11
Système des Nations Unies de protection et de promotion des droits des minorités : l’exemple des minorités Montagnardes à l’Extrême-Nord Cameroun Alawadi Zelao 1 Introduction Les Montagnards constituent un ensemble des groupes sociaux qui vivent dans la zone géographique dénommée par la littérature française les Monts-Mandara 2 . Ils se trouvent en grand nombre démographique dans la région de l’Extrême-Nord et principalement dans les départements du Mayo-Tsanaga (Mafa, Kapsiki, Bana, Goudé…), dans le département du Mayo- Sava (Zoulgo, Guemjek, Mada, Podoko, Mouktélé…) et dans le département de Diamaré (Mofou, Mboko, Molko…) 3 . Les Montagnards ont pour écosystème naturel la montagne. Mais avec les dynamiques historiques (conquêtes Foulbé/Mandara, colonisation européenne), certaines communautés montagnardes ont commencé progressivement à coloniser les plaines et s’y sont définitivement installées. Depuis la période de la guerre sainte (jihad) lancée par Othman Dan Fodio, les Montagnards vivent une situation de tutelle de la part des sociétés musulmanes. Au temps colonial allemand et français, les montagnards ont gardé leur attitude de résistance face aux forces extérieures. Avec l’avènement de l’indépendance, la situation des Montagnards n’a pas changé avec la prise de pouvoir Ahmadou Ahidjo qui a œuvré à l’islamisation de la partie septentrionale du Cameroun. Aujourd’hui, la marginalisation se manifeste sur le triple plan social (imposition du modèle d’organisation sociale propre aux musulmans), politique (sous-représentativité dans les instances électives et institutionnelles) et économique (pauvreté aigüe). Cette communication présente les caractéristiques des minorités Montagnardes, indique les sources du droit international qui consacre la protection et la promotion des minorités à l’échelle mondiale et montre en quoi un tel arsenal juridique intéresse la situation des minorités Montagnardes à l’Extrême-Nord du Cameroun. I- Les Montagnards et leur figure de minorité a) Des communautés autochtones subissant les assauts de l’histoire Dans la littérature consacrée aux peuples autochtones, il est généralement mis en exergue l’antériorité de ces groupes dans leur site d’installation en rapport des groupes sociaux qui développent les velléités de domination. Une Etude du problème de discrimination à l’encontre des populations autochtones des Nations Unies souligne justement que : « Les populations 1 Ph/D en Sociologie politique, enseignant-chercheur, Tel (+237) 74 66 55 25, E-mail : [email protected] 2 Antoinette Hallaire, Paysans montagnards. Les monts Mandara, Paris, ORSTOM, 1991. 3 Dautres groupes montagnards tels les Dowayo (Poli), les Fali (Bénoué) et une partie des Guidar (Guider) sont installés dans la région du Nord.

Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

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Exposé présenté par Dr. Alawadi Zelao lors de l'atelier national sur la participation des minorités aux élections municipales et législatives au Cameroun organisées par Laimaru, MBOSCUDA, CAEPA & Pionniers au monastère du Mont Fébé, Yaoundé, 28-29 Septembre 2012.

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Page 1: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

Système des Nations Unies de protection et de promotion des droits des minorités :

l’exemple des minorités Montagnardes à l’Extrême-Nord Cameroun

Alawadi Zelao1

Introduction

Les Montagnards constituent un ensemble des groupes sociaux qui vivent dans la zone

géographique dénommée par la littérature française les Monts-Mandara2. Ils se trouvent en grand

nombre démographique dans la région de l’Extrême-Nord et principalement dans les

départements du Mayo-Tsanaga (Mafa, Kapsiki, Bana, Goudé…), dans le département du Mayo-

Sava (Zoulgo, Guemjek, Mada, Podoko, Mouktélé…) et dans le département de Diamaré

(Mofou, Mboko, Molko…)3. Les Montagnards ont pour écosystème naturel la montagne. Mais

avec les dynamiques historiques (conquêtes Foulbé/Mandara, colonisation européenne), certaines

communautés montagnardes ont commencé progressivement à coloniser les plaines et s’y sont

définitivement installées.

