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Les Passagers Du Desir - Jessica Bird

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  • JESSICA BIRD

    Les passagers du dsir

    Les Moorehouse-3

    Traduction franaise de EDOUARD DIAZ

    PASSIONS

    2007, Jessica Bird. 2007, Harlequin S.A.

  • Rsum

    Cette nuit, Madeline sera lui Cest la deuxime fois

    seulement que Spike Moriarty croise Madeline MacGuire chez

    des amis communs, mais en la regardant venir vers lui, belle

    couper le souffle, provocante et farouche la fois , en

    surprenant son regard, comme une rponse son propre dsir,

    il sait quils ne rsisteront pas ce soir la force qui les pousse

    lun vers lautre. Elle sera lui, puis il disparatra. Car il na

    pas droit desprer plus avec elle quune histoire phmre.

    Trop dobstacles les sparent. Elle, lhritire clbre et

    fortune. Lui lex. mauvais garon de Boston qui trane

    derrire lui un pass trouble et tumultueux

  • 1.

    Spike Moriarty descendait Park Avenue grandes

    enjambes, les pans de sa veste de cuir noire voletant

    derrire lui. Devant la dtermination vidente de ce

    gant aux larges paules, les rares passants scartaient

    prudemment de son chemin.

    Spike tait en retard, et pas seulement dun petit quart

    dheure quil aurait pu mettre sur le compte dun

    incident de parcours ordinaire. Ctait un trou noir de

    plus de deux heures, de ceux qui vous font passer pour

    un malotru dans les cercles les plus tolrants.

    En rgle gnrale, Spike se souciait assez peu de

    ltiquette et des conventions sociales. Il faisait de son

    mieux pour ne pas offenser les gens, bien sr, mais il ne

    passait pas son temps apprendre par cur le manuel

    des bonnes manires. Mais aujourdhui, ctait diffrent.

    Deux de ses proches amis allaient se marier et, ce soir, ils

    ftaient leurs fianailles. Spike tait cens aider le jeune

    couple prparer la rception et faire un petit discours

  • devant les invits, ce qui, vu lheure, semblait fortement

    compromis.

    Sean OBanyon, le matre de crmonie, allait tre

    furieux contre lui. Heureusement, Sean tait un vritable

    ami, et Spike pouvait compter sur une certaine mesure

    dindulgence de sa part.

    En outre, ce retard ntait pas sa faute.

    Dabord, un camion stait renvers sur lautoroute de

    Manhattan, causant un embouteillage monstre qui lui

    avait fait perdre un temps prcieux. Mais ce ntait que

    le dbut. Dvi sur une route secondaire, il avait alors

    t impliqu dans un petit accrochage avec un retrait

    conduisant une vieille guimbarde hors dge.

    Heureusement personne navait t bless. Et

    malheureusement, cest l que les vritables problmes

    avaient commenc.

    La police locale tait accourue pour constater les dgts.

    Les deux agents avaient jet un coup dil la coiffure

    de Spike et ses tatouages, et avaient aussitt entrepris

    de soumettre leur suspect une longue srie de

    vrifications tatillonnes sur lordinateur de bord de leur

    voiture de patrouille. Ils avaient mme srement appel

  • Interpol pour sassurer quil ntait pas un criminel

    recherch. Frustrs de navoir trouv aucun motif de lui

    passer les menottes, ils staient vengs en lui faisant

    faire le pied de grue prs de deux heures sur le bord de

    la route.

    Lorsquon lui permit enfin de repartir, Spike savait quil

    narriverait jamais la rception avant le dbut des

    discours. Il aurait peut-tre mme de la chance darriver

    avant que tous les invits soient rentrs chez eux. Il

    laissa un message sur le rpondeur de Sean et dut

    rsister son envie denfoncer lacclrateur jusquau

    plancher ; la dernire chose au monde dont il avait

    besoin, ctait dune nouvelle rencontre avec les

    reprsentants de la loi.

    Il arriva enfin Manhattan, se dbarrassa de sa petite

    voiture dans un parking public et slana au pas de

    course vers limmeuble de Sean, situ seulement deux

    pts de maisons de l. Pour une soire de mai, il faisait

    frais, et Spike sen rjouit. Au moins, il narriverait pas

    la rception hagard et en sueur.

    Il ne vit pas arriver le taxi, mais tout coup il tait l,

    monstre jaune menaant. Grce des annes

  • dentranement physique intensif, Spike parvint

    esquiver le pare-chocs avant, mais la grosse voiture le

    bouscula au passage, le faisant rouler par terre.

    Le taxi sarrta au milieu du carrefour dans un

    hurlement de pneus, et le chauffeur se pencha la

    portire. Rassur de constater que sa victime vivait

    toujours, il acclra brusquement et repartit en faisant

    gicler une pluie de graviers.

    Spike ne sattarda pas savourer sa victoire, dabord

    parce quil tait dsesprment en retard, et surtout

    parce que tant, comme son habitude, tout vtu de

    noir, il tait quasiment invisible aux autres

    automobilistes, et quil courait un grand risque de finir

    cras pour de bon sil restait plus longtemps au milieu

    de lavenue.

