10
EHESS Les forêts péri-urbaines dans le système social: Le cas du département des Yvelines Author(s): Denis Poupardin Source: Études rurales, No. 61 (Jan. - Mar., 1976), pp. 93-101 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20120670 . Accessed: 28/06/2014 15:19 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les forêts péri-urbaines dans le système social: Le cas du département des Yvelines

Embed Size (px)

Citation preview

EHESS

Les forêts péri-urbaines dans le système social: Le cas du département des YvelinesAuthor(s): Denis PoupardinSource: Études rurales, No. 61 (Jan. - Mar., 1976), pp. 93-101Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120670 .

Accessed: 28/06/2014 15:19

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

DENIS POUPARDIN

Les for?ts p?ri-urbaines dans le syst?me social

Le cas du d?partement des Yvelines

Les villes ont toujours entretenu des rapports complexes de concurrence et de compl?mentarit? avec les for?ts situ?es ? proximit?. Ces rapports se sont modifi?s, au cours de l'histoire, ? chaque stade du d?veloppement urbain.

Durant le Moyen Age, les massifs forestiers proches des cit?s ont sou vent fait l'objet de d?frichements. Dans son ouvrage Guerriers et paysans, G. Duby note que si, au xne si?cle, ? la disette fut le vrai ressort de l'expan sion agraire et ses vrais artisans, les pauvres, les enfants en surnombre... ?, les

ma?tres des sols vierges, c'est-?-dire la noblesse et l'?glise, favoris?rent souvent les initiatives des d?fricheurs dans la mesure o? elles pouvaient leur procurer des revenus suppl?mentaires1. On retrouve parfois la trace de ces d?friche

ments dans la toponymie locale (par exemple, La Celle-les-Bordes dans les

Yvelines). L'extension des superficies cultivables apparaissait alors comme une n?cessit? pour faire face ? l'accroissement des besoins alimentaires des citadins. Les for?ts ?pargn?es ? cette ?poque ?taient en g?n?ral situ?es sur les terrains les moins fertiles ou les plus difficiles ? mettre en culture, compte tenu des techniques agricoles connues. Elles ?taient am?nag?es en vue de fournir aux villes ? la fois le bois d' uvre n?cessaire aux constructions, le bois de chauffe et le charbon de bois. Plus tard et jusqu'? la p?riode r?vo

lutionnaire, quelques for?ts ont ?t? utilis?es comme territoire de chasse par la noblesse ou la bourgeoisie montante.

Les habitants des localit?s voisines ?taient souvent d?tenteurs dans ces for?ts de droits sur les ? menus produits ? (morts-bois, champignons, etc.) et sur une partie des coupes de bois qui y ?taient effectu?es (droits d'affouage). Il leur ?tait parfois reconnu le droit d'y faire pa?tre leurs troupeaux et d'y ramasser de la lit?re pour les ?tables. Tous ces droits d'usage avaient ?t?

acquis de haute lutte ; ils conditionnaient souvent la survie des agriculteurs les plus pauvres. De violents conflits surgissaient fr?quemment entre ceux-ci et les gestionnaires des for?ts qui cherchaient p?riodiquement sinon ? faire

dispara?tre ces droits, du moins ? les cantonner sur des espaces limit?s. En

effet, l'entretien des for?ts visait surtout ? assurer la bonne croissance des bois utiles pour la construction et le chauffage, et leurs propri?taires

? presque

toujours les seigneurs ? ne se souciaient gu?re de leur am?nagement social.

1. G. Duby, Guerriers et paysans VIIe-XIIe si?cle. Premier essor de l'?conomie euro

p?enne, Paris, Gallimard, 1973, 309 p., cartes (? Biblioth?que des histoires ?).

?tudes rurales, 1976, 61, janv.-mars, pp. 93-101.

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

94 NOTES ET COMMENTAIRES

Toutefois le libre passage des habitants des villages proches ?tait tol?r?, moyennant l'engagement par chaque communaut? int?ress?e de n'y causer aucun dommage. Droits d'usage et obligations ?taient d'autant mieux res

pect?s que des liens ?troits unissaient entre eux les divers membres de la soci?t? et qu'en fait les for?ts restaient peu fr?quent?es2.

