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Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance àDieu Author(s): Hugues Daussy Source: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 22, No. 1 (2004), pp. 49-69 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/25599002 . Accessed: 14/06/2014 01:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelle Revue du XVIe Siècle. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.34 on Sat, 14 Jun 2014 01:26:30 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance à Dieu

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Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance àDieuAuthor(s): Hugues DaussySource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 22, No. 1 (2004), pp. 49-69Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25599002 .

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Nouvelle Revue du Seizieme Siecle - 2004 - N? 22/1, pp. 49-69

LES HUGUENOTS ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI

ET L'OBEISSANCE A DIEU

En 1560, quelque temps apres la mort du roi Fran?ois II, alors que Cathe rine de Medicis s'appretait a lui demander un service, Soubise lui avait

repondu ? qu'elle ne luy fist que commander pourvu qu'il n'y allast de sa

conscience?!. Cette replique, servie spontanement par le gentilhomme cal

viniste, traduisait bien le dilemme auquel il etait confronte. A l'image de tous les huguenots, il avait peine a concilier deux devoirs d'obeissance: celui qu'il devait au roi en tant que sujet et celui qu'il devait a Dieu en tant

que chretien. Cette dualite s'est averee un probleme central des guerres civiles qui ont ravage le royaume de France dans la deuxieme moitie du XVF siecle et seule sa resolution a permis de mettre un terme a cet intermi nable conflit. Afin de saisir toute la complexite du cas de conscience qui s'est alors pose aux calvinistes fran?ais, il faudra commencer par retrouver les principes ideologiques fondamentaux de la reflexion huguenote sur le theme de l'obeissance, avant d'examiner la maniere dont les reformes les ont appliques puis depasses du debut des troubles, en 1560, jusqu'a l'edit de Nantes. Cette evolution pourra etre declinee en trois temps. On distinguera une premiere periode, de la Conjuration d'Amboise jusqu'a la Saint-Bar

thelemy, pendant laquelle les huguenots se sont efforces de conjuguer les deux devoirs d'obeissance, puis une deuxieme phase, durant laquelle leur

position s'est radicalisee a la suite du massacre du 24 aout 1572, et enfin une ultime periode, ouverte par la mort de Monsieur en juin 1584, qui les a vus allier Faudace et la moderation dans le but de parvenir a resoudre le conflit

qui dechirait leurs consciences. Les fondements de la reflexion conduite par les reformes fran?ais sur la

question de l'obeissance au prince doivent d'abord etre recherches dans l'oeuvre de Calvin. Dans le chapitre XX de son Institution de la Religion Chrestienne, intitule Du gouvernement civil, le reformateur genevois evoque assez longuement l'obeissance due aux autorites. Selon lui, les

Magistrats detiennent ?une commission bailiee de Dieu? qui fait d'eux ses

1 Memoires de la vie de Jean de Parthenay-Larcheveque, sieur de Soubise, edition avec une preface et des notes par Jules Bonnet, Paris, L6on Willem libraire, 1879, p. 49.

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50 HUGUES DAUSSY

?lieutenants et vicaires?. II en deduit que les sujets du prince ordonne de Dieu ont le devoir de lui ? porter honneur et reverence ? et que cette obliga tion de fidelite est induite par la soumission dont ils doivent faire preuve a

l'egard de la volonte du Createur:

lis doyvent garder ceste obeissance pour la crainte de Dieu, comme s'ils ser

voyent a Dieu mesme, d'autant que c'est de luy qu'est la puissance de leur

prince2.

Plus loin, il poursuit: lis se doivent rendre suiets a eux en toute obeissance, soit qu'il faille obeir a leurs

ordonnances, soit qu'il faille payer imposts, soit qu'il faille porter quelque charge publique qui appartienne a la defense commune, ou soit qu'il faille obeir a

quelques mandements. Toute ame, dit sainct Paul, soit suiette aux puissances qui sont en preeminence. Car quiconque r6siste a la puissance resiste a l'ordre mis de Dieu (Rom. 13, l)3.

En s'appuyant sur V Epitre aux Romains4, Calvin semble proner une obeis sance absolue qui ne souffre aucune exception. Pourtant, quelques para graphes plus bas, il nuance son propos en evoquant les ? magistrats infideles a leur vocation ?, c'est-a-dire ceux qui se comportent en tyrans. II maintient d'abord que ces princes, pour violents et injustes qu'ils puissent etre, conservent une majeste inviolable car ils sont un chatiment de Dieu, ?eslevez de luy pour punir l'iniquite du peuple ?5. Toutefois, il consent a un

assouplissement de cette regie dans un cas bien precis: Mais en l'obeissance que nous avons enseignee estre deue aux superieurs, il y doit avoir tousiours une exception, ou plustost une reigle qui est a garder devant toutes choses: c'est que telle obeissance ne nous destourne point de l'obeissance de celuy sous la volonte duquel il est raisonnable que tous les edits des Rois se

contiennent, et que tous leurs commandements cedent a son ordonnance, et que toute leur hautesse soit humiliee et abaissee sous sa maieste. Et pour dire vray, quelle perversite seroit-ce, afin de contenter les hommes, d'encourir 1'indigna tion de celuy pour l'amour duquel nous obeissons aux hommes? Le Seigneur done est Roy des Rois, lequel, incontinent qu'il ouvre sa bouche sacree, doit estre sur tous, pour tous et devant tous escoute. Nous devons puis apres estre suiects aux hommes qui ont preeminence sur nous, mais non autrement en luy. S'ils vien nent a commander quelque chose contre luy, il nous doit estre de nulle estime. Et ne faut avoir en cela aucun esgard a toute la dignite des superieurs, a laquelle on

2 Jean Calvin, Institution de la Religion Chrestienne, edition critique publiee par Jean Daniel Benoit, Livre quatrieme, Paris, Vrin, 1961, p. 527-528. Cette Edition se fonde sur

le texte de la traduction francaise de 1560 tout en faisant apparaitre les modifications suc cessives apportees par Calvin a son ouvrage au fil des Editions.

3 Ibid., p. 528.

4 ?Que chacun se soumette aux autorites en charge. Car il n'y a point d'autorite" qui ne

vienne de Dieu et celles qui existent sont constitutes par Dieu. Si bien que celui qui rSsiste a l'autorite* se rebelle contre l'ordre Etabli par Dieu.? ?pftre de saint Paul aux

Romains, 13, 1-2. 5

Jean Calvin, Institution de la Religion Chrestienne, op. cit., p. 530.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 51

ne fait nulle injure quand elle est submise et ranged sous la puissance de Dieu, qui est seule vraye au prix des autres6.

Ainsi, l'obeissance due au prince se trouve-t-elle etre limitee par l'obeis sance que tout chretien doit prioritairement a Dieu. Le roi qui viendrait a

requerir de ses sujets qu'ils agissent contre la volonte divine pourrait done

legitimement voir ses ordres ignores sans que cette desobeissance soit consideree comme reprehensible. On voit ainsi apparaitre l'idee d'une hie rarchie entre la soumission a la volontd de Dieu et la reverence due aux

superieurs. Celle-ci s'appuie sur un passage des Actes des Apotres, egale ment cite par Calvin :

Mais puisque cest edit a est6 prononc6 par le celeste heraut sainct Pierre, qu'il faut plustost obeir a Dieu qu'aux hommes (Actes 5, 29)7, nous avons a nous consoler de ceste pensee, que vrayement nous rendons lors a Dieu telle obeis sance qu'il la demande, quand nous souffrons plustost toutes choses que decli nions de sa saincte parolle8.

Le principe petrinien qui est ici enonce justifie le refus du sujet d'obeir a un

prince impie, mais il restreint cette insoumission a une desobeissance

passive. II s'agit seulement de ne pas accomplir les actes commandes qui s'averent contraires au respect de la volonte divine et non de se rebeller contre F autorite du prince. En effet, comme le fait observer Marc-Edouard

Cheneviere, Calvin ne preche pas la revoke contre un roi que ses fautes rendent indignes d'etre obei. Ce prince n'est pas prive de sa puissance, mais c'est simplement Facte particulier par lequel il invite ses sujets a desobeir a Dieu qui se trouve prive de puissance9. Afin d'illustrer cette position theo

rique par un cas concret, on peut evoquer F attitude que doivent adopter, si l'on suit le Reformateur, les huguenots face au roi de France lorsque celui ci veut les obliger a suivre les rites catholiques. Ils doivent lui desobeir en continuant a celebrer le ? vrai? culte de Dieu, c'est-a-dire le culte reforme, mais ils restent dans Fobligation de suivre rigoureusement les commande ments de leur prince dans tous les domaines ou il n'ordonne pas contre la volonte divine. II s'agit done d'une desobeissance selective et non globale.

