernité et à l’ « esprit nouveau ». L’évocation de ces différentes pensées nous permet, selon Marion SEGAUD, de garder à l’esprit différentes manières d’articuler la relation entre la ville ‐ ses espaces, ses morphologies, ses architectures, ses dispositifs ‐ et les comportements, les cultures qui s’y déploient. Ces théories permettent d’appuyer une réflexion sur les effets culturels de l’organisation des formes urbaines, mais aussi de s’interroger sur l’éthique ou la morale du renouvellement urbain : quelle est l’urbanité attendue de ces dispositifs de transformation, quel éthique de l’urbain se développe aujourd’hui alors que le contexte planétaire semble de plus en plus nous inscrire dans l’urgence ?
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Sylvaine Le GARREC revient ensuite sur les différentes acceptions de la notion de renouvellement urbain qui existent aujourd’hui, en évoquant le propos qu’elle a développé dans son ouvrage Le renouvellement urbain, genèse d’une notion fourre‐tout. Son travail, issu d’une mission confiée par le PUCA consistait, à partir de l’étude d’un important corpus de textes sur ce thème, à situer la notion de renouvellement urbain et les différents sens qu’elle recouvrait. Sylvaine LE GARREC souligne tout d’abord la polysémie de ce terme, la récurrence de son utilisation et la rareté des réflexions théoriques sur le sens de cette notion. Malgré la diversité de ses mobilisations, il est tout de même possible d’en déceler une définition minimale commune – la transformation de la ville à partir de tissus existants – et d’en dégager deux grande acceptions. Chronologiquement parlant, le premier sens de « renouvellement urbain » naît au milieu des années 1990 dans la métropole lilloise sous l’impulsion de François‐Xavier Roussel qui, dans un premier temps, parle de « ville renouvelée ». Cette expression, utilisée pour qualifier le schéma directeur de la métropole lilloise, entretient une parenté explicite avec les politiques d’urban regeneration mises en place en Grande‐Bretagne. Selon cette première acception, le renouvellement urbain cherche à convertir les villes touchées par la désindustrialisation en métropoles tertiaires au rayonnement mondial. Cette politique ne se résume donc pas à la transformation du bâti, elle vise par ce biais un changement des fonctions urbaines aussi bien du quartier concerné que de l’ensemble de l’agglomération. La notion de renouvellement urbain s’applique en ce sens à la revalorisation de zones soumises à de fortes tensions économiques ‐ à Lille, Lyon, Bordeaux, dans la Plaine de France ou ailleurs ‐, ayant pour vocation de devenir les moteurs de l’attractivité des métropoles. Sylvaine LE GARREC note que derrière cette notion se cache une vision très organiciste de la ville qui sous‐tend l’idée qu’une régénération naturelle des tissus et des fonctions est possible si les flux – d’échanges ou économiques – sont réinjectés dans les territoires. La démolition et la transformation du bâti sont vues dans cette perspective comme un moyen de réintroduire les logiques de marché dans certains quartiers ou morceaux de ville qui ne seraient plus irrigués. Le renouvellement urbain a également comme ambition de pallier à
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l’accroissement des inégalités sociales dans un contexte de mutation économique, en entraînant par lui‐même un certain développement social. Par ailleurs, si l’expression « renouvellement urbain » rencontre un tel succès depuis la fin des années quatre‐vingt dix auprès des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, c’est aussi parce que ces derniers voient là un moyen de désigner ce qu’ils ressentent comme un renouvellement de leurs pratiques. La notion finit ainsi par englober l’ensemble des mutations qui touchent leurs métiers. Le renouvellement urbain s’associe en effet à des logiques professionnelles et des thèmes nouveaux, notamment l’importance grandissante des partenaires privés, l’échelle de l’agglomération, la concurrence entre les villes, la qualité qui s’oppose à la quantité, le projet et la participation. Entre 1997 et 1999 un glissement de la notion de renouvellement urbain s’opère en même temps que sa notoriété se développe. La mobilisation du terme de renouvellement urbain par le réseau de la SCET et de la Caisse des Dépôts induit une restriction progressive de son sens. Cette dernière utilise en effet l’expression pour dénommer un nouveau programme de financement qu’elle négocie avec l’Etat. Il devait en théorie s’adresser aux trois territoires de prédilection du renouvellement urbain tel qu’il est compris dans un sens large : les friches industrielles, les quartiers d’habitat social et les quartiers anciens dégradés. Cependant, selon ses prérogatives, l’Etat impose que seuls bénéficient de ces financement les territoires pour lesquels a déjà été signé avec lui un dispositif contractuel (Contrats de Ville, Grands Projets Urbains, Zones Franches Urbaines...), ce qui réduit de fait les cibles du programme de renouvellement urbain aux seuls sites de la politique de la Ville. L’apport de capitaux privés y devient plus théorique, l’augmentation des moyens financiers se substitue à l’évolution fondamentale des fonctions. Cette acception plus restrictive du renouvellement urbain s’accentue et change de dimension avec l’arrivée de Jean‐Louis Borloo au Ministère de la Ville qui cherche une nouvelle dénomination pour désigner la démolition‐reconstruction de logements sociaux et l’émergence du terme « rénovation urbaine ». Le dispositif PRU qui accompagne la politique de rénovation urbaine de l’ANRU induit une réduction de l’échelle à celle du quartier et une centralisation des décisions qui va à l’encontre des discours antérieurement liés au renouvellement urbain relatifs au partenariat, à la transversalité ou au réseau.
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Henri COING a souhaité développer son propos en adoptant le point de vue d’un « huron » des années 1960, afin de porter un regard distancié sur les pratiques contemporaines du renouvellement urbain. Son intervention insiste tout particulièrement sur la légitimité des pratiques de démolition des années 1960 à aujourd’hui. En effet, Henri COING se demande ce qui fait qu’à une époque la pratique, en soi violente et spectaculaire, de la démolition et du renouvellement urbain, puisse être ou non légitimée, et ce au sens tant politique que culturel. Il s’interroge sur la façon qu’ont les sociétés, à un moment donné, de légitimer des formes d’actions et les changements qui les sous‐tendent. Pour lui, si la rénovation urbaine de la fin des années cinquante et du début des années soixante était tout aussi violente que celle d’aujourd’hui, elle jouissait d’une légitimité beaucoup plus grande que celle d’aujourd’hui et ce sur quatre dimensions distinctes :
1. Si la rénovation apparait à un moment donné comme d’utilité publique, il faut que ses coûts soient réellement compensés pour ceux qui les subissent et que les
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bénéfices soient eux aussi équitablement répartis. C’est une condition préalable à la légitimation.
2. La légitimité du projet, celle liée à la forme de rupture instaurée et au consensus collectif autour du saut proposé en matière de logement, de projet de ville et de dynamique sociale. Dans les années 1950 et au début des années 1960 il y avait une véritable légitimité sur tous ces points. La rénovation était un projet radical mais « hégémonique » au sens gramscien du terme. Une grande fierté était manifestée à l’égard des quartiers en rénovation qui devaient devenir « les plus beaux quartiers de la ville ». La rénovation représentait une promesse globale d’accession à la modernité, en matière de logement et en matière urbain, où la ville conçue à partir des principes modernes – tours, barres, dalles – était une évidence partagée, non discutée, une image positive de la ville de demain. Aujourd’hui l’ensemble des formes urbaines associées au modernisme sont rejetées, c’est une nouvelle évidence partagée. Il convient donc de s’interroger sur ce qui fonde les évidences partagées de chaque époque et leur relativité. Aujourd’hui on peut s’interroger sur la nature du projet qui est proposé, sur la promesse de modernité induite par les opérations de rénovation et sur leur légitimité.
3. La légitimité autour du constat d’obsolescence : l’importance de l’habitat indigne, les mauvaises conditions de confort sanitaire des populations habitant les quartiers anciens et la volonté partagée de les faire accéder à la modernité, rendait légitime, dans les années 1950 et 1960, le diagnostic sur l’obsolescence des quartiers anciens et leur démolition acceptable. Etant donné les soupçons qui pèsent aujourd’hui sur l’organisation de la vacance et de la dégradation dans les grands ensembles, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la légitimité du diagnostic d’obsolescence qui préside aux démolitions. Dans ce cadre, la démolition est soupçonnée d’être une attaque contre un groupe que l’on veut éliminer, éradiquer, nettoyer.
4. Dernier point, la légitimité en termes de dynamiques sociales. Dans les années 1960, alors que la croissance était très forte, la rénovation n’était pas la cause de ce changement mais une opportunité, un accélérateur, un défi. Comment imaginer aujourd’hui une politique urbaine qui puisse être une opportunité pour les gens qui sont plongés dans le contexte des quartiers sensibles ?
Pour Henri COING, la légitimité de la rénovation actuelle est conditionnée par les réponses que l’on peut donner à ces quatre questions, sur la capacité à proposer des projets ambitieux dont l’utilité publique soit reconnue. Ainsi, le débat ne doit pas porter sur la violence de la rénovation en elle‐même, qui existera toujours, mais sur sa légitimité, qui peut la rendre acceptable à certains moments et dans certaines conditions.
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A l’appui d’un tableau permettant de qualifier et de relier un certain nombre d’évolutions dans les domaines socio‐démographiques, économiques, idéologiques et épistémologiques, avec leurs traductions en matière de politiques publiques et de politiques urbaines, Philippe GENESTIER tente ensuite d’apporter quelques repères historiques. De manière simplifiée, Philippe GENESTIER montre que l’on serait passé depuis les années 1960 d’une époque dominée par le fordisme et l’ouvriérisme à une période contemporaine
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où c’est la figure du cadre qui sert à calibrer les politiques d’urbanisme et les produits urbains, notamment dans le cadre de ce que l’on a appelé le marketing urbain et les opérations d’urban regeneration, qui se sont accompagnées d’une montée en puissance des problématiques qualitatives opposées à la logique quantitative des Trente Glorieuses. Cette nouvelle période, dominée par la figure de l’individu, renvoie aux écrits de Reich et Florida qui, d’une certaine manière, font l’éloge de la nouvelle économie métropolitaine et du renouveau de la croissance liée à l’action de la creative class. Mais, par opposition à cette vision optimiste, il faut se référer également aux écrits de Saskia Sassen sur la ville globale qui décrivent, parallèlement à la mise en place d’une nouvelle économie des loisirs et de la communication, l’émergence d’une nouvelle domesticité. Ainsi, l’emploi des perdants de la mondialisation découle de la moindre valeur de leur temps de travail par rapport au temps de loisir des gagnants. Ce processus accroît donc la dualisation sociale urbaine. Face à cette tendance de fond d’évolution des villes, il existe selon Philippe GENESTIER deux interprétations possibles, et une telle différence est intéressante pour les réflexions de notre atelier car elle permet de préciser les enjeux conceptuels et idéologiques liés au rapport entre renouvellement urbain et culture, et de les nouer en un questionnement problématique. Ce dernier, pour Philippe GENESTIER, émerge lorsque l’on combine les différentes acceptions du mot « culture » et du syntagme « renouvellement urbain », car on se confronte alors à deux univers de sens distincts. Le premier univers de sens s’indexe à la notion d’intégration sociale (au sens durkheimien), qui s’exprime aujourd’hui au moyen des thématiques (pourtant fort peu durkheimiennes) du vivre‐ensemble, du droit à la ville, de l’espace public, de la citoyenneté, de la civilité… Ces thématiques fonctionnent souvent en utilisant la figure stylistique de la syllepse qui fusionne sens propre et sens figuré. Par exemple, avec le terme « urbanité », au sens à la fois de citadin et de politesse : le fait de vivre en ville produirait la pacification et la mise en conformité des moeurs par la simple vertu de la co‐présence. Dans cette perspective, le renouvellement urbain relèverait de la volonté de redonner les qualités de la ville à des territoires qui en manqueraient afin de restaurer le « lien social ». C’est là un univers de sens qui a irrigué l’action de la Politique de la Ville jusqu’à la création de l’ANRU. Cette action se définissait comme une remise aux normes, pratiques et symboliques, pour que tous soient socialement intégrés. Le mot culture veut dire ici animation culturelle et réaffirmation par le local de la mission de « l’État instituteur ». Le second univers de sens que décrit Philippe GENESTIER s’apparente non plus à l’idéal de l’intégration sociale mais aux mécanismes d’intégration systémique dont la théorie a été développée par Jünger Habermas : la participation de fait dans une société par le biais des interactions de consommation et de communication suffirait à produire de l’intégration. La simple participation au système économico‐culturel produirait de fait l’intériorisation des normes et des valeurs de la société, si bien que dans une certaine mesure il n’y aurait pas besoin d’un supplément d’âme culturel et politique. Pour produire une telle intégration de fait, le fonctionnement systémique aurait simplement besoin de se déployer de manière efficace de sorte que chacun puisse participer du référentiel du marché, de la fluidité et de la concurrence – dont relève fondamentalement la notion d’« égalité des chances » (cette conception post‐régalienne de la justice sociale comme accès du plus grand nombre à un jeu social ouvert, Michel Foucault en retrace l’émergence et le déploiement dans son volume
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sur la bio‐politique). Selon cette perspective, le thème du renouvellement urbain s’associe à une logique de l’empowerment : il ne s’agit plus de dénoncer les inégalités pour elles‐mêmes, car il peut exister des « inégalités justes » (John Rawls), qui sont celles qui permettent à tout le monde de participer et de ne pas se sentir définitivement exclu du système social. En termes urbains, cela ne signifie pas remise de tout espace aux normes standardisées de la société « normale », mais plutôt tentatives pour briser l’isolement et l’enfermement de ceux qui sont dans une position sociale exclue. Ces deux univers de sens impliquent des systèmes de valeurs qui conduisent à appréhender différemment l’existence de quartiers d’habitat social défavorisés. Ainsi, pour les tenants de la vision républicaine et égalitariste de l’intégration sociale (qui peuvent tout aussi bien être de gauche comme de droite ; et Philippe GENESTIER voit souvent une « complicité objective » entre les partisans de ces deux options), la démolition se justifie, soit au nom du respect des populations pauvres à qui on impose de vivre dans un habitat « indigne », soit au nom de la sécurité et de l’impossibilité de faire jouer aux institutions publiques leur rôle intégrateur dans ces quartiers. Alors que, en opposition à cette conception, une approche plus auto‐gestionnaire, plus libérale et indexée à la conception systémique de l’intégration, conduirait à être hostile envers les démolitions‐reconstructions, et proposerait à l’inverse de permettre la concentration des populations défavorisées dans ces lieux donnés, afin d’y concentrer et d’y adapter l’aide publique, et pour qu’une logique d’empowerment se déploie à l’initiative des populations qui y résident. Autrement dit, quand on se réfère à cette conception dynamique et systémique de l’intégration (et non pas à une conception statique et statutaire), une concentration de gens défavorisés en situation sociale et culturelle similaire n’est pas lue comme une injure faite à l’universalisme républicain mais comme une possible ressource de remise en selle dans le jeu sociétal. Certes, une telle approche a fait l’objet de quelques expérimentations dans le cadre de la Politique de la ville en France à ses débuts, mais elle est surtout développée aux Etats‐Unis et au Québec, où l’essentiel du travail social auprès des populations défavorisées ne relève pas de l’acculturation aux valeurs publiques et institutionnelles mais du soutien à l’entrepreneuriat. Alors que la conception de l’intégration sociale conduit à établir un constat d’échec par manquement persistant aux normes sociales et culturelles dans les quartiers en difficulté, et justifie en cela la rénovation urbaine, la conception de l’intégration systémique conduirait plutôt à maintenir un habitat destiné aux pauvres, en y adaptant la gestion et les prestations pour que la culture spécifique des habitants soit pour eux une ressource propre, plutôt que de voir démolir des logements très sociaux, déjà trop rares. Synthèse des débats A l’issu de ces interventions, un débat s’est engagé dans la salle. Afin de synthétiser ici les divers propos tenus, nous faisons le choix de les regrouper par thèmes, au risque de gommer la richesse des interventions individuelles.
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Les différentes interventions on tout d’abord suscité un certain nombre de remarques sur l’utilisation des termes « culture », « renouvellement urbain » et sur le cadre réflexif de l’atelier. Marion Segaud, lors de son allocution souligne l’effet positif induit d’emblée par la combinaison entre les termes « culture » et « renouvellement urbain » et sur le recul à mettre en place pour éviter de construire un présupposé positif à cette pratique. Plusieurs personnes reviennent sur les acceptions du « renouvellement urbain » et la façon dont celui‐ci doit être abordé dans les ateliers. Il doit tout d’abord être compris comme un ensemble d’opérations diverses de transformation du rapport entre l’homme et son environnement. En ce sens, toutes les politiques comprises sous le terme « renouvellement urbain » doivent être intégrées à la réflexion, certaines logiques communes s’appliquant à ces territoires et dispositifs différents. Parmi les logiques communes que les personnes présentes évoquent entre renouvellement urbain, au sens « ville renouvelée » et rénovation urbaine, est retenue une même vision organique de la ville et de quartiers « en panne », et une même volonté d’y réintroduire les flux – d’échange et/ou économiques. Toutefois, malgré des rapprochements possibles, une distinction sera toujours à maintenir entre les trois types de renouvellement urbain évoqués, mais aussi entre les politiques de rénovation urbaine des années 1950, des années 1960 et 1970 et celle de l’ANRU. Enfin, afin d’éviter les amalgames, il sera également souhaitable de distinguer les différents moments de la Politique de la ville, notamment la courte période de « Développement social des Quartiers » qui relève d’une logique différente des périodes suivantes. De manière plus générale, plusieurs personnes soulignent le danger de l’utilisation de catégories trop simplificatrices, qui comportent un risque d’enfermement, de simplification excessive et d’appauvrissement de la réflexion. Cette simplification pouvant notamment intervenir lorsque l’on chercher à écrire une histoire, en créant des ruptures a posteriori. La nécessité de bien prendre en compte la spécificité de chaque situation est donc rappelée. Par ailleurs, un débat s’instaure autour de la pertinence du renouvellement urbain comme cadre réflexif. Plusieurs personnes proposent que les interrogations de l’atelier soit élargies au fait urbain en général, qu’elles ne soient pas enfermées uniquement dans les problématiques ou les territoires visés par le renouvellement. Pour répondre à ces remarques, Michelle Sustrac rappelle que le renouvellement urbain est considéré ici comme une des modalités de la production urbaine, et peut, en raison des moyens qui sont mis en œuvre, être abordé comme un révélateur, un condensateur de pratiques politiques, sociales, culturelles et professionnelles. Elle rappelle donc que l’approche par le renouvellement urbain est une manière d’envisager plus généralement le fait urbain. Malgré cette précision, Dominique Figeat met en garde contre l’effet de masque que peut produire la sur‐représentation médiatique des opérations de renouvellement, alors que le gros de la production urbaine continue de se faire en extension. Ainsi, il invite l’atelier à s’interroger également sur les formes culturelles développées dans les extensions urbaines. Plus fondamentalement, plusieurs remarques induisent une critique en soi de l’approche par l’urbain. En effet, la catégorie « urbain » ne serait‐elle pas un artefact pour évoquer ou penser les rapports de classe ? Ces intervenants soulignent ainsi l’intérêt d’une réflexion sur les systèmes idéologiques et socio‐économiques sous‐jacents aux politiques de renouvellement urbain, notamment parce qu’il semblerait qu’une des modalités du contexte
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contemporain consiste à remplacer les rapports sociaux du travail d’hier, qui prennaient place sur les lieux de travail, par des rapports sociaux urbains. En tous les cas, les intervenants semblent s’accorder autour de l’idée que par la transformation du bâti, des espaces publics, des équipements, et/ou des évolutions techniques ce sont de nouvelles normes culturelles qui s’imposent aux pratiques et aux individus. A travers plusieurs exemples ‐ les grands ensembles standardisés des années 1960 s’opposaient au fonctionnement semi‐communautaire des quartiers anciens et s’imposaient comme moyen d’accéder à la modernité ; aujourd’hui, l’individualisation des compteurs d’eau serait révélatrice d’une nouvelle façon de composer les rapports entre individuel et collectif dans ces grands ensembles, de responsabiliser les usagers et de régler les conflits ‐, les participants soulignent l’intérêt d’un réflexion permettant de déceler les modèles culturels et sociaux sous‐jacents aux formes urbaines et architecturales préconisées. Dans la tradition de la sociologie urbaine, il s’agit de s’interroger sur le rôle de la ville – au sens morphologique – et du renouvellement urbain, sur les comportements et la culture, de questionner les effets culturels des formes d’organisation urbaine. Mais il s’agit aussi, à l’inverse, d’interroger l’influence des modes de représentation sur les formes produites. Au cœur de la réflexion à mener il s’agit donc d’explorer les systèmes de valeurs et les modèles sous‐jacents aux politiques contemporaines de renouvellement, et de s’interroger sur ce qui nourrit la production et/ou le renouvellement de la ville aujourd’hui (y compris la ville périphérique). En effet, nous faisons face à une succession de modèles de croyance distincts sur la manière dont on doit produire du changement et/ou résoudre des situations conflictuelles. Il est donc important de s’interroger sur ce qui fonde la rhétorique aujourd’hui, et sur les continuités et les ruptures contemporaines vis‐à‐vis des rhétoriques antérieures. Une des façons d’aborder ce questionnement, le thème de la légitimité évoqué par Henri Coing lors de son intervention, suscite un intérêt tout particulier dans l’assistance. Plusieurs remarques visent à prolonger sa réflexion. Si tout le monde s’accorde à dire que les éléments de légitimité ont fortement évolué des années 1950 à nos jours, il semble nécessaire d’approfondir la réflexion sur cette question. Par ailleurs, il est important de s’interroger sur les destinataires de ces discours de légitimation. L’une des pistes de réflexion pourrait être celle de la recomposition de la tension entre les différentes composantes de la légitimité démocratique, alors qu’une crise de la démocratie institutionnelle semble s’instaurer, que la démocratie sociale se développe à l’appui d’un intérêt nouveau des organisations sociales pour les opérations urbaines, et que la démocratie participative tient un rôle ambigu. Par ailleurs, Henri Coing souligne l’intérêt d’une entrée par les logiques de légitimation, qui permet d’éviter une approche morale de la rénovation urbaine. Une autre façon d’aborder cette question des modèles normatifs, qui est liée à celle de la légitimité, consiste à s’interroger sur les « évidences partagées » du renouvellement urbain. Quelles étaient les évidences partagées prépondérantes hier et celles qui le sont aujourd’hui ? En quoi les évidences partagées contemporaines sont‐elles différentes de celles des années 1960 ? Qu’est‐ce que ces évidences partagées sous‐tendent comme
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modèles ou promesses d’avenir, comme formes de vie urbaine souhaitables. Hier, il s’agissait d’éradiquer l’habitat indigne et d’accéder à la modernité, quelle est la promesse d’avenir qu’offre le renouvellement urbain aujourd’hui ? Quels sont les changements dans les modes de vie des populations et dans les pratiques urbaines qui sont souhaitées et visées ? De quoi investit‐on la production de formes et de fonctionnalités urbaines ? Plusieurs pistes de réponse sont évoquées par les différents participants concernant le système de représentations et les formes rhétoriques contemporaines qui président à la culture professionnelle des opérateurs de l’urbain. Il s’agit, d’une part de la récurrence chez les professionnels du renouvellement urbain d’un discours sur le « radicalement nouveau ». Toute l’histoire de la Politique de la ville, mise à part la période Développement Social des Quartiers, est marquée par l’idée d’un changement radical des pratiques. Or, étant donnée la permanence d’un certain nombre de logiques professionnelles ‐ une approche structurelle, techniciste et bureaucratique de l’urbain, une approche dominante en « de – re – co », un traitement identique des populations, des enjeux financiers importants ‐ ; l’affichage comme nouveautés de logiques anciennes – l’injection de capitaux privés, la participation, la massification des opérations ‐ ; on peut s’interroger sur le sens du recours à cette rhétorique du « radicalement nouveau ». Plusieurs intervenants font l’hypothèse que ce discours induit une dimension positive, liée à l’image flatteuse de la nouveauté, et qu’il permet d’instaurer une démarcation vis‐à‐vis de ce qui s’est fait avant. Le discours de la nouveauté permettrait d’être dans une logique de tabula rasa, qui est elle‐même une forme de légitimation. Cependant, si tout ne change pas et s’il convient d’explorer l’usage excessif de cette référence à la nouveauté, on peut toutefois déceler dans les politiques de renouvellement et de production urbaine un certain nombre d’évolutions. Parmi celles qui retiennent le plus l’attention des participants, il s’agit de la reconfiguration des rapports entre les intervenants publics et privés dans la production de la ville. Les participants sont nombreux en effet à souligner l’évolution des logiques d’intervention, notamment financière, de l’Etat et son désengagement au profit des collectivités locales mais aussi des organisations syndicales. Outre les problèmes posés par le transfert de compétences et de responsabilité aux acteurs locaux, la montée en puissance des organisations comme le MEDEF (1% patronal) dans la conduite des opérations de rénovation urbaine interroge. Si les élites politiques et syndicales ont toujours entretenu un rapport ambigu vis‐à‐vis des politiques de renouvellement urbain – on parle pour les années 1960 d’une alliance gaullo‐communiste – le glissement des rapports sociaux de travail dans la production de l’espace urbain pose question. On peut en effet se demander qui soutient les politiques de renouvellement et pour quelles raisons. Ainsi, il semble important de garder à l’esprit l’influence sur la construction urbaine d’un système productif particulier et des idéologies qui le sous‐tendent. Sur cette question, la discussion entre les participants semble révéler que l’une des idéologies du moment consiste à emprunter largement au registre du discours managérial, et dans ce cadre à nier la référence à une quelconque idéologie…
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Cependant, la discussion soulève également que si les organisations sociales semblent avoir un rôle grandissant dans un contexte de désengagement de l’Etat, celui‐ci n’en distille pas moins, notamment au travers du système d’appel à projet de l’ANRU, un référentiel normatif qui s’impose aux collectivités locales. Si la définition des projets et la responsabilité politique s’exercent désormais au niveau des collectivités locales, on assiste toutefois à l’imposition d’un modèle ANRU qui obéit aux mêmes règles partout. Les participants soulignent donc l’intérêt de réfléchir à la façon dont ce référentiel normatif s’est constitué et ce qu’il implique. Sur cette question des référentiels d’action qui justifient la destruction des barres, plusieurs hypothèses sont avancées par les participants. Il semblerait que la volonté soit plus explicite aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque de banlieue 89, de mettre fin à la concentration de populations pauvres ou de grandes familles. Par ailleurs, les opérations de rénovation urbaine de l’ANRU viseraient à construire une nouvelle forme d’ordinaire urbain, à produire une ville banalisée. L’interrogation sur les référentiels idéologiques et normatifs renvoie à la question des évidences partagées. Plusieurs d’entre‐elles sont évoquées par l’assistance. D’une part, le constat d’une grande difficulté à intervenir, socialement et urbanistiquement, dans ces quartiers, qui s’impose notamment parce que la distinction entre causes et symptôme n’est plus faite, au profit de l’imposition d’un syndrome qu’il convient de contenir plutôt que de réparer. Cette logique débouchant sur l’évidence partagée qu’il faut en finir aujourd’hui avec ces quartiers et les erreurs du passé, même si la nature de ces erreurs n’est pas analysée. D’autre part, l’objectif du renouvellement urbain consiste à réintroduire l’économie dans les territoires qui ne sont plus irrigués par les flux économiques. Outre ces différents présupposés, la question du traitement des habitants de ces quartiers est souvent revenue dans la discussion. En effet, les participants se sont plusieurs fois interrogés sur la brièveté et la disparition de la logique qui a prévalu à l’époque du Développement Social des Quartiers, qui représente une parenthèse dans toute la Politique de la ville française. Il était question alors de faire reposer le renouvellement des quartiers sur la mobilisation des ressources propres des habitants. Dans toutes les autres opérations de renouvellement urbain le désintérêt ou la négation de la capacité culturelle des habitants est une constante, sur laquelle les participants souhaiteraient que l’on s’interroge. D’ailleurs, lorsque l’on évoque les « cultures urbaines », même dans le cadre de cet atelier, il est plus souvent question des politiques culturelles ou des cultures professionnelles que des cultures habitantes. Plusieurs participants apportent une piste de réponse à cette interrogation sur la négation d’une culture propre dans ces quartiers : cette non‐reconnaissance des habitants dans leur spécificité se justifie en raison de la volonté de considérer leur situation comme normale, de les appréhender comme des habitants comme les autres. Etant donnée la volonté de retour à la normalité urbaine de ces quartiers, il est nécessaire de nier la spécificité culturelle de leurs occupants. Enfin, parmi l’ensemble des arguments et thèmes de questionnement avancés par les participants sur les présupposés culturels du renouvellement urbain, certains peuvent être rassemblés sous l’intitulé « contextuel ».
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En effet, on peut s’interroger sur la convergence, à un moment donné, de politiques similaires de renouvellement urbain dans l’ensemble des pays anciennement industrialisés, alors même que les situations politiques et territoriales sont contrastées. D’une certaine manière, le renouvellement urbain obéirait vraisemblablement à un impératif de l’époque. D’ailleurs certains participants invitent à réfléchir sur le lien possiblement entretenu entre cette politique généralisée de « recyclage urbain » et certains enjeux plus généraux qui touchent la société contemporaine, en particulier ceux touchant à l’urgence écologique. D’ailleurs, François Ménard fait remarquer que l’une des promesses actuelles du renouvellement urbain pourrait être celle des éco‐quartiers, car ils traduisent un grand nombre d’impératifs contemporains ‐ respect de l’environnement, densité tout en respectant l’originalité individuelle, mode de vie urbain mais contact avec la nature…. ‐ et pourrait ainsi incarner une nouvelle promesse de modernité. Pourtant, on peut s’interroger sur l’absence d’une promotion explicite de ce nouveau modèle urbain par l’ANRU : y aurait‐il finalement une disjonction entre acte fort de rénovation et promesse ? L’absence de promesse clairement revendiquée pourrait ainsi être l’un des traits spécifiques de ce volet du renouvellement urbain contemporain. Loin d’épuiser l’ensemble des pistes de réflexion et de questionnement évoquées par les participants, cette synthèse tentait néanmoins de rapporter les grandes lignes des thèmes ayant fait débat au cours de cet après‐midi. Ceux‐ci seront prolongés à l’occasion des prochaines séances ainsi qu’à l’appui des contributions de chacun.
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Atelier 2
La culture comme levier d’attractivité urbaine, les rôles dévolus à la créativité urbaine dans le renouvellement urbain
Attendus précédant la séance Compétition entre les villes pour devenir Capitale culturelle européenne, expérience du Musée Guggenheim de Bilbao constamment citée comme modèle, investissement – plus ou moins durable – des friches industrielles par les artistes dans les quartiers en renouvel‐lement, interventions artistiques sur les nouveaux parcours de tramway ou les bâtiments réhabilités, multiplication des événements culturels, sportifs et/ou festifs dans les grandes villes en renouvellement… Qu’il s’agisse d’interventions artistiques, de programmations ou d’équipements culturels, en France et ailleurs, la présence d’éléments culturels et artistiques dans les opérations de renouvellement urbain est de plus en plus fréquente. Au‐delà des effets de mode et d’imitation, on peut s’interroger sur le sens de ce recours quasi‐systématique à la culture et à l’art dans les projets urbanistiques contemporains. Afin de mieux comprendre les raisons de cette mobilisation de la ressource culturelle, il est proposé d’organiser la réflexion autour de trois grandes séries de questionnements :
1) sur la nature du rôle dévolu à la culture dans les projets de renouvellement ; 2) sur les limites de l’apport culturel aux projets ; 3) sur les changements profonds qu’apporte cette dimension culturelle dans la gestion et les pratiques urbaines.
1) Si le recours à la créativité, à l’art et à la culture est si fréquente, les formes de cette mobilisation ainsi que le rôle dévolu à la Culture semblent fortement diverger d’une opération à l’autre. Plusieurs dimensions de la culture semblent, en effet, pouvoir être mobilisées : elle peut être utilisée comme un élément fort de l’appareil communicationnel d’une ville ou d’un quartier en renouvellement, devenir un des éléments constitutifs de sa nouvelle image, mobilisée comme un levier d’attractivité ; la culture peut également être intégrée au projet de développement économique d’un territoire, et être considérée comme une filière porteuse pour le bassin d’emploi local ou comme le support d’activités lucratives ; elle peut, par ailleurs, s’imposer comme élément fondateur de l’identité territoriale et de la cohésion sociale locale ; elle peut, enfin, avoir un rôle de sublimation du projet, revêtir une fonction d’animation sociale, avec pour objectif de mieux faire accepter le renouvellement en mettant à distance ses aspects les plus douloureux. Si ces quatre rapports à la culture ne sont pas exclusifs les uns des autres, et si la mise en tension de ces différentes dimensions constitue un axe de réflexion pertinent, il s’agira également d’explorer ce qu’apporte, dans chacun de ces cas, la dimension culturelle au renouvellement urbain, à l’appui d’exemples et de récits d’expériences : joue‐t‐elle un rôle de dynamiseur, de grille de lecture sémantique, d’accompagnement, de baume… ?
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Cette série de questionnements interroge plus fondamentalement le rôle sociétal dévolu à l’art et à la culture dans les villes contemporaines et l’économie de la connaissance. Elle nécessitera en outre de se pencher sur les dynamiques qui traversent les mondes professionnels de l’art et de la culture. 2) Une fois explorée la question des motifs, on peut s’interroger sur l’efficience du recours à la culture pour la réussite des opérations de renouvellement. En effet, si l’organisation d’un grand événement culturel peut durablement changer l’image d’une ville et avoir des effets notables sur sa compétitivité territoriale, change‐t‐elle pour autant le quotidien des habitants, renouvelle‐t‐elle en profondeur les pratiques et les formes urbaines locales ? Qu’en est‐il l’année suivante ? Si la création d’un équipement culturel d’envergure apparaît comme le principal levier du renouvellement d’une ville, celui‐ci aurait‐il été possible sans le couplage de cette dimension culturelle avec un bon niveau d’infrastructures de transport (autoroute, gare TGV), d’hébergement touristique ou une situation territoriale économiquement attractive ? Si à l’évidence, la mobilisation de la créativité et de la culture est un bon élément de marketing territorial, il semble intéressant de questionner la permanence de ses retombées, d’observer ses limites en fonction de l’échelle d’appréhension retenue, de relativiser le rôle de cette seule dimension culturelle dans la réussite du projet de renouvellement. 3) Enfin une troisième série de questionnements peut être organisée autour de l’évolution des modes de gestion et des usages urbains, alors que la dimension mémorielle, esthétique et événementielle prend une place de plus en plus importante. On peut en effet se demander si la généralisation du recours à la grille culturelle et artistique pour penser la ville contemporaine n’affecte pas en profondeur la manière d’envisager sa pratique au quotidien. Le recours régulier à de grands moments festifs (expositions universelles, événements sportifs majeurs, opérations de type « Paris plage » ou « fête des lumières » à Lyon…), l’importance prise par les politiques culturelles dans les projets de ville (Lille 2004 et ses suites, la programmation culturelle en Seine‐Saint‐Denis), la place centrale des lieux culturels dans les projets de renouvellement urbain (Musée Guggenheim à Bilbao, friches industrielles ou militaires devenues de hauts‐lieux artistiques au Havre, à Nantes, à Marseille…) ne transforment‐ils pas les usages de la ville (acceptation voire valorisation de la fréquentation de masse, organisation de temps forts rassembleurs, pratiques nocturnes et transgressives acceptées), son ingénierie (nouvelle manière d’envisager la conception des espaces publics, leur desserte, leur rôle), voire la symbolique de la ville elle‐même (esthétisation et mise en scène artistique des lieux urbains, transformation du spectacle de la vie urbaine en événement culturel… ) ? Plus qu’un outil au service du projet de renouvellement urbain, la créativité n’est‐elle pas au fondement d’un renouveau de la culture urbaine ?
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Synthèse de la séance
Propos introductif En introduction de cette deuxième séance intitulée « La culture comme levier d’attractivité urbaine, les rôles dévolus à la créativité dans le renouvellement urbain », François MENARD et Michelle SUSTRAC ont souhaité développer un discours à deux voix, permettant de situer leurs points de vues distincts sur le thème et lancer différentes pistes de réflexion. François MENARD, ne voulant pas reprendre les attendus de cette séance tels qu’ils avaient été préalablement rédigés, préfère évoquer les différents motifs réflexifs qui méritent selon lui de faire l’objet d’une attention approfondie. Le premier motif est constitué par la tension existante dans les politiques culturelles, mais aussi plus généralement dans les politiques des villes, entre l’objectif d’attractivité et de rayonnement territorial et l’objectif de cohésion sociale. Au travers d’un certain nombre d’observations des politiques des villes françaises en direction de quartiers en difficulté ou plus largement dans le cadre d’opérations de renouvellement urbain, François MENARD semble observer une évolution : des villes qui, il y a une quinzaine d’années, avaient développé une approche plutôt sociale de la culture et fait la promotion de la population et des jeunes des quartiers en difficulté, à travers le spectacle vivant et le hip‐hop notamment, passent aujourd’hui à une approche qui privilégie la construction d’un équipement culturel phare, du type Mac Val à Ivry‐sur‐Seine, à l’image du Musée Guggenheim à Bilbao, dont elles attendent un certain nombre de retombées en termes d’attractivité. Cependant, les modalités de ce passage d’une politique à l’autre ne semblent pas avoir été élucidées : assiste‐t‐on à une substitution d’une approche au profit de l’autre, d’une composition entre les deux approches ou est‐il possible de développer une approche intégrée ? Les travaux réalisés par Charles Landry pour le compte du réseau URBACT ont eu pour objet de mieux qualifier cette relation. Mais au regard de ces travaux et d’un certain nombre de discours, il semblerait que la cohésion sociale apparaisse aujourd’hui comme un bénéfice secondaire de politiques d’attractivité et de rayonnement. François MENARD attend que les échanges de cet atelier permettent de discuter cette position. Au‐delà des équipements et des événements culturels qui sont créés, un deuxième thème de réflexion s’organise autour des publics qui sont visés et des effets économiques attendus. En effet, François MENARD a le sentiment avec d’autres chercheurs, que le renouvellement urbain vise à créer des ambiances urbaines à l’attention de classes créatives dont on attend qu’elles tirent la production de la ville vers une économie de la connaissance compétitive, ou à créer des ambiances permettant d’attirer des cadres et des catégories économiques supérieures, c'est‐à‐dire des classes consommatrices. Dans ce cadre, la reconversion d’un certain nombre de villes industrielles aujourd’hui tend à faire de la question urbaine ‐ là où avant elle était secondaire – un moteur du développement économique attendu. Un troisième motif consisterait à évoquer les différents débats qui naissent autour de l’incidence de la culture sur la cohésion sociale. Il s’agit bien sûr du débat maintes fois développé sur le rôle dévolu à la culture, à la fonction des artistes, à leur instrumentalisation, et sur les projets dans lesquels le rôle de la culture serait dévoyé. Mais il
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paraît plus intéressant à François MENARD d’aborder la réflexion sur la cohésion sociale à travers la notion de capital social. En effet, un certain nombre de débats sociologiques mettent en lumière que les politiques culturelles des territoires visent dorénavant plus à renforcer le capital social des populations que leur capital culturel, suivant une logique que Jacques Donzelot résume par la formule suivante « le capital social aujourd’hui c’est ce qui relie, et le capital culturel c’est ce qui sépare, c’est ce qui produit de l’identité ». Si la réalité est plus complexe, on peut se demander, dans ce contexte, ce qu’il advient du capital culturel. Enfin, deux autres thèmes de réflexion retiennent aussi l’attention de François MENARD. D’une part, si la question de l’attractivité ne semble pas nouvelle ‐ la réhabilitation des centres villes il y a une trentaine d’années l’avait déjà, entre autres, pour objectif ‐, il semble qu’aujourd’hui ces politiques d’attractivité traduisent, d’une certaine façon, la métropolisation de la vie urbaine. Un certain nombre de villes se pensent aujourd’hui comme ou en référence à des métropoles sans qu’on sache toujours très bien s’il s’agit d’un fantasme ou si l’on élabore des fonctions urbaines véritablement en rapport avec une métropole ? Et puis, dernier motif, la question du positionnement des artistes par rapport aux différents enjeux qui viennent d’être évoqués. Sont‐ils du côté de la composition et de la synthèse entre ces différentes approches, plutôt du côté de la dissociation ‐ au risque d’être un peu schizophrènes ‐, ou est‐ce qu’au contraire, ils cherchent à s’écarter de cette alternative, considérée comme biaisée, pour jouer leur propre carte ? Dans ce cadre, on pourra s’interroger sur le rôle des friches industrielles, reconverties, réinvesties ou squattées. Michelle SUSTRAC pour sa part, souhaite faire entendre un point de vue et une réflexion différente et complémentaire de celle de François MENARD, en prenant de la distance avec le point de vue sociologique très critique vis‐à‐vis de la coloration culturelle des actions urbaines. Michelle SUSTRAC voit dans l’approche sensible et dans les politiques culturelles des villes l’opportunité de repositionner les savoirs et les perceptions du monde, de donner un nouveau souffle à une société qui ne vit plus sa qualité d’urbanité et à des lieux qui ne parlent plus à l’imaginaire. Selon elle, nous sommes en quête de sens et donc en quête de sensible, qui sont deux notions liées. Afin de dépasser une vision instrumentalisée de l’artiste et de la créativité, elle fait le choix de resituer les réflexions qui sont les siennes aujourd’hui à la lumière des acquis du Plan Urbain et du PUCA au fil des différents programmes de recherche menés par le passé. Elle souhaite notamment faire le rappel de la genèse de la montée en puissance de la dimension artistique au Ministère de l’Equipement, pour mieux mesurer le chemin parcouru et la transformation des questions jusqu’à aujourd’hui. Le tout premier regard posé par le Ministère sur cette thématique à la fin des années 1980, s’est fait à travers le programme de recherche ‘Espaces publics’. Il s’agissait de convoquer les disciplines de l’art à la réflexion sur la conception et les usages des espaces, alors qu’au même moment, parallèlement, Banlieues 89 revendiquait le beau et l’excellence dans les opérations de réhabilitation urbaine et que les évaluateurs des politiques de la ville manifestaient l’importance, aux côtés des équipes de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale,
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des interventions et du regard artistique comme un moyen de déplacement et de transformation des équilibres en jeu. Par la suite, l’importance du mouvement de désindustrialisation et le délaissement de pans entiers de territoires, en accentuant les problèmes et les écarts entre les centres reconquis et les friches ou les grands ensembles, ont contribué à un changement d’échelle, de paradigme et à faire évoluer les questions posées à la recherche. On est passé, à l’occasion du programme ‘Espaces publics’, de travaux sur le micro‐local ‐ la rue, le seuil, les espaces de proximité ‐ à la dimension culturelle des grands territoires dans les derniers appels d’offre. Parmi les questions posées par le Ministère de l’Equipement, certaines semblent à Michelle SUSTRAC pouvoir nourrir le débat et les interventions des uns et des autres. La première piste de réflexion est celle des compagnonnages entre praticiens, artistes et chercheurs, qui supposent des écoutes différentes et des échanges nouveaux. Ces collaborations interrogent la contribution à la connaissance des artistes, la place de l’art et des disciplines sensibles dans la production de savoirs, comme une des modalités de la recherche. Cette question a été assez fondatrice au Ministère et pour un certain nombre d’institutions de recherche, notamment le CERFISE, l’art étant considéré comme un art de faire différent, une façon alternative d’appréhender le réel en intégrant la dimension sensible. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de se délester sur les artistes du diagnostic sur la ville, ni de sa réparation, mais plutôt de ne pas se priver de la dimension sensible qu’ils portent et qui peut être une des façons de faire advenir du sens. Par ailleurs, alors que depuis les années 1980 et 1990, la part prégnante de la culture, de l’action artistique, de la dimension sensible ‐ les architectes sont de plus en plus souvent accompagnés d’éclairagistes, de cinéastes, de scénographes… ‐ ainsi que l’importance des équipements culturels majeurs et des friches semble reconnue et intégrée aux réflexions et aux opérations urbaines, on peut se demander « comment préserver des formes de dépassement du jeu ordinaire de la ville ? », « comment continuer à convoquer les imaginaires dans la richesse de la pratique ? » « comment mettre cela en récit sans le mettre dans une machine qui aplanirait tout, sans lisser le tout parce que ça devient désormais le mode de fabrication urbaine ? ». Alors que tout projet urbain a désormais son volet culturel, toute ville son équipement culturel majeur, où sont les limites ‐ et quelles sont‐elles ‐ à ne pas franchir ? Et si l’on met la culture et la créativité à toutes les sauces, qu’est‐ce qui ne l’est pas ? Pour Michelle SUSTRAC, on se doit, dans un tel contexte, d’être extrêmement vigilants, et s’interroger sur le type de vigilance à mettre en place de la part de chacun ‐ élu, artiste, aménageur ‐, pour laisser surgir la complexité du réel, et non la balayer à travers des opérations qui voudraient que tout soit culturel. Comment continuer à soulever la norme ? Ce qui veut dire : penser la fragilité, accepter l’incertitude, penser l’absence de geste architectural ou artistique. Comment continuer de travailler sur les bords et à la marge puisque l’on sait que c’est désormais de là que parle le centre ? Entre la culture comme atout majeur, mais aussi comme un tout, contenant et contenu, et la culture ‘toute image’, machine de compétitivité vouée à exclure, comment fait‐on pour trouver un équilibre et construire quelque chose qui construise un sens pour la ville de demain ? C’est sur ce thème que Michelle SUSTRAC souhaite que les participants soient interpellés.
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Synthèse des interventions Nous faisons le choix ici, quitte à ne pas être fidèle au déroulement de la séance, de synthétiser les six interventions et de faire apparaître ensuite les thèmes de débats apparus de manière récurrente ou paraissant les plus intéressants. La première intervention est celle de Nicolas FRIZE, compositeur, qui est beaucoup intervenu dans des villes, et dans des villes en renouvellement, à qui les organisateurs ont demandé, d’une part, de parler de son expérience et, d’autre part, de réagir au texte préalablement distribué détaillant les attendus de cette séance. Nicolas FRIZE, dès le début de son intervention souhaite rappeler qu’il parle depuis sa place d’artiste et combien il est difficile d’aborder une sujet aussi vaste que le thème de cette séance en quelques minutes et, de surcroît, à l’oral. De manière volontairement provocante, il entame son intervention en déplaçant la question « A quoi sert l’art ? ». De son point de vue, l’art n’a pas d’autre objectif que le principe d’exister. Avant même de savoir si l’art sert à quoi que se soit, son caractère indispensable doit être reconnu, quelle que soit sa forme. Ainsi, pour lui, le premier principe politique consiste à insuffler de la culture et de l’art dans les territoires avant de se demander à quoi ils servent. Par ailleurs, il souligne le caractère flou de l’expression « interventions artistiques » employé dans le texte de présentation. Que désigne‐t‐il ? S’agit‐il des œuvres d’art comme objets, du spectacle vivant, des institutions culturelles – médiathèques, musées, conservatoires ‐, des événements – festivals, fêtes religieuses, inaugurations, des pratiques amateurs – fanfares, chorales, groupes de théâtre, associations pour enfants ou personnes âgées ? Il met en garde contre le caractère fourre‐tout de cette expression qui englobe des phénomènes n’ayant pas le même statut. Nicolas FRIZE souhaite ensuite aborder les questions de fond. Il se demande si, lorsque l’on évoque ces ‘interventions artistiques’ il s’agit de simples ‘apparitions’ ou si l’on se situe dans une action structurelle. Pour le dire autrement, ces interventions sont‐elles dans l’addition ou dans la multiplication ? L’addition consisterait à ajouter quelque chose en compensation, à divertir. Si cette démarche n’est pas contestable, elle entretient un lien un peu subliminal avec les réalités sociales à qui elles s’adressent. Pour sa part, Nicolas FRIZE est beaucoup plus intéressé par la multiplication, c'est‐à‐dire par une approche sensible permettant aux différents éléments de s’’organiciser’, de devenir structurels. Pour lui, la question de la multiplication revient à se demander : « Est‐ce que les interventions sensibles ou artistiques construisent du goût collectif ? Est‐ce qu’elles construisent de l’expérience sociétale ? Est‐ce qu’elles infléchissent les choix politiques ? Est‐ce qu’elles influencent les choix de vie, la consommation, les déplacements, la construction, les horaires… ?». De fait, dès qu’il y a structuration, dès que les choses se politisent – au sens grec du terme ‐, le fantôme de l’instrumentalisation apparaît. L’art devient « politique » quand il agit sur la vie : c’est son état, son essence, on ne lui demande pas d’agir. Il est dans sa souveraineté. Si les collectivités rêvent par exemple de le voir agir, « être efficient », elles ne peuvent faire prévaloir cette conséquence dans l’énoncé de leur commande. Il y a là une tension, entre causes et conséquences, tension un peu primaire à laquelle il serait bon d’échapper.