Le passage de l'?conomie artisanale ? l'?conomie industrielle s'est accom

pagn?, d?s le milieu du xixe si?cle, d'une r?gression des utilisations tradi tionnelles du bois, entra?nant le d?clin du r?le social des for?ts p?ri-urbaines.

Beaucoup ont alors ?t? d?frich?es pour permettre l'exploitation de carri?res ou l'extension des agglom?rations. De nos jours, et surtout depuis une dizaine d'ann?es, le r?le social des for?ts p?ri-urbaines s'est vu revaloris?, dans la mesure m?me o? s'accentuait le caract?re oppressif des conditions de vie dans les grandes villes, cons?quence des options d?faillantes retenues dans le domaine de l'urbanisme et de l'am?nagement de l'espace. Ne sont elles pas aujourd'hui, en effet, les seuls espaces proches des zones b?ties o? les citadins puissent se d?tendre et se distraire ? l'?cart des agressions de la

pollution, de la laideur des sites, d'une publicit? tapageuse et de cet entasse ment qui accentue la solitude de chacun. Leur fr?quentation augmente consi

d?rablement, en raison notamment de l'?l?vation g?n?rale du niveau de vie. Les besoins grandissants de la collectivit? en espaces verts ? comme

d'ailleurs en mati?re d'hygi?ne, d'?ducation, etc. ? ne font pas l'objet de transactions sur un march? et tendent de ce fait ? ?tre fort mal satisfaits. Or la prolif?ration des espaces b?tis autour des grandes agglom?rations fait reculer les limites des massifs forestiers p?ri-urbains, qui deviennent par ailleurs de moins en moins accessibles au grand public : leurs propri?taires s'en r?servent la jouissance privative en les cl?turant de murs ou de grillages, refusent la relation de r?ciprocit? de droits et obligations avec l'usager, et ne veulent pas ?tre les seuls ? supporter les inconv?nients ou les dommages entra?n?s par l'ouverture ? tous de la for?t ; certains d'entre eux r?clament

p?riodiquement ? la collectivit? une compensation fiscale ou mon?taire en

?change des services rendus.

Le d?calage observ? entre les besoins croissants en espaces verts et leur r?tr?cissement effectif retient depuis quelques ann?es l'attention des ?cono

mistes qui analysent le ph?nom?ne en fonction d'orientations politiques diff?rentes. Pour certains, ce d?calage se r?sorbera de lui-m?me si l'on fait

passer dans le domaine de l'?conomie marchande les droits d'usage que les

propri?taires de for?ts reconnaissaient autrefois gratuitement aux groupes environnants. D'autres estiment que la r?partition mal concert?e de l'espace ? proximit? des grandes agglom?rations est due ? une sous-?valuation de l'utilit? sociale des for?ts. Ils proposent, en l'absence d'un m?canisme r?el de formation des prix, de d?terminer un prix fictif de ces services (shadow price) qui soit reconnu par toutes les parties prenantes lors des arbitrages rendus sur l'am?nagement des zones p?ri-urbaines. Cette attitude est cri

tiqu?e par une troisi?me cat?gorie d'?conomistes qui estiment que les tech

niques de calcul employ?es ne sont jamais totalement neutres3 ; le rapport de forces actuel entre agriculteurs, forestiers et agents concern?s ? des titres

2. La for?t ?tait souvent consid?r?e comme un monde ? en dehors ? qui suscitait tou

jours une certaine appr?hension ; d'o?, peut-?tre, l'?tymologie du mot for?t (fors est) avanc?e par certains linguistes.