Tout semble done parfaitement clair dans la pensee de Calvin. Pourtant, il est un passage de F Institution qui introduit une incertitude dans le degre de desobeissance qu'il est loisible de manifester face au prince contempteur du vouloir divin. Les principes qui ont ete exposes plus haut restent quoi qu'il arrive valables pour les ?personnes privees?, mais il peut en aller autrement des magistrats inferieurs, ?constituez?, selon lui, ?pour la

6 Ibid., p. 536.

7 ?II faut obeir a Dieu plutot qu'aux hommes?. Actes des Apotres, 5, 29.

8 Jean Calvin, Institution de la Religion Chrestienne, op. cit., p. 537.

9 Marc-6douard Cheneviere, La pensee politique de Calvin, Paris, 1937, p. 354.

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defense du peuple, pour refrener la trop grande cupidite et licence des Rois?. Ceux-ci, compares aux Ephores spartiates ou aux Demarques athe

niens, pourront etre notamment10 ?en chacun royaume les trois estats quand ils sont assemblez?. A ces autorites subalternes, Calvin consent non seule

ment l'autorisation, mais encore attribue le devoir d'opposer au souverain

impie et tyrannique une resistance effective:

A ceux qui seroyent constituez en tel estat, tellement ie ne defendroye de s'op poser et resister a 1'intemperance ou cruaute des Rois, selon le devoir de leur

office, que mesmes s'ils dissimuloyent, voyans que les Rois desordonnement vexassent le povre populaire, i'estimeroye devoir estre accusee de pariure telle

dissimulation, par laquelle malicieusement ils trahiroyent la liberte du peuple, de

laquelle ils se devroyent cognoistre estre ordonnez tuteurs par le vouloir de

Dieu11.

Tracee sur la base d'une argumentation de nature ?constitutionnelle?, la voie vers une desobeissance active, vers une reelle resistance a la volonte du

prince, se trouve ainsi ouverte, mais l'imprecision la plus totale demeure sur

les modalites et le degre souhaitables de cette opposition. Cette ambiguite, soulignee par Quentin Skinner12 et Denis Crouzet13

dans leurs analyses de la pensee de Calvin, est entretenue par la presence de

jugements plus severes contre le souverain impie dans des expressions ulte

rieures de la reflexion du Reformateur. Des la deuxieme edition latine de

1'Institution, en 1539, la position de Calvin est conforme a celle qui vient d'etre exposee14. Sans qu'elle soit jamais remise en cause, cette doctrine

connait toutefois quelques inflechissements a partir des annees 1550. Plu sieurs textes temoignent ainsi d'une evolution plus ou moins nette, comme ces sermons, recemment relus par Max Engammare, ou l'idee d'un devoir de resistance contre le tyran idolatre se fait plus precise. Des 1552, dans un sermon sur Daniel, Calvin laisse entre voir la possibilite d'une desobeis sance active, voire violente:

Or il est vrai [...] nous sommes tenus d'obeir a nos princes, voire sinon qu'ils s'eslevent a l'encontre de Dieu. Mais quand ils voudront desroguer a sa majeste,

qu'ils entreprendront plus qu'il ne leur est permis, si les princes s'eslevent

jusques la, fi, fi, ce n'est qu'ordure d'eux [...]. Mais quand ils s'esleveront contre

10 La notion de magistrats inf6rieurs demeure difficile a cerner car elle est fluctuante en

fonction des auteurs et des dates auxquelles ils ont redige leurs ouvrages. D'abord res

treinte aux Etats gSneraux, la signification de ce terme s'est peu a peu elargie pour fmir

par englober tous ceux qui, a divers titres, possedent une parcelle de puissance publique. 11

Jean Calvin, Institution de la Religion Chrestienne, op. cit., p. 535-536. 12

Quentin Skinner, Les fondements de la pensee politique moderne, Paris, Albin Michel,

2001, p. 619-621. 13

Denis Crouzet, La genese de la Reforme frangaise (1520-1560), Paris, Sedes, 1996,

p. 314-315. 14

Quentin Skinner, Les fondements de la pensee politique. ..,op. cit., p. 618-619.

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Dieu, il faut qu'ils soient mis en bas, et qu'on ne tienne plus compte d'eux non

plus que de savattes [...] Quand ils commanderont qu'on se polue en idolatrie,

qu'ils voudront qu'on consente a toutes les abominations qui sont contraires au

service de Dieu, et qu'on y communique, 6, ils ne sont pas dignes d'estre reputes princes, ne qu'on leur attribue aucune autorite^5.

Difficile a interpreter avec surete, ce passage peut ouvrir la voie, selon l'op tique dans laquelle on le lit, a une revoke visant dechoir le prince de toute autorite. Mais il peut egalement etre compris de maniere plus restrictive, comme un appel a seulement ignorer ses commandements en matiere de

religion et a lui nier tout pouvoir dans ce domaine, sans pour autant remettre en cause le principe plus general de sa domination. Entre 1552 et 1554, c'est dans son Commentaire sur les Actes des Apotres que Calvin precise quelque peu sa pensee. II y affirme que ? si un roi, prince ou magistrat se comporte en sorte qu'il diminue la gloire de Dieu, il ne devient rien d'autre qu'un homme ordinaire ?, ce qui tend a accrediter l'hypothese d'une perte totale de

puissance. Plus loin, il soutient qu'il est ?possible de dire reellement que nous ne violons pas F autorite du roi? lorsque ? notre religion nous oblige a

resister a des edits tyranniques qui nous interdisent de rendre a Christ et a Dieu l'honneur et le culte qui leur sont dus?16. L'idee de resistance (resis tere) est exprimee, ce qui atteste une evolution de sa pensee, sans toutefois

que la nature meme de cette resistance soit precisee. S'agit-il d'une autori sation a la simple desobeissance passive ou le cautionnement d'une attitude

plus offensive? L'equivoque persiste. En 1559, l'edition latine definitive de YInstitution integre l'idee que le

prince impie abolit de fait son propre pouvoir17. D'autres textes rediges dans les dernieres annees de la vie du Reformateur semblent aller dans le meme

sens, notamment au moment de la Conjuration d'Amboise, officiellement condamnee par Calvin comme une entreprise illegitime puisque conduite

par des personnes privees18. Sa position plus intime ne semble pas avoir ete

15 Max Engammare, ? Calvin monarchomaque? Du soupcon a l'argument?, in Protestan tisme et Politique, Colloque 1995 du Centre d'histoire des reformes et du protestantisme,

Montpellier, Universite Paul Valery, 1997, p 18. 16

Cite par Quentin Skinner, Les fondements de la pensee politique...,op. cit., p. 654. 17

Evoquant le refus de Daniel fait a Darius, il ecrit: ? Selon ceste raison Daniel proteste de n'avoir en rien offense le Roy, combien qu'il eust contrevenu a l'edit iniuste publie par luy (Dan. 6, 23), pource qu'en cela il avoit outrepasse ses bornes, et non seulement estoit excessif contre les hommes, mais avoit leve les cornes contre Dieu, et en ce faisant s'es toit demis et degrade de toute authorite ?. Jean Calvin, Institution de la Religion Chres tienne, op. cit., p. 536.

18 Le mouvement etait anime essentiellement par la noblesse moyenne des provinces tou chees par la Reforme protestante et ne beneficiait pas de la caution des grands. Dans la

pensee de Calvin, seul l'aveu du premier prince du sang, Antoine de Navarre, aurait pu conferer a la Conjuration une legitimite. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi et Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 59-62.

