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Les origines de la pensée. Essai pour une tresse de la pensée en trois brins

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Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2001 ; 49 : 48-52 Ic” 2001 editions scientifiques et mCdicales Elsevier MS. Tous droits rkserks

Mise au point

Les origines de la pen&e. Essai pour une tresse de la pensee en trois brins

B. Gibello”

Laboratoire d’exploration fonctionnelle et de recherches the’rapeutiques applique’es aux troubles copit[fI~ et

intellectuels (LECI) ; clinique de PPdopsychiatrie, hGpita1 de la Salp&ri&e, 47-83. boulevard de I’HGpitoI. 75651 Paris cedex I3

(ReCu le I I juillet 2000 ; accept6 le 21 novembre 2000)

L’auteur pr&ente une description du developpement de la pensee du bebe, fondee sur les observa- tions directes du bebe inaugurees par Spitz, les observations des cliniciens actuels de l’ecole de Piaget, les praticiens de la psychologie cognitive developpementale, et les reconstructions faites par les psychanalystes a partir du materiel de la cure. Des la naissance, le bebe interagit avec des objets humains amenant la constitution de I’objet libidinal, a I’origine du processus psychique primaire ; des objets faisant par-tie de lui-meme : amenant la constitution de I’objet narcissique, precurseur de I’identite ; des objets physiques de I’environnement constituant les supports et les prototypes des apprentissages cognitifs. Les memoires sont le support indispensable des representations psy- chiques et de la pensee. L’auteur designe sous le nom de c< contenants de pensee >a des structures dynamiques qui donnent sens aux differents types d’experience. II distingue des contenants de pensee archaiques, symboliques complexes et culturels. Les premiers sont seuls actifs chez le bebe tant qu’il ne parle pas. Ils sont constitues par les contenants fantasmatiques, narcissiques et cognitifs, qui se specifient par leur origine, leur loi de fonctionnement, et leurs consequences, constituant trois courants de pensee bien differents et simultanes, entretenant des relations etroites, comme une tresse constituee de trois brins. Si I’un des brins est defaillant, la pensee se developpe anormalement. C’est pourquoi il importe de n’en negliger aucun. 0 2001 editions scientifiques et medicales Elsevier SAS

b6b6 I contenants de pen&e I d6veloppement I m6moires I psychopathologic

Summary - How is thinking given to babies? Early interacting of the baby with human and non-human objects. Essay for a braid made of three strands. The author describes the devlopment of the baby’s thinking, founded on the direct observations of Spitz, the Piaget school and devlopmental cognitivists’s observations, and reconstructions bypsycho- analysts of the cure’s material. From birth, the baby interacts with human objects, leading to the libid- inal object at the origin of the primary process of thinking; these self objects lead to narcissistic the object, forerunner of identity; and physical objects, making up supports of the cognitive learning. Memories are the necessary support of the psychic representations and thinking. The author calls ‘thought containers’ those dynamic structures that give meaning to the different varieties of experi- ence. He distinguishes the archaic thought, complex symbolic and cultural thought containers. The first are the only objects working for the non-speaking child, They include fantasy, narcissistic and cognitive containers, particular in origin, their laws of functioning, and effects, constituting three

* Correspondance et fir&s ir part : place Saint Georges, 703 10 Faucogney, France. Adresse r-mai[ : [email protected] (B. Gibello).

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different and simulataneous ways of thinking, as in a braid made of three strands. When a strand comes undone, the thinking develops badly. So is it important not to neglect any of the containers. 0 2001 Editions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS

baby I development I memories I psychopathology I thought containers

INTRODUCTION

Comment pense le bCbC ? Cette question occupe les cliniciens, les psychanalystes et les psychologues de l’enfance depuis plus d’un siecle. A ce propos, les idees les plus &ranges ont Cte &on&es, les theories les plus farfelues ont CtC soutenues, et, encore aujourd’hui, beaucoup de chercheurs ou de clini- ciens se complaisent dans l’illusion de l’exegese des textes, dans les arguments d’autorite ou d’evidence, dans la subtilite de dispute byzantino-talmudique, et se refusent a l’observation directe du bebe.