3. Cf. D. Poupardin, P.-M. Ringwald, B. Wolfer, ? La contribution des ?cono

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOTES ET COMMENTAIRES 95

divers par la r?alisation d'op?rations immobili?res est tel que les techniques de calcul jug?es cr?dibles et finalement retenues seront toujours celles qui privil?gieront le profit imm?diat et la plus forte rentabilit?. La mise au point de ces techniques, loin de faciliter de meilleurs arbitrages, peut permettre au contraire de justifier

? avec la caution des ?conomistes ? des d?cisions

que l'on n'aurait peut-?tre pas os? prendre sans eux. Pour ces derniers, la

seule attitude scientifique, la plus op?ratoire aussi ? terme, consiste ? refuser les arbitrages au coup par coup et ? analyser les m?canismes par lesquels s'est r?alis?e jusqu'ici la destruction des for?ts, au profit de certains agents ?conomiques contre l'int?r?t de la collectivit?.

Ce souci a guid? la recherche entreprise dans un secteur radial de la

r?gion parisienne, le d?partement des Yvelines4. Le but poursuivi a ?t? d'?tu dier de fa?on syst?matique le d?placement, depuis dix ans, de l'?quilibre d'une occupation du sol o? les activit?s agricoles, foresti?res et urbaines sont en principe localement exclusives l'une de l'autre.

Pour ce d?partement, il a ?t? ?tabli, en termes de projection spatiale, un compte de variation de la nature du patrimoine faisant appara?tre une

rigidit? croissante dans l'utilisation de l'espace due ? l'extension de l'emprise de l'agglom?ration parisienne (usages irr?versibles). A cet effet, le d?par tement des Yvelines a ?t? quadrill? en 230 400 carr?s d'une superficie d'un hectare sur le terrain. Chacun d'eux a ?t? affect?, en 1961 et en 1971, d'un des trois modes suivants d'occupation du sol : superficie urbanis?e (trois constructions ou plus ? l'hectare), superficie foresti?re (taux de boisement d'un hectare sup?rieur ? 50 % ), autre superficie. L'analyse statistique des donn?es ainsi recueillies a mis en ?vidence les faits suivants : la superficie urbanis?e du d?partement des Yvelines est pass?e de 17 723 ha en 1961 ? 24 623 ha en 1971. Ce d?ploiement important du cadre b?ti au cours de la derni?re d?cennie a ?t? surtout sensible dans les zones situ?es ? une tren taine de kilom?tres de la capitale (cf. Tabl. 1) et le long des principaux axes de communication qui traversent le d?partement (autoroutes N 10, N 12 et N 13). Nous essaierons de donner plus loin une interpr?tation du m?ca nisme qui a entra?n? sur ce territoire une telle prolif?ration des surfaces urbanis?es. Bornons-nous, pour le moment, ? noter que l'extension du tissu

urbain dans les Yvelines s'est r?alis?e au d?triment surtout des terrains non bois?s (6 251 ha). Elle n'a toutefois pas ?pargn? les massifs forestiers : 649 ha ont en effet servi de support ? des constructions nouvelles au cours de cette

p?riode. La croissance spatiale de l'agglom?ration parisienne a eu pour effet, en outre, d'enserrer ces massifs dans une gaine urbaine dense et continue.

La surface foresti?re du d?partement des Yvelines ?tait de 63 865 ha en 1961. Elle est de 62 459 ha en 1971 : 1 400 ha de for?ts ont donc disparu entre ces deux dates, soit 2,2 % de la surface foresti?re totale. Encore faut-il pr?ciser que ce chiffre correspond ? 100 ha de boisements et 1 500 ha de d?frichements. La diminution de la superficie bois?e des Yvelines r?sulte surtout d'une multitude de grignotages effectu?s ? l'occasion d'op?rations immobili?res

mistes ? l'?tude de la disparition des espaces naturels p?ri-urbains ?, Annales d'?conomie et de Sociologie rurales, 1972, I (1) : 69-86.

4. Cf. D. Poupardin, C. Meynard, P.-M. Ringwald, B. Wolfer, L'?volution des modes d'occupation du sol dans le d?partement des Yvelines entre 1961 et 1971, Paris, INRA, 1973, 2 vol., 326 p.