    Il bondit sur ses pieds et repartit au trot, se disant que

    sil avait quelque chose de cass, il ne manquerait pas de

    le sentir en cours de route. Son corps ne donnant aucun

    signe de dommage irrparable, il acclra encore le pas,

    brossant nergiquement la poussire de son pantalon,

    passa sans ralentir sous la marquise rouge et fauve de

  • limmeuble de Sean, traversa le hall dall de marbre et se

    dirigea tout droit vers les ascenseurs.

    Il poussait le bouton dappel lorsquune voix nasillarde

    linterpella :

    Excusez-moi, monsieur !

    Spike se retourna vers le bureau du portier, et constata

    aussitt que lemploy quil connaissait ntait pas de

    service ce soir-l, et quil avait t remplac par un sosie

    de Frankenstein.

    Les coursiers ne sont pas admis dans limmeuble,

    dclara le nouveau portier dun ton important. Vous

    devez me remettre ce que vous livrez.

    Spike poussa un soupir qui parlait de lui-mme. Le

    cauchemar continuait.

    Mais cette journe prendrait forcment fin tt ou tard. Il

    suffisait dy croire.

    Madeline Maguire se tenait un peu lcart du reste des

    invits, sefforant de saccoutumer la sensation de la

    terre ferme sous ses pieds et au contact de la foule. En

    tant que navigatrice professionnelle, elle passait la plus

    grande partie de son temps se battre avec locan, et il

  • lui fallait toujours une priode dadaptation pour

    retrouver un semblant de normalit lorsquelle prenait

    quelques jours de cong terre.

    Cependant, ce genre de soire restait pour elle une sorte

    de runion dextraterrestres.

    Une partie du problme venait du dsuvrement total

    auquel elle tait contrainte. Sur un voilier de course,

    chaque parole comptait, chaque craquement de la coque

    tait une information devant tre immdiatement

    analyse, le plus infime changement de cap devenait un

    vnement important. Des annes dexprience de la

    course au large avaient aiguis les instincts de la jeune

    femme, et sa capacit grer plusieurs problmes

    simultanment tait ce qui avait fait delle lune des

    meilleures navigatrices dans le mtier.

    Mais dans lenvironnement o elle se trouvait

    actuellement, il ny avait strictement rien sur quoi elle

    aurait pu concentrer son attention.

    Et elle sennuyait ferme.

    Le point culminant de cette soire avait t ses

    retrouvailles avec Alex Moorehouse, son skipper dans

  • de nombreuses courses, son mentor et aussi son ami.

    Alex et sa fiance, Cassandra, taient des gens adorables,

    et Madeline aurait fait le long et inconfortable voyage

    jusqu Manhattan pour le seul plaisir de les revoir.

    Dailleurs, tout lquipage avait voulu venir, mais le

    bateau tait immobilis aux Bahamas par une avarie de

    grement, et la jeune femme avait t dsigne

    lunanimit comme ambassadrice officielle du groupe.

    Comme diplomate, elle ne se sentait pas du tout la

    hauteur, et stait contente, jusqu prsent, de faire

    tapisserie.

    A vrai dire, elle ne voyait personne avec qui elle aurait

    vraiment eu envie dengager la conversation. La

    cinquantaine dinvits qui se pressaient dans le grand

    loft de Sean taient pour la plupart des sosies de son

    demi-frre, des hommes de pouvoir aux manires

    brusques qui ne vivaient que pour la comptition quelle

    quelle soit, et de jolies femmes minces aux sourires

    factices et aux yeux durs comme le silex.

    Bien sr, tous ne correspondaient pas ces modles.

    Alex et sa famille taient des gens chaleureux, et

    quelques autres aussi auraient fait une compagnie

  • supportable. Mais malheureusement, les personnages

    mondains occupaient pour le moment le devant de la

    scne, et Madeline prfrait rester lcart des

    conversations.

    Sans compter quelle tait quelque peu proccupe.

    Elle parcourut de nouveau la pice du regard, scrutant

    les visages, cherchant la haute silhouette et les cheveux

    noirs sculpts au gel de lhomme quelle attendait avec

    impatience.

    Spike allait certainement venir, ce soir. Alex tait lun

    de ses amis les plus proches et, daprs ce quon lui avait

    rapport, il connaissait aussi trs bien Sean.

    Il ne pouvait pas manquer dassister cette soire.

    Tu cherches quelquun ? senquit une voix grave

    juste derrire elle.

    Tournant la tte, Madeline sourit Sean OBanyon,

    jeune banquier daffaires au pass un peu tumultueux,

    qui la contemplait, un sourire satisfait aux lvres.

    Non, mentit-elle sans vergogne. Je nattends

    personne.

  • Allons, Mad, rpliqua Sean en riant. On croirait que

    tu passes tous les nouveaux arrivants au scanner. Et il

    nest pas difficile de comprendre que celui que tu

    espres na pas encore fait son apparition. Qui attends-tu

    avec une telle impatience, ma belle ?

    Sean tait le frre que Madeline aurait aim avoir la

    place de celui que la destine lui avait envoy. Mais il

    nen demeurait pas moins quelle ne se sentait pas

    suffisamment laise avec lui pour lui parler de Spike.

    De plus, si ses expriences sentimentales passes

    pouvaient laisser prsager de lavenir, lintrt quelle

    ressentait pour lhomme la veste de cuir ne la mnerait

    probablement nulle part.