Je commencerai done par rendre hommage a Spitz, premier psychanalyste a s’etre interesse a observer de vrais bebes. I1 voulait en effet verifier ou infirmer les theories construites par ses collegues analystes a partir du materiel de cure de sujets adultes. De ce materiel avait ete decrit un bCbC theorique, reste infantile chez l’adulte. On croyait disposer ainsi d’une bonne description des structures psychiques des bebes et de leur contenu. C’etait une erreur. En particulier, Spitz a montre qu’avant le moment critique de la crise cedipienne, trois autres moments avaient organise la pensee des tout-petits. Depuis ce travail de pionnier, l’observation psychanalytique des bebes est devenue une specialite a part entiere, au moins en Angleterre, et en France, ou les travaux de Robert Haag ont introduit la methode preconisee par Esther Bick. Simultanement, les travaux de Piaget ont permis de developper une methode clinique rigoureuse pour explorer les modalites de pensee de l’enfant, methode dont procede une partie importante de nos connaissances actuelles.

Le materiel sur lequel se fonde le present expose est de triple nature : - les observations directes du bebe inaugurees par Spitz ; - les observations faites sur les bebes par les clini- ciens actuels de l’ecole de Piaget, et les praticiens de la psychologie cognitive developpementale ; ~ les reconstructions faites par les psychanalystes a partir du materiel de la cure.

D&s les premi&es heures qui suivent la naissance

Des les premieres heures qui suivent la naissance, le bebe interagit avec les objets. Les objets auxquels son systeme de penser a a faire sont de trois natures :

~ des objets humains : les personnes de l’entourage, avec lesquelles il entre en interactions complexes, oh la seduction reciproque et le plaisir sexuel jouent un role important. Ces relations am&rent la constitution, apres des peripeties diverses, de l’objet libidinal, objet de l’amour et du desir sexuel ;

- des objets faisant partie de lui-meme : les diffe- rentes parties de son corps sensible, en action ou en posture. I1 joue longuement avec celles-ci, repete des schemes moteurs, suce, touche, tapote, suit du regard, etc. Cette activite amene la constitution de l’objet narcissique : representation de soi-meme, precurseur de l’identite ;

- des objets physiques de l’environnement, aussi bien interieurs qu’exterieurs a lui. 11 peut s’agir du lait qui emplit son estomac, de gaz intestinaux qui l’incommodent, de rayons lumineux, d’odeurs, de bruits, d’objets divers a portee de sa vision, de sa palpation, de son audition, de son odorat, voire de la perception d’accelerations, etc. La perception de ces objets excite la curiosite du bebe. Objets Cpiste- miques, ils constituent les supports et les prototypes des apprentissages cognitifs.

Des les premieres heures qui suivent la naissance, il existe une activite de pensee. Avec son activite de pensee, le bCbC assimile les informations qu’il recoit et tente de s’y adapter, ou, pour employer le terme introduit par Piaget, (( s’accommode )) aux stimula- tions qu’il percoit et tente de leur donner sens. Donner sens, rep&enter mentalement ce qui advient, s’en souvenir est probablement la base de toute acti- vite de pen&e.

Le plaisir des interactions avec les personnes de l’environnement se fonde sur des repetitions, des imitations, et lui pet-met des le plus jeune age d’anti- ciper de satisfactions a venir. Ici, le role des reactions en echo, les echopraxies, est essentiel, et s’inscrit au niveau le plus primitif des soubassements de la pensee : qu’on pense par exemple a ce vestige que constitue, a tous ages, l’imitation incoercible des bbillements.

Le plaisir des interactions avec les personnes est a l’origine du processus psychique primaire, qui tend a procurer au bCbC (( de l’interieur )), c’est-a-dire du fait de l’activite psychique elle-meme, une illusion de perception et une illusion de plaisir reproduisant

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ce qui a CtC mCmorisC de perceptions et de plaisirs ant~rieurement v&us.

Les decouvertes des parties de son corps dans des explorations multiples sont ti I’origine d’une premiere esquisse de la repr~sen~tion de soi, qui s’inscrit sur la trame fournie par le schema cot-pore1 et les differents reflexes inn&, puis se prolonge dans I’interaction avec la mere dans la construction de I’objet transitionnel que Winnicott nous a appris a reperer.

Les relations specifiques avec les objets physiques existent aussi, bien que beaucoup les oublient, les negligent ou en nient meme l’existence. Contraire- ment a ce que croient certains, le bebe en bonne Sante, sans besoin imm~diat particulier et laisse seul n’est pas envahi par une detresse intinie, une angoisse de perte de I’objet, mais par une insatiable curiosite. 11 observe les objets physiques du monde qui I’entoure, il essaie de les influencer par ses actions et de faire se repeter des perceptions : d&s les premieres heures suivant la naissance. le bCbC est capable de diverses activites physiques intention- nelles Clementaires. 11 dispose d’une panoplie de schemes d’actions qu’il applique aux objets. Par exemple, il emploie le scheme CC sucer )) pour tenter de sucer ses levres, son pouce, le coin du drap, un hochet. Tout le monde a fait de telles observations. On observe moins que le bCbC essaie aussi de sucer des objets non suqables, comme un rayon lumineux, une odeur, un son. Dans ces cas la, I’application du scheme d’action est vaine, ou plutot n’est pas suivie d’effets tangibles. L’observateur pourrait penser que le bCbC est mis en Cchec. Alors qu’il est en train de decouvrir que certains objets sont sugables et d’autres pas.