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

96 NOTES ET COMMENTAIRES

qui ont ?t? r?alis?es ? la lisi?re des massifs. Les d?frichements repr?sentent cependant parfois des surfaces importantes, notamment dans les bois de

Chevreuse, de Verneuil ou de Maurepas. A titre d'exemple, notons les varia tions de la superficie foresti?re de quelques communes des Yvelines au cours de la p?riode ?tudi?e.

La diminution de la superficie foresti?re a ?t? la plus sensible dans les zones soumises ? une forte pouss?e urbaine, ainsi que le montre bien le Tableau 1.

Tableau 1

L'?volution des modes d'occupation du sol de 1961 ? 1971

dans le d?partement des Yvelines, selon la distance ? Paris

1961 : surface 1961-1971 : variations de la surface

Distance ? Paris

(en km) urbanis?e

(en ha)

foresti?re

(en ha)

urbanis?e

(en ha)

foresti?re

(en ha)

10-14,9

15-19,9

20-24,9

25-29,9

30-34,9

35-39,9

40-44,9

45-49,9

50-54,9

55-59,9

60-64,9 65 et +

1 791 3 664 2 328 1 947 1 664 1 571 1 191 1 553 1068

568 289

89

671 3 927 4 353 4 348 5 956 7 963

11003 12 450

8 345 3 294 1313

242

+ 370 + 758 + 932 + 1 265 + 1 176 + + + +

+ +

690 539 535 378 158

75 24

4 116 103 164 258 148 118

76 322

32 59

Total 17 723 63 865 + 6 900 1406

Tableau 2

?volution de la surface foresti?re de quelques communes

(1961-1971)

Variation absolue

(en ha)

Var. par rapport ? 1961 (en % )

Les Mureaux

Mantes-la-Jolie

Maurepas Chevreuse

? 69 ? 62 ? 58 ? 50

? 24 ? 53 ? 23 ? 10

Que sont devenus les terrains qui ont perdu de 1961 ? 1971 leur caract?re forestier (cf. Tabl. 3) ? La construction d'ensembles r?sidentiels est respon

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOTES ET COMMENTAIRES 97

sable dans deux cas sur cinq de la diminution de la taille des massifs. La crois sance rapide de l'agglom?ration parisienne, en rendant n?cessaire la perc?e de nouveaux axes de communication, l'ouverture de carri?res, la cr?ation

de d?p?ts d'ordures, a provoqu? indirectement une diminution de la super ficie foresti?re de la m?me importance. Quant aux d?frichements agricoles, ils v ont certes contribu?, mais ? un degr? moindre.

Tableau 3

Superficie d?frich?e dans le d?partement des Yvelines, de 1961 ? 1971 (en ha)

Due ? l'urbanisation de terrains bois?s en 1961. 649

Due ? la perc?e de routes nouvelles. 92

Due ? l'ouverture de carri?res. 381

Due ? la cr?ation de d?p?ts d'ordures. 153

Due ? des d?frichements agricoles. 177

Autres. 55

Total. 1 507

Il nous faut expliquer tout d'abord pourquoi les promoteurs immobiliers se sont ru?s sur les espaces bois?s qui ?taient en principe prot?g?s par les

plans d'urbanisme, provoquant ainsi dans les Yvelines la disparition de 649 ha de for?t. Les milieux d'affaires, les groupes bancaires et immobiliers ?taient attir?s depuis longtemps par la perspective d'une expansion importante de

l'agglom?ration parisienne. La hausse rapide du prix des terrains qu'ils concou raient ? entretenir risquait ? terme de r?duire leurs activit?s. Vers les ann?es 1965, ils ont compris le parti ? tirer des for?ts p?ri-urbaines. Ils ont

achet?, souvent ? bas prix (7 F le m2), des surfaces foresti?res importantes alors consid?r?es comme inconstructibles, puis ont fait pression sur les pou voirs publics, qu'ils avaient contribu? ? mettre en place, pour obtenir des d?ro

gations ? cette r?gle d'inconstructibilit?. Les logements luxueux construits en for?t restaient r?serv?s ? une client?le dont on avait flatt? les go?ts ?litistes.