Depuis la période de la guerre sainte (jihad) lancée par Othman Dan Fodio, les Montagnards

vivent une situation de tutelle de la part des sociétés musulmanes. Au temps colonial allemand et

français, les montagnards ont gardé leur attitude de résistance face aux forces extérieures. Avec

l’avènement de l’indépendance, la situation des Montagnards n’a pas changé avec la prise de

pouvoir Ahmadou Ahidjo qui a œuvré à l’islamisation de la partie septentrionale du Cameroun.

Aujourd’hui, la marginalisation se manifeste sur le triple plan social (imposition du modèle

d’organisation sociale propre aux musulmans), politique (sous-représentativité dans les instances

électives et institutionnelles) et économique (pauvreté aigüe). Cette communication présente les

caractéristiques des minorités Montagnardes, indique les sources du droit international qui

consacre la protection et la promotion des minorités à l’échelle mondiale et montre en quoi un tel

arsenal juridique intéresse la situation des minorités Montagnardes à l’Extrême-Nord du

Cameroun.

I- Les Montagnards et leur figure de minorité

a) Des communautés autochtones subissant les assauts de l’histoire

Dans la littérature consacrée aux peuples autochtones, il est généralement mis en exergue

l’antériorité de ces groupes dans leur site d’installation en rapport des groupes sociaux qui

développent les velléités de domination. Une Etude du problème de discrimination à l’encontre

des populations autochtones des Nations Unies souligne justement que : « Les populations

1 Ph/D en Sociologie politique, enseignant-chercheur, Tel (+237) 74 66 55 25, E-mail : [email protected]

2 Antoinette Hallaire, Paysans montagnards. Les monts Mandara, Paris, ORSTOM, 1991.

3 D’autres groupes montagnards tels les Dowayo (Poli), les Fali (Bénoué) et une partie des Guidar (Guider) sont

installés dans la région du Nord.

Page 2: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

autochtones sont constituées par le descendants actuels des peuples qui habitaient l’ensemble ou

une partie du territoire actuel d’un pays au moment où sont venues d’autres régions du monde

des personnes d’une autre culture ou d’une autre origine ethnique qui les ont dominés et les ont

réduits, par la conquête, l’implantation des populations ou d’autres moyens à un état de non-

domination ou colonial »4. Ainsi, les communautés autochtones se trouvent dans leur site

écologique de longue et entretiennent avec celui-ci une relation symbiotique voire mythique.

Urvoy situe autour du 6ème

siècle l’installation des Montagnards dans leur site écologique actuel.

A juste titre, les Montagnards constituent les premiers habitants de la partie septentrionale du

Cameroun. Ils font partie de la famille des sociétés paléonigritiques dont l’encastrement spatial

longe sur plusieurs siècles. En rapport avec les peuples des plaines et notamment les sociétés

conquérantes musulmanes (Foulbé, Kanouri, Mandara, Kotoko…), les Montagnards ont un

ancrage assez lointain dans les montagnes qu’ils continuent d’occuper.

La rencontre des Montagnards avec ces peuples étrangers fut marquée très tôt par des scènes de

conflits et de violence endémique5. Les montagnes qui constituent de grandes enclaves

démographiques vont subir les battues esclavagistes des empires borno, mandara et pour certains

groupes installés dans la partie méridionale (Kapsiki, Hidé, Bana, Goudé…) l’impérialisme

culturel des Foulbé. C’est principalement vers ces régions que les caravanes d’extraction

humaine ont été organisées en vue de se constituer de mains d’œuvre servile bon marché. Dans

la plupart des villages des Montagnes aujourd’hui, il est rappelé dans les récits ce moment de

grande agitation qui a véritablement provoqué des bouleversements dans leurs sociétés. Depuis,

la relation entre Montagnards et peuples conquérants est marqué du sceau de la dépendance

esclavagiste. Pour les différents groupes musulmans, les Montagnards sont des peuples à utiliser

dans des travaux domestiques, à constituer en marchandise dans des transactions économiques,

bref à maintenir dans une position sociale fruste, marginale et déshumanisant.