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aussi claire car, tout en la condamnant, il se surprend a qualifier l'entreprise des nobles huguenots de ? magnifiques efforts ? dans une lettre adressee a Jean Sturm19. Dans le sermon sur la Genese, prononce le 23 mars 1560 alors

que l'echec de la Conjuration n'est pas encore connu a Geneve, Calvin n'he site pas a affirmer que ?si les roys veullent contraindre leurs subjectz a

suyvre leurs superstitions et ydolatries: O la ilz ne sont plus roys, car Dieu n'a pas resigne ny quicte son droit, quand il a estably les principaultes et sei

gneuries en ce monde?20. Le doute est toujours permis: le prince idolatre

perd-il sa dignite royale de maniere ponctuelle, lorsqu'il commande d'agir contre Dieu et uniquement dans le cadre de cet acte particulier, ou se trouve t-il dechu de maniere plus generale? La question demeure difficile a

resoudre, meme si un ultime indice est contenu dans les Sermons sur les huit derniers chapitres du Livre de Daniel, publies en fran?ais en 1565, a titre

posthume. Calvin y affirme clairement que les princes qui s'opposent a la volonte de Dieu ? n'ont plus a etre comptes pour princes ? et que ? quand ils se dressent eux-memes contre Dieu?, alors ?il est necessaire en retour de les mettre a bas?21. De toute evidence, une telle affirmation implique bien

davantage qu'une simple desobeissance passive, mais ce devoir de resis tance active demeure toujours, dans la pensee de Calvin, 1'apanage exclusif des magistrats inferieurs. Jamais, meme dans ses derniers ecrits, il n'attribue cette faculte aux ?individus prives ?22.

Bien que ses ecrits fassent autorite, Calvin n'est pas l'unique reference

pour les huguenots qui cherchent leur chemin entre l'obeissance au roi et l'obeissance a Dieu. Theodore de Beze, son disciple puis son successeur a

Geneve, s'est egalement exprime sur cette delicate question. Marque par la

pensee de son maitre, il a apporte sa propre pierre a 1'edifice ideologique reforme. Son intervention dans le debat concerne le probleme de la deso beissance active, c'est-a-dire de la resistance. Des 1554, dans son De hae reticis a civili magistratu puniendis23, il evoque les devoirs des magistrats inferieurs qui ont la charge de resister lorsque les princes ordonnent contre la conservation de la ? purete de la religion ?:

19 Max Engammare, ? Calvin monarchomaque ?...?, art. cit., p. 22-23.

20 Ibid., p. 15.

21 Cite" par Quentin Skinner, Les fondements de la pensee politique. ..,op. cit., p. 655.

22 Ibid., p. 656.

23 Theodore de Beze, De Haereticis a civili magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem et novorum academicorum sectam, Oliva R. Stephani, 1554. Au sujet de ce texte, voir Robert Kingdon, ?The First Expression of Theodore Beza's Political Ideas ?, Archivfur Reformationsgeschichte, vol. 46 (1955), p. 88-100 et Robert Kingdon, ? Les idees politiques de Beze d'apres son Traitte de I'authorite du magistrat en la puni tion des heretiques^, Bibliotheque d'Humanisme et Renaissance, vol. 22 (1960), p. 566 569.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 55

On me pourroit dire, que seroit-ce done si le Seigneur nous donnoit des Princes

qui combatissent contre le regne de Christ, estans poussez d'une cruaute toute

evidente ou d'une lourde ignorance? En ce cas, il faut premierement que

l'Eglise recoure a Dieu en prieres et pleurs, et avise a venir a vray amendement de vie, car voyla les armes des fideles pour rabbatre les assauts furieux du

monde. Cependant le devoir du Magistrat inferieur est de maintenir, tant qu'il

luy est possible, en son pays et sous sa jurisdiction la purete* de la religion; en

quoy il faut qu'il procede avec grande prudence et bonne moderation, mais si

faut-il qu'il y ait aussi de la Constance et magnanimite. Et de ceci la ville de

Magdebourg a monstre de nostre temps un exemple bien notable [...]. Ainsi

done, combien que plusieurs Princes abusent de leur office, je di toutesfois que

quiconque estime qu'il se faille deporter d'user de l'aide des Magistrats Chres

tiens que Dieu presente, a l'encontre de la violence externe des infideles ou des

heretiques, cestuy-la despouille l'Eglise de Dieu d'un secours merveilleuse ment utile et mesme necessaire, toutes fois et quantes qu'ainsi il plaist au

Seigneur24.

Ce court extrait est encore plus explicite que le passage de F Institution consacre au devoir de resistance des magistrats inferieurs. En faisant refe rence a l'exemple de la ville de Magdebourg qui, en 1550, s'est opposee par les armes a la volonte de Charles Quint d'imposer FInterim d'Augsbourg au

detriment de la ? vraie religion ?, il montre l'influence de la reflexion luthe

rienne sur la theorie de l'obeissance elaboree par Theodore de Beze25. Tou

tefois, cet extrait n'est qu'un bref passage au sein d'un texte au fil duquel l'auteur ne cesse de reaffirmer le devoir d'obeissance du sujet a son prince,

quels que soient les vices de celui-ci. Comme Calvin, Beze est done ambigu. II semble neanmoins que, a l'image de celle de son maitre, sa pensee a

evolue vers davantage de severite a partir de la fin des annees 1550. En

1560, dans sa Confession de la foy chrestienne, il fixe en effet sa position de maniere plus precise. II reaffirme qu'il est de la charge des puissances inter

mediaires26 de resister au tyran: Je respon que ceux qui ont encore puissance par dessus, comme aujourd'huy en

1'Empire Romain les sept Electeurs qu'on appelle, et quasi en toutes Monarchies les Estats du Royaume, sont tenus de reprimer ces Tyrans qui se desbordent et

24 Nous citons ici la traduction francaise du De Haereticis: Traitte de I 'authorite du magis trat en la punition des heritiques et du moyen d'y proceder, fait en latin par Theodore de

Besze, contre Vopinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustiennent Vim

punite de ceux qui sement des erreurs [...]. Nouvellement traduit de latin en francois par Nicolas Colladon, s.l., imprime par C. Badius, 1560, p. 207-208.

25 B^ze a ete influence par la lecture de la Confession et defense des pasteurs et autres

ministres de l'Eglise a Magdebourg, datee du 13 avril 1550 et redigee par Nicolas von

Amsdorf (Bekenntnis Unterricht und Vermanung der Pfarrhern und Prediger der Christ UchenKirchen zu Magdeburgk. Anno 1550. Den 13. Aprilis.).

26 Beze n'accorde plus ce droit aux ? magistrats inferieurs ?, mais a des puissances d'un rang

superieur. Sur cette question, voir Arlette Jouanna, ?L'institution divine des magistrats inferieurs selon Theodore de Beze?, in Tout pouvoir vient de Dieu, Actes du T colloque Jean Boisset, sous la direction de Marie-Madeleine Fragonard et Michel Peronnet, Mont

pellier, ed. Sauramps, 1993, p. 208-209.

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56 HUGUES DAUSSY

veulent faire des enragez; et qu'a faute d'y proceder, ils rendront compte de leur

desloyaute devant le Seigneur comme traistres de leur propre pais27.

Mais il s'en tient rigoureusement a une conception constitutionnaliste de la resistance et ne manque pas d'insister sur F obligation absolue qui est faite ? aux particuliers qui sont sous la puissance d'un tyran ? de s'en tenir a une

desobeissance passive. II conclut par cette affirmation en forme de regie, qui semble borner de maniere tres nette la liberte d'action du sujet confronte au

prince impie: Car il y a en ceste matiere la reigle ferme et perpetuelle, qu'il faut plutost obeir a Dieu qu'aux hommes, toutesfois et quantes que nous ne pouvons obeir a ce que les hommes commandent, que nous n'offensions la majeste et mesprisions l'au thorite du souverain Roy des Rois et Seigneur des seigneurs. Mais toutesfois il nous doit souvenir que c'est autre chose de n'ob&r pas, que de resister ou se mettre en armes quand le Seigneur ne nous y appele pas28.

II est important de noter que ce passage relativement offensif n'apparaissait pas dans la version latine initiale de la Confession, pourtant publiee seule ment un an plus tot. II est fort probable que c'est a la necessite de lutter contre l'influence des Guises, qui ont pris Fascendant sur le jeune roi Fran

gois II des la mort accidentelle de son pere, qu'il faut attribuer cette reorien tation. On reviendra plus loin sur les incidences de cet episode au sujet de la

reflexion des huguenots sur l'obeissance, mais il convient d'ores et deja de

remarquer que, a partir de ce moment-la, Fevolution des theories formulees

par les penseurs reformes sera tres etroitement liee a la situation concrete de leurs coreligionnaires au sein du royaume de France.

Alors que debutent les guerres civiles, les protestants frangais peuvent done enraciner leur conception de l'obeissance dans un corps de doctrine a

la fois coherent, precis et particulierement ambigu. Plusieurs points sont

incontestables: il faut obeir aux superieurs, car ils sont ordonnes de Dieu, aussi longtemps qu'ils ne commandent pas d'agir contre la volonte divine.

Dans le cas contraire, et uniquement dans ce cas, il est loisible de leur

opposer une desobeissance passive ponctuelle et limitee a Facte qui requiert du sujet un comportement impie. Seules certaines puissances intermediaires ou les magistrats inferieurs peuvent se voir eventuellement autorises a

conduire des actes de resistance active. C'est alors qu'intervient Fincerti

tude: jusqu'ou la desobeissance de ces magistrats peut-elle legitimement les

entrainer? Vers une simple revoke defensive ou jusqu'a envisager la

27 Theodore de Beze, Confession de la foy chrestienne, faite par Theodore de Besze, conte

nant la confirmation d 'icelle et la refutation des superstitions contraires, 1560. Point V, article XLV. ?De l'obeissance qui est deue aux Magistrats ?. Extraits publies in Theodore

de Beze, Du droit des magistrats sur leurs subiets (1574), edition critique par Robert M.

Kingdon, Geneve, Droz, 1971, p. 74. 28

Ibid., p. 75.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 57

decheance du tyran idolatre? Cela ne revient pas au meme et c'est sans

doute l'une des forces de la pensee de Calvin que d'avoir laisse planer le doute. Grace a leur caractere partiellement ambigu, ses prises de position sur la question de l'obeissance ont acquis une souplesse suffisante pour

pouvoir etre interpretees diversement en fonction des circonstances et offrir ainsi aux huguenots confrontes a l'adversite une source inepuisable de jus tification.

Pour conclure cet expose des fondements de la reflexion calviniste sur

l'obeissance, il convient de comparer brievement les conceptions des theo riciens genevois avec celles enoncees par les autres penseurs protestants. II

appert qu'elles s'averent beaucoup moins radicales que la position luthe

rienne, puisque le docteur de Wittenberg, tout en se limitant a une theorie constitutionnaliste de la resistance, a

legitime l'utilisation de la force des

153029. Quant aux reformes Anglais et Ecossais exiles, ils se sont montres les plus audacieux. John Ponet, Christopher Goodman et John Knox ont affirme que la resistance a l'idolatrie releve du droit prive et qu'elle est un

devoir impose par Dieu a chaque individu30. Calvin et Beze, meme s'ils ont de toute evidence subi l'influence de ces differentes theories, font preuve d'une plus grande moderation.

Cette prudence s'explique sans doute par la situation particuliere des reformes au sein du royaume de France des les annees 1550. Au contraire des protestants d'outre-manche, qui subissent alors la persecution des deux

Marie31, et des lutheriens de l'Empire, qui doivent faire face a la determina tion de Charles Quint, les calvinistes frangais ne vivent pas un conflit suffi samment dur avec fautorite royale pour qu'il soit possible de parler de

rupture definitive. Meme sous le regne d'Henri II, repute pour avoir ete redoutable pour les huguenots, la repression demeure relativement limitee32. A partir du debut du regne de Charles IX (5 decembre 1560), c'est d'ailleurs meme plutot une politique de conciliation qui est conduite par la monarchie sous l'impulsion de Catherine de Medicis. II est alors de l'interet des pro testants frangais de se contenir dans une attitude moderee et d'eviter de souscrire a des positions trop radicales. En effet, si les demarches de la reine

mere aboutissent, les huguenots peuvent legitimement nourrir l'espoir de se voir accorder un edit legalisant leur existence au sein du royaume. II leur faut done eviter a tout prix de s'opposer ouvertement au roi.

29 Quentin Skinner, Les fondements de la pensee politique. ..,op. cit., p. 622-631.

30 Ibid., p. 656-679.

31 Les annees 1550 sont tres dures pour la Reforme protestante en Angleterre et en Ecosse. Marie Tudor (1553-1558) et la regente Marie de Guise (1542-1560) exercent de redou tables persecutions a l'encontre de leurs sujets reTormes.

32 Voir William Monter, Judging the French Reformation. Heresy Trials by Sixteenth

Century Parlements, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1999, p. 251-269.

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58 HUGUES DAUSSY

Cet imperatif est plus ou moins aise a respecter. En periode de calme,

lorsqu'un edit garantit un minimum de droits aux huguenots et autorise leur existence legale, il est possible de concilier le devoir d'obeissance a Dieu avec le respect de F autorite royale. En revanche, lorsque le souverain cau tionne une politique plus repressive et interdit formellement la pratique du culte reforme, cela devient beaucoup plus difficile. Le probleme s'est pose tres tot apres la mort d'Henri II, car son fils, Frangois II, s'est laisse gouver ner par les Guises. En poussant le jeune roi a refuser tout compromis avec ses sujets reformes et en prenant le controle total du gouvernement, les Lor rains ont finalement rendu un grand service aux huguenots33. Ils leur ont offert une cause politique qu'ils vont exploiter sans relache afin d'eviter de se trouver confrontes a un divorce ineluctable entre les deux devoirs d'obeissance. Ainsi, que Finitiative de la repression provienne du roi ou de son entourage, ce sont toujours les ?mauvais conseillers? qui seront accuses d'en etre les uniques responsables. L'idee que le roi est retenu pri sonnier, qu'il est contraint dans sa volonte ou qu'il est manipule par des conseillers malfaisants, permettra d'abord d'innocenter le prince de tout

desir de s'opposer a la volonte de Dieu en obligeant ses sujets a idolatrer.

Surtout, elle autorisera les huguenots a reaffirmer une obeissance absolue au

souverain, contre lequel leurs revoltes successives seront pourtant apparem ment dirig?es. L'assise ideologique sur laquelle repose cette pirouette poli tique, minutieusement analysee par Arlette Jouanna34, autorise une decon

fessionnalisation de la lutte menee par les reformes des la Conjuration d'Amboise, qui echoue en fevrier-mars 1560.

L'echec des efforts entrepris par Catherine de Medicis et le chancelier Michel de L'Hospital pour promouvoir la concorde puis la tolerance civile, entre la fin de l'annee 1560 et le printemps 1562, conduit de nouveau les

reformes a la re volte. L'action offensive d'un triumvirat, compose du due de

Guise, du due de Montmorency et du marechal de Saint-Andre, permet au

prince de Conde de justifier sa prise d'armes du 2 avril 1562 en affirmant

qu'il ne s'agit pas d'un acte de desobeissance au roi. Dans une Declaration, datee du 8 avril35, il proclame que ce n'est pas le roi qui a brise l'edit de

Janvier et prive les reformes de la liberte de conscience, mais que la faute en

33 Cette remarque est empruntee a Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi et Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, op. cit., p. 56.

34 Arlette Jouanna, Le devoir de revolte. La noblesse francaise et la gestation de l'Etat

moderne, 1559-1661, Paris, Fayard, 1989. 35

Declaration faicte par Monsieur le Prince de Conde, pour monstrer les raisons qui I 'ont

contrainct d'entreprendre la defence de I 'authorite' du Roy, gouvernement de la Royne, et

du repos de ce Royaume. Avec la Protestation sur ce requise, Orleans, 8 avril 1562, in

Memoires de Conde, ed. de Londres, Claude Du Bosse et J. Nillor, tome III, 1740, p. 195

214.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 59

doit etre attribute aux triumvirs, qui ont procede au ? saisissement des per sonnes du Roy, de la Roine sa mere et de monsieur d'Orleans? afin de contraindre la volonte du prince. Loin d'un acte de desobeissance, faction de Conde et des huguenots devient des lors un combat pour liberer le roi de sa ?captivite? physique et morale, une entreprise ?pour faire service au

Roy, a la Royne, et a tout ce Royaume en leur grand besoing ?. Dans un autre

texte, date du 19 mai 1562, Conde reaffirme encore plus clairement l'obeis sance des reformes au roi:

II n'y en a point de nostre part (et Dieu en est tesmoin) qui ne hazardast volon tiers sa vie, pour preserver de mal et d'inconvenient celle de nostre Prince, que nous aimons uniquement, et honorons comme pour un singulier et precieux don

que Dieu nous a faict. [...] Nous ne demandons point autre Roy ny autre Prince

que celuy qui est nostre naturel Seigneur. [...] Les villes qu'on diet estre rebelles, n'ont poinct change de maistre ny de Seigneur: recognoissent plus que iamais l'obeissance qu'elles doivent a nostre Roy. Et que l'on voye la response qu'elles ont faict, l'on trouvera que les armes ne sont pas levees contre le Roy. Plus tost mourir que d'y avoir pense. L'on trouvera que les armes sont prinses contre la maison de Guyse, Connestable et Mareschal de sainct Andre36.

On ne peut etre plus clair. Toutefois, meme si elle est parfaitement cohe

rente, la position adoptee par Conde ne peut demeurer credible que si Charles IX et Catherine de Medicis se reconnaissent effectivement prison niers. Au lieu de cela, ils condamnent fermement la prise d'armes du prince comme un acte de rebellion. Meme si elle s'en trouve affaiblie, la strategic huguenote ne varie pourtant pas, comme f atteste le comportement de

Soubise, qui tient la ville de Lyon pour Conde. Alors que Catherine de Medicis lui ordonne de remettre la ville entre les mains du roi, le capitaine huguenot lui repond:

Qu'il estoit venu dans Lyon en ceste seule intention de la conserver et garder pour le roy et empescher qu'elle ne tombast en aultres mains. Ce qu'il feroit, ou il luy cousteroit la vie, mais qu'il luy sembloit que le commandement qu'elle luy faisoit de s'en dessaisir contrevenoit a la bonne opinion qu'elle disoit avoir de luy pour ce que leurs Majestez ne la scauroient mectre entre les mains d'homme pour la garder plus fidelle et affectionne a leur service que luy ni qui mieulx la leur conserve mesmement en temps turbulent. Et quand Dieu luy donneroit cest heur de voir leurs dictes Majestes en la liberte qu'il desiroit et quelles debvoient estre, il ne fauldroit incontinent d'obeir a tous leurs commandemens37.

Ce passage, titre d'un memoire justificatif des actions de Soubise, est parti culierement eloquent quant a la maniere dont les huguenots expliquent leur desobeissance de fait. Malgre fobstination du roi et de la reine mere a pre tendre le contraire, ils affirment ainsi que leurs volontes sont asservies par

36 Response faicte par Monseigneur le Prince de Conde a la requeste presentee par le triumvirat, Orleans, 19 mai 1562, in Memoires de Conde", op. cit., tome III, p. 364-365.

37 Discours des choses advenues en la ville de Lion pendant que Monsieur de Soubise y a

commande, BnF, Fds. fr. 20783, fol. 121 v?.

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60 HUGUES DAUSSY

leur mauvais conseillers. De ce fait, il leur semble tout evident que Charles IX et sa mere esperent secretement une desobeissance de leurs

sujets a ces ordres qui ne refletent pas leurs reelles aspirations. Soubise

explique de cette maniere son refus d'obtemperer: II [Soubise] cogneust bien que les voullontez de leurs Majestes estoient plus forcees et captives quelles n'avoient este auparavant qui luy fit craindre s'il estoit si prompt a ob&r au contenu desdites lettres d'encourir une notte d'infamie et faire a leurs Majestes une telle offence quelles estant remises en leur liberte le

moing qui luy en fut peu advenu eust este de perdre leurs bonnes grace, qui est chose de ce monde qu'il estime le plus38.

II est difficile de distinguer la part de la conviction de celle de la pure rheto

rique dans un discours de cet ordre, mais il prouve bien que ce qui compte avant tout pour les reformes est de reussir a faire passer leur resistance comme un acte de fidelite qui ne remet pas en cause leur obeissance au sou

verain.

Toutefois, adoptee en grande partie par necessite tactique afin de discul

per les huguenots de F accusation de rebellion, cette position officielle ne

reflete pas Fopinion de tous les reformes. Alors que Conde et la noblesse reaffirment leur obeissance au souverain, un courant souterrain developpe des theories plus radicales. Elles se manifestent d'abord par des actes

violents qui temoignent d'une volonte de desacralisation de la personne royale. Des bustes de Louis XI et Louis XII, qui decoraient la facade de F Hotel de ville d'Orleans, sont ainsi detruits et le corps de Jeanne de France, deuxieme femme de Louis XII, est profane a Bourges. Surtout, certaines sources affirment que les entrailles de Francois II, conservees a Orleans, sont alors jetees aux chiens et que les plus enrages n'hesitent pas a faire rotir a la poele le cceur du roi defunt39. Ces comportements extremes demeurent

cependant marginaux, mais c'est egalement par ecrit que s'exprime la

defiance que certains eprouvent vis-a-vis du roi. A Lyon, un libelle intitule

La deffence civile et militaire des innocens et de l'Eglise de Christ affirme notamment le droit pour les personnes privees de resister a un tyran sans

meme passer par la mediation des magistrats. Juge beaucoup trop subversif

par les autorites reformees, le livret est condamne et brule sur ordre de

Soubise le 11 juin 1562. II faut alors absolument eviter de preter le flanc a la

critique catholique40. Dans un autre opuscule, la Sentence redoutable et

38 Ibid., fol. 142.

39 Denis Crouzet, ?Calvinism and the Uses of the Political and the Religious (France, ca.1560- ca.l572)?, in Philip Benedict, Guido Marnef, Henk van Nierop and Marc

Venard (ed.), Reformation, Revolt and Civil War in France and the Netherlands, 1555

1585, Amsterdam, Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences, 1999, p. 111. 40

Ibid., p. 111-112 et Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi et Guy Le

Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, op. cit., p. 126.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 61

arrest rigoureux du jugement de Dieu a Vencontre de Vimpiete des tyrans, c'est l'idee d'une obeissance conditionnelle liee au respect de ses engage ments par le souverain qui est exprimee41. Qu'on ne s'y trompe pas, ces

quelques ecrits ne temoignent que de l'existence d'un courant minoritaire au sein d'une communaute reformee tres respectueuse de fautorite royale.

Mais ces expressions, deliberement etouffees, prefigurent certaines evolu tions ulterieures de la reflexion huguenote sur la question de l'obeissance.

En 1567, apres f echec de la surprise de Meaux, le prince de Conde jus tifie de nouveau sa prise d'armes au moyen de la these du roi manipule.

Mais ce qui est nouveau, ce sont les progres desormais plus visibles du courant radical. Le probleme de l'obeissance au prince est au cceur de plu sieurs ecrits qui paraissent en 1568-1569. La Question politique: s'il est licite aux subjects de capituler avec leur prince, attribute au chancelier de la reine de Navarre Jean de Coras, introduit l'idee d'une monarchie contrac tuelle oii l'obeissance des sujets serait soumise au respect par le roi d'un certain nombre d'engagements. Les princes et leurs sujets seraient ainsi lies

par des ?articles, contenant obligations reciproques des uns envers les

autres, aux roys de bien regir et regner, aux subjects de bien obeir et reverer ?42. D'autres pamphlets, tous produits par des reformes refugies a La

Rochelle, avancent des theories audacieuses comme la Declaration de ceux

de la religion reformee de La Rochelle qui affirme, dans la lignee de ce

qu'avait postule Calvin dans certains de ses sermons, que le prince qui com mande d'agir contre Dieu se prive de facto de toute autorite43.

Le massacre de la Saint-Bartheiemy, survenu le 24 aout 1572, modifie radicalement les rapports entre les huguenots et le roi. Cautionne par Charles IX, le meurtre de plusieurs milliers de ses sujets reformes provoque une redefinition de la relation d'obeissance au prince de la part de ces der niers. L'aveu royal, qui semble officialiser la haine du souverain a f egard des calvinistes ainsi que sa determination a les persecutes interdit desormais f utilisation politique de l'argument du roi manipule. Cette fiction ne tient

plus. Desormais, c'est bien a un prince idolatre qui tyrannise ses sujets pour leur religion qu'ils ont affaire. Leur prise d'armes, defensive, prend done cette fois les couleurs d'une resistance active au souverain lui-meme et non a son entourage. Les huguenots s'enferment dans leurs villes, notamment dans La Rochelle, longuement assiegee par les troupes royales. Un ecrit

redige par les reformes du Languedoc, en aout 1573, traduit bien leur etat

d'esprit. Le roi y est prie d'agir afin d'? arracher des cceurs de vosdits sub

jects de la Religion la grande et juste deffiance qu'ilz ont congue de se voir

41 Ibid., p. 126-127.

42 Cite \n ibid., p. 180.

43 Ibid., p. 181.

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62 HUGUES DAUSSY

livrez et abandonnez a la cruaute des massacreurs ?44. La cicatrice est pro fonde et la plaie encore a vif. Comment faire de nouveau confiance au

prince qui les a trahis? Comme le font observer les auteurs d'une Declara tion datee du mois de Janvier 1574, ceux qui ont ?este inhumainement mas sacrez? se contenaient pourtant? soubs Fauctorite et obeissance des edicts du Roy ?45. Cette obeissance, si mal recompensee, se trouve ainsi remise en cause et les theories radicales, jusqu'alors plus ou moins efficacement

etouffees, surgissent au grand jour. D'un point de vue concret, c'est en Languedoc que les huguenots reagis

sent le plus vivement. La structure confederate, qui y est elaboree lors des assemblies politiques qui se tiennent a Millau en 1573 et 1574, ne semble

pas traduire une volonte de secession; les deputes reformes affirment leur determination a demeurer fideles et obeissants au roi. Mais dans les faits, la mise en place de cette organisation a bien pour consequence de transferer une partie des attributs de la souverainete a FAssemblee generale de FUnion46. D'ailleurs, si les tensions s'apaisent provisoirement, un ecrit datant de Fautomne 1572 et dont la provenance exacte demeure incertaine montre bien que l'idee d'une soustraction, au moins provisoire, des hugue nots a l'obeissance au roi a ete clairement envisagee:

En attendant qu'il plaise a Dieu, qui a le cceur des roys en sa main, de changer celui de nostre tyran et restituer 1'estat de la France en bon ordre ou susciter ung

prince voisin qui soit manifeste par sa vertu et marques insignes, estre liberateur de ce pauvre peuple afflige"; apres le serment prest6, on eslira par voix et suf

frages publics en chacune ville ou cite" que ceulx de la religion reformee tiennent et tiendront a l'avenir, ung chef qui sera nomme" majeur pour y commander tant au faict de la guerre pour leur defense et conservation, que de la police, afin que tout y soit faict par bon ordre47.

La pratique d'une obeissance conditionnelle est ici ouvertement requise et

Charles IX est qualifie de tyran. La lutte contre la tyrannie est precisement la preoccupation centrale d'un

ensemble de traites qui paraissent peu apres la Saint-Barthelemy. Les theo

ries qu'ils contiennent, appelees ?monarchomaques?, sont bien connues.

44 Articles et requestes de ceux de la Religion pretendue reformee de Languedoc assemblez a Montauban presentez au roy pour parvenir a ung edict de pacijfication et pour resta

blir ce qui avoit este enfrainctpar les troubles passez, aout 1573, BnF, NAF 7178, fol. 38. 45

Declaration de ceux de la Religion pretendue reformee sur la prise des armes, Janvier 1574, BnF, NAF, fol. 70.

46 Celle-ci se voit attribuer des competences Vendues dans les domaines de la paix, de la

guerre, de la justice, de la police et des finances. Voir Janine Garrisson, Protestants du

Midi (1559-1598), Toulouse, Privat, 1991, p. 182-192. 47

Reglement geniral dresse par ceux de la Religion pretendue reformte assembles a

Millaudl'an 1572, BnF, NAF 23 488, fol. 65 et ss, cits' in ibid., p. 180. Le titre de ce texte est trompeur puisqu'il ne s'est tenu aucune assembled politique a Millau en 1572. Son

origine exacte reste done inconnue.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 63

La lecture des quatre principaux ouvrages produits par les penseurs qui animent ce courant48, souvent de maniere anonyme, permet de degager un

corps de doctrine coherent sur la question de l'obeissance. II a pour base l'affirmation de la souverainete du peuple en corps (represente par les Etats

generaux) qui a le pouvoir de choisir les rois et de les deposer. Le peuple et le roi se trouvent alors lies par un contrat d'obligation inegal, le peuple n'etant tenu d'obeir au prince que dans la mesure ou celui-ci respecte les

engagements qu'il a pris envers lui. Dans le cas d'un comportement tyran nique de la part du roi, qu'il s'agisse d'une tyrannie politique ou spirituelle, il devient ainsi legitime de lui resister, au besoin par les armes. Tous les traites insistent sur la necessite de s'en tenir a une resistance legale, assise sur des bases de nature ?constitutionnelle?. On retrouve F interdiction cal vinienne faite a une personne privee de s'elever contre le tyran, ce droit etant reserve soit aux Etats du royaume soit aux magistrats inferieurs. Theo dore de Beze, qui s'est deja exprime sur la question dans les annees 1550 et au debut des annees 1560, est l'auteur de Fun de ces traites. Dans le Du Droit des Magistrats sur leurs subjets, publie en 1574, il insiste sur le role de ces magistrats subalternes de meme que l'auteur des Vindiciae contra

tyrannos, qui est sans doute Philippe Duplessis-Mornay. Ces magistrats sont les nobles de ? haut sang ? ou les magistrats eius, qui sont a la tete de nombre de cites49.

Selon les traites, la resistance a la tyrannie spirituelle est plus ou moins nettement mise en avant. Theodore de Beze lui accorde une grande place, reaffirmant le devoir du chretien d'obeir prioritairement a Dieu. II acheve son expose en affirmant la legitimite d'une resistance armee a un prince qui agirait en violation des edits permettant ?d'exercer la vraie Religion?. II userait alors ?de manifeste tyrannie, a laquelle il est permis de s'opposer?.

48 Theodore de Beze, Du droit des magistrats sur leurs sublets (1574), Edition critique par Robert M. Kingdon, Geneve, Droz, 1971 (ouvrage publie* sous couvert de l'anonymat). Francois Hotman, Francogallia, Geneve, Jacob Stoer, 1573. Traduction francaise: La Gaule francoise de Francois Hotman, jurisconsulte, Cologne, Hi6rome Bertulphe, 1574. Edition annotee par Antoine Leca, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Mar seille, 1991. Le Reveille-Matin des Francois et de leurs voisins, compose par Eusebe Philadelphe Cosmopolite, en forme de Dialogues. Edimbourg, imp. de I. lames, 1574. Reimpression anastatique chez Edhis, 1977. Vindiciae contra tyrannos, sive de principis in populum et populi in principem legitima potestate, Stephanio Junio Bruto Celta auctore, Edimburgi, 1579, in-8?. Traduction fran caise : De la puissance legitime du prince sur le peuple et du peuple sur le prince, traite tres utile et digne de lecture en ce temps, ecrit en latin par Estienne Junius Brutus, et nou vellement traduit en frangais, s.l., 1581, 6ditee avec une introduction, des notes et un index par A. Jouanna, J. Perrin, M. Soulie, A. Tournon et H. Weber, coordinates, Geneve,

Droz, 1979. 49

Theodore de Beze, Du droit des magistrats sur leurs sublets (1574), 6d. cit., p. XXXIX.

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64 HUGUES DAUSSY

Ainsi,? que la Religion authorisee par les Edits soit maintenue par les armes contre la Tyrannie manifeste [...] cela se peust faire en bonne conscience par ceux qu'il appartient?50. Dans la Francogallia, Fran?ois Hotman insiste en revanche davantage sur la tyrannie politique et, d'une maniere generale, il faut noter que c'est cette dimension qui domine l'ensemble du corpus monarchomaque, meme si les deux tyrannies sont considerees par presque tous les auteurs. Pour lutter contre la propension naturelle de certains sou verains a transgresser les lois de Dieu ou celles du royaume, la solution pro posee est celle du contrat passe entre le prince et son peuple. Ainsi, les

monarchomaques preconisent la restriction du devoir d'obeissance. Sus

pendue au respect par le roi de ses engagements, l'obeissance des sujets devient alors strictement conditionnelle.

Subversives, ces theories ne sont pas sans racines et on a eu f occasion d'en signaler plus haut les elements precurseurs. Elles ne sont pas non plus sans heritage. Passe le choc de la Saint-Bartheiemy et une fois le roi-tyran disparu51, les huguenots se montrent moins agressifs envers la monarchie sans pour autant baisser leur garde. D'une part, il leur est necessaire d'ap paraitre comme de fideles sujets afin de ne pas donner prise aux catholiques intransigeants qui, apres la publication des traites monarchomaques, sont

plus que jamais fondes a denoncer leur propension a la rebellion et a la felonie. D'autre part, il leur est difficile d'accorder de nouveau trop de confiance a la monarchie car le souvenir cuisant du massacre est dans toutes les memoires. Cette dualite apparait clairement dans la Remonstrance aulx

Estats de Blois pour la Paix, sous la personne dyung Catholique romain,

redigee par Philippe Duplessis-Mornay52. Le gentilhomme huguenot s'ap plique a y demontrer que l'appartenance confessionnelle ne determine en rien la faculte des sujets a rendre ?l'obeissance deue aulx superieurs ?. Son

pamphlet n'est pas original pour cela, car il ne fait que reaffirmer la distinc tion qui existe en chaque homme entre le citoyen et le chretien. En revanche, il integre a son ecrit quelques assertions qu'il aurait ete impensable de trouver sous la plume d'un reforme ?modere? avant la Saint-Bartheiemy.

Non seulement il exprime clairement que l'obeissance au prince vient natu rellement ? apres le service qu'ils [les Chretiens] veullent faire a Dieu?53,

mais il soutient de surcroit qu'il est permis de se soulever contre un roi qui

50 Ibid., p. 66-67.

51 Charles IX meurt le 30 mai 1574. Henri III lui succede.

52 Remonstrance aulx Estats de Blois pour la Paix, sous la personne d'ung Catholique romain, Van 1576, in Philippe Duplessis-Mornay, Memoires et correspondance, publies par A.-D. de La Fontenelle de Vaudore" et P.-R. Auguis, Paris, Treuttel et Wiirtz, 1824

1825, tome II, p. 40-78. 33

Remonstrance aulx Estats de Blois pour la Paix. ..,op. cit., p. 59.

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ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 65

empieterait sur la juridiction divine en voulant etendre arbitrairement son

autorite sur les ames de ses sujets:

Quand le huguenot prend les armes, il se peut aucunement54 excuser. II craint d'offenser Dieu; Dieu dis-je, qui est le roy de tous les roys; il craint de perdre son

ame, qu'il a plus chere que ceste vie. Son desir est bon; son intention n'a rien d'enorme. [...] [II] est pousse de l'amour de Dieu [...]. [II] veut obeir au roy en tout ce en quoi il ne pense desobeir a Dieu [...]. [II] prefere le supeneur a 1'infe

rieur, a scavoir, selon son opinion, Dieu au roy, qui est selon l'ordre de nature

[...]. [II] prend les armes apres qu'on l'a reduit au desespoir.55

Lorsqu'il n'y a plus aucune autre solution, il est done legitime que le chre tien prenne les armes pour defendre sa foi. L'evolution depuis les textes de

Calvin, qui prechaient la patience et la desobeissance passive, apparait sai sissante. Certes, Mornay ecrit sous le masque d'un catholique romain, mais

personne n'est dupe de la supercherie et c'est bien un huguenot qui n'hesite

pas a justifier la resistance active a un prince qui pousse ses sujets a choisir entre le respect de ses commandements et la reverence due a la volonte divine.

Si les traites monarchomaques ne seront jamais ouvertement assumes

par les huguenots et si les theories qu'ils expriment n'apparaitront plus jamais avec autant de vigueur sous la plume des polemistes reformes que dans ces ecrits, on per?oit toutefois l'influence qu'ils ont eue sur Fevolution de la pensee des protestants fran?ais. Contrairement aux apparences, cette

radicalisation, perceptible bien que deliberement discrete, n'engage pas les calvinistes dans un mouvement irreversible d'opposition ouverte au pouvoir royal. En juin 1584, un evenement imprevu vient en effet soudainement bouleverser le jeu politique national.

La mort du due d'Anjou, le 10 juin 1584, fait d'un protestant le legitime heritier du trone. L'interet des huguenots devient des lors de defendre les droits d'Henri de Navarre a la couronne et done d'occulter les theories qui pourraient nuire a leur candidat. II s'agit en effet de rassembler au-dela du

clivage religieux afin de creer autour du pretendant un regroupement qui transgresse le cadre confessionnel. On ne trouve done plus de trace d'obeis sance conditionnelle ou encore de resistance au tyran dans les ecrits produits par les polemistes reformes, mais on revient a des themes plus classiques permettant de justifier une prise d'armes contre la Ligue tout en continuant de proclamer une obeissance totale a Henri III, alors que celui-ci s'est pour tant officiellement rallie a la cause des Guises. La theorie du roi manipule, prisonnier, contraint par de mauvais conseillers est done reactivee.

54 ? aucunement? = certainement. 55

Remonstrance aulx Estats de Blois pour la Paix...,op. cit., p. 70-71.

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Page 19: Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance à Dieu

66 HUGUES DAUSSY

La Declaration et protestation du roi de Navarre56, datee du 10 aout 1585 et redigee par Duplessis-Mornay, etablit ainsi une distinction ente la

volonte reelle et profonde du roi et les actes qu'il accomplit sous la contrainte. Pour justifier leur revolte et faire piece a toute accusation de

felonie, les reformes s'appuient sur la theorie bicorporelle de la monarchie, telle que font analysee l'historien allemand Ernst Kantorowicz puis Arlette Jouanna57. Elle permet de justifier la revolte des membres du corps politique qui se sentent depossedes de la fonction de conseillers naturels par les Guises et done agresses. Henri de Navarre, le prince de Conde et le due de

Montmorency mettent ainsi en avant leur qualite, leur rang et les devoirs

que ceux-ci impliquent pour justifier leur prise d'armes:

Puisque le malheur est tel que le roy, son souverain seigneur, partie par la vio

lence et conspiration de ses ennemis, partie par la malice et collusion d'aulcungs de ses conseillers, ait este* induict a une paix de laquelle s'ensuit infailliblement, si tost n'y est pourveu, sa ruyne propre, la destruction de la maison de France et

la dissipation de cest estat, proteste et declare le roy de Navarre, premier prince de son sang et premier pair de ce royaume; protestent aussi monseigneur le

prince son cousin, prince et pair de France, M. le due de Montmorency, pair de France et premier officier de la couronne [...] que leur but n'est et n'a oncques este* que de voir le roy bien servi et obei de tous, et selon le rang qu'ils tiennent

chacung endroict soi d'en donner l'exemple a ung chacung58.

56 Declaration et protestation du roy de Navarre, de monseigneur le prince de Conde, de M.

le due de Montmorency, sur la paix faicte avec ceulx de la maison de Lorraine, chefs et

principaulx aucteurs de la Ligue, au prejudice de la maison de France, 10 aout 1585, in

Philippe Duplessis-Mornay, Memoires et Correspondance, op. cit, tome III, p. 159-182. 57

Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi. Essai sur la theologie politique au Moyen age, traduit de 1'anglais par Jean-Philippe Genet et Nicole Genet, Bibliotheque des his

toires, Paris, Gallimard, 1989. Rendition in Ernst Kantorowicz, CEuvres, Paris, Gallimard, collection Quarto, 2000. Arlette Jouanna, Le devoir de revolte..., op. cit., p. 288 et 294.

Le deuxieme corps du roi peut etre conc,u comme immateriel: il figure alors la majeste" de

la fonction royale. II peut aussi etre envisage" de maniere plus concrete comme un orga nisme dont les ordres de la societe sont les membres et le roi la tete. C'est de cette

deuxieme interpretation que s'inspirent les gentilshommes francais revokes de la seconde

moiti6 du XVP siecle pour justifier leurs prises d'armes. En effet, si les Etats generaux etaient censes matenaliser le corps politique du roi en son entier, celui-ci pouvait egale ment etre represente plus ordinairement par le Conseil du roi. Au sein de cet organe de

gouvernement, certains personnages avaient une place ?naturelle? induite par leur

qualite ou par leur fonction. Ainsi, les princes du sang et les grands officiers de la cou

ronne avaient, de droit, leur place au Conseil et constituaient, apres le roi qui en etait la

tete, les membres les plus importants du corps politique. Dans le cas ou ces legitimes et

naturels conseillers, ou seulement une partie d'entre eux, se trouvaient eioignes du

conseil, le corps politique du roi se trouvait ampute et devenait inapte a gouverner. De

meme, dans l'hypothese ou le corps physique du roi, sous l'emprise de mauvais

conseillers, se trouvait contraint d'agir en contradiction avec la volonte exprimee par son

corps politique, les membres de ce corps politique pouvaient legitimement ressentir cela comme une agression a laquelle il convenait de riposter par une juste defense.