Bien des chercheurs ont pu montrer que le bCbC est capable de s’interesser g des Cvenements exterieurs, et d’essayer de les faire se reproduire. Les observa- tions de Papouqek sont pour moi les plus parlantes.

Papouqek installe un nounisson ~onfo~ablelnent dans un fauteuil relax, place devant lui un dispo- sitif Iumineux qui peut clignoter durant quelques secondes, et le coiffe d’un bonnet. I1 s’agit d’un bonnet un peu special, sensible aux mouvements de la tete du bebe, et qui peut declencher le dispositif lumineux apres une sequence de mouvements choisis par l’observateur, par exemple quand la tete se tourne deux fois de suite sur la gauche. Puis Papouqek laisse le bebe seul, et l’observe sans etre vu par lui. Qu’est-ce que Papouqek observe dans ces conditions ?

Dans un premier temps, le bebe explore l’envi- ronne~nent des yeux et des mains, et gigote d’une man&e apparemment aleatoire. Fo~uitement~ au

bout d’un moment, il tourne deux fois de suite la tete A gauche, d&enchant ainsi le dispositif lumineux. Le compo~ement du bCbC se modifie alors : il exa- mine avec attention les lampes clignotantes, puis fait une suite de mouvements, a la recherche semble-t-il, d’un moyen de faire se reproduire le spectacle. 11 tinit par toumer a nouveau la tete deux fois de suite a gauche, ce qui reactive le dispositif. A ce moment, le bebe marque du contentement : il sourit et rit. Quand le dispositif s’eteint, il refait le mouvement adequat et manifeste son contentement a constater a nouveau le resultat. Puis il s’interesse & autre chose, se bornant de verifier de temps en temps que cela marche toujours.

PapouCek modifie alors la commande, de telle sorte que tourner la tete a gauche deux fois de suite soit sans effet, mais qu’un autre mo~lvement active le dispositif lumineux. Le bCbC s’en aperc;oit par I’echec du scheme d’action precedemment employ& il recommence a experimenter, trouve a nouveau la bonne solution et manifeste alors sa satisfaction.

Autrement dit, le bebe a Cte capable de resoudre un probleme par une experimentation a sa pot-tee, et il a manifest6 sa joie de la reussite de sa recherche. La curiosite, le desir de controler la situation et de la faire se reproduire sont 2t l’origine de cette activitC, activite qu’on peut designer sous le nom d’activitC ~pist~~~ique, ou cognitive, ou d~apprentissage.

I1 existe bien sitr de nombreuses situations que le bebe est incapable de comprendre et de reproduire, ou de faire cesser, et qui s’inscrivent en dehors du champ de la decouverte cognitive. Parmi celles-ci, il y a toutes celles qui sont likes a des objets physiques interieurs ou a leur manque, qui entrainent malaise, douleur ou plaisir. Tels sont par exemple les gaz intestinaux, la faim ou les poussees dentaires pour le malaise. Dans ces cas, le bCbC est incompetent et impuissant. I1 doit attendre de l’autre le plaisir ou le soulagement. G’est ce que Freud nomme G besoin j>). Ces situations de besoin sont a l’origine, entre autres, de la constitution des limites de Soi, pour autant que I’environnement soit suftisamment competent pour faire le necessaire pour le bebe. De leur cot& les impressions de sat&e et de plenitude apres le repas genkent un bien-Ctre dont la connotation narcissique est certaine.