Il faut prendre le contexte historique d’alors au sérieux pour cerner l’amplitude d’une telle

variable. Pour des sociétés structurées sur le modèle des « paliers sociaux »6, à l’intérieur

desquelles il existe les « hommes libres » et les « esclaves »7, l’idéologie esclavagiste rentre dans

un code social institué. Elle est une norme sociale forte qui organise les relations internes entre

les membres de la société et détermine la relation externe aux autres groupes sociaux. Dans ce

sens, que le rapport des Montagnards aux sociétés conquérantes ait reposé sur des pratiques

esclavagistes traduit plus un état de nature qu’un accident de l’histoire. Il faut saisir cette réalité

4 Cité par Isabelle Schulte-Tenckhoff, La question des peuples autochtones, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 7.

5 Alain Beauvilain, Crises et peuplement au Nord-Cameroun, Tome 2, 1989.

6 Georges Gurvitch, La vocation actuelle de la sociologie, Paris, Puf, 1968, p. 66.

7 Pierre-François Lacroix, « Matériaux pour servir à l’histoire des Peul de l’Adamawa », Etudes camerounaises,

n°37-38, 1952, pp. 3-61.

Page 3: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

comme inhérente à une dynamique historique qui a sa propre idéologie ajustée à l’esclavagisme

comme paradigme8.

b) Des communautés autochtones vivant dans un espace écologique spécifique

Les Montagnards ont pour site écologique naturel la montagne. La montagne remplit plusieurs

fonctions : culturel, religieux, politique, écologique et idéologique9. En raison de la forte

inscription des peuples dans ces lieux, la montagne fait désormais partie constitutive de la vie

collective. Le regard exotique appréhende l’espace montagneux comme un lieu qui peut rendre

difficile les conditions d’existence des communautés. C’est bien là une appréhension

préconstruite qui est en décalage avec l’empirie du milieu. Avec le temps, les différentes

communautés ont réussi à domestiquer les éléments de la montagne au point d’en établir une

interdépendance quasi mythique10

. Ainsi contrairement à la littérature coloniale qui postule de

l’extranéité de la montagne dans l’histoire des Montagnards, il faut désormais mettre en exergue

la complicité systémique qui régit le rapport entre montagne et Montagnard.

Les Montagnards eux-mêmes accordent un intérêt profond à leur environnement. Toute la

dynamique d’interaction est bâtie sur l’anthropogisation de la montagne comme lieu de vie, de

religion et d’identité. Selon Jean-Claude Fritz : « Les peuples autochtones ont développé à un

niveau élevé la connaissance du milieu, son utilisation et en ont construit des représentations

cohérentes dans la logique symbolique. Ils figurent pour un certain nombre d’entre eux dans ce

que le scientifique américain Dasmann appelle les ‘peuples des écosystèmes’ »11

. Ni réalité

externe, ni force exogène, la montagne se décode aux yeux des Montagnards comme une

composante consubstantielle à leur histoire, à leur vécu anthropologique et cosmogonique. En

montagne, les Montagnards trouvent une vie authentique, organisent une sociabilité pérenne,

accomplissent leur religiosité originelle et codifient une économie d’existence forte. Or la

rencontre des Montagnards avec les forces extérieures, d’abord les sociétés musulmanes

conquérantes, par la suite les autorités coloniales européennes et enfin l’Etat postcolonial, va

buter sur une série de contradictions sociales, culturelles et idéologiques.

Dans la mouvance des dynamiques historiques, la montagne et les Montagnards sont regardés

sous le prisme des préjugés, des appréhensions idéologiques et de présupposés subjectifs. La

dynamique de dépeuplement des régions montagneuses amorcée sous la colonisation française

indique bien que la montagne ne fut pas considérée comme un espace anthropologiquement

8 Paul Lovejoy, Transformations in slavery. A history of slavery in Africa, Cambridge, Cambridge University Press,

1983. 9 Alawadi Zelao, « Dynamique spatiale et stabilité des représentations socio-identitaires chez les peuples des

montagnes au Nord-Cameroun », Elizabeth Tamajong (dir), Les mutations en Afrique, Yaoundé, PUCAC, 2009, pp.