    Malheureusement, elle ne pouvait nier... quelle

    ressentait le plus vif intrt pour lui.

    Elle avait fait sa connaissance lhiver prcdent,

    lorsquelle tait alle rendre visite Alex, au lac Saranac,

    et elle avait prouv une attirance pour lui ds le

    premier regard quils avaient chang ; mais elle avait

    prudemment gard ses sentiments pour elle. Comme la

    plupart des autres hommes quelle connaissait, Spike ne

    disait pas grand-chose en sa prsence, il vitait

  • soigneusement de la dvisager avec trop dinsistance, et

    il navait jamais pos une main sur elle, mme sous le

    couvert dun geste amical.

    Madeline avait lhabitude de cette rserve de la part des

    hommes. Quand on mesure un peu plus dun mtre

    quatre-vingts et que lon est une athlte professionnelle,

    on ralise vite que la plupart des hommes ne vous

    considrent pas comme une petite amie possible. Ni

    mme comme une femme, dailleurs. Sils vous aiment

    bien et quils vous respectent, vous devenez un bon

    copain. Dans le cas contraire, ils vous dvisagent comme

    une bte curieuse et vous classent rapidement dans la

    catgorie des lesbiennes.

    Pour tre franche, en rgle gnrale, cette distance lui

    convenait trs bien. Ses quelques tentatives pour tablir

    un lien avec une personne du sexe oppos staient

    soldes par de pitoyables checs. Mais, curieusement,

    elle avait besoin que Spike la remarque, pas comme un

    phnomne de foire, mais comme une femme quil

    aimerait serrer dans ses bras. Une femme quil aurait

    envie dembrasser...

  • Elle tressaillit cette pense. Depuis combien de temps

    un homme navait-il pas pos ses lvres sur les siennes ?

    Une ternit. Trop longtemps pour une personne de son

    ge.

    Pas des mois, mais des annes.

    La voix de Sean la ramena brusquement la ralit :

    Mad ! O tais-tu passe ?

    Dsole. Jadore la faon dont tu as arrang ton

    appartement.

    Le loft dont Sean avait fait lacquisition lanne

    prcdente avait t entirement redcor dans un style

    sobre, presque svre, rsolument masculin ; lignes

    dpouilles, beaucoup despace, du cuir et de linox en

    abondance. Les grandes baies sans rideaux offraient une

    vue spectaculaire de Central Park et des gratte-ciel de

    Manhattan.

    Sean jeta un coup dil autour de lui.

    Je suis assez satisfait du rsultat, convint-il. Un

    grand magazine de dcoration est mme venu tout

    photographier pour leur numro du mois prochain.

  • Cet appartement est tout fait toi.

    Tu crois ?

    Tout en lignes droites et en angles durs.

    Sean se mit rire, et ce rire adoucit un instant son

    visage aux traits nergiques.

    Dans mon business, il faut avoir la dent dure, Mad,

    sinon on se fait avaler tout cru.

    Sean tait banquier et grait les investissements de la

    famille de Madeline depuis une dizaine dannes. Grce

    ses conseils aviss, Value Shop, la chane de

    supermarchs familiale avait russi son implantation au

    niveau national. Mais pour la jeune femme, il tait plus

    quun conseiller financier, il tait devenu un ami. Elle

    laimait et avait une totale confiance en lui. Davantage

    quen sa famille.

    En rgle gnrale, elle vitait les hommes dans son

    genre, parce quils lui rappelaient son pre dcd et son

    demi-frre, extrmement vivant, lui. Sean tait une

    vritable gravure de mode dans son complet anglais trs

    chic agrment dune cravate de soie. Il tait limage

    mme du brasseur daffaires de Wall Street. Personne

  • naurait pu souponner quil avait grandi dans un

    faubourg trs turbulent du sud de Boston. Sean, lui,

    navait jamais oubli les leons apprises dans la rue, ce

    qui faisait de lui un personnage un peu inquitant.

    Madeline ne len aimait que davantage.

    Ecoute, Mad, nous devons parler.

    Madeline le dvisagea, fronant les sourcils.

    Je devine au ton de ta voix...

    ... quil sagit de ton demi-frre, oui.

    Je refuse de voir Richard, rpliqua-t-elle, dtournant

    le regard. Mais tu peux lui transmettre un message de

    ma part. Dis-lui de cesser de mappeler. Il occupe toute

    la mmoire de mon rpondeur avec ses discours.

    Mad, protesta Sean, cest important !

    La sonnette retentit, et de lautre ct de la grande

    pice, la porte dentre souvrit.

    Et Madeline se sentit rougir comme une adolescente.

    Spike portait une veste de cuir noire, une chemise noire

    au col boutonn et un jean, galement noir. Ses cheveux

    aile de corbeau taient sculpts au gel et ce style, loin

  • dtre ridicule, faisait ressortir lextraordinaire beaut de

    son visage. Son grand corps athltique remplissait toute

    lembrasure de la porte comme une formidable prsence.

    Et ses yeux... Il avait des yeux incroyables, des yeux au

    regard dor comme celui dun chat, dissimuls pour

    lheure par des paupires mi-closes et de longs cils noirs.