De telles op?rations ?taient tr?s fructueuses puisque le prix des terrains non constructibles ?tait fort inf?rieur ? celui des terrains constructibles. D'ailleurs,

plus l'?cart entre les prix des terrains constructibles et ceux des terrains non constructibles augmentait, plus il devenait int?ressant d'obtenir de nou velles d?rogations. Pour ?viter les exc?s entra?n?s par cette politique fonci?re d?lib?r?ment laxiste, les pouvoirs publics ont d? officialiser, dans une cer taine mesure, la construction en for?t ? revenant ainsi sur la politique d?finie auparavant. L'article 2 de la Loi d'orientation fonci?re du 30 d?cembre 1967 a accord? aux propri?taires de lots forestiers la possibilit? d'?difier des constructions dans les espaces prot?g?s par les plans d'urbanisme, ? condition de c?der les 9/10 de leur for?t ? l'?tat ; transaction int?ressante : la plus-value r?alis?e sur le 1/10 restant les d?dommageait souvent largement de la perte impos?e.

^ En l'absence de cr?dits suffisants pour acqu?rir des for?ts p?ri-urbaines, l'?tat trouvait l? un moyen d'accro?tre son patrimoine foncier, bien que les for?ts ainsi acquises fussent en g?n?ral mal entretenues et de gestion difficile

(bois du Claireau).

7

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

98 NOTES ET COMMENTAIRES

Pour limiter toutefois l'importance des surfaces foresti?res d?frich?es, une taxe a ?t? institu?e par la Loi n? 69-1160 du 24 d?cembre 1969. Le montant de cette taxe a ?t? fix? ? 6 000 F par hectare d?frich? lorsque le d?frichement ?tait r?alis? pour effectuer une op?ration immobili?re ou pour implanter une zone industrielle, ? 3 000 F seulement lorsqu'il s'agissait d'un d?friche

ment effectu? ? des fins agricoles ou en vue d'ouvrir une carri?re. Il ne semble

pas que cette taxe ait eu un effet dissuasif important, les profits procur?s en particulier par la construction en for?t ?tant sans commune mesure avec son montant.

Mais la diminution des superficies bois?es dans les Yvelines n'a pas ?t? due seulement ? la prolif?ration des constructions. Le passage de routes dans les massifs, l'ouverture de carri?res, l'?tablissement de d?p?ts d'ordures ont ?t? responsables aussi, nous l'avons vu, de l'?rosion du couvert forestier.

La construction de vastes ensembles r?sidentiels, ?loign?s souvent des zones d'emploi, a amplifi? le ph?nom?ne des migrations alternantes dont une partie ?tait assur?e par les moyens de transport individuels. Malgr? ses

qualit?s, le r?seau routier de la r?gion parisienne est alors devenu insuffisant et l'ouverture de nouvelles voies ou l'?largissement des anciennes se sont faits par ?tapes. La r?alisation de routes nouvelles en zone urbaine s'av?rant co?teuse et pr?sentant de multiples inconv?nients tant pour les automobilistes

que pour les riverains, on a pr?f?r? les ouvrir dans des espaces libres. La faible valeur fonci?re des for?ts en a fait les victimes d?sign?es pour l'urba nisation : les massifs bois?s ont ?t? d?coup?s en lani?res, au risque de rendre leur gestion plus difficile et plus on?reuse, et de les exposer davantage, ?