11-40. 10

Jeanne-Françoise Vincent, Les princes montagnards du Nord-Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1991. 11

Jean-Claude Fritz et al. (dir), La nouvelle question indigène. Peuples autochtones et ordre mondial, op. cit., p. 75-

76.

Page 4: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

chargé12

. La thèse des « montagnards refoulés »13

aura également servi de ce que les

Montagnards ne sont que des habitants saisonniers de leur milieu écologique. Le déplacement

des Montagnards en plaine va se traduire chez beaucoup d’entre eux par l’abandon de leurs us et

coutumes, des pratiques culturales à l’œuvre en montagnes et de l’assimilation des valeurs

sociales étrangères. Le processus d’acculturation va provoquer l’aliénation des peuples de

montagnes qui confrontent l’ordre musulman en plaine. Les politiques migratoires mises en

œuvre par l’Etat du Cameroun au lendemain de l’indépendance a également contribué à la perte

du sens écologique traditionnel chez les Montagnards. La migration hors des montagnes a des

répercussions sur la conservation de l’équilibre écologique en territoire montagnard. L’érosion

des sols, la disparition progressive des cultures en terrasse, la spéculation foncière imposée par

les chefs musulmans (lamido), l’introduction de cultures de rentes (coton) sont quelques facteurs

qui précipitent aujourd’hui la crise écologique chez les Montagnards.

c) Des communautés autochtones attachées à leurs valeurs traditionnelles

L’attachement des peuples autochtones aux valeurs traditionnelles est un trait essentiel de leur

identification. C’est ce qui les distingue des autres groupes qui sont très tôt entrés en relation

avec la modernité. Outre qu’elles vivent dans un environnement écologique difficile d’accès, les

minorités montagnardes restent profondément ancrées dans leur vie ancestrale et traditionnelle.

Ainsi dans les villages des montagnes, la vie sociale reste globalement orchestrée par les fêtes et

cérémonies traditionnelles. Il s’agit entre autres de la fête des taureaux chez les Mofou, les

Zoulgo, les Guemjek ou le Maray chez les Mafa. La fête des taureaux est une grande scène

culturelle et cultuelle qui regroupe les membres d’une même communauté et à laquelle sont

conviés les peuples voisins. Les activités saisonnières sont également fortement marquées par la

religiosité traditionnelle. Ce sont les ancêtres, ces vieux prêtres qui donnent le ton à chaque

nouvelle saison en appelant les membres de la communauté aux semailles.

Des rites et des incantations sont organisés pour s’assurer de la bénédiction des divinités et des

oracles. Car chez les Montagnards la vie sociale baigne essentiellement dans le sacré. Malgré les

mutations entraînées par la modernité, la plupart des Montagnards vivent dans leur site

écologique naturel : la montagne. Aux yeux des groupes sociaux qui les voisinent, cette vie dans

les montagnes révèle un état primaire et fondamental d’existence. Ainsi les Montagnards sont

considérés comme des attardés culturels. Leur encastrement écologique dans les montagnes

traduit tout simplement qu’ils refusent de s’ouvrir au monde extérieur et donc d’accéder au

développement. La descente en plaine des peuples des montagnes est en effet une violation des

droits culturels des Montagnards qui doivent désormais vivre hors de leur site écologique.

12

Jean Boutrais, La colonisation des plaines par les montagnards au nord du Cameroun (monts Mandara), Paris,

ORSTOM, 1973. 13

Jean-Claude Froélich, Les montagnards paléonigritiques, Paris, Berger-Levrault, 1968.