Les outils de la pen&e

La pensee est un systeme caracterise par la possi- bilite de creer et de faire jouer des representations mentales. Nous ~ommen~ons aujourd’hui a connaitre un peu la nature de ce qui permet l’emergence de la

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pen&e. La possibilite de memorisation en constitue la cl6 de votite. On y distingue : _ une memoire a court terme, dans laquelle peuvent s’elaborer des perceptions globales et des percep- tions sequentielles, des perceptions d’emotions, des perceptions d’analogies, d’identite, de repetition. Cette memoire est limitee dans la duree et dans sa capacite. C’est le support de la conscience. Elle a la particularite d’avoir les memes caracteristiques Q tous les ages, ce qui est une notion de connaissance tres recente. Un bebe a les memes capacites de memoire a court terme qu’un adulte ; _ une ou plutot des memoires a long terme, ou s’enregistrent les experiences vecues, plaisantes et deplaisantes. C’est le support de l’histoire per- sonnelle, des apprentissages et des connaissances. La construction des representations mentales, les processus de symbolisations sont encore mysterieux, surtout si on essaie de comprendre les representa- tions et les symboles anterieurs au langage, ce qui est precisement le cas de la pensee du bCbC pour lequel le sens se construit seulement grace aux perceptions Cmotionnelles, sensorielles et matrices ;

- l’imagerie cerebrale et l’electrophysiologie modeme suggerent que le sens provient des interactions entre contenus de la memoire a court terme et des memoires a long terme, de telle man&e que les Cvenements nouveaux soient enregistres dans les systemes de classement en oeuvre dans les memoires a long terme ;

- dans le jeu des deux types de memoire se cons- truisent les premieres representations mentales, regroupement de perceptions Clementaires du corps anime d’emotions, de postures et d’actions, et de perceptions du monde exterieur ;

- des chercheurs experimentalistes ont pu demontrer que rien ne se memorise qui n’ait prealablement pris sens (Mischkine), c’est-a-dire ayant amene au niveau de l’amygdale temporale une convergence senso- rielle, motrice et Cmotionnelle.

Des sources de sens diffbrentes

J’ai pris l’habitude de designer sous le nom de N contenants de pensee 1) les structures de pensee qui donnent sens et perrnettent la memorisation des experiences. Je considke que chez le bebe, trois systemes differents donnent sens : les contenants de pensee archa’iques constitues par les contenants fantasmatiques, narcissiques et cognitifs. Ces trois systemes se distinguent par leur origine, par leur loi de fonctionnement, et par leurs consequences.

Les contenants de pen&e fantasmatiques per- mettent la mentalisation du d&sir sexuel. Freud a bien decrit par quelle voie singulike se fait cette mentalisation : c’est la voie du processus primaire de la vie psychique. Pour lui, l’appareil psychique, emu par un mouvement d’excitation sexuelle, reactualise des traces memorisees d’experiences anterieures de satisfaction de cette excitation, de telle man&e qu’il apporte a la conscience une illusion de perception d’une situation pas&e, et une illusion du plaisir alors ressenti. Rappelons que Freud nous a fait decouvrir l’existence et l’importance nom-tale de la sexualite infantile. La representation ainsi activee a une carac- teristique fondamentale : elle est lice a tout un reseau de representations par des liens associatifs, et si la premiere representation est inopportune pour une raison quelconque, une seconde, une troisieme, etc. peut s’y substituer avec le meme resultat d’illusion de plaisir. L’illusion de perception et de satisfaction foumie par le processus primaire s’accompagne de la possibilite de passer par H glissement semiotique 1) d’une representation a l’autre en conservant la charge affective initialement lice a la premiere repre- sentation Cvoquee.

On comprend que le processus primaire procure une illusion, et ne fasse aucune reference a la realite, et que le glissement semiotique en constitue la loi essentielle. Pour Freud, les fantasmes inconscients ont des precurseurs sous la forme des (( fantasmes originaires )), presents des le debut de la vie.

Les contenants de pensee cognitifs sont ceux qui permettent de donner sens aux experiences vecues dans la realite, qui permettent de comprendre les relations de cause a effet, et de decouvrir les moyens de maitriser les situations objectives et de les prevoir. Des le debut de sa vie, le bebe s’interesse a savoir comment les chases se produisent. La curio- site et le desir de maitriser ce qui se passe est ce qui met en jeu les contenants de pen&e cognitifs. Depuis un siecle, bien des travaux ont Cte consacres au deve- loppement des processus cognitifs chez l’enfant. Avec des divergences parfois importantes, tous s’accordent sur l’importance de l’action, de la manipulation des objets, de l’observation des trans- formations induites par une action. Le developpe- ment cognitif se fait par des acquisitions pro- gressives, et egalement par l’inhibition d’acquisi- tions devenues g&antes, suivant des sequences intri- quees complexes. Pour les contenants de pensee cognitifs, l’epreuve de realite est particulierement importante, la recherche des relations de causalite, le souci de la coherence et de l’absence de contra- diction dans les experiences faites sont les lois de

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son fonctionnement. L’origine de leur mouvement se diverses de l’environnement et des experiences pre- trouve bien sQr dans la curiosite et le desir de coces apportant des experiences penibles. On sait par maitrise. Ses sources materielles se trouvent dans les exemple que les situations de stress chronique, ou de reflexes inn& du nouveau-n?, reflexes qui vont tres defaillance maternelle peuvent aboutir a cette mort vite se transformer en schemes d’action, moyen psychique que constitue l’hospitalisme, decrit par essentiel de contact avec la realite. Spitz.