terme, ? de nouvelles agressions urbaines. De 1961 ? 1971, dans les Yvelines, 92 ha ont ?t? ainsi d?truits par l'emprise des routes et autoroutes. Un m?ca nisme de destruction en cha?ne s'est d?s lors mis en place : les entreprises qui construisaient des routes ou b?tissaient des logements, utilisaient des

quantit?s toujours plus importantes de sables, graviers, calcaires, argiles, gypses, etc., ce qui entra?nait souvent l'ouverture de nouvelles carri?res ;

plus elles ?taient proches des chantiers, plus le prix de revient des construc tions se trouvait, en principe, r?duit. Ainsi les for?ts p?ri-urbaines situ?es sur des couches g?ologiques offraient d'importantes r?serves de mat?riaux

propres ? la construction et n'ont pas r?sist? ? la convoitise des entreprises de carri?re (381 ha de for?ts ont ?t? supprim?s en dix ans). Ne constituaient elles pas d'ailleurs une protection efficace des agglom?rations environnantes contre les poussi?res et les bruits du concassage et du criblage ? Dernier

maillon de la cha?ne destructrice : les d?p?ts d'ordures. Leur volume n'a cess? de cro?tre avec la population du d?partement, tandis que la dispersion de l'habitat sur un territoire de plus en plus vaste augmentait le co?t de l'?vacuation et ses difficult?s. Les d?p?ts d'ordures ont ?t? multipli?s, refoul?s le plus loin possible des localit?s, souvent derri?re des ?crans fores

tiers, 153 ha de for?ts se voyant ainsi transform?s en d?charge durant la derni?re d?cennie.

Les for?ts domaniales des Yvelines ont ?t? relativement peu affect?es

par l'extension de l'agglom?ration parisienne (87 ha ont ?t? d?truits). En

revanche, 1 420 ha de for?ts priv?es ont ?t? supprim?s au cours de cette

p?riode ; les d?frichements ont entam? davantage les propri?t?s de moins de 50 ha (934 ha) que celles de plus de 50 ha (436 ha), souvent d'ailleurs plus ?loign?es du centre de la capitale. Cela ne signifie pas que la protection de

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOTES ET COMMENTAIRES 99

la nature ait ?t? mieux assur?e par les gros propri?taires que par les petits. Tout au plus peut-on affirmer que la demande des promoteurs immobiliers

portait moins sur les lots importants, qui ?vitaient ainsi de passer ? ? la fricass?e de l'urbanisation ? ?

selon l'expression de M. Delouvrier ?, comme

tendrait ? le sugg?rer l'exemple r?cent des for?ts du duc de Luynes. La progression du front urbain, m?me lorsqu'il n'a pas empi?t? directe

ment sur les superficies foresti?res, a provoqu? un certain nombre d'effets secondaires. Le niveau de la nappe phr?atique s'est trouv? souvent modifi?, ce qui a entra?n? un dess?chement plus ou moins rapide de la v?g?tation des lisi?res. Le rapprochement des zones habit?es a parfois perturb? ? l'ambiance foresti?re ? des massifs p?ri-urbains et a rendu impossibles certaines pratiques auxquelles restaient attach?s leurs propri?taires (la chasse en particulier). Il a accru le nombre des visiteurs dans les for?ts, les exposant parfois ? un

pi?tinement ou ? un saccage abusifs. Certains propri?taires ont alors cl?tur? leur patrimoine pour le pr?server : 84 % de la superficie foresti?re priv?e des Yvelines se trouvait ainsi ferm?e, en 1971, par des murs ou des grillages. Cette r?action des propri?taires forestiers risque ? terme d'engendrer dans le

public un sentiment de frustration et de provoquer son d?sint?r?t pour les for?ts auxquelles il ne pourra avoir acc?s.

Ainsi, le sort des for?ts du d?partement des Yvelines de 1961 ? 1971 doit ?tre analys?, en d?finitive, comme une cons?quence de la politique men?e dans la r?gion parisienne en mati?re d'am?nagement de l'espace.