58 Declaration et protestation du roy de Navarre..., op. cit., p. 175-176.

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Page 20: Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance à Dieu

ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 67

Par consequent, en prenant les armes, le roi de Navarre et ses allies ne font

que remplir une obligation, car ?il y va du serment et debvoir qu'ils portent et doibvent rendre a la couronne [...], il y va des loix fondamentales de

l'estat, desquelles ils sont conservateurs et gardiens ?59. Cet exemple suffit a

demontrer la maniere dont Henri de Navarre se disculpe de toute accusation de desobeissance et situe son action dans le cadre de la defense de fautorite

royale.

Les protestations d'obeissance absolue au roi se poursuivent avec Constance de la part des huguenots jusqu'a la mort d'Henri III, le 2 aout 1589. Pourtant, durant cette periode de lutte politique intense, il n'est pas toujours facile pour les protestants de conjuguer avec bonheur le service de

Dieu et le service du prince. C'est par exemple le cas de Charles de Danzay, ambassadeur calviniste du roi de France au Danemark. Afin de demeurer fidele au roi de France tout en favorisant de son mieux la cause reformee, il doit d?ployer des tresors de diplomatic60. L'avenement d'Henri IV parait devoir mettre fin a ce tiraillement entre les deux devoirs d'obeissance. Le roi est desormais protestant et il semble certain qu'il respectera la volonte divine en legalisant le culte reforme.

Tres vite, les espoirs con?us par les huguenots sont de?us. Devant la necessite de menager les catholiques qui se sont rallies a sa cause, Henri IV ne cesse de repousser la satisfaction des revendications de ses coreligion naires. Peu a peu, le spectre de la revolte se profile et ses tergiversations lui valent quelques menaces momentanement sans consequences:

Rien n'a tant acquis de reverence au roy, a son advenement a la couronne, envers tous ses subjects, que la profession de craindre Dieu. Cette crainte les convioit a le craindre, et leur faisoit craindre Dieu en lui. Ils louoient Dieu d'avoir un prince qui l'honorast, au lieu que les predecesseurs le blasphemoient. Ils attendoient tout bien en ses affaires, puisqu'il dependoit de Dieu; toute prospeYite* aulx leurs

propres, servans ung prince de foi, de preu-d'hommie, d'integrite. S'ils voient Sa

Majeste* se refroidir, ou rallentir en sa relligion, voire vivre moins religieusement qu'elle n'apprend, ils rabattront de leur reverence61.

Avec la conversion du roi au catholicisme, le 25 juillet 1593, cette irrita tion se transforme peu a peu en mefiance, voire en defiance. Dans un texte intitule Remonstrances de ceux de la religion au roy, les reformes avertis

59 Ibid., p. 178-179.

60 Hugues Daussy, ?Un diplomate protestant au service d'un roi catholique: Charles de

Danzay, ambassadeur de France au Danemark (1515-1589)?, in Elites et notables de I'Ouest, XVF-XX* sitcles. Entre conservatisme et moderniti, etudes reunies par Frede

rique Pitou, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 277-294. 61

Discours envoye" au roy en mars 1591, sur ce que Sa majestt retardoit la publication de la declaration; faict par M. Duplessis, in Philippe Duplessis-Mornay, Memoires et Cor

respondance, op. cit, tome V, p. 41.

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Page 21: Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance à Dieu

68 HUGUES DAUSSY

sent Henri IV qu'ils sont resolus a se defendre contre leur ennemis s'il ne les defend pas lui-meme. Afin de justifier leur eventuelle revolte par avance, ils

reprennent le theme du roi contraint dans sa volonte. Si Henri IV ne s'op pose pas a leur ennemis, cela signifiera qu'il n'est pas libre de ses decisions:

S'ils [les catholiques intransigeants] se vantent de vous avoir, pour s'etre

empares de votre corps, nous nous vanterons d'avoir votre esprit, lequel estant libre et ne pouvant estre arreste par les liens de leur tyrannie, se rangera toujours de nostre coste, et est toujours avec nous. Bref, s'ils se fondent sur ce que vous

ordonnez (prevenu de leur messe et des sinistres moyens qu'ils emploient pour attirer votre jugement), nous nous fonderons sur ce que vous ordonneriez si vous rentriez en vous meme62.

Dans un tel cas, le maintien de l'obeissance au prince releverait plus que jamais de la fiction. Toutefois, malgre la lenteur du roi a les satisfaire, les

huguenots restent stoi'ques et les negotiations en vue de la concession d'un edit leur accordant, enfin, un statut legal s'engagent laborieusement.

Interminables, les pourparlers entre la monarchie et les huguenots vont durer cinq ans. La perte puis le siege d'Amiens, en 1597, sont Foccasion de constater a quel point la determination des reformes a obeir a Henri IV s'ef frite au fur et a mesure que leur patience s'epuise. Alors que le roi les

appelle a le rejoindre sous les murs de la capitale picarde, les deputes de Fassemblee de Saumur lui opposent un refus sans appel:

Nous ne pouvons faire service a Vostre Majeste si nous ne sommes, si nous ne

subsistons. Or ne pouvons ny estre, ny subsister si nous demeurons abstraincts aux dures conditions qu'on nous veult faire recevoir. [...] Qu'elle [votre majeste] nous donne loy soubz laquelle nous puissions vivre, et vivre avec honneur, et nous respondrons hardiment pour tous ceux de la religion qu'ilz ne se dementi -

ront iamais de la fidelle obeissance qu'ilz luy doivent et n'auront rien plus a cceur

que de courir tous sacrifier leurs vies aux pieds de Vostre Majeste contre 1'en

nemy commun de cest estat63.

Souvent brandie comme une menace, jamais l'obeissance conditionnelle

n'avait encore ete reellement mise en oeuvre par les huguenots qui s'en servent comme d'une arme pour obtenir satisfaction. Desormais, le choix est fait: rien ne les detournera plus de l'obeissance a Dieu. Face a leur deter

mination, le roi n'a d'autre solution que de leur accorder un statut legal, seul

susceptible de les ramener durablement sur la voie de la soumission a F au

torite royale. En signant l'edit de Nantes, le 30 avril 1598, Henri IV met fin a pres de

quarante ans de guerres civiles. Nees du refus de la part des catholiques les

62 Remonstrances de ceux de la religion au roy, s.d. [1594], publiees in Bulletin de la

Societe de l'Histoire du Protestantisme francais, tome 5 (1857), p. 401. 63

Lettre de I'assemblee au roy, 25 mars 1597, BnF, NAF 7191, fol 296v?-300v?. Sur cet

episode, voir Hugues Daussy, Les huguenots et le roi. Le combat politique de Philippe

Duplessis-Mornay (1572-1600), Geneve, Droz, 2002, p. 543-557.

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Page 22: Les huguenots entre l'obéissance au roi et l'obéissance à Dieu

ENTRE L'OBEISSANCE AU ROI ET L'OBEISSANCE A DIEU 69

plus fervents d'autoriser les reformes a conjoindre fobeissance au roi et

l'obeissance a Dieu, elles s'eteignent avec la reconnaissance officielle de l'existence du calvinisme au sein du royaume de France. En admettant une

separation, au moins temporaire, entre la sphere politique et la sphere reli

gieuse, en distinguant en chaque individu le citoyen du chretien, l'edit met un terme au conflit entre les deux devoirs d'obeissance qui sont desormais conciliates sans contradiction. Au terme de cette evocation trop rapide d'une evolution ideologique complexe, apparait la richesse de la reflexion

politique que le probleme du conflit d'obeissance a suscite chez les hugue nots. Le mouvement de balancier, qui a caracterise l'attitude des reformes

pendant plus d'un demi-siecle, ne se limite pas a une oscillation entre obeis sance et desobeissance au roi. De l'obeissance absolue, a la resistance vio

lente, en passant par la desobeissance passive et l'obeissance condition

nelle, leur reflexion s'est enrichie de multiples nuances et a marque d'une

empreinte profonde la pensee politique moderne.

Universite du Maine. Hugues Daussy

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