    Des tatouages, aussi : de part et dautre de son cou, deux

    lgantes arabesques sur sa peau blanche. Et un lourd

    anneau dargent loreille gauche, comme un pirate

    dautrefois.

    La jeune femme avait cess de respirer. Il tait

    impossible pour un homme de paratre plus sexy. Spike

    tait beau couper le souffle.

    Je vois, lui chuchota Sean loreille. Cest Spike que

    tu attendais, nest-ce pas ? Depuis quand dure ce petit

    jeu ? Quand as-tu fait sa connaissance ? Et pourquoi

    diable suis-je le dernier tre mis au courant ?

    Madeline sirota une gorge de son vin blanc et ne lui

    trouva aucun got.

    Fiche-moi la paix, Sean.

  • Spike tait littralement hors de lui lorsquil pntra

    dans lappartement de Sean. Il avait support toutes ses

    preuves de la journe avec rsignation jusqu cette

    dernire rencontre, avec le cerbre de limmeuble. A

    prsent, outre son embarras dtre arriv si tard, il

    bouillonnait littralement de fureur. Et il tait affam.

    Il ta sa veste et alla laccrocher dans la penderie du

    hall, puis il jeta un regard circulaire dans la pice,

    cherchant des yeux la tte brune de Sean parmi les

    invits.

    Il ne lui fallut que quelques secondes pour reprer son

    ami et, lorsquil vit la personne qui se tenait ses cts,

    son cur bondit violemment dans sa poitrine.

    Elle tait l.

    Madeline Maguire. A deux pas de lui. Respirant le

    mme air que lui. Ou plutt lair quil aurait respir si

    ses poumons ne lui avaient pas tout coup refus tout

    service.

    Mais il aurait d se douter quelle viendrait. Aprs tout,

    elle tait la navigatrice dAlex, ou tout au moins elle

    lavait t jusqu ce que ce dernier mette fin sa carrire

  • de skipper. Il tait donc tout fait normal quelle assiste

    sa rception de fianailles.

    Spike regrettait seulement de ne pas stre mieux

    prpar cette rencontre.

    Dans son esprit, Madeline Maguire reprsentait la

    perfection fminine. Elle tait presque aussi grande que

    lui, assure, intelligente. Sa souriante simplicit agissait

    sur lui comme un vritable aphrodisiaque, tout comme

    dailleurs le reste de sa personne. Ses pais cheveux noirs

    retombaient librement jusquau milieu de son dos. Ses

    yeux bleu saphir brillaient comme des toiles. Et un

    simple sourire delle suffisait le plonger dans une sorte

    de batitude comateuse.

    Ce soir, elle portait une robe de laine noire lgre au col

    haut qui mettait merveilleusement en valeur un corps...

    Toujours aussi parfait.

    Il se souvenait encore de la premire fois o il lavait

    vue, sortant de la salle de bains dAlex, sans autre

    vtement quun soutien-gorge de sport et une culotte de

    dentelle noire. Elle tait venue vers lui sans gne aucune

    et lui avait serr la main comme si elle ntait pas la plus

  • magnifique crature que la terre et jamais porte,

    comme si une desse de l'Olympe pouvait serrer la main

    dun simple mortel comme lui.

    Puis elle lui avait demand avec une simplicit

    dconcertante de lui montrer ses tatouages. Il avait failli

    alors succomber une crise dapoplexie.

    Prenant son courage deux mains, il sapprocha de son

    ami et de sa ravissante voisine, sefforant dafficher une

    expression dtendue.

    Salut mon vieux, dit-il, vitant grand-peine de

    plonger son regard dans celui de Madeline. Dsol pour

    le retard. As-tu eu mon message ?

    Alors quils changeaient une poigne de main, Spike

    comprit instinctivement quil se prparait quelque chose:

    les yeux de son ami brillaient dune hilarit difficilement

    contenue.

    Et Sean OBanyon, grand requin de la finance, ne riait

    jamais sans une bonne raison.

    Pas de problme, lui assura Sean. Tu connais dj

    Madeline Maguire, nest-ce pas ?

  • Spike se contenta dacquiescer. Il ne pouvait tout de

    mme pas lui avouer quil avait rv delle la nuit

    prcdente, comme cela lui arrivait souvent. Un peu trop

    son got, dailleurs.

    Il se permit alors un coup dil rapide dans la direction

    de Madeline, et constata, bloui, que ni ses merveilleuses

    lvres de corail ni le reste de son visage ne portaient la

    moindre trace de maquillage.

    Bonsoir, Spike, dit-elle.

    Cette voix... Grave, capiteuse. Aussi incroyablement

    sexy que dans son souvenir.

    Un agrable picotement lui parcourut la nuque.

    Heureux de vous revoir, Madeline.

    Elle ne lui tendit pas la main, et il sen rjouit, car cet

    instant prcis, ce simple contact aurait probablement

    suffi provoquer la combustion instantane de leurs

    deux corps.

    Ai-je manqu tous les discours ? senquit-il,

    sadressant de nouveau Sean.

    Dsol, vieux, mais cest fini depuis longtemps.

  • Je ferais mieux daller mexcuser. O puis-je trouver

    lheureux couple ?

    Dans mon bureau, je crois. Alex a insist pour que

    Cass aille sallonger un moment, et il la installe sur le

    divan. Il semblerait que le mdecin lui a recommand le

    repos total jusqu la naissance du bb. As-tu dn ?