Les contenants de pensee narcissiques alimentent le troisibme courant de prise de sens : celui qui donne sens a la representation de soi-meme, et a la differen- ciation de soi, du monde et des autres. Au debut de sa vie, le bCbC ne se reconnait pas, et ne reconnait pas non plus les parties de son corps comme le consti- tuant. I1 doit apprendre a en construire l’image, et les limites, ainsi que les espaces, espace auditif, espace visuel dans lesquels il vit. Le corps constitue le lieu commun des experiences sexuelles et cognitives. L’experience de la decouverte de son image dans le miroir pet-met au bCbC de decouvrir son unite et un debut d’identite. Les premisses de cette representa- tion narcissique sont probablement constituees par le schema corporel inconscient. Les lois des contenants narcissiques sont essentiellement topologiques.

Ces trois sources de la pensee du bCbC constituent trois courants de pensee bien differents, mais qui existent simultanement, et entretiennent des rela- tions etroites : c’est comme une tresse constituee de trois brins. Si l’un des brins est defaillant, la pensee se developpera anormalement.

Plus tar-d, quand le bebe n’en sera plus un, et qu’il entrera dans l’univers du langage, l’appropriation du langage entramera une metamorphose du systeme de representation qui s’unifie en un ensemble de mots et de lois d’organisation de ces mots : un systeme symbolique complexe. Mais ceci est une autre histoire.

On peut observer enfin des developpements dysharmoniques, disparates de chacun des (( brins )) de la pensee : les representations sexuelles peuvent dans certains cas envahir le champ de conscience, sans laisser place ni disponibilite de memoire a court terme pour permettre l’elaboration des contenants cognitifs ou narcissiques. Dans d’autres cas, les contenants cognitifs se developpent sans references aux interactions avec les personnes de l’environne- ment, dans d’autres enfin, seule est active l’activite de representation de soi. Dans tous ces cas, la pensee du bCbC est profondement anormale, en general de type psychotique, autistique ou deficitaire.

CONCLUSION

Des possibilites de dkfaillance

Diverses causes peuvent perturber le developpement de la pensee du bebe. La structure biologique peut Ctre defaillante, comme dans les cas de trisomie 2 1, ou de carence thyro’idienne, ou d’anomalie du metabolisme phenylpyruvique, ou de deficit senso- riel inn& Par exemple, un astigmatisme severe et meconnu, ou une surdite peuvent-ils etre a l’origine de tres graves perturbations, qui peuvent en imposer a tort pour un diagnostic d’autisme infantile’.

La mise en ceuvre des contenants de pensee peut Ctre perturbee ou empechee par des defaillances

Je n’ai pas developpe comment les trois types de contenants de pensee, fantasmatique, narcissique et cognitif obeissent a des lois differentes. 11 n’en reste pas moins qu’ils constituent la triple source de la pensee du bebe. C’est bien sur artiticiellement qu’on peut les distinguer et les differencier. Normalement, ils entrent en jeu simultanement et dans des inter- actions complexes. Mais le modele de la psychana- lyse, ou celui des neurosciences ou de la psychologie developpementale, ne suffit pas a lui seul a rendre compte de la psychologie normale et pathologique du bCbC et de l’humain en general. 11 est indispen- sable aujourd’hui que les connaissances du develop- pement apportees par l’observation directe des bebes, tant par des psychanalystes que par des psycho- logues du developpement et des processus cognitifs soient mises a profit par les cliniciens pour mieux comprendre et traiter les anomalies de la pensee des tres jeunes enfants.

Retenons pour finir que le bCbC qui ne parle pas encore est - neanmoins - a la fois un scientifique emkite, un amoureux fou, et un narcissique effrene.

RFFtiRENCES

’ Traiter le deficit sensoriel ne corrige pas forcement la defaillance des gnosies qui ne sont pas mises en place durant la periode feconde habi- tuelle.

On trouvera une tres importante bibliographie dans deux ouvrages de l’auteur : Gibe110 B. L’enfant a I’intelligence troublee. Paris : Centurion- Bayard Presse ; 1993.

Gibello B. La pensee dtcontenancee. Paris : Bayard Presse ; 1995.