14
Les fissures discursives dans Le Premier homme Raymond Gay-Crosier, University of Florida Partant de la fonction productive que Michel Foucault associe au terme « discours », je me propose d’e´tudier le paradoxe de la proximite´ distante que permet l’e´criture autobiographique a` peine dissimule´e. Chez Camus, celle-ci refle`te aussi son penchant pour l’anonymat (le « on-dit » foucaldien). Les manques originels, les be´ances existentielles que relate Le Premier homme sont capte´s par des silences e´loquents, des fissures discursives ge´ne´ratrices du texte. Ces fissures masquent, tout en les articulant, la pudeur naturelle avec laquelle l’auteur traite les questions personnelles qui ne cessent de le hanter. Je choisirai trois segments qui e´clairent admirablement la manie`re dont le silence et l’absence ge´ne`rent paradoxalement plus de sens que tous les mots avec lesquels le fils- e´crivain, faute de mieux, se voit force´ de de´crire son univers et de pre´parer sa confession jamais exe´cute´e. Ces sce`nes reprennent et modulent le maıˆtre-the`me du roman : l’impossible queˆte d’identite´. En fin de compte, celle-ci se heurte non pas au mur impe´ne´trable du silence mais a` celui de l’inade´quation des mots, fussent-ils nombreux. Au-dela` de son aspect fragmentaire accidentel, Le Premier homme confirme le statut solitaire de l’œuvre, « cette absence d’exigence qui ne permet jamais de la dire acheve´e ni inacheve´e », selon le constat de Maurice Blanchot. Dans cette optique, le fragment du Premier homme rejoint les travaux aussi inutiles qu’exemplaires de Sisyphe dont la monstruosite´, que l’auteur assume, est attribuable a` l’exce`s de lucidite´. De nos jours, le terme « discours », a` l’origine limite´ au domaine de l’oral et pre´supposant un e´change verbal entre un locuteur et un interlocuteur soit re´el soit suppose´, a pris de nombreuses connotations, si bien qu’il s’applique tantoˆt au domaine de la parole, tantoˆt a` un texte ou une articulation plus longue qu’une phrase, avant de s’e´tendre enfin a` tous les proce´de´s et types d’e´nonciation, autrement dit a` tous les signes dont est capable l’expression humaine. Aux yeux de Michel Foucault, la fonction Orbis Litterarum 58: 239–252, 2003 Printed in Denmark. All rights reserved

Les fissures discursives dans Le Premier homme

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les fissures discursives dans Le Premier homme

Les fissures discursives dans Le Premierhomme

Raymond Gay-Crosier, University of Florida

Partant de la fonction productive que Michel Foucault associeau terme « discours », je me propose d’etudier le paradoxe de laproximite distante que permet l’ecriture autobiographique a peinedissimulee. Chez Camus, celle-ci reflete aussi son penchant pourl’anonymat (le « on-dit » foucaldien). Les manques originels, lesbeances existentielles que relate Le Premier homme sont captes pardes silences eloquents, des fissures discursives generatrices du texte.Ces fissures masquent, tout en les articulant, la pudeur naturelleavec laquelle l’auteur traite les questions personnelles qui necessent de le hanter. Je choisirai trois segments qui eclairentadmirablement la maniere dont le silence et l’absence generentparadoxalement plus de sens que tous les mots avec lesquels le fils-ecrivain, faute de mieux, se voit force de decrire son univers et depreparer sa confession jamais executee. Ces scenes reprennent etmodulent le maıtre-theme du roman : l’impossible quete d’identite.En fin de compte, celle-ci se heurte non pas au mur impenetrabledu silence mais a celui de l’inadequation des mots, fussent-ilsnombreux. Au-dela de son aspect fragmentaire accidentel, LePremier homme confirme le statut solitaire de l’œuvre, « cetteabsence d’exigence qui ne permet jamais de la dire achevee niinachevee », selon le constat de Maurice Blanchot. Dans cetteoptique, le fragment du Premier homme rejoint les travaux aussiinutiles qu’exemplaires de Sisyphe dont la monstruosite, quel’auteur assume, est attribuable a l’exces de lucidite.

De nos jours, le terme « discours », a l’origine limite au domaine de l’oral

et presupposant un echange verbal entre un locuteur et un interlocuteur

soit reel soit suppose, a pris de nombreuses connotations, si bien qu’il

s’applique tantot au domaine de la parole, tantot a un texte ou une

articulation plus longue qu’une phrase, avant de s’etendre enfin a tous les

procedes et types d’enonciation, autrement dit a tous les signes dont est

capable l’expression humaine. Aux yeux de Michel Foucault, la fonction

Orbis Litterarum 58: 239–252, 2003Printed in Denmark. All rights reserved

Page 2: Les fissures discursives dans Le Premier homme

du discours n’est pas, comme le suppose la tradition, d’articuler les pensees

d’un locuteur qui se prend pour leur source mais de charpenter le sujet a

travers les paroles qu’il prononce. L’idee d’un « sujet fondateur » (49) est

illusoire parce que le discours qu’il veut originaire « s’annule dans sa

realite, en se mettant a l’ordre du signifiant ».1 L’auteur de L’Ordre du

discours situe celui-ci sur le plan du « on-dit », c’est–a-dire le discours de la