Page 5: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

Comme le souligne le Rapport de Groupe de Travail d’Experts : « Les peuples autochtones sont

victimes d’une marginalisation culturelle qui a pris différentes formes et qui est causée par une

combinaison de facteurs. La perte des principales ressources de production a négativement

influé sur les cultures des peuples autochtones, les privant du droit à maintenir le mode de vie de

leur choix et de conserver et développer leurs cultures et leur identité culturelle selon propre

volonté »14

. Les Montagnards subissent l’impérialisme culturel des sociétés musulmanes depuis

leur pénétration au Nord-Cameroun. La domination culturelle des Montagnards se manifeste

également par l’imposition du système lamidal15

dans toute la partie septentrionale du

Cameroun. La relégation au second plan des structures traditionnelles propres aux Montagnards

constitue une entorse à l’expression de leur identité. Désormais ils doivent vivre selon les normes

sociales des groupes dominants, ce qui les expose à une déperdition culturelle permanente.

Ce qu’il faut davantage savoir ce que la relation entre les Montagnes et leur milieu écologique

repose essentiellement sur une relation symbiotique, de réciprocité et de mutualité. Tous les

peuples des montagnes gardent une mémoire vive de la montagne malgré les changements

intervenus avec la modernité. De la montagne, les peuples autochtones y puisent des ressources

diverses à leur médication, à leur subsistance et à leur habitat. L’attachement à la montagne

s’explique en ce qu’elle représente une part importante de l’identité des peuples qui y vivent

depuis des lustres.

d) Des communautés marginalisées

Les Montagnards connaissent une situation de marginalisation qui se traduit par leur éviction des

centres de décision et des lieux d’accumulation des ressources16

. Tant sur le plan politique

qu’économique, les Montagnards sont à la traîne et maintenus à l’arrière-plan des groupes

dominants essentiellement constitués des musulmans. La marginalisation politique et

économique des montagnards remonte au régime d’Ahmadou Ahidjo, premier président

camerounais, qui avait mis en place le processus d’islamisation qui a fonctionné sur le terrain

politique par un mécanisme d’exclusion de certains groupes sociaux dans la partie septentrionale.

Durant cette période l’élite administrative et politique était constituée des Foulbé et d’autres

islamisés.

Les chefs traditionnels montagnards étaient fortement conviés de se convertir à l’islam, parfois

par crainte de représailles et de discrimination. Aujourd’hui, la plupart des chefferies

14

Rapport du Groupe de Travail d’Experts de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur

les Populations/Communautés autochtones, Copenhague, Danemark, 2005, p. 47. 15

Organisation sociale des foulbé au Nord-Cameroun. 16

Au Cameroun depuis l’ouverture démocratique, la marginalisation politique des minorités est davantage une

réalité complexe. Lire Ibrahim Mouiche, Démocratisation et intégration sociologique des minorités ethniques. Entre

dogmatisme du principe majoritaire et centralité des partis politiques, Dakar, CODESRIA, 2012.

Page 6: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

traditionnelles chez les Montagnards fonctionnent sur le modèle des lamidats, système

d’organisation sociale propre aux Foulbé. Si dans le contexte de l’ouverture démocratique des

années 1990, les Montagnards ont commencé à manifester un réveil politique dans certaines

localités17

, il est à souligner que de manière globale leur situation politique montre toujours une

mise en marge. Au sein des communautés Montagnardes des revendications se manifestent par le

biais des mémorandums envoyés à l’adresse des pouvoirs publics18

. Les montagnards accusent

jusqu’ici un retard de développement alors que les infrastructures de développement sont

concentrées en territoire musulman. Cette réalité est surtout manifeste dans le département du

Mayo-Sava où il s’observe une grande opposition des composantes ethnico-religieuses avec une

discrimination à l’encontre des communautés non-musulmanes. L’élite musulmane élabore un

ensemble de stratégies qui visent à l’exclusion des minorités montagnardes des instances de

décision. L’espace sociopolitique est largement monopolisé par les musulmans. Aussi bien au

niveau de l’exécutif municipal, du parlement que de la direction politique (sections notamment)

du Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), l’élite musulmane domine

l’activité politique. Du coup les montagnards sont mis à la traîne et servent de « bétail électoral »

aux groupes sociaux dominants.