    En fait, non. Et je meurs de faim.

    Ma chre Mad, pourquoi ne montrerais-tu pas ce

    pauvre garon affam o se trouve le buffet ?

    Ne vous drangez pas ! intervint Spike

    prcipitamment. Je suis sr que je trouverai manger

    tout seul. Au fait, verrais-tu un inconvnient ce que je

    dorme chez toi, ce soir ?

    Scan sourit dune oreille lautre, un sourire de

    carnassier qui fit apparatre une fossette sur sa joue, puis

    il lui assna une tape amicale sur lpaule.

    Cest une excellente ide, Spike ! Une ide fabuleuse,

    mme. Nes-tu pas de mon avis, Mad ?

    Spike frona les sourcils, se demandant quel point ces

    deux-l taient intimes. Tout ce quil savait de la jeune

    femme, ctait quelle tait issue dune riche famille qui

  • devait sa fortune une chane de magasins. Sean tait

    peut-tre seulement son conseiller financier, devenu un

    ami.

    Cest alors quil vit le clin dil que Sean adressait

    Madeline.

    A la rflexion, leur relation tait peut-tre un peu plus

    personnelle.

    Et tout coup, Spike se surprit lutter contre une

    irrsistible envie de sinterposer physiquement entre

    eux, de traner Sean jusquau placard de lentre et de le

    suspendre une patre ct de sa veste de cuir, loin de

    Madeline, dans le noir intgral, l o il ne pourrait plus

    que se faire des clins dil lui-mme !

    Puis il les vit changer un regard rapide.

    Ils taient amants. Sans aucun doute.

    Il tait temps de battre en retraite.

    Excusez-moi, marmonna-t-il en se dtournant. Je

    vous verrai plus tard.

  • 2.

    Madeline suivit des yeux Spike qui se frayait un chemin

    travers la foule des invits. Les gens scartaient

    instinctivement de son chemin, visiblement surpris par

    son aspect peu conventionnel. Et si certains hommes le

    considraient avec une rserve prudente, les femmes,

    elles, le suivaient du regard avec intrt.

    Il fallait admettre quil faisait irrsistiblement songer

    lamour. Son grand corps athltique se mouvait avec une

    grce fline qui suggrait une force et une endurance

    peu communes.

    Dis-moi, Mad, quy a-t-il entre Spike et toi ? Je ne tai

    jamais vue ainsi fascine par un homme.

    Madeline se tourna lentement vers Sean.

    Dis-moi, Sean, rpliqua-t-elle sur le mme ton, je

    croyais que tu mavais invite dormir ici.

    Je te rassure. Mon invitation tient toujours.

    Mais tu nas quune seule chambre damis, il me

    semble.

  • Mais il y a deux lits. Spike et toi tes des adultes, au

    moins en thorie. Cette cohabitation temporaire ne

    devrait pas poser de problme, nest-ce pas ?

    Le sourire de Sean slargit encore et il ajouta :

    Sans compter que si tu as froid la nuit, je suis certain

    que Spike se fera un plaisir de...

    Jespre que tu ne comptes pas me jeter en pture

    cet homme, le coupa Madeline dun ton froid.

    Loin de moi cette ide ! se rcria Sean, souriant de

    plus belle. Il a besoin dun lit pour dormir, et toi aussi.

    Le reste vous regarde.

    Sean ! protesta Madeline. Je suis srieuse ! Je ne peux

    pas... Ne membarrasse pas, sil te plat.

    Sean marqua une pause, puis il sapprocha de la jeune

    femme et lui entoura les paules de son bras.

    Je suis dsol, mon chou, sexcusa-t-il. Je nen ai

    jamais eu lintention... Viens ici.

    Madeline se laissa aller contre la large poitrine de Sean

    et prit une profonde inspiration, le regard fix sur la

    porte par laquelle Spike venait de disparatre.

  • Spike est un type bien, murmura Sean. Jaimerais te

    voir avec un homme comme lui.

    Cest gentil. Mais au cas o tu ne laurais pas

    remarqu, il ma peine accord un regard. A

    lvidence, je ne lintresse pas du tout.

    Cela peut changer.

    Pas en ce qui me concerne, tu le sais bien.

    Sean jura entre ses dents.

    Ce nest pas parce que Amelia et ton ex-petit ami

    ont...

    Je ne veux pas parler de ma demi-sur et de ses

    coucheries !

    Veux-tu que je demande Spike de se chercher un

    autre logement ?

    Madeline secoua la tte.

    Non, murmura-t-elle. Cela ne me tuera pas de

    partager une chambre avec lui. Mais je ne serais pas trs

    surprise quil dcide de lui-mme daller passer la nuit

    ailleurs. A prsent, je crois que tu ferais mieux daller

    rejoindre tes invits.

  • Pourquoi ne viens-tu pas avec moi inspecter ce

    dlicieux buffet ?

    Je nai pas faim, merci. Mais vas-y, toi.

    Sean parti, Madeline resta seule dans son coin durant

    tout le reste de la soire. Et elle observa Spike.

    Lors de leur premire rencontre, au lac Saranac, elle

    avait vu en lui un homme tranquille et peu loquace, mais

    aujourdhui, il tait visiblement la coqueluche de la

    soire, et un cercle dinvits stait rassembl autour de

    Sean et de lui.

    La plupart taient des femmes.

    Rien dtonnant cela, au fond. Sean avait toujours t

    un redoutable don Juan, et Spike, visiblement, partageait

    son got pour la sduction.

    Lassemble de ses admiratrices clata soudain de rire

    lune de ses plaisanteries, et Madeline secoua la tte. Elle

    stait bien trompe sur son compte. Spike tait un

    charmeur.

    Il paraissait aussi trs sr de lui. Toute llite de la ville

    tait prsente cette soire, mais, lvidence, le statut

    social de ses interlocuteurs ne limpressionnait gure. Il

  • souriait, serrait des mains, et bavardait familirement

    avec tout un chacun. Il ny avait aucune trace de servilit

    dans son attitude, mais, au contraire, une sorte

    dassurance tranquille qui semblait charmer tout son

    entourage.

    Deux femmes en particulier le couvaient de leurs

    attentions. Blondes et aristocratiques, elles taient toutes

    deux trs jolies. Lune delles avait dj pos sa main sur

    son paule, et la seconde tait pratiquement assise sur

    ses genoux.

    Madeline ravala son irritation. Elle navait aucun droit

    dtre jalouse.

    Tout coup, Spike se mit rire gorge dploye. Puis il

    balaya la pice du regard et la surprit en train de le fixer.

    Son rire se figea aussitt sur ses lvres. Mais il se reprit

    bien vite. La pimbche blonde assise prs de lui lui

    tapota lpaule, et il se retourna vers elle en souriant de

    plus belle, comme si rien ne stait pass.

    Ctait lhistoire de sa vie, songea tristement Madeline.

    Les hommes ne la remarquaient que lorsquelle leur

    accordait une attention quils ne dsiraient pas.

  • Spike avait t extrmement surpris de sapercevoir que

    Madeline le fixait ainsi, et il avait failli en perdre le fil de

    son rcit. Il ntait parvenu terminer lhistoire quil

    racontait que parce quil lavait rpte tant de fois quil

    la connaissait par cur.

    Madeline devait le prendre pour un poseur, songea-t-il,

    irrit contre lui-mme. Les gens rassembls autour de lui

    clatrent de rire la fin de son histoire, et il se dit que la

    jeune femme avait probablement raison.

    Elle, au contraire, restait lcart de la foule, lointaine et

    mystrieuse. Elle se tenait immobile prs des grandes

    baies vitres, belle et distante comme une prcieuse

    uvre dart. Devant ce silence de reine, Spike se sentait

    grossier et indigne de poser mme un simple regard sur

    elle.

    Pourtant, les hommes prsents cette soire semblaient

    lviter. Ils ladmiraient de loin, certes, mais aucun deux

    nosait lapprocher. Spike avait surpris leurs regards

    valuateurs poss sur elle, et il devinait exactement les

    fantasmes qui enflammaient leur imagination.

    Pour la bonne raison... quil entretenait les mmes.

  • Ctait comme si Madeline Maguire venait dun univers

    diffrent du leur, comme si locan lui avait confr une

    exprience que les simples terriens quils taient ne

    pourraient jamais partager. Sa beaut avait quelque

    chose de presque menaant. Dinaccessible. Sa stature

    dathlte, ses yeux brillant dintelligence rduisaient les

    autres femmes prsentes au rang de simples figurantes.

    Spike sentit quon lui tapotait lpaule. Lune des deux

    jeunes femmes blondes qui ne lavaient pas quitt dune

    semelle toute la soire semblait due quil se soit retir

    dans son monde intrieur, et se rappelait son attention.

    Spike lui offrit un sourire absent, et la jeune femme,

    prenant cela pour un encouragement, reprit son

    babillage de plus belle.

    Une heure plus tard, alors que la soire touchait sa

    fin, il reconduisit ses deux admiratrices jusqu la porte,

    dclinant leur offre de les raccompagner pour boire un

    dernier verre. Ce soir, il ntait pas dhumeur

    encourager les avances de jeunes femmes riches et

    oisives en mal daventures sans lendemain. Il avait dj

    tent lexprience par le pass, et nen avait retir aucune

    satisfaction.

  • Dailleurs, il ntait pas la recherche dune relation. Il

    avait renonc cette ide depuis longtemps. Lorsquune

    femme apprenait ce quil avait fait et o il tait all, elle

    disparaissait invariablement de sa vie dans les deux

    jours qui suivaient ses rvlations. Comme il refusait de

    mentir, ne serait-ce que par omission, il tait condamn

    nesprer que des liaisons phmres.

    Et cela lui convenait trs bien. Il tait un survivant par

    nature, et il savait parfaitement que lorsquon ne pouvait

    pas changer une situation, il fallait savoir sy adapter.

    Spike referma la porte derrire les deux jeunes femmes

    et prit une profonde inspiration. A prsent, un agrable

    silence rgnait dans lappartement.

    Cest alors quil ralisa que Madeline tait partie, et

    quil navait pas eu loccasion de lui dire au revoir.

    Ctait peut-tre mieux ainsi. En rgle gnrale, il

    entretenait dexcellents rapports avec les femmes, et il

    savait les charmer lorsquil voulait sen donner la peine.