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Pour illustrer ses réflexions, Nicolas FRIZE fait un détour par plusieurs de ses expériences sensibles. La ville d’Arras lui a donné une mission d’’écouteur public’, et lui a demandé de venir ‘écouter la ville’ et de dire ce qu’il entendait, ou au contraire ce qu’il n’entendait pas, et d’interpréter les situations acoustiques et architecturales de la ville. A cette occasion, Nicolas FRIZE a notamment mis en évidence la profondeur de champ acoustique exceptionnelle dans certains endroits de la ville d’Arras, permettant d’entendre les sons de très loin. Ce qui lui a permis, lors de sa conférence auprès des élus, de questionner le sens de cette entente de loin et sa nécessité. En effet, son expérience auprès de prisonniers, dans des contextes où l’audition lointaine est impossible, lui avait montré les importants problèmes posés à ces personnes à leur sortie d’incarcération, alors qu’ils n’étaient plus capable d’entendre loin ; ceci l’ayant convaincu que ce problème physique pouvait engendrer de graves problèmes psychiques et de comportement. Cette question d’écoute proche et lointaine se retrouve très concrètement dans les situations d’habitat : lorsque l’on habite au premier étage, on est dans une ambiance de temporalité, on entend tout le temps l’heure qu’il est : on entend les magasins qui ouvrent à 9 heures, les poubelles qui passent à 7 heures, les enfants qui partent à l’école à 8h30, les clochards à 3 heures du matin… Un certain nombre d’étapes sonores donnent l’heure à tout instant. Si on habite au 10ème étage, on entend au contraire un flux beaucoup plus constant, homogène, qui ne change pas du matin au soir, on est donc privé de temporalité, on entend moins de choses, un tout fondu, mais en revanche on entend loin… Nicolas FRIZE pense que tout cela peut avoir une incidence énorme sur les choix de vie, bien que les gens n’en soient pas conscients lorsqu’ils louent ou achètent une maison ou un appartement, ils ignorent qu’ils sont en train de décider si pendant trente ans ils entendront la temporalité ou s’ils ne l’entendront jamais, s’ils entendront de loin ou de près. Nicolas FRIZE s’intéresse également à l’importance de l’origine spatiale des sons. Il a relevé, par exemple, l’absence d’accident de vélo ou de piéton dans le centre d’Arras car, en raison de situations architecturales particulières, il est possible de localiser de façon extrêmement pointue les événements sonores. Si cette possibilité de localisation a des effets très importants sur le plan symbolique, peu d’architectes maîtrisent la cause de cette hyperlocalisation ou même se demandent si cette localisation est importante. Pour Nicolas Frize, il y a donc un travail philosophique à mener sur la localisation, qui peut être suivi d’un travail technique, pour peu qu’on le souhaite. Cette parenthèse par l’expérience d’Arras avait pour objet de souligner l’importance des questions sensibles, et de montrer que derrière chaque question technique se cache une question sociale et une question esthétique. Pour Nicolas Frize, si l’on arrête de poser la question du social en premier pour poser d’abord les questions philosophiques et esthétiques, on résout alors d’office la question sociale. A ce propos, Nicolas FRIZE pense que s’il n’y a pas de cohésion sociale dans nos sociétés c’est parce que l’organisation démocratique, politique et économique l’a voulu. Dans ce contexte, il lui semble vain de vouloir, a posteriori, compenser les incapacités économiques pour faire en sorte qu’il y ait de la cohésion sociale. Il se demande au contraire si la cohésion sociale ne devrait pas plutôt être la source qui viendrait guider les choix économiques et politiques. A Cienfuegos à Cuba, où il a travaillé plusieurs années, la cohésion sociale est à l’origine de la
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politique et de l’économie : les actions se structurent autour des questions esthétiques et culturelles, elles sont mises au cœur de la société et produisent des choix en matière de construction, de transport. Nicolas FRIZE évoque un exemple très concret : plutôt que de construire des écoles nouvelles à la Havane, on a mis des classes dans les musées, et toute une série d’activités dans les rues… il a trouvé très intéressant et renversant ces interpénétrations structurelles de plusieurs fonctions. Dans nos sociétés, l’artiste ne peut finalement pas grand‐chose, il est pris dans la politique, il ne peut pas à lui tout seul dire « Maintenant je vais faire de l’organique » ! La segmentation entre art et politique lui paraît absurde, elle empêche de penser parce les propositions d’action sont segmentées et certainement pas organiques. Pourtant, l’art n’est pas un artefact de plus, il devrait faire corps avec le reste, et être là pour lui‐même, comme un bien structurel de l’existence. L’art apporte son mouvement aux autres facteurs de mouvement : il est dans les luttes, il est dans les choix d’aménagement, il est dans la construction et les activités, il est dans les choix de moyens, avec sa condition propre. Nicolas FRIZE est donc gêné, par le document préalablement distribué, dans lequel il est question d’interventions artistiques qui viendraient se mettre au milieu de dispositifs politiques. De plus en plus, alors que les politiques culturelles publiques s’effondrent, des entreprises privées d’événementiel font des propositions d’actions culturelles auprès des aménageurs et des élus, parfois en faisant appel à des artistes éminents, en les présentant comme des leviers stratégiques pour régler toute une série de questions, notamment celle de la cohésion sociale. Dans ce contexte, la cohésion sociale devient un objectif, une action volontariste, alors qu’elle devrait rester une réussite collatérale d’un mode de vie. On ne peut pas vouloir la cohésion sociale ! Enfin, Nicolas Frize souhaite achever son intervention en évoquant une expérience réalisée en Seine‐Saint‐Denis, pendant laquelle il a été confronté à la fragilité de certains adolescents face à la prise de parole, à la difficulté qu’ils avaient de poser leur voix. Ce qui lui a donné l’idée d’un dispositif. Il a installé des haut‐parleurs en haut des immeubles, pour couvrir un champ de 6 kilomètres de diamètre, recréant ainsi des muezzins comme dans les villes arabes. Ces adolescents, au milieu d’une friche à la Plaine Saint Denis, montés tous seuls sur une tour, chantaient une partition distribuée dans toute la ville. Les gens se promenaient un peu partout dans la ville en écoutant la musique, sans pouvoir faire autrement que d’entendre. Cette expérience a permis à Nicolas FRIZE de poser un certain nombre de questions : les religions doivent‐elles crier dans l’espace public, comme aujourd’hui la religion catholique le fait avec les cloches ? Est‐ce normal que les religions crient dans l’espace public et pourquoi y’en‐t‐il qu’une seule, pourquoi est‐ce que les autres ne le font pas ? Est‐ce que la fragilité (ici, des adolescents) fait partie des valeurs acceptées ? Quels sont les liens entre les friches et les lieux habités ? Où se cacher en ville ? Comment être ensemble dans un même lieu sonore contrasté, hétérogène ? Comment faire entendre l’indicible ? Alors que l’on a souvent affaire à des visions normatives et descendantes de l’intervention artistique, Nicolas FRIZE souhaite renverser cette démarche et interroger la capacité des enjeux philosophiques et esthétiques à piloter la gestion matérielle, économique, les politiques de la vie quotidienne.
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Les organisateurs avaient demandé à Paul Boino, à la lumière de ses travaux de recherche universitaires, de resituer dans l’histoire des politiques culturelles la tension entre politiques d’attractivité et injonction à faire de la cohésion sociale. Avant d’évoquer l’évolution des politiques culturelles ces dernières années et la question sociale qui reste en suspens dans ces politiques, Paul BOINO souhaite tout d’abord faire un certain nombre de constats sur le champ culturel tel qu’il est envisagé en France. Tout d’abord, il rappelle que la culture est un champ qui reste marqué par une très grande persistance régalienne malgré les lois de décentralisation et bien que Jack Lang ait expliqué que la décentralisation culturelle « répondait à trois droits simultanés, le droit des artistes à créer dans leur ville, le droit des élus à s’auto‐administrer et à concevoir les politiques culturelles, le droit des citoyens à une vie culturelle intéressante ». Les transferts en matière culturelle ont été peu importants : en 1981 et 1983 seuls les bibliothèques centrales on été transférées aux départements, et les archives départementales aux conseils généraux ; et si en 2001, Lionel Jospin a voulu relancer la décentralisation en mettant en place quatorze protocoles d’expérimentation en matière de décentralisation culturelle associant le Ministère de la culture avec plus d’une centaine de collectivités locales, les transferts ont été peu importants dans la loi de 2004 et concerné uniquement l’inventaire général du patrimoine et l’enseignement artistique. Ainsi, légalement, les politiques culturelles restent encore largement centralisées, beaucoup plus que de nombreux autres domaines de l’action publique. A ce propos, Paul BOINO émet une hypothèse : c’est sans doute parce qu’en France le même mot désigne la ‘culture’ au sens d’activité artistique, et ‘Culture’ au sens Nation française, histoire et culture française que l’on a tendance à confondre les deux et à dire « tout ce qui attente à la culture attente à la Culture ». Ainsi, au nom de la construction nationale, de la cohésion du pays, la France a eu et conserve une politique culturelle relativement centralisée et homogénéisatrice. Deuxièmement, en France persistent deux consensus fort à l’encontre de la culture. Tout d’abord que « la culture n’est pas une marchandise » ‐ cette assertion étant utilisée aussi bien par ATTAC, Jacques Delors ou Renaud Donnedieu de Vabres ‐, ensuite que « la culture n’est pas un service public comme un autre » comme le disait Jacques Duhamel, ministre de la culture de 1971 à 1973. Ce qui surprend Paul BOINO dans ces déclarations c’est que le champ culturel a toujours été investi par les acteurs privés ‐ entreprises et grandes industries cinématographiques ou discographiques par exemple ‐, qui en font une activité lucrative, et par le monde associatif. Pourtant on continue, de façon surprenante, à dire que c’est avant tout un service public. Par ailleurs, l’action de la puissance publique en matière de culture reste très normative, elle consiste essentiellement à labelliser, c’est‐à‐dire à départager ce qui est de l’art et ce qui n’en n’est pas par le biais d’institutions ou de subventions. Cette démarche de normalisation suppose, en creux, une logique de mise à l’index. Troisième constat, malgré ce qui a été précédemment dit sur le caractère régalien des politiques culturelles, les collectivités locales n’ont pas attendu les lois de décentralisation pour s’investir en matière de politique culturelle. Depuis très longtemps elles s’investissent très massivement en la matière. Cette auto‐saisine des collectivités locales a connu une très forte inflation au cours des dernières années : non seulement le nombre d’interventions
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s’est accru, mais on constate une prégnance de plus en plus forte de la culture dans les programmes électoraux, comme thème de campagne municipale, depuis la fin des années 1970. Ces politiques culturelles locales tendent également à se diversifier. Cette diversification peut être simplifiée à l’appui de trois grands axes que Paul BOINO souhaite présenter. Premièrement, il y a toujours un axe classique, issu des lois Malraux, dans lequel la puissance publique locale développe des politiques et donne les moyens financiers pour permettre la création artistique, l’accès à la culture et l’enseignement artistique. C’est ce que l’on a appelé à l’époque de Malraux la politique de ‘démocratisation culturelle’. Cela existe toujours : les grandes municipalités et maintenant les grandes communautés d’agglomération et communautés urbaines continuent d’avoir une politique tout à fait tangible en la matière. Le principal objectif de ces politiques est de donner accès au plus grand nombre aux formes académiques de la culture : ce sont toutes les politiques des conservatoires, des écoles de musique et d’art, etc. A partir de l’arrivée de Jack Lang au Ministère de la culture, cet objectif de ‘démocratisation culturelle’ s’est mu en objectif de ‘démocratie culturelle’. Le décret du 10 mai 1982 portant sur l’organisation du Ministère de la culture explicite bien le passage vers cette deuxième orientation des politiques culturelles : « Le ministère de la culture a pour mission de permettre à tous les français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leur talent et de recevoir la formation artistique de leur choix, de préserver le patrimoine culturel national, régional ou de divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité toute entière, de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit, leur donner la plus vaste audience, de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde. » Ce texte comporte des changements éminents par rapport à ce qui se faisait auparavant. D’une part, ce ne sont plus certains types d’art qui sont reconnus par l’Etat, mais toutes les formes artistiques et d’expression. C’est à cette époque qu’un certain nombre de domaines accèdent à une reconnaissance artistique : le jazz, la bande dessinée, la mode, le design, et également, de manière beaucoup plus marginale, le rock. Cette nouvelle inflexion a donc ouvert les horizons des politiques culturelles. D’autre part, les chemins qui mènent à l’art sont eux aussi diversifiés. Désormais l’Etat reconnaît que plusieurs chemins peuvent mener à l’art, et plus particulièrement que chaque citoyen peut être producteur d’art. Ainsi, alors toutes les cultures et origines de la culture sont désormais reconnues, l’idée très ancienne selon laquelle la politique culturelle permet la cohésion nationale est battue en brèche et les orientations des politiques de subvention artistiques évoluent. C’est à partir de ce moment là qu’un croisement des politiques culturelles s’amorce avec la Politique de la Ville. Progressivement les politiques culturelles deviennent des politiques de classe, dans lesquelles on convoque les artistes comme médiateurs sociaux à qui l’on demande de combler le déficit de lien social. Rapidement ceci a créé des tensions au sein du monde artistique ‐ l’artiste doit‐il être un producteur innovant, un créatif, ou un animateur social ? ‐, bien que cette nouvelle demande ait, par ailleurs, permis à un certain nombre d’artistes de diversifier leurs sources de revenus en intervenant notamment dans les écoles. L’’instrumentation’ de certains aspects de la politique culturelle par la Politique de la Ville
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pour faire de la « discrimination territoriale positive », a donc eu lieu au cours des années 1980. A partir des années 2000 cette politique de valorisation des populations s’est infléchie vers l’objectif d’insérer les quartiers dits sociaux dans le reste de la ville. Dans ce nouveau contexte ce sont développées des politiques visant, soit à implanter des équipements d’agglomération dans ces banlieues populaires, soit à transformer les équipements déjà existant et à leur donner un rayonnement d’agglomération. Parallèlement, il semblerait que les politiques dites multiculturelles aient cédé la place à des politiques inter‐ ou transculturelles. Les actions qui se sont progressivement mises en place dans le cadre de ce deuxième axe ont bien évidemment produit certains effets. Le premier effet semble‐t‐il, est que l’on soit passé d’un académisme, pour ne pas dire un élitisme, très net, à un égalitarisme de principe où toutes les cultures et toutes les productions culturelles se valent. Deuxièmement, Pau BOINO fait l’hypothèse que l’on serait passé d’une politique culturelle qui, dans le contexte des Trente Glorieuses où les clivages de classe étaient très explicites, le monde ouvrier et les syndicats encore relativement puissants, visait la cohésion nationale, à une politique visant la cohésion nationale mais en essayant de calfeutrer le problème de classe sous une question racialiste ou ethniciste. Selon lui, ces politiques culturelles couplées à celles de la Politique de la ville ont participé à une relative racialisation des problèmes socio‐économiques et à l’évacuation du vocabulaire de la lutte des classes. En parallèle à cette deuxième tendance s’est développé, au cours des années 1980, un troisième axe: l’instrumentation des politiques culturelles par la sphère économique, c’est‐à‐dire l’utilisation de la culture afin d’internationaliser le développement économique local. Alors que le couplage entre politiques culturelles et Politique de la ville tire clairement sa généalogie de l’action de l’Etat, ce troisième axe est beaucoup plus issu des politiques locales, et notamment des maires de très grandes villes. Si cette l’idée d’utiliser la culture comme outil de rayonnement, de visibilisation et d’animation pour les métropoles, afin d’attirer et d’associer les noms des industriels locaux à l’image d’une ville dynamique, est relativement ancienne ‐ on la trouve explicitement proposée dans les cercles patronaux, notamment lyonnais, dès le début des années 1960 ‐, il faudra du temps pour qu’elle se diffuse dans les politiques publiques. A Lyon, cela se fera au cours des années Michel Noir : il a explicitement mais aussi matériellement utilisé la culture comme un outil marketing dès son élection. Il écrivait, pour justifier le fait qu’il subventionnait beaucoup les festivals et différentes manifestations : « un festival de renommée internationale, une revue de presse théâtrale flatteuse ont finalement plus d’impact qu’une sempiternelle campagne publicitaire sur le thème de la cité ». Son constat était simple : en donnant de l’argent à la culture, de nombreux médias, notamment internationaux, allaient parler de Lyon. Puisqu’il s’agissait de manifestations culturelles relativement élitistes ‐ spectacles de danse contemporaine ou art contemporain ‐, elles feraient venir peu de monde, mais en revanche ces manifestations seraient mentionnées dans la presse culturelle internationale, dans une presse lue à l’autre bout du monde par les décideurs économiques. Cette rhétorique légitimatrice est très similaire à celle employée aujourd’hui par Gérard Collomb lorsqu’on lui demande pourquoi il subventionne autant l’Olympique Lyonnais : il explique de la même façon que 80 % des articles consacrés à Lyon
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dans la presse de niveau national ou international sont liés à l’OL. Et, selon lui, associer ‘OL’, ‘Lyon’, ‘champions’ c’est excellent pour l’image de marque de la ville et coûte moins cher que de faire une campagne de publicité du type « Lyon la surdouée » ou « Lyon, capitale du design ». Ainsi, derrière cette inflexion des politiques culturelles se révèlent des stratégies communicatrices extrêmement élaborées. Durant le mandat de Raymond Barre, entre 1995 et 2001, cette politique va être poussée plus loin encore. Son adjoint, Denis Troux disait alors : « Dans la compétition que se livrent les grandes cités la différence se fait aujourd’hui sur le culturel. » Dans ce contexte, la politique culturelle n’est plus seulement un élément de marketing, mais devient un élément différenciant dans la compétition inter‐territoriale. Pour cet élu, la culture fait partie des biens collectifs locaux qui nécessitent d’être sur place, de manière temporaire ou définitive, pour être consommés. La culture, comme les aéroports ou les TGV, participe ainsi de l’équipement structurant et différenciant des grandes villes qui veulent compter à l’échelle internationale. Avec l’arrivée à la mairie de Lyon de Gérard Collomb, un pas supplémentaire semble encore franchi : dans les discours la culture n’apparaît plus seulement comme de l’image, ou comme un bien collectif local, elle devient aussi un secteur d’activité. Elle fait désormais partie de la base économique de la ville. Aujourd’hui, dans l’organigramme du Grand Lyon, il y a non seulement un adjoint à la culture, mais aussi un chargé de mission au ‘rayonnement international’ et un chargé de mission aux ‘industries créatives, mode, design’. On a donc là une fonction nouvelle donnée à la culture, qui va donner lieu à des politiques très concrètes : deux réhabilitations successives de l’Opéra de Lyon, la création du musée d’art contemporain et de l’institut d’art contemporain, de la maison de la danse, des deux biennales, etc., et d’importantes sommes d’argent allouées. Paul BOINO souligne que l’on fait face, de nouveau, à un élitisme très net, mais qui n’est pas orienté vers les mêmes domaines que le premier axe, l’accent étant mis dans ce cas sur des segments très différenciant s’adressant à un public particulier. Une nouvelle forme d’académisme semble se mettre en place. En conclusion, Paul BOINO souhaite apporter quelques remarques complémentaires à ce rapide panorama des différentes politiques culturelles développées, qui mériterait, nous dit‐il, une évaluation plus poussée. Qu’en est‐il aujourd’hui du premier axe, c'est‐à‐dire la politique culturelle au sens de Malraux ? Alors qu’il reste encore des inégalités territoriales assez fortes, aussi bien en matière d’enseignement qu’en matière d’accès aux équipements culturels. Ainsi, malgré ‐ et non pas à cause de ‐ la diversification, l’objectif de ce premier axe reste imparfaitement atteint. Sur la question du développement social, on peut rester également interrogatif, d’un point de vue strictement scientifique, et étant donnée l’ampleur de l’argent alloué, sur la relative efficience de cette politique de la ville culturalisée, notamment sur sa capacité à résoudre la question sociale. On peut même se demander dans quelle mesure une politique culturelle peut agir sur cette question, qui renvoie essentiellement à des inégalités socio‐économiques. On peut aussi s’interroger sur les questions de cohésion nationale et s’interroger sur les effets de déconstruction et de perte de sens de la communauté nationale. Il y a donc
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beaucoup de questions qui restent en suspens, bien que cette politique, qui a promu toutes les formes d’art et qui a aussi des vertus, soit quasi unanimement légitimée. Troisième élément qui demande sans doute un bilan : en quoi la culture aide réellement au développement économique ? Sans doute a‐t‐on une vision un peu trop mécanique de ses effets. Par exemple, la grande croyance qui consistait à dire que les jeux olympiques, en tant que grand événement, générait une croissance de la ville, recule fortement. Une étude sur les J.O. de Barcelone 15 ans après montre que l’on est loin du bilan positif qui avait été annoncé au moment des jeux olympiques : si cela a permis un important renouvellement urbain, notamment sur le front de mer, il s’est également produit une importante montée des prix, une très forte gentrification du centre de Barcelone et des quartiers populaire d’Eixample. De plus, les J.O. ont engendré la création de grands équipements qui coûtent aujourd’hui cher à la ville. En outre, on mésestime souvent les problèmes institutionnels que cette diversification des politiques culturelles pose. La tendance est à la simplification en disant : tout ce qui relève du rayonnement extérieur c’est du ressort de la Communauté d’agglomération, et en creux, ce qui reste, notamment la Politique de la ville, du ressort des communes. En faisant cela, ne prend‐on pas le risque d’institutionnaliser la fin d’un service public culturel unifié ? C’est un problème dont les élus locaux prennent de plus en plus la mesure. Dernière remarque, le risque n’est‐il pas que, dans ce contexte de grande différenciation des politiques culturelles, on demande aux institutions culturelles, aux artistes et aux techniciens de l’art de gérer les contradictions entre ces demandes parfois inconciliables ? Enfin, on peut aussi se demander en quoi cette hétérogénéisation des politiques culturelles répond à la question sociale, qui, elle, reste en suspens.
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Les organisateurs ont ensuite souhaité apporter un témoignage distancié à cette séance en invitant François MATARASSO, consultant britannique spécialiste de l’évaluation des politiques culturelles, à venir parler de la situation outre‐Manche, et notamment de l’inflexion importante des villes anglaises en régénération vers des politiques culturelles médiatiques. François MATARASSO, à l’appui d’un diaporama présentant de nombreux exemples britanniques, souhaite apporter des éléments de réflexion sur le rapport entre culture et régénération urbaine en Angleterre. Avant tout, il estime nécessaire de rappeler quelques différences importantes entre les situations anglaise et française. Par ailleurs, en Angleterre, s’il y a quelques projets importants de restructuration initiés par le gouvernement ‐ essentiellement à l’est de Londres, avec ce que l’on appelle le Thames Gateway ‐, la plupart des projets restent initiés localement, par les villes ou les régions. Enfin, autre différence majeure, ajoutée en référence à l’exposé de Paul BOINO : en Angleterre on pense que la culture est une marchandise et que c’est aussi un service public comme les autres. Le point de départ est donc assez différent de celui de la France. Afin de mieux évoquer la situation britannique, François Matarasso souhaite tout d’abord donner quelques jalons historiques.
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En Angleterre, la conscience des problèmes urbains se développe depuis le XIXème, alors que certaines municipalités commencent à imaginer des villes idéales. Dans les années trente, avec le mouvement du plein‐airisme, sont inventées les ‘garden cities’ pour essayer de donner aux classes ouvrières des lieux de vie plus sains. Et dès le XIXème siècle ces mouvements sont soutenus par de grandes structures culturelles ‐ les musées, les bibliothèques, les galeries. C’est dans les cités du nord de l’Angleterre ‐ région la plus prospère à l’époque ‐, qu’est inventé le principe d’intégration des populations urbaines, souvent considérées comme des classes dangereuses. Après la guerre, la création de villes nouvelles a eu pour résultat de vider les centres des villes peuplés de populations vivant dans des situations extrêmement difficiles. Pendant les années 1970 et 1980, le déclin industriel commence vraiment, notamment dans le Nord, où il reste aujourd’hui encore de vastes territoires urbains vides. Le point de départ de la situation d’aujourd’hui peut, selon François MATARASSO, être daté des émeutes de 1981 ayant eu lieu dans la plupart des villes britanniques, deux ans après l’élection du gouvernement Thatcher, au moment où les effets des politiques économiques mises en place ont commencé à se faire sentir. Suite à ces émeutes, le gouvernement a reconnu de façon assez explicite qu’il fallait faire quelque chose pour ces villes en crise. Naissent alors les premiers efforts culturels, visible notamment à Liverpool où le ministre de l’époque a encouragé la galerie Tate à implanter son premier musée satellite. Pour François MATARASSO, le moment clé dans la ‘mythologie’ des politiques culturelles des villes en Angleterre, se situe en 1990, au moment où Glasgow est élue ‘capitale européenne de la culture’. Cela a été une sorte d’ahurissement qu’une ville comme Glasgow ‐ qui était connue surtout dans le reste du Royaume‐Uni comme une ville dure, alors que l’on pensait que la culture écossaise était surtout à Edimbourg et pas à Glasgow ‐, puisse être choisie comme capitale culturelle et puisse ensuite créer une transformation si profonde de son image, mais aussi de sa réalité. Dès ce moment là, d’autres villes ont commencé sérieusement à se dire : « la culture est un enjeu important pour nous ». Mais, déjà à l’époque de Glasgow, des problèmes apparaissent car au moins deux groupes de personnes se sentent exclues de ce processus. Tout d’abord les artistes de la ville, car inévitablement lorsque l’on fait ce genre de projet on invite des artistes nationaux et internationaux, il y a donc toujours beaucoup d’artistes locaux exclus du processus, qui le voient comme leur étant imposé. Ensuite, la difficulté d’attirer les habitants des quartiers populaires de la ville dans les manifestations culturelles organisées, celles‐ci opérant à un niveau qui les attire peu. Pour François MATARASSO les politiques culturelles des villes développées aujourd’hui en Angleterre se déclinent en quatre approches principales : les améliorations de l’infrastructure culturelle, les d’initiatives politiques visant à réintégrer les habitants non seulement dans l’activité culturelle de la ville et le centre ville, mais aussi dans le travail et dans d’autres domaines, le soutien aux industries créatives, et, enfin, les politiques de transformation de l’image du territoire. François MATARASSO insiste sur le caractère simultané et complémentaire de ces différentes approches et souligne qu’elles sont mises en place dans un contexte de régénération classique des infrastructures industrielles et économiques. Si ces politiques
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sont très visibles en raison du caractère ‘photogénique’ des établissements culturels phares, il rappelle qu’elles ne sont qu’une partie de l’important travail de régénération urbaine. L’investissement public dans les infrastructures culturelles ‘iconiques’ et très rayonnantes –‘world class’ ‐ est justifié par l’attraction de clientèle qu’elles sont censées créer, vers les appartements et bureaux implantés autour d’elles. Pourtant, François MATARASSO s’interroge sur la notoriété de ces bâtiments au‐delà des frontières britanniques. En outre, si, comme par exemple à Newcastle Gateshead, la création de plusieurs structures culturelles – une galerie, une salle de concert et une école de musique ‐ a certainement doté cette ville de province d’une offre culturelle d’une qualité similaire à celle de la capitale, il reste à faire face à l’animation permanente de ces structures. A Newcastle Gateshead a été créé un programme appelé Culture Ten dédié à la création d’une série d’animations culturelles : entre 2004 et 2006, 133 projets on été soutenus, mais il s’agissait essentiellement de projets conçus pour attirer du public au sein de ces nouvelles structures culturelles. En marge des grands équipements phare dont on parle beaucoup, il est important de dire qu’il y a aussi beaucoup de petites villes en Angleterre – Walsall, Middlesborough, Ulverston et Deptford par exemple ‐ où des initiatives plus modestes sont développées, tout aussi importantes sur le plan local et qui répondent à des enjeux similaires. Cette politique d’investissement dans les équipements est toujours d’actualité : le ministre de la culture a annoncé début décembre une somme de 45 millions de livres sur trois ans pour la régénération des petites villes de la côte britannique au travers de la mise en œuvre de structures et d’activités culturelles. Enfin, pour que celle‐ci ait lieu il est nécessaire qu’il y ait au préalable une organisation culturelle locale qui demande à être dotée de meilleurs équipements, l’initiative part donc en général des acteurs culturels locaux et de la municipalité plutôt que du gouvernement. Deux autres arguments permettent de justifier que l’on investisse de l’argent public dans ce type d’équipements et d’activités. Le premier, c’est l’argument économique et surtout le développement des industries créatives. Toute municipalité aujourd’hui en Angleterre veut son ‘cultural quarter’, sa ‘creative industry zone’. Avec pour présupposé l’idée que les jeunes créateurs ont besoin de cafés, d’offre culturelle et de sociabilités ‘branchées’ pour avoir envie de vivre dans les villes. A ce propos, François MATARASSO souligne l’absence de questionnement sur les valeurs qui soutient cette rhétorique sur les industries et la classe créatives. De son point de vue, on se préoccupe peu de savoir ce que ces industries pourraient produire, pourvu qu’elles créent de l’emploi et de l’activité économique. L’autre argument, c’est bien sûr l’intégration des habitants et toutes les questions sociales. Une longue tradition de ‘community arts’ existe en Angleterre depuis les années 1960 au moins. Une grande expérience a été acquise à travers le développement de projets locaux. Il y a, selon François MATARASSO, un important respect des traditions populaires et de l’autonomie culturelle des habitants en Angleterre. C’est un thème dont il est souvent question, même si depuis quelques années la rhétorique et la politique se sont extrêmement individualisées : on parle désormais de ‘transformation personnelle’, de l’individu et de moins en moins de la communauté, du groupe, de la collectivité. Et si cette nouvelle
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politique permet aux plus forts de se libérer, elle a en revanche beaucoup moins à offrir aux plus faibles. François MATARASSO explique le succès actuel des politiques culturelles anglaises par les transformations sociétales : le fait d’être devenu une société de consommation, de spectacle, dans laquelle de plus en plus de gens veulent sortir, et la population beaucoup plus éduquée et prospère qu’il y a 25 ans. Ce succès s’explique également par la croissance de la culture comme force idéologique dans nos sociétés, et le recul concomitant de la religion et de la politique. Mais il y a une autre façon, plus simple encore, d’expliquer ce recours systématique à la culture dans les projets de régénération : la nécessité dans une politique économique néo‐libérale de pacifier les perdants. Quand on veut construire un centre économique mondial comme Canary Warf, il faut quand même faire quelque chose pour les gens qui habitaient sous ces immeubles il y a 25 ans. L’offre culturelle tente de répondre à cette injonction. Enfin, d’autres éléments tout à fait pratiques, expliquent l’existence de ces politiques culturelles : d’une part l’invention de la loterie nationale en 1994, qui constitue une des principales sources de financement des infrastructures culturelles, d’autre part la présence à la tête de l’Etat depuis 1997 d’un gouvernement travailliste, qui a beaucoup investi dans ces questions à l’échelle régionale. En conclusion de sa présentation, François MATARASSO souhaite insister sur quelques questions qui méritent réflexion. Tout d’abord comment allons‐nous intégrer ces infrastructures de façon pérenne dans la vie de leur ville, une fois la nouveauté dépassée ? Comment allons‐nous faire pour que ces structures fonctionnent de façon permanente ? Cela soulève la question du maintien et de l’animation. Alors qu’aujourd’hui la loterie est beaucoup moins riche et qu’une importante partie de l’argent dédié aux politiques culturelles est utilisé pour organiser les Jeux Olympiques, le Arts council se préoccupe de savoir comment faire vivre tous ces bâtiments. En Angleterre il y a également un important défi Nord/Sud. La régénération urbaine est majoritairement un problème du nord du pays ‐ même s’il y a bien sûr des défis importants au sud ‐, mais le sud et le sud‐est sont à proximité de Londres, et Londres est une ville mondiale qui nourrit l’économie britannique. Alors le défi dans ce cas est plutôt celui du développement urbain : comment allons‐nous construire assez de maisons pour loger tous les gens qui veulent habiter à Londres et qui font de l’Angleterre un pays prospère ? L’autre question qui se pose est celle de l’après : qu’est‐ce que l’on fera lorsque l’on aura fini cette politique ? Quand tout le monde aura sa galerie, son musée ? La mode va passer… qu’est‐ce qui va venir après ?
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ L’intervention de Nelly LOPEZ avait pour objet d’évoquer, du point de vue d’un cadre de l’action culturelle, ce qu’apportent les actions artistiques à la ville, à ses usages et à la réflexion sur les pratiques urbaines, mais aussi les freins et les dysfonctionnements qui sont vécus de l’intérieur quand on est organisateur de ces programmations culturelles.
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Nelly LOPEZ, avant de commencer son intervention voulait rappeler un constat établi par les observateurs de la vie politique française : une grande majorité des français ne fait plus confiance à la politique, alors qu’elle fait de plus en plus confiance à la vie associative. Cela doit nous interroger sur la dévalorisation qui atteint les institutions, le politique en particulier. La confiance donnée à la vie associative peut lui permettre de jouer complètement son rôle dans la reconquête de l’espace public, par la culture en particulier. L’objectif de Nelly LOPEZ est de montrer comment les MJC contribuent aujourd’hui à un travail impliquant la population sur les questions de l’architecture, de l’urbanisme et du cadre de vie et d’en extraire quelques questionnements. Avant tout, Nelly LOPEZ souhaite présenter sa fonction et son action, qui sont à la source des réflexions dont elle souhaite faire part. Chargée de la coordination culture à la Confédération des MJC de France, qui regroupe à peu près 950 Maisons des Jeunes et de la Culture, elle mène également son action dans l’inter‐réseaux, au niveau national, auprès du Ministère de la culture et de dix autres fédérations nationales ayant signé une charte d’engagement « culture et éducation populaire », ainsi qu’au niveau régional, où elle est engagée dans une coordination de trente associations et fédérations d’éducation populaire en Ile de France. Par son expérience elle souhaite souligner les difficultés, mais aussi les possibilités d’action par un travail à la fois micro local, réticulaire et inter réseaux, pour conduire des projets culturels, artistiques, de formation à la citoyenneté par la culture et/ou de développement local. Il est possible d’organiser les différentes catégories d’action mises en place par ces organismes en cinq grandes catégories : ‐ Des initiatives que mènent directement les MJC auprès des collectivités territoriales pour mettre en place des actions de construction et de réhabilitation d’équipements culturels. ‐ Des actions modestes mais volontaristes de sensibilisation des publics, a priori déconnectées de toute opération de renouvellement urbain, ciblées dans le temps. ‐ Des actions artistiques et culturelles déployées en profondeur et sur la durée à l’appui de résidences d’artistes. ‐ Des actions orientées vers le patrimoine architectural. ‐ Des expérimentations artistiques et culturelles organisées sur plusieurs années dans des quartiers populaires urbains, associant divers partenaires et mettant en œuvre tous les moyens possibles et nécessaires – financiers, matériels, partenariats. La première remarque que l’on peut faire est que ce qui semble être le moteur commun de toutes ces actions, ce sont les personnes ressources volontaires qui sont à leur origine. La cadre associatif laisse une grande liberté d’action et aussi une grande fragilité, car lorsque les initiateurs partent, il peut ne plus rien se passer pendant longtemps si l’association ne travaille pas sur la transmission, la démarche de projet (un bon projet est celui qui en génère un autre, dit Jean Hurstel), la capitalisation et le travail en réseau. Les questions qui se posent à des fédérations comme celle de Nelly Lopez, dans ce contexte, sont : comment rendre visible la capacité d’initiative des réseaux associatifs pour des personnes et des institutions, qualifiées et motivées par les questions de la ville et de l’urbanité, qui peuvent être moteurs dans des processus de créativité sociale ? Comment réussir l’articulation avec
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l’ensemble des autres acteurs, ceux qui sont légitimes par leur appartenance au territoire et ceux qui appartiennent aux territoires définis et légitimés par des champs de compétence? Comment valoriser l’action transversale ? Deuxièmement, il semble que le moteur de la motivation, ne soit pas, le plus souvent, l’urbanisme, mais l’architecture, peut‐être parce que celle‐ci se laisse appréhender dans sa valeur d’usage immédiat et à plus court terme par les habitants d’une ville. C’est lorsque l’on est pris dans une architecture qui bouge que cela déclenche nos intérêts, nos rejets et nos curiosités pour l’urbanisme, mais le mouvement est plus difficile dans le sens inverse, à partir de l’urbanisme, et encore moins à partir des politiques institutionnelles de la ville (procédures de concertation publiques...) Par ailleurs, les structures de la vie associative dépendent essentiellement en France des financements locaux, et restent, de ce fait, captives du local, souvent enfermées dans un face à face avec la collectivité locale, ce qui freine leur capacité d’initiative lorsqu’elles souhaitent investir l’espace public et la culture dans une approche transversale, pluridisciplinaire et libérée du local. Tant que les actions sont déployées à l’intérieur des structures associatives elles‐mêmes, parfois en vase clos, cela reste acceptable pour le pouvoir local, mais il faut des qualités offensives pour sortir des murs parce que les élus locaux ‐ et leurs structures administratives – considèrent le plus souvent que l’espace public, c’est exclusivement leur affaire! Troisième remarque, le travail profond et durable sur le champ de l’urbanisme et de l’architecture est possible lorsque les actions des MJC avec la population associent des artistes et des scientifiques. C’est dans le cadre de tels compagnonnages qu’il est possible d’aller le plus loin : les artistes sans les structures peinent, et lorsque les structures organisent des actions sans les artistes et sans les scientifiques, cela ne donne pas du tout la même force créatrice. La créativité et la grande liberté des structures associatives, dont les actions ne sont pas instituées par le caractère normatif du Ministère de la Culture, sont très attractives pour les artistes. Mais cette liberté est de plus en plus théorique puisque l’on assiste actuellement à une restructuration importante de l’action culturelle publique et à un désengagement financier de l’Etat sans précédent. En outre, certaines associations, comme les MJC, entendent être « des généralistes de la culture » alors que l’excellence ne peut se trouver, de nos jours, que dans la spécialité… A l’issue de ces remarques relatives aux fragilités de l’action des fédérations d’éducation populaire et des MJC, Nelly LOPEZ formule des questions qui pourraient faire avancer la contribution et la reconnaissance de la vie associative dans le champ considéré. ‐ La place de la population dans les processus de la culture : comment les politiques publiques peuvent‐elles intervenir dans le champ de la culture et de la ville, pour faire une place importante à l’initiative associative et, plus largement encore, à l’expertise collective de la population ? Aujourd’hui peu de fonds publics fournissent des cadres d’expérimentation à la vie associative, ce sont de plus en plus les fonds privés des fondations, comme c’est le cas avec la Fondation Abbé Pierre. Des modalités d’intervention publique peuvent‐elles favoriser des chartes de coopérations culturelles, des expérimentations et des formes de capitalisation de l’expérience, qui permettraient à la vie associative, et aux structures d’éducation populaire en particulier, de contribuer à une
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intelligence collective qui se bâtit sur le terrain, avec des personnes et des institutions, dans une articulation cohérente des niveaux de territoire et des compétences ? ‐ La recherche pour la décision publique, mais aussi la recherche pour l’action : les modes actuels de contractualisation et d’appels à projets pour la recherche formulés unilatéralement par la puissance publique, n’ouvrent pas à des acteurs de terrain tels que les MJC, la possibilité d’espaces de réflexion partagés avec des chercheurs. Il y a des langages communs à acquérir, des références communes à construire, des hypothèses à formuler et à confronter. La recherche peut‐elle se passer aujourd’hui des acteurs de terrain ? Quels espaces de recherche peuvent associer chercheurs et acteurs de terrain ? ‐ Les procédures contractuelles de mise en concurrence : les modes de contractualisation de la puissance publique pour l’action ‐ notamment ceux qui se fondent sur la mise en concurrence ‐ segmentent l’action, les acteurs, les catégories de population, et ceci va à l’inverse d’une approche globale, d’une démarche de projet qui cherche à décloisonner et à réunir des expertises sur des champs multiples. La nature des procédures de contractualisation a des effets importants sur le choix des opérateurs et sur le contenu des actions. La mise en concurrence fait passer les politiques publiques de la notion d’acteurs à la notion d’opérateurs ou de gestionnaires de service public, elle permet donc aux décideurs publics de faire des choix d’ « opérateurs » ou de « gestionnaires » sur des critères de compétence, alors que certains acteurs qui sont légitimes du fait de leur action territoriale, peuvent se sentir, de ce fait, écartés ou marginalisés. Autre conséquence, ces procédures de mise en concurrence ont tendance à susciter des regroupements d’opérateurs et le nivellement des prestations pour abaisser les coûts et capter les marchés, alors que le mouvement de la culture a plutôt tendance à créer de la disparité, de la singularité, de la confrontation. Les pratiques constatées ‐ et le fameux arrêt du Conseil d’Etat du 6 avril 2007 ‐ montrent que la puissance publique recourt de façon abusive aux procédures de mise en concurrence dans le domaine de la culture. Quels sont les effets des procédures contractuelles de mise en concurrence dans le domaine de la culture et de la ville? ‐ L’évaluation : la puissance publique demande des évaluations de l’action, qui doivent clairement faire ressortir les effets immédiats (visibles pour l’électeur), des actions, dans des temporalités administratives qui ne sont pas celles de l’action patiente de terrain, qui ne permettent pas de faire émerger toute la complexité et la richesse qui existe dans notre pays. L’évaluation est devenue un exercice de style imposé par les administrations et pas un outil intelligent au service des politiques, des citoyens, des acteurs de la culture. Comment les chercheurs peuvent ils aider les acteurs publics et privés (associatifs, …) à co‐produire de l’évaluation partagée de l’action culturelle à l’œuvre dans l’espace urbain? Quels sont les cadres possibles de mutualisation des démarches et des résultats? Comment la population peut‐elle s’approprier la démarche d’évaluation et en être acteur ? ‐ La qualité démocratique : que ce soit pour faire et transformer la ville, et/ou pour s’impliquer dans les processus de la culture universelle, la population dispose dans l’urbanité d’atouts considérables, de multiples opportunités de commerce entre les hommes, de la vie associative, des instances de démocratie participative, néanmoins nous savons bien que les inégalités sociales et culturelles s’aggravent et que nous devons repenser la qualité démocratique de notre société. Comment se mettre à l’écoute de, et valoriser, dans une société démocratique, ce qui n’est pas institué, comment produire du conflit positif avec ce qui est institué ?
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‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Les architectes de l’agence ENCORE HEUREUX ont choisi, alors qu’ils entraient dans la vie professionnelle, plutôt que de construire des bâtiments, d’avoir une autre approche de la ville et de l’intervention architecturale. Ils évoquent à l’occasion de cette séance leur vision de la ville à travers la présentation de quelques unes de leurs interventions. Les deux architectes d’ENCORE HEUREUX (Nicola DELON et Julien CHOPPIN) ont sélectionné cinq de leur projets, réalisés entre 2001 et 2007, qui, en utilisant diverses situations et interstices, questionnent la façon dont de jeunes architectes peuvent intervenir dans la ville. Leur intervention se fait à l’appui d’un diaporama présentant de nombreuses images de ces projets. ‐ Herbes Folles : Ce projet part d’une situation urbaine très précise que sont les bouches d’aération du métro. ENCORE HEUREUX considère que c’est une énergie gaspillée lorsqu’elle arrive en surface et se propose d’accrocher des bandelettes de tissus et de faire, de manière éphémère, un champ d’herbes, et de le multiplier dans tout Paris. Le principe est donc d’utiliser l’air chaud qui sort, d’ordinaire plutôt vécu comme une nuisance, et d’en faire une installation gratuite, donnée aux passants, juste un petit moment de décalage. Par ce type de projet ENCORE HEUREUX entend modifier très ponctuellement un lieu, en offrant une installation accessible : les gens pouvaient marcher dessus, sans mise à distance, et ainsi s’interroger sur ce que ça montre, ce que ça produit. ‐ Wagon‐scène : Ce projet prospectif encore en cours constitue le sujet de diplôme d’architecture de Julien CHOPPIN et Nicola DELON, il a été développé avec la DRAC et la Région Midi‐Pyrénées. Il part du constat que de nombreuses friches ferroviaires en milieu rural constituent des lieux délaissés et inexploités, parfois au cœur des villes. Le projet consiste à utiliser ces cours de marchandises, accessibles par une voie de garage qui les longe, pour implanter une salle de spectacle. La base de cette salle de spectacle est un train ‐ 5 wagons, associés à un chapiteau, à partir desquels se déploie un système de construction ‐ qui permet d’installer une salle de spectacle à usage polyvalent. Dans ce projet, c’est aussi l’idée de réseau qui intéressait Encore Heureux, car plus de 3 000 gares en France constituent des lieux potentiels d’intervention, maillés entre eux sur tout le territoire ; il est donc possible d’envisager d’intervenir de la même façon à différents endroits. Là encore, la question de l’éphémère intéressait les jeunes architectes : ce projet permet d’imaginer d’exploiter de nouvelles temporalités dans un contexte de renouvellement urbain, non seulement pour produire de l’événementiel mais aussi pour révéler ponctuellement des lieux et qu’il s’y passe autre chose ensuite. ‐ Dromad’Air : Il s’agit d’une commande faite par le festival Recycl’Art à Bruxelles, organisé par une MJC Bruxelloise située en plein centre ville, à la frontière de deux quartiers très différents. Les organisateurs de ce festival ont demandé à Encore Heureux, dans le cadre du thème ‘ville, tourisme et réalité’, de réfléchir à une installation permettant de relier deux places distantes de 500 mètres, d’une part la Grand Place, très touristique, et d’autre part, la place du Jeu de Balle dans le quartier des Maroilles située au cœur d’un quartier populaire. Encore Heureux souhaitait faire une réponse qui permettant de juxtaposer tourisme et habitant, l’agence a donc proposé de décaler une pratique touristique préexistante, la balade à dos de chameau, de la rendre gratuite par un système de tirage au sort, et de l’importer à Bruxelles. L’idée était aussi d’initier un nouveau moyen de transport, de
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réfléchir à des circulations douces à partir d’une analyse des croisements de flux entre piétons, calèches, vélos et trains, d’ajouter un nouveau moyen de déplacement. Pendant trois jours, ENCORE HEUREUX a donc organisé des déplacements à dos de dromadaires, avec la particularité de n’offrir que des allers simples : les touristes étaient amenés dans le quartier populaire et, inversement, les enfants du quartier populaire ‐ qui pour la plupart venaient d’un pays dont cet animal était originaire mais qui n’en n’avaient jamais vu ‐ étaient conduits sur la Grand Place, ce qui a produit des croisements intéressants. ‐ Pisteur : Il s’agit d’un autre projet prospectif, mais à une échelle beaucoup plus infime que Wagons‐scène, qui permet d’illustrer une autre façon d’intervenir sur la ville. Suite aux nouveaux aménagements de pistes cyclables sur les trottoirs dans le 10ème arrondissement, étaient nés des conflits d’usages et des incompréhensions entre piétons et cyclistes, aboutissant à une situation de crise en conseil de quartier. Pour éviter d’avoir à installer une signalétique spécifique tous les 50 mètres, ENCORE HEUREUX a proposé une signalétique continue permettant de matérialiser le passage antérieur d’un vélo et de signaler le passage potentiel d’un autre vélo. Nicola DELON et Julien CHOPPIN ont donc mis au point un procédé de signalétique très légère avec l’aide de designers, l’interprétation peinte d’une trace de pneu sur le sol. ‐ Collection : Ce projet a été développé dans le cadre de la biennale d’architecture à Venise, à l’invitation de Patrick Bouchain. Le propos consistait à organiser un workshop autour de la question « comment avoir des idées ? ». Il apparaissait en effet que cette question, fondamentale, était finalement peu posée, l’impression que les idées ‘tombent du ciel’ dominant. Il était donc proposé de faire des exercices facilitant l’émergence d’idées, à partir de jeux créatifs, de cadavres exquis, etc., afin de se mettre en capacité de dialogue et de répartie par le biais du jeu, sans compétence architecturale préalable. L’intérêt consistait à associer un public divers, parfois des élus, et de mettre en lumière la capacité de chacun à inventer son quotidien, sa ville, des réponses à des problématiques par le biais du jeu. Afin de cadrer l’exercice, Encore Heureux s’était donné comme règle de travailler sur des éléments d’architecture, à l’appui de listes : les murs, les plafonds, les portes, les fenêtres, les descentes d’eau pluviales… A fil de cet atelier plusieurs idées ont pu être développées collectivement, sans craindre les collages absurdes ou l’impossibilité de la réponse, mais avec pour objectif de produire de nouveaux objets, de nouvelles façons de répondre aux problèmes, de nouvelles questions. A partir des résultats de ces dix jours de workshop, un petit ouvrage a été réalisé. Les dessins, réalisés par un illustrateur, parfois presque enfantins, étaient aussi une façon de réfléchir sur de nouveaux modes de représentation et de sortir des représentations propres au domaine architectural ‐ plan, coupes… ‐, afin de mieux partager ce travail avec un public non professionnel. ‐ Chinoiserie : Pour finir cette présentation, Nicola DELON et Julien CHOPPIN présentent leur première construction, modeste, légère et démontable. Ce projet a été réalisé dans un jardin botanique l’été dernier, sur une invitation d’Arc en Rêves, centre d’architecture bordelais. Dans le cadre du projet ‘Jardin d’architecture’, Arc en Rêves avait donné carte blanche à différents concepteurs pour imaginer des dispositifs permettant de parler d’architecture aux enfants et au‐delà à un public élargi. L’idée est venue à ENCORE HEUREUX à l’occasion d’un voyage en Chine par la rencontre d’un vendeur de filets. Nicola DELON et Julien CHOPPIN ont souhaité jouer avec l’idée d’accumulation de filets pour produire une installation en
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bois, reposant sur des principes de montage très simples, à mi‐chemin entre la yourte, le manège ou le kiosque à musique, permettant un usage particulier grâce à la mise à disposition de douze hamacs, suspendus de manière concentrique, à l’attention des usagers du parc.
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ La série d’interventions s’achève avec celle de Sylvie Harburger, de la direction de la Politique Régionale à la Commission Européenne, à qui les organisateurs ont souhaité donner un rôle de grand témoin de cette séance. Il lui avait été demandé de réagir par rapport aux interventions précédentes, et d’apporter des compléments d’information et de réflexion sur les politiques culturelles à l’échelle européenne. Sylvie HARBURGER commence par présenter le travail de la direction à laquelle elle appartient. Intitulée direction générale de la politique régionale, ce service finance le développement des régions par le biais des fonds structurels FEDER et constitue, avec 350 milliards d’euros, le premier budget de l’Union Européenne. Cette direction n’a pas de politique à proprement parler et met à disposition son budget au service des politiques communautaires. Pour ce qui concerne le volet proprement culturel de l’action de l’UE, il existe une autre direction générale, la DG EACTF, qui traite de la culture, de la jeunesse et de l’éducation. Cette direction a mis en place trois programmes qui ont un rapport avec le développement urbain: ‘Villes capitales européennes de la culture’, programme ayant beaucoup de succès auprès des villes et dont apparemment l’impact est tout à fait positif ‐ depuis 1985 plus de 30 villes ont déjà été candidates dont un certain nombre de villes françaises, Saint‐Etienne, Bordeaux, Marseille... ‐, un deuxième programme intitulé ‘Programme culture’ qui regroupe des projets de coopération entre des acteurs du secteur culturel, et un troisième programme ‘2008, année européenne du dialogue interculturel’, avec de fortes dotations financières, qui fonctionnera sous forme d’appels à projets lancés à partir de janvier 2008. Un document intitulé La dimension urbaine des politiques communautaires présente l’ensemble des programmes européens qui croisent la question urbaine avec d’autres thématiques. Pour plus de précision, Sylvie HARBURGER renvoie à la lecture de ce document. Souhaitant partir des problématiques urbaines plutôt que de la culture, Sylvie HARBURGER évoque la mission de la direction de la politique régionale. En référence aux réflexions d’Henri Coing sur la légitimité du financement public et aux remarques de François Matarasso, elle commence par évoquer la question de la légitimité de cette dépense d’argent communautaire, qui est posée en permanence. C’est essentiellement au titre de la cohésion économique et sociale que l’Europe légitime son intervention, avec pour objectif de réduire les écarts de richesse entre les différentes régions d’Europe. Pour la direction régionale il ne s’agit jamais de financer simplement l’entretien d’une structure : il faut que celle‐ci fasse la preuve de son impact positif sur les priorités de l’Union Européenne que sont l’emploi et la croissance économique. L’Europe est divisée en deux catégories de régions : les régions Objectif Convergence ‐ toutes les régions des nouveaux Etats membres en Europe de l’est, plus des régions de la
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Grèce, du sud de l’Italie, du sud de l’Espagne et le Portugal, ainsi qu’une région anglaise – vers lesquels vont 80 % des fonds structurels, et les régions Objectif Compétitivité. Toutes les régions sont éligibles aux fonds FEDER, mais suivant des lignes directrices différentes en fonction du type de régions. Par exemple, en ce qui concerne les dépenses d’investissement en infrastructures culturelles, seules les régions Objectif Convergence sont éligibles, alors que toutes le sont pour ce qui est du financement des activités culturelles ou des petits équipements de quartier, à condition que ceux‐ci fassent partie d’un projet intégré touchant l’ensemble des dimensions du développement – économique, social et environnemental. C’est en ce sens que le développement culturel intéresse la direction de la politique régionale. Mais la question culturelle émerge d’une autre façon, au travers du débat sur le rôle des villes en Europe. Car ce qui caractérise culturellement l’Europe c’est aussi sa structure fondamentalement urbaine, c’est l’Europe des villes. Lorsque l’on regarde une carte de l’Europe, il y a des villes partout, et c’est une des spécificités de l’espace communautaire par opposition, par exemple, à la Chine, aux Etats‐Unis ou à d’autres continents. L’Europe a une densité urbaine tout à fait caractéristique, et qui l’est d’autant plus depuis l’arrivée des nouveaux états membres qui comportent énormément de villes petites et moyennes. Le devenir de cette armature urbaine assez particulière pose des questions tout à fait fondamentales pour l’avenir, qui renvoient en partie aux questionnements français des les années 1970. Car en Europe de l’Est aujourd’hui, toutes les villes perdent des habitants. Les villes sont en concurrence entre elles, à l’intérieur des pays, entre les pays, et au niveau mondial pour attirer des habitants de plus en plus mobiles. Ainsi, la question de l’attractivité des villes, qui peut sembler une question idéologique ou connotée politiquement, est finalement une question centrale, car un risque réel existe pour un certain nombre de villes de reculer, en l’absence de réinvestissement. Sans vouloir généraliser de façon abusive, alors que les situations sont différentes d’un pays à l’autre, il semble à Sylvie Harburger que le problème se pose dans les villes d’Europe de l’Est de la même façon que dans la France des années 1970. En effet, il n’y a eu aucun réinvestissement public dans ces centres villes depuis la guerre, qui sont aujourd’hui dans un état similaire à celui des centres villes français en 1970 avec, notamment, de nombreux logements insalubres, petits et sans confort. Cette situation s’appliquant moins aux villes capitales, rénovées progressivement au gré du marché et de la croissance économique. En second lieu, Sylvie Harburger, en écho aux interventions de François Matarasso et d’Encore Heureux, souligne l’ampleur du phénomène des friches en Europe : au cœur de nombreuses villes, alors que les industries ont périclité, que le port a fermé et que les militaires sont partis, de vastes terrains représentent aujourd’hui des opportunités foncières importantes, même s’ils sont pollués. Dans ce contexte, l’enjeu est de savoir par qui, l’intervention publique ou le privé, ces terrains vont être réinvestis. Cette question reste en débat, car il n’y a pas du tout d’évidence, notamment dans les nouveaux Etats membres, sur la légitimité du rôle du secteur public, notamment si une opération privée peut être économiquement viable. Un troisième type de situation touche, selon Sylvie Harburger, les villes à l’échelle européenne : les grands ensembles. Dans les nouveaux Etats membres, l’essentiel des grands ensembles sont des copropriétés, en 1989‐1990, lorsque ces Etats ont changé de régime politique, ils ont privatisé la quasi‐totalité de leur patrimoine. Aujourd’hui, ce sont
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des copropriétés dans lesquelles les couches moyennes continuent de vivre, comme c’était le cas en France au milieu des années 1970, elles ne concentrent pas les populations les plus en difficulté, néanmoins elles sont considérées comme des quartiers ‘à risque’. L’enjeu pour ces grands ensembles est de choisir la nature du réinvestissement qu’il faut y mettre en œuvre : faut‐il réinvestir massivement dans l’efficacité énergétique, dans les espaces publics ou dans les équipements publics ? Enfin, un quatrième enjeu peut‐être cité, celui de l’étalement urbain. Etant donnée la présence concomitante d’une croissance économique et d’une décroissance démographique, la population européenne s’enrichit et attend un logement plus grand et plus confortable. Le périurbain qui se développe donc à toute vitesse. Une fois ces quatre enjeux auxquels les villes européennes doivent faire face cités, comment intervient la culture ? La direction de la Politique Régionale, dans un document publié en juillet 2006 intitulé La contribution des villes et des agglomérations à la croissance et à l’emploi au sein des régions, a essayé de faire avancer l’idée selon laquelle les villes jouent un rôle central dans le développement économique et social de l’Europe. Initialement, cette idée n’était pas une évidence au niveau communautaire, parce que le niveau territorial de référence était traditionnellement la région, et que Bruxelles n’avait ni la compétence ni la légitimité pour s’intéresser à l’échelle infra‐régionale. Pour répondre à la problématique infra‐régionale, la commission a donc créé une programme d’initiative communautaire, URBAN. Aujourd’hui 200 villes européennes ont bénéficié du programme URBAN, qui dote les villes candidates d’une importante somme d’argent, durant un temps déterminé pour une intervention ciblée dans leurs quartiers en difficulté. Le programme URBAN, qui à certains égards rappelle la Politique de la ville, est bâti sur un trépied : l’emploi et le développement économique, qui est la priorité numéro un, le développement social et la réhabilitation physique. Ce programme, qui est considéré comme une réussite au niveau communautaire, impose des règles assez strictes de participation des habitants, de partenariats publics‐privés, de mise en œuvre de la ‘gouvernance’. C’est à partir de l’expérience d’URBAN qu’a été élaboré le document La dimension urbaine des politiques communautaires dans lequel la Commission a identifié, après un débat interne, la culture comme champ contribuant à l’attractivité des villes, au même titre que l’accessibilité, la mobilité et l’environnement naturel et physique. Dans ce texte, toutes les dimensions de la culture ont été intégrées comme facteur d’attractivité : « Les villes, à travers une politique culturelle pérenne, doivent promouvoir une culture vivante, qui s’appuie sur une offre d’équipements tels que les centres culturels et scientifiques, les musées et les bibliothèques, la préservation du patrimoine culturel, historique et architectural. Ces équipements associés à un programme d’activités culturelles, y compris à destination des jeunes, rendent les villes plus attirantes à la fois vis‐à‐vis des citoyens, des entreprises, des travailleurs ‐ en particulier des travailleurs mobiles et hautement qualifiés ‐ et des visiteurs (…). Ceci conforte l’image de la ville la fierté et le sentiment d’identité de la population locale. (…) La culture et le tourisme culturel forment des secteurs à croissance rapide. ». Un deuxième paragraphe renvoie plutôt à la contribution culturelle aux questions sociales : « Une politique culturelle active constitue un précieux instrument pour la construction de ponts entre populations d’origine différentes et pour le
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renforcement de l’intégration des immigrants et des nouveaux arrivants dans la ville ». On notera que ce volet associe assez directement la ville à la multiculturalité et que la culture y est pensée comme un vecteur de dialogue entre des citoyens d’origines différentes. Si ce texte peut paraître un peu fourre‐tout, il s’appuie néanmoins sur un certain nombre d’expériences, notamment les programmes européens d’échanges entre les villes, INTERREG et URBACT. Au sein d’URBACT, uniquement dédié aux villes bénéficiaires d’un programme URBAN, plusieurs réseaux de villes européennes ont travaillé sur les questions de culture et particulièrement le réseau appelé ‘Culture et régénération urbaine’ qui regroupait 12 villes – entre autres Amsterdam, Madrid, Brno, Budapest, San Sebastian, Helsinki, Manchester ‐, et dont le chef de ville était l’agglomération de Lille Métropole. Dans ce réseau quatre dimensions ont été travaillées sous forme d’ateliers, sous la coupe d’experts : la dimension sociale avec Jean Hurstel de Banlieues d’Europe, l’approche intégrée avec Charles Landry, la dimension physique et la dimension économique. Sylvie HARBURGER invite les participants à prendre connaissance des productions de ce réseau, qui a posé des questions similaires à celles posées dans le cadre de ce séminaire. Synthèse des débats A l’issu de ces interventions, un débat s’est engagé dans la salle. Afin de synthétiser ici les divers propos tenus, nous faisons le choix de les regrouper par thèmes, au risque de gommer la richesse des interventions individuelles. Avant tout, les allocutions ont suscité des remarques relatives à la contextualisation des propos et des situations rapportées. Tout d’abord, plusieurs participants souhaitent apporter des éléments de contextualisation historique permettant de mieux comprendre les inflexions des politiques culturelles françaises décrites par Paul Boino. Sylvie Harburger rappelle le contexte spécifique des années 1970 dans lequel la question du dépérissement des centres villes dominait, et souligne que la rénovation de ces centres a été la première étape de la rénovation urbaine en France. Par ailleurs, elle précise, pour en avoir été le témoin direct et l’acteur, que l’évolution des priorités de l’action culturelle française s’est fait au prix de débats parfois houleux, notamment dans les MJC des quartiers populaires, où l’apport de lourds moyens financiers pour faire venir des artistes avait suscité des arbitrages budgétaires et des réticences de la part des gestionnaires de ces centres. Enfin, elle souhaite rappeler que le contexte socio‐économique français a fortement évolué depuis trente ans et qu’il est important de le garder à l’esprit pour comprendre l’évolution des politiques culturelles. Anne Querrien pour sa part souligne l’importance fondamentale de la présence des universités dans les villes et de l’amélioration du niveau de formation de la population pour expliquer le succès des politiques de renouvellement fondées sur des programmations culturelles. Si de son point de vue la France est plutôt en retard en ce qui concerne le partage de la culture par ses concitoyens, ce mouvement semble toucher l’ensemble des pays anciennement industrialisés. A ces précisions d’ordre historique s'ajoutent un certain nombre de remarques relatives à la contextualisation spatiale. Renaud Epstein, Vincent Bourjaillat et Catherine Foret soulignent
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tous trois, à des moments distincts du débat, l’importante différence de contexte qui sépare les grandes villes en renouvellement s’appuyant sur une riche politique culturelle et la situation des quartiers en Politique de la ville. Renaud Epstein souligne que pour ces derniers, le volet culturel constitue le plus souvent un volet superfétatoire, mis au service du projet de rénovation pour qu’il recueille le consentement des habitants ; Vincent Bourjaillat insiste sur la grande distance entre les politiques culturelles adressées aux classes moyennes et supérieures dans les grandes villes et la réalité des quartiers en difficulté ; Catherine Foret, à l’appui de l’exemple de la Grande Borne – 11 000 habitants, pas un seul commerce, un bus toutes les 20 minutes – mesure l’écart entre ces quartiers et les politiques culturelles de certaines collectivité visant l’attractivité. Chacun d’eux relève donc l’ambigüité de cette séance qui réunit au sein d’une même réflexion des contextes spatiaux peu comparables. Enfin, Marion Segaud, appuyée par Vincent Bourjaillat, apporte un élément de contextualisation culturelle en rappelant que la tradition spécifique, très universaliste et normative, de la culture en France pose problème concernant la reconnaissance des cultures populaires et/ou spontanées et qu’elle tend à systématiquement institutionnaliser les cultures marginales lorsque celles‐ci accèdent à la reconnaissance, ce qui s’est passé à son sens pour le hip‐hop. Comme le soulignait François Matarasso, la tradition des pays anglo‐saxons est bien différente à cet égard. A plusieurs reprises les intervenants et les organisateurs ont fait part de leur difficulté à relier les différentes interventions entre elles, en raison de la grande disparité des points de vue exprimés. Pourtant, plusieurs d’entre eux ont tenté de les mettre en dialogue au travers de notions et de réflexions transversales. Il est possible de regrouper autour de quatre grandes thématiques les différentes réflexions apportées par les participants. La première thématique, qui ouvre en partie les débats, s’organise autour de la rhétorique du renouvellement urbain par la culture et la réalité des villes renouvelées. Renaud Epstein souligne la domination de cette rhétorique et du rôle des classes créatives pour le renouveau des villes dans toute l’Europe, et souligne à quel point les opérations présentées par François Matarasso sont similaires à d’autres opérations, au Pays‐Bas et dans d’autres pays européens. Il souligne son étonnement face à une telle circulation de ces idées et de ce modèle, ce qui pour lui pose des questions à la recherche. François Menard souligne que s’il s’agit bien d’une rhétorique, celle‐ci représente un véritable coup de bluff lorsque l’on se promène dans des villes qui, hier en crise, sont devenues des villes haut de gamme, bénéficiant d’équipements dignes de capitales. Renaud Epstein fait part de l’impression très nette que donnent ces centres villes lorsque l’on s’y promène d’être conçues pour devenir des produits de consommation pour de nouvelles élites urbaines. Paul Boino, qui appuie ce propos réitère son doute, déjà implicitement exprimé dans lors de son intervention, quant à la capacité de ces grandes politiques culturelles urbaines à créer de la cohésion sociale. Pour lui, il s’agit clairement de politiques de classe, destinées aux classes supérieures. Paul Boino entend donc dénaturaliser l’idée, répandue, selon laquelle ces politiques fabriquent de la cohésion. En écho aux remarques de François Matarasso, Paul Boino se demande également quand adviendra la fin de ces politiques, quand ‘le soufflet retombera‐t‐il’ ?
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Parallèlement, une autre thématique occupe le débat entre les participants, suscité en grande partie par l’intervention de Nicolas Frize : les relations entre approches sensibles, politique et production de l’urbain. A la suite de la prise de parole de Nicolas Frize sur l’’organicité’ à Cuba, François Menard s’interroge, au travers de cette notion, sur la place du sensible dans nos relations sociales. Nicolas Frize, précise ce que cette notion signifie pour lui, à savoir la prise en compte des questions immatérielles et sensibles en amont des choix d’aménagement. Pour lui, lorsque ces questions sensibles conditionnent réellement les modes de vie, on peut parler d’organicité. Jérôme Boissonade, s’interroge quant à lui sur l’ambigüité des relations entre approche sensible et politique et se demande si, dans un certain nombre d’interventions artistiques, l’appel au sensible n’a pas pour objectif de se situer en deçà du politique, c'est‐à‐dire, en faisant appel directement aux sens, aux émotions, de dépolitiser l’art. Nicolas Frize répond que pour sa part, comme d’autres artistes, il tente de conserver une approche politiquement engagée en agissant par le biais du sensible. A plusieurs occasions, certains participants (Catherine Foret, Jérôme Boissonade) soulignent et regrettent la rareté de cette volonté d’articuler les deux dimensions – sensible et politique – dans l’ordinaire des interventions artistiques. Christine Moissinac déplace la question. Plutôt que de s’interroger sur ce que l’approche sensible peut faire advenir, elle s’interroge sur les conditions d’accueil de cette approche aujourd’hui dans la production de l’urbain. Ayant connu les travaux sur les usages de l’espace urbain par les situationnistes dans les années 1960 et 1970, elle pense qu’un tout autre chemin est pris aujourd’hui dans la conception urbaine, beaucoup moins attentive à cette approche. Plus généralement, les politiques culturelles des villes dont il a été question dans les différentes interventions interrogent les participants sur leur capacité à susciter du vivre‐ensemble. Avant tout Anne Querrien et Vincent Bourjaillat tentent de donner une explication à la prégnance du recours au champ culturel dans les politiques de renouvellement. Anne Querrien, en écho aux propos de Nelly Lopez, se demande si finalement la culture n’est pas le seul champ d’investissement public qui est aujourd’hui politiquement légitimé. Vincent Bourjaillat se demande quant à lui si, dans le contexte d’une société de consommation de plus en plus individualisée, les événements festifs ne sont pas une façon de construire du collectif, de trouver du sens commun. Pourtant, s’il reconnaît à la culture la capacité de produire des occasions de rencontre et des relations sociales, il pense toutefois qu’il ne faut pas attendre de ces politiques culturelles qu’elles règlent les problèmes de fracture sociale et d’écarts socio‐économiques, et que l’on a tendance à trop en attendre. Catherine Foret, dans le même sens que Paul Boino, doute même que l’objectif confié aux grandes politiques culturelles mises en place par les villes soit de créer du vivre‐ensemble et de combler les écarts de plus en plus importants entre les populations citadines.
L’interrogation sur la capacité des interventions sensibles, artistiques ou culturelles à créer du vivre‐ensemble ou à modifier les politiques d’aménagement pose également la question des modalités de l’intervention culturelle.
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Catherine Foret souligne les limites des seules approches sensibles pour parvenir à structurer différemment les modes de vie et relève la nécessité de mettre en lien ces démarches avec l’université, et plus généralement les intellectuels. Pour illustrer son propos elle évoque les expériences fructueuses du CERFISE et de la Fondation Abbé Pierre. Pour elle, c’est la seule façon d’ancrer ces approches dans la longue durée et de les rendre efficientes ; les interventions éphémères ou ponctuelles, si elles restent intéressantes, sont à ses yeux peu opérantes d’un point de vue structurel. Jérôme Boissonade critique la tendance actuelle à la domination de la figure de l’artiste ‘décalé’. Reprenant les interrogations formulées par Michelle Sustrac en introduction, il s’interroge sur cette légitimité de l’artiste qui repose de plus en plus sur sa capacité à offrir une vision décalée des routines et de la vie quotidienne, produisant une révélation vis‐à‐vis du quotidien et de ses représentations, mais aussi une rupture avec le citadin ordinaire. Cette posture, qui selon lui a été largement favorisée par le Ministère de la culture, est différente de celle qui opérait il y a quelques années qui consistait à faire travailler les artistes ‘avec’ les populations. Les architectes d’Encore Heureux soulignent que si, effectivement, la posture décalée est parfois intéressante, elle ne doit pas devenir la règle. Dans le même ordre d’idée, Hélène Hatzfeld s’interroge sur la pérennité de la capacité des artistes à créer des médiations avec les populations, qui lui paraît pourtant être une notion fondamentale, mais de plus en plus laissée de côté, y compris dans le débat de cette séance où le terme n’a pas été prononcé.
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Atelier 3
La pensée de la diversité dans le renouvellement urbain : masque, espoir ou règle,
les conditions de réalité de la ville cosmopolite
Attendus précédant la séance Dans les textes fondateurs de la politique de renouvellement urbain (comme dans ceux de la Politique de la ville), le terme de diversité, employé le plus souvent de manière positive, renvoie à des objectifs de cohésion sociale, confortée par des situations urbaines maîtrisées. Plus précisément, la diversité est le plus souvent assimilée à la mixité des populations. C’en est là une dimension évidente, mais ce n’est pas la seule car, par exemple, la mixité des usages, disons plus concrètement le fait de rapprocher l’habitat, des services, des petites activités, de l’enseignement …, relève souvent d’une même logique.
Cette diversité pacifiée et espérée comme pacifiante, source de cohérence sociale reste souvent dans le domaine de l’affichage et du discours… parée parfois des couleurs valorisantes du cosmopolitisme. Cependant entre la parole et la réalité, l’écart peut être important, sans renvoyer forcément à des modalités précises de conception ou de gestion. Car, à regarder un ensemble d’opérations de renouvellement, on peut, de manière très synthétique, voir que l’objectif de « mixité » varie considérablement selon les cas : il peut être écarté de la problématique de l’opération ou au contraire considéré comme un levier essentiel du changement, réduit à l’habitat ou au contraire centré sur les espaces publics et les services… Il est clair ainsi que cette mixité‐diversité reste une notion diversement entendue, finalement mal définie : ni les comptages, ni les nombreux travaux de recherche ou universitaires, ni les récits de cas marqués par l’exemplarité, n’en font une description sur laquelle un large consensus conceptuel existe, alors même que sans tenir compte de ces ambiguïtés, cette dimension du renouvellement reste affirmée avec vigueur. Alors même aussi que les tendances au communautarisme se font souvent sentir à tous les niveaux et dans des circonstances urbaines totalement différentes, avec des effets perceptibles évidents, parfois combattues, parfois tolérées, parfois enfin acceptées elles aussi comme facteur de cohésion. Le plus souvent en outre, la dimension « temps » qui pourtant amène des changements décisifs brouillant la réalité première, n’est guère prise en compte. Alors pourquoi ne pas considérer que ce qui est recherché, ce « vivre‐ensemble » mal défini mais pourtant souhaité et considéré comme un critère positif, est un véritable enjeu de culture des politiques et des opérations de renouvellement ? Ne serait‐ce que pour que soient élucidés ses emplois ?
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L’atelier aura pour objet à la fois : ‐ d’éclairer ce qui est « entendu » par ce qui est écrit et dit autour de la « diversité » ; ‐ d’apprécier pourquoi certains lieux (les espaces publics urbains, les espaces ayant
valeur de centralité, certains services comme les centres commerciaux) et non d’autres sont pensés comme décisifs par rapport à la mixité ;
‐ de sentir la force d’intégration propre à certains quartiers (étapes dans un itinéraire de socialisation ou au contraire, fin de parcours) et la durabilité de leur fonction ;
‐ d’étudier, à propos de quartiers et d’espaces en perpétuel mouvement (transformations urbaine, évolution démographique et sociale), les conséquences sur la liberté de choix ou l’effet des contraintes sur la population. Les effets peuvent en être très contrastés : diversité acceptée et élargie, ou au contraire renforcement des communautarismes ;
‐ enfin, de réfléchir au rapport entre l’échelle du temps et celle de la diversité (surtout démographique : les lotissements, mais aussi les tours, désertés de leurs enfants, puis à nouveau peuplés de très jeunes…).
Synthèse de la séance
Propos introductifs François MENARD introduit cette séance consacrée aux réflexions sur la diversité, organisée autour de trois interventions, celles de Virginie MILLIOT et Gilles SUZANNE qui visent à remettre ces questions dans leur contexte théorique et épistémologie en apportant leurs réflexions de chercheurs, et celle de François Monjal, programmiste urbain, qui donne le point de vue des personnes travaillant directement la matière urbaine sur ces questions. Ces trois interventions sont mises en discussion par les interventions de Christophe BETIN, DDE de la Loire, connaissant bien ces problématiques pour avoir participé à différents programmes de recherche et opérations de renouvellement urbain à Saint‐Etienne. Avant de laisser la parole aux intervenants, François MENARD souhaite rappeler les entrées réflexives qui ont initié la programmation de cette séance. François MENARD « Il existe un certain nombre de termes aujourd’hui pour décrire les diverses compositions sociales dans l’espace urbain, « mixité », « diversité »… Derrière ces termes, et notamment celui de mixité sociale, un certain nombre de chercheurs ont dénoncé le fait qu’ils constituaient une euphémisation de la question ethnique en France ; d’autres ont critiqué ces dénonciations en disant que la question ethnique et la question sociale se recouvraient ou s’articulaient de telle manière que l’on ne pouvait pas les réduire à l’une ou à l’autre de ces dimensions ; moyennant quoi il semblerait que nous ayons aujourd’hui un problème d’instruments théoriques et de notions, à la fois pour décrire la réalité du fonctionnement social de l’espace urbain et pour penser les alternatives aux politiques qui sont actuellement menées. Dans ce contexte, il y a une notion que nous voulions introduire, sans savoir si elle offrait des perspectives différentes de pensée et d’action ou si elle constituait un écran de plus : la
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notion de cosmopolitisme. Nous avons en effet le sentiment que dans les métropoles cherchant à attirer les artistes internationaux, les élites mondialisées au titre de leurs potentialités créatives, on parle assez facilement de cosmopolitisme, la circulation des hommes et des identités ne posant pas problème ; alors que, lorsque le constat de la présence de la société monde dans les métropoles est fait à travers la figure d’immigrés non qualifiés, non « recherchés », le cosmopolitisme n’est plus du tout assumé. Ainsi, on se disait qu’il y avait peut‐être quelque chose à chercher autour de cette notion, notamment dans la manière quelle a de valoriser une présence vécue de manière problématique par ailleurs. Ceci constituerait une première façon de reposer le sujet de la diversité. La deuxième entrée est liée au contexte actuel. Les questions de mixité et de diversité sont évoquées aujourd’hui à la faveur des opérations de renouvellement urbain et plus particulièrement des rénovations urbaines de l’ANRU, alors que le constat d’un défaut de mixité oriente ces opérations vers la réintroduction des classes moyennes dans certains quartiers. Il n’est pas question de reprendre aujourd’hui les débats sur le caractère fallacieux des présupposés de ces politiques, mais plutôt de réfléchir, notamment à travers l’intervention de François MONJAL, sur l’injonction qui est faite de ce point de vue aux urbanistes aujourd’hui et sur la réponse qu’ils sont en mesure de produire peut‐être pas en termes de mixité, mais plutôt de condition de coexistence, de mise en relation, de restitution de formes de vie sociale favorables à la constitution de sujets individuels et collectifs. Cette réflexion peut, à notre sens, nourrir à la fois des questions de recherche mais aussi les pratiques. » Synthèse des interventions Virginie MILLIOT « Il serait bon tout d’abord de rappeler le contexte général dans lequel se pose la question de la diversité aujourd’hui, que l’on soit chercheur, acteur de terrain ou autre, et qui fait que l’on a du mal à appréhender la diversité comme valeur. Notre modèle d’intégration républicain, qui n’est pas uniquement théorique et qui s’actualise dans les politiques très concrètes, ne reconnaît, théoriquement, que des individus, formellement définis comme étant « libres et égaux en droit ». Afin de garantir la « neutralité » du domaine public et l'égalité des individus, le modèle laïque français ne reconnaît théoriquement ni les minorités, ni les communautés, ni les appartenances particularistes. Pour préserver « l’espace commun » il faut en garantir la neutralité, éviter l'éclatement dans la diversité. Ce modèle conduit à opposer dans différentes sphères de l’action publique « universalisme » et « affirmation de l’identité », « laïcité » et « communautarisme ». Nous subissons ce cadre général qui conduit à des oppositions systématiques et des débats inféconds. En parallèle, les chercheurs français mettent en lumière depuis plusieurs années la « nature dissonante du modèle d’intégration français » (Françoise Lorcerie) : la diversité est non légitime et en même temps omniprésente, mais sur un registre essentiellement négatif, au travers des constats de ségrégation spatiale et sociale, et d’ethnicisation des problèmes sociaux. Si la question de la pluralité est au cœur de l’action publique, elle n’est jamais reconnue comme telle, ni transposée en valeur, mais prise en compte sur le mode de la « commutation » et du « déplacement ».
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Même sur les terrains de l’action culturelle où a été menée une politique pluraliste dite de « démocratie culturelle » ayant pour objectif une revalorisation de la diversité et une dé‐hiérarchisation des différences, on constate la réapparition d’une certaine conception de la laïcité (qui est une « laïcité d’abstention », pas une « laïcité de confrontation »), mise en œuvre sous la forme d’une « démocratie culturelle sous tutelle ». Par exemple c’est le cas avec la danse hip‐hop : dans le cadre d’un mouvement de reconnaissance institutionnelle, on assiste à un formatage très fort dans des conventions artistiques légitimes, qui passe notamment par la sommation à l’ouverture sur l’universel, sur d’autres langages artistiques, avec des discours récurrents de la part des professionnels qui ont mis en œuvre cette politique de peur du repli sur un « ghetto artistique ». Même dans ces champs qui se revendiquent pluralistes on voit donc une réapparition de ces oppositions entre, d’une part, l’universalisme et, d’autre part, le repli identitaire. Ainsi on peut dire qu’il y a un véritable malaise par rapport à cette question en France dans toutes les instances de socialisation. C’est le cas à l’école par exemple : les partisans d’une nouvelle pédagogie s’efforcent de construire une nouvelle articulation entre l’institution scolaire et le « dehors », de repenser « un nouveau mythe laïque » qui tienne compte des conditions sociales et culturelles réelles des élèves d’aujourd’hui. Face à eux, les « anti‐pédagogistes » brandissent le bouclier de la laïcité et de l’universalisme pour maintenir au‐dehors les particularismes populaires et ethniques, et refusent toute adaptation des programmes et des manières d’enseigner de peur d’une dévaluation et d’une dissolution de la forme scolaire (Jean‐Manuel de Queiroz, 2000). C’est un débat qui s’articule un peu dans les mêmes termes que dans le domaine de l’action culturelle. Par ailleurs, les travaux actuels de Geneviève Zoïa montrent que la question de la diversité surgit de manière inattendue, complexe et problématique au fil des interactions scolaires. La difficulté principale est que la différence culturelle n’est pas toujours là où l’enseignant a décidé qu’elle serait ‐ dans l’enseignement de l’histoire, une sensibilisation aux musiques du monde, etc. ‐, mais de façon concrète et quotidienne sur des malentendus, des réactions épidermiques, etc. Dans un deuxième temps, il est possible de partir des processus urbains pour analyser comment se pose la question de la diversité, indépendamment de ces espaces institutionnels. Nous disposons d’un certain nombre de travaux d’ethnologie urbaine qui permettent de distinguer des dynamiques différentes reposant sur des espaces distinctifs. Si on schématise et que l’on créé une typologie idéal‐typique, il est possible de distinguer trois espaces : l’espace de résidence, l’espace du marché – du commerce formel ou informel, et l’espace public ; ces trois espaces produisant des dynamiques différentes par rapport à la coprésence de cette diversité. L’espace de résidence renvoie plus facilement à des logiques que certains qualifient de « communautaristes », liées à la fois aux politiques de peuplement, aux logiques d’attribution de logement et aux logiques informelles de regroupement. La concentration résidentielle ayant tendance à faire naître des logiques de contrôle social, les logiques résidentielles sont donc des logiques de l’entre‐soi, où l’on voit se cristalliser des formes de « traditionnalisme ». Mais les travaux d’ethnologie urbaine montrent bien que dans les
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banlieues populaires où il y a une cohabitation de la pluralité, on observe aussi l’invention de codes communs, notamment autour de logiques d’honneur (Petonnet, Althabe, Selim, Calogirou, Lepoutre, etc.). Ces codes communs, renvoyant à une sorte de synthèse culturelle un « minimum en commun » qui permet d’organiser ce vivre‐ensemble. Parallèlement les habitants de ces quartiers ont tendance à construire en discours la pluralité de leur quartier comme une richesse et une ressource. C’est une manière de revaloriser ces quartiers stigmatisés : la richesse de la banlieue pour ses habitants, c’est la diversité de sa population. Ces deux processus ne sont pas étrangers l’un à l’autre, il est possible que se déploie simultanément cette réglementation du vivre‐ensemble autour de codes comme ceux de l’honneur et des logiques de contrôle social « traditionnalistes ». Le deuxième espace est celui du marché, du commerce, qui va faire naître des logiques complètement différentes de celles du premier espace. Dans cet espace, les différences s’accordent au fil de nouvelles valeurs. Les travaux d’Alain Tarrius notamment montrent bien comment les logiques commerciales d’échange échappent complètement aux logiques identitaires des espaces résidentiels : il y a porosité des identités dans ces transactions commerciales et invention d’autres valeurs comme celles de la parole donnée, des logiques de négociation, etc. Emmanuelle LALLEMENT a bien montré dans ses études sur Barbès comment cet espace crée une sociabilité spécifique, une espace de « fictive égalité » où les différents partenaires jouent avec leurs différences. Tout cela fait que l’espace marchand, qu’il s’agisse du marché forain en tant que tel ou de commerce formel ou informel, renvoie à une logique que l’on peut rapprocher de l’idée de cosmopolitan canopy d’Elijah Anderson, qui peut être traduite comme « baldaquin cosmopolite » ou comme « verrière cosmopolite », développée à partir de l’observation d’un marché couvert. Ces « verrières cosmopolites » sont pour lui des espaces publics de relâche, où la diversité est vécue de façon beaucoup plus décontractée. Ce sont des espaces neutres où chacun est davantage enclin à faire avec l’autre, où sa présence n’est pas problématique, où chacun a le sentiment d’avoir une place et où, par conséquent, on va se sentir autorisé à engager la conversation. S’y déroulent des jeux de négociations, de représentation des identités stéréotypées. Je trouve que ce concept colle parfaitement aux recherches d’Emmanuelle LALLEMENT sur Barbès. On voit donc dans ces espaces du commerce naître un rapport spécifique qui permet d’organiser la diversité de façon différente. Le troisième type d’espace, c’est l’espace public. C’est un espace plus complexe parce que c’est un univers dans lequel les rôles ne sont pas définis par une activité réglée, dans lequel on ne peut anticiper la relation. L’espace public ne fonctionne ni comme un espace de relâche, ni comme un espace de tolérance, mais c’est un espace dans lequel l’expérience de la diversité n’est pas moins structurante, même si elle l’est différemment. Nous sommes actuellement en train de réaliser une recherche à Barbès, en continuité et complémentarité avec ce qu’Emmanuelle LALLEMENT avait fait, dans laquelle nous essayons de spécifier la nature des interactions dans l’espace public et d’étudier la façon dont l’expérience de la pluralité dans l’espace public peut être structurante, socialisante par ailleurs. Ces phénomènes sont très difficiles à saisir d’un point de vue empirique et nous obligent à des déplacements et dépassements. La métaphore de la mosaïque urbaine notamment, qui amène à penser la diversité en termes de lots ne nous semble pas opérante
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dans un contexte où sa dynamique renvoie à des univers en archipel, en tension. L’espace public n’est pas un espace délimité, clos, constitué de morceaux à l’image d’un puzzle, mais recèle d’une dynamique beaucoup plus complexe, faite de chevauchements. C’est un espace poreux où les relations se créent sur d’autres logiques que celles de l’espace de résidence ou du marché, mais qui ne sont pas sans liens avec ses autres espaces de socialité. A Barbès, on observe que les individus sont obligés de s’ajuster pour trouver leur place dans cette diversité, ce qui suppose des réajustements dans d’autres sphères. Et c’est justement à l’occasion de ces réajustements que l’on peut analyser de façon concrète les mouvements qui vont de l’espace privé vers l’espace public ou vers le politique. Nous observons par exemple comment cette expérience de la diversité va avoir des répercussions en termes de pratiques alimentaires dans l’espace domestique des individus, qui répercutent ces influences par des transformations d’habitudes alimentaires ; nous essayons d’analyser également comment cette expérience de pluralité peut produire des remises en question individuelles : des personnes qui se rendent compte de la condition des immigrés en France, de la condition des sans‐papiers, des problèmes de logement à Barbès et, à partir de cette expérience faite dans l’espace public, transforment cela en engagement politique. Nous essayons d’observer de quelle façon, concrètement, du privé au public et du public au politique, il y a une portée du pluralisme, même si cela repose sur les interactions « faibles » de l’espace public. Il est également intéressant aussi de voir, à l’inverse, comment dans l’espace public qui est un univers pluraliste, les normes sont négociées. A Barbès nous sommes témoins de toutes sortes d’interactions quotidiennes, d’événements, et il très intéressant d’observer dans ces moments comment les individus se réajustent ‐ qui intervient ?, pourquoi ?, en tant que quoi ?, comment une personne à un moment donné s’autorise à dire, et en fonction de quels critères, que ce comportement n’est pas normal ? ‐, et d’analyser toutes les logiques d’argumentation qui interviennent pour réguler et réajuster les interactions. Dans l’autre sens, cela nous permet de creuser la façon dont différents ordres de légitimité interviennent dans l’espace public. Ainsi, dans l’espace public se déploient des relations qui se créent sur d’autres logiques que dans les autres espaces, et même si l’on est dans un « univers des liens faibles et des sociabilités froides » (Isaac Joseph) ces interactions n’en sont pas moins structurantes. Pour finir, je ferais quelques propositions permettant, à mon sens, de penser ces dynamiques dans toute leur richesse et leur complexité, et d’ouvrir le champ de la discussion. Je pense, fondamentalement, qu’il est important d’accepter de reconsidérer notre conception du cosmopolitisme. De ce point, je trouve très stimulante la lecture d’Isabelle Strengers et sa notion de « cosmopolitique ». Bruno Latour compare deux conceptions du « cosmopolitisme »1 : celle normative, d’Ulrich Beck, où se terme est synonyme de tolérance, d’ouverture à l’autre, à partir d’une certaine conception de l’universalisme ; et celle qu’Isabelle Strengers2 qui, sous le terme de « cosmopolitique », renvoie non pas à une conception pacifiée d’un universel abstrait, mais prend acte du fait que le monde commun
1 ‐ Bruno Latour, ” Whose cosmos, whitch cosmopolitics Comments on the peace termes of Ulrich Beck ” dans Common Knowledge, vol 10, Issue 3, Fall 2004, pp.450‐462. 2 ‐ Isabelle Stengers, Cosmopolitiques, Paris, La découverte, 1996.
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n’est pas donné, déjà là, reconnaissable, mais toujours à construire ensemble, dans la complexité, la diversité et le conflit. Cette vision semble importante à accepter, notamment pour dépasser un certain nombre de travaux et de débats autour des apories de l’universalisme. Ce dépassement peut concrètement suivre plusieurs chemins. Tout d’abord celui de la de la temporalité : il faut réintroduire le temps dans les analyses et les diagnostics publics qui sont faits, y compris dans les conceptions du communautarisme. Il y a notamment des processus générationnels qui font que ce qui se définit à une génération n’est pas déterminant pour la prochaine. Par ailleurs, des travaux, notamment ceux de Véronique De Rudder, dans la tradition de l’Ecole de Chicago, montrent que la capacité des individus à créer des groupes secondaires est proportionnelle à la force des liens primaires, c’est‐à‐dire les liens communautaires, de solidarité… Ce sont autant de constats qui ont du mal à être entendus dans un contexte républicain. Celui de la complexité ensuite : il faut se rendre compte que ces processus ne sont pas exclusifs les uns des autres et que les individus peuvent être successivement ou alternativement l’un et l’autre. Je pense à Ahmed Boubecker qui affirme qu’après le droit à la différence, il serait important de reconnaître aujourd’hui le « droit à l’ambivalence ». Troisième et dernière chose enfin, il faut prendre la mesure de la ségrégation, de la stigmatisation et de son pouvoir structurant. De façon générale on a tendance à confondre espace commun et contenu commun, ce qui constitue tout le biais des politiques de reconnaissance menées en France. Ainsi, selon moi, la question centrale, majeure à se poser, est celle de l’accessibilité : être conscient du fait que la stigmatisation et la ségrégation ont un pouvoir très fort de structuration des identités. »
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Gilles SUZANNE « Mon propos recoupe en partie le propos de Virginie MILLIOT, mais sans être dit de la même manière. Tout d’abord, selon moi, le thème du séminaire repose sur deux notions polysémiques : la diversité et le renouvellement urbain. Ces deux notions structurent et sont éminemment présentes dans le débat public sur la ville, elles sont aussi deux concepts opérationnels de l’action publique. Dans ce contexte l’enjeu est de taille : si ces notions sont polysémiques et parfois mal cadrées cela signifie que la gouvernance de la ville et son aménagement reposent sur des catégories versatiles, pleines de subjectivisme et relativement instables. Une fois ce cadre posé, j’aimerais développer quelques pistes. J’aimerais tout d’abord faire le point sur la notion de diversité. Il semble qu’il y ait deux façons principales d’interpréter la diversité en termes urbains : la diversité comme état de fait et la diversité comme processus. Ces deux acceptions de la notion de diversité sont liées à deux lectures de la ville : la diversité comme état de fait est liée à la figure de la ville mosaïque, la diversité comme processus est plutôt liée à la figure de la ville comme phénomène de métropolisation, qui renvoie à des processus à la fois sociaux et spatiaux, à des formes de dynamisme que rend assez mal le terme de ville mosaïque.
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La première version, celle de la diversité comme état de fait associée à la ville mosaïque, inscrit la pensée urbaine dans un paradigme de la « fragmentation » : la ville est vue comme un ensemble de territoires liés à des communautés. L’être‐ensemble est interprété comme un tout organique, un cosmos, composé de parties qui coexistent (dans la paix ou l’affrontement), un ensemble de « bulles » juxtaposées. Ce modèle est en partie celui de l’Ecole de Chicago, notamment les schémas de Burgess, une ville dans laquelle les quartiers sont juxtaposés pour constituer un puzzle dont les pièces sont autonomes les unes des autres. On peut définir cette approche de la diversité comme un « cosmopolitisme de juxtaposition » : la diversité y fonctionne comme un dispositif d’enracinement. Dans chaque communauté, les vies tiennent ensemble et se structurent autour de valeurs comme le sol, le sang, la langue, la religion, la nationalité, etc., c’est‐à‐dire des valeurs territorialisées. Cela signifie que l’accès à l’espace public, les modes de vie, les formes architecturales, portent les marques de ces valeurs territorialisées. Schématiquement, il s’agit d’un cosmopolitisme qui transcende les existences individuelles et l’expression de soi, les modes de l’être‐ensemble et les formes de la mémoire collective, etc. La seconde version, celle de la diversité comme processus de métropolisation de la ville, semble s’inscrire dans un paradigme de l’articulation. Ici la ville n’est pas un ensemble de communautés mitoyennes qui fragmenteraient l’espace urbain. La ville n’est pas seulement un cosmos, un tout organique composé de parties fonctionnelles et autonomes ; la ville est un ensemble de modes de participation à la polis, à la cité à travers des rapports d’approvisionnement mais aussi à travers l’engagement individuel et collectif en faveur de causes communes, à travers des alliances autour de croyances, à travers la mobilisation individuelle ou collective autour de souffrances ou de précarités. La diversité n’est plus ramenée à une quelconque forme d’enracinement (sol, sang, religion, etc.) mais à des modes d’engagement, des usages. Pour reprendre la métaphore de la diversité comme un ensemble de bulles qui forment la ville mosaïque, on peut dire que dans la ville en voie de métropolisation ‐ c’est‐à‐dire qui connaît un étalement urbain, un changement et une intrication des échelles spatiales et temporelles, des mobilités urbaines accrues, etc. ‐, la diversité emporte dans son « écume » les bulles, les communautés, elle vient les drainer (Peter Sloterdijk). On peut alors définir la diversité comme un cosmopolitisme « immanent » ou « polyphonique ». L’espace n’acquiert pas une valeur centrale parce qu’il est le lieu dépositaire de valeurs territorialisées qui relient les membres d’une communauté. C’est tout le contraire : l’espace acquiert une valeur centrale parce que les usages qui s’y déploient (l’art par exemple) vont faire de cet espace un moyen de pouvoir se déployer, une ressource pour pouvoir déployer des usages dans la ville. L’espace acquiert une valeur territorialisante pour une diversité de citadins. Ici le cosmos n’est plus délié de la polis. Nous sommes bien là dans la cosmos‐polis, dans la ville cosmopolite. La deuxième grande piste de réflexion que j’avais envie d’amener est une interrogation sur la façon dont s’exprime concrètement le lien entre diversité et centralité. Dans mon travail de recherche, j’observe et je documente le lien souvent étroit entre la création artistique et la ville. La tendance habituelle est de considérer la création artistique comme enclose dans des « quartiers d’artistes » : les acteurs culturels regroupés dans des friches industrielles se pensent eux‐mêmes comme les occupants de « villages d’artistes », on parle de bohème et de quartier latin, etc. C’est une manière, soit de rabattre la
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dimension artistique sur sa dimension spatiale, soit de lier le devenir culturel d’un quartier au destin artistique de ses habitants. Ainsi, cet espace de la communauté artistique se juxtapose à d’autres espaces : par exemple à l’espace de la communauté marchande de la ville, à l’espace directionnel, etc. Ici, il s’agit d’une mixité de juxtaposition et il me semble que c’est une façon réductrice d’interpréter les liens entre diversité urbaine et formes de centralités. Alors comment appréhender la teneur hétérogène d’un espace tel qu’un « quartier d’artistes » ? Si je prends l’exemple d’un espace comme celui de La Plaine à Marseille ‐ un quartier du centre ville ayant perdu sa fonction traditionnelle de marché de gros pour devenir à la fin des années 1980 un quartier de friches ‐ on peut dire que dans ce quartier la diversité c’est d’abord manifestée par une reconfiguration des activités professionnelles du secteur : plus de 150 cafés‐concerts s’y sont succédés en 15 ans. Puis, ces activités musicales se sont diversifiées en activités plus largement culturelles (théâtres, associations culturelles, librairies, centre d’information sur la philosophie, etc.). Enfin, ce développement artistique et culturel a incité d’autres activités à s’installer : snacks, restaurants, friperies, échoppes d’artisans d’art et de décoration, boutiques de stylistes, etc., des strates d’activités professionnelles différentes mais liées. La diversité se dit ici en termes de tissu économique, mais elle peut aussi se dire en termes de mobilités urbaines. Cet espace n’est donc pas simplement une niche de la bohème locale mais un espace central pour nombre de citadins. Ces derniers le fréquentent pour sa création musicale, mais aussi pour ces commerces à la mode, ses restaurants, ses marchés et ses commerces de fines bouches… L’évolution économique du quartier a diversifié les flux de mobilité urbaine. Enfin cette diversité peut encore se dire en termes résidentiels, puisque, en étant devenu un quartier central pour nombre de citadins, cet espace s’est en quelque sorte « visibilisé » à leurs yeux comme un espace possible de résidence : un quartier à l’ambiance jeune, aux terrasses ombragées, en parti piétonnier, où il fait bon vivre, etc. On comprend ici que la diversité n’est ramenée à aucune unité de départ. Il n’y a aucune communauté intrinsèquement liée à cet espace. La diversité y fonctionne comme un processus qui conduit à faire de cet espace un espace central pour une pluralité de citadins, et pas forcément des artistes. Par conséquent, si certains lieux urbains peuvent être envisagés comme décisifs par rapport à la mixité dans la ville, c’est parce qu’ils sont devenus centraux pour une pluralité de citadins. Il n’aura pas suffit que cela le soit uniquement pour une catégorie spécifique. Plus que de mosaïque, il s’agit donc de cosmopolitisme comme d’un processus d’imprégnation. Autre piste de réflexion : à quoi tient la force d’intégration de ce type d’espace urbain ? Ce qui fait la force d’intégration de ce quartier, mais l’on observe le même type de processus à Istanbul, à Berlin, à Casablanca… c’est qu’en devenant un espace de scènes musicales, cet espace est de plus en plus mobilisé par les acteurs des mondes de la musique : d’une part, ils y réalisent mieux qu’ailleurs leurs projets musicaux et leurs projets de vie et, d’autre part, plus ils l’investissent et plus ils le rendent crucial dans la réalisation de leurs désirs de citadins et de musiciens. Il en va de même pour les citadins qui mobilisent cet espace comme un espace ludique, de festivité, de sortie nocturne, de flânerie, etc. Ainsi la diversité se constitue autour de différentes valeurs territorialisantes, et non territorialisées. Le quartier acquiert une valeur d’usage.
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En ce sens, il semble que si la ville est une ville‐mosaïque, qu’elle est le lieu d’un cosmopolitisme de juxtaposition, le lieu d’une diversité dont les valeurs sont territorialisées, elle produit des formes de centralités qui sont segmentées et fonctionnelles. Si, en revanche, elle est une ville‐écume, dans laquelle existe un cosmopolitisme de porosité ou d’imprégnation, elle est le lieu d’une diversité dont les valeurs ne sont pas territorialisées mais territorialisantes, les formes de centralités qui en émergent ne sont plus segmentées et fonctionnelles, mais segmentaires et de synthèse, à l’échelle de l’agglomération. Pour conclure, que peut‐on dire des liens qui existent entre ce type de diversité faite de porosités, de latéralités, entre ce type de cosmopolitisme capillaire et réticulaire (qui est éminemment un enjeu de culture de et dans la ville) et le renouvellement urbain en tant que réalité urbaine ? Pour un espace de ce type dans la ville, l’acquisition d’un caractère central par effet de « cosmopolitisation » des populations et des usages entraîne différents effets de renouvellement urbain, qui se lisent à l’échelle de l’agglomération, à travers plusieurs effets. Premier effet : cela élargit les modes d’intégration urbaine dans le secteur. En faisant de cet espace un lieu qui compte pour eux, les citadins participent pleinement au devenir de la ville, ce quartier devient pour tous un lieu de possible développement d’usages sociaux. On peut donc lire le lien entre diversité et renouvellement urbain en termes de réduction de la ségrégation socio‐urbaine ou en termes d’intégration du plus grand nombre dans l’espace public. Deuxième effet : cela diversifie les modes d’intégration économique dans la ville. Les acteurs qui s’y investissent y inventent d’autres types de carrières professionnelles, de mobilité sociale et d’autres voies de réussite économique. Le lien entre renouvellement et diversité se lit ici en termes de reprise économique et de croissance du tertiaire. Troisième effet : cela renouvelle les formes de l’« habiter ». Pour les acteurs qui s’y investissent, tenir à cet espace et tenir à ce qu’ils sont (par exemple à leur devenir‐créateur, etc.) représente la même chose. Une lecture peut être faite en termes de participation à la ville. Quatrième effet : cela transforme l’image de cet espace. En devenant un « quartier latin » plutôt qu’un quartier interlope et de marginaux, cela a provoqué un effet de gentrification, à partir de la mobilisation d’un vide par une certaine catégorie de personnes. Le lien peut donc aussi se dire en termes de mixité dans le parc locatif, en termes de fixation des classes moyennes les plus fragiles dans le centre ville par l’accès à la propriété, ou en termes de déblocage de l’offre et de la demande de foncier. Dernier effet, cela participe à une synthèse centrale au niveau de l’agglomération : cela contribue à donner au centre ville de Marseille une forme urbaine non plus seulement historique (mémorielle et monumentale) ou moderne (mono‐fonctionnelle) mais contemporaine (plurielle et de synthèse). Cela peut donc se dire aussi en termes de participation de cet espace à l’attractivité de la ville. Ces différents effets s’appliquent au quartier de La Plaine à Marseille, qui correspond aux cibles généralement visées par les politiques publiques de renouvellement urbain : un quartier de friches et d’habitat dégradé, sans construction neuve depuis le début du siècle,
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couvert par les dispositifs de la politique de la ville, dont certaines rues et la place principale, sont classées en ZUS. Le renouvellement urbain qui s’est finalement réalisé à La Plaine s’est fait « à compte d’auteur » : les pouvoirs publics sont très peu intervenus et sont arrivés en cours de route. On peut dire que la ville a été renouvelée, mais à l’initiative d’individus. Alors que Marseille postule au titre de capitale européenne de la culture, on peut dire que les personnes qui sont à l’origine de ce processus ne sont pas pour rien dans cette candidature : aurait‐elle pu avoir lieu sans ce passif à mettre au crédit des seuls citadins ? Ainsi cela peut se dire aussi en termes de régénération (du quartier et du centre ville marseillais) et de réduction de la ségrégation sociale, parce que ce quartier condense, le jour et la nuit, des populations venant de tout Marseille. Pour conclure, il me semblait intéressant de s’interroger sur la façon dont les pouvoirs publics se saisissent de ces processus : ‐ Comment identifier ce type de processus à temps pour les accompagner ? ‐ Comment, à défaut d’accompagner ces processus, peuvent‐ils limiter ce qui les menace (dérégulation du marché immobilier, frein à la mobilité intra‐urbaine et transnationale…) ? ‐ Comment penser la diversité comme processus culturel de renouvellement urbain capable d’enrayer la crise des fonctions centrales classiques ? ‐ Comment penser la diversité comme un moyen de garantir le maintien et la production de l’espace urbain comme espace public (égalité et liberté d’accès, anonymat, transitivité, etc.) ? ‐ Comment penser la diversité comme un moyen de favoriser le passage de la ville fordiste et moderne à la ville globale et contemporaine ? ‐ A quelle échelle intervenir : agglomération (régénération) ou parc de logement social (rénovation) ? » Synthèse des débats Après une remarque d’ordre épistémologique de Jérôme Boissonade sur l’utilisation des concepts de « mosaïque » et d’ « archipel », une discussion s’engage sur l’héritage de l’Ecole de Chicago et les limites de ces notions. Jérôme Boissonade souligne à cette occasion l’intérêt d’une utilisation de ces deux concepts, sans les opposer ‐ les individus et les collectivités construisant à la fois des attachements (mosaïque) et des détachements (métropolisation) ‐ , défendant un droit à l’opacité, chacun pouvant assumer des rôles différents en fonction des situations, sans que ses autres rôles soient démasqués. A l’issu de cette première discussion et à l’appui des deux interventions, un certain nombre de témoignages sont apportés et un débat avec l’ensemble des personnes présentes se met en place. Le déroulement chronologique des interventions n’est pas respecté ici, au profit d’un regroupement thématique. Les propos des différents interlocuteurs ont parfois été tronqués ou réorganisés de façon à concentrer la synthèse autour des quelques thématiques les plus débattues.
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Christophe BETIN, grand discutant de cette séance, est invité à réagir au deux interventions. « Je vais commencer par me présenter. Je travaille à la Direction Départementale de l’Equipement de la Loire, je suis ingénieur, urbaniste et j’ai fait un parcours par la recherche. Actuellement à Saint‐Etienne, j’accompagne un certain nombre d’acteurs publics dans les transformations de la ville et de son agglomération, très concrètement dans des opérations de rénovation, de renouvellement urbain, de requalification d’anciennes friches industrielles, de reconversion économique de territoires en cours de désindustrialisation. En même temps, mon parcours, en interface avec la recherche, fait que je participe à un certain nombre de travaux, notamment un programme de recherche territorialisé en Rhône‐Alpes « Enjeux culturels du travail de mémoire ». Et puis j’ai été chargé récemment, par la mission de préfiguration de l’Etablissement Public d’Aménagement (EPA) de Saint‐Etienne, de lancer un appel d’offre de recherche pour accompagner l’action publique dans la transformation de Saint‐Etienne. Mes réactions porteront essentiellement sur la situation de Saint‐Etienne aujourd’hui. C’est une ville qui, sans faire dans le catastrophisme, entre les deux derniers recensements a perdu 30 000 habitants, ce qui, pour une ville de 180 000 habitants est beaucoup. Ce sont essentiellement les classes moyennes et moyennes supérieures qui sont parties. Cela donne une idée des processus de transformation qui sont à l’œuvre dans la ville. En même temps, beaucoup d’acteurs publics interviennent aujourd’hui dans de nombreuses parties de la ville avec des procédures d’intervention différentes : de la rénovation urbaine, du renouvellement urbain, de la rénovation ou réhabilitation d’habitat privé dégradé en centre ville, des politiques pour renforcer la centralité de Saint‐Etienne… C’est à l’aune de ce contexte et des expériences que je peux avoir que je suis amené à écouter et réagir. La mission de préfiguration de l’EPA est arrivée à un moment donné dans cette ville suite au constat de dégénérescence urbaine mais aussi face au constat que ni la ville, ni les collectivités locales n’avaient les moyens d’ingénierie pour intervenir sur cette ville de manière suffisamment forte pour relever le défi. Et, il y a un an et demi, quand cette mission de préfiguration est arrivée, cela a mis un peu les gens en débat sur ce qu’il convenait de faire, parce qu’évidemment lorsque l’on a déjà un GIP, des opérations de rénovation et qu’un EPA arrive, cela pose des questions de coordination pour les acteurs publics, mais aussi des interrogations sur la ville, ce qu’elle est, ses composantes, son ensemble. Un des discours était de dire que ce qui est très riche à Saint‐Etienne, c’est son espace public, un espace public populaire, ethnique. Sans parler depuis le point de vue du chercheur, quand on en fait l’expérience, on en perçoit toute la spécificité et l’on est tenté de parler d’ « espace public stéphanois ». Mais, simultanément, l’essentiel du travail des pouvoirs publics aujourd’hui à Saint‐Etienne consiste à faire de la gentrification, et d’en faire vite, avec des gros outils, des procédures, etc. Ainsi, il a semblé que l’on était dans la contradiction entre le constat positif d’un espace public populaire, riche, que l’on voit nulle par ailleurs, et l’arrivée massive d’acteurs publics avec des procédures, des modèles, avec pour objectif de réussir la gentrification de Saint‐Etienne. Cette contradiction s’est traduite en questionnement : comment faire de la gentrification, sans que cela ne conduise à l’éviction des populations pauvres ? Dans le même temps on s’est posé la question de savoir s’il fallait appréhender la ville comme un tout ou bien penser ses quartiers, penser mosaïque. On s’est demandé si, d’entrée de jeu, les pouvoirs publics
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pouvaient dire : « ce quartier sera le quartier des classes créatives, celui‐là sera plutôt la centralité où on va faire revenir les classes moyennes et supérieures »… ou s’il valait mieux avoir une stratégie urbaine plus complexe visant à accompagner des processus plus locaux, tels que ceux qu’a décrit Gilles Suzanne. Dans les faits, le débat s’est très vite arrêté : l’urgence de la réussite du renouvellement urbain à Saint‐Etienne a empêché les acteurs publics d’aller plus loin que l’alternative que j’ai évoquée. Aujourd’hui je me demande comment il est possible de mettre en question les acteurs publics sur ces questions là, de façon très concrète ; comment, face à des acteurs qui réfléchissent par projets et par catégories et qui utilisent des procédures assez normées, il est possible d’infléchir les modes de pensée et d’action. Et je suis d’ailleurs assez surpris de voir que les situations que l’on rencontre à Saint‐Etienne sont relativement similaires à celles que l’on a connu dans les années 1970 en France, et que globalement, les questionnements et certains outils de l’action publique sont les mêmes, alors qu’aujourd’hui, à priori, et vos interventions sont là pour le montrer, on a quand même un autre bagage pour appréhender ces questions de transformations urbaines, sociales et économiques des villes. » Vincent BOURJAILLAT est lui aussi invité à faire part de ses réflexions, issues de son expérience de terrain à Clichy‐Montfermeil. « Tout d’abord, je voudrais rappeler que si la question de la diversité est mise à mal aujourd’hui, elle garde néanmoins du sens. Elle est pour moi au fondement même de l’existence d’une nation ou d’une société : une société n’a du sens que s’il y a du brassage, du mouvement. Si l’on renie cette notion là, on renie l’existence même d’une société… c’est basique, il me semble qu’il ne faut pas l’oublier. Deuxièmement, pour le dire franchement, la tendance naturelle de l’individu c’est la ségrégation. L’individu aime se retrouver avec des gens qui appartiennent au même monde, les riches ont notamment envie de se retrouver entre riches, de se protéger des pauvres et de construire un habitat, des équipements, dans lesquels ils reconnaissent ensemble qu’ils sont riches… c’est très basique, mais je pense que c’est fondamentalement comme ça que fonctionnent nos sociétés. Que l’action publique aide à réduire ces effets, même si elle si prend mal ou a du mal à s’adapter, il me semble que c’est quelque chose qu’il faut conserver. Troisièmement, il me semble que la question des échelles auxquelles on apprécie cette diversité est primordiale. La diversité doit être appréhendée à différentes échelles. On ne peut pas se contenter, par exemple, de dire qu’il y a de la diversité en Ile‐de‐France. Parce que si globalement, à l’échelle de l’Ile‐de‐France, la diversité est présente, elle n’existe que par juxtaposition d’entités qui se rejettent les unes les autres, ce qui ne me paraît pas avoir beaucoup de sens. De fait, il me semble que l’enjeu de la diversité se situe véritablement à l’échelle du quartier ou de la ville, c’est‐à‐dire à l’échelle de la pratique quotidienne des citoyens. Quatrième point : comment fait‐on dans les villes où il n’y a plus de diversité et de mixité, en raison d’un phénomène de départ et de ghettoïsation ? Je n’ai pas de pensée générale sur cette question, mais plutôt une expérience concrète. Dans les deux communes que je connais bien, je vois se mettre en place deux stratégies différentes. D’un côté un maire de droite, qui conçoit le retour à la mixité et à la diversité par le retour d’une population de classes moyennes, qui a pour rôle de rééquilibrer un système perçu comme défectueux.
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Cette stratégie obéit à une logique qui consiste à ramener des « bons élèves » dans une « classe de mauvais élèves », sans pour autant reconnaître explicitement le caractère « mauvais » de la classe, et en évoquant simplement, dans la tradition de l’idéal républicain, la force du « bon exemple » auquel il faut s’efforcer de ressembler. De l’autre côté, un maire de gauche, qui considère que la diversité existe déjà dans la population, et qui se donne pour objectif de construire une nouvelle forme de diversité en dynamisant les processus d’ascension sociale des populations locales. L’enjeu principal est, dans ce cas, de garder la population qui aurait spontanément tendance à partir une fois qu’elle a acquis la capacité d’aller ailleurs. Je n’en tire aucune conclusion, mais je pense que c’est l’observation des politiques concrètes mises en place, qui permet de voir comment on construit cette notion de diversité et comment on répond à cet enjeu. » Evelyne PERRIN souhaite ensuite témoigner d’une expérience de recherche relative à la revendication de la diversité comme valeur dans certains espaces. « Un espace public comme celui des Halles, que je n’ai pas étudié en tant que tel mais qui a été très étudié par d’autres chercheurs, fait fonction de lieu de rendez‐vous pour toute une jeunesse urbaine, populaire, de banlieue. C’est assez fascinant de voir comment fonctionne cet espace : il s’y déploie une sociabilité intense, des gens y convergent très régulièrement de toute la banlieue parisienne, et c’est aussi un lieu de passage. J’ai mené l’été dernier une enquête auprès de jeunes qui fréquentaient ce quartier, qui traînaient autour de la fontaine des Innocents et de la place Carrée, je leur ai demandé ce qu’ils pensaient du Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, des rafles de sans‐papiers, mais aussi du durcissement du regroupement familial, et je leur ai aussi posé des questions sur ce qu’ils pensaient de l’immigration, de la diversité ethnique… J’en interrogé 200 jeunes qui étaient tous très désireux de parler, qui avaient beaucoup de choses à dire, qui prenaient très au sérieux les questions, avec des opinions politiques tranchées, et très souvent une bonne formation politique. Sur 200 personnes, 14 seulement étaient favorables à la création de ce ministère, 6 aux rafles de sans‐papiers. Les autres réponses étaient plus diverses, mais une écrasante majorité de ces jeunes exprimait une soif de diversité ethnique, de métissage, un désir d’ouverture au monde, un sentiment d’identité soit d’européen, soit de citoyen du monde, et étaient souvent opposés aux frontières. Les personnes que j’ai interrogées étaient très souvent en couple, très souvent des couples ethniquement mixtes. Alors évidemment aux Halles on ne retrouve pas les jeunes qui restent enfermés dans leur cité, qui n’ont pas les moyens de se payer le transport ou qui restent enfermés sur eux‐mêmes par manque d’argent ou pour d’autres raisons, on ne retrouve que ceux qui bougent, donc il y a un nécessairement un biais, mais c’était frappant d’entendre de façon récurrente cette revendication d’amour du mélange, exprimée parfois avec de très belles phrases telles que « moi j’ai grandi là dedans, cette diversité je ne veux pas qu’on me l’enlève, je ne veux pas que de nouvelles lois empêche de nouveaux venus de venir parce que pour moi c’est ça la vie »... Il existe des espaces publics spécifiques, comme celui des Halles, qui attirent des jeunes qui partagent spontanément un certain goût de la mixité. J’y suis allée pendant un mois
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pratiquement tous les jours et je n’y ai pas vu beaucoup de frictions, de négociations difficiles entre les gens. » Par ailleurs, Evelyne PERRIN souligne que dans certaines communes qui accueillent une grande diversité d’origines, celle‐ci est de plus en plus mobilisée par les élus, y compris dans les discours électoraux, comme une richesse – c’est le cas de l’Ile‐Saint‐Denis par exemple. De son point de vue, on compte de plus en plus de communes de banlieue, où la diversité, même si elle continue à être stigmatisante, est vécue de façon positive par les habitants. Michelle SUSTRAC souligne l’intérêt de la distinction faite entre espace de résidence, espace du commerce et espace public, mais se demande quel rôle peut jouer l’espace du travail vis‐à‐vis de cet enjeu de diversité, qui semble absent de notre questionnement. Vincent BOURJAILLAT lui répond : « J’ai tendance à penser que la diversité par le travail va se faire progressivement, du fait d’impératifs économiques. Aujourd’hui on déplore des problèmes de discrimination à l’emploi, mais à un moment donné notre société devra accepter la diversité parce que le monde économique en a besoin. Par exemple, aujourd’hui, la clause d’insertion dans les marchés publics ‐ qui oblige à consacrer du temps pour insérer dans le monde du travail des jeunes, ou des moins jeunes, qui en sont exclus – a très mauvaise image, parce que ces publics difficiles acceptent mal d’être maternés. Mais par ailleurs, alors que le secteur du BTP manque de main d’œuvre, les entreprises investissent de plus en plus le champ de l’insertion pour accéder à une main d’œuvre qu’elles n’arrivent pas à recruter ! Je pense donc qu’en matière de diversité au travail des processus de ce type là qui vont naturellement se mettre en place. Michelle SUSTRAC et François MENARD interpellent les deux premiers intervenants sur leur propos, essentiellement lié à des centralités urbaines, à des quartiers centraux, et se demandent de quelle manière il est possible d’appréhender la question de la diversité dans les quartiers des périphéries, aujourd’hui majoritairement l’objet du renouvellement urbain, à l’aune des notions qu’ils ont développées ; s’il est possible de poser la question dans les mêmes termes ailleurs ou si ces situations nécessitent une approche différente. Gilles SUZANNE : « Ce ne sont pas des quartiers centraux, mais des quartiers qui le sont devenus. La plaine n’était pas un quartier central, mais un quartier stigmatisé comme étant un quartier déjà périphérique. Bien sûr, il se situe à deux pas de la Canebière, mais il vivait les mêmes stigmates que les quartiers périphériques. Pour donner un autre exemple marseillais, Plan de campagne a vécu les mêmes formes d’émergence de centralité, non pas sous forme culturelle ‐ le culturel récréatif y est venu seulement ces dernières années ‐, mais sous forme de commerce qui s’est inventé dans un impensé urbanistique total du point de vue de l’aménagement. C’est un commerçant qui a monté une grande surface, au départ un magasin de fournitures, et à partir de là s’est inventé la plus grande zone commerciale d’Europe dans laquelle, à l’étonnement de tous, les gens ne viennent aujourd’hui plus seulement pour y acheter quelque chose, mais viennent aussi se promener comme on vient dans un centre ville. Cet espace fréquenté comme un centre reste pourtant un quartier périphérique d’abord fréquenté par les habitants des périphéries marseillaises. Il me semble qu’il constitue donc un bon exemple de la fabrication d’une centralité.
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Et pour rebondir sur les Halles : les gens viennent précisément aux Halles pour se confronter à la diversité. Cela rappelle ce qui a été dit sur les passages, sur les grands boulevards, c’est précisément sur cela que reposent les centralités : l’attrait pour la diversité. » François MENARD : « Je pense que ce n’est pas un hasard si vous avez retenu ces quartiers là. A vous écouter, j’ai l’impression que la diversité y est acceptable, même désirée, dans la mesure où se sont des espaces où l’on va. Or, il existe aussi des quartiers dans lesquels cette diversité est illégitime. Si prend par exemple le cas du commerce, à Barbès ou dans d’autres quartiers de ce type là, le fait d’aller y acheter des produits exotiques dans des boutiques tenues par des commerçants d’origine étrangère est vécu de manière positive, alors que dans un certain nombre de quartiers aujourd’hui en rénovation urbaine, le commerce ethnique est l’un des marqueurs du dysfonctionnement du quartier, et les politiques publiques cherchent précisément à le faire disparaître pour produire de la ville banalisée. Pourriez‐vous nous en dire un peu plus sur cette divergence d’interprétation d’une même présence ethnique dans les quartiers qui font centralité et ceux qui n’en sont pas ? » Virginie MILLIOT : « Concernant Barbès, il semble que ce ne soit pas aussi simple… Cependant, il est évident que cela n’a pas de sens de parler de mixité et de diversité dans des banlieues populaires complètement ségréguées, où il n’y a pas d’accessibilité au centre et aucune raison pour quiconque de s’y rendre. Ce qui fonctionne pour les espaces de centralité, ou construits comme tels, ne fonctionne pas dans ces quartiers. Nous sommes ici dans des logiques complètement différentes. J’irai même plus loin en prenant l’exemple de la région lyonnaise. Vaulx‐en‐Velin et Vénissieux, qui sont deux quartiers aux logiques de composition sociale, d’origine ethnique des populations et aux histoires de peuplement à peu près similaires, sont aujourd’hui dans des situations très différentes en raison des politiques urbaines distinctes qui y ont été menées du point de vue de la centralité. A Vaulx‐en‐Velin, le maire Maurice Charrier fait tout pour que sa ville fasse centre, c’est le bon élève des politiques de la ville françaises – même si c’est toujours le premier lieu où les vitrines volent en éclat, mais c’est une autre histoire… ‐ : s’y sont implantés le planétarium, l’ENTPE, un certain nombre d’infrastructures qui font que ce quartier n’est pas complètement ghettoïsé. Mais sinon, tout autour de Paris, on a des espaces dans lesquels cela n’a absolument aucun sens de parler de diversité, de pluralité : ce sont des ghettos urbains dans lesquels il n’y a ni mixité sociale, ni accessibilité au centre. La diversité qui y est présente – d’un point de vue ethnique essentiellement – y crée des dynamiques et des modes d’habiter particuliers qui sont liés au partage de conditions de vie non choisies. Il s’agit d’une configuration et d’un rapport à la diversité complètement différents des quartiers centraux. » Michelle SUSTRAC : « Ceci dit penser le centre comme tu le fais me semble tout à fait utile pour penser la périphérie et les problèmes de ségrégation, en nous permettant de toucher du doigt ce qui n’est pas : la diversité, le centre etc. On peut très bien parler de la périphérie à partir de vos analyses du centre, parce que ça nous donne des outils d’analyse. » Le débat s’oriente ensuite sur ce qui fonde la différence entre des quartiers devenus centraux dans lesquels la diversité est admise et les quartiers périphériques dans laquelle elle semble problématique.
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Michelle SUSTRAC se demande dans quelle mesure la question des tissus urbains et des formes urbaines entre en ligne de compte. Vincent BOURJAILLAT lui répond : « Je pense effectivement que la forme urbaine peut‐être totalement stigmatisante, certains quartiers de grands ensembles partent avec des handicaps réels de ce point de vue. Il devrait exister une forme d’égalité des chances vis‐à‐vis de l’habitat et de la forme urbaine. Toutefois, il est intéressant de voir, qu’à situation urbaine équivalente, se créent des processus de ségrégation distincts. François MONJAL : « Plus qu’une question de formes, il s’agit d’une question de position territoriale : hors flux, hors marché économique et immobilier. » Vincent BOURJAILLAT : « Et d’accessibilité au centre. Par exemple, il est très difficile pour les jeunes de Clichy‐Montfermeil de venir aux Halles, les transports sont inadaptés et très chers. La question de la diversité se pose donc nécessairement de façon différente des lieux centraux. » Gilles SUZANNE : « Pour revenir sur l’exemple de la Plaine, le quartier était sorti du marché foncier, alors que d’autres quartiers de grands‐ensembles comme Frais Vallon ne l’étaient pas. Concernant ces quartiers de grands‐ensembles il semble qu’on les a longtemps considérés par défaut : on leur assignait d’emblé un défaut de lien social, des défauts liés à leur micro‐territorialité. Mais il ne faut pas oublier les questions d’accessibilité : s’il n’y a pas eu d’émeutes à Marseille c’est parce que ces quartiers ont accès au centre ville. Et on peut même se dire que les habitants de ces quartiers ne voudraient pas du centre ville en périphérie, ils sont très contents que le centre ville de Marseille se trouve là où il se trouve ! Et, lors d’émeutes, ce qui provoque de la colère, ce que tout le monde demande, c’est l’accès au centre ! Le lien social existe dans ces quartiers, et il s’organise autour d’une colère qui porte sur le fait de ne plus avoir accès au centre. Quelque part cela renvoie aux lectures de l’Ecole de Chicago que l’on faisait tout à l’heure, on peut vivre à la fois dans des formes d’être‐ensemble, des valeurs similaires et à la fois avoir envie de se frotter à d’autres valeurs ! Voilà aussi pourquoi il était intéressant de travailler sur le quartier de la Plaine à Marseille : il était sorti du marché foncier, il n’y avait plus de liens sociaux parce qu’il ne restait plus que quelques habitants, et finalement, par un effet de constitution d’un phénomène de centralité, par adjonction d’éléments qui ont fait centralité, ce quartier a retrouvé un coefficient de fréquentation, de lien social, d’usage… c’est vraiment cela qui fait la singularité de la Plaine. » Jérôme BOISSONADE : « Ainsi peut‐être faut‐il reprendre la notion d’accessibilité et la considérer dans les deux sens : accessibilité des espaces – c'est‐à‐dire que tout espace peut faire sens à un moment donné – et accessibilité des situations, sens qui repose sur l’idée que ce qui fait sens c’est d’abord la situation vécue à un certain moment. A l’appui de cette double notion d’accessibilité, on accepte qu’il puisse y avoir un phénomène de centralité à un moment et pas à un autre : les centralités sont portées ponctuellement par les mouvements des personnes pouvant se rencontrer. A ce moment là on dépasse l’opposition centre/périphérie. On s’interroge plutôt sur la manière dont peuvent se transporter les situations entre centre et périphérie : quels sont les « bus », les « navettes », et quelles formes prennent ces navettes, pour que l’accessibilité fonctionne, pour qu’elle puisse se généraliser ? »
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Emmanuelle LALLEMENT poursuit cette réflexion sur la construction de la centralité et la prolonge en évoquant les concurrences possibles entre les formes de diversité propres aux espaces précédemment distingués (résidence, commerce, public). « La typologie qu’à faite Virginie MILLIOT rend bien compte des dynamiques de diversité qui sont différentes à chaque fois dans ces trois espaces. Barbès est de ce point de vue un bon exemple : ce n’est pas un quartier central mais produit comme centralité, ce qui n’est pas exactement la même chose ‐, il fonctionne effectivement autour d’une mise en équivalence des différences, mais c’est précisément parce que Barbès ne s’est pas constitué comme un quartier d’entre‐soi et qu’il fonctionne sur une accessibilité, sur une morphologie particulière, notamment des grandes artères – la situation est toute différente dans le quartier voisin de la Goutte d’Or où l’on est dans une logique beaucoup plus résidentielle. Plus encore, il est particulièrement intéressant de voir comment les logiques résidentielle, marchande et d’espace public peuvent devenir concurrentielles entre elles, et comment l’action publique prend le levier de l’une pour appuyer sur l’autre. A Barbès, les pouvoirs publics considèrent que, du point de vue de l’habitat, ils ont échoué à produire de la mixité. Si l’on prend l’exemple de la rue Dejean, dont les logements se situent juste au‐dessus du marché, la politique visant à faire venir de nouveaux habitants, des couples jeunes, des classes moyennes supérieures a relativement échoué, et les prix immobilier n’ayant pas augmenté, les habitants ne peuvent pas revendre leur appartement pour s’installer ailleurs. Par conséquent, les politiques municipales essayent aujourd’hui de produire de la mixité par l’angle marchand, la mixité étant ici comprise comme une tentative de des‐ethniciser Barbès ! Dans une enquête récente, j’ai été interviewer les gens qui sont chargés de « redynamiser la dynamique commerciale », ce qui veut dire en fait préempter les lieux qui ferment qui sont tenus par des commerçants africains ou maghrébins, les faire gérer par une Société d’Economie Mixte, les réhabiliter et ensuite les louer à des commerçants que l’on dit « traditionnels ». Qu’entendent‐ils par « commerces traditionnels » ? On me dit par exemple qu’il s’agit d’implanter « un vrai boulanger », ou de mettre un Franprix, considéré comme un espace marchand pour tous et non plus seulement destiné à une population d’origine immigrée. Il va donc s’agir de mettre en place des loyers aidés pour des enseignes comme Franprix ou pour des chaînes de boulangerie, qui sont censées s’adresser à tous. Le modèle qui est repris est celui de la ville d’Amélie Poulain, et les exemples de rue‐marché qui sont cités sont la rue Lepic ou la rue de Lévis dans le XVIIème, ce qui pose quand même question à Barbès ! A Barbès, précisément, le commerce ethnique est un commerce pour tous, et notamment pour des gens qui habitent au‐delà du quartier, et c’est cela qui pose problème pour les gens du quartier, c’est qu’ils voient déferler des populations qui viennent de partout dans tous les sens du terme, de banlieue et d’ailleurs, alors qu’eux veulent se considérer comme habitants de quartier. Il s’agit donc de faire du commerce de quartier pour des habitants de quartier. Ainsi, on va essayer de faire fonctionner sur l’espace marchand la politique de « mixité » qui a échoué dans le résidentiel. La logique résidentielle entre en concurrence avec les autres logiques. Dans le cas du commerce asiatique du XIème arrondissement on observe les mêmes processus : la logique de quartier devrait supplanter la logique économique, on cherche à
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recréer des commerces s’adressant à des habitants de quartier pour supplanter le commerce de gros chinois. » Sophie CORBILLE : « Ainsi on ne sait plus ce qui est stigmatisant, si c’est la nature du commerce – de gros plutôt que de détail – ou si cette stigmatisation repose sur une question ethnique, les discours politiques sont ambigus de ce point de vue. Vis‐à‐vis du commerce de gros chinois on observe une forte mobilisation des habitants parce qu’ils viennent mettre à mal la logique du quartier, font venir des gens de l’extérieur, etc. » François MENARD : « Il me semble que ces deux exemples obéissent à des logiques complètement inverses. Dans le cas de Barbès, il s’agit d’une logique d’aménagement forcé d’un quartier qui fonctionnait économiquement et qui était attractif justement du fait de la présence des commerces ethniques, alors que dans le XIème il s’agit d’une transformation liée à l’activité économique, à des investissement bancaires particuliers qui contraint les acteurs locaux, associatifs ou publics, à construire des contre‐feux pour empêcher la transformation du quartier. A Barbès il s’agit d’une situation de sédimentation longue de ces activités, et l’on constate la violence de l’intervention publique vis‐à‐vis de l’installation du commerce, dans l’autre on est dans la violence du marché mondialisé par rapport au fonctionnement traditionnel d’un quartier… Enfin c’est un point de vue. » Emmanuelle LALLEMENT : « C’est toutefois la même logique selon laquelle la diversité est acceptable du point de vue du commerce et répulsive du point de vue résidentiel. Si Barbès est une centralité attractive du point de vue commercial, elle est très répulsive au contraire du point de vue résidentiel. » François MENARD : « On pourrait multiplier les exemples sur d’autres quartiers. Si l’on prend un quartier comme Belleville, qui est attractif sur le plan résidentiel et où la diversité est tellement légitime que l’on a même tendance à inventer ce quartier comme quartier de tradition immigrée alors que ce n’est pas nécessairement le cas (Patrick Simon). La diversité ethnique y est légitime alors que précisément les immigrés on de moins en moins les moyens d’y habiter. A l’inverse, dans un certain nombre de quartiers de grands‐ensembles cette diversité d’origines est considérée comme illégitime, alors qu’en définitive les habitants ne peuvent pas aller ailleurs. On a quand même dans la pensée de la diversité et de la mixité en France un certain nombre d’injonctions paradoxales que les politiques publiques ont du mal à identifier comme telles ! « Le débat s’oriente ainsi vers des interrogations relatives aux orientations à donner aux politiques publiques. Evelyne PERRIN : « Un des enseignements très forts que l’on peut tirer de ce qui a été dit c’est que les politiques publiques doivent veiller à accompagner plutôt qu’à casser des mutations de quartier initiées par les habitants eux‐mêmes. A force de s’acharner à vouloir faire des politiques de rénovation urbaine sur un même moule ‐ faire venir les classes moyennes, faire partir ceux qui sont trop concentrés parce que trop pauvre, etc. ‐, on risque de passer à côté et/ou de briser les dynamiques émergentes dans certains endroits. Gilles SUZANNE : « Oui, je me retrouve complètement dans ce que vous dites, et je pense qu’il faut accepter que dans la ville contemporaine le centre ville soit peut‐être moins visible et plus dans le sensible. Il me semble qu’il y a des formes de centralité qui sont avant tout sensibles et peut‐être moins visibles ‐ au sens classique, monumental, fonctionnel, en termes de centre directionnel ‐, qui proposent pourtant des formes de diversité.
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Je pense, par exemple, aux marchés aux puces dans les quartiers périphériques : dès que cette forme de diversité dans un quartier ‐ diversité économique, professionnelle et résidentielle, connectée avec des réseaux transnationaux, alliant «économie formelle et informelle ‐ devient trop visible, qu’elle prend une forme urbaine, on n’en veut plus ! François MENARD : « Il s’agirait finalement d’accompagner des formes d’émergence de centralité périphérique » Michelle SUSTRAC : « Ou tout au moins de les laisser vivre ! » Gilles SUZANNE : « Plusieurs études témoignent de la capacité de certains espaces à acquérir une valeur centrale du fait de ses usages, sans que cela ne prenne la forme d’un centre ville ou que cela nécessite une intervention lourde et très visible en termes d’aménagement. » Maria CASTRILLO : « Il me semble qu’il y a un concept qui peut être intéressant dans notre discussion d’aujourd’hui parce qu’il rassemble un certain nombre de nos réflexions, c’est le concept de micro‐centralité. Dans le cadre de mon activité d’architecte‐urbaniste, je l’ai mis en œuvre dans quelques villes italiennes et espagnoles, où j’essayais d’impulser simultanément la requalification des espaces publics, des équipements, la diversification des logements et, en plus, une autre facette de la diversité, celle de la diversité fonctionnelle, en implantant des commerces de proximité, des lieux d’emplois, dans ces périphéries, qui, comme en France, sont très mono‐fonctionnelles. Ce concept de micro‐centralité suppose de prendre en compte, et c’est à mon avis ce qui constitue sa valeur ajoutée et tout son intérêt, les petits signes de changement et d’adaptation dans l’espace public introduits par la population qui vit là depuis des décennies. Peut‐être qu’en Italie et en Espagne l’espace public des quartiers périphériques est moins rigide, moins difficile à transformer que dans les grands‐ensembles fonctionnalistes français, mais il y a souvent des petits signes d’adaptation de l’espace par la population, des petits changements introduits par la vie de la population qui peuvent constituer la ligne directrice à partir de laquelle cheminer pour imaginer des transformations plus planifiées, plus projetées, des dynamiques de centralité. Il me semble que tous ces petits signes, enracinés, produits des changements opérés par les gens, peuvent être très fertiles pour penser l’action publique. » Hélène HATZFELD conclut par son intervention la première partie de la séance. « Vous écouter renouvelle une question que je me posais avant de venir, sur l’intitulé même de notre réflexion : ce mot de diversité est‐il finalement le mieux approprié pour dire ce que l’on a à dire ? Par rapport aux réflexions qui ont été faites j’ai l’impression que ce n’est pas directement la notion de diversité, la reconnaissance de la diversité, qui est en jeu, mais plutôt ce qui serait transversal, les circulations, le mixage, les hybridations, etc. Ces mots là, qui sont d’autres types de métaphore, qui sont sur un registre différent du mot mixité. J’ai été amenée à cette réflexion en observant les « grands récits » se constituer au Ministère de la Culture, qui semblent se cristalliser aujourd’hui autour de la notion de « dialogue interculturel ». Dans les années 1990 les politiques du Ministère reposaient sur l’idée d’ « exception culturelle », thème que la France avait lancé pour défendre son cinéma, mais dont elle avait
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ressenti le contre coup parce que cette position la mettait à l’écart des autres nations. Dans un deuxième temps, la France, à l’appui de la politique québécoise et en parallèle avec la notion de diversité biologique, à promu la « diversité culturelle » en défendant le droit de toute culture d’être une exception. Cette deuxième problématique a été validée par la convention de 2005 de l’UNESCO, celle de la reconnaissance et de la promotion de la diversité des expressions culturelles. Dans un troisième temps, alors que le Ministère prenait conscient du danger d’éparpillement, d’un point de vue républicain, que pouvait susciter cette reconnaissance de la diversité, certains représentants du Ministère ont proposé la notion de « dialogue interculturel ». D’où la convention actuellement mise en place avec la Commission européenne et le Parlement européen pour faire de l’année 2008 l’année du dialogue interculturel. Il me semble que cette notion est intéressante ‐ même si comme vous le voyez, je prends une certaine distance avec les choix du Ministère que je représente – pour dépasser les débats institutionnels et oppositions systématiques qu’évoquait Virginie MILLIOT et nous resituer au sein des enjeux de renouvellement d’aujourd’hui. On a souvent tendance à reprocher l’uniformité des quartiers en rénovation, de leurs espaces, de leurs bâtiments, en les opposant aux espaces centraux faits de nuances, de différences… Si on abandonne la notion de diversité pour lui préférer celle de dialogue cela permet, à mon sens, de dépasser ce débat, mais aussi celui entre égalité de droit et inégalité de fait : les nouvelles identités ne sont plus seulement du côté de l’égalité, mais des formes de différences qui ne se posent pas en termes d’égalité ou d’inégalité. Enfin, la notion de dialogue permet aussi de dépasser le débat sur l’universalisme. Parler en termes de dialogue c’est, d’une certaine manière, permettre de repositionner ces débats et ainsi d’aborder franchement la question du lien et du bien commun, autrement qu’en termes de communautarisme (particulier) ou de montée en généralité (universel), cela permet de réinterroger le lien politique et notre système de valeur. Ainsi, il me semble que l’on aurait intérêt à repositionner notre réflexion sur la diversité vers une réflexion sur le dialogue ‐ l’inter, le trans ‐ tout ce qui fait qu’une pratique est traversée par une autre, un usage, une parole… ceci peut être très fécond pour notre réflexion sur le renouvellement spatial, le renouvellement social, le renouvellement de notre rapport à la cité et au politique. »
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Synthèse des interventions Pour entamer la deuxième partie de cette séance, les organisateurs ont demandé à Alphaville, agence de programmation urbaine, de présenter une expérience de projet de rénovation urbaine pour illustrer la façon dont le travail sur les formes urbaines peut induire une réflexion sur la diversité. François MONJAL : « Je n’aurais pas un propos aussi construit et étayé que les interventions précédentes, mais je vais essayer de vous donner une vision plus opérationnelle de la réalisation d’un projet urbain, de la méthode et des principes qui peuvent être mis en œuvre par une équipe d’architecte‐urbanistes. Il s’agit d’un projet de ville qui a été commandé en 2003 à notre équipe, constituée d’un architecte‐urbaniste, Jean‐Marc Bichat et d’une agence de programmation, Alphaville, dont je suis le gérant, par les services de l’Etat pour la Ville des Mureaux. L’Etat s’était rendu compte qu’il fallait construire une approche urbaine en complément de la Politique de la Ville essentiellement orientée vers des projets sociaux et culturels, notamment des actions d’alphabétisation, d’échanges entre les générations et les cultures. Dans ce contexte où l’ANRU n’existait pas encore, l’Etat a organisé une consultation pour mettre en place un projet urbain qui ne soit pas uniquement un projet dessiné, mais qui ait aussi un peu de contenu, l’enjeu étant de remettre un peu d’urbanité dans les quartiers de grands‐ensemble au sud de la ville des Mureaux.
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La commune des Mureaux est constituée d’un bastion villageois au nord, au bord de la Seine, traversé par la voie de chemin de fer, et d’un grand‐ensemble, qui représente la moitié du parc de logements communal, constitué dans son ensemble de 48% de logements sociaux. Pour reprendre les discussions de la première partie de la séance, je voudrais d’abord dire que la ville des Mureaux est un centre : c’est le centre de la communauté d’agglomération du Val de Seine, la gare des Mureaux fait centre, le marché est un vrai centre ethnique qui draine les habitants d’autres communes… et on peut penser, c’est ce pour quoi nous militons, que ce quartier sera un centre demain. Nous ne sommes pas dans une situation de grande banlieue périphérique dortoir, la commune se situe à 40 kms de Paris et constitue un centre économique dynamique : de grandes entreprises comme l’Aérospatiale, EADS, Renault sont implantées à proximité, drainant plusieurs milliers de salariés, des ouvriers mais aussi des cadres. Cette ville de 32 000 habitants s’est largement constituée au moment de l’essor de l’industrie automobile. Par ailleurs, les Mureaux se situent dans un cadre paysager exceptionnel, dans les boucles de la Seine, à proximité du Vexin français et de la forêt de Saint‐Germain. Du point de vue architectural, on avait également de très belles constructions modernes, avec des alignements de tours le long d’une voie. Ainsi, nous avons commencé par souligner les atouts de la ville et du grand ensemble et par dire qu’il y avait des choses à préserver.
Contrairement à la situation de Clichy‐Montfermeil qui est essentiellement constituée de co‐propriétés, nous avions affaire dans les quartiers sud des Mureaux à cinq bailleurs, cinq propriétaires seulement, avec qui il était possible de discuter et auprès desquels nous
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pouvions facilement obtenir des informations sur les locataires. L’analyse de leurs fichiers nous ont permis d’établir un diagnostic social et notamment d’évaluer la « mixité » du quartier. Les différents constats que l’on a pu faire sont les suivants : un quartier très jeune, avec un rapport de 7 jeunes de moins de 20 ans pour 1 personne âgée de plus de 60 ans ; une très forte perte de population liée au départ des classes moyennes ; un faible taux de formation ; un taux d’hébergés gratuitement exceptionnel ; une forte proportion de grands ménages et de familles polygames ; une part importante de locataires bi‐résidentiels chez les plus anciens (6 mois aux Mureaux/6 mois au pays) ; mais aussi une montée très importante de la proportion de primo‐arrivants sur le territoire national. Ce qui signifiait que pour une partie importante de la population locale, leur premier contact avec la France était les quartiers sud des Mureaux. Quand on imagine, à l’époque, l’arrivée des Bretons à Montparnasse, dans un milieu urbain constitué où il y avait des boulevards, des rues, un espace public, des commerces – qu’ils soient ethniques ou non – et qu’on la compare avec l’arrivée aux Mureaux, qui est une superposition de pièces urbaines, avec une absence d’organisation de l’espace, un espace public inexistant, on se dit qu’il n’y a dans ce lieu d’entrée sur le territoire, à qui l’on confère une vocation d’intégration, aucun facteur d’intégration ! Si la propriété de tout le grand ensemble par cinq bailleurs peut constituer un avantage, cette absence de morcellement foncier constitue aussi une des grandes raisons d’être des processus de rénovation urbaine, qui visent, notamment, à redonner au foncier une taille normale et par conséquent à réinscrire ces quartiers dans les dynamiques de marché foncier et immobilier. En effet, qui est capable, à part un bailleur social, de racheter une parcelle de 10 hectares et 500 logements ? L’absence de découpage foncier rend très complexe la mutation de ces quartiers. Par ailleurs, ces cinq bailleurs s’entendaient suffisamment pour monter un comité de bailleurs commun pour gérer les espaces extérieurs. En conséquence, il n’existait plus aucune frontière entre les cinq parcelles, tout était indifférencié, avec une absence totale de marquage de l’espace. Il s’agissait finalement de la mise en application du concept de départ de l’ « espace ouvert » qui, théoriquement, offre des atouts, mais qui en pratique, à cet endroit là, ne fonctionnait pas. En outre, une nationale supportant un important trafic routier (40 000 véhicules/jour) passait au bord du quartier, l’espace ouvert débouchait donc sur une autoroute urbaine. Nous étions donc en présence d’un véritable vide spatial et de bâtiments implantés dans ce vide souffrant d’un « déficit d’adressage », c'est‐à‐dire d’une difficulté de repérage des entrées d’immeuble et des adresses. Ainsi, malgré la qualité paysagère du lieu, le site souffrait d’un manque d’adressage, d’une désorganisation des voiries, nous étions face à un espace public non structuré, qui n’était plus porteur de sens. Face à ce constat notre premier travail a été de créer des « escalopes foncières », permettant de redécouper l’espace et de savoir par où on rentre, par où on sort, comment aller d’un élément à un autre, etc.
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La Vigne blanche : Etat initial et projet de découpage foncier Le principe du projet consistait à recréer une avenue centrale, le square Molière, permettant aux habitants de se déplacer simplement à l’intérieur du quartier sans avoir à faire de détours, et permettant d’y implanter tous les équipements publics structurants du quartier, de leur donner une adresse. Ce square permettait de recréer des adresses, mais aussi de réaffirmer une présence publique, de créer de l’espace public. J’ai beaucoup aimé tout à l’heure la distinction faite entre espace habité, espace du marché et espace public. Notre raisonnement en tant qu’urbanistes est plus basique et repose sur la différence duale entre espace privé et espace public. Cependant l’espace public a beaucoup de sens pour nous : c’est l’espace dans lequel doivent pouvoir se dérouler tous types de manifestations. Par exemple, au nord, se situe le marché ethnique, qui existe depuis longtemps. Nous ne l’avons pas inventé, nous avons simplement amélioré son adressage en enlevant le casseur automobile implanté juste devant, nous l’avons un peu formalisé, nous avons essayé de l’aider, de lui donner une visibilité. Il s’agissait donc bien de faire une différence entre espace public et espace privé, mais ce qui ne voulait pas dire que l’espace privé devait être automatiquement clôturé – ce qui a tendance à se faire dans les politiques de résidentialisation. Notre principe était d’utiliser un bâtiment pour créer la limite plutôt que de mettre une clôture, sur le modèle de l’îlot parisien traditionnellement délimité par des immeubles. Notre principe était de créer des îlots‐porches, l’immeuble créant une partie de la frontière avec la rue, sans fermer complètement l’îlot. La densification et le redécoupage permettaient de créer des ensembles de 50 logements sociaux, plus facile à gérer et à faire évoluer que des blocs de 500 logements. Ainsi, à côté de certaines démolitions que nous avions programmées dans des parties du parc qui le nécessitaient, notre parti‐pris était d’utiliser la densification urbaine pour restructurer le grand‐ensemble. Bien sûr il s’agissait d’un principe, dans la réalisation opérationnelle c’est toujours plus compliqué : qui va gérer cet espace public, qui va vouloir habiter dans un rez‐de‐chaussée dans un grand ensemble aujourd’hui, quels vont être les commerces que l’on va pouvoir implanter pour occuper ce linaire ?
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Par ailleurs, à l’occasion de cette densification résidentielle, l’Etat comptait augmenter l’offre de logements sociaux et faire passer le taux de 48 à 55 % du parc. Nous avons heureusement réussi à trouver des lieux, à proximité du parc, avec une vue dégagée, pouvant être revendus à des opérateurs privés pour leur proposer de faire d’autres types de logements (intermédiaire, logement étudiant…) de façon à ne pas trop augmenter le taux de logement social déjà important. Dans ce type d’opération, il est toujours délicat de programmer les typologies : trop de logements sociaux enfermeraient le quartier dans ses difficultés, mais trop de logements privés, étant donnée la situation des Mureaux en Ile‐de‐France, risquerait d’enclencher une gentrification rapide du site. En effet, dans les Yvelines, département plutôt privilégié, ne subsistent que quelques poches de grands‐ensembles à Chanteloup, Mantes, Les Mureaux, Trappes, Carrière‐sous‐Poissy, et si on laisse faire le marché, ce n’est pas très compliqué de faire un projet résidentiel privé… Cette vision urbanistique que je viens de vous présenter a été complétée par une vision programmatique, qui complète cette réponse formelle. Dans ce cadre nous nous sommes saisis du travail d’action sociale et culturelle locale faite auprès des populations pour appuyer nos propositions, l’idée étant de prolonger notre travail sur l’espace public dans les équipements publics, car pour nous l’espace public ne s’arrête pas à la rue. Nous avons réfléchit à la possibilité de mieux optimiser les équipements existants, notamment les écoles, finalement inoccupées quatre mois dans l’année, en proposant des mutualisations d’équipements, pour limiter les coupures et inscrire une continuité de la présence publique. La question des équipements était complexe dans ce site : initialement regroupées les infrastructures publiques formaient une barrière qui enclavait complètement une partie du quartier et compliquait les parcours des habitants. Le mail d’équipements publics s’est avéré être un lieu intéressant pour positionner les choses, mieux les organiser. Par ailleurs, nous avons proposé l’idée de créer un « centre du langage et du comportement », le terme « centre » ne voulant pas forcément dire qu’il s’agissait d’un lieu formalisé. L’alphabétisation était un vrai sujet aux Mureaux, mais tourné uniquement vers les habitants, alors que parallèlement de nombreuses entreprises y sont implantées, notamment l’aérospatiale et le centre national de formation d’EDF. Il s’agissait de créer un équipement qui serait le lieu de croisement entre actifs et habitants peu alphabétisés. Pas uniquement un centre pour apprendre le français, mais un grand centre des cultures et des langues, où seraient proposées, par exemple, des formations sur la culture chinoise aux salariés d’EADS, dans le cadre d’une politique d’export… Aujourd’hui ce projet reste inscrit, mais ce n’est pas une idée qui a pris forme, ce qui est dommage… c’est un échec pour nous programmistes. Notre discours reposait sur la démonstration que la banlieue était porteuse de lieux forts ‐ c’est un discours que l’on défend aussi dans d’autres dossiers, mais qui a parfois du mal à être entendu par les élus ‐, nous voulions convaincre les acteurs publics que l’on peut mettre de la culture, des équipements structurants en banlieue. Finalement, ce que l’on a réussi à mettre en place c’est la conversion d’un ancien presbytère en lieu culturel (danse, musique actuelle), ce n’est toujours pas fait mais on a un peu plus de
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chances que cela se réalise parce qu’on a réussi à greffer ce projet autour d’un festival préexistant… mais ça reste une très petite échelle par rapport à l’ambition de départ. Parce qu’entre‐temps on a été rattrapés par l’ANRU, qui est une grosse machine qui demande des résultats, notamment en termes de production de logements. Aujourd’hui la priorité est donnée aux logements et l’ANRU ne finance pas les équipements, il faut chercher d’autres financements pour créer des grands équipements, notamment l’Europe. » Synthèse des débats Emilie BAJOLET : « Pour prolonger l’intervention de mon collaborateur François MONJAL et repositionner son propos sur le thème de la mixité, je dirais que finalement l’architecte ou l’urbaniste ne peut pas imposer ou décréter la mixité, mais peut en revanche recréer de la mutabilité dans ces quartiers, c'est‐à‐dire redonner à ces quartiers, qui n’ont pas la possibilité de muter en raison de la structuration de leur foncier, la capacité de se transformer, comme peuvent se transformer des quartiers comme la Plaine ou d’autres quartiers urbains, non pas seulement en raison de leur position de centralité, mais aussi de leurs formes plus segmentées. La première chose que peut donc faire l’architecte‐urbaniste, c’est de restaurer les conditions de possibilité de la mutation. Ce n’est pas une véritable politique de mixité, mais c’est un pari sur la mixité future. En remettant de l’espace public, des équipements publics attractifs, en redonnant du sens et de la visibilité à des lieux qui sont déjà des espaces de diversité, d’attractivité comme un marché ethnique, un petit centre commercial, une école, cela permet dans un deuxième temps de revendre des îlots à des propriétaires privés, de faire muter le parc de logements et du coup de diversifier un peu plus la population à terme. C’est donc un pari sur l’avenir qui est fait, à partir d’un travail sur la forme urbaine. Finalement, cette idée d’inscrire du mouvement semble rapprocher un certain nombre de nos prises de position : Hélène HATZFELD disait tout à l’heure que la notion de dialogue, d’échange est plus importante que celle de diversité ; nous évoquions plutôt ces lieux qui sont centraux à un moment et plus à un autre, et qui le sont en raison des flux qu’ils génèrent. Cette idée de mouvement peut permettre, à mon sens, d’établir un lien réflexif entre les espaces centraux et les espaces de périphérie, parce que finalement ce que l’on aime dans les quartiers centraux c’est de la diversité qui bouge, et ce que l’on n’aime pas dans les quartiers de grands ensembles c’est qu’il y a de la diversité mais qui est assignée à résidence. Peut‐être que c’est une des notions autour de laquelle il y a une réflexion à avoir. François MONJAL : « Notre travail consiste à redonner de la valeur, de la capacité économique à un site. Dans certains sites comme dans celui des Mureaux, il est nécessaire qu’il y ait un apport d’argent public pour déclencher la mutation, sans interventionnisme de la part de l’Etat, c’est très compliqué. Ailleurs, on le voit à la Plaine, dans des sites où le tissu urbain est beaucoup plus fragmenté, des opérations peuvent naître indépendamment de l’Etat et même le dépasser. Par exemple dans le bas Montreuil, une chaîne de magasin biologique a récupéré tout le foncier autour de la Place Robespierre et a fait complètement évoluer le quartier. Dans certains lieux, il suffit qu’il y ait un tout petit peu d’aide au début pour que ça mute, dans le cas des Mureaux, il faut aider vraiment beaucoup. Après on peut se demander quels sont les outils les plus pertinents pour mener ces politiques, faire les bons choix et faire en sorte que le projet soit conforme aux objectifs de
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départ une fois qu’il est confié à un aménageur qui, lui, a des objectifs de rentabilité, pour que l’impasse ne soit pas faite sur certaines propositions qui ont une pertinence à l’échelle d’un projet global. » Christophe BETIN prolonge cette interrogation sur les outils en initiant une réflexion sur les modèles idéologiques et urbains sous‐jacents qui guident les acteurs publics, ce qui donne lieu à de nombreux échanges entre les participants. Christophe BETIN : « Aujourd’hui on sait qu’il y a des urbanistes qui ont des outils pour créer les conditions pour avoir une population « plus diverse ». Mais qu’est‐ce que la diversité de la population ? S’agit‐il d’avoir toutes les classes sociales représentées ? A Saint‐Etienne avant qu’on se rende compte que les classes moyennes étaient parties, il n’y avait pas vraiment de constat d’un manque de diversité mais plutôt le constat d’une sociabilité populaire dans les espaces publics, d’une cohabitation de plusieurs générations d’immigrés – étrangers et ruraux. Et puis à un moment donné des acteurs publics constatent la fuite des classes les plus aisées et automatiquement une réponse est faite en termes d’aménagement, et d’amélioration de l’attractivité du parc de logement. A partir de là se mettent en place un certain nombre de procédures, de dispositifs qui se greffent à ceux déjà existants. L’enjeu de la diversité renvoie à une notion d’attractivité, et en Rhône‐Alpes l’étalon de l’attractivité est celui d’une ville comme Lyon, avec sa vie urbaine, ses élites… on pourrait donc faire de Lyon un modèle, et mieux essayer de faire venir un certain nombre de lyonnais. Or, à Saint‐Etienne on peut se demander si c’est un enjeu de diversité ou plutôt un enjeu de fluidification des trajectoires résidentielles dans la ville. On sait que certains quartiers accueillent traditionnellement des populations qui en repartent ensuite pour habiter ailleurs dans la ville. Le marché immobilier n’est pas terrible, mais en même temps ce type d’habitat permet à des gens, à un moment donné, d’entamer des trajectoires résidentielles ascendantes. Actuellement, on met en place un certain nombre de politiques dites de lutte contre l’habitat indigne, mais on sait que cela provoque du relogement, la montée des loyers… Il n’y a pas de véritable pensée sur le fonctionnement de la ville, voire sur la pertinence de la mobilisation des outils de démolition‐reconstruction. Or, si l’on raccroche la réflexion sur la diversité à des questions de mobilité résidentielle, ce n’est pas forcément la création d’axes majeurs ou d’un maillage qui est nécessaire, mais plutôt de permettre à certaines personnes d’arriver dans la ville puis d’aller vers d’autres quartiers, et pour les classes moyennes de rester dans la ville plutôt que de partir vers les territoires péri‐urbains. Il me semble que la question de la culture des acteurs publics du renouvellement urbain est à creuser de ce point de vue là. On pourrait développer des approches plus fines en prenant le temps de regarder comment fonctionnent les quartiers dans la longue durée, il n’est peut‐être pas toujours nécessaire de mettre en place des procédures lourdes ou pertinent de vouloir tout régler dans un temps court. Cela pose aussi question sur la manière dont sont élaborés les diagnostics par les acteurs publics. Je suis assez surpris de voir dans certains diagnostics que les classes ouvrières sont « sur‐représentées ». Ce type de formulation m’interpelle beaucoup : pourquoi serait‐on dans une surreprésentation, ce n’est pas du diagnostic ! Elles sont peut‐être surreprésentées par rapport à un projet que l’on a, à un référent, un modèle, mais je ne vois pas comment on
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peut écrire dans un diagnostic qu’il y a trop de population ouvrières, elles sont là ! Quand des acteurs publics font le constat d’un manque de diversité cela révèle ce qu’est ou n’est pas pour eux la diversité, et par conséquent se dessinent des modes de hiérarchisation des quartiers qui n’existaient pas ou qui n’étaient pas revendiqués en tant que tels avant qu’on se pose la question. La question de la culture des acteurs publics et des modèles qui sont mobilisés pour traiter ces questions de diversité et de mixité dans la ville me paraît donc être un enjeu essentiel à creuser. » François Monjal : « Il faudrait surtout et d’abord qu’en matière de modèles urbains, il y ait un minimum de culture commune à partager avec les élus. Parce que très souvent, finalement cette culture commune se réduit à la connaissance des procédures : la culture de l’outil est maîtrisée, elle rassure, mais on constate parfois une absence totale de contenu dans les projets. » François MENARD : « Si l’on reprend ce qui a été dit précédemment, à savoir que finalement les espaces publics et les espaces du commerce donnaient prises à des formes de diversité et de diversification plus riches et complexes que dans les espaces de résidence, on peut se demander par conséquent si les politiques de renouvellement urbain menées au nom de la mixité, qui s’appuient essentiellement sur l’entrée logement, ne sont pas vouées à l’échec. François MONJAL : « Dans le cas des Mureaux, la réflexion n’était pas uniquement portée sur le logement, mais sur les espaces publics, les équipements, le marché… il faut apporter des solutions multi‐fonctionnelles, mais il est vrai que l’ANRU répond essentiellement à des enjeux de production de logement» François MENARD : « Par ailleurs, on peut se demander finalement si ces politiques ne sont pas tout simplement des politiques de gentrification. Une fois que l’on a réussi à faire venir les classes moyennes, tout l’enjeu consiste à contrôler les évolutions sociales, à gentrifier sans exclure. S’appuyer sur autre chose que les espaces de résidence peut être un moyen de maintenir du mouvement et de limiter les effets ségrégatifs. François MENARD : « C’est pour cela qu’il est nécessaire à mon sens de mettre en tension les logiques d’attractivité et les démarches d’identification, d’accompagnement, et de renforcement des centralités secondaires, plutôt que de voir celles‐ci comme un obstacle à l’attractivité de la ville. Par exemple, les commerces ethniques qui sont vus, en périphérie, comme des marqueurs de déclin, mais qui ont des fonctions de centralité secondaire, pourraient être porteurs de sens dans un projet où la diversité est appréhendée comme possibilité d’existence et d’accès de tous à la ville. Mais le plus souvent, dans le cadre de politiques visant à réintroduire les classes moyennes, ceux‐ci sont considérés comme un obstacle à l’attractivité du quartier. La valorisation des centralités secondaires est difficile à intégrer dans la pensée et dans les projets urbains. Christophe BETIN : « Je pense que sur ces questions là il ne faut pas trop déterritorialiser la réflexion. Concernant le commerce ethnique, s’il est stigmatisé et considéré comme extrêmement dévalorisant dans certains espaces périphériques, dans d’autres il est porté positivement par les collectivités qui survalorisent cette présence commerciale, c’est le cas à Saint‐Denis ou à Givors par exemple. Emmanuelle LALLEMENT et Sophie CORBILLE : « Finalement, derrière la question de la mixité se cache souvent une interrogation ethnique, dont la définition et l’évaluation sont
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complexes. Par exemple, la désignation de « commerce ethnique » est elle‐même problématique, et renvoie à différentes réalités. Parfois elle repose sur l’origine de la personne qui tient la boutique plutôt que sur ce qu’elle vend. Les personnes qui sont chargées du recensement des commerces ethniques à Paris sont d’ailleurs embarrassées pour désigner ce qui est « ethnique » et ce qui ne l’est pas. Ce que l’on considère comme ethnique est souvent une question de regard : la présence d’un enseigne étrangère, un gérant d’origine supposée ethnique, les produits qui sont vendus, la clientèle… parfois cette diversité est perçue positivement, parfois négativement, il y a beaucoup de situations différentes qui demandent effectivement à être contextualisées. » Michelle SUSTRAC : « Tout ceci conforte la pertinence d’un accompagnement par les chercheurs, dans la durée et de la présence d’un débat permanent et d’instances de réflexions sur la ville dans les opérations d’aménagement. Mais comment faire pour que les travaux et que les positionnements des chercheurs produisent des transformations dans l’action publique ? Comment des analyses hyper‐fines de micro‐société peuvent‐elles nourrir le projet ? Pourtant il y aurait un fort enjeu de prise en compte de ces apports, notamment pour construire d’autres outils. Hélène HATZFELD : « Je pense que l’on devrait creuser, dans le cadre de l’appel d’offre qui sortira de notre séminaire, le questionnement sur la capacité de cette notion de diversité à produire autrement les modèles de la ville, parce qu’il me semble que cette notion de diversité permet d’interpeller les formes urbaines (grille, maillage, paysage…). »
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Atelier 4
Vivre la ville durable, entre fantasme et réalité, entre rédemption et utopie
Attendus précédant la séance Un lien étroit semble lier la problématique du renouvellement urbain à celle de la ville durable. Ces deux préoccupations ont en effet émergé de façon convergente au cours des années quatre‐vingt‐dix et recèlent de complémentarités évidentes dans la façon de penser la ville contemporaine. Si le développement durable renvoie à une acception éthique beaucoup plus large que celle du renouvellement urbain, et permet de resituer ce champ d’action dans l’évolution plus globale de la société ; ces notions portent toutes deux en elles une forte vision critique sur le développement des villes ces quarante dernières années et sur l’échec des politiques publiques qui y ont été entreprises. De façon plus concrète, les principes de durabilité s’inscrivent aujourd’hui dans les opérations de renouvellement urbain à divers niveaux (conception architecturale, transports urbains, infrastructures, écologie urbaine, modes de gestion…). Si l’interrogation sur le rapport entretenu entre développement durable et renouvellement urbain reste un axe de réflexion intéressant – la durabilité est‐elle une catégorie d’action, une méthode, un alibi, un enrobage discursif ou encore la nouvelle formule en vogue du politiquement correct ? – elle a déjà été posée à plusieurs reprises dans d’autres lieux. Il s’agit plutôt ici de s’interroger sur l’évolution des modalités du recours à la notion de durabilité dans les opérations de renouvellement. En effet, nous faisons l’hypothèse – qui demandera à être discutée, amendée, voire rejetée – que le développement durable, qui correspondait hier à une utopie politique, est progressivement devenu un impératif, qui oblige plus qu’il ne convainc. Le souci de la durabilité dans la pensée et l’innovation urbanistiques était, au moment de son apparition, très lié à l’engagement militant de chercheurs ou de professionnels de la ville, qui voyaient dans cette notion émergente une nouvelle forme d’utopie urbaine, un support inédit pour imaginer un nouvel être‐ensemble, un nouvel art de vivre urbain. Il semblerait ainsi que c’est d’abord par la prise de conscience d’une certaine société civile, que la durabilité se soit progressivement imposée comme catégorie politique. Puis, le développement durable a acquis, de rapports en colloques internationaux, une notoriété et une reconnaissance institutionnelle, jusqu’à s’inscrire pleinement dans les agendas politiques des gouvernements et à s’immiscer dans le droit de l’urbanisme.
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On serait donc passé, petit à petit, d’une utopie militante, largement dominée par le fantasme, à un impératif catégorique mû par le principe de réalité, assorti d’une injonction de faire et d’évaluer, dicté par la loi, selon une logique politique classique s’opposant à la logique « bottom‐up » des débuts. Aujourd’hui, même si la Loi Urbanisme et Habitat est largement revenue sur l’esprit de la Loi SRU, le principe de durabilité s’impose néanmoins légalement dans les documents d’urbanisme en France (SCOT, PLU), comme à l’étranger. « Faire durable » n’est plus un choix éthique et militant, une manière innovante et expérimentale d’envisager la conception urbaine, mais bien un impératif. Les enjeux climatiques, écologiques, culturels, économiques et sociaux reconnus aux échelles nationales et supra‐nationales et traduits juridiquement désormais à l’échelle locale s’imposent – tout au moins au niveau des textes –, quitte à aller à l’encontre de la demande sociale et de la liberté de choisir son mode d’habitation, de déplacement ou son lieu de vie et son voisinage. Si la lutte contre l’étalement urbain, l’impact sur les milieux et la ségrégation socio‐spatiale sont des causes nobles, elles interviennent aujourd’hui selon un mode injonctif, alors même que les modes de vie et les esprits y sont encore rétifs. Fallait‐il attendre que l’urgence et l’évidence de la durabilité soient dans toutes les têtes pour mettre ce principe en application ? Est‐il possible d’imposer un mode de vie durable à des ménages qui n’en saisissent pas la pertinence au quotidien, et voient dans ces nouvelles règles une atteinte à leur liberté ? On pourra ainsi se demander si l’application quasi‐punitive du principe de durabilité dans les villes en renouvellement (« tu ne prendras plus ta voiture », « tu n’habiteras plus une maison individuelle », « tu trieras tes déchets », « tu habiteras un quartier mixte ») est opérante in fine, en analysant concrètement, au travers de récits d’expériences et de terrains de recherche, les processus de mise en œuvre de ce principe, dans les villes renouvelées, en France et à l’étranger. Synthèse de la séance
Propos introductifs La séance s’est organisée autour de l’intervention de trois personnalités invitées. Avant celles‐ci, Emilie BAJOLET a reformulé un certain nombre de questionnements de départ justifiant l’organisation de cette séance au sein du séminaire. Reprenant en partie les interrogations formulées dans le texte de cadrage diffusé au préalable, elle a d’abord insisté pour que les liens contemporains entre développement durable, ville et renouvellement urbain soient discutés, puis a orienté le questionnement de la séance autour des « modèles » de ville durable aujourd’hui à l’œuvre, en se demandant si la mise en œuvre opérationnelle de celui‐ci n’en induit pas une réduction environnementaliste et techniciste. Il avait été demandé à Marie‐Flore MATTEI ‐ connaissant bien plusieurs appels d’offre publics de recherche lancés sur le thème du développement urbain durable ces dernières années
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pour y avoir pris une part active ‐, de donner son sentiment sur les nouveautés conceptuelles apportées par la notion de développement durable dans la recherche scientifique. Son intervention a été l’occasion, pour étayer son propos, de rappeler les principes fondateurs du développement durable et les modèles urbanistiques en rupture desquels il s’est construit. Enfin, puisqu’il lui avait été demandé d’ébaucher les grandes lignes de ce qui pourrait s’être constitué en « modèle » de ville durable, Marie‐Flore MATTEI a développé une hypothèse sur le caractère anti utopique de la durabilité. Cyria Emelianoff, chercheuse spécialiste du développement durable et de ses expérimentations, a organisé, quant à elle, son intervention autour de la description du jeu d’acteur complexe à l’origine des expériences européennes les plus célèbres de développement urbain durable, afin de réfuter l’hypothèse d’une injonction normative à la durabilité, suggérée dans le texte des attendus. Enfin, Loïc Josse, à l’occasion de la présentation de son expérience de concepteur, et plus particulièrement d’une opération rennaise, a livré à l’assistance un certain nombre de réflexions sur les évolutions architecturales et urbanistiques impliquées par l’introduction du principe de durabilité, en replaçant le contexte actuel dans l’histoire plus large de l’architecture et des politiques urbaines. Etant donnée la récurrence de certains thèmes de débat repris tout au long de ces quatre heures, que ce soit à l’appui des diverses interventions ou des réactions des participants, nous avons préféré ici construire une synthèse thématique plutôt qu’un résumé chronologique des échanges. Nous avons juste conservé l’intervention liminaire de Marie‐Flore Mattei qui éclaire les prises de positions rapportées dans la suite du document. Marie‐Flore‐Mattei Après avoir relu les appels d’offre de recherche auxquels j’ai participé, lancés par l’Action Incitative Ville (ACI Ville) et le Programme Interdisciplinaire Développement Urbain Durable (PIDUD), je me suis demandé, comment y déceler des modèles ? Comment cet objet de recherche, le développement urbain durable, a engendré de nouvelles questions scientifiques, de nouveaux concepts ? Je me suis dit qu’à partir du moment où on introduit le développement durable, logiquement il devrait y avoir une rupture épistémologique ou au moins une réactualisation des questions antérieures. Or, j’ai eu beau lire et relire, je n’ai pas vu de nouvelles questions ou très peu et pas de nouveaux concepts. Souvent, il y avait un réhabilllage des questions anciennes et lorsqu’il n’y avait pas ré‐habillage, c'est‐à‐dire quand le développement durable était réellement pris à bras le corps c’était lorsque les sciences de l’ingénieur, les techniciens s’emparaient de la question. En revanche, lorsque les sciences sociales s’en saisissaient, on ne décelait rien de bien nouveau. Bien évidemment tout peut être durable dès lors que le développement durable est défini par l’environnement, l’économie, la sociologie : quand on fait des sciences sociales, on se trouve nécessairement dans au moins un de ces trois thèmes. Ce « tryptique » répondait à quelque chose d’autre, l’impératif écologique : c’est parce que l’on veut diminuer les gaz à effet de serre, réduire le trou de la couche d’ozone et plus généralement préserver la planète que l’on fait du développement durable. C’est donc aussi pour cela que dans le domaine des sciences sociales on n’assiste pas d’emblée à une rupture épistémologique ou à une nouvelle façon de voir la ville.
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Par ailleurs, à partir du moment où l’on veut décliner le social, l’économique et l’environnemental, s’en emparer au nom du développement durable invite inévitablement à faire de l’interdisciplinarité. Or s’il y a de la multidisciplinarité dans les recherches, il n’y a pas d’inter‐disciplinarité ! Voulant tout de même répondre à la question sur l’émergence de nouveaux modèles ou la retraduction de modèles anciens, j’ai quand même bâti un exposé en trois temps, très lapidaire : 1 ‐Les grands principes du développement durable 2 ‐ Passage du développement durable au développement urbain durable, comment ces grands principes se sont territorialisés avec la prise en compte de la ville. En essayant de voir le cadre intellectuel dans lequel ça s’effectue. 3 – Comment, à l’inverse d’autres grands modèles urbanistiques, vouloir faire advenir la ville durable est tout sauf utopique voire ne participe même pas des grands récits. 1 ‐Les grands principes du développement durable Je vais partir de la définition que tout le monde connaît « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (Bruntdland). Le développement durable correspond donc à la volonté de se doter d’un nouveau projet de société qui tente de remédier aux excès du développement connus jusqu’alors et dont les limites sont perceptibles, notamment du point de vue écologique. Le terme de développement durable ne s’oppose pas du tout à la croissance, mais la qualifie : le développement peut encore exister mais il ne doit pas produire les propres causes de sa fin. Le développement durable prend en compte les trois piliers que sont l’environnement, le social et l’économique et implique un certain nombre de choses, notamment l’ouverture de l’horizon temporel, les générations futures et le long terme sont pris en compte dans les décisions du présent, ce qui fait que l’on a le croisement de deux dimensions, une dimension horizontale en s’occupant des problèmes actuels et une dimension verticale qui est la prise en compte des générations futures. Il implique aussi un aspect intégrateur puisqu’il implique que l’on aborde les choses de manière systémiques et non plus sectoriel, en articulant économie, social et environnement. Il implique aussi de réinterroger un certain nombre de questions et notamment les relations entre la nature et la société, l’homme et la nature, l’homme et le territoire. 2) Le développement durable en tant que tel n’est pas lié à un territoire, si ce n’est la planète. C’est lorsque l’on introduit le U de Urbain que l’on territorialise le développement durable. Dans un monde urbanisé, le monde urbain paraît effectivement le plus pertinent pour l’action… alors du coup ça veut dire que l’on pense global mais que l’on agit à l’échelle locale. C’est donc à l’échelle de l’espace urbain que la durabilité peut se décliner en objectifs concrets – réduction de la consommation d’espace, maîtrise des déplacements, maîtrise des consommations énergétiques et des pollutions… ‐ . Avant d’aborder ce qu’est la ville durable et ses modèles sous‐jacents, je vais faire un très rapide rappel historique des deux modèles qui ont présidé à l’urbanisme jusqu’alors, c'est‐à‐dire le courant progressiste et le courant culturaliste.
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C’est évidemment face aux modifications de la ville industrielle par rapport à la ville pré‐industrielle, c'est‐à‐dire l’exode rural (expansion de la ville) et l’essor démographique (extension spatiale). Dans le courant progressiste, on considère que l’individu est aliéné par la ville industrielle. Un certain nombre de dispositifs – la science, la technologie… ‐ doivent permettre de résoudre les problèmes posés par la relation des hommes avec le monde et la relations des hommes entre eux. C’est une pensée qui est orientée vers l’avenir et qui surtout dominée par l’idée de progrès. L’idée clé qui sous‐tend le modèle progressiste est celle de modernité, une conception de l’ère industrielle comme rupture radicale, et la création d’un individu type à partir duquel on pense la ville. C’est un urbanisme fonctionnel qui sépare l’habitat, les circulations, les loisirs… et du coup la conséquence de la mise en œuvre de cette théorie est une dédensification de l’espace, donc un accroissement de la ville, une disparition de la rue et la prise en compte d’un certain nombre de valeur, dont l’hygiénisme. Les culturalistes s’opposent quasiment termes à termes au courant progressiste, on ne cherche pas un individu type mais on s’intéresse à la communauté, l’individu est singularisé. On dénonce la disparition de l’ancienne cité, la destruction des centres villes au profit de la ville industrielle et on prône un retour à une ville plus organique où l’esthétique joue un grand rôle. C’est une vision plutôt nostalgique, tournée vers le passé. Et ce qui anime ce modèle est non plus le progrès mais la culture. Face à ces deux modèles historiquement ancrés, qu’est‐ce qu’une ville durable ? Si on reprend les principes du développement durable, c’est une ville juste (notion d’équité), compacte, dense qui optimise la proximité, une ville recyclable, écologique qui minimise son impact sur l’environnement, qui assure une mixité fonctionnelle et sociale et qui favorise la démocratie participative. Face à tout cela, quand on fait le constat de l’impact de l’étalement urbain sur les emprises naturelles par exemple cela devient préoccupant, le morcellement et/ou la dispersion des terrains construits entraîne une perte des terrains agricoles, un accroissement des coûts supportés par la collectivité, en raison de l’accroissement des réseaux, de l’entretien des routes, ainsi qu’une dépendance automobile accrue. La ville durable entend remédier à tous ces dysfonctionnements. Le problème c’est que l’on a un modèle qui , jusqu’alors, ne fonctionnait pas si mal que ça. C'est‐à‐dire qu’avec des rythmes de vie désynchronisés, l’habitat et les mobilités individuelles telles qu’ils existent satisfont la population dans sa grande majorité. Il faut quand même aller à l’encontre de cette satisfaction. Mais l’impératif majeur c’est quand même de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui remet complètement en cause le système que je viens de vous décrire. Quel est le principal créateur de gaz à effet de serre ? C’est le transport. Donc comment penser une ville durable, comment faire que le fonctionnement urbain soit plus économe, en espace, en énergie… on s’est attaché dans un premier temps aux problèmes de morphologie urbaine. Et du coup, le modèle théorique de la ville compacte s’est imposé. Afin d’enrayer la dispersion, de développer les déplacements collectifs et les modes non motorisés. Finalement, le modèle spatial qui répond le mieux à l’enjeu du développement durable est le modèle rhénan qui repose sur un réseau de villes d’importance limitée en termes de population, avec une règlementation qui vise à limiter l’urbanisation des zones rurales qui entourent les villes.
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En définitive, ce qui régit la définition de ce modèle, la volonté d’avoir une ville dense, c’est la mobilité. Car ce que l’on veut privilégier avant tout dans la ville durable c’est l’environnement, en limitant les gaz à effet de serre. Il s’agit là d’un modèle spatial, Mais quels sont alors les cadres conceptuels de la ville durable ? Que veut‐on avec la ville durable ? On veut rendre la ville plus vivable, et dans ce cadre on remet en cause un certain nombre de représentations, notamment celle de progrès et de rationalité technique en tant que garants d’une vie meilleure. Ce qui implique de constituer un nouveau savoir sur la manière de faire la ville. Quels sont les éléments fondateurs de la prise en compte du développement durable dans la fabrique de la ville : il y a le principe de solidarité, synchronique avec la génération, dans sa finalité sociale mais aussi sa dimension spatiale avec la réduction des inégalités d’accès aux services, aux loisirs, à l’emploi ; mais aussi solidarité diachronique, avec les générations futures, qui implique une gestion de l’environnement de manière à ne pas hypothéquer l’avenir. Qu’est‐ce qu’une ville durable ? C’est n’est pas qu’une ville pérenne. C’est aussi une ville dans laquelle le principe de réversibilité ou d’évolutivité s’applique. L’inscription matérielle dans le temps est finalement beaucoup moins important que les conditions qui permettent de rendre vivable dans le temps, on s’intéresse beaucoup plus à la façon dont cela va être réapproprié dans un temps futur qu’à la façon dont la ville s’organise aujourd’hui. Un autre principe est au fondement même de la ville durable, c’est celui de responsabilité. C’est au nom du principe de responsabilité que l’on s’impose la prise en compte des générations futures. On assure la continuité de l’avenir au regard du passé. On a une responsabilité morale vis‐à‐vis des autres. Autre principe : la réversibilité de l’action, qui sous‐tend de ne pas s’engager dans des impasses, de pouvoir revenir sur des décisions et de pouvoir surtout revenir à un état antérieur sans dégradation. On peut se poser la question : à quelle condition un espace qui constitue un cadre de vie doit se maintenir dans le temps. Le développement durable appliqué à la ville aboutit donc à l’idée d’une ville recyclable en continu, adaptable sans passer par l’obsolescence. Ceci implique un nouveau rapport au temps. Face à ces différents principes on peut se demander quels sont les apprentissages collectifs, les savoirs nécessaires pour permettre la prise en compte de la durabilité. J’ai dit que je pensais que le développement durable n’était pas un récit contrairement aux deux autres modèles qui ont façonné la ville jusqu’alors, et surtout pas une utopie. Le développement durable ne projette pas l’avenir mais entend donner des outils pour aller vers l’avenir avec le moins de dommage possible. Très différent de l’utopie. Construction en négatif de ce que l’on ne veut pas qu’il advienne, la ville durable et les éco‐quartiers répondent à une vision conservatrice de la société fondée sur l’idée que le présent est mieux que le futur. C’est à l’aune du passé que l’on interroge le présent pour construire l’avenir. Le futur n’est plus une promesse mais une menace, c’est un futur fondé sur la peur et la raison. Le développement durable n’est donc pas une utopie mais une éthique du changement, une hantise du futur qui glisse vers une vision cataclysmique (épuisement des ressources, réchauffement climatique…). Le développement durable est dans la restauration, la réparation et la préservation. Contrairement aux récits utopiques il ne s’agit pas de la recherche d’un meilleur que l’évitement du pire.
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Question : n’est‐ce pas un retour vers un mode de pensé traditionnaliste ? Alors que la modernité offrait à l’individu le pouvoir de choisir, là il n’a plus le choix en passant de l’ère de l’abondance à celle de la rareté. Conclusion polémique : Est‐ce que la prise en compte des éco‐quartiers, de la ville durable n’est pas une occasion pour les praticiens, les concepteurs de la ville de se ressaisir, en planifiant, de l’objet ville ? Après une période dominée par la planification, puis une décennie où les concepteurs ont surtout suivi le mouvement, canalisé les tendances, l’émergence du sujet ville durable, leur donne l’occasion de se ressaisir. Synthèse des débats Le développement durable, vecteur d’un renouvellement urbanistique ? S’il n’est donc pas avéré que le principe de durabilité soit à l’origine d’un bouleversement épistémologique majeur en sciences sociales, en revanche plusieurs participants s’accordent à reconnaître que les enjeux portés par cette notion ont remis en cause les manières antérieures de faire de l’urbanisme. Cyria EMELIANOFF, la première, insiste sur l’ampleur des avancées pratiques engendrées par l’impératif de durabilité, notamment parce que celui‐ci implique de se situer dans un référentiel d’espace et de temps élargi et oblige désormais à construire simultanément habitat humain et habitat terrestre, ce qu’elle nomme mouvement de « terrestrialisation » des politiques urbaines. Sur un plan plus opérationnel, elle souligne également l’importance des innovations que suppose la construction d’une ville sans l’utilisation d’énergie fossile par exemple. Cyria EMELIANOFF précise toutefois que le fonctionnement actuel des villes, au nord comme au sud, est bien éloigné d’une durabilité urbaine. Elle rappelle d’ailleurs que les premières théories sur le développement durable, notamment dans le livre vert sur l’environnement urbain qui constitue un moment clé dans l’histoire de ces principes, faisaient justement état de la crise multi‐dimensionnelle de la ville, appuyé sur l’expérience du déclin des villes britanniques. Par ailleurs et de façon plus personnelle, elle s’interroge sur la capacité de la ville actuelle à répondre aux attentes sensibles des être vivants. Enfin, si la ville ne satisfait pas aux besoins internes de ses habitants en termes de bien‐être, la ville est aussi, selon Cyria EMELIANOFF productrice d’externalités environnementales, les réglementations mises en place pouvant même, parfois, accroître ces externalités (délocalisation des usines polluantes, etc.) ; externalités subies en priorité par les populations les plus vulnérables. D’un point de vue plus théorique, Cyria EMELIANOFF et Marie‐Flore MATTEI s’accordent cependant pour dire que le principe de durabilité invalide les grands modèles urbanistiques antérieurs, et plus particulièrement le mouvement moderne et les principes hygiénistes. Marie‐Flore MATTEI et Michelle SUSTRAC soulignent l’épuisement – dans tous les sens du terme – des modèles anciens : perte de confiance dans le progrès, dysfonctionnements des modes de vie et des fonctionnements urbains d’un point de vue écologique, épuisement des ressources environnementales et collectives. Développement durable : hantise réactionnaire ou nouvelle utopie concrète ? Marie‐Flore MATTEI interroge dans son intervention le projet de société porté par le discours sur le développement durable. De son point de vue, celui‐ci ne constitue pas un
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grand récit comme d’autres modèles ayant façonné la ville, notamment les principes modernes, ont pu l’être. Elle va même plus loin en émettant l’hypothèse que le développement durable est le contraire d’une utopie : il ne projette pas l’avenir, mais entend plutôt donner des outils pour aller vers l’avenir avec le moins de dommages possible. Selon elle, la ville durable et les éco‐quartiers répondent à une vision conservatrice de la société où l’on interroge le présent pour construire l’avenir et ou ce dernier n’apparaît plus comme une promesse, mais plutôt comme une menace, une hantise. Contrairement aux récits utopiques, le développement durable ne recherche pas le meilleur mais cherche à éviter le pire. Son action se situe essentiellement dans la restauration, la réparation et la préservation. Si plusieurs participants s’accordent à ce point du vue, Christian MOLEY fait toutefois remarquer que l’Etat, et le PUCA par le biais de ses appels d’offres, tente néanmoins de fabriquer de l’utopie à partir du développement durable, en essayant par exemple de concilier maison individuelle et économie foncière à travers l’invention de catégories hybrides comme la « villa urbaine durable » ou l’ « habitat individuel dense » qui ne correspondent ni à une culture ni à une demande. Selon lui, il est possible de jalonner toute l’histoire du PUCA de tentatives de concilier de façon vertueuse des logiques contraires, dans un mouvement utopique d’invention de nouvelles catégories. Cyria EMELIANOFF, si elle se méfie du terme utopie parce qu’il présuppose une disqualification des projets (« ça ne pourra pas exister »), défend l’idée que certains éco‐quartiers, notamment ceux conçus par les habitants qui y vivent, constituent des utopies concrètes. A Eva‐Lanxmeer (Pays‐Bas) par exemple, certains biens sont mutualisés, la gestion des espaces extérieurs se fait en bien commun, l’impact environnemental en ce qui concerne l’eau est nul, il y a 30% d’habitat social, un institut d’handicapés mentaux… Les éco‐quartiers : présentisme iconique et nouvelle légitimité technique François MENARD réagit à ce propos et apporte une précision sur cette dénomination utopique : il reconnaît que le développement durable n’est pas une utopie, si celle‐ci correspond à la construction d’un horizon d’attente, aux côtés de l’eschatologie ou du progressisme itératif. Cependant, il n’est pas non plus, selon lui, l’envers d’une utopie ou une conception restauratrice et passéiste de l’action. François MENARD pense plutôt que le développement durable se situe paradoxalement dans deux régimes d’historicité différents, difficilement conciliables : le premier étant une sorte de conséquentialisme à long terme – on agit aujourd’hui pour préserver les ressources de demain –, le second un régime très présentiste où les références ne sont plus utopiques mais iconiques. François MENARD fait en effet allusion aux éco‐quartiers célèbres, comme Vauban à Fribourg ou BedZED en Angleterre, qui constituent des images complètes, des formes idéales qu’il convient de reproduire et qui constituent les nouvelles normes de la conception urbaine. Loïc JOSSE, pour prolonger ce propos, se demande même si les éco‐quartiers ne sont pas devenus les nouveaux modèles de vie radieuse, une nouvelle modernité qui viendrait remplacer le modèle des grands ensembles aujourd’hui si décrié. Il fait un parallèle entre les discours très laudatifs entendus sur les éco‐quartiers et ceux produits à propos des grands ensembles dans les années cinquante, et se demande, en citant Henri Coing, si le développement durable n’est pas l’élément clé d’une nouvelle légitimité pour les professionnels de l’urbanisme. Dans un contexte de rénovation urbaine où il s’agit plus de
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soigner des quartiers qui vont mal, de les faire revenir à la ville banale, que d’apporter des idées nouvelles, le développement durable apparaît comme l’élément de modernité qui va contribuer à légitimer les projets. S’il reconnaît effectivement que le prisme du développement durable apporte des éléments positifs, notamment parce qu’il permet de se poser des questions nouvelles et d’aborder la conception urbaine un peu différemment, il s’inquiète cependant de la dérive techniciste associée à l’évaluation de la durabilité, qui consiste essentiellement à quoter les projets à l’aune de grilles d’objectifs (cibles HQE, norme ACE, facteur 2/3/4…). L’euphorie actuelle à l’encontre des éco‐quartiers et du développement durable cache pour lui une nouvelle idéologie techniciste qui perverti les véritables enjeux urbains, réduit les expériences à leur dimension iconique et introduit un risque d’impérialisme urbain lié à la reproduction de ces modèles. Controverse autour de la modélisation de la durabilité Un débat s’engage entre les participants autour de la question de l’émergence de nouveaux « modèles » urbanistiques. Cyria EMELIANOFF s’interroge sur la pertinence d’une modélisation et inclut dans le rejet du mouvement moderne celui d’un système reposant sur un modèle reproductible. Elle défend une philosophie pragmatique reposant sur l’expérimentation et l’émergence de savoirs décentralisés. Selon elle, il existe autant de modèles de villes durables que d’expériences, et ces savoirs ne sont plus l’apanage d’experts ou de chercheurs, mais d’habitants et de militants ou d’acteurs de terrain. Elle réfute la pertinence des référentiels que tentent de construire les institutions, généralisables et applicables a priori quelle que soit l’opération, en soulignant le risque de dérive normative, peu compatible avec la complexité de la mise en œuvre d’un développement durable. Le développement urbain durable ne doit pas, à ses yeux, se résumer à une série d’attributs, mais doit rester une démarche qui s’invente essentiellement sur le terrain, en engageant un apprentissage collectif. Plusieurs participants réagissent face à ce point de vue : François MENARD rappelle que le pragmatisme est déjà en soi un modèle et que l’expérience locale, même multipliée, est insuffisante pour construire des politiques publiques à la hauteur des enjeux climatiques ; Renaud EPSTEIN défend l’intérêt des généralisations conceptuelles pour construire des grilles de compréhension du monde, notamment lorsqu’il s’agit de mettre en place des politiques publiques d’envergure ; Christian MOLEY souligne l’intérêt, notamment dans le cadre d’un enseignement en architecture, de réfléchir en termes de modèles urbains, pour pouvoir mener une réflexion critique comparative et éviter de se limiter à un référentiel purement technique (type cible HQE) ; Jérôme BOISSONADE souligne que la démarche HQ2R est une sous‐théorisation aujourd’hui reprise par de nombreux laboratoires de géographie et d’urbanisme ; Loïc JOSSE prolonge ce propos en mettant en garde contre le danger d’ériger en modèle quelques références iconiques d’éco‐quartiers à défaut de construction théorique. Comment passer des expériences micro‐locales aux politiques publiques ? Cyria EMELIANOFF défend l’intérêt des expériences exemplaires : pour elle il s’agit de prototypes qui permettent d’expérimenter de nombreux aspects en matière d’urbanisme,
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de gestion écologique ou d’organisation sociale, d’incarner à un moment donné des principes, pour servir ensuite de source d’inspiration. François MENARD, Jérôme BOISSONADE et Emilie BAJOLET soulignent que dans un contexte de prise de conscience politique des enjeux de durabilité et de mise en place de politiques publiques nationales et européennes, l’expérimentation micro‐locale n’est plus à la mesure des enjeux et que la mise en place de politiques pertinentes nécessite de formaliser conceptuellement les principes de durabilité. Pour François MENARD, l’expérimental généralisé fait écran aux véritables leviers de transformations qui permettraient d’atteindre les objectifs politiques fixés. Renaud EPTSEIN rappelle que l’objectif d’une instance comme le PUCA consiste bien à capitaliser, analyser et théoriser les micro‐expériences et les savoirs locaux pour les dépasser et nourrir ainsi les politiques publiques qui se mettent en place. Tous s’interrogent sur les conditions de possibilité d’une montée en généralité des principes appliqués dans les opérations exemplaires : que faut‐il garder de ces expérimentations ? Faut‐il ou non construire des référentiels ? Cyria EMELIANOFF, quant à elle, s’interroge sur l’efficacité des référentiels techniques en lieu et place d’engagements politiques qui pour l’instant ont seuls produits des résultats, et se demande si toute tentative de standardisation ne se traduit pas par une réduction techniciste de l’approche. De son point de vue il est très grave de ne pas prendre en compte la singularité des expériences. D’ailleurs, pour elle, la phase d’expérimentation ne s’achève pas actuellement, mais se déplace en permanence. Par ailleurs, la ville durable n’est pas un objectif qui peut être atteint par une panoplie de normes, mais une démarche politique et globale. Elle reste, somme toute, un horizon lointain. Par conséquent, la récupération technocratique du développement durable est vouée à l’échec, puisque ce ne sont pas les dispositifs techniques qui importent mais bien l’évolution des modes de vie. François MENARD convient en effet de la difficulté française à construire des référentiels pertinents et opérationnels, et du statut problématique du passage de la théorie à la pratique. Cependant, il refuse, tout comme Jérôme BOISSONADE de considérer que toute théorisation se traduit par une réduction et que tout effort en ce sens doit, de ce fait, être abandonné. Pour conclure ce débat, Michelle SUSTRAC précise que ce qui doit constituer le modèle du développement durable ne correspond ni à des formes, à des typologies ou à des cibles environnementales, mais bien à une démarche. Penser le développement urbain durable comme un processus de réflexion préalable à toute construction permet de solutionner cette question de la généralisation. Un repositionnement du jeu d’acteurs A l’occasion des débats précédemment synthétisés, une discussion s’engage sur la nécessité d’analyser les jeux d’acteurs sous‐jacents à la mise en place du discours et des pratiques de durabilité. Jérôme BOISSONADE et Renaud EPSTEIN soulignent qu’évoquer le développement durable uniquement de manière désincarnée, soit par le biais de ses principes théoriques soit par celui d’expériences historiquement décontextualisées, conduit à passer à côté de sa dimension éminemment politique. Ils évoquent tout deux notamment, en écho à Marie‐Flore MATTEI, l’évolution du rôle des élites technocratiques dans la légitimation de ce discours.
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Marie‐Flore MATTEI faisait en effet allusion dans son intervention, à l’occasion que l’organisation de la ville durable représente aujourd’hui pour les praticiens et les concepteurs de la ville de se ressaisir de l’objet ville en réintégrant des éléments de planification. Renaud EPSTEIN convient lui aussi qu’après la fin de la grande période planificatrice des Trente Glorieuses, les acteurs historiques de la production urbaine publique, et tout particulièrement le corps technique des Ponts et Chaussées, avaient perdu leur position dominante en se dispersant dans diverses instances (groupes de services urbains, cabinets d’ingénierie, groupes de BTP) et que s’ils ont continué à faire la ville durant la période des années 1980‐1990, ils trouvent dans la conjonction actuelle rénovation urbaine/développement durable une occasion nouvelle de réaffirmer leur position. François MONJAL, quant à lui, évoque la saisie par les acteurs privés de l’urbain – notamment les promoteurs immobiliers – du discours sur le développement durable. Dans ce contexte, Jérôme BOISSONADE insiste sur l’enjeu que représente l’investissement des chercheurs dans ce domaine pour éviter une confiscation du sujet par les acteurs techniques et technocratiques. Cyria EMELIANOFF met plutôt l’accent sur le rôle grandissant des villes comme pouvoir politique à l’échelle mondiale et leur capacité à court‐circuiter les instances nationales. Elle évoque plusieurs réseaux de ville (Campagne des villes européennes durables, associations internationales de collectivités locales comme ICLEI ou l’Alliance Climat) qui ont développé très en amont des politiques de durabilité et des expériences opérationnelles à l’appui d’un portage militant et politique local fort. Elle insiste sur le rôle de la mise en réseau des villes pour diffuser les actions locales et les répercuter sur des échelles d’action plus larges. Elle souligne également l’enjeu politique qu’ont représenté ces politiques pour les pouvoirs urbains. Jérôme BOISSONADE, en prolongement, souligne le lien existant entre les acteurs ayant porté les principes de la gouvernance il y a quelques années et ceux qui sont vecteurs des politiques de développement durable aujourd’hui. Par ailleurs, Cyria EMELIANOFF, dans son intervention, souligne l’importance des parcours individuels de militants dans la constitution des politiques de durabilité. Elle montre notamment l’influence prépondérante des mouvements d’écologie politique et des environnementalistes pour développer des actions allant progressivement de l’échelle la plus locale aux instances européennes. A l’appui de plusieurs exemples, elle fait le récit de cette montée en niveau des actions, dont le point de départ était bien souvent associatif (c’est d’ailleurs le cas de l’association HQE). Les principes de la ville durable Si le terme de « modèle » suscite une controverse entre les participants, en revanche, il semble possible de déceler quelques principes urbanistiques récurrents, quelques apprentissages collectifs qui s’imposent aujourd’hui lorsque l’on parle de ville durable. Marie‐Flore MATTEI rappelle que si le principe de durabilité implique des notions de justice, de réduction des inégalités, de démocratie participative et de mixité fonctionnelle et sociale, ce qui constitue l’impératif majeur pour les villes est la réduction de leur impact environnemental. Or, c’est l’étalement urbain qui est reconnu aujourd’hui comme le plus grand facteur d’externalités : impact des consommations foncières sur les espaces naturels, allongement des réseaux et des coûts pour la collectivité, allongement des temps de transport, dépendance automobile accrue… la ville durable se doit en priorité d’être plus
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économe en énergie et en espace, c’est donc un modèle morphologique, celui de la ville compacte qui s’est d’abord imposé dans l’imaginaire de la ville durable. Le modèle rhénan permet de développer, à l’appui d’un réseau de villes d’importance limitée, les transports collectifs et les modes non motorisés, et d’opter pour une réglementation limitant l’urbanisation des zones rurales environnantes. Outre ce principe de compacité, des notions comme celles d’évolutivité et de réversibilité semblent émerger. Marie‐Flore MATTEI souligne que l’on s’intéresse de plus en plus, du fait des principes de responsabilité et de solidarité avec les générations futures, au devenir de la ville, à son inscription matérielle dans le temps et à sa capacité à se recycler, à revenir à un état antérieur sans dégradation et sans passage par l’obsolescence. La ville durable s’inscrit donc dans un nouveau rapport, à la fois à l’espace et au temps. Des options vertueuses récurrentes Au niveau de la conception urbaine également, il semble que plusieurs principes soient très régulièrement mis en œuvre dans les villes ou les quartiers dits durables. Loïc JOSSE, à l’appui de la présentation de l’opération Beauregard à Rennes dont il a été le concepteur dans les années 1990, précise quelques‐uns de ces principes, tout en soulignant que ceux‐ci ont été mis en œuvre avant même que les termes « développement urbain durable » ou « éco‐quartiers » ne soient usités. Parmi ces principes, ceux d’anticipation à long terme et de maîtrise foncière, de densité et de mixité fonctionnelle et sociale avaient déjà été expérimentés de longue date par la ville de Rennes. L’équipe de conception avait, de son côté, proposé dans le cadre de cette opération, un travail poussé sur deux autres principes. D’une part, la présence végétale dans ce quartier urbain : maintien des trames bocagères pré‐existantes et d’éléments à l’état sauvage, création d’îlots privatifs entièrement végétalisés, d’un grand parc urbain… ; d’autre part, le partage des voiries : création de cours urbaines végétalisées à la fois piétonnes et dédiées au stationnement, partage des voies de circulation entre les différents modes, trames de déplacement doux… Cette opération a aussi été l’occasion de mettre en œuvre les premiers cahiers des charges rennais pour l’économie d’énergie, aujourd’hui généralisés à toute la ville et imposés aux promoteurs, avec des exigences de plus en plus fortes. Cyria EMELIANOFF confirme que les principes d’intégration naturelle et paysagère (trames bocagères, gestion des eaux par des noues paysagères, jardins et espaces végétalisés) sont très fréquemment mis en œuvre dans les éco‐quartiers européens. Pour Christian MOLEY il semble en effet que de plus en plus d’opérations dites durables tentent de concilier deux enjeux : d’une part celui de la ville compacte qui viserait la densité et d’autre part la cité‐jardin intégrant une nature hiérarchisée dans les tissus. La ville durable serait donc une conciliation dialectique entre deux objectifs a priori contradictoires : densification et dédensification par l’apport de nature, d’air et de lumière. Principes durables et production ordinaire de l’urbain La présentation de l’opération Beauregard suscite des réactions sur la généralisation et la banalisation actuelle des principes urbanistiques énoncés comme spécifiquement « durables ». Tout d’abord, plusieurs participants (François MONJAL, Christian MOLEY) et Loïc JOSSE lui‐même soulignent l’antériorité des principes mis en œuvre à Rennes vis‐à‐vis des affichages
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« durables » actuels, et la multiplicité des sources d’inspiration de la ville et des concepteurs, au‐delà des références iconiques d’éco‐quartiers : cité‐jardin, ville‐parc, tradition de densité urbaine ancienne…. Par ailleurs, François MONJAL souligne que n’importe quelle opération d’urbanisme intègre aujourd’hui ces principes novateurs d’hier, et que rien, dans le plan masse, ne permet plus de distinguer un éco‐quartier labellisé d’un quartier de ZAC ordinaire. Il s’interroge donc sur la banalisation des principes de durabilité et leur appropriation par les producteurs de l’urbain. Cyria EMELIANOFF apporte un bémol, en soulignant la spécificité, dans certains cas, de la démarche participative des éco‐quartiers dont les habitants sont à l’origine, ce qui, de son point de vue, transforme les modes d’appropriation et de conception des espaces, notamment extérieurs. Michelle SUSTRAC se demande si le principe d’évolutivité du quartier et des logements fait partie des éléments intégrés par les promoteurs aujourd’hui, ce à quoi Loïc JOSSE répond que les produits logements, malgré des cahiers des charges vertueux allant dans ce sens, restent largement stéréotypés. Il souligne par ailleurs que l’évolutivité des éléments du projet au cours de sa réalisation reste une des conditions de durabilité qui n’est pas encore intégrée aux pratiques professionnelles, et qui devrait être plus développée. En revanche, il montre bien, à travers sa présentation, que les niveaux d’exigence en matière de gestion environnementale et de performance énergétique ont considérablement augmentés depuis une quinzaine d’années. Relations entre ville durable et renouvellement urbain Alors qu’un lien évident semblait exister à l’origine entre l’objectif de durabilité et le fait de refaire la ville sur la ville (critique conjointe des règles antérieures de l’urbanisme et principes communs : économie de foncier, optimisation des espaces déjà artificialisés, dépollution, réduction des fractures urbaines ; voire coexistence dans les mêmes textes), que la ville renouvelée apparaissaient comme l’une des principales modalités opérationnelles du développement urbain durable, Emilie BAJOLET se demande, en introduction à cette séance, si ces deux modèles sont aujourd’hui toujours aussi intimement imbriqués et s’ils n’ont pas, au contraire, mis en place des référentiels distincts. François MENARD rappelle que le parc de logement français se renouvelle au rythme de 0.1% par an et que si tout le monde s’accorde à dire que le travail sur l’existant est le problème central, l’essentiel de la traduction en acte du développement urbain durable aujourd’hui porte sur la construction neuve. Il s’interroge donc sur la manière de faire masse, notamment sur les questions climatiques. François MONJAL poursuit cet argument : la quantité de logements dont on parle lorsque l’on évoque les quelques éco‐quartiers emblématiques est quantité négligeable en comparaison avec le stock de logements existants. Cyria EMELIANOFF précise que de nombreux éco‐quartiers se sont fait sur des friches et que les réflexions sur la réhabilitation thermique des bâtiments sont de plus en plus nombreuses en Europe. Loïc JOSSE évoque les expériences de développement durable qui se mettent en place dans les opérations de renouvellement urbain, notamment ANRU.
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Une réduction du développement durable à l’impératif environnemental ? Une des questions posées en introduction de cette séance ressortissait à la crainte que la mise en œuvre opérationnelle du développement urbain durable réduise celui‐ci essentiellement aux questions environnementales et que, progressivement, les préoccupations économiques et sociales, ainsi que les enjeux démocratiques et délibératifs soient laissés de côté, au profit d’analyses expertes et de dispositifs techniques normatifs. Si Cyria EMELIANOFF rappelle que le principe de justice environnementale induit théoriquement une politique sociale de solidarité et suppose des enjeux économiques, elle partage avec plusieurs participants, une inquiétude sur le dérapage technologique que subissent actuellement les politiques de développement durable. Elle fait l’hypothèse que c’est le cloisonnement entre nos représentations écologiques et sociales qui est, en partie, à l’origine de ce tropisme environnemental. De la convivialité écologiste à l’injonction normative François MENARD rappelle qu’une autre des hypothèses de cette séance était que, du fait de l’urgence climatique de plus en plus palpable, nous étions passés en quelques années d’une pratique conviviale et prometteuse d’un mieux vivre écologique à une injonction normative à « vivre durable ». Si Cyria EMELIANOFF relève l’importante demande pour vivre dans les éco‐quartiers, Emilie BAJOLET rappelle que la réalité statistique en matière de demande d’habitat et de transport individuels reste fort différente de ce modèle. Dans ce contexte, n’a‐t‐on pas tendance à imposer – comme cela a déjà été le cas par le passé dans les politiques urbaines – des modes de vie inventés par les élites et les expérimentateurs ? Loïc JOSSE, au travers de la présentation de l’expérience de Beauregard, souligne le décalage vécu, du moins durant les premières années de l’opération, entre ce qu’avaient imaginé les concepteurs pour le quartier et ses usages réels, concernant notamment l’appropriation des espaces naturels. Pour Cyria EMELIANOFF, la seule façon d’éviter que le développement durable ne devienne une approche normée, condamnée par l’absence d’appropriation, est d’associer dès l’amont les habitants à la conception urbaine. Nouvelle éthique morale et individualisation du politique Par ailleurs, Cyria EMELIANOFF refuse de parler d’injonction lorsque des acteurs militants se sont employés à construire des politiques de développement durable innovantes ou lorsque les habitants ont fait eux‐mêmes le choix de vivre dans un éco‐quartier et que ce mode de vie leur permet de vivre plusieurs formes de réconciliation avec le monde, sur un mode sensible (émotif, esthétique) et politique (impression de vivre plus en accord avec ses idées, sentiment de déculpabilisation). Jérôme BOISSONADE est particulièrement gêné par cette dimension morale du développement durable qui fait justement de lui une injonction. D’autant plus si tout ce que l’on peut dire et faire est désormais mis au service de cette dimension morale. Citant les travaux de Boltanski sur le nouvel esprit du capitalisme, il se demande même si cette morale de la durabilité n’est pas devenue un des derniers avatars du capitalisme pour justifier l’engagement de chacun.
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Plutôt que de morale, Cyria EMELIANOFF préfère parler d’éthique de co‐responsabilité chez des sujets conscients des impacts causés par leurs modes de vie. Selon elle, les initiatives de l’individu pour modifier ses habitudes ainsi que ses engagements militants lui permettent de réduire ses dissonances cognitives. Habiter un éco‐quartier et ne plus se déplacer en voiture en font partie. François MENARD fait part de son malaise vis‐à‐vis de cette traduction de la responsabilité, face aux générations futures et au destin de la planète, par une forme d’engagement individuel. Ce mouvement de responsabilisation accompagne bien, selon lui, le slogan « penser global, agir local », cependant il se demande si ce type de posture éthique, dont le ressort est la culpabilité, n’est pas dilatoire par rapport à un certain nombre d’enjeux. Dans un contexte de dé‐légitimation des instances politiques paritaires et nationales, Cyria EMELIANOFF reconnaît qu’il y a un déplacement du politique à l’intérieur de l’individu. Citant Dewey, elle défend l’idée du politique comme expérience et apprentissage qui interpelle l’individu à travers tous ses gestes. Cependant elle reconnaît la limite de cette individualisation éthique et valorise l’agir collectif communautaire. Seul, l’individu qui choisit un mode de vie différent se heurte à de la conflictualité qui écrase ses ambitions initiales ; collectivement il est possible d’aller plus loin dans la réforme des modes de vie, grâce à des processus d’émulation et d’engagement. Pour illustrer son propos elle cite l’expérience des habitants des éco‐quartiers Vauban à Fribourg ou de Eva‐Lanxmeer au Pays‐Bas, mais aussi celle des militants altermondialistes. Le débat reprend sur l’absence, dans ce discours, de l’échelle des politiques publiques plus larges et sur les limites des expériences communautaires (cf. supra).
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Atelier 5
Nouvelles temporalités de l’action spatiale : une condition incertaine ?
Attendus précédant la séance
« Agir dans un monde incertain », voilà qui ressemble bien à un nouveau paradigme de l’aménagement, à la fois requis et subi. A l’inverse de la « pensée forte » de l’urbanisme, forte notamment de ses prévisions, de ses moyens d’action et d’encadrement, se déploie une « pensée faible » (Vattimo, via Chalas, L’invention de la ville, 2000) tantôt valorisée, tantôt critiquée. Les nouveaux principes de l’urbanisme appelés par F. Ascher mettent ainsi en avant la réflexivité, la précaution et la flexibilité comme caractéristiques d’un néo‐urbanisme ne dissociant dès lors plus clairement les phases amont et aval, diagnostic et réalisation… La planification des années 1960‐70 est alors sévèrement remise en cause à une période où l’Etat tend à se retirer du jeu. Comment comprendre l’assertion « accepter l’incertitude » ? Comme une fatalité – « adapte‐toi sinon meurs » ‐ ou bien comme le ressort d’une action revigorée ? C’est la principale question abordée au cours de ce séminaire. On essaiera dans la mesure du possible de mettre en évidence quelques paradoxes de la « condition incertaine » notamment en rediscutant des aspects de la « cité par projet » comme nouvelle métaphysique politique et nouvelle économie de la grandeur. Quelles sont les épreuves temporelles que nous devons relever et peut‐on témoigner de stratégies pour une fabrique urbanistique en mesure de réhabiliter le ménagement, la lenteur ou encore la durée publique ? Plus concrètement, nous pouvons revenir sur certains paradoxes de la condition incertaine : alors que la financiarisation de l’aménagement urbain déroute les formes établies de la planification, peut‐on identifier des acteurs gagnants et perdants et avec quelles conséquences pour les pouvoirs publics ? Si l’Etat n’est plus le maître des horloges, comment les conflits de temporalité sont‐ils régulés ? Si l’incertitude a pu générer un domaine comme celui de la prévention des risques ainsi qu’un principe, celui de précaution, comment la penser comme valeur positive pour l’action c’est‐à‐dire susceptible de déclencher des transformations volontaristes ? La théorie du « catastrophisme éclairé » est‐elle utile pour l’aménagement ? A certains égards, le monde n’est‐il pas trop certain (absence d’utopies concrètes mobilisables), ce dont témoigneraient des formes d’engagement qui s’appuient beaucoup moins aujourd’hui sur la critique sociale pour privilégier l’éthique ? Comment les cultures professionnelles intègrent‐elles la mutabilité et l’incertitude, ont‐elles troqué des routines contre des « bonnes pratiques » non moins standardisées ? Les temporalités
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habitantes, dans cette condition, sont‐elles dominées ou plutôt en phase avec les évolutions évoquées ? Ces questionnements renvoient à des enjeux de posture, ils supposent aussi l’identification de marges de manœuvre au sein des conditions de l’action spatiale contemporaine. Synthèse de la séance
Propos introductifs Michelle SUSTRAC introduit l’atelier en proposant, tout d’abord, une relecture des interventions qui, lors des précédentes séances, ont abordé les questions de temporalité et qui peuvent enrichir les débats du jour. Elle évoque notamment les deux dernières séances, dont les débats ont conduit plus directement que les autres aux thèmes de réflexion de la présente séance. Lors de l’atelier consacré à « la pensée de la diversité dans le renouvellement urbain », Virginie Milliot interrogeait la diversité en termes de processus structurant et évoquait les réajustements à l’œuvre dans les dynamiques sociales, à l’appui des travaux d’Isabelle Stengers, en défendant l’idée d’une construction complexe et en transformation permanente de notre monde commun, cette construction étant donc bien l’œuvre du temps, des différents temps de la ville. Virginie Milliot, dans ce contexte, appelait à mieux introduire dans la recherche l’observation de ces différentes temporalités. Gilles Suzanne, quand à lui, parlait des processus de métropolisation et montrait, à travers l’exemple de la Plaine à Marseille, que tout espace peut acquérir une valeur centrale, c’est‐à‐dire par le déploiement des usages, une valeur d’attractivité ; en introduisant la notion de « renouvellement à compte d’auteur » pour désigner les évolutions progressives des quartiers suscitées par leurs usagers. L’atelier consacré à la thématique du développement durable a donné l’occasion de s’interroger sur les nouveaux rapports au temps impliqué par cette notion : dorénavant, alors que la prise en compte du long temps terrestre est de plus en plus prégnante, que devient l’inscription temporelle de la ville dans un monde qui ne serait plus une offre inépuisable de futur mais un conservatoire aménagé ? L’atelier de ce jour, intitulé « les nouvelles temporalités de l’action spatiale, une condition incertaine » autorise, aux yeux de Michelle SUSTRAC, à remettre à plat les fondements de nos représentations et de nos pratiques en interrogeant ce que l’on fait du passé, de la transmission, de l’apprentissage, dans un contexte où le futur ne peut plus être soumis ou remis au progrès technique, et où la part d’indétermination peut autant être le volet négatif d’une société perdue qu’au contraire la part lumineuse de possibles à identifier, en gestation. Plus généralement, la question que pose le renouvellement des villes est, selon elle, celle des temps, de leur foisonnement, de leur côtoiement, de leurs frictions : temps relativement bref du projet après un temps long de gestation et d’attente, temps indéterminé et viabilité incertaine des villes conçues dans un mouvement massifié et uniforme, temps des usages… Car si, dans les villes anciennes, on a affaire à des strates successives entrelacées où les mutations semblent se faire dans la douceur, Michelle SUSTRAC se demande quelle est la capacité des opérations de renouvellement des grands
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ensembles à faire surgir des libertés d’usage, des complexités, à laisser cohabiter des temporalités différentes et faire émerger des poches spatiales d’incertitude volontaire. Elle insiste notamment sur la richesse potentielle des interstices urbains en les comparant à du compost qui, mis de côté comme détritus, sont, in fine, utilisés comme ferment. Elle s’interroge ainsi sur la place de ces espaces d’indétermination fertiles dans la ville contemporaine. Michelle SUSTRAC propose ensuite de revenir sur la définition d’un certain nombre de termes entre lesquels les débats de la séance vont naviguer. Le terme « incertain », qui désigne ce qui n’est pas fixé ou déterminé à l’avance, contient également les notions de danger, de précarité ou d’insécurité : ce qui n’est pas sûr, sur lequel on ne peut s’appuyer. « Incertain » signifie aussi ce qui n’est pas clair, qui n’a pas une forme nette, et qui peut muter. Enfin, il implique le doute, voire l’inquiétude, lorsqu’il s’applique à des personnes. Ainsi ce terme aurait une connotation plutôt négative ; cependant, Michelle SUSTRAC se demande s’il n’est pas possible de se saisir de l’incertitude comme d’un moteur, dans une visée dynamique pour en faire quelque chose de positif. Elle rappelle qu’ « interstice » désigne un intervalle de temps avant d’être un espace vide et que la « précarité » est une notion juridique avant d’être une notion sensible : est précaire ce qui ne s’exerce que par une autorisation révocable dont l’avenir et la durée ne sont pas sûres. L’ « indétermination » enfin est une notion très voisine particulièrement ouverte. Michelle SUSTRAC achève cette introduction en listant les questions qu’elle aimerait voir débattues : Est‐ce que c’est la condition des projets urbains, de leur effectuation et de leur insertion qui est incertaine ou est‐ce que c’est le contenu même des projets qui devrait laisser de l’incertitude ? Est‐ce que ce qui est incertain, c’est la diversité des usages et leur transmission, leur porosité ou est‐ce que c’est l’impossibilité de déploiement de ces usages ? Est‐ce que ce qui est incertain aujourd’hui, c’est la capacité de produire de l’indéterminé plutôt que du certain ? N’assiste‐t‐on pas à une précarisation généralisée de l’activité humaine, contexte dans lequel les concepteurs et les aménageurs n’ont plus la certitude de la longue durée ? Elle conclut à l’appui d’une phrase de Bruno Latour évoquant les précarités contemporaines : « nous n’avons pas réellement la géographie mentale qui correspond au monde dans lequel nous vivons ». Synthèse des interventions Laurent DEVISME propose une intervention de cadrage, à partir de deux lectures théoriques, éloignant un peu le propos de son cadre spatial et urbain, mais permettant d’y revenir intellectuellement outillé : Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello, et La culture du nouveau capitalisme de Richard Sennett. Dans Le nouvel esprit du capitalisme, les deux auteurs décrivent les raisons d’agir au sein d’un monde du travail dominé par la flexibilité, qui a tendance à reporter sur les salariés le poids de l’incertitude marchande. Ces sociologues reviennent sur les « épreuves » qui nous font entrer dans le monde du travail et notamment, les plus difficiles, les épreuves peu apparentes, peu spécifiées, peu contrôlées et peu stables. Ils interprètent la difficulté contemporaine à se projeter dans l’avenir comme une difficulté à se situer dans un monde
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connexionniste mettant en scène le conflit entre, d’une part, les normes, particulièrement explicites dans les mondes domestiques et industriels, valorisant ce qui tient dans la durée et, d’autre part, la condition humaine dans un monde flexible, quand les êtres se modifient au gré des situations qu’ils rencontrent. « La cité par projet », qui est celle de la nouvelle économie de la grandeur, est dominée par la notion de déplacement : « Par opposition à la catégorisation, le déplacement se passe de la référence à des conventions et ne suppose ni extériorité, ni généralité. La logique du déplacement ne connaît qu’un seul plan, le déplacement est donc toujours local, événementiel, circonstanciel, il se confond donc facilement avec le hasard et se contente d’une réflexivité limitée. ». La deuxième partie du livre est consacrée à l’identification des critiques adressées au capitalisme qui, en constituant un certain nombre d’épreuves, l’ont fait évoluer. Laurent DEVISME souligne que la critique artiste, incarnée par les artistes parisiens de la deuxième moitié du XIXème siècle, a fait de l’incertitude un style de vie et une valeur, en défendant la possibilité d’avoir plusieurs identités, de s’affranchir de toutes les passions, en rejetant toute dette originelle. Si cette critique a été intégrée dans le système de pensée capitaliste et fait aujourd’hui partie de l’appareillage dominant des manières de faire et de voir, elle reste un parti‐pris théorique intéressant la séance d’aujourd’hui. Dans son ouvrage La culture du nouveau capitalisme, Richard Sennett identifie l’évolution des institutions depuis quarante ans, et notamment l’émergence d’un pensée en termes de récit de vie (story telling). Il développe notamment l’idée que le développement linéaire des parcours de vie a été remplacé par une tournure d’esprit « toujours en éveil », les individus étant prompts à aller voir ailleurs en cas d’échec. Richard Sennett compare l’ancienne « pyramide bureaucratique » avec ce qu’il appelle les organisations « de l’arrête tranchante », c’est‐à‐dire le capitalisme : « Un vice de l’ancienne pyramide bureaucratique tenait à sa rigidité, ses postes fixes, le fait que chacun savait exactement ce que l’on attendait de lui ; la pyramide avait cependant sa vertu, l’accumulation de connaissances sur la façon de faire sur laquelle marchait le système, grâce à laquelle on savait quand faire des exceptions aux règles ou mettre sur pied des arrangements d’arrière‐plan. ». Il précise que le travail sur « l’arrête tranchante » désoriente deux éléments clés de l’ancienne éthique du travail, la gratification différée et la réflexion stratégique à long terme : « Il faut être capable de se projeter dans le futur en imaginant ce que l’on pourrait faire en brisant contexte et référence. Dans le meilleur des cas il s’agit d’un travail d’imagination, au pire, cependant, cette recherche du talent coupe toute référence à l’expérience ainsi qu’aux chaînes de circonstances, évide les impressions des sens, dissocie l’analyse de la croyance, ignore la colle de l’attachement émotionnel, pénalise l’approfondissement. » Laurent DEVISME rapproche cet argumentaire des analyses de Zigmunt Bauman sur la « modernité liquide », où dominent les logiques processuelles ; l’écho de ces théories se retrouve également dans les travaux d’Ulrich Beck ou de Michel Callon et Pierre Lacousmes. Pour lui, ces références théoriques stimulantes, permettent de prendre acte de la fin des certitudes et des havres sûrs dans les organisations et de décrire des évolutions structurelles qu’il est aussi possible d’identifier dans le monde de l’urbanisme. Ces travaux permettent notamment de faire la distinction entre incertitude et risque. Si les règles de l’action « risquée » reposent sur une incertitude probabilisable et la possibilité de faire des paris, dans un régime incertain les règles de l’action sont beaucoup moins assurées.
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Laurent DEVISME fait le lien entre ces analyses et celles de François Ascher dans Les nouveaux principes de l’urbanisme, ouvrage dans lequel il défend l’idée que les risques sont construits socialement, dans une société où, si le danger ne peut pas être évité, son degré d’acceptation est évalué et négocié. François Ascher, comme les auteurs précédemment cités, prend acte de la fin des futurs prévisibles et planifiables avec l’avènement du capitalisme cognitif, qui se traduit en urbanisme par le passage de la planification au management stratégique urbain, l’urbanisme étant désormais stratégique, pragmatique et opportuniste, la linéarité faisant place à des démarches itératives. Finalement, les positions de François Ascher et Yves Chalas sur le nouvel urbanisme, ne semblent pas, aux yeux de Laurent DEVISME aussi antinomiques que la discussion engagée entre eux pourrait le faire penser, notamment lorsque l’on examine leurs propositions respectives en termes de politiques publiques ou les propos de François Ascher sur l’urbanisme performantiel qui épouse les caractéristiques de la « cité par projet » analysée par Boltanski et Chiapello. Laurent DEVISME achève sa communication en pointant quelques questions relatives à la temporalité qui lui semblent devoir être discutées. La première relève de la rationalisation du temps et de l’ordonnancement des temporalités dans les projets urbains, qui semblent prendre une importance de plus en plus prépondérante dans les opérations d’urbanisme même les plus ordinaires, au point que la gestion des temporalités et la coordination complexe des actions dans le temps devienne l’essentiel de la mission des consultants missionnés sur les projets. Ce type de mission révèle bien la difficulté chez les opérateurs d’avoir une vision claire du déroulement des opérations et des différentes temporalités qui s’entrechoquent, parfois de manière conflictuelle : temporalité de l’urbanisme réglementaire avec ses phases imposées de concertation ; temporalité du marketing des espaces, produit du changement économique ; temporalités des acteurs de la démolition‐construction ; temporalités des mandats politiques… Laurent Devisme est ainsi frappé par l’ingénierie technique du temps qui se met en place et qui, peut‐être, empêche dans certains cas une production plus anthropologique du temps, permettant la réappropriation simultanée de ce qui se crée. La seconde question qui apparaît digne d’intérêt à Laurent DEVISME est relative à la gestion sécuritaire de l’incertitude. Pour reprendre le thème de la troisième séance, la crainte de la diversité s’exerce à plusieurs échelles : le confinement pour éviter tout type de propagation, la résidentialisation, le « neighbourhood watch », etc. Du point de vue des temporalités, il semble pertinent d’envisager la certitude autrement que sous les oripeaux d’une gestion sécuritaire et de ses différents régimes. Troisièmement, Laurent DEVISME souhaite revenir sur le mouvement de financiarisation de l’économie qui implique la domination du court terme et aboutit souvent à l’idée d’une dépossession radicale. Il nuance cette analyse associant systématiquement financiarisation et dépossession en rappelant que la financiarisation est aussi un mode de gouvernement, un langage et une représentation qui intègre des jugements sur le futur. L’exemple de Dubaï montre bien que la financiarisation de l’aménagement n’empêche pas de projeter et de faire des villes, notamment lorsqu’il s’agit d’espaces ex nihilo. La dernière question que souhaite aborder Laurent DEVISME le ramène aux analyses de Richard Sennett. Pour pallier aux déficits liés au changement structurel entre bureaucratie et capitalisme, Richard Sennett identifie trois valeurs critiques : l’utilité, c'est‐à‐dire la mise en
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avant de motifs d’engagement orientés sur la transformation et non pas seulement sur la préservation dans le futur, la notion de métier, qui permet de mieux analyser les métiers flous qui sont ceux du projet urbain ; et celle du fil narratif. Il ne s’agit pas d’un plaidoyer pour le « story telling » très utilisé par le capitalisme et le marketing contemporain, mais plutôt du maintien d’une conception matérialiste de l’histoire. Laurent DEVISME est particulièrement intéressé par cette tradition philosophique décrite par Althusser, qu’il faut distinguer du matérialisme dialectique et qui se démarque de la philosophie idéaliste, qui correspond à l’image du philosophe qui prendrait le train en marche et enregistrerait des séquences de rencontres aléatoires. Laurent DEVISME en cherchant l’équivalent urbain de ces préconisations philosophiques cite Gilles Suzanne qui évoquait lors de la troisième séance du séminaire les centralités urbaines mouvantes. Laurent DEVISME conclut son propos en rappelant que son intention était de lancer des pistes, en partant de références prenant des libertés par rapport aux théories spatiales, mais permettant de nourrir la réflexion urbaine.
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Loïc VADELORGE, avant d’entamer son intervention, souligne que son propos, en raison de son appartenance disciplinaire à l’histoire, se situe dans un cadre référentiel bien différent de celui de Laurent DEVISME et de la lettre de cadrage. D’une part, il critique les notions utilisées, comme celle de « néo‐urbanisme », de « condition incertaine », ou de « cité par projet » qui, aux yeux de l’historien, restent trop abstraites et floues pour pouvoir être utilisées. Concernant par exemple les évocations implicites d’un urbanisme à pensée forte ou à pensée faible, il signale que le qualificatif de pensée forte peut être appliqué à des lieux et des époques fort différents : l’urbanisme opérationnel des années 1950‐1960, les spéculations urbaines des sociétés utopiques des années 1830, les réalisations des villes fortifiées de Vauban au XVIIème siècle, ou dans la Rome papale du XVIème siècle. D’autre part, Loïc VADELORGE fait part de la difficulté des historiens à mobiliser les termes « néo » ou « post » appliqués à l’urbanisme ou à l’architecture, car ces termes suggèrent des ruptures franches et datées avec lesquelles, en général, les historiens ne sont pas tout à fait d’accord, car l’histoire urbaine relève pour eux du temps long. En d’autres termes, la condition incertaine des villes apparaît aux historiens comme un postulat de l’histoire urbaine tout court, de toute ville, y compris celles qui peuvent apparaître les plus cohérentes. Elle ne peut ainsi relever uniquement des incertitudes de l’urbanisme. L’histoire urbaine nous apprend que le devenir des villes est d’abord lié aux mouvements de population et à l’évolution du rôle des villes ; la condition incertaine des villes, pour les historiens, n’est donc ni actuelle, ni urbaine, elle est par nature historique : c’est l’histoire qui est incertaine, ce ne sont pas les villes. Une fois ces distances épistémologiques prises, Loïc VADELORGE affirme qu’il est en revanche complètement en accord avec la question des conflits temporels que suscite le renouvellement urbain, évoquée dans la lettre de cadrage, qu’il a choisi de traiter dans sa communication à propos des villes nouvelles. Pour lui, le renouvellement urbain des villes nouvelles pose à l’évidence un problème de conflit de temporalité et de conflit de mémoire ;
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et faire, comme il le fait depuis une dizaine d’années, l’histoire des villes nouvelles françaises, consiste avant tout à arbitrer entre différents récits de ville et représentations. Dans la première partie de son intervention, Loïc VADERLORGE souhaite ainsi évoquer le paradoxe des villes nouvelles en renouvellement. Sur les neuf villes nouvelles françaises labellisées comme telles, cinq sont actuellement concernées par des projets de rénovation urbaine : Val de Reuil et son « Germe de Ville », les Pyramides d’Evry, les Merisiers et Plaine de Neauphle à Trappes, Cergy Croix‐Petit – Chênes d’Or et Saint‐Ouen l’Aumône, et enfin Vitrolles‐Les Pins. Pourtant le sujet du renouvellement urbain reste très peu abordé, voire tabou, dans les travaux d’évaluation des villes nouvelles. A l’exception de l’ouvrage édité en 2005 au CERTU par Nicolas Buchoud3, directeur du GPV des Pyramides à Evry, Les dynamiques de la rénovation urbaine du quartier à l’intercommunalité, peu de travaux de recherche évoquent la question du renouvellement des villes nouvelles. Les projets de rénovation urbaine interpellent en effet très fortement la mémoire des villes nouvelles, car ils poussent à reconnaître que celles‐ci rencontrent des problèmes similaires à ceux des grands ensembles et qu’elles partagent finalement un même destin, alors même qu’elles avaient été construites, dès l’origine, en opposition avec les grands ensembles4. Le renouvellement urbain des villes nouvelles pose donc un problème en termes de représentation historique et appelle à déconstruire et renouveler leur mémoire. L’opposition entre grands ensembles et villes nouvelles a été structurante dans la mémoire des villes nouvelles. Très tôt, les décideurs et les aménageurs ont affirmé que les villes nouvelles seraient l’envers des grands ensembles. Alors que la décision de créer les villes nouvelles est prise entre 1964 et 1967, on voit apparaître des discours d’opposition entre villes nouvelles et grands ensembles dès le schéma directeur de 1965 et ceux‐ci sont affirmés partout à partir de 1969. Le rejet des grands ensembles repose sur deux insuffisances que les villes nouvelles devaient pouvoir pallier : l’emploi, en offrant un équilibre entre habitat et emploi, et les équipements, les villes nouvelles devant constituer de véritables centres urbains. Que nous dit l’histoire urbaine vis‐à‐vis de ces partis‐pris de départ et ces représentations ? Du point de vue des équipements, la bataille a bien eu lieu dans les villes nouvelles et elle a été en partie gagnée, notamment pour les équipements de proximité et scolaires dont elles sont bien dotées, plus tardivement pour les universités qui sont arrivées en ville nouvelle dans les années 1990, moins encore pour les musées et les hôpitaux, évoqués dans les schémas directeurs mais encore très rarement implantés. Pour autant, ce bon niveau d’équipement des villes nouvelles ne permet pas, aux yeux des historiens, de valider l’opposition avec les grands ensembles. Car dès la commission Sudreau en 1959 la question de l’animation des grands ensembles était posée et les politiques d’équipement mises en œuvre en 1961 orientées vers l’équipement des ZUP ; par ailleurs la SCIC a fait très tôt des efforts constants pour implanter des équipements sociaux, sanitaires, scolaires, sociaux, artistiques dans les grands ensembles ; enfin, certaines communes concernées par les grands ensembles, comme Nanterre, Créteil ou Bobigny ont été érigées en préfectures en 3 BUCHOUD, Nicolas, Les dynamiques de la rénovation urbaine, du quartier à l’intercommunalité ? Le grand projet de ville des Pyramides à Evry, Paris, CERTU, collection débats, 42, 2005. 4 BOURILLON, Florence, FOURCAUT, Annie, VADELORGE, Loic (dir), Villes nouvelles et grands ensembles, Histoire urbaine, 17, décembre 2006, p. 5‐146.
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même temps que Cergy, et ont donc bénéficié d’équipements prestigieux comme des universités ou des maisons de la culture. Ainsi la problématique de la centralité est tout à fait comparable à ce qui s’est passé en ville nouvelle, et par ailleurs certains grands ensembles comme Sarcelles ou Massy‐Anthony, ont continué à évoluer après la création des villes nouvelles et à conforter leur niveau d’équipement. Outre la question des équipements, les villes nouvelles relèveraient, dans la mémoire collective, d’un urbanisme différent des grands ensembles. Dans l’histoire commune de l’urbanisme, on considère que les grands ensembles forment l’idéal de la ville dessinée a priori, une fois pour toutes et réalisée d’un seul geste ; le cadre de référence théorique de Sarcelles, comme d’autres grands ensembles, est celui de la Charte d’Athènes rééditée à la fin des années cinquante, et surtout de l’ordonnance de 1958 créant les ZUP ; la temporalité des grands ensembles est celle du temps court, et le grand ensemble semble relever d’une pensée forte de l’urbanisme, qui s’incarne par des architectes en chef comme Labourdette ou Maneval par exemple. Toujours pour simplifier, les villes nouvelles représenteraient exactement l’inverse, c’est‐à‐dire non pas un temps court mais un temps long : ces villes sont dessinées au milieu des années 1960 pour l’an 2000 ; leur réalisation est confiée non pas à un architecte, mais à des équipes pluridisciplinaires d’architectes, urbanistes, voire géographes ou sociologues ; les lots confiés aux différents architectes n’excèdent pas 500 logements, et il n’est pas question de décider à priori de l’architecture de la ville entière qui relèvera plutôt d’un assemblage de quartiers dessinant la ville morceaux par morceaux, à la manière d’un jeu de l’oie comme à Cergy, Evry, voire à Saint‐Quentin‐en‐Yvelines. Ainsi, dans cette logique discursive, les villes nouvelles relèveraient plutôt de ce que vous avez appelé dans le texte de cadrage, du principe d’incertitude. Cependant, à y regarder de plus près, cette opposition un peu simpliste entre pensée forte des grands ensembles et pensée incertaine des villes nouvelles peut, là encore, être déconstruite par les historiens. En effet, car les villes nouvelles ont fait, à l’origine, l’objet d’une pensée très forte. Celle‐ci ne portait pas sur l’architecture et l’urbanisme mais plutôt sur un fonctionnement régional, dont le volontarisme a été porté par des institutions centrales comme le groupe central des villes nouvelles, mais aussi par des institutions régionales comme les districts ou les OREAM, et par des structures territoriales comme les EPA. Les villes nouvelles ont donné lieu à des politiques foncières (ZAD), bien plus ambitieuses que celles des grands ensembles. Mais ce volontarisme planificateur s’accompagne paradoxalement d’une très grande incertitude et d’une grande prudence par rapport aux formes architecturales : de grands concours d’architecture sont organisés avec la volonté de faire des villes nouvelles des laboratoires d’architecture et d’urbanisme. L’incertitude sera même spécifiquement revendiquée dans le cas de Val‐de‐Reuil avec la notion de « Germe de ville » proposée par l’Atelier de Montrouge. Le germe de ville consiste à refuser de décider de la ville a priori et à créer les conditions d’une ville en devenir, dont la structure modulable est susceptible d’évoluer en fonction des besoins. Cependant le mot incertitude est assez peu employé dans les années 1970, à l’époque où l’on créé les villes nouvelles, peut être parce qu’il traduit un doute qui n’était pas vraiment dans l’air du temps ; les équipes des villes nouvelles préfèrent plutôt employer le mot innovation, mot d’ordre lancé par Jean‐Eudes Roullier et par le secrétariat général des villes nouvelles, un terme un peu attrape‐tout et un formidable outil de communication qui permet de faire venir dans les villes nouvelles des générations d’architectes, d’urbanistes, de chercheurs et
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des crédits d’Etat importants. Peut‐on dire aujourd’hui que l’urbanisme des villes nouvelles est spécifique ? Là encore, les historiens répondent négativement : s’il est possible d’établir des comparaisons d’une ville nouvelle à l’autre, chacune d’elle est différente, et, surtout, elles ne se distinguent pas clairement de l’architecture et de l’urbanisme pratiqués par ailleurs en France dans les années 1970. On critique même souvent le manque de lisibilité urbaine des villes nouvelles et leur inachèvement patent (espaces en attente encore nombreux), malgré quelques gestes architecturaux forts (Les Arcades du Lac à Saint‐Quentin‐en‐Yvelines, construites par Ricardo Bofill par exemple) et quelques entrées de ville ambitieuses. Les villes nouvelles rencontrent ainsi aujourd’hui des problèmes de coutures urbaines qui sont tout à fait comparables à ceux que l’on trouve dans les grands ensembles. Dans la deuxième partie de sa communication, Loïc Vadelorge souhaite traiter plus directement des opérations de renouvellement dans les villes nouvelles et de leurs attendus, en évoquant la question de la construction du diagnostic et celle des solutions apportées. Selon lui, une opération de renouvellement urbain est d’abord la mise en scène d’un diagnostic, et présuppose une situation de crise. Les causes de cette crise sont‐elles différentes en ville nouvelle ? En apparence, les villes nouvelles sont confrontées aux mêmes problèmes économiques et sociaux que les grands ensembles : un taux de chômage très fort, des minima sociaux qui concernent une partie importante de la population, de nombreux allocataires (RMI, CMU, APL). Par ailleurs, on met également en avant les mêmes histoires de peuplement que dans d’autres quartiers en difficulté : les classes moyennes implantées à l’origine auraient été remplacées progressivement par les classes populaires et ouvrières puis par des classes migrantes. En réalité d’autres facteurs peuvent être pris en compte pour différencier le cas des villes nouvelles vis‐à‐vis des grands ensembles : tout d’abord la complexité administrative des villes nouvelles et leur statut ZAN (Zone d’Agglomération Nouvelle), en vigueur jusqu’à la loi Rocard de 1983 ; d’autre part le statut très flou du foncier notamment lorsque les quartiers ont été construits sur dalle ; par ailleurs, l’existence préalable au lancement des opérations de villes nouvelles en 1965 de « coup partis », c’est‐à‐dire de projets urbains commencés avant même que l’on ne statue sur l’administration des villes nouvelles (ex. : Projet de Jacques Riboud à Elancourt‐Maurepas, rives de l’Etang de Berre) que l’Etat tente de rattraper ; en outre une histoire politique locale très spécifique, où se côtoient dès l’origine maires ruraux et urbains ; enfin une révision rapide, dès le lancement en 1969, des ambitions à la baisse : seules cinq villes nouvelles sur neuf programmées sont mises en œuvre, et réduction drastique du nombre d’habitants à accueillir sous l’influence de Giscard d’Estain, fervent opposant aux villes nouvelles. On a tendance aujourd’hui à opposer l’âge d’or des années 1970 où tout se passait bien à la crise des quartiers dans les années 1990. Or, comme le démontrent des travaux comme ceux de Claire Mulonnière et Nicolas Buchoud, analysant la représentation du quartier des Pyramides dans la presse depuis leur origine jusqu’à nos jours, ou de Caroline de Saint‐Pierre à Cergy, contrairement à ce que disent les pionniers aujourd’hui, l’image s’est dégradée dès les premières années, d’abord parce que la délinquance apparaît très rapidement, mais aussi en raison des malfaçons constructives et du manque de qualité architecturale des projets, pourtant d’envergure internationale. Ainsi, si la mémoire des pionniers pèse aujourd’hui très fortement sur le renouvellement urbain, elle véhicule pourtant toute une série de représentations sur lesquelles il faut travailler et construire un regard critique. L’histoire du
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peuplement des villes nouvelles ne peut pas être davantage réduite à deux périodes, les classes moyennes dans les années 1970 et les immigrés dans les années 1990. Les travaux de recherche historique démontrent bien la complexité des processus de peuplement et la nécessité de lire ces processus dans la durée et non à l’aune de deux périodes, l’une utopique et l’autre de crise. Les solutions proposées dans les opérations de renouvellement urbain en ville nouvelle diffèrent finalement peu des opérations de rénovation des grands ensembles. La première tentation est celle de la table rase, ou plutôt de la destruction partielle pour des raisons de malfaçons et de dangerosité – c’est le cas du Germe de ville à Val‐de‐Reuil en partie détruit depuis quelques années – mais surtout pour des raisons symboliques, la destruction apparaissant tout aussi utopique que l’intégration de ces quartiers et permettant de démontrer la capacité d’action des promoteurs et des pouvoirs publics face à la fatalité des zones de relégation urbaine. La deuxième tentation, que l’on connaît bien aussi dans les grands ensembles, est celle de la résidentialisation qui signe la fin des utopies architecturales des années 1970, par une fermeture des espaces ouverts. Une autre solution proposée est celle d’une meilleure offre de transport et de stationnement. De manière plus spécifique, un important travail sur l’image de ces quartiers est fait, notamment par le biais de publications dans lesquelles est mise en avant l’intensité de la vie sociale et associative locale. Par ailleurs, les projets de renouvellement reposent sur le refus de considérer ces quartiers comme exceptionnels, et visent à réduire le stigmate qui les affectent et touche, par extension, la ville entière, en travaillant à l’échelle de l’agglomération, plutôt que de passer par des opérations de renouvellement urbain ponctuelles, on retrouve donc les ambitions initiales des années 1960. En conclusion, Loïc Vadelorge défend l’idée que le renouvellement urbain des villes nouvelles est moins le signe d’un échec que celui du fonctionnement normal d’une ville, qui vieillit et dont les attentes sociales aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’il y a trente ans. Dans ce contexte, le rôle de l’historien consiste bien à arbitrer le conflit des mémoires tout en n’enfermant pas ces villes dans le passé, car elles sont des ensembles urbains vivants, en mouvement. Synthèse des débats Ces deux premières interventions appellent plusieurs remarques sur les différentes acceptions et interprétations qui peuvent être faites de la notion d’incertitude. Tout d’abord, Constantin PETCOU réagit par rapport à la question de la permanence historique de l’incertitude soulevée par Loïc VADELORGE. A ses yeux, l’incertitude est plus ou moins grande selon les lieux et les époques : il y aurait de plus en plus d’incertitudes locales en Europe et aux Etats‐Unis, ce qui n’était pas le cas jusqu’à récemment, et de plus en plus de certitudes en Chine et en Russie… Il existerait ainsi une sorte de géopolitique de l’incertitude, qu’il faudrait analyser à différentes échelles, locale et globale notamment, pour prendre la mesure des changements. De son point de vue, en Europe on constate aujourd’hui une sorte de conflit entre la temporalité forte à laquelle on était habitué, notamment en raison du temps long que l’on pouvait gérer, et une accélération de l’incertitude, pour laquelle nous n’avons pas les outils politiques et institutionnels.
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Emilie BAJOLET remarque que si l’incertitude est ici plutôt entendue comme une difficulté, elle peut aussi être considérée de manière positive et intégrée dès la conception des projets. A ce propos, elle questionne Loïc VADELORGE sur les principes d’incertitude à l’origine du Germe de Ville dans la ville nouvelle du Val‐de‐Reuil. Loïc VADELORGE rappelle en effet que les concepteurs ont refusé de dessiner la ville une fois pour toutes et ont structuré la ville autour d’un cœur central potentiellement extensible, au fil des besoins futurs. La ville, qui n’a pas accueilli autant d’habitants que prévu s’arrête d’ailleurs de façon nette. Cependant, ce qui a longtemps été le signe d’un échec, devient finalement le signe d’un simple inachèvement et d’une possible extension. Aujourd’hui, alors que la croissance est forte dans tout le bassin de vie à proximité de Rouen et qu’une communauté urbaine est à l’étude, cette possibilité de développement devient très intéressante. Les deux communications de Laurent DEVISME et Loïc VADELORGE suscitent plusieurs interventions qui précisent ce qu’il faut entendre par « pensée forte » et « pensée faible » en urbanisme, notions plus ou moins explicitement mobilisées. François MENARD souligne que si l’époque actuelle n’est pas celle d’une pensée forte en matière de projet urbain au sens de la planification, le fait de vouloir renouveler la ville sur elle‐même relève de convictions fortes, il semblerait donc que c’est la certitude sur la manière de renouveler la ville qui ait évolué. Laurent DEVISME précise que son propos n’était pas de dire que l’on est passé d’un urbanisme de pensée forte à un urbanisme de pensée faible, constat trop simpliste et avec lequel il n’est pas d’accord ; mais que nous sommes peut‐être aujourd’hui dans un nouveau contexte idéologique, dont Ascher et Chalas décrivent les potentielles conséquences prescriptives sur l’urbanisme, et qu’il faut savoir analyser. Philippe GENESTIER rappelle qu’il y a tout de même deux manières d’envisager l’urbanisme. D’une part il y aurait un urbanisme « à pensée forte », qui a produit le logement social de masse, objet de rénovation aujourd’hui. C’était une pensée forte car elle reposait sur la conviction que l’espace avait une capacité à produire le social, non seulement des normes, mais aussi des comportements, des identités. D’autre part, on aurait une pensée faible, notamment dans le cadre de l’urban regeneration anglo‐saxonne, qui est avant tout un urbanisme d’opportunité, un urbanisme qui s’indexe sur des logiques néo‐libérales, des logiques de marché concurrentielles. Alors que, d’une certaine façon, l’urbanisme à pensée forte devait pallier les insuffisances du marché en prenant en charge un certain nombre de demandes sociales insolvables ; l’urbanisme plus faible du point de vue des pouvoirs publics repose sur le paradigme de la mise en concurrence et de la valorisation des opportunités d’un site ou d’un système d’acteur. C’est un urbanisme à pensée faible dans la mesure où les urbanistes porteurs des intérêts publics sont en situation de faiblesse par rapport à d’autres acteurs qui relèvent de ce jeu de marché. Loïc VADELORGE, face à la tendance à opposer les années 1960‐1970 et l’époque actuelle, souhaite nuancer les analyses. En effet, l’intrusion de la pensée néo‐capitaliste ou libérale dans l’urbanisme existait déjà dans les années 1960, par exemple avec Chalandon qui dès 1969 met en œuvre une politique de retrait de l’Etat. Par ailleurs, même si une pensée forte, encadrée par l’Etat par l’intermédiaire des EPA, est à l’œuvre dans la conception des villes nouvelles, celles‐ci sont toutefois construites par des promoteurs privés, et il a existé une marge de manœuvre et une prise en charge importante des projets par le secteur de la
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promotion privée, qui sont souvent oubliées de l’histoire. On met très rarement en avant le fait que, dès les années 1960‐1970, une part des financements étaient de nature privée. Plus encore, Loïc VADELORGE précise que si l’Etat est moins présent que par le passé, il faut toutefois prendre acte de la montée en puissance des élus locaux, notamment dans les villes nouvelles, par le biais des contractualisations ; de plus en plus d’acteurs se retrouvent autour de la table pour décider des projets et c’est une dimension à ne pas oublier car si la ville à renouveler est plus difficile à mettre en œuvre, le contexte reste néanmoins fortement volontariste, pas aussi incertain que l’on a tendance à le croire. Jérôme BOISSONADE poursuit la mise en garde contre les simplifications, et notamment l’association trop fréquente entre une pensée forte et des pouvoirs publics en position de force et une pensée faible qui correspondrait à un recul de la présence des acteurs publics. Il pense au contraire que les auteurs convoqués par Laurent DEVISME montrent justement que la période actuelle relève d’une pensée forte : l’urbanisme opportuniste se rapproche des systèmes d’organisation décrits par Boltanski. Cet urbanisme, se nourrit pour une grande part de la critique de l’urbanisme spatialiste et planificateur des années 1950‐1960 ; dans ce contexte, quelle est la critique que l’on peut faire de cet urbanisme, sans nourrir, in fine, la doxa de demain ? François MENARD revient sur la notion d’incertitude, sur un plan conceptuel, en distinguant incertitude rétrospective et incertitude projective. Selon lui, deux dimensions de l’incertitude ont été évoquées et renvoient à des rapports au temps différents. Il y aurait tout d’abord une incertitude rétrospective, qui par un regard en arrière et notamment sur l’urbanisme des grands ensembles, pose la question « Avons‐nous bien fait ? ». En instaurant un doute, elle invite aujourd’hui à avoir une pensée moins sûre d’elle‐même que ne l’a été la planification des années 1960‐1970. Il y aurait ensuite une incertitude plus projective, un questionnement sur le futur, sur le mode « De quoi demain sera‐t‐il fait ? ». D’un côté, la société évolue très rapidement, les projections sur les modes de vie ne peuvent se faire qu’à court terme, et il s’agit d’intégrer dans les projets urbains des facteurs d’adaptabilité pour répondre aux évolutions de conjoncture. De l’autre, persistent des incertitudes à plus long terme liées au changement climatique. Dans ce deuxième cas, paradoxalement, le risque encouru amène des réponses extrêmement fortes, en termes de réduction de la consommation énergétique par exemple, et finalement, à partir d’une incertitude du lendemain il semble que se construit une pensée assez sûre d’elle‐même sur ce qu’il y aurait à faire. Loïc Vadelorge, souligne la pertinence de cette double dimension de l’incertitude. En ce qui concerne le développement durable, il pense même qu’il ne faut plus parler d’incertitude mais bien d’injonction. Pour lui, cette thématique fournit un nouveau cadre normatif aux opérateurs, comparable à celui fourni par la Caisse des Dépôts et Consignations dans les années 1960 pour les grands ensembles. En revanche, du point de vue de l’historien, l’incertitude rétrospective, c'est‐à‐dire le fait que l’on ne sache plus ce qu’on a voulu faire en construisant les villes nouvelles par exemple, est d’autant plus importante qu’elle pèse sur la manière dont on les transforme aujourd’hui. Elle est donc une dimension qui doit être prise en compte.
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Cet apport de François MENARD motive plusieurs interventions sur le thème du paradoxe entre certitude et incertitude. Pour aller dans le sens du propos de François MENARD et Loïc VADELORGE, Laurent DEVISME ajoute que l’incertitude sur le sort de la planète à long terme, qui fait que nous n’avons plus le choix, implique une forme de certitude. Dans un contexte où ce qui prime est d’essayer de faire en sorte que demain ne soit pas pire qu’aujourd’hui, toute transformation effraie et une forme de moralisme s’associe aux interventions, pour aboutir à un nouveau principe de certitude. Frédéric DRUOT intervient lui aussi sur le thème du paradoxe entre certitude et incertitude, construit en permanence par les pouvoirs publics, plus ou moins sciemment. En évoquant la situation des grands ensembles, bien que leur devenir soit plus qu’incertain, il souligne que le poids politique de l’Etat reste très fort et que les opérateurs se mettent aux ordres de l’ANRU comme ils avaient pu le faire par le passé lors des politiques de réhabilitation : hier il s’agissait de refaire les façades, aujourd’hui de démolir et reconstruire, mais la logique de construction d’une certitude sur ce qu’il y a à faire reste la même. Pour fonctionner, cette certitude à besoin de construire dans le diagnostic un traumatisme qu’il convient de pallier. Henri COING qui va plus loin encore, pense quant à lui que l’urbanisme, en tant que pratique professionnelle et organisation des actions publiques est, par définition, un instrument de certitude absolument féroce. Si à différentes époques, nous a eu affaire à des discours différents sur ce qui constituaient les certitudes, parfois même à des certitudes inverses, celles‐ci ont néanmoins toujours fonctionné comme des injonctions péremptoires. C’est aujourd’hui la même chose qui se passe avec le thème du développement durable. Henri COING se demande ainsi si, finalement, l’urbanisme n’est pas une discipline qui fonctionne essentiellement sur des évidences, des tendances à la mode et tend à expulser mécaniquement l’incertitude. Comme Frédéric DRUOT, il pense que pour construire la certitude du jour, il est nécessaire de construire un passé repoussoir. De ce débat sur certitude/incertitude les discussions glissent vers des réflexions sur les registres d’historicité dans lesquels l’urbanisme actuel serait pris. Pour Philippe GENESTIER, s’il est vrai que les urbanistes sont des producteurs et des porteurs de certitudes, si l’urbanisme travaille la normativité et la conformité, c'est‐à‐dire définit les normes et cherche à mettre le réel en conformité avec ces normes, que ceci est presque intrinsèque à l’habitus urbanistique ; ce régime d’action n’est pas forcément bien reçu par le social, comme le montre la multiplication des recours contentieux et du syndrome NIMBY. Il lui semble donc intéressant d’introduire la notion de plausibilité ou d’acceptabilité sociale pour comprendre la façon dont les différents acteurs interviennent. Or, à ses yeux, ce qui caractérise aujourd’hui l’univers de plausibilité urbanistique est le fait d’être rentré, comme le disent un certain nombre de sociologues mobilisés par Laurent DEVISME, dans un univers de pensée processuelle, probabiliste, de démarche négociée. Plus encore, il semblerait que le registre d’historicité de cet univers ait changé : il ne s’agit plus seulement de s’indexer sur un futur pour faire advenir les promesses de ce futur, mais d’une part, d’agir dans un univers incertain dans lequel on regarde en arrière pour voir ce qui est perdu, ou ce qui risque de l’être et, d’autre part, d’évoluer dans un registre du temps présent, où les démarches sont négociatrices, c'est‐à‐dire que l’on regarde quelles sont les ressources locales, les forces en présence qui peuvent être mobilisées dans un contexte spécifique. Pour Philippe GENESTIER,
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la notion d’urbanisme d’opportunité développée par les anglo‐saxons est vraiment tout à fait exemplaire de ce rabattement sur le moment présent. Par exemple, dans les docklands à Londres, l’aménagement a été réalisé sans étude programmatique, avec un minimum d’investissement en termes d’infrastructures, mais avec une architecture qualitative susceptible de continuer à valoriser l’attractivité du site. Pour Philippe GENESTIER, il s’agit d’un témoignage, à la fois d’un nouveau régime d’action et d’un nouveau registre d’historicité, qui rompt avec l’univers de plausibilité dans lequel se plaçait les conceptions plus directrices de la tradition urbanistique antérieure. Pour Jérôme BOISSONADE, c’est la confiance qui est le plus grand réducteur d’incertitude ; c’est une confiance dans un futur porteur d’opportunité qui légitime l’action présente. Ainsi, si comme le disait Philippe GENESTIER l’urbanisme actuel est dominé par un certain présentisme, il se nourrit quand même d’une confiance aveugle dans un futur porteur d’opportunités. Loïc VADELORGE précise que c’est aussi le fait du développement d’une démarche négociée que les projets sont plus lents, plus longs à mettre en place et moins certains en apparence, car le temps de la négociation et du contrat sont devenus très importants, notamment du fait de la décentralisation. Laurent DEVISME conclut ce premier débat avec humour en disant que nous avons presque les éléments d’une fable qui pourrait s’appeler « la certitude et le recoin ». Pour comprendre le message philosophique de cette fable il faudrait analyser tous les discours de dénégation de l’idée que l’urbanisme est un instrument de certitude féroce, qui sont le lot commun des justifications des projets contemporains. Il cite l’exemple du plan guide de l’Ile de Nantes sur lequel il a beaucoup travaillé et qui, malgré un principe d’ « urbanisme de révélation » cher à Alexandre Chemetoff, n’est pas aussi généreux dans l’accueil du passé, du présent, du futur, et de tous les programmes que le principe de départ ne le voudrait. Synthèse des interventions La deuxième partie de la séance est consacrée aux interventions de deux architectes évoquant leurs expériences de praticiens ayant trait à la gestion de l’évolutivité et de l’incertitude. Frédéric Druot intervient dans plusieurs sites de renouvellement urbain et propose de s’interroger sur l’opportunité qu’offre le recyclage des appartements comme alternative à la démolition des tours dans les grands ensembles. Constantin Petcou, architecte et animateur d’un réseau international travaillant sur les interstices urbains, mène quant à lui une réflexion sur l’architecture auto‐gérée. Il montre comment il utilise la friche urbaine, le temps précaire de l’entre‐deux de territoires, pour mettre au jour des potentialités à la fois d’usage de ces espaces et aussi de capacité des habitants à s’en saisir pour proposer et inventer de nouvelles dimensions. Dans un contexte où, sous l’influence de l’ANRU, les démolitions‐reconstructions sont le mode dominant d’intervention dans les grands ensembles, Frédéric DRUOT avec Anne Lacaton et Philippe Vassal, développent une approche de transformation des appartements ‐
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à l’origine sous l’égide du Ministère de la Culture, puis dans le cadre des études PLUS ‐, qui permet de proposer une alternative à la démolition. Le principe d’intervention de l’équipe se situe au niveau des logements : la façade des immeubles étant non porteuse, elle est déposée au profit de surfaces vitrées donnant sur un balcon fermé. Ce procédé permet à la fois d’agrandir sensiblement les appartements (par ex. 24 m² en plus pour un appartement de 44 m²), d’apporter plus de lumière, de créer de nouvelles circulations intérieures et d’améliorer leur isolation thermique et phonique.
Frédéric DRUOT a pour volonté de partir de la question du logement pour traiter des problèmes qui, de son point de vue, sont trop souvent abordés par l’urbanisme. Il part de la chambre à coucher, de l’analyse fine des situations intérieures, des usages du logement, pour réfléchir sur les qualités des grands ensembles. Il critique la façon dont les diagnostics sur les grands ensembles sont en général élaborés et défend une analyse au cas par cas des qualités résidentielles offertes par ces logements qui, il le rappelle, ont une capacité à faire habiter exceptionnelle par rapport aux conditions d’habitation antérieures.
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Une fois reconnue les qualités intrinsèques de ces logements, et analysées au cas par cas les situations des habitants, l’idée de transformation prime sur celle de la démolition/reconstruction et ce, dans le cadre d’une économie maîtrisée qui respecte les budgets réduits des bailleurs. C’est à partir de la multiplication de ces évolutions du logement que l’image du bâtiment puis de tout le quartier change, depuis l’intérieur. Ainsi, il paraît plus intéressant pour Frédéric DRUOT de faire, in fine, de l’urbanisme en partant de la question du logement (Est‐il assez grand ? Répond‐t‐il aux besoins du ménage ? Offre‐t‐il un niveau de confort et une qualité d’habitat suffisant ?...) plutôt que de travailler sur des formes alternatives au grand ensemble – des maisonnettes le plus souvent – qui n’offre aucune réflexion sur les conditions d’habitat. En conclusion, Frédéric DRUOT souligne qu’il faut dépasser le débat sur la pertinence des tours : il faut des tours si les logements qu’elles proposent conviennent. Toute situation est intéressante dans sa transformation, parce qu’elle est toujours inachevée et capable d’être transformée. La véritable question est de pouvoir maintenir de la capacité de transformation et d’évolution aux choses.
‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Tout comme Frédéric DUOT, Constantin PETCOU souhaite présenter des expériences micro‐urbaines réalisées, avec l’atelier d’architecture autogérée (aaa), par des détournements, au sens positif du terme, de l’image stéréotypée des espaces urbains, de leurs usages, ainsi que des processus administratifs et des aménagements linéaires. Avant de présenter les projets mis en œuvre dans son quartier (La Chapelle, au nord de Paris), il souhaite dire quelques mots de ce contexte urbain : il s’agit d’un territoire enclavé entre les voies des gares du nord et de l’est, sans équipement d’échelle métropolitaine, ce qui le rend peu attractif pour les parisiens qui le connaissent peu. Ce quartier abrite environ 30% de populations d’origine étrangère, une économie dite ethnique, ainsi que, et c’est un des aspects que ces projets ont essayé de valoriser, de nombreux terrains en friche. Le premier travail opéré a consisté à cartographier les terrains en friche ‐ souvent mal vécus par la population en raison des pratiques de toxicomanie, de prostitution ou de sécurisation s’y étant déployées ‐, puis de créer des « fiches de friches » renseignant le propriétaire foncier, les projets s’il y en avait, la durée de cette situation de friche, etc. Constantin PETCOU et aaa ont ensuite démarché les propriétaires des sites qui paraissaient les plus intéressants, avec l’hypothèse de les investir de manière temporaire en développant des micro‐aménagements de proximité et constituer des pôles d’attractivité parisienne pour désenclaver le quartier. Le principe consistait à conserver la possibilité de transférer cette occupation éphémère et réversible d’une friche à l’autre, pour faire évoluer les expériences dans le temps en fonction des disponibilités spatiales. A partir d’un site central, appelé Eco‐box, sur le site de la Halle Pajol, pouvait ainsi se déployer une constellation d’expériences susceptibles de changer de configuration en fonction des acteurs locaux qui voulaient s’investir dans un espace ou dans un autre.
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Afin de répondre aux interrogations de la Préfecture sur l’absence d’argent pour gérer et aménager les différents sites en friche identifiés, aaa a élaboré une carte des acteurs potentiels intéressés dans ces espaces ‐ associations, commerçants, écoles – repérés à l’issu de consultations participatives, de campagnes d’affichage et de communications orales. Cette cartographie permettait de visualiser les acteurs de proximité susceptibles d’investir chaque site. Constantin PETCOU décrit ensuite le projet Eco‐Box. Si celui‐ci a progressivement pris de l’ampleur, il s’agissait au départ, en 2002, sur un terrain minéral de 300 m² de la cour de la Halle Pajol, de créer une série de micro‐équipements, en implantant avant tout un jardin mobile, le jardinage apparaissant à l’issu des consultations participatives la pratique la plus transversale à toutes les cultures du quartier. Le premier prototype de jardin mobile a été conçu par des étudiants en architecture, à partir d’une cartographie des matériaux de récupération disponibles dans le quartier, en utilisant notamment des palettes en bois. Les étudiants ont ensuite réalisé un mode d’emploi pour que chacun puisse réaliser sa parcelle sur le même modèle, de manière très simple et à coût presque nul. A partir du printemps 2003, tous les habitants qui souhaitaient avoir une parcelle la construisait eux‐mêmes avec l’aide de ceux qui avait construit la leur avant. Le réseau d’acteurs associés fonctionnant très bien, le propriétaire, Réseau Ferré de France, a alloué au projet de nouveaux espaces, puis le projet, attirant de plus en plus d’usagers,
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s’est diversifié : cuisine, musique, projections‐débats, bricolage, interventions artistiques… toujours à l’appui de modules mobiles créés à partir de matériaux de récupération. Avec Eco‐Box, l’atelier d’architecture autogérée et les personnes investies progressivement dans ce projet ont réussi à transformer un espace complètement désapproprié, d’investir et de valoriser cet espace auparavant mal vécu et subissant une image très négative.
A partir de 2003, a été mise en place une série de débats intitulés LUP, Laboratoire d’Urbanisme Participatif, qui invitaient des personnes très hétérogènes ‐ habitants, activistes, chercheurs, urbanistes, politiques ‐, ce qui donnait lieu à des débats animés et a permis de lancer des pistes pour faire évoluer le projet mais aussi pour construire le discours sur le projet, avec les habitants. Car l’objectif était de pouvoir progressivement se retirer du projet, d’abord en co‐gérant celui‐ci avec les habitants, puis de les mettre en capacité de le gérer eux‐mêmes et de communiquer dessus. L’expérimentation de ce passage d’une co‐gestion à une auto‐gestion, selon un principe rhyzomatique, a bien fonctionné puisque les initiateurs d’Eco‐Box ne sont plus partie‐prenante des actions mises en œuvre aujourd’hui. Les projets ont ensuite évolué, changé de site, à l’initiative de nouveaux acteurs impliqués. En conclusion, Constantin PETCOU insiste sur l’originalité de la dynamique de « politique spatiale » mise en place avec les habitants : elle a permis de créer des usages concrets sur des espaces initialement délaissés, et qui d’un point de vue architectural et micro‐urbain sont aujourd’hui perçus comme un potentiel très important dans le quartier.
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Synthèse des débats A l’issu de ces deux dernières interventions, un débat est organisé entre les participants. Philippe GENESTIER interroge tout d’abord le lien entre ces communications et celles de la première partie de la séance. Il émet l’hypothèse que les dernières interventions ont présenté une conception modeste de l’espace, dans laquelle celui‐ci est conçu comme une ressource pratique pour un usage et des utilisateurs, qui s’opposerait à une conception plus inductrice de l’espace, ce qu’Yves Chalas appelle le spatialisme, considérant l’espace comme un inducteur social manipulé par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, il lui semble que se pose alors une question : dans un processus de précarisation et d’incertitude vis‐à‐vis des modèles d’intégration économique du fait de la crise post‐industrielle, est‐ce qu’une nouvelle conception de l’espace pragmatique, et non plus inductrice, ne serait pas d’autant plus pertinente que par ailleurs les modèles d’intégration traditionnels par le travail, les équipements publics ou la normativité spatiale auraient échoué à prendre en charge les nouvelles relations sociales ? Constantin PETCOU répond positivement à cette interrogation : à ses yeux, ce type de démarche permet aux espaces d’être moins abstraits et subjectivés ; et peuvent même permettre la construction de subjectivités collectives. De plus en plus, dans des métropoles multi‐culturelles, il semble que le paradigme de la construction de subjectivités différentielles à partir d’expériences collectives est important à explorer. Plusieurs intervenants réagissent à la communication de Frédéric DRUOT et aux images présentées. François MENARD développe une double remarque : d’une part, il se demande si un pan de mur ne permet pas plus d’évolutivité à l’intérieur d’un logement qu’une baie vitrée, contre laquelle il n’est pas possible d’apposer un meuble, d’accrocher un tableau ou une bibliothèque, en fonction des besoins ; d’autre part, il s’interroge sur la reproduction d’un même procédé de transformation dans différentes situations et, en ce sens, rejoint les questionnements de Loïc VADELORGE sur la création d’un nouveau modèle, homogène et reproductible, et de Laurent DEVISME et Marie‐Flore MATTEI sur la réelle prise en compte des situations des habitants au cas par cas, et le caractère uniforme de la solution proposée. Frédéric DRUOT précise que les images présentées, par les simplifications et effets de répétition qu’elles créent, tendent à uniformiser une approche qui est en réalité adaptée à chaque tour, il note d’ailleurs que la réponse de la baie vitrée n’est pas systématique. Le principe, auprès des habitants, consiste à leur présenter la règle du jeu ‐ l’immeuble va subir une transformation, le confort des logements va être amélioré sans augmentation de loyer – puis de discuter avec eux des adaptations possibles en fonction de leurs micro‐besoins. Dans une organisation qui a la capacité d’évoluer, chaque personne peut se repositionner, garder ou quitter son appartement, le modifier, décohabiter… L’opération se fait en général en site occupé et repose sur la prise en compte très fine des situations de chaque ménage. Ensuite, pour répondre aux interrogations sur l’uniformité de la démarche proposée, Frédéric DRUOT indique que, par exemple, dans le cas de la Tour Bois le Prêtre, le projet a permis de diversifier l’offre de typologies à l’intérieur de la tour, les faisant passer de trois à sept, d’organiser des décohabitations et de mettre en place des baux inédits portant sur deux
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appartements. La transformation opérée a donc été l’occasion de créer de la diversité de situations. Par rapport à l’intervention de Constantin PETCOU plusieurs précisions sont demandées. François MENARD s’interroge sur le décalage existant entre le temps du projet Eco‐Box présenté et le temps des transformations urbaines et sociales plus globales du quartier. Constantin PETCOU fait part d’un constat a posteriori : alors que la durée moyenne d’implantation des ménages dans le quartier est de six ans et que les habitants, sachant qu’ils ne sont que de passage, s’investissent par conséquent peu dans les espaces publics de proximité ; le projet Eco‐Box a duré environ cinq ans en tout (deux ans de démarches, deux ans de fonctionnement et une année de transfert), donc finalement moins que la durée moyenne d’ancienneté dans le quartier. Ce sont ainsi mises en place des micro‐dynamiques et des micro‐temporalités correspondant à la situation réelle des acteurs. Loïc VADELORGE se demande quant à lui s’il y a eu nécessité de mettre progressivement en place des règlements, pour réduire une partie de l’incertitude et rendre le projet plus crédible et plus acceptable aux yeux des pouvoirs publics, comme c’est souvent le cas dans les organisations alternatives qui s’institutionnalisent. Constantin PETCOU rappelle que si ce projet était alternatif, il n’était néanmoins pas illégal (squat) et par conséquent plus ouvert sur un large public, plus neutre socialement et politiquement. En ce qui concerne l’institutionnalisation, Constantin PETCOU reconnaît en effet, que la capacité des utilisateurs à faire fonctionner le projet, à en transmettre les règles, à utiliser et faire utiliser correctement l’espace les rend plus crédibles auprès des pouvoirs publics. Concernant la question des règlements, il précise que seules quelques règles de savoir‐vivre très communes ont été mises en place, simplement pour que le projet puisse perdurer, régler les petits conflits, éviter les appropriations exagérées, les problèmes de voisinage. L’engagement des utilisateurs et le respect de ces quelques règles a permis, au plus fort du projet, la création de 80 clés, possédées par 80 familles, sans qu’aucun problème majeur ne soit à déplorer.
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Atelier 6
Le renouvellement urbain en ses lieux : observateurs et observations
Attendus précédant la séance Alors que la plupart des travaux de réflexion sur le renouvellement urbain ont un rapport très distendu avec le terrain, l’idée consiste, en guise de conclusion de cette série d’ateliers, à inviter chercheurs et praticiens qui pratiquent l’immersion sur le terrain pour mener une discussion sur les manières d’observer le renouvellement urbain in situ. Les chercheurs invités pourront brièvement présenter l’objet de leurs travaux, les situations observées, ainsi que les changements urbains qui leur paraissent les plus significatifs, qu’il s’agisse du rapport à l’espace et aux temps des citadins, de l’évolution de la conception urbaine et des modes de vie, des changements symboliques et sémantiques des lieux, des dynamiques sociales et de l’émergence de nouveaux groupes sociaux ou systèmes d’acteurs… Il s’agira avant tout dans cet atelier de plonger au cœur du renouvellement urbain tel qu’il se donne à voir et à penser aux chercheurs de terrain. En évitant d’orienter la séance vers des questions trop méthodologiques ou épistémologiques, il s’agira plutôt, au travers de la présentation de travaux de terrain de répondre aux questions suivantes : Qu’est‐ce qu’observer une ville en renouvellement ? S’agit‐il d’une investigation en marge des projets urbanistiques ? D’un regard décalé sur les mutations sociales de la ville au travers d’épiphénomènes dûment choisis ? Quels sont les changements qui semblent les plus dignes d’intérêt aux yeux des chercheurs de terrain ? Quels sont les lieux, les situations, les hommes et les femmes qu’ils ont choisis d’étudier ? Quels sont les espaces, les pratiques, les groupes sociaux qui paraissent offrir la meilleure entrée pour analyser et qualifier les changements en cours ? Les évolutions urbaines sont‐elles palpables à partir d’une observation synchronique, effectuée à un moment T, où nécessitent‐elles, pour se révéler, une recherche au long cours, entreprise durant de nombreuses années ? La comparaison de différentes situations urbaines est‐elle un bon moyen aux yeux des chercheurs pour qualifier les changements qu’ils observent sur leurs terrains ? Mais cet atelier sera aussi l’occasion de discuter plus généralement de la posture d’observateur, que celui‐ci soit chercheur ou non. La confrontation des approches de recherche avec d’autres manières d’observer les enjeux du renouvellement urbain apportera, espère‐t‐on, une discussion féconde sur les évolutions urbaines contemporaines, et permettra d’envisager de nouvelles pistes de réflexion permettant d’enrichir la pensée sur la ville.
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Peut‐être faudra‐t‐il alors que nous distinguions deux postures d’observation : celle qui consiste à observer des opérations volontaristes de renouvellement urbain et celle qui consiste à observer la ville en train de se renouveler. La première renvoie essentiellement à une réflexion sur le statut de l’observateur, par rapport aux autres opérateurs du projet, aux publics et à l’opération elle‐même. La seconde, qui peut s’exprimer à travers la question « A quoi voit‐on que la ville a changé ? », renvoie au regard, mais au‐delà aux cinq sens, par lesquels s’éprouvent les transformations de la ville. Synthèse de la séance
Propos introductifs Michelle SUSTRAC et François MENARD introduisent la séance par une série de questions qu’ils aimeraient voir posées au cours de la séance et/ou constituer un matériau pour des pistes de recherche ou des réflexions futures.
Michelle SUSTRAC précise tout d’abord qu’en s’interrogeant sur la manière dont s’exercent les regards, cette séance se situe au cœur d’une question présente de façon implicite dans tous les précédents ateliers : comment accède‐t‐on au savoir et à la connaissance des territoires ? Selon elle, la question de l’observation est à l’origine de notre rapport au monde : on ne peut pas se construire, ni en être sensible, ni en être raisonné, sans observer ce qui nous entoure. Ainsi, l’observation est inhérente à la condition de l’individu et, en tant que fondement de l’activité humaine, elle est la condition de l’action mais aussi de la recherche. Dans le contexte de ce séminaire‐atelier, la question qui se pose est de savoir comment l’observation, réalisée à l’occasion de recherches finalisées, peut nourrir la décision publique. Pour Michelle SUSTRAC, la question de l’observation n’est pas nouvelle, elle a été posée dès les années 1980‐1990 à l’occasion de démarches pionnières faisant appel à des photographes, des ethnologues, ou faisant réfléchir ensemble des historiens, des paysagistes. La question qui se pose aujourd’hui n’est donc pas celle de la nouveauté mais plutôt de savoir en quoi ces démarches ont réellement modifié les pratiques, en quoi elles sont utiles, au‐delà d’une captation médiatisée ou d’une justification des opérations de renouvellement dans la ville. Afin de vérifier l’acception du terme « observation », Michelle SUSTRAC a effectué un détour par le dictionnaire et y a trouvé deux définitions. L’une d’elle, première avant même l’ « attention à des phénomènes portée à des fins de connaissance », consiste à « se conformer à », à « suivre des prescriptions », à « observer des règles ». Michelle SUSTRAC remarque que quelquefois l’observateur du renouvellement urbain se situe entre ces deux postures. Elle décline ensuite l’ensemble des questions plus ciblées qui lui semblent importantes :
− Puisque l’on peut être observateur à divers titres – obéir à une commande, vérifier une hypothèse, répondre à une curiosité naturelle – les prétendants à la posture
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d’observateur sont nombreux, ce qui pose la question de la légitimité de l’observateur : de quoi et de qui s’autorise‐t‐on à observer ?, mais pose également la question de la nature de l’observateur : est‐il un chercheur, un praticien, un artiste ou encore un habitant (dont on sait depuis de nombreux travaux en sciences humaines, qu’il est un expert de son milieu et que son diagnostic peut être aussi précieux que celui de l’analyste extérieur) ?.
− Ainsi se pose de manière plus générale la question de la posture de la recherche ou de l’action sur le terrain (d’où observe‐t‐on, qui observe‐t‐on, pour quoi, pour qui ?), ainsi que la question de la bonne distance, de la neutralité du chercheur ou au contraire de son engagement lorsqu’il devient un acteur du changement qu’il observe. Ceci interroge en conséquence la notion de médiation vis‐à‐vis des décideurs ou des acteurs pour transmettre les observations faites, la transformation de l’observation en décision urbaine.
− Il ne faut pas oublier non plus ceux qui sont les observés ‐ objets, sujets, lieux, mondes, morceaux de territoire, pratiques – et l’importante question de l’accès à ces objets : à quelles conditions pénètre‐t‐on ces mondes, à quelles conditions sont‐ils ouverts ou se ferment‐ils à nos regards ?
− Il s’agit également de savoir ce qui est observable : est‐ce que c’est ce qui se donne à voir librement, ce qui est donné sous nos yeux, ce qui est simplement saisissable, ce qui est là d’emblée, ce qui envahit l’espace, qui bouche nos horizons et s’impose comme le réel ; ou est‐ce que c’est au contraire le grain de sable qui dérègle la machine, qui surgit tout à coup, qui saute aux yeux et qui vient nourrir notre intelligibilité du territoire ? Dans ce cas, comment accéder à ce qui se cache, comment élargir notre palette d’outils pour surprendre ce qui fera sens demain mais qui a du mal à émerger ?
− Si les conditions de recherche sur le terrain ont évolué depuis les années 1980 après la découverte de l’immersion ethnographique, de l’observation participante, de la restitution publique, et l’intégration de disciplines sensibles, la question qui se pose aujourd’hui est celle de la banalisation de ces démarches. Dans un contexte où tout le monde y fait référence, et où se développent, peut‐être, des utilisations formatées, comment préserve‐t‐on l’essentiel de ces méthodologies et de leurs apports ? Qu’est‐ce qui perdure et qu’est‐ce qui disparaît dans les concepts et phénomènes à travers lesquels nous naviguons ? A quelle condition tous ces outils permettent de revisiter les politiques publiques, au prix de quels renoncements et de quelles luttes ces exigences sont‐elles maintenues, notamment dans le contexte actuel de l’action publique en faveur du renouvellement urbain ? Comment résister aux effets de modes et rester dans un accompagnement respectueux des transformations à l’œuvre ?
− Enfin, puisque une observation n’est toujours que provisoire, temporaire, entre en jeu la dimension temporelle. Si l’on a tendance à privilégier le temps long dans la recherche, le réel nous presse et les attitudes se consomment vite.
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François MENARD souligne que Michelle SUSTRAC a posé l’essentiel des questions et souhaite uniquement insister sur quelques points. Le premier, déjà évoqué, est relatif aux questions récurrentes posées à la pratique de l’observation dans les sciences sociales : d’où observe‐t‐on ?, qu’observe‐t‐on ?, qu’est‐ce que n’induit pas l’observation ?, quels rapports construit‐on avec l’objet que l’on observe, les sujets d’observation ? Ces questions doivent continuer d’être posées à différentes époques et dans différents lieux de la recherche urbaine, et notamment dans le contexte du renouvellement urbain. Le second, est une interrogation davantage motivée par des évolutions et des tendances actuellement observées. François MENARD invite à s’interroger, d’une part, sur le développement tous azimuts d’observatoires du renouvellement urbain ou des quartiers sensibles. En quoi consiste cette démarche, qui souvent emprunte à la statistique publique, et que nous apprend‐elle d’autres approches, notamment celles développées dans les années 1980‐1990 reposant sur des méthodes traditionnelles d’enquête qualitative des observations sensibles ou sur l’image… ? Il souhaite questionner, d’autre part, la manière actuelle de donner à voir les transformations urbaines : dans la plupart des projets de rénovation urbaine ont, par exemple, été engagés des travaux photographiques destinés à montrer l’avant et l’après, sans que l’on sache très bien quel est le statut et quelles sont les finalités de ce travail, qui semblent, de son point de vue, discutables. S’agit‐il de conserver des traces, d’en faire un matériau mémoriel et de l’intégrer dans une sorte de patrimoine commun ? Ou est‐ce un moyen de souligner le geste urbanistique lui‐même, en montrant à quel point les transformations sont marquées ? Synthèse des interventions La séance s’organise autour de trois interventions, celle de Sophie CORBILLE, enseignante‐chercheuse en ethnologie urbaine, celle de Marie‐Christine COUIC, chercheuse et praticienne en urbanisme, et Martine DERAIN, artiste photographe, qui toutes trois présentent leurs expériences d’observations du renouvellement urbain et leurs réflexions sur leurs méthodes, leurs postures et leurs résultats. Sophie CORBILLE présente la réflexion épistémologique et méthodologique qui a accompagné son travail de thèse, soutenue en 2006 sous la direction de Michelle de La Pradelle, intitulée « Vivre ensemble et séparés dans les quartiers du nord‐est de Paris. Ethnologie d’un nouveau monde urbain », consacrée aux quartiers du nord‐est de Paris ‐ essentiellement les 10e, 11e, 12e, 19e et 20e arrondissements ‐ en proie à des processus d’embourgeoisement ou de gentrification. Elle n’a, en effet, cessé de se demander, tout au long de sa recherche comment observer cet espace : qui observer ? Quelles populations ? Pouvait‐elle les catégoriser et observer des catégories de populations ? Mais aussi, quoi observer ? Autrement dit quels espaces et quels objets observer ? Elle organise sa présentation en deux temps : elle se propose d’abord de retracer le cheminement méthodologique qui a accompagné sa recherche, afin de montrer comment
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elle a positionné son observation ; puis présente un cas concret de l’observation mise en œuvre5. Sophie CORBILLE souligne tout d’abord que le renouvellement, le changement ou encore la transformation constituent des sortes de « pièges à observateurs ». Ils apparaissent en effet au départ de cette recherche comme un point de vue privilégié pour observer la ville et c’est en grande partie parce que de « nouveaux commerces », par exemple ceux décrits dans la presse comme des « bars branchés », venaient remplacer des commerces dits plus traditionnels, ou encore parce que de « nouveaux habitants » venaient remplacer ceux désignés comme « les anciens habitants » que Sophie CORBILLE s’est donné l’est parisien comme « champ d’observation ». Cet intérêt pour « l’espace en changement » trouve d’ailleurs toute sa place dans la tradition sociologique puisque tout un pan de la sociologie urbaine est une sociologie du changement urbain. Au début de sa recherche, il paraissait ainsi évident de s’inscrire dans cette tradition, ce à quoi incitaient les études sur la gentrification relevant aussi, dans leur très grande majorité, d’une sociologie (ou d’une géographie) du changement urbain, dont le but est d’analyser les processus de changements dans la ville et d’expliquer la répartition évolutive des différentes catégories de populations dans l’espace urbain. Or, cette façon de s’inscrire dans cette sociologie du changement urbain n’est pas sans effet sur la manière d’observer ces espaces. Les études sur la gentrification partagent en effet très souvent des problématiques et objets d’études communs. En premier lieu, ces études reposent sur l’idée d’une progression du phénomène, et, par conséquent, étudier ces espaces en transformation, consiste bien souvent à observer l’arrivée de différentes vagues de population afin de reconstituer la généalogie de l’espace urbain, l’étude de Jean‐Yves Authier [1993] sur Lyon est à ce titre exemplaire. Autre point commun de ces recherches, elles s’attachent presque toutes à étudier spécifiquement au sein des espaces urbains, les nouvelles classes moyennes et supérieures et les nouvelles stratifications sociales ; la recherche menée par Sabine Chalvon‐Demersay [1984] sur le XIVème arrondissement de Paris s’inscrit dans cette perspective là. Troisième point commun à ces études, les chercheurs privilégient souvent la problématique du logement et l’observation des logiques résidentielles, puisqu’il s’agit de comprendre l’évolution, soit de la production de « logements gentrifiables », soit de la demande pour ces mêmes logements. Enfin, ces recherches visent souvent à fournir une définition de la gentrification, c’est‐à‐dire à qualifier ce changement, en donnant lieu à des résultats divers, parfois très éloignés6 et contradictoires. Finalement, ces problématiques communes constituent autant d’objets ou de sous‐objets à observer pour le chercheur qui se donne comme champ d’observation ces espaces, même si, selon la perspective explicative dans laquelle le chercheur s’inscrit, l’observateur peut privilégier certains acteurs plus que d’autres.
5 Voir Sophie Corbillé « Ethnologie en ville et gentrification. Du terrain à l’objet », Ethnologie française, 2, avril 2007, p. 353‐360 et « Un espace public provisoire : le vide‐grenier », Urbanisme, 347, mars‐avril 2006, p. 7. 6 Van Criekingen démontre ainsi que le concept de gentrification est une notion « fourre‐tout » qui empêche de penser la multiplicité des dynamiques à l’œuvre dans les quartiers populaires, « La ville revit ! Formes, politiques et impacts de la revitalisation résidentielle à Bruxelles », in C. BIDOU‐ZACHARIASEN (dir), Retours en ville, Paris, Éditions Descartes & Cie, 2003, p. 73‐103.
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Ces recherches, si elles ont initialement permis à Sophie CORBILLE d’organiser son enquête en désignant a priori des objets d’observation, ont également constitué une sorte de « pression descriptive », d’injonction à se conformer à des objets à observer. C’est en relativisant l’intérêt de l’observation du changement en tant que tel, que Sophie CORBILLE est ensuite parvenue à envisager une autre manière de saisir l’espace par l’observation, et à construire son propre objet de recherche. C’est finalement le concept de « monde » qui lui a permis de proposer une autre approche de ces espaces en changement. Si cette notion recouvre plusieurs définitions, c’est à celle de l’anthropologue Jean Bazin qu’elle se réfère : « L’ensemble de ce qui pour des acteurs quelconques va de soi, à la forme d’un monde : ils sont dedans, ils y vivent. C’est l’ensemble de ce qu’ils présupposent et répètent par prétérition chaque fois qu’ils agissent, de ce sur quoi ils s’entendent, y compris dans leurs conflits, sans en avoir jamais convenu7. » Chez ce chercheur, la notion de monde renvoie au familier, à ce qui relève de l’évidence et observer un monde c’est alors tenter de décrire les règles qui font que les acteurs se sentent « dedans », de rendre compte des manières de dire et de faire évidentes aux yeux des personnes. A l’issu de ce changement de point de vue, observer le « nouvel » est de Paris, ne consistait plus à observer les processus de changement et les logiques de répartition des populations, mais à observer et analyser un « monde », c’est‐à‐dire saisir le dedans ou encore le « mode de communication8 » spécifique à ces espaces. Un tel choix impliquait de privilégier « le point de vue des acteurs » et donc produire une « connaissance de l’intérieur » en menant une enquête ethnographique. Ainsi, pour saisir l’évidence et expliquer le dedans, Sophie CORBILLE a choisi d’observer des situations sociales « empiriquement constituées9 », pour reprendre une expression de Gérard Althabe, dans le sens où elles possèdent une relative autonomie ; également appelées « événements de communication10 ». Son travail a ainsi reposé sur l’observation de plusieurs situations, d’événements sociaux tels qu’un vide‐grenier de quartier, un conseil de quartier, des visites touristiques organisées par une association dite de quartier ou encore un espace résidentiel, une copropriété organisée autour de lofts dans une ancienne imprimerie réhabilitée. Au terme de cette enquête multi‐situationnelle, Sophie CORBILLE a montré que vivre dans ces espaces urbains en renouvellement, c’est finalement se comporter de trois manières : être animé par le souci du singulier ; participer à des dispositifs d’échanges en vue de « faire des choses ensemble » en agissant tantôt en acteur urbain, en ami ou en habitant ; et, enfin, prendre part à la « communication ethnographique » en manipulant, dans les relations avec les autres et avec l’espace, les objets et les outils classiques de l’ethnologie, c’est‐à‐dire la découverte comme mode de relation à l’espace et aux autres ; l’authentique comme objet à découvrir ; et enfin la « culture », objet sur lequel les acteurs s’accordent et au regard duquel ils interagissent.
7 Jean BAZIN, « Science des mœurs et description de l’action », in Le genre humain, Paris, Éd. du Seuil, hiver 1999‐printemps 2000, p. 42. 8 Gérard ALTHABE, « Ethnologie du contemporain et enquête de terrain », Terrain, 14, mars 1990, p. 128. 9 Ibid, p. 128. 10 Ibid., p. 130.
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Cette troisième manière de se comporter renvoie à l’éloge, dans les discours des personnes rencontrées, du multiculturalisme de ces quartiers. Lorsqu’elle évoque une logique de « communication ethnographique », Sophie CORBILLE renvoie aux travaux de Gaetano Ciarcia sur la manière dont les ethnologues, classiquement, ce sont constitués : ils allaient découvrir des espaces au loin et des cultures « authentiques ». On retrouve ce même comportement parmi les gens qui viennent s’installer dans ces quartiers, d’aller découvrir des cultures « authentiques » et d’être dans un rapport de découverte vis‐à‐vis de son propre espace résidentiel. Sophie CORBILLE développe ensuite un exemple concret d’analyse de situation. Au cours de son enquête, plusieurs interlocuteurs faisaient le lien entre l’attrait pour les quartiers du nord‐est de Paris et le fait de participer aux nombreux vide‐greniers qui s’y tiennent : dans leurs discours, les vides‐greniers apparaissaient en effet comme un lieu représentatif de ces nouveaux quartiers de l’est de Paris en cela qu’ils étaient animés, conviviaux et aussi parfois multiculturels. C’est pourquoi il est apparu pertinent d’observer de telles situations. Sophie CORBILLE a ainsi observé un vide‐grenier du Xème arrondissement, institué dans les années 1990 par une association de défense de quartier dans le cadre d’une lutte contre un projet de destruction de ce quartier très dégradé et en vue d’obtenir la mise en place d’une OPAH, ce à quoi elle est parvenue en 1994. Qu’observe‐t‐on dans cette situation ? Les jours de vide‐grenier, deux fois dans l’année, les rues, habituellement lieu de passage des habitants et des véhicules, et la place, objet d’occupations parfois concurrentielles entre les anciens et les nouveaux habitants, sont transformées en un espace marchand où des particuliers s’échangent des objets personnels devenus marchandises. Ce dispositif s’organise sur le mode du marché : les gens, placés par un membre de l’association, aménagent leur étal en disposant, selon des logiques variables, les objets destinés à la vente. En outre, le marchandage est aussi au cœur de l’échange. Cela n’est pas sans effet : à travers cette manière d’effectuer les transactions, les personnes endossent la posture de l’acteur économique et tous, au‐delà des motivations de chacun, « performent », parfois jusqu’à la caricature, pour faire marché, « pour jouer à la marchande » comme le souligne une participante. Les acteurs ne sont plus alors seulement des voisins, des amis ou des gens du quartier mais des vendeurs et des acheteurs qui négocient le prix d’objets personnels devenus marchandises. Ces relations construites sur le mode des « relations de marché » favorisent certainement, un peu comme à Carpentras [de La Pradelle, 1996] ou à Barbès [Lallement, 1999], la neutralisation des marqueurs identitaires, souvent ségrégatifs dans d’autres espaces sociaux. Aussi, durant le temps de l’événement marchand que constitue la brocante, des personnes d’horizons socio‐économiques et culturels divers se croisent et interagissent. Par ailleurs, au vide‐grenier, la règle est celle du bas prix. L’observation a pu montrer que dans ce vide‐grenier, le prix semble être fixé selon le degré de proximité au quartier. Pour le dire autrement, en faisant un bas prix, on fait un prix « d’habitant de quartier » qui vient sanctionner l’appartenance locale. Cette identité citadine spécifique et hautement valorisée aujourd’hui qu’est celle d’« habitant de quartier », n’est cependant pas érigée comme un critère d’exclusion mais davantage comme une règle du jeu car peu importe finalement qu’on soit ou non du quartier tant qu’on se comporte comme si on en était. Cela implique de montrer qu’on se
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connaît ou que l’on se reconnaît, de parler sur le mode de la convivialité et d’accepter la règle du petit prix. A partir de l’analyse d’une telle situation, qu’apprend‐on sur ces espaces ? On voit d’abord que le local qui occupe une place si importante dans les discours et les pratiques des acteurs, ce que les gens appellent aussi leur quartier, c’est d’abord faire des choses ensemble. A cet égard, cette brocante, telle qu’elle est organisée, constitue un dispositif particulièrement intéressant puisque l’échange marchand encourage les gens à faire relation, il les force à faire relation au‐delà des appartenances ordinaires, des mondes sociaux qu’ils fréquentent habituellement. A ce titre, et au regard de la thématique du renouvellement et de la culture, il semble que la logique du « faire ensemble » occupe une place importante pour comprendre ces espaces en changement. Ce que montre également l’analyse de cette situation, c’est qu’on ne fait pas n’importe comment des choses ensemble. L’observation de cette situation sociale a en effet permis de montrer qu’au vide‐grenier, on fait les choses ensemble en se comportant en « habitant de son quartier », c’est‐à‐dire sur un mode convivial, celui de l’interconnaissance réelle ou fictive. C’est là une des modalités du faire ensemble essentielle, encouragée d’ailleurs par les pouvoirs publics. Mais l’enquête, à travers l’analyse d’autres situations urbaines, a permis de dégager d’autres postures : celle de l’acteur urbain (il s’agit alors de participer à des relations d’échanges ayant pour objet la fabrication de sa propre ville), et celle de l’ami (il est question ici de participer à des réseaux d’échanges amicaux, une forme d’échanges bien spécifiques). Enfin, l’analyse d’une telle situation permet de comprendre comment les « nouveaux habitants » construisent ces espaces comme des espaces conviviaux et multiculturels. S’il ne fait aucun doute que des logiques de ségrégation et de séparation fortes ont lieu dans les espaces résidentiels, les espaces scolaires, et parfois aussi dans certains espaces publics, d’autres moments sociaux comme les vides‐greniers offrent des occasions au cours desquelles ils éprouvent concrètement la convivialité et la diversité de ces espaces. A cet égard, cette analyse fait apparaître que l’attachement à l’espace urbain n’implique pas nécessairement un engagement fort, que « faire quartier » n’exige pas une sociabilité de proximité intense. On comprend mieux dès lors pourquoi ces acteurs attachent autant d’importance aux vides‐greniers. Pour conclure, Sophie CORBILLE souligne que sa manière d’observer les espaces en renouvellement produit un savoir particulier. Tout d’abord, en privilégiant l’observation de situations, la recherche ne se construit pas, comme c’est le cas dans les recherches sur les processus de gentrification, à partir de catégories préétablies par les chercheurs, par exemple celles de gentrifiers, de nouvelles classes moyennes, etc. En conséquence, l’objectif n’est pas d’affiner leur définition au regard du contexte local observé. En revanche, une attention particulière est portée au travail de catégorisation que les individus réalisent et à leurs effets sur les rapports sociaux. Ainsi, il est évident que la fabrication de ce monde urbain est indissociable d’un travail de catégorisation, mené par divers acteurs du champ journalistique, du marketing et aussi par les habitants, au cœur duquel on trouve la figure sociale du « bobo », à la fois très présente et souvent décriée.
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En outre, puisque l’analyse cherche à rendre compte d’un monde urbain, cette étude n’a pas eu pour objectif de mesurer l’ampleur et la nature du phénomène de la gentrification, ni d’en donner une définition dans sa version parisienne. Pour autant, il ne s’agit pas d’occulter les facteurs qui encadrent ce phénomène : les transformations économiques, les changements opérés dans la stratification sociale, l’évolution du marché immobilier, les processus de distinction sociale, le rôle des politiques publiques, etc. Pour terminer, les situations observées étant « empiriquement constituées », l’analyse n’a pas reposé sur un découpage de la réalité sociale réalisé en termes de pratiques – pratiques résidentielles, scolaires, commerciales, festives, etc. Certes, Sophie CORBILLE a observé des situations marchandes, résidentielles ou touristiques, mais le but n’était pas alors de définir une pratique ou de déterminer un usage, mais bien plus de comprendre les ressorts des actions dans ces situations. A cet égard, l’ethnologie lui semble pouvoir offrir un regard spécifique sur la ville en renouvellement.
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Marie‐Christine COUIC commence avant tout par se présenter, de façon à mieux situer son intervention. Urbaniste et sociologue, elle a fait sa thèse au CRESSON à Grenoble, et fait actuellement partie d’un collectif issu de la recherche appelé BazarUrbain qui a à cœur de transposer les méthodes universitaires vers le projet urbain et opérationnel. Elle souhaite parler d’observation sur la base d’un travail fait à Hem, commune de l’agglomération lilloise, dans le cadre d’un projet ANRU, suite à la double commande de la Ville et d’un bailleur social, de renouvellement d’un quartier de maisons en bande. Ces logements sociaux individuels étaient disposés de manière assez singulière en rectangle, laissant le cœur de l’îlot vide occupé par des batteries de garages en très mauvais état, formant des espaces clos, minéraux, propices aux incivilités et au développement d’activités illicites. La commande initiale était de détruire les garages et de les remplacer par autre chose. Le propos de Marie‐Christine COUIC n’est pas tant de présenter le projet, mais d’expliquer comment il a pu être élaboré à l’appui d’observations successives et entremêlées. Comme Michelle SUSTRAC précédemment, Marie‐Christine COUIC fait un détour par le dictionnaire, et y trouve cette acception contemporaine et communément admise de l’observateur : « personne qui observe attentivement, qui étudie les êtres et les choses, les événements, les personnes, qui s’adonne à l’observation scientifique de phénomènes naturels. » Au regard de cette définition, les membres de BazarUrbain font effectivement partie des observateurs, mais pas seulement. Car s’ils cherchent, par leurs observations et leurs approches situées, à comprendre un lieu, ses acteurs, ses ambiances, ses vécus, à construire une connaissance, celle‐ci est intrinsèque à la conception d’un projet. Parmi les méthodes qu’ils privilégient, la « récitation du lieu », le fait de solliciter et de construire différents récits sur l’espace à l’étude, parce qu’elle permet de fonder le projet, occupe une place centrale, aux côtés de la conception et de l’exposition. Il en est principalement question dans cette intervention, qui entend présenter les différents temps d’observation développés dans le cas du projet de Hem.
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Le premier mode de lecture utilisé par Marie‐Christine COUIC consiste en un déchiffrage personnel : alors qu’elle ne connaît pas encore les habitants du lieu, mais sait qu’ils y ont des usages, des représentations, elle procède à une première immersion sensible, progressive, en utilisant son corps comme capteur sensoriel, comme médium. Elle marche de manière un peu flottante, fait des photographies, sent l’ambiance, regarde le lieu ‐ les zones basses, la pente, est‐ce qu’il y a des gens dans la rue ? ‐, capte les traversées, l’herbe froissée à certains endroits, l’absence de commerces, les traces d’huile sur la rue, observe les rassemblements pour la prière du soir à la mosquée, va voir les entrées et les sorties d’école, un peu à la manière de Perec dans Espèces d’espaces. Puis, après cette immersion sensible et avant de solliciter d’autres lectures, elle fait une immersion un peu plus cartésienne à l’appui de données traditionnelles ‐ statistiques, plans cadastraux et architecturaux, baux… ‐ de façon à répondre à un certain nombre de questions sur les logements, les parcelles, les habitants, les loyers, etc. Dans un troisième temps, Marie‐Christine COUIC sollicite les personnes qui habitent ou travaillent sur place et leur propose des parcours collectifs. A partir d’itinéraires, en général préétablis par elle pour s’assurer de leur diversité et que les espaces particulièrement saillants du point de vue des thématiques à analyser soient visités, mais qui peuvent aussi être en partie improvisés à la demande des usagers, elle demande à ces personnes de la guider, de prendre des photographies et de décrire les lieux. Elle projette ensuite les photos prises durant ces « parcours commentés » et organise un débat autour de la sélection collective de certaines de ces photos et la justification de ces choix. A l’issue de cette démarche, elle réalise un livret qui resitue et illustre les parcours et les débats. A partir de ce moment, Marie‐Christine COUIC est en mesure de mieux comprendre ce « monde », l’ordre des choses tel qu’il est construit pour les usagers du lieu, mais aussi de recueillir leur point de vue sur les dysfonctionnements du quartier et leurs envies. Elle sait désormais, par exemple, que les habitants ont peur pour leur voiture et ne la gare plus dans les garages qui sont régulièrement pillés et brûlés, qu’ils souhaiteraient vivre dans un environnement plus avenant, dans lequel ils pourraient se sentir plus dignes. Enfin, elle rencontre les habitants logement par logement et, à l’occasion de cet entretien progressivement resserré, approfondit le recueil des usages des lieux – le quartier, les logements – en insistant sur les usages des espaces de réserve, l’hypothèse d’une démolition des garages d’emblée posée rendant nécessaire de connaître en détails le fonctionnement de l’ensemble de ces espaces : caves, selliers, jardins, garages… Cette série d’entretiens permet de mieux connaître les conditions de vie des locataires dans leur logement et leurs pratiques résidentielles et domestiques, leurs logiques familiales, leur attachement au quartier, leurs besoins et leurs aspirations (espace, décohabitation, accession). Afin de compiler toutes ces observations, Marie‐Christine COUIC construit une base de données informatisée permettant d’intégrer toutes les informations recueillies sur les lieux, y compris les photos. A l’issue de l’ensemble de ce processus d’enquête, Marie‐Christine COUIC procède à une relecture croisée de toutes ces sources, rassemble, entremêle et resserre l’ensemble des données collectées pour construire les enjeux du lieu à différentes échelles et dessiner le projet.
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A l’échelle urbaine, la plus large, les lectures d’habitants, si elles restent présentes, sont moins centrales. Il s’agit essentiellement de dessiner un schéma d’organisation du quartier, de hiérarchiser les voiries, d’imaginer la nouvelle structure des îlots, d’y implanter de nouvelles habitations ; l’objectif étant de résoudre les problèmes récurrents d’insécurité, de délabrement, d’insalubrité, d’offrir des espaces de meilleure qualité et des espaces de connexion entre les différents espaces publics et îlots afin d’éviter l’enclavement. A l’échelle de l’îlot, l’enjeu consiste surtout à modifier sa morphologie, à faire en sorte que ce rectangle, quasiment sans issue s’ouvre, par une démolition des garages en très mauvais état. A cette échelle, l’observation prend une place importante : elle a permis de savoir que les habitants utilisaient beaucoup plus les garages comme espace de bricolage ou de stockage que pour du stationnement, pas suffisamment sécurisé à leurs yeux. Elle a donc permis de comprendre que le renouvellement des espaces de stationnement était secondaire par rapport à une offre alternative de stockage. Les entretiens ont également permis de constater une pratique systématique, et parfois assez poussée, de récupération de l’eau de pluie depuis les toits des garages, pour l’arrosage des jardins, l’alimentation des toilettes, le ménage, voire la lessive. Par ailleurs, l’équipe avait remarqué l’ampleur des besoins de décohabitation des familles locataires, vivant parfois à quatre générations sous le même toit. Ainsi, le parti pris à l’issue de toutes ces observations à été de supprimer tous les garages, d’ouvrir une rue en cœur d’îlot, d’y construire de nouveaux logements, plus petits et plus adaptés aux besoins, et de proposer à chacun un abris de jardin mis au point avec les habitants, proposant un système de récupération des eaux de pluie et de rosée innovant. Quelques maisons ont été soumises à la démolition, mais uniquement pour permettre un meilleur maillage du quartier, une visibilité des nouvelles rues en cœurs d’îlots. Enfin, l’équipe de BazarUrbain a proposé, au‐delà de la commande initiale, de travailler la présentation et l’organisation des jardinets privatifs au devant des maisons. Les habitants, en effet, avaient fait part de leur gêne quant aux mauvaises odeurs (égouts, poubelles) et à la mauvaise image (mauvaise qualité des clôtures, poubelles dans les jardins) renvoyées par ces espaces. Outre la proposition de retrait des bouches d’égout vers l’espace public, l’équipe a proposé et mis au point un système de consoles techniques, identiques d’une maison à l’autre de façon à affirmer l’unité de la bande de maisons, permettant d’abriter les containers à poubelle, la boîte aux lettres en laissant la possibilité d’y disposer des fleurs ou des objets décoratifs. Ces objets, ainsi que les abris de jardins, ont également été travaillés en atelier avec les habitants. Pour conclure, Marie‐Christine COUIC reconnaît, à la suite de l’interrogation des organisateurs du séminaire, que les membres de BazarUrbain sont des « observateurs engagés » et des acteurs du projet. Contrairement à la définition du dictionnaire qui évoque des observateurs extérieurs à l’action observée, elle et ses collaborateurs sont clairement engagés sur le terrain avec leur corps, par le biais des échanges avec les usagers du lieu, et co‐construisent avec eux le sens du lieu. Par ailleurs, les observations auxquelles ils s’adonnent ne sont pas menées uniquement à des fins heuristiques, dans le cadre de recherches, mais clairement orientées vers des propositions de transformation d’un quartier.
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‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐‐ Martine DERAIN, artiste installée à Marseille, donne à voir, à travers son intervention, le parcours qui l’a mené de l’une à l’autre de quelques‐unes de ses créations ayant pris corps dans des territoires en profonde mutation. Le premier d’entre eux est Belsunce, quartier central de Marseille et quartier historique de l’immigration maghrébine, alors qu’il était l’objet d’un processus de réhabilitation initié par la Ville depuis le milieu des années 1990. Martine DERAIN rappelle que cette opération commence dans le contexte d’une inculture certaine des techniciens locaux – quant aux dispositifs de réhabilitation de l’ancien11 et avec le parti‐pris idéologique du maire Jean‐Claude Gaudin, qu’elle cite : « Le Marseille populaire ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien ; le centre de Marseille a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. Moi, je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil et je fais revenir les habitants qui payent des impôts ».12 A cette époque, Martine DERAIN travaille dans un atelier d’artistes réhabilité et financé dans le cadre de cette opération. Les artistes du lieu ayant fait de la réhabilitation elle‐même l’enjeu de leur projet artistique décident de questionner les changements que cette réhabilitation provoque d’un point de vue urbain et humain, ainsi que le rôle confié aux artistes13 dans les processus de réhabilitation. Avec une autre artiste, Dalila Mahdjoub, elle s’intéresse à la construction d’une résidence sociale SONACOTRA à quelques mètres de l’atelier, construction qui semble contredire la politique menée jusqu’alors : la Sonacotra, créée en 1956 afin d’offrir « un logement temporaire » aux travailleurs venus d’Algérie et Maghreb, héberge aujourd’hui des personnes démunies de toutes origines, qui ne sont pas précisément ceux que le Maire souhaite alors voir « revenir » dans le centre. Les deux artistes, disposant d’une bourse de recherche de la Direction de l’Architecture et du Patrimoine, proposent à la SONACOTRA une installation pérenne explorant les thèmes du seuil et du passage, une « petite histoire de portes qui s’ouvrent et qui se referment »14. Projet que la Sonacotra accepte. Il s’agit d’enfouir, dans le sas d’entrée de la nouvelle résidence15, deux portes de chambre du premier foyer SONACOTRA construit en France. Visibles au travers d’un plancher‐verre, affleurant à la surface du sol, et calées sur l’axe d’ouverture de la porte d’entrée, l’une est grande ouverte, c’est symboliquement « la porte de 1956 », grande ouverte pour le travail et le logement temporaire, l’autre porte se referme, c’est « la porte de 1974 », symbolisant
11 La Ville a lourdement payé son statut de grande ville d’opposition et n’a pas bénéficié des aides de l’Etat mises en place pour la réhabilitation de l’habitat ancien par les gouvernements de droite. « Il n’y a pas de pratique et donc une inculture des cadres municipaux quant à l’ancien et à sa réhabilitation », Thierry Durousseau, 5 mai 2008 « Histoire du logement à Marseille entre 1955 et 1980 », séance de formation‐information organisée par CVPT à la Maison des Associations. 12 La Tribune, 5 décembre 2001. 13 Lors de l’inauguration de l’atelier, en 1997, il était écrit en effet dans la presse que sa vocation était de « diversifier » la population. 14 L’installation s’appelle « D’un seuil à l’autre | Perspective sur une chambre avec ses habitants ». Elle est visible au 35 de la rue Francis de Pressensé, 13001Marseille. La publication est disponible auprès des éditions La courte échelle, Marseille. Plus d’infos sur www.documentsdartistes.org/artistes/derain. 15 Cette résidence est considérée comme la « vitrine » de la Sonacotra modernisée, et Belsunce a longtemps été appelé « quartier‐sas de l’immigration ».
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l’arrêt officiel de l’immigration en France. En même temps que la porte du travail, c’est la porte du logement qui se referme. Un logement pérenne n’a en effet jamais été offert à ces travailleurs immigrés, dont beaucoup vivent encore en foyer ou en hôtel meublé. Des légendes fixées sur les tranches des portes donnent quelques clés de lecture. L’installation souhaite questionner la porte qui s’ouvre aujourd’hui et offre un logement temporaire encore, pas un « chez‐soi », mais cette fois pour tous.
Tout au long de ce travail, Martine DERAIN s’intéresse aux archives de la SONACOTRA. Elle y « découvre » une série de cartes postales éditée en 1975 et souligne l’intérêt de cet inventaire photographique des bâtiments, dont le « ton » laudatif contraste avec les conditions de vie dans ces foyers : gestion par des anciens militaires de la guerre d’Algérie, interdiction d’accueillir des femmes ou de faire de la politique, relégation en périphérie des villes… La Sonacotra, sous l’impulsion de la Cité de l’Immigration, commence à porter attention à ses documents. Le registre du premier foyer est retrouvé. Martine Derain le recopie entièrement et le fait publier à l’occasion de l’inauguration de la résidence sociale. Si ce petit livret n’a rien de séducteur, il offre une grande richesse d’information : la lecture des listes qu’il comporte permet de reconstituer l’histoire des travailleurs logés dans ce foyer, qui sont d’abord Français, puis Français Musulmans pendant la guerre, puis apparaissent comme Algériens ; d’y lire également l’évolution du peuplement de ce foyer, avec notamment l’apparition des premiers chômeurs à partir des années 1980. Par ailleurs, en périphérie du travail sur les portes, Martine DERAIN fait la connaissance du dernier photographe de Belsunce, chez qui elle achète son matériel. Par hasard, elle repère dans sa boutique des piles de boîtes contenant environ 5 000 plans‐films grand format représentant des travailleurs du quartier, essentiellement logés en foyer SONACOTRA, prises de vues réalisées des années 1950‐1960 à 1990. Ces travailleurs, souvent analphabètes, utilisaient les portraits photographiques pour envoyer des nouvelles à leurs familles restées au pays. Sur ces images, où le photographe n’est intervenu que pour la partie technique en
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laissant les sujets libres de se mettre en scène, on voit les travailleurs en costume, des fleurs ou un livret de caisse d’épargne à la main d’où sortent des billets de banque, parfois blessés, victimes d’accident du travail, mais souriants et debout. Martine DERAIN signale l’existence de ce fonds aux Archives de la Ville de Marseille, qui décide d’en acheter une partie en faisant valoir l’intérêt de ce témoignage photographique, qu’elle voit comme un contrepoint à toutes les représentations pathologiques produites sur ces hommes. A la même époque, Martine DERAIN intègre l’association Centre‐Ville Pour Tous, qui suit les opérations de réhabilitation du centre‐ville de Marseille et défend ses habitants actuels, notamment les vieux travailleurs logés en hôtels meublés, pour que leur soient proposés des logements adaptés à leurs besoins et leurs ressources. Dans le cadre des actions menées par cette association, elle réalise un inventaire photographique de tous les immeubles vides, propriété de la Ville, dont cette dernière pourrait immédiatement, sans gros travaux, faire des logements. Elle réalise, toujours avec Dalila Mahdjoub, une affiche qu’elle colle sur les portes des immeubles murés. Le directeur de la SEM Marseille Aménagement reconnaîtra publiquement suite à cet affichage que la réhabilitation de ces biens en logements sociaux ou accessibles à tous est uniquement une question de volonté politique, alors que la stratégie des édiles était alors d’attirer les investisseurs privés au moyen de la défiscalisation et de subventions avantageuses.
Par le biais de Centre‐Ville Pour Tous, Martine DERAIN découvre alors la situation de la rue de la République ‐ tranchée d’architecture Haussmannienne au milieu de deux quartiers populaires, ayant causé la ruine des investisseurs au moment de sa construction à la fin du
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XIXème siècle ‐ qui venait d’être achetée par un fonds d’investissement (Lone Star), et dont la réhabilitation était soutenue par la puissance publique dans le cadre de l’opération Euroméditerranée. A l’époque, le fonds d’investissement américain, allié à des partenaires français, se donnait six ans pour rénover et revendre au prix fort ses appartements réhabilités. Il s’est finalement retiré avant la date annoncée, les trois quarts des îlots ne sont toujours pas réhabilités mais ont été rachetés par un autre fonds. Le désir de rentabilité financière à court terme de Lone Star, passait par l’expulsion des 600 familles habitant encore les immeubles, dont plus de 60% étaient vacants. D’origines et de parcours très divers, souvent très pauvres (un tiers vivait en dessous du seuil de pauvreté au début de l’opération) les locataires devenus indésirables vivaient dans ces logements parfois depuis des générations. Quand le nouveau propriétaire a commencé à envoyer les lettres de non renouvellement de bail, les militants de Centre‐Ville Pour Tous décidèrent de porter l’affaire sur la place publique. Pour eux, déplacer 600 familles ne relevait pas d’une affaire strictement privée, entre un propriétaire et ses locataires, ce qu’elle était aussi et de fait, mais questionnait le devenir du centre‐ville, le sens de sa réhabilitation comme l’utilisation de l’argent public, et concernait donc tous les Marseillais. Les membres de l’association ont tout d’abord mobilisé les familles restantes, en faisant du porte‐à‐porte, puis organisé avec elles la mobilisation et la résistance, en interpellant la puissance publique sur ses responsabilités (la réhabilitation de la rue est en effet soutenue par de gros investissements publics, dont les propriétaires se targuent afin de justifier soit des augmentations de loyers exorbitantes soit l’éloignement des familles ne pouvant s’offrir de tels logements !). Parallèlement, Martine DERAIN a participé à une recherche‐action16 commanditée par le PUCA, en compagnie des sociologues Jean‐Stéphane Borja et Véronique Manry. Dans le cadre de cette recherche‐action, et comme proposition artistique, elle a choisi de commencer la constitution d’un fonds d’archives sur la mobilisation des habitants et la transformation de la rue et des quartiers adjacents. La rue et ses immeubles initialement construits pour la bourgeoisie d’affaires, qui ne s’y est jamais installée, a toujours été habitée par les classes moyennes et ouvrières, dont l’activité était liée au Port de commerce tout proche. Un fonds d’archives comme réponse à une absence : la rue et ses habitants n’avaient vraisemblablement jamais été jugés dignes d’être représentés, comme l’interprète le responsable des archives de la Chambre de Commerce : « Personne n’a sans doute eu envie de documenter ce qui a été un échec, économique d’abord, et pour la bourgeoisie marseillaise ensuite ». Presque pas d’images donc (hormis son percement spectaculaire en 1860) d’une histoire populaire pourtant emblématique de la ville entière. Elle a ainsi collecté ce qui se produisait sur la rue (images de cinéastes, images journalistiques, films amateurs, photographies et tracts de militants et d’habitants…) et produit elle‐même deux séries d’images : les grands appartements bourgeois, dans lesquels on lit les traces de cette présence populaire, et les nouveaux programmes immobiliers destinés aux classes moyennes et supérieures, en construction à proximité immédiate de la rue, sur le périmètre Euroméditerranée.
16 Recherche‐action « Renouvellement urbain à Marseille : centralité populaire et mobilisation collective, le cas de la Rue de la République, Jean‐Stéphane Borja | Martine Derain | Véronique Manry | 2007, 213 pages.
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Pour conclure son intervention, Martine DERAIN rappelle qu’elle travaille essentiellement in situ et pour l’espace public, les formes qu’elle y produit sont donc contextualisées, documentées et situées, mais peuvent aussi se percevoir de façon sensible, sans explications, pour ce qu’elles sont : de simples formes. Elle souligne également son intérêt photographique et artistique pour les quartiers en mouvement, car les changements urbains y reconstruisent les rapports sociaux et politiques. Synthèse des débats A l’issue de ces trois interventions, il a été demandé à la discutante de la séance, Barbara ALLEN, chercheur‐consultante au sein du Laboratoire de sociologie urbaine générative du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, spécialiste de l’accompagnement et de l’évaluation des projets de développement social urbain dans les quartiers sensibles, et praticienne expérimentée des méthodes d’observation et de recherche‐action, de réagir à ces propos et de lancer le débat. Barbara ALLEN souhaite avant tout souligner l’importance à ses yeux des questions posées en introduction, notamment la nécessité d’avoir une réflexion épistémologique sur la construction du regard et de la connaissance, qui n’apparaît pas dans de nombreux travaux sur le renouvellement urbain dans les quartiers dits sensibles, afin d’éviter le travers d’une naturalisation de la posture, la reproduction d’évidences et permettre de réinterroger des univers convenus. Elle insiste sur l’importance de prendre en compte cette question fondamentale et de faire avancer collectivement la réflexion sur le rôle d’un certain nombre de travaux dans la production de représentations et d’imaginaires ayant un impact sur les conceptions de l’action publique à l’œuvre. Dans ce cadre, elle salue le souci qu’on eu les trois intervenantes d’expliciter le lieu à partir duquel elles parlaient, chaque observation étant de nature et de finalité différente en fonction du type d’engagement – recherche, observation‐action, action artistique et militante –, et des conditions de production (parfois strictes, notamment dans le cadre d’une thèse) qui s’y attachent. En écho aux inquiétudes formulées en introduction par François MENARD sur la multiplication des observatoires, Barbara ALLEN convient que l’action de ceux‐ci doit être examinée avec attention, car si le désir de connaître les territoires et leurs évolutions est complètement légitime, il a parfois conduit et conduit encore à des réductions de la réalité dont les effets sont réellement problématiques, notamment dans le cas du renouvellement
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urbain des quartiers sensibles. Elle souligne la focalisation d’un grand nombre de travaux sur la politique elle‐même, plus nombreux que ceux qui cherchent à enrichir la compréhension des processus à l’œuvre dans ces quartiers. Par contraste, elle salue les interventions précédentes qui, même si elles étaient courtes, restituaient bien la richesse et la complexité des situations observées. En outre, Barbara ALLEN s’interroge sur la difficulté d’observer le changement urbain dans ses différentes temporalités : d’un coté des processus lents, observables, à l’échelle d’une ville sur des temporalités longues et de l’autre, les projets ANRU qui résultent d’une action volontaire, massive, rapide et parfois brutale de production du changement. D’autre part, en faisant référence à l’intervention de Martine DERAIN, elle dit son intérêt pour une démarche visant à restituer sens, dignité et droits aux populations en les réinscrivant dans une histoire. Afin de lancer les débats et d’obtenir des précisions sur les démarches des intervenantes, Barbara ALLEN formule trois questions adressées à chacune d’elle. A l’attention de Sophie CORBILLE, elle souligne l’intérêt d’une démarche cherchant à se détacher de catégories conceptuelles omniprésentes, mais souhaite que celle‐ci précise son positionnement vis‐à‐vis des travaux sur la gentrification. En effet, si au début de sa communication Sophie CORBILLE évoquait ce courant de recherche et la façon dont elle s’en est démarquée grâce à la notion de « monde », à la fin elle revient sur la question des grands déterminants socio‐économiques, sans expliciter finalement les enseignements qu’elle retire de son travail par rapport aux catégories sociales produites par les recherches sur la gentrification : les confirme‐t‐elle, les invalide‐t‐elle, les réinterroge‐t‐elle ? A Marie‐Christine COUIC, dont la posture professionnelle est très proche de la sienne, Barbara ALLEN demande comment elle articule un certain mode de production de connaissances avec les finalités au nom desquelles il est mis en œuvre, c’est‐à‐dire éclairer, nourrir les processus de décision, notamment les méthodes de production de la connaissance, les concepts mobilisés et le type de rendu. Enfin, elle interroge Martine DERAIN sur l’articulation entre son travail d’artiste et son engagement militant. A ses yeux, si le partage entre ces deux dimensions semble bien équilibré dans les travaux sur Belsunce, l’engagement militant semble plus affirmé dans son action rue de la République et par conséquent, conduire à une dissociation, une distanciation plus grande de ces deux aspects. Barbara ALLEN formule donc une double question : quel est pour Martine DERAIN son rôle d’artiste dans ce type de situation et qu’est‐ce qui, du point de vue de son identité d’artiste peut s’avérer non négociable ou entrer à un moment en contradiction avec les conditions d’exercice de son engagement dans des processus? A la suite de cette première réaction s’organise un débat, articulé autour des réponses des trois intervenantes et de questions ou remarques complémentaires formulées par les autres participants. Nous essayons de synthétiser ici les principaux arguments échangés, sans toujours respecter l’ordre chronologique des prises de parole. Virginie MILLIOT propose une traduction des trois questions formulées par Barbara ALLEN.
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Soulignant son intérêt pour ces trois approches, différentes dans leurs objectifs mais finalement très proches en termes de méthodes utilisées – parcours commentés, travail d’archive, observation –, elle interprète les trois questions posées par Barbara ALLEN comme renvoyant aux tensions inhérentes à chaque démarche, spécifiques au point de vue que chacune à choisi de tenir : celle propre au chercheur, entre objectivité et subjectivité ; celle de l’urbaniste, entre concertation et décision ; celle de l’artiste, enfin, entre production de formes et engagement. Si comme Barbara ALLEN, Virginie MILLIOT a senti une tension forte dans le positionnement de Sophie CORBILLE par rapport au champ de la gentrification, en revanche elle souligne l’aspect fortement structurant de la tension inhérente à la démarche de Martine DERAIN, entre la fabrication de formes, et le questionnement du réel. Martine DERAIN, en réponse aux interrogations qui lui sont adressées, confirme qu’elle essaie d’aller en permanence d’un territoire à l’autre, de faire des allers‐et‐retours entre production de formes et engagement militant, les deux étant intimement liés chez elle. Elle ajoute même que c’est la tension entre ces deux dimensions qui la fait avancer. Néanmoins, elle dissocie ces deux temps de son action : lorsqu’elle agit avec Centre‐Ville Pour Tous, elle est clairement du côté de la défense des habitants, ce qui ne l’empêche pas, de produire des formes qui appartiennent pleinement à la sphère artistique. Pourtant, elle signale que l’intégration du politique dans ses projets artistiques lui est souvent reprochée, et que parfois sa colère militante se ressent dans les photographies qu’elle réalise, ce qui est le cas de ses premières photos d’appartements rue de la République. Cependant Martine DERAIN souligne que sa pratique artistique, qu’il s’agisse d’images ou de formes, ne doit servir aucune idéologie quelle qu’elle soit, et cite Dan Graham : « le but de l’art et de l’architecture n’est pas de résoudre les conflits sociaux ou idéologiques dans une belle œuvre, ou de construire un contre‐contenu idéologique en sus. L’œuvre d’art attire l’attention sur les failles des représentations idéologiques. ». Pour elle, les quartiers en renouvellement sont des lieux intéressants de ce point de vue, car ils permettent de questionner ces représentations idéologiques, ce qui est et ce qui est voulu. Ainsi, si son engagement est très fort sur des sujets comme l’exclusion des pauvres du centre ville, lorsqu’elle travaille ses formes, celles‐ci doivent pouvoir exister en tant que telles. ‐ Suite à une remarque de Laurent DEVISME qui voyait beaucoup plus d’imbrications entre les deux dimensions, entre le sujet et le cadrage des photographies par exemple, ou l’engagement et le travail de mise en forme d’archives, Martine DERAIN reconnaît que sa sensibilité explique en grande partie ses choix formels, et qu’elle aime aller en bordure d’autres disciplines, avec une pratique documentaire en particulier, mais aussi faire évoluer sa pratique plastique en fonction des lieux : une installation pérenne pour la SONACOTRA, des photographies et des documents pour la rue de la République… En outre, pour répondre à la question de Barbara ALLEN sur la différence de posture ressentie dans les travaux sur Belsunce et République, Martine DERAIN convient effectivement d’un double différence, à la fois parce que son travail sur Belsunce, qui lui a pris quatre ans, est achevé, contrairement au travail sur la rue de la République qui demande encore plusieurs années de travail et dont le résultat formel reste encore
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indéterminé ; mais aussi parce que l’intensité de son engagement militant dans le deuxième cas l’a obligée à radicaliser son action. Enfin, sur le « non‐négociable », Martine DERAIN en donne un exemple concret : lorsqu’au cours du projet Belsunce, la SONACOTRA lui a soudainement demandé de ne conserver que la porte qui s’ouvre, et de transformer la porte de 1974 en porte s’ouvrant également, elle a catégoriquement refusé. Cette demande, qui visait à présenter la Sonacotra comme un « outil » totalement positif au service du bien des gens, invalidait le sens même du projet et sa dimension critique.. Le non négociable, c’est la forme… que la Sonacotra ici a finalement acceptée une seconde fois. Pour compléter et approfondir ces premiers questionnements, François MENARD interroge Martine DERAIN sur une autre dimension de l’activité artistique, la place de la monstration dans son travail, et la façon dont l’exposition publique de ses œuvres interfère sur ses choix formels. Si Martine DERAIN intègre dans son travail d’artiste sa présence journalière dans les lieux, la rencontre avec les habitants et la collecte de matériaux, elle reconnaît que la finalité de son travail reste de produire des formes et de les montrer. Elle apprécie particulièrement l’exposition temporaire de ses travaux dans l’espace public, l’œuvre apparaissant momentanément à la vue des passants sans s’imposer à eux de manière pérenne. Par ailleurs, elle apprécie de pouvoir raconter la genèse de ses travaux, aussi bien dans des séminaires de recherche comme celui‐ci, que dans les écoles d’art et lieux artistiques, ou auprès des vieux travailleurs du quartier et des habitants de la Républqie, les questions posées et les critiques formulées étant de nature différente et toutes deux essentielles. Vincent BOURJAILLAT l’interroge quant à lui sur l’effet politique et social de ses interventions, notamment de son action rue de la République, sur le dialogue que celles‐ci produisent entre les habitants et ceux qui souhaitaient leur éviction, ou sur les évolutions dans la politique de la municipalité qu’elles ont permises. La mobilisation menée par Centre Ville Pour Tous rue de la République a eu pour Martine DERAIN, avant tout, un rôle important pour déplacer le problème, constituer ce contentieux privé en problème public, et faire changer l’attitude des pouvoirs publics, en alertant notamment la presse nationale. En outre, symboliquement, cette histoire a permis de montrer que des familles pauvres peuvent gagner contre un fonds d’investissement, ce qui est une avancée majeure du point de vue des représentations. Sophie CORBILLE répond ensuite à la question posée par Barbara ALLEN sur sa réappropriation des catégories sociales mises au jour par les études sur la gentrification. Elle rappelle que l’objectif de son travail de thèse consistait justement à ne pas partir de catégories sociales par ailleurs élaborées, comme celle du bobo par exemple, d’échapper à la description de comportements type et d’éviter les réductions, pour mieux observer, en situation, ce que font concrètement les individus. Cependant, elle reconnaît que les études sur la gentrification l’ont beaucoup aidé et qu’elle a pu, lors de son enquête de terrain, faire des constats similaires à ceux d’autres chercheurs. La catégorie du bobo l’a notamment
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intéressée dans le sens où elle est régulièrement convoquée par les nouveaux habitants de ces quartiers pour s’auto‐désigner. Emilie BAJOLET et Sophie CORBILLE précisent que l’étude des postures et des rôles que se donnent les individus dans des situations concrètes est une démarche inscrite dans un champ particulier de l’anthropologie urbaine, représentée par Jean Bazin, Michelle de la Pradelle ou Emmanuelle Lallement, qui permet d’échapper complètement à l’objet « catégorie sociale », et qui, faisant un pas de côté, ne cherche, ni à réutiliser, ni à infirmer, ni à dépasser ces catégories, mais bien à dire autre chose en s’intéressant aux pratiques. Laurent DEVISME voit dans ce parti‐pris épistémologique une parenté avec Erving Goffman qui, à la fin de l’introduction des Cadres de l’expérience écrit : « je donne personnellement la priorité aux classes sociales, à l’aliénation, et je considère qu’il y aurait fort à faire pour réveiller la conscience des gens, mais j’entre sur la pointe des pieds et j’observe comment ils ronflent. ». C’est ensuite au tour de Marie‐Christine COUIC de répondre à la question qui lui est posée sur le passage à la décision. A ses yeux, parmi les différentes étapes décisionnelles au cours d’un projet, ce ne sont pas celles qui se font au niveau de la conception, des négociations avec la maîtrise d’ouvrage ou encore avec les habitants qui sont les plus complexes. Ces premières étapes, si elles ne se font pas tout à fait au même moment, et qu’elles mettent en jeu des points de vue différents et un certain nombre de filtres, essaient néanmoins de construire collectivement un projet « idéal », qui veille à équilibrer les aspects techniques, financiers, sociaux et sensibles. Par des processus de dialogue, le premier projet élaboré par les concepteurs est enrichi par les diverses propositions, émanant des usagers, des techniciens ou des élus. C’est par la suite que les difficultés peuvent surgir, liées au « temps long » du projet. Lorsque, par exemple, les techniciens chargés de la coordination du projet ANRU sont mutés ou débordés et que les chaînes technocratiques de l’Etat prennent le dessus, avec leurs rigidités financière et opérationnelle, leurs procédures institutionnelles. Marie‐Christine COUIC cite l’exemple des abris de jardin à Hem : ceux‐ci avaient été dessinés pour optimiser la récupération d’eau et finalisés dans leur forme en collaboration avec les habitants. La maîtrise d’ouvrage avait suggéré qu’ils soient fabriqués, sur le modèle d’un prototype conçu par BazarUrbain, par une entreprise d’insertion sociale. Finalement, ils seront dessinés et fabriqués de façon beaucoup plus banale, mettant à mal le travail de conception et de concertation. Il y a donc effectivement un risque énorme à faire de l’observation et de la concertation, c’est celui, non pas de la décision, mais de la déception que l’on peut produire vis‐à‐vis des habitants lorsque les usages que l’on a observés et les promesses qu’on leur a faites ne sont pas respectés. Les échanges suscités par les réponses aux questions de Barbara ALLEN amènent François MENARD à faire part de son sentiment sur la crise actuelle de l’observation, prise dans ses deux acceptions – rapport à l’objet et méthodologie à l’intérieur du champ des sciences sociales ‐ dans le contexte du renouvellement urbain.
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Alors que l’observation comme rapport à l’objet constituait, lui semble‐t‐il, une forme de résistance aux transformations de l’urbain, en s’inscrivant dans une certaine durée, en percevant les permanences et les formes de résistance au changement, qu’elle permettait de créer une scène indépendante de celle où se jouait le changement urbain ; il semble qu’aujourd’hui les impératifs du renouvellement urbain, le regard permanent de la rénovation urbaine sur elle‐même, les enjeux d’image font que les instruments qui ont outillé l’observation – la photographie, les formes artistiques… – ne sont plus seulement mobilisés à des fins de connaissance, mais embarqués (« embedded ») dans le processus de renouvellement. Par conséquent, la disjonction entre la posture d’observation et la posture d’action n’opère plus comme avant, même si les observateurs qui participent à cette « observation embarquée », comme Marie‐Christine COUIC, ne sont pas dupes du risque qu’il y a à s’engager dans la rationalité instrumentale du projet. Dans ce contexte, François MENARD salue le travail de Martine DERAIN qui a su trouvé des ruses, des biais, des positions alternatives pour conserver cette posture, même si sa démarche n’est pas pure observation, mais bien une figure de l’action. Concernant l’observation comme méthode d’enquête en sciences sociales, il lui semble que la crise est d’un autre ordre. D’une part, il se demande ce que peut être aujourd’hui un recueil d’informations, dans un contexte où l’on reconnaît une capacité réflexive aux acteurs et dans lequel les espaces urbains en renouvellement sont saturés de catégories d’analyse, de concepts, de notions. La tentation est forte alors, comme l’a fait Sophie CORBILLE, de se mettre à l’abri des catégories, mais le risque est de ne plus parvenir à dialoguer et à travailler ces objets, qui sont ceux qu’utilisent les pouvoirs publics et les acteurs du projet urbain. D’autre part, la posture d’observation, qui doit normalement mettre le chercheur en capacité de trouver autre chose que ce qu’il était venu chercher, le permet de moins en moins dans l’économie actuelle de la recherche, en raison des multiples écrans – intermédiaires, travailleurs sociaux, étudiants et doctorants chargés de l’enquête… ‐ qui s’interposent entre la réalité et le responsable de la recherche. Les remarques de François MENARD sur l’articulation entre observation et renouvellement urbain suscite plusieurs interventions. Emmanuelle LALLEMENT a eu l’impression, à l’écoute des trois exposés, que le recours à l’observation permettait une sorte d’ « arrêt sur image » pour envisager les choses autrement, au moment où la situation est en train de changer ou lorsqu’une rhétorique du changement s’impose ; que l’observation constituerait un moyen de résister au changement ou tout au moins une manière d’accompagner le changement pour qu’il ait lieu autrement. Emilie BAJOLET, pour rebondir sur cette idée qu’il pourrait y avoir contradiction entre observation et renouvellement urbain fait part d’une expérience personnelle. Son bureau d’étude, Alphaville, est actuellement missionné par un bailleur social sur un projet de restructuration d’un quartier de pavillons, après que les habitants se soient opposés fermement aux hypothèses de démolition‐reconstruction, pour organiser une concertation et repenser le projet. Si les méthodes d’observation sont beaucoup moins poussées et scientifiques que celles développées par BazarUrbain, elles s’en rapprochent : visites et photographies des lieux, entretiens avec chaque ménage pour recueillir des informations sur leur attachement au quartier, logements et jardins… A l’issu de ces entretiens, les options de projets envisagés auparavant à partir de l’étude des plans et des statistiques volent en partie
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en éclat et l’ampleur du projet se resserre : d’une démolition de la moitié du quartier et d’un total changement de forme, il est finalement envisagé une démolition très limitée et des réhabilitations. Ainsi, Emilie BAJOLET se demande sur l’organisation d’un recueil méthodique des usages et d’une observation des pratiques existantes n’a pas un effet de conservation et de limitation de la dynamique de changement. A entendre Marie‐Christine COUIC, qui insiste sur les abris de jardin et les consoles techniques pour les jardinets mis en place à Hem, elle se demande si dans ce cas également, l’ampleur des évolutions préalablement envisagées n’a pas été réduite suite à l’enquête. Marie‐Christine COUIC va à l’encontre de cette hypothèse que l’observation des usages supprimerait toute possibilité d’intervention sur la morphologie du lieu, et montre qu’au contraire des décisions drastiques ont été prises à Hem pour faire évoluer le quartier ‐ démolition des garages et reconstructions de petites maisons sur les parcelles libérées, démolition de quelques maisons pour retravailler la trame du quartier ‐ ; alors que d’autres décisions auraient pu être prises – résidentialisation, agrandissement des jardins sur les parcelles des garages démolis, absence de démolition… Néanmoins les interventions sont restées très fines, et les démolitions se passent plutôt bien car les habitants sont entrés sans un processus de négociation pour obtenir un nouveau logement. Marie‐Christine COUIC signale qu’elle s’est pourtant interrogée sur la possibilité du projet, ayant peur, alors qu’elle connaissait très bien les habitants, de la manière dont elle allait pouvoir leur annoncer la démolition de leur logement. Par ailleurs, elle insiste, en fin de séance, pour que la réflexion soit poussée plus avant sur cette question du rapport entre observation et action.
Au cours de la séance, plusieurs interventions ont pris pour thème les conditions de production des observations et ont donné lieu à des échanges entre divers participants. Interrogée sur la question du temps consacré aux observations, Marie‐Christine COUIC précise que dans le cas des études qu’elle a mené le temps d’investigation et d’observation sur le terrain était d’environ six mois, et de deux mois pour la conception. Si elle reconnaît que ce temps de prise de connaissance est relativement court et contraint en comparaison avec les temps de la recherche, il ne se réduit pas non plus à une journée ou une semaine. Plus encore, Marie‐Christine COUIC défend l’idée que ce temps court est parfois plus profitable qu’une investigation de longue durée et peut être efficacement mis à profit. Par exemple, dans le cas des parcours commentés, certains collègues chercheurs, en sophistiquant à l’excès la construction du récit des lieux, finissaient par produire une narration plus proche de leurs catégories que de celles des habitants. La contrainte de temps lui paraît donc, dans certains cas, préférable.
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Laurent DEVISME apporte quant à lui un certain nombre de remarques critiques sur l’utilisation banalisée de ces approches sensibles. S’il reconnaît l’intérêt de ces méthodes, il a pu être le témoin, notamment dans le cadre des enseignements de projet urbain en Ecole d’Architecture, d’appropriations génériques des méthodes développées par le CRESSON, où ces outils devenaient une grille de lecture normative pour les étudiants, devant faire « réciter le lieu » en une journée pour des raisons d’économie de temps. Ainsi, s’il ne remet pas en cause la pertinence de ces approches, il s’interroge sur l’absence de réinterrogation critique et la condensation dont elles font parfois l’objet, et se demande si, victimes de leur succès, elles ne se réduisent pas bien souvent à des oripeaux d’approches qualitatives, qui conduisent finalement à reproduire des hiérarchies implicites et des images toutes faites sur les lieux, plutôt que de les déconstruire. Barbara ALLEN revient sur l’impact des conditions de production de la connaissance et sa finalité sur le type de connaissances produites, car c’est une question qui, à ses yeux, mériterait d’être particulièrement interrogée. Par ailleurs, elle regrette la disjonction existant très souvent en France entre la production de connaissance par les bureaux d’études (donc à finalité opérationnelle) et la production « plus académique » des savoirs, alors même que de nombreux pays, comme l’Angleterre ou les USA ont développé de nombreux travaux qui portent précisément sur la question des modes d’articulation de la production de connaissances et l’action, notamment au travers de l’évaluation. Cette dichotomie constitue probablement l’une des raisons qui expliquent que l’évaluation des politiques publiques se soit aussi peu développée dans notre pays. Enfin, plusieurs participants discutent la possibilité de transférer les méthodes d’observation évoquées au cours de la séance à des échelles de projet plus vaste. Michelle SUSTRAC note que les cas évoqués, notamment celui de Hem, se réduisent à quelques dizaines de logements. Elle se demande si la démarche présentée, applicable à de petites opérations, le serait dans des opérations de grandes périphéries, concernant 2 000 ou 3 000 logements. Barbara ALLEN souligne qu’il existe diverses manières de faire selon les échelles, mais aussi selon les contextes et les enjeux. La question n’est pas tant celle de la stricte transférabilité de ces méthodes qualitatives à grande échelle, que celle d’une prise en compte, d’une analyse des situations pour elles‐mêmes afin que les projets mis en œuvre ne soient pas élaborés à partir d’orientations prescriptives, abstraites, en surplomb. Faire l’effort d’expliciter les présuposés à l’œuvre dans l’analyse de ces quartiers, de formuler la problématique d’analyse développée afin qu’elle puisse être débattue est fondamentale. L’instrumentation du questionnement vient ensuite. Marie‐Christine COUIC signale par ailleurs qu’elle réfléchit actuellement à la mobilisation de méthodes qualitatives pour un marché de définition concernant 10 000 logements. Si celles‐ci seront nécessairement différentes de celles présentées, elles s’attacheront néanmoins à conserver une même finesse d’approche.
Annuaire des recherches et expérimentations 2005
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Le plan | urbanisme | construction | architecture | PUCAdepuis sa création en 1998, développe à la fois des programmes de recherche incitative, des actions d’expérimentation et apporte son soutien à l’innovation et à la valorisation scientifique et technique dans les domaines de l’aménagement des territoires, de l’habitat, de la construction et de la conception architecturale et urbaine.
Organisé selon quatre grands départements de capitalisation des connaissances : Sociétés urbaines et habitat traite des politiques urbaines dans leurs fondements socio-économiques ; Territoires et aménagement s’intéresse aux enjeux du développement urbain durable et de la planification ; Villes et architecture répond aux enjeux de qualité des réalisations architecturales et urbaines ; Technologies et constructioncouvre les champs de l’innovation dans le domaine du bâtiment ; le PUCA développe une recherche incitative sur le Futur des villes à l’impératif du développement durable.Ce plan 2007-2012 se décline, selon huit programmes finalisés dont les objectifs de recherche répondent aux défis urbains de demain.Ces programmes sont accompagnés par des ateliers thématiques de bilan des connaissances et des savoir-faire, ainsi que par des programmes transversaux à l’échelle des territoires et des villes et à l’échelle européenne avec la participation du PUCA à des réseaux européens de recherche.Le PUCA, par ailleurs, assure le secrétariat permanent du programme de recherche sur l’énergie dans le bâtiment.
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