II- Principales sources de promotion des droits des Minorités à l’échelle

internationale et africaine

Aussi bien à l’échelle internationale qu’africaine, il y a plusieurs résolutions et

recommandations qui portent sur la protection et la promotion des droits des minorités. Ces

instruments ont l’avantage de prendre en compte la spécificité qui caractérise les minorités à

travers le monde. Nous évoquons ici les principales résolutions des Nations Unies et celles de

l’Union Africaine.

a) Au niveau international

- 1992 : l’Assemblée Générale a adopté par consensus la Déclaration des Nations Unies

sur les Droits des Minorités (résolution 47/135). Il s’agit du principal document de

référence en la matière,

Droit à la protection des minorités par les Etats,

Droit de jouir de leur propre culture,

Droit de participer pleinement à la vie publique (civile, politique)…

17

Alawadi Zelao, « Contexte de démocratisation et conduites politiques des peuples des montagnes au Nord-

Cameroun : le charisme identitaire à l’épreuve des mutations sociopolitiques », Alawadi Zelao et al. (dir), Le

Cameroun septentrional en transition. Perspectives pluridisciplinaires, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 169-206. 18

« Mémorandum des Montagnards Chrétiens et Animistes du Département du Mayo-Sava (Extrême-Nord) », La

Météo hebdo, n°245, du 22 juin 2009, pp. 8-10 ; « Mémorandum des Chefs traditionnels non-musulmans de

l’arrondissement de Tokombéré », La Météo hebdo, n°282 du 05 avril 2010.

Page 7: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

- 1994 : Projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,

adopté par la Sous-commission de la protection et de la promotion des droits de

l’homme ;

- 1995, Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités

nationales du 1er

février 1995 ;

- 1998 : la résolution 52/123 de l’Assemblée générale des Nations Unies portant sur la

Promotion effective de la Déclaration sur les droits de des personnes appartenant à des

minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques ;

- 2004 : la résolution 59/174 de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 20

décembre 2004 a proclamé la seconde décennie internationale (2005-2014) des

populations autochtones, avec pour but de : « renforcer encore la coopération

internationale aux fins de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones

dans les domaines tels que la culture, l’éducation, la santé, les droits de l’hommes,

l’environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes

orientés vers l’action et de projets concrets, d’une assistance technique accrue et

d’activités normatives dans les domaines en question »,

- 2005, le Groupe de Travail pour les minorités a adopté un commentaire visant à faciliter

l’interprétation et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les Minorités.

Il y est dit que : « Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou

linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit

d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle,

de professer et de pratiquer leur propre religion ou d’employer leur propre langue ».

- 2007, La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée

par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 septembre 2007.

b) Au niveau africain

Il faut surtout évoquer principalement :

- La « Résolution sur les droits des peuples/communautés autochtones en Afrique »

adoptée lors de la 28ème

session ordinaire et qui a prévu la création d’un Groupe de travail

avec le mandat suivant :

Examiner le concept de peuples et de communautés autochtones en Afrique ;

Analyser les implications de la Charte africaine sur les droits humains et le bien-être

des communautés autochtones ;

Formuler des recommandations appropriées pour le suivi et la protection des droits

des communautés autochtones ;

Présenter un rapport à la Commission africaine (ce rapport est déjà disponible depuis

2005).

- 2007 : La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui

stipule en son article 43 que : « Les Etats parties veillent à ce que tous les citoyens aient

Page 8: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

accès à l’enseignement primaire gratuit et obligatoire, en particulier les filles, les

populations des zones rurales, les minorités, les personnes vivant avec handicap et autre

groupe social marginalisé »

En définitive, il est à souligner qu’au plan international un arsenal des dispositifs normatifs et

juridiques existe, qui encadre la protection et la promotion des droits des peuples et

communautés autochtones. Il faut ajouter à cela les rencontres scientifiques, les conférences et la

mobilisation des acteurs de la société civile qui, à de différents niveaux contribuent par des

actions multiformes à la sauvegarde de la dignité et de la liberté des minorités. Mais en dépit de

cette forte mobilisation, il reste que la situation des minorités est toujours préoccupante. Certes

les minorités ne vivent pas les mêmes conditions de vie partout à travers le monde.