    Mais avec Madeline Maguire, il ntait pas question de

    se cantonner dans les mondanits habituelles.

  • Avec elle, il sentait quil courait un grand risque de

    tomber irrmdiablement amoureux. Et o cela le

    conduirait-il ?

    Sean sortit de la cuisine, la cravate desserre, la chemise

    dboutonne au col. Il portait une tasse de caf dans

    chaque main.

    Jai pens que tu aurais besoin dun petit coup de

    fouet, toi aussi, marmonna-t-il.

    Spike accepta la tasse quil lui tendait avec plaisir, et ils

    passrent dans le salon.

    Je crois quAlex et Cass ont pass une excellente

    soire, ft remarquer Spike. Quen penses-tu ?

    Toi, en tout cas, tu avais lair de bien tamuser,

    grogna Sean. Les surs Livingston navaient dyeux que

    pour toi.

    Jai remarqu, oui.

    Dommage que tu aies pass tant de temps avec elles.

    Que veux-tu dire ?

    Il y avait dautres femmes cette fichue soire,

    grommela Sean, visiblement irrit.

  • Spike frona les sourcils. Il allait demander son ami

    quelle mouche le piquait et le mettait dans un tel tat de

    mauvaise humeur lorsquil entendit un bruit de pas

    derrire lui. Un retardataire ?

    Madeline apparut sur le seuil, telle une vision de rve.

    Sa longue chevelure sombre, paisse et brillante,

    cascadait sur ses paules comme si elle venait tout juste

    de la brosser. Et elle stait change ; la place de

    llgante robe quelle avait porte la soire, elle ntait

    prsent vtue que dun caleon dhomme et dun petit

    haut sans manches. Les deux vtements ne se

    rejoignaient pas tout fait, exposant un ventre

    parfaitement plat et un nombril adorable.

    Spike se tortilla dans son fauteuil.

    Sean esquissa un sourire.

    Ah, te voil, Mad ! lana-t-il, retrouvant soudain

    toute sa bonne humeur. Il y a du caf dans la cuisine.

    Merci.

    Comme elle ressortait de la pice, Spike ne put

    sempcher de la suivre des yeux, de noter le doux

    balancement de ses hanches, ses longues jambes galbes.

  • Puis, tout coup, la vrit le frappa comme un coup de

    poing au plexus.

    Sean ? Madeline dort-elle ici, ce soir ?

    Oui.

    Spike posa vivement sa tasse et se leva.

    Eh ! O crois-tu aller, mon vieux ? protesta Sean.

    Je ferais mieux de filer.

    Il ntait pas question de dormir dans cet appartement

    pendant que Madeline et Sean feraient lamour dans la

    chambre voisine. Le simple fait de les imaginer ensemble

    lui donnait la nause.

    Assieds-toi, Spike.

    Non. Vous avez besoin dintimit. Je vous verrai une

    autre fois.

    Spike, vas-tu tasseoir, la fin ? Madeline et moi

    navons pas ce genre de relation. Dtends-toi, daccord ?

    Spike frona les sourcils. Son ami OBanyon avait-il

    devin lattirance quil ressentait pour la jeune femme ?

  • Sans aucun doute. Sean tait un homme perspicace, et

    son il avis ne manquait aucun dtail. En temps

    normal, cela faisait partie des qualits que Spike

    apprciait chez lui. Mais pas ce soir.

    Il se laissa retomber sur le divan. Puis une autre ide se

    fit jour dans son esprit. Lappartement ne comportait

    quune seule chambre damis. Il tta les coussins,

    simaginant dj en train de passer la nuit l o il tait,

    mais Sean lui lana un regard dsapprobateur.

    Ny pense mme pas, mon vieux, dclara-t-il, un

    sourire narquois aux lvres.

    De quoi diable parles-tu ?

    Pas question de dormir sur le sofa. Il y a deux

    excellents lits dans la chambre damis, et vous allez les

    utiliser. Madeline ma dj assur quelle ny voyait

    aucun inconvnient.

    Madeline Maguire et lui dans la mme chambre ? Seuls

    durant six ou sept heures ?

    Il en mourrait.

  • Pourquoi as-tu pass toute la soire avec les surs

    Livingston ? voulut savoir Sean, le considrant

    attentivement par-dessus le bord de sa tasse.

    Ctait la voie de la facilit, marmonna Spike avec un

    haussement dpaules. Pourquoi cela tintresse-t-il ?

    Tu aurais d passer plus de temps avec Mad.

    Spike dvisagea son ami dun air souponneux.

    Serais-tu en train de jouer les entremetteurs, par

    hasard ?

    On ne peut rien te cacher. Et je pense que le moins

    que tu puisses faire, cest de te conduire comme un

    gentleman et de lembrasser ds que les lumires seront

    teintes.

    Spike, qui buvait une nouvelle gorge de caf, faillit

    strangler.

    Mais qu'..

    Il est vident quelle te plat, le coupa tranquillement

    Sean.

    Et quoi vois-tu cela ? Je ne lui ai pas dit deux mots

    de toute la soire.

  • Justement. Mad tait la seule femme avec qui tu ne te

    sentais pas laise. Ma vieille exprience me dit que cest

    la preuve quelle ne te laisse pas indiffrent.