culture normative qui faconne l’expression du locuteur. Ce discours

culturellement regule exhibe une tendance innee a l’impersonnel, voire a

l’anonymat. Le on-dit ne conduit pas au dit comme signification definitive

mais a l’aleatoire de la redite faisant du discours un jeu de repetitions, un

evenement fugitif (cf. p. 59 et passim). En vertu de la grammaire qui en

fournit la logique formelle, le discours est culturellement piege, une espece

de theatre de la parole qui fixe « des roles pour les sujets parlants. » (47). Et

comme la parole, l’ecriture fait tourner le carrousel du non-dit, du dit, de la

redite et de l’interdit. C’est dans ce sens que j’utiliserai, dans le contexte

camusien, le terme « discours » et l’adjectif « discursif » qui en est derive.

Mais c’est l’aspect de l’anonymat qui m’incite a associer le concept

foucaldien au discours litteraire de Camus. Pour l’auteur de La Peste

comme pour tout le monde, la fonction primaire de la parole et de l’ecriture

est de capter la realite ou, plus precisement, le discours constitue une

tentative de saisie de cette realite immediate, vecue et observee. Or ce qui,

par dela la saisie banale du reel, selon les analyses esthetiques de L’Homme

revolte, differencie la pratique de l’artiste du mode d’apprehension commun

c’est la conception du style (au sens le plus etendu de donner forme a ce qui

n’en a pas) en tant que correctif de cette realite, conception qui demeure

consciente de l’inutilite de l’effort. Dans le vaste eventail de textes

camusiens, la transformation de la realite vecue et observee en segments

discursifs, allant des notes eparses dans les Carnets aux grands textes ou aux

projets de somme tel que Le Premier homme, ne repond pas seulement au

besoin de charpenter l’informe, de donner sens a ce qui n’en a pas, de saisir

le temps qui se perd infailliblement dans l’intemporalite.

L’optique foucaldienne mentionnee tout a l’heure assimile l’activite

discursive a une effort collectif transtemporel, a l’on-dit. Ce discours dont

le sujet est evacue puise donc dans l’inepuisable source de l’anonymat. Le

sujet parlant s’y retranche alors comme sur une espece d’ıle protectrice

entouree d’une mer de paroles indistinctes. Pareil retranchement permet au

discours paradoxalement une proximite detachee de son objet. L’un des

240 Raymond Gay-Crosier

Page 3: Les fissures discursives dans Le Premier homme

resultats de cette pratique discursive est l’ironie, strategie discursive

privilegiee par Camus dont il ne sera cependant pas question aujourd’hui.2

L’autre resultat du retranchement derriere le bouclier discursif est le libre

exercice d’une vertu que Camus possedait naturellement et qu’il n’a jamais

abandonnee dans ses ecrits, meme s’il s’agissait de lettres a des ami(e)s

intimes : la pudeur, ce besoin de retenue et de distance que l’anonymat de

l’ecriture saura justement sauvegarder. La pratique de cette proximite

distante se voit dans toute la complexite du rapport privilegie que le fils a

avec sa mere (a qui Le Premier homme est adresse comme une tentative de

confession). Objet d’une adoration soutenue et sans reserve, la mere a une

surpresence dans la vie et l’œuvre de Camus, alors que le fils souffre

visiblement de l’absence des gestes d’intimite maternelle. En revanche, les

relations avec le pere, mort des avant que le fils n’en ait pu faire la

connaissance, sont purement imaginaires. Figure entree dans la legende du

heros tombe sur le champ d’honneur, cet eternel absent est virtuellement

omnipresent dans Le Premier homme qui relate l’interminable recherche

d’un pere. Cependant, les fouilles que Jacques Cormery entreprend dans le

passe inaccessible de ses ancetres mettent a nu, couche par couche, le vrai

objet de son investigation : la quete de sa propre identite. Celle-ci permet

une autre nuance de la productivite discursive telle que Foucauld l’entend :

Le discours est la tentative de saisie de l’alterite, celle du monde aussi bien

que celle d’autrui, enfin celle du texte. Moyennant cette alterite incon-

tournable le locuteur emprunte a la banque des signes les variables d’une

langue acquise afin de fixer son identite. Harcele par un manque originel a

la fois sentimental et identitaire, Jacques Cormery cherche et accumule les

mots susceptibles de dire les absences physiques, mentales ou sentimen-

tales, reelles et imaginaires qui le hantent. Les privations dont le demi-

orphelin souffre et les difficultes de leur trouver une expression adequate

sont autant de fissures d’ou sortiront les paroles et les textes qui tenteront

en vain de combler les vides de sa vie. La quete identitaire de Jacques

n’aboutira pas, mais elle mettra a nu les fissures existentielles, leur

transformation en fissures epistemologiques qui se manifesteront par des

fissures discursives.