S’agissant des Minorités montagnardes de l’Extrême-Nord au Cameroun, celles-ci continuent de

subir une série des discriminations sur le plan culturel, économique et politique. Elles vivent des

conditions de marginalisation et d’exclusion qui affectent considérablement leur capacité à

préserver leur identité et leur participation à la gestion des affaires dans la communauté

nationale. Pour palier à cette marginalisation multiforme, il faut surtout que les pouvoirs

respectent et mettent en œuvre les normes internationales de protection des minorités et veuillent

à ce que les Montagnards ne soient plus soumis à l’exclusion des groupes sociaux dominants et

qu’ils soient désormais partie prenante des politiques de développement engagés en leur

direction. Les minorités Montagnardes devraient désormais trouver une oreille attentive auprès

de l’Etat du Cameroun qui est signataire d’un ensemble d’accords et de résolutions à l’échelle

internationale. La résolution 59/174 de l’Assemblée générale des Nations Unies sus-évoquée

portant sur la « seconde décennie internationale des populations autochtones » a énoncé cinq (05)

objectifs à atteindre ; lesquels objectifs intéressent directement les minorités Montagnardes :

1) Promouvoir la non-discrimination et l’intégration des peuples autochtones dans la

conception, la mise en œuvre et l’évaluation des initiatives, régionales et nationales en

matière de législation, de politiques, de ressources, de programmes et de projets ;

2) promouvoir la participation pleine et entière des peuples autochtones à la prise des

décisions qui concernent directement ou indirectement leur mode de vie, leurs terres et

territoires traditionnels, leur intégrité culturelle en tant que peuples autochtones disposant

des droits collectifs ou tout autre aspect de leur vie, sur la base du principe du consentement

préalable, libre et éclairé ;

3) redéfinir les politiques de développement afin qu’elles soient fondées sur le principe

d’équité et culturellement acceptables, en respectant notamment la diversité culturelle et

linguistique des peuples autochtones ;

4) Adopter des politiques, des programmes, des projets et des budgets axés sur le

développement des peuples autochtones et notamment des objectifs d’étape concrets et

mettant un accent particulier sur les femmes, les enfants et les jeunes autochtones ;

Page 9: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

5) Mettre en place de solides mécanismes de suivi et renforcer le système de

responsabilisation à l’échelon international, régional et surtout national pour ce qui a trait à

la mise œuvre des cadres juridiques, politiques et opérationnels pour la protection des

peuples autochtones et l’amélioration de leur conditions de vie ».

Dans un mémorandum envoyé aux pouvoirs publics en 2009, les Montagnards ont souligné

que : « Majorité démographique », respectueuse des institutions de la République,

communautés très laborieuses et industrieuses disséminées sur l’ensemble du territoire

national, cette catégorie sociologique vit aujourd’hui une situation d’exclusion, de

marginalisation, de discrimination qui défie tout indicateur de développement humain. Les

montagnards chrétiens et animistes du département du Mayo-Sava vivent une véritable

condition de sous-citoyenneté chronique qui se traduit par leur éviction systématique de

toutes les instances du pouvoir politique, économique, administratif et traditionnel »19

. Ainsi

les minorités Montagnardes ne jouissent pas d’une intégration effective dans la communauté

nationale et leurs droits (culturels, civils et économiques) sont loin d’être reconnus et

respectés par les autorités publiques camerounaises.

Conclusion

Les minorités bénéficient aujourd’hui d’un ensemble de dispositifs normatifs et

réglementaires au niveau international. Le système des Nations Unies, par le biais d’une

batterie de déclarations et de résolutions veillent effectivement à la protection et à la

promotion des droits des minorités à travers le monde. Au Cameroun, c’est la Constitution

du 18 janvier 1996 qui a consacré la reconnaissance juridique des minorités. Aussi ce pays

a-t-il ratifié un certain nombre de résolutions prises par les organismes internationaux de

défense des droits des minorités20

. Certes au plan pratique, les minorités vivent encore des

situations de marginalisation qui s’expriment sur le plan social, culturel, économique,

politique et institutionnel.