Au d?but des ann?es 60, les int?r?ts des milieux d'affaires se trouvaient l?s?s par le processus de d?colonisation dans lequel la France s'?tait engag?e. Certains responsables, cherchant des compensations, ont alors incit? les

pouvoirs publics ? faire de Paris la capitale de la nouvelle Europe, ? objectif exaltant ? qui impliquait l'abandon de la politique malthusienne men?e jus qu'alors en mati?re de construction et d'urbanisme dans la r?gion parisienne, et la mise en uvre d'une politique dynamique d'accroissement d?mogra phique et ?conomique de l'agglom?ration. Le premier plan de d?veloppement de la capitale (Padog) apparut alors trop peu audacieux et un organisme public fut charg? de pr?parer, selon de nouvelles orientations, un ? Sch?ma directeur d'am?nagement et d'urbanisme de la r?gion de Paris ?. Ce document

pr?voyait essentiellement deux types d'action : 1) une restructuration interne du centre de la capitale par la mise en r?novation de plusieurs de ses quar tiers, destin?e ? donner un visage nouveau aux quartiers anciens et ? y attirer les dirigeants de firmes en renom qui viendraient s'y ?tablir ; 2) la cr?ation d'un certain nombre de villes nouvelles dispos?es ? une vingtaine de kilo

m?tres du centre de Paris, parall?lement ? l'axe de la Seine. Ces villes devaient

disposer chacune de l'ensemble des ?quipements collectifs n?cessaires ? leur autonomie.

Comment en r?alit? s'est effectu? le d?veloppement de l'agglom?ration parisienne durant la derni?re d?cennie ? Quel r?le a eu le sch?ma directeur dans ce d?veloppement ? En raison du haut niveau de la conjoncture natio nale et internationale, les activit?s ?conomiques de la r?gion parisienne ont connu durant cette p?riode une grande expansion. Pour faire face ? la demande importante de biens et services, les entreprises ont d? accro?tre leurs effectifs de main-d' uvre (687 000 habitants en 1962 dans les Yvelines, 853 000 en 1968, plus d'un million aujourd'hui). Les probl?mes de logement et d'?quipement sont devenus aigus, ?tant donn? la politique malthusienne

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

100 NOTES ET COMMENTAIRES

men?e ant?rieurement ; ils n'ont ?t? r?solus qu'? coup d'interventions h?tives et partielles.

La construction de grands ensembles a permis de combler en partie le d?ficit de logements : ?difi?s pr?cipitamment, au hasard des aubaines du

march? foncier, ils ont form?, au milieu des terrains cultiv?s, souvent loin des voies de desserte, des taches d'urbanisation dispers?es dans le plus grand d?sordre. A partir de 1964, des tendances inflationnistes commen?ant ? se dessiner dans l'?conomie, plusieurs promoteurs soutenus par des groupes bancaires importants se sont efforc?s de tirer parti de cet ?tat de fait. Encou

rag?s par les pouvoirs publics, ils ont alors mis sur le march? des lotissements de maisons individuelles destin?es ? une client?le d?sireuse de placer son

?pargne et non satisfaite de la qualit? des logements offerts dans les grands ensembles. Beaucoup de ces lotissements ont ?t? install?s en pleine campagne, le prix des terrains proches des ?quipements existants ?tant trop ?lev? pour attirer les acheteurs possibles.

Un tissu urbain dense et continu s'est ainsi ?tendu sur le territoire, ratta chant la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines au reste de l'agglom? ration parisienne. Le d?veloppement, primitivement pr?vu selon un axe

parall?le ? celui de la Seine, a pris une direction perpendiculaire, longeant la route de Paris ? Rambouillet.

Les pouvoirs publics ne sont pas parvenus ? endiguer l'avanc?e du fonds urbain en de?? des limites assign?es par le sch?ma directeur. Leur incapacit? ? contenir la sp?culation fonci?re a donc entra?n? dans le d?partement un encombrement g?n?ralis? de l'espace et une d?gradation importante des

massifs forestiers. Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir des arguments avanc?s afin

de justifier la construction de maisons individuelles sur les surfaces bois?es : A. Chalandon, alors ministre de l'?quipement, s'est efforc? de d?montrer

qu'en autorisant la construction de pavillons en for?t, les pouvoirs publics savaient ne pas rester insensibles ? certaines aspirations de la population.