Les « Notes et plans » publies en annexe du Premier homme comportent

une panoplie d’intentions dont certaines n’ont jamais vu le jour alors que

d’autres ont ete executees pour ainsi dire a la lettre. C’est le cas de la note

programmatique suivante :

241Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 4: Les fissures discursives dans Le Premier homme

Je veux ecrire ici l’histoire d’un couple lie par un meme sang et toutes lesdifferences. Elle semblable a ce que la terre porte de meilleur, et luitranquillement monstrueux. Lui jete dans toutes les folies de notre histoire;elle traversant la meme histoire comme si elle etait celle de tous les temps. Ellesilencieuse la plupart du temps et disposant a peine de quelques mots pours’exprimer; lui parlant sans cesse et incapable de trouver a travers des milliers demots ce qu’elle pouvait a travers un seul de ses silences… La mere et le fils. (308)

Aucun doute que des la mise en chantier de cette fresque romanesque

autobiographique, la communion intime de silence qui lie le fils a la mere

faconne le discours public de l’auteur. Cette union quasi-sacree ne

manque pas de rappeler la premiere et, pour le non initie, mysterieuse

entree des Carnets, datee de mai 1935 : « le sentiment bizarre que le fils

porte a sa mere constitue toute sa sensibilite » (C1, 15, Camus souligne).

A plusieurs reprises, les situations ou le seul regard et un geste a peine

esquisse de la mere – meme et surtout lorsqu’elle cede a la grand-mere le

pouvoir, le terrain des paroles et des gestes donc – en disent plus long

que tous les mots qui lui manquent. Il suffit de rappeler la scene du repas

de premiere communion. C’est au moment le plus penible des assauts

verbaux ou physiques de la part de la grand-mere que le petit Jacques

detecte une rare promesse de tendresse, qu’il parvient a deceler dans le

mutisme congenital de Catherine Cormery ce que des « milliers de mots »

n’auraient jamais su exprimer. L’extrait des « Notes » cite tout a l’heure,

de meme que de nombreuses scenes et situations dans l’ebauche de

roman, illustrent l’inepuisable tresor de tendresse que masque le silence

maternel. Chez la mere, le manque de mots est plus que compense par un

surplus de sentiments aussi reels que sinceres. Sous cet angle, les «

milliers de mots » que Jacques Cormery ne peut s’empecher de proferer

ont la tache impossible de combler une beance douloureuse, de

compenser l’absence d’expression verbale ou sentimentale directe, inca-

pacite ou retenue qui constitue a la fois la faiblesse et la force de

Catherine Cormery.

Je choisirai trois segments qui eclairent admirablement la maniere

dont le silence et l’absence generent paradoxalement plus de sens que

tous les mots avec lesquels le fils-ecrivain, faute de mieux, se voit force

de decrire son univers et de preparer sa confession jamais accomplie.

Ces scenes reprennent et modulent le maıtre-theme du roman :

l’impossible quete d’identite. La premiere est la visite au cimetiere ou

le fils se trouve face a la pierre tombale de son pere qu’il n’a jamais

242 Raymond Gay-Crosier

Page 5: Les fissures discursives dans Le Premier homme

connu; la deuxieme est la partie de chasse ou Jacques accompagne son

oncle Etienne (alternativement appele Ernest) avec Brillant, son chien

inseparable et ses copains; le troisieme et dernier exemple sera tire du

segment « Obscur a soi-meme » qui fonctionne comme un bilan

provisoire. En fin de compte, la quete d’identite se heurte non pas au

mur impenetrable du silence mais a celui de l’inadequation des mots,

fussent-ils nombreux. Au-dela de son aspect fragmentaire accidentel, Le

Premier homme confirme le statut solitaire de l’œuvre, « cette absence

d’exigence qui ne permet jamais de la dire achevee ni inachevee »3 selon

le fameux constat de Maurice Blanchot. Dans cette optique, la fresque

romanesque du Premier homme rejoint les travaux aussi inutiles

qu’exemplaires de Sisyphe dont la monstruosite, que l’auteur assume, est

attribuable a l’exces de lucidite.

I. Saint-Brieuc4 : le pelerinage a la source introuvable

A lui seul, le titre donne a la premiere partie du roman, « Recherche du

pere », affiche l’objectif transparent de la quete qui guidera Jacques sur de

fausses pistes. Quarante ans separent le court segment inaugural de

quatorze pages, qui decrit la naissance de l’enfant sous forme d’une scene

de nativite a peine deguisee, et le moment revelateur ou Jacques,

maintenant en homme mur et fils qui se veut vaguement prodigue, se

trouve devant la tombe de son pere qu’il n’a jamais connu, qu’il ne devra

jamais connaıtre. Il appelle son geniteur « ce pere cadet » (PH, 31) parce

qu’au moment ou Henri Cormery est mort, il avait onze ans de moins que

son fils. Au fil des deux premiers chapitres, vie et mort se succedent donc

rapidement dans l’ouverture de cette ebauche de roman et ce non pas pour

ponctuer l’inevitable fin, mais pour marquer une continuite transgenera-

tionnelle, la complementarite cyclique du couple vie/mort : autrement dit,

l’eternel retour.

Le mouvement cyclique du temps narre sera aussi repris sur le plan

spatial, celui de la structure du roman ce qui rend moins curieuse la note au

bas de la premiere page du chapitre « Saint-Brieuc » : « Des le debut, il

faudrait montrer plus le monstre chez Jacques » (25). Alors que celui-ci se

comporte d’une maniere parfaitement correcte envers les autres, sa

monstruosite n’est pas caracterielle mais spirituelle, pour ainsi dire. Le

monstre c’est l’homme qui sait trop, qui connaıt les abımes de l’absurde.

243Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 6: Les fissures discursives dans Le Premier homme

Voici une note tiree de son plan dans l’annexe qui explique ce qui se cache

derriere le monstre :

On ne peut vivre avec la verite – « en sachant », celui qui le fait se separe desautres hommes, il ne peut plus rien partager de leur illusion. Il est un monstre –et c’est ce que je suis. (284)

La vie de Jacques se place donc logiquement dans le sillage de son ancetre

legendaire, Sisyphe, qui s’entete a hisser son rocher au sommet tout en

sachant qu’il n’y parviendra jamais. Le fils s’attendant sans succes a la

tendresse maternelle, cherchant un pere et une identite qu’il sait ne jamais

pouvoir trouver, rejoint dans sa perseverance inutile, dans sa revolte contre

l’absurdite inacceptable de sa situation, les travaux aussi gratuits qu’ex-

emplaires de Sisyphe dont la monstruosite, que l’auteur assume person-

nellement, est attribuable a l’exces de lucidite. La monstruosite se

manifeste sur plusieurs plans : il y a, pour commencer, l’entetement avec

lequel il poursuit un chemin dont il decouvre bientot qu’il ne le menera

nulle part; ensuite, le nombre excessif de deguisements, de masques qu’il

choisit de porter dans ses contacts avec le monde. A ce propos, il suffit de

rappeler, dans notre segment, l’amabilite exageree et, par consequent,

surprenante envers les compagnons de voyage dans le compartiment de

train et la femme de chambre de l’hotel ou il descend a Saint-Brieuc. C’est

par un sens exagere du devoir filial envers sa mere que Jacques execute la

visite sur la tombe du pere et non pas par « piete qu’il n’avait pas » ni par

desir de visiter « ce mort inconnu » (28). Enfin et surtout, il y a la logorrhee

contre laquelle il est sans defense, l’exces de paroles qu’il ne peut

s’empecher de proferer a qui veut l’entendre ou de griffonner sur les pages

vierges qui le Sommet. Or le premier signe avertisseur de ces pages

blanches qu’il va falloir remplir pour combler les lacunes existentielles et

les trous de memoire se presente au moment ou Jacques, approchant le

cimetiere, se trouve devant une boutique de marbrier. Il « s’arreta pour

regarder un enfant a la mine eveillee qui faisait ses devoirs dans un coin sur

une plaque de pierre tombale encore vierge d’inscription » (27). Comme

pour l’enfant, la communication orale ou ecrite est un devoir pour Jacques.

Or quand il se trouve enfin devant la tombe de son pere, il reste d’abord

aussi distrait et detache que pendant les longues annees ou il a remis cette

visite importante. Car celle-ci n’a lieu que parce qu’il est surtout venu pour

voir son ancien maıtre et pere d’election (Malan/Grenier) qui vit a Saint

244 Raymond Gay-Crosier

Page 7: Les fissures discursives dans Le Premier homme

Brieuc. Ne sachant pas trop que faire devant cette tombe du soldat-pere

inconnu, le fils promene son regard dans les nuages et enregistre les sons et

les parfums de son environnement qu’il decrit amplement. Au milieu de

cette derniere derobade sensuelle et scripturale, il subit un choc inattendu

en apercevant ce qu’il aurait du voir tout de suite : les dates de naissance et

de mort (1885–1914) inscrites sur la pierre tombale sous le nom d’Henri

Cormery : « L’homme enterre sous cette dalle, et qui avait ete son pere,

etait plus jeune que lui » (29). Il compare alors son « pere cadet » (31) a un

« enfant injustement assassine » (30). Et du coup il commence a percer le

secret5 qui le hantait, ce secret qui est encore une connaissance dissimulee,

donc absente mais latente. C’est le besoin de savoir qui l’incite a remplir les

pages vierges de mots que sa mere ne sait pas lire, ce qui le conduit a lui

adresser des paroles qu’elle ne comprend pas. Devant la tombe de cet

inconnu, de ce pere eternellement absent, Jacques eprouve soudain la

percee dramatique d’une connaissance promise :

Il n’etait plus que ce cœur angoisse, avide de vivre, revolte contre l’ordre morteldu monde qui l’avait accompagne pendant quarante annees et qui battaittoujours avec la meme force contre le mur qui le separait du secret de toute savie, voulant aller plus loin, au-dela et savoir, savoir avant de mourir, savoir enfinpour etre, une seule fois, une seule seconde, mais a jamais. (30)

Le crescendo de mots, comme il le dira peu apres, lie le moment privilegie a

la vie, au passe ancestral, a la mort avant de lui reveler l’impossibilite de la

realisation de son projet :

Pourtant ce qu’il avait cherche avidement a savoir a travers les livres et les etres,il lui semblait maintenant que ce secret avait partie liee avec ce mort, ce perecadet, avec ce qu’il avait ete et ce qu’il etait devenu et que lui-meme avait cherchebien loin ce qui etait pres de lui dans le temps et dans le sang. (31)

Car le secret n’est pas seulement ce qui lui etait inconnu, mais tout le non-

dit qu’il a refoule, non pas ce que les autres lui ont cache, mais ce que lui a

enfoui sous les montagnes de mots trop nombreux et que ceux qui

comptent dans sa vie ne parviennent plus a demeler. Le glissement

progressif qui va du dit au non-dit en passant par le on-dit, donc du

refoule au cache, risque de finir dans le mensonge. Et c’est ce dernier qui

renforce le caractere monstrueux de Jacques puisque les mots sont censes

etre son arme privilegiee de la verite. Pour Jacques, la pierre tombale du

pere inconnu est la cause d’une renaissance piegee, d’une fausse naissance

245Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 8: Les fissures discursives dans Le Premier homme

a lui-meme. Au lieu de lui accorder l’origine et l’identite qu’il cherche, le

pere absent, moyennant la stele chronotopique, annonce a son fils qu’il

abrite un moi fissure, que le dechirement interieur et la separation de

l’origine introuvable mais toujours quetee ne cesseront de le hanter. Pour

toujours, Jacques sera livre aux seuls mots qu’il devra continuer a

thesauriser.

II. Chasse au gibier – chasse aux mots

L’oncle tonnelier de Jacques, a qui est consacre l’un des plus longs

chapitres (pp. 95–128) du Premier homme, est un des peres substitutifs, les

autres etant les professeurs Malan/Grenier et M. Bernard/Germain.

Prenomme tantot Ernest tantot Etienne (c’est aussi le titre du chapitre),

le frere de la mere initie son jeune neveu aux beautes du monde sensible et a

la franchise simple de la cameraderie. « Genereux » , d’une « innocence

adamique » et normalement « de bonne humeur » (98), Etienne a l’allure

d’un Pan grec rarement agressif qui se sent bien dans sa peau et qui sait

maintenir un rapport aussi sain qu’elementaire avec le monde et la nature.

Comme sa sœur, Etienne est pratiquement illettre, entend mal et possede

un vocabulaire si reduit que Camus le qualifie de « sourd-muet » (98).

Parmi les nombreux episodes memorables qui ponctuent la jeunesse et

l’adolescence de Jacques, la partie de chasse dominicale a laquelle son

oncle le convie occupe une place privilegiee.

Toute la scene de chasse se presente comme une suite de ceremonies,

chacune ayant sa signification particuliere et l’ensemble formant un long

rite d’initiation. C’est bien sur la celebration textuelle qui ritualise les

moments observes par Jacques. Telle une tapisserie qui se deroule, les

tableaux successifs fixent des moments et des portraits pris sur le vif.

Jacques eprouve ces moments comme si le temps etait suspendu et les murs

qui separent les etres etaient abattus par une quelconque intervention

magique. Dans ce monde a part, les hommes, les betes et la nature sont lies

les uns aux autres grace a une entente transverbale, un reseau de

communication ou les gestes, les odeurs et les bruits naturels signifient

autant sinon plus que les mots. Sont passes en revue toutes les phases que

comportent une journee de chasse : la preparation de la veille ou l’oncle

Etienne assemble avec gravite son fusil devant le chien excite et le neveu

curieux, le ceremonial du reveil et le joyeux depart au petit matin, la

246 Raymond Gay-Crosier

Page 9: Les fissures discursives dans Le Premier homme

randonnee des chasseurs qui se dispersent en groupe de deux pour traquer

les perdreaux et les lapins, la reunion pour le dejeuner suivi d’un somme, la

satisfaction et la fatigue au terme de la journee, enfin, le retour au foyer

dans le silence qui signale une entente quasiment parfaite rendant les

paroles non seulement inutiles mais encombrantes.

Le premier exemple d’un discours qui se deroule au-dela des normes est

la rapport intime entre l’oncle et son chien Brillant. Comme dans le cas du

vieux Salamano et son chien crasseux dans L’Etranger, l’oncle et son chien

qui le suit partout forment un couple dont les gens se moquent facilement.

La relation etroite entre l’homme et l’animal est facilement saisie par les

observateurs qui confondent « les jappements d’Ernest […] avec ceux de

Brillant » (105). Au fil des ans, les deux ont perfectionne un mode de

communication mixte ou ils « conversaient par onomatopees et se

plaisaient a leurs odeurs reciproques » (100–101). A la fois repoussante

et attirante, selon le gout de l’observateur, ce genre d’association intime

entre un homme et un animal a visiblement fascine l’auteur puisqu’il y

consacre pres d’une page (100–101). Impossible alors de ne pas penser a cet

autre couple inorthodoxe que forment, dans la connivence de silence,

l’oncle Ernest et la mere de Jacques.

Depuis la mort de la grand-mere et le depart des enfants, le frere et la sœurvivaient ensemble et ne pouvaient meme se passer l’un de l’autre. […] il veillaitsur elle a sa maniere depuis des annees pendant lesquelles ils avaient vecu, oui,comme mari et femme, non pas selon la chair mais selon le sang, […]poursuivant une conversation muette eclairee de loin en loin par des bribes dephrases, mais plus unis et renseignes l’un sur l’autre que bien des couplesnormaux. (122–123)

Un peu comme les copains de Jules Romain engages dans des aventures

unanimistes, les autres chasseurs et les chiens qu’Etienne et Jacques

rejoignent a la gare eclatent d’anticipation en montant dans le train qui

doit les transporter au royaume ou la liberte, l’egalite et, surtout, la

fraternite sont vraiment vecues et non pas des slogans. Pareille a une meute

qui cherche le confort que prodigue la proximite, ils pourront, une fois

etablis dans le compartiment, se sentir chez eux, « flanc a flanc, [et]

partager la meme chaleur » (103). Le bonheur a fleur de peau n’exige

aucune explication. Le tapage des hommes et des chiens montant et

descendant du train est vite remplace par le silence que leur impose « une

nature sauvage » (104). L’entente parfaite dans laquelle se deroule toute la

247Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 10: Les fissures discursives dans Le Premier homme

partie de chasse est due a un terrain privilegie, sacre selon la definition que

Camus donne au terme parce qu’il y regne un ordre entierement dicte par

l’egalite. Jacques se decouvre « le plus riche des enfants » (106) dans ce

paradis terrestre. Au fur et a mesure que la journee avance et que le gibier

s’entasse dans les carniers des chasseurs, les paroles a leur tour sont

reduites au silence. Celui-ci n’est pas seulement requis au moment ou les

lapins et les perdreaux se font remarquer, mais il suit infailliblement les

rires et les histoires a peine evoquees que se racontent les chasseurs en

mangeant leur dejeuner avant d’etre gagnes par le sommeil (107). Des lors

et jusqu’au moment ou ils quitteront le train pour rentrer chez eux, c’est le

sommeil et les souvenirs de la belle journee qui mettent un frein a la

profusion des mots. Une fois arrives a la gare, les chasseurs se separent

« rapidement, dans l’ombre, presque sans paroles mais avec de grandes

tapes d’amitie » (107). Le narrateur, qui doit avoir recours aux « milliers de

mots » pour decrire ces scenes de silence croissant, transforme la chasse au

gibier en une chasse aux mots qu’il depose dans le carnier de son recit.

Ayant appris les vertus du silence, c’est Jacques a present qui ne repond

pas lorsque son oncle lui demande s’il est content : « … l’enfant glissait sa

petite main dans la main dure et calleuse de son oncle, qui la serrait tres

fort. Et ils rentraient ainsi, en silence » (108). Toute parole eut detruit ce

moment parfait. Le manque de paroles n’est plus un defaut, la fissure qui

fait trop parler Jacques s’est cicatrisee, ne serait-ce que pour cette

memorable soiree de dimanche.

III. « Obscur a soi-meme » : l’errance dans le gouffre de l’inconnu

Dans un sens, ce dernier brouillon de chapitre dont nous possedons le

texte, mais qui n’aurait pas necessairement ete le dernier, enchaıne sur

les constats d’echec par lesquels Camus acheve brillamment la partie

consacree a la « Recherche du pere » , celui que Jacques ne trouvera ni

ne connaıtra jamais, qui continuera « de dormir la-bas, le visage perdu

a jamais dans la cendre. Il y avait un mystere chez cet homme, un

mystere qu’il avait voulu percer » (180). Et c’est alors qu’il decouvre

que la reponse aux vraies questions d’identite qu’il se pose, a savoir

« Qui suis-je ? D’ou est-ce que je viens ? Ou est-ce que je vais ? » , ne

se trouve pas dans les cimetieres d’antan aux « dalles illisibles » (181),

que « la terre de l’oubli ou chacun etait le premier homme » (181)

248 Raymond Gay-Crosier

Page 11: Les fissures discursives dans Le Premier homme

engloutit les hommes avec leurs eternelles interrogations, enfin qu’il ne

peut s’empecher de reconnaıtre que l’oubli va l’engouffrer a son tour.

Sans pere,

il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seulsa morale et sa verite, et naıtre enfin comme un homme, pour ensuite naıtreencore aux autres, aux femmes comme tous les hommes nes dans ce pays … (181)

Et c’est dans un acces de lucidite fievreuse, au moment ou l’avion de

Jacques descend vers Alger, que se produit le derapage du plan fictionnel

au plan reel, la chute du « il » au « je » inopine ou, plutot, que se manifeste

exceptionnellement dans le texte meme la fissure entre le « je » et le « il » :

La Mediterranee separait en moi [je souligne] deux univers, l’un ou dans desespaces mesures les souvenirs et les noms etaient conserves, l’autre ou le vent desable effacait les traces des hommes sur de grands espaces. Lui avait essayed’echapper a l’anonymat […], il n’avait pu vivre au niveau de cette patienceaveugle, sans phrases, sans autre projet que l’immediat. (181)

Voila que le fils, a qui l’acces au pere est interdit pour toujours et dont le

retour a la mere se heurte a des obstacles discursifs, finit par accepter

« avec une sorte d’etrange joie que la mort le ramene dans sa vraie patrie et

recouvre a son tour de son immense oubli le souvenir de l’homme

monstrueux et [banal] » (182) qu’il etait.

Sur ce fond, l’obscurite a lui-meme qui enveloppe la fin du fragment du

Premier homme ne devrait guere surprendre. Bien avant ce chapitre

provisoirement final, le lecteur averti a compris que chaque question posee

par Jacques ne conduit pas a une reponse mais ne fait qu’en soulever

d’autres. L’errance dans le gouffre de l’inconnu a commence par « la nudite

de son enfance » (255), causee par les conditions necessiteuses dont il n’a

pourtant pas souffert mais derive ses premieres connaissances, ses valeurs

et, surtout, son « assurance » (255). A ce stade de sa vie, l’homme renseigne

de quarante ans accepte le fait qu’il n’a trouve ni son pere ni le moyen de se

confesser a sa mere. La separation de la mere s’est revelee inevitable et tout

ce qu’il peut faire a present c’est la rejoindre « dans le sommeil des pauvres

» (230). Le fosse qui separe mere et fils, pourtant si proche l’un de l’autre,

n’a pas ete creuse par le silence qui, au contraire, fournit au couple une

entente exceptionnellement profonde mais rare. Seulement voila, l’accu-

mulation du savoir que prodiguent les livres et la vie hors de l’appartement

249Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 12: Les fissures discursives dans Le Premier homme

maternel ont projete Jacques sur une piste double. « Ainsi pendant des

annees, la vie de Jacques se partagera inegalement entre deux vies qu’il ne

pouvait relier » (230). Ni fils ingrat, ni fils prodigue, Jacques se decouvre

fils inconnu de ses parents, Janus dont le regard restera double pour

toujours sans pouvoir se fixer sur lui-meme ni produire une confirmation,

meme provisoire, de son identite. N’ayant su trouver le moyen de se

confesser a la mere, il finit, dans ce texte sur son fond obscur, par fournir

un fragment de confession au public dans laquelle il constate l’insuffisance

de sa connaissance. Les couches de son etre profond pour toujours,

monstrueux, qu’il tente de mettre a nu successivement se revelent

impenetrables. Et c’est alors que le style prend des allures epiques, que

les phrases tortueuses de son monologue interieur forment un echo

anticipateur des grandes cadences cosmiques de Claude Simon. C’est

particulierement le cas du bloc de texte, de cette phrase exceptionnellement

longue qui catapulte d’un trait, sans alinea, le passe, le present et l’avenir,

resumant la somme de sa vie, crachant quelques morceaux des secrets

intimes qui le hantent. Ce tour de force stylistique s’etend de la p. 256 a la

p. 260 et fait le bilan de toutes les fissures du volcan de son moi profond.

En voici un court et dernier extrait s’appliquant au propos de mon expose :

Et ce mouvement aveugle en lui, qui n’avait jamais cesse, qu’il eprouvait encoremaintentant, feu noir enfoui en lui comme un de ces feux de tourbe eteints a lasurface mais dont la combustion reste a l’interieur, deplacant les fissuresexterieures de la tourbe et de ces grossiers remous vegetaux, de sorte que lasurface boueuse a les memes mouvements que la tourbe des marais, et de cesondulations epaisses et insensibles naissaient encore en lui, jour apres jour, lesplus violents et les plus terribles de ses desirs, comme ses angoisses desertiques,ses nostalgies les plus fecondes, ses brusques exigences de nudite et de sobriete,son aspiration a n’etre rien aussi, oui ce mouvement obscur a travers toutes cesannees s’accordait a cet immense pays autour de lui …. (256–257)

Si conclusion il y a dans le cas d’une œuvre fragmentaire, je rappellerai que

l’inachevement fait partie de la strategie narrative de Camus puisque, dans

les « Notes et plans » de l’Annexe il precise bien que « [l]e livre doit etre

inacheve. Ex. : ‘‘Et sur le bateau qui le ramenait en France …’’ (288,

Camus souligne). Le discours qui exhibe les fissures de l’existence de

Jacques, par le truchement de ce « il » interpose pour le « je » d’Albert, ne

peut pas plus transcender le statut du provisoire qu’achever la quete

d’identite qui en forme l’impulsion. Comme le monde que le regard saisit

sans jamais le posseder, le moi que Jacques cherche a connaıtre est un trou

250 Raymond Gay-Crosier

Page 13: Les fissures discursives dans Le Premier homme

que les paroles et les silences, le dit et le non-dit du Premier homme

approfondissent dans tous le sens du terme.6

Projet jamais accompli, l’identite de Jacques, comme d’ailleurs celle

d’une famille, d’une ville, d’une nation, ne peut se construire qu’a travers

les differences toujours changeantes qui animent le processus identitaire.

C’est dire que l’inachevement trouve son seul terme au moment de la mort

qui est un recommencement. Les fragments de discours sont les seuls objets

definitifs qui ont donne vie et survie a Jacques, pour toujours etranger a

lui-meme et aux autres. Voila la lecon sisypheenne a la fois deconcertante

et reconfortante que Jacques tire de sa quete.

NOTES

1. Michel Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 51. Les renvoisa cet ouvrage se trouveront desormais entre parentheses. Foucault tient amontrer le role normatif que joue, dans l’articulation orale ou ecrite, la « ‘police’discursive qu’on doit reactiver en chacun de ses discours. » (37) Les conventionssociales et professionnelles se cristallisent infailliblement dans les regles de leurexpression, dans les « procedures d’asujettissement du discours » (46). Elles sontresponsables du « caractere intransitif » (43) du discours de l’ecrivain. L’un desbuts des travaux de Foucault, et non le moindre, est de degager « les rapportsdu hasard et de la pensee » (61) et de mettre fin a « la monarchie du signifiant »(72).

2. Je me permets de renvoyer a mes travaux rassembles sous le titre Albert Camus.Paradigmes de l’ironie : revolte et negation affirmative, Toronto, Paratexte,2000.

3. Maurice Blanchot, « La solitude essentielle, » in L’Espace litteraire Paris : Gallim-ard, 1968 [1955], coll. Idees, p. 11. Le detachement lucide, ce que Camus appelle « lecœur sec du createur », explique l’etrangete que cause la marge ou celui-ci choisit devivre. Parler par personnes interposees ne fait que renforcer l’isolement. A ce proposBlanchot ecrit un peu plus loin : « Le « Il » qui se substitue au « Je », telle est lasolitude qui arrive a l’ecrivain de par l’œuvre » (p. 19).

4. Si Camus n’a pas suivi l’histoire du saint patron qui a fourni le nom au lieu, carrien ne l’indique, on notera tout de meme une certaine affinite entre Broic, Briocou Brieuc et Jacques, ce fils qui, par sens de devoir, quitte le foyer et s’engagedans un pelerinage cense l’approcher de la « verite » . Ne de parents paiens, cemissionnaire celtique du VIe siecle, dont le nom s’ecrit tantot Broic, Brioc, tantotBrieuc, est un converti devenu convertisseur a son tour. Apparemment tres lie ason foyer, il a fait la navette entre sa terre parentale dans le Cardiganshireet la Bretagne. Mais sa terre d’election reste la Bretagne ou il ne cesse d’yretourner pour creer deux monasteres, y compris celui qui porte son nom, SaintBrieuc.

5. La trajectoire confessionnelle que Camus fera parcourir a Jacques etait deja fixee des1954. En decembre de cette annee, il note dans les Carnets III : « Le Premier Homme

251Les fissures discursives dans Le Premier homme

Page 14: Les fissures discursives dans Le Premier homme

refait tout le parcours pour decouvrir son secret : il n’est pas le premier. Tout hommeest le premier homme, personne ne l’est. C’est pourquoi il se jette aux pieds de samere. » (C.III, 142). Il reprendra en le modifiant ce passage dans le fragment : «cheminant dans la nuit des annees sur la terre de l’oubli ou chacun etait le premierhomme … » (PH, p. 181).

6. Faisant le point sur l’art et l’artiste, Camus ecrit en 1954 : « L’art est […] uneexageration calculee. » (C.III, 117). Et un peu plus loin on peut lire : « L’artiste estcomme le dieu de Delphes : ‘il ne montre ni ne cache : il signifie » ’ (C.III, 223).

BIBLIOGRAPHIE

Dunwoodie, Peter et Hughes, Edward J. [eds.]. Constructing Memories : Camus, Algeriaand « Le Premier Homme ». Stirling (Scotland), Stirling French Publications, 1998.Actes du colloque de 1998 comportant des contributions de Toby Garfitt, David H.Walker, E. J. Hughes, P. Dunwoodie, Philippe Marliere et Debra Kelly. D’uninterete particulier a ete l’etude de E.J. Hughes, « ‘Tranquillement monstrueux’ :Violence and Kinship in Le Premier Homme, » : 21–32.

Fisher, C. « Lieux et langues dans Le Premier homme de Camus. » Etudes francophones13 : 2 (automne 1998) : 147–62.

Gay-Crosier, R. « Lyrisme et ironie : le cas du Premier homme. » Camus et le lyrisme,eds. J. Levi-Valensi et A. Spiquel. Paris, SEDES; 1997 : 65–76.

Grouix, P. « Sens du monde, sens des autres, lyrisme humain et alterite dans Le Premierhomme. » Camus et le lyrisme, eds. J. Levi-Valensi et A. Spiquel. Paris; SEDES,1997 : 183–94.

Id. « L’absence de la philosophie dans Le Premier homme. » Albert Camus et laphilosophie, eds. A.-M. Amiot et F. Mattei. Paris, Presses Universitaires de France,1997 : 65–82.

Guerin, J. « Des Chroniques algeriennes au Premier homme. Pour une lecture politiquedu dernier roman de Camus. » Esprit 211 (mai 1995) : 5–16.

Merlo, P. « Les derniers mots du Premier homme de Camus. » L’Oeuvre de Camus enU.R.S.S. et en R.D.A. Albert Camus18, ed. R. Gay-Crosier. Paris: Lettres Modernes,2000 : 83–100.

Salgado, R.S. « Memoir at Saint-Brieuc. » Modern Language Notes 112.4 (Sept. 1997) :576–94.

Wood, N. « Colonial Nostalgia and Le Premier homme. » French Cultural Studies 9 :2(26) (June 1998) : 167–89.

Raymond Gay-Crosier. Born 1937. Docteur es lettres (Universite de Berne). Professorof Modern French Literature, University of Florida, Gainsville. Has published severalbooks on Albert Camus; latest publications : Paradigmes de l’ironie – revolte et affir-mation negative (Toronto, Paratexte 2000) and Literary Masterpieces: The Stranger(Detroit, Gale Research 2002). Numerous articles on modern French literature. Re-sponsible for significant portions of the new four-volume Pleiade Camus edition.

252 Raymond Gay-Crosier