Dans ce registre, les Montagnards de l’Extrême-Nord du Cameroun constituent des

minorités à part entière. Contrairement aux Mbororo et au Pygmées qui sont des peuples

nomades et semi-nomades, les Montagnards sont installés dans leurs sites actuels depuis de

longue date (VIème siècle) et l’ont effectivement domestiqué. A juste titre ils peuvent être

considérés comme les premiers habitants de la partie septentrionale du Cameroun. Mais

depuis la pénétration guerrière des sociétés islamiques et la prise de pouvoir par les

musulmans à l’avènement de l’indépendance du Cameron en 1960, les Montagnards sont

restés largement en dehors de la gestion des affaires de la cité. Les communautés des

19

“Mémorandum des Montagnards Chrétiens et Animistes du Département du Mayo-Sava (Extrême-Nord)”, La

Météo hebdo, n°245, du 22 juin 2009, pp. 8-10. 20

Pour une lecture juridico-normative de minorités au Cameroun voir James Mouangue Kobila, La protection des

minorités et des peuples autochtones au Cameroun. Entre reconnaissance interne contrastée et consécration

universelle réaffirmée, Paris, Dianoia, 2009.

Page 10: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

montagnes vivent de nos jours une discrimination sur le triple plan social, économique et

politique.

Au plan social, ils subissent l’impérialisme culturel des musulmans qui imposent leurs

coreligionnaires pour commander aux montagnards. C’est le cas des Zoulgo, des Guemjek,

des Mboko et des Molko dans l’arrondissement de Tokombéré. Il faut également

mentionner l’ensemble des montagnards migrants dans la région du Nord notamment dans

les localités de Ngong, de Lagdo, de Touboro, de Maimboum, de Gouna…qui vivent

pratiquement sous la tutelle des chefs Foulbé.

Au plan économique, les Montagnards vivent une paupérisation constante en raison

justement de la spéculation foncière et de l’exploitation de leurs mains d’œuvre par les chefs

musulmans.

Au plan politique, les Montagnards sont exclus des instances électives et institutionnelles

comme il est constaté dans le département du Mayo-Sava (voir document annexe).

Le défi aujourd’hui est d’œuvrer à l’éducation et à la sensibilisation de minorités

Montagnardes par rapport à leurs droits culturels, civiques et économiques. Un tel travail

incombe aux partenaires au développement, aux mouvements associatifs, aux leaders

d’opinion et avec notamment la participation des populations elles-mêmes.

Page 11: Les mécanismes internationaux de promotion et de protection des minorités: le cas des Montagnards du Cameroun

Documents

Département du Mayo-Sava

L’exécutif municipal

Arrondissements Maires Identité ethno-religieuse

Mora ABBA BOUKAR Mandara/Musulman

Kolofata MADI GALDA Mandara/Musulman

Tokombéré KARI DEGUER Molko/Musulman

Le parlement

Arrondissements députés Identité ethno-religieuse

Mora - ABBA BOUKAR

- SALOMON fils de

DOVOGO

Mandara/Musulman

Mouktélé/Chrétien

Kolofata RAMADAN Kanouri/Musulman

Tokombéré CAVAYE YEGUIE DJIBRIL Mada/Musulman

La direction du RDPC, parti dominant dans le Mayo-Sava

Arrondissement Sections président Identité ethno-religieuse

Mora Mayo-Sava Nord ABBA BOUKAR Mandara/Musulman

kolofata Mayo-Sava Ouest TALBA

DOUNGOUSS

Mandara/Musulman

Tokombéré Mayo-Sava Sud NABA HANS Mada/Musulman

Source : « Mémorandum des Montagnards chrétiens et animistes du département du Mayo-

Sava (Extrême-Nord) », La météo hebdo, n°245, 22 juin 2009, p. 9.