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LES MATHgMATIQUES SONT-ELLES UNE THBORIE PURE? par R. AP%RY, Caen Le problbme expdrience et thdorie est trop vaste pour un sp4 cialiste d’un seul secteur de la connaissance. J’essayerai simplement d’apporter le temoignage sollicit6 par l’intervention de M. Gagne- bin. Y a-t-il une thkorie pure? Les mathkmatiques constituent- elles cette theorie pure? Les mathkmatiques sont-elles complkte- ment independantes de l’experience comme l’afirment avec une m8me Cnergie ces frkres ennemis : les brouwkriens et les bourba- kistes ? Le problkme post5 est souvent ma1 compris. I1 ne s’agit pas de savoir si la gkometrie derive de l’arpentage, si l’experience du phy- sicien et meme de l’homme de la rue sont A la source historique des mathematiques. Cette affirmation, qui n’est contestCe par personne, est indkpendante du problkme que nous examinons ici. 11 s’agit de savoir si le long effort des mathkmaticiens pour kli- miner tout contenu expkrimental de leur activite a abouti ou peut aboutir. Le but de cette communication est de mettre en lumikre, sur un exemple qui necessite le minimum de connaissances matheina- tiques, la part de l’experience dans les mathematiques les plus formaliskes. J’opitre sur les entiers positifs. Je suppose connu que deux entiers a et b ont une somme notke u + b et un produit notk a x b ; je suppose Cgalement que je sais utiliser le signe = ; notamment deux quantitks egales a une troisibme sont kgales entre elles. Toute algkbre (et toute logique formaliske) contient necessai- rement une rkgle de substitution. Enonqons-la ainsi : si d e w expres- sions A et B sont dgules, toufe igalitt! vraie reste vraie apr2.s substitu- tion de A a B.

LES MATHÉMATIQUES SONT-ELLES UNE THÉORIE PURE?

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LES MATHgMATIQUES SONT-ELLES UNE THBORIE PURE?

par R. AP%RY, Caen

Le problbme expdrience et thdorie est trop vaste pour un s p 4 cialiste d’un seul secteur de la connaissance. J’essayerai simplement d’apporter le temoignage sollicit6 par l’intervention de M. Gagne- bin. Y a-t-il une thkorie pure? Les mathkmatiques constituent- elles cette theorie pure? Les mathkmatiques sont-elles complkte- ment independantes de l’experience comme l’afirment avec une m8me Cnergie ces frkres ennemis : les brouwkriens et les bourba- kistes ?

Le problkme post5 est souvent ma1 compris. I1 ne s’agit pas de savoir si la gkometrie derive de l’arpentage, si l’experience du phy- sicien et meme de l’homme de la rue sont A la source historique des mathematiques. Cette affirmation, qui n’est contestCe par personne, est indkpendante du problkme que nous examinons ici.

11 s’agit de savoir si le long effort des mathkmaticiens pour kli- miner tout contenu expkrimental de leur activite a abouti ou peut aboutir.

Le but de cette communication est de mettre en lumikre, sur un exemple qui necessite le minimum de connaissances matheina- tiques, la part de l’experience dans les mathematiques les plus formaliskes.

J’opitre sur les entiers positifs. J e suppose connu que deux entiers a et b ont une somme notke u + b et un produit notk a x b ; je suppose Cgalement que je sais utiliser le signe = ; notamment deux quantitks egales a une troisibme sont kgales entre elles.

Toute algkbre (et toute logique formaliske) contient necessai- rement une rkgle de substitution. Enonqons-la ainsi : si d e w expres- sions A et B sont dgules, toufe igalitt! vraie reste vraie apr2.s substitu- tion de A a B.

310 R. A P ~ R Y

J e pars des kgalitks, supposCes connues: l + l = 2 (1) 2 x 2 = 4 (11) 1 x 2 = 2 t 111)

1 + 1 x 2 = 4 (IV) Par la substitution (I), (11) devient :

Par la substitution (111), (IV) donne l’egalitb manifestement

Oh est l’erreur? L’erreur n’est pas dans la formule (IV), mais dans la regle de

substitution soulignde ci-dessus. La vraie rkgle de substitution s’knonce: si deux expressions A et B sont &gales, fou fe igalite‘ reste vraie apr2s substitution de ( A ) a ( B ) .

Autrement dit, les parenthdses sont indispensables ; mais l’usage des parenthkses n’est pas une n6cessit6 A priori, c’est une dkcouverte experimentale. Les difficult& du debutant en algebre prouvent que l’usage des parentheses n’est pas naturel.

Bien entendu la libert6 du mathematicien n’est pas exclue; au lieu de parentheses, il peut utiliser des points comme certains logiciens, ou ecrire tantat 1 + 1 x 2, tantat 1 + 1 x 2 ; la dkcouverte experimentale consiste dans I’ambigui‘tC de l’expres- sion 1 + 1 x 2.

La thkorie des (( types o fournit un exemple analogue en logique. Ici le choc est fourni par les paradoxes qui sont des faits expkri- mentaux.

On peut objecter a ce point de vue que les experimentateurs etudient des corps naturels alors que le mathkmaticien Cree des espaces a n dimensions, des nombres complexes, etc. I1 faudrait alors exclure de la chimie le neptunium et m$me l’eau distillee qui sont ceuvre humaine.

La concordance entre mathematiques et physique n’est pas un miracle, elle est analogue a la correspondance entre la chimie de la digestion in vivo et la chimie usuelle in vifro.

Le dialogue entre mathematiques et physique n’est pas un dia- logue entre thkorie et expkrience, mais entre deux types d’expe- rience, ou du moins entre deux mixtes de thkorie et d’expkrience.

fausse : 1 + 2 = 4 .