Les personnes qui jusque-l? ?taient rares ? se rendre en for?t, allaient pou voir y venir plus nombreuses et y s?journer plus longtemps lorsqu'elles dis

poseraient de logements sylvestres. Elles auraient ? c ur, tout naturellement, de veiller ? l'entretien de leur nouveau cadre de vie en ramassant les papiers gras, ce qui inciterait de nombreux visiteurs ? s'y promener5. Certains pro pri?taires forestiers ont alors rench?ri que la faible rentabilit? des for?ts, due en partie ? la longueur du processus de production, ?tait responsable de leur mauvais entretien et de leur am?nagement d?fectueux. Ils ont pro pos?, au nom de l'int?r?t g?n?ral, qu'on leur accorde le droit d'y construire des logements sur une partie au moins de la surface. La pr?servation des for?ts passait ainsi par leur urbanisation. Nous ne parlerons pas des d?clara tions de ceux pour qui la construction de maisons en for?t ?tait le meilleur

moyen d'exercer un contr?le sur des espaces fr?quent?s volontiers ? par les ?l?ments les plus d?voy?s de notre soci?t? ?.

5. Selon une enqu?te men?e par la Sares ? la demande du District de la r?gion pari sienne (minist?re de l'Agriculture, Office national des for?ts, Metra International, avril 1969), 70 % des Fran?ais d?siraient habiter une maison individuelle, pr?s de 40 % des ? Parisiens ?

ne se rendaient jamais en for?t. Cf. ?galement ? ?quipement, logement, transport ?,

Revue mensuelle du minist?re de V?quipement et du Logement et du minist?re des Transports, 1969, 38, avr.

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

NOTES ET COMMENTAIRES 101

Cette politique lib?rale d'urbanisme et d'am?nagement de l'espace a

provoqu? dans le m?me temps une diff?renciation sociale de la population concern?e. Dans les Yvelines en

particulier, les communes les plus proches de Paris et les mieux desservies ont connu pour la plupart, au cours de la derni?re d?cennie, une augmentation de l'importance relative des cadres

sup?rieurs et des professions lib?rales dans leur population, tandis que les

plus ?loign?es de la capitale servaient de refuge aux classes populaires. Les massifs forestiers et les terrains de lisi?res ont ?t? l'enjeu d'une comp?tition entre les diverses classes sociales, alors que ces zones paraissaient ? tous ?tre situ?es hors des m?canismes de la lutte des classes, permettant aux pro

meneurs de se soustraire pour un temps aux signes omnipr?sents, dans la

cit?, du poids des rapports sociaux. Jouir de la nature est devenu ainsi ? le privil?ge des privil?gi?s ?6, les abords

des massifs forestiers restant r?serv?s aux classes sociales fortun?es7 ; tandis

que ceux qui subissent le plus les agressions d'origine urbaine ont moins de

possibilit?s de s'?vader et de profiter des bienfaits de la nature. Sans doute est-ce ? cette condition seulement que ? la protection de la nature a pu deve nir rentable ?8. Les d?clarations sur la d?fense des espaces verts ou sur la

protection de l'environnement prennent alors des r?sonances bien ambigu?s et soulignent le caract?re provisoire de la conservation des for?ts p?ri urbaines, espaces particuli?rement vuln?rables, tant que notre ?conomie

reposera sur la recherche syst?matique du profit maximum. Seules une

planification v?ritable des activit?s ?conomiques autour des grandes villes et la mise en place des moyens ad?quats ? sa r?alisation pallieraient la d?gra dation progressive des espaces verts.

6. Ph. Saint-Marc, Socialisation de la nature, Paris, Stock, 1972, 381 p. 7. Voir, ? ce sujet, les annonces publicitaires vantant les charmes des r?sidences

construites en bordure des for?ts. 8. J. Duhamel, Discours devant le Congr?s de la F?d?ration des soci?t?s de protection

de la nature, tenu ? Chaumont le 6 juin 1970 (Le Monde, 7 juin 1970).

This content downloaded from 92.63.101.193 on Sat, 28 Jun 2014 15:19:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions