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Les facteurs de croissance hematopoletlques N. IFRAH*, M. BOASSON* II est habituel de proposer pour I'hematopo"lese un modele a trois compartiments. Le premier est celui des cellules souches totipotentes : tres minoritaires (moins de 0,05 % des cellules medul- laires), elles ne peuvent etre reconnues sur des criteres morphologiques, et sont caracterisees par leurs mitoses asymetriques, permettant tout a la fois un autorenou- vellement en theorie illimite, et une differenciation vers des progeniteurs irreversiblement engages dans une li- gnee. Ces progeniteurs hematopo"letiques determines constituent Ie deuxieme compartiment. Leur capacite d'autorenouvellement se reduit progressivement, au profit de la generation de cellules filles, de potentialites de plus en plus etroites au fur et a mesure de leurs divisions. Ces progeniteurs sont identifies non par leur aspect morphologique mais par la nature des colonies qu'ils produisent lorsqu'on les cultive dans des milieux appropries. Peuvent ainsi etre individualisees les cellules progenitrices precoces (myelo"lde ou CFU-GEMM), mixtes (CFU-GM pourgranulo-monocytaire parexemple) ou uniques (BFU-E et CFU-E pour la lignee erythroblas- tique par exemple). Le dernier compartiment est marque par la maturation de ces cellules determinees, desormais identifiables par la morphologie, dans la moelle ou Ie sang. L'hematopo"lese permet ainsi a la fois une amplification considerable et une regulation fine de la production a tous les niveaux cellulaires. Sa regulation depend de plusieurs facteurs de croissance hematopo"letiques, mais egalement de contacts etroits avec Ie micro-environ- nement medullaire, et notamment les cellules stromales, elles-memes susceptibles de produire un grand nombre de cytokines soit a I'etat basal, soit en reponse a une sti- mulation. Si I'on exclut I'erythropo"letine, connue des 1906 et les travaux de Carnot, la caracterisation des facteurs de croissance a ete rendue possible par la culture de cel- lules progenitrices en milieu semi-solide. C'est en 1966 que Bradley et Metcalf ont obtenu pour la premiere fois des colonies matures granulo-monocytaires, sous I'effet d'un milieu stimulant issu de cellules non hemato"letiques. Initialement detectes dans des extraits cellulaires ou des milieux de culture, par leur capacite a faire proliferer et! ou differencier preferentiellement certaines cellules • Service de Medecine 0 ; CHRU ; ANGERS. 1991 - Tome XII Bulletin de la SNFMI N' 26 hematopo"letiques, ces substrats d'activite fonctionnelle ont ete rattaches a une proteine ou une glyco-proteine codee par des cDNA isoles puis sequences. Les denominations d'activite stimulante puis de facteur de croissance se sont ainsi succedees : une quinzaine d'entre eux ont ete ainsi caracterises a ce jour. De meme que I'hematopo"lese peut etre decrite selon un modele a trois compartiments, trois families de CSF hemato- po"letiques peuvent etre schematiquement decrites, jouant sur des partitions differentes : les premieres agis- sent sur les progeniteurs les plus immatures, mais aus- si sur les temps tardifs de certaines lignees (IL 1, IL4, IL6, HILDA). Lessecondssontplusactifssurlecomparti- ment de proliferation (IL3, GM-CSF). Les derniers trou- vent leurs recepteurs sur des cellules deja plus mOres (G-CSF, M-CSF, erythropo"letine par exem- pie). Ces CSF ne representent pas une famille de genes: leur structure nucleique, les proteines qu'ils produisent sont differentes, les recepteurs presents a la surface des cellules cibles sont presqu'a chaque fois specifi- ques.Neanmoins, les genes codant pour I'lL 3, Ie GM- CSF, Ie M-CSF et Ie recepteur du M-CSF, I'lL 4 et I'lL 5 sont localises, parfois en contigu"lte, sur Ie bras long du chromosome 5. La perte totale ou limitee a ce bras long du chromosome 5 se constate de fa<{on non aleatoire dans certaines hemopathies myeldides mali- gnes. Seule la lignee erythro"lde a une regulation simple: son stimulus est I'hypoxie, ses progeniteurs precoces dependent de I'lL 3 et du GM-CSF, ses progeniteurs tardifs de I'erythropo·ietine. Les autres lignees myelo·ides dependent d'inte- ractions beaucoup plus complexes entre les differents facteurs de croissance. Le GM-CSF fournit un bon modele pour I'etude du mode d'action de ces differentes cytokines. II est produit par les fibroblastes, les cellules endotheliales, les macrophages et les lymphocytes T apres stimulation par un anti gene ou un mitogene. La glycoproteine humaine, purifiee a partir de la lignee Mo (Ieucemie a tricho- leucocytes infectee par HTLV2) a un poids moleculaire de 22 kilo dalton, glycosylee et constituee d'une seule chaine polypeptidique avec ponts disulfures intra chaines. Les ponts disulfures sont plus importants que la glycosy- lation pour I'activite biologique in vitro, les car- bo-hydrates ayant sans doute un role in vivo (clearan- ce ?). S 265

Les facteurs de croissance hématopoïétiques

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Page 1: Les facteurs de croissance hématopoïétiques

Les facteurs de croissance hematopoletlques N. IFRAH*, M. BOASSON*

II est habituel de proposer pour I'hematopo"lese un modele a trois compartiments.

Le premier est celui des cellules souches totipotentes : tres minoritaires (moins de 0,05 % des cellules medul­laires), elles ne peuvent etre reconnues sur des criteres morphologiques, et sont caracterisees par leurs mitoses asymetriques, permettant tout a la fois un autorenou­vellement en theorie illimite, et une differenciation vers des progeniteurs irreversiblement engages dans une li­gnee.

Ces progeniteurs hematopo"letiques determines constituent Ie deuxieme compartiment. Leur capacite d'autorenouvellement se reduit progressivement, au profit de la generation de cellules filles, de potentialites de plus en plus etroites au fur et a mesure de leurs divisions. Ces progeniteurs sont identifies non par leur aspect morphologique mais par la nature des colonies qu'ils produisent lorsqu'on les cultive dans des milieux appropries. Peuvent ainsi etre individualisees les cellules progenitrices precoces (myelo"lde ou CFU-GEMM), mixtes (CFU-GM pourgranulo-monocytaire parexemple) ou uniques (BFU-E et CFU-E pour la lignee erythroblas­tique par exemple).

Le dernier compartiment est marque par la maturation de ces cellules determinees, desormais identifiables par la morphologie, dans la moelle ou Ie sang.

L'hematopo"lese permet ainsi a la fois une amplification considerable et une regulation fine de la production a tous les niveaux cellulaires. Sa regulation depend de plusieurs facteurs de croissance hematopo"letiques, mais egalement de contacts etroits avec Ie micro-environ­nement medullaire, et notamment les cellules stromales, elles-memes susceptibles de produire un grand nombre de cytokines soit a I'etat basal, soit en reponse a une sti­mulation.

Si I'on exclut I'erythropo"letine, connue des 1906 et les travaux de Carnot, la caracterisation des facteurs de croissance a ete rendue possible par la culture de cel­lules progenitrices en milieu semi-solide. C'est en 1966 que Bradley et Metcalf ont obtenu pour la premiere fois des colonies matures granulo-monocytaires, sous I'effet d'un milieu stimulant issu de cellules non hemato"letiques. Initialement detectes dans des extraits cellulaires ou des milieux de culture, par leur capacite a faire proliferer et! ou differencier preferentiellement certaines cellules

• Service de Medecine 0 ; CHRU ; ANGERS.

1991 - Tome XII Bulletin de la SNFMI N' 26

hematopo"letiques, ces substrats d'activite fonctionnelle ont ete rattaches a une proteine ou une glyco-proteine codee par des cDNA isoles puis sequences. Les denominations d'activite stimulante puis de facteur de croissance se sont ainsi succedees : une quinzaine d'entre eux ont ete ainsi caracterises a ce jour. De meme que I'hematopo"lese peut etre decrite selon un modele a trois compartiments, trois families de CSF hemato­po"letiques peuvent etre schematiquement decrites, jouant sur des partitions differentes : les premieres agis­sent sur les progeniteurs les plus immatures, mais aus­si sur les temps tardifs de certaines lignees (IL 1, IL4, IL6, HILDA). Lessecondssontplusactifssurlecomparti­ment de proliferation (IL3, GM-CSF). Les derniers trou­vent leurs recepteurs sur des cellules deja plus mOres (G-CSF, M-CSF, erythropo"letine par exem­pie).

Ces CSF ne representent pas une famille de genes: leur structure nucleique, les proteines qu'ils produisent sont differentes, les recepteurs presents a la surface des cellules cibles sont presqu'a chaque fois specifi­ques.Neanmoins, les genes codant pour I'lL 3, Ie GM­CSF, Ie M-CSF et Ie recepteur du M-CSF, I'lL 4 et I'lL 5 sont localises, parfois en contigu"lte, sur Ie bras long du chromosome 5. La perte totale ou limitee a ce bras long du chromosome 5 se constate de fa<{on non aleatoire dans certaines hemopathies myeldides mali­gnes.

Seule la lignee erythro"lde a une regulation simple: son stimulus est I'hypoxie, ses progeniteurs precoces dependent de I'lL 3 et du GM-CSF, ses progeniteurs tardifs de I'erythropo·ietine.

Les autres lignees myelo·ides dependent d'inte­ractions beaucoup plus complexes entre les differents facteurs de croissance.

Le GM-CSF fournit un bon modele pour I'etude du mode d'action de ces differentes cytokines. II est produit par les fibroblastes, les cellules endotheliales, les macrophages et les lymphocytes T apres stimulation par un anti gene ou un mitogene. La glycoproteine humaine, purifiee a partir de la lignee Mo (Ieucemie a tricho­leucocytes infectee par HTLV2) a un poids moleculaire de 22 kilo dalton, glycosylee et constituee d'une seule chaine polypeptidique avec ponts disulfures intra chaines. Les ponts disulfures sont plus importants que la glycosy­lation pour I'activite biologique in vitro, les car­bo-hydrates ayant sans doute un role in vivo (clearan­ce ?).

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L'effet de ce glyco-peptide esttres puissant, stimulant la proliferation et la maturation des progeniteurs myelo'ides in vivo comme in vitro, pour donner naissance aux cellules neutrophiles, eosinophiles et monocytaires. La concentration de GM-CSF determine la proportion de cellules en cycle, leur temps moyen de cycle et Ie nombre de colonies produites. Dans certains conditions de culture, la proliferation des BFU-erythrocytes est egalement stimulee, celie des progeniteurs mega-caryocytaires beaucoup plus rare. La prolifera­tion des progeniteurs immatures ne resume pas I'action du GM-CSF qui, de surcrolt, intervient sur les fonctions des effecteurs matures ainsi produits, qu'il s'agisse des granuleux neutrophiles, des macrophages ou des eosinophiles. Ainsi, parallelement a I'augmenta­tion des mecanismes de la lutte anti-bacterien­ne, I'activation des monocytes macrophages conduit a une cascade liberant diverses cytokines. Cette absen­ce de selectivite explique certains des effets secon­daires decrits in vivo : syndromes pseudo-grip­paux, thrombose des gros vaisseaux, capillary leak syndrome.

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Les recepteurs membranaires pour Ie GM-CSF sont specifiques de leurs substrats, mais non restreints aux cellules normales et Mmatopo"ietiques : ils sont trouves surdes lignees leucemiques, mais aussi surdes blastes frais, quelques lignees tumorales notamment pulmo­naires et mammaires, ainsi que sur Ie placenta normal. Ces recepteurs sont presents en assez faible nombre et peuvent etre de haute ou de basse affinite, la transmission du signal etant rapide (inferieure a une heure). La transduction du signal elle-meme, et les voies de I'acti­vation cellulaire, demeurent mal connues.

En conclusion, la connaissance des facteurs de croissance hemato"ietiques, en plein ess~r, a plusieurs impacts. Sur Ie plan fondamental, I'utilisation de sub­stance pure permet de mieux explorer la regulation fine de I'hematopo"iese normale, mais egalement les particularites de I'hematopo"iese leucemique. Sur Ie plan tMrapeutique, elle met a la portee de medications « en­docrinologiques », certaines hemopathies, malignes ou non. Entin, elle peut permettre I'amplification de cellules cibles ainsi disponibles pour des manipulations chimiques, immunologiques voire geniques.

La Revue de Medecine Interne Supplement au Numero 6