    Tu es malade du cerveau, Sean.

    Peut-tre, mais jai raison. Non ? Mad te plat.

    Cette conversation me donne limpression dtre

    retourn au cours lmentaire, rtorqua Spike, levant les

    yeux au ciel.

    Sean se pencha vers lui avec des airs de conspirateur et

    dit, baissant la voix :

    Et encore, tu ne sais pas le meilleur. Je sais de source

    sre... que tu lui plais aussi.

    Et cest sans doute pour cela quelle ne ma pas

    adress la parole, ironisa Spike. Sean, mon vieux, tu

    devrais rester dans ton domaine, la finance. Comme

    travailleur social, tu es nul.

    Non, je tassure, elle...

    A cet instant, la jeune femme rapparut, une tasse

    fumante la main.

  • Sean posa sa tasse et se leva en stirant

    paresseusement.

    Cest lheure o mon carrosse se transforme en

    citrouille, annona-t-il dune voix tranquille. Bonne nuit,

    vous deux.

    Spike le fusilla du regard, mais Sean ne sembla pas sen

    apercevoir et quitta la pice dun pas nonchalant.

    Madeline et Spike taient seuls prsent.

    La jeune femme traversa la pice sans le regarder et alla

    contempler les lumires de la ville.

    Le silence stira entre eux, pesant, interminable. Au

    bout dun moment, Spike ny tint plus.

    Je ne veux pas envahir votre intimit, dit-il dune

    voix douce. Je peux trs bien dormir sur le sofa.

    Si vous y tenez, rpondit-elle, haussant les paules.

    Mais je partage quotidiennement la cabine dun voilier

    avec douze hommes. Vous aurez beau ronfler, cela ne

    mimpressionnera gure. Je peux dormir dans un

    ouragan.

  • Qui parlait de ronfler ? Elle avait la taille si fine... Spike

    aurait tout donn pour parcourir cette douce courbe de

    ses lvres, pour caresser son ventre plat...

    Spike ?

    Oui ? fit-il, revenant brusquement la ralit.

    Puis-je vous poser une question ?

    Oui, allez-y.

    Vos yeux, dit-elle dun ton hsitant. Est-ce leur

    vritable couleur, ou bien portez-vous des lentilles ?

    Spike dtourna le regard, vex. Il savait que ses iris

    avaient une teinte peu commune, mais ils taient ainsi

    depuis sa naissance, et la plupart des femmes semblaient

    apprcier cette originalit. Madeline tait la premire

    suggrer quil pouvait sagir dune coquetterie de sa

    part.

    Ce qui en disait long sur ce quelle pensait de lui.

    Soudain, il se prit souhaiter que ses yeux aient t

    comme ceux de Monsieur Tout-le-monde, marron, verts

    ou bleus. Irrit contre lui-mme, il se leva brusquement.

  • Je vais aller prendre une douche. Ensuite, jirai

    dormir.

    Spike... je ne voulais pas...

    Oui ?

    Je ne voulais pas vous offenser. Cest seulement que

    je nai jamais vu des yeux de la couleur des vtres.

    Il haussa les paules.

    Je sais quils sont bizarres, mais que voulez-vous ? Je

    ny peux rien. Bonne nuit, Madeline.

    Il alla poser sa tasse dans lvier de la cuisine, puis

    sloigna dans le couloir en direction de la chambre

    damis. En entrant, il sattendait trouver les affaires de

    Madeline parpilles un peu partout, mais la pice tait

    parfaitement range. Pas de brosses ou de flacons de

    parfum en vidence, aucun vtement abandonn sur le

    lit, dans le fauteuil ou sur le bureau. Uniquement un

    grand sac noir pos au pied du lit de gauche.

    Le got de lordre typique des marins , songea-t-il se

    demandant, lespace dun instant, ce que devait tre la

    vie de la jeune femme.

  • Il prit une douche rapide, trouva une brosse dents

    neuve dans un tiroir et se brossa longuement les. dents.

    Il navait pas envie de remettre les vtements quil avait

    ports toute la journe, mais il avait laiss ses affaires

    dans sa voiture.

    Et il ntait pas question de ressortir nu de la salle de

    bains.

    Il entendait Madeline aller et venir dans la chambre

    damis, de lautre ct de la porte. Elle sapprtait sans

    doute se mettre au lit.

    Il limagina, inclinant son corps mince et souple pour

    tirer les couvertures, glissant ses longues jambes entre

    les draps frais... Ses longs cheveux sombres aux reflets

    auburn tals sur loreiller...

    Jurant entre ses dents, il se rina la bouche et enfila son

    caleon et sa chemise. Il fut un instant tent de remettre

    son pantalon mais finit par le plier et le poser sur le bord

    de la baignoire. Puis il ouvrit la porte.

    Il sattendait trouver Madeline couche dans lun des

    lits avec un livre, dtendue et ravissante.

  • Au lieu de cela, il trouva la chambre plonge dans

    lobscurit la plus totale. Dans la faible lumire

    provenant de la salle de bains, il vit la jeune femme

    allonge en chien de fusil, les couvertures remontes

    jusquau menton. Mais ses merveilleux cheveux taient

    bien tals sur loreiller comme une aurole autour de sa

    tte...

    Spike la considra un instant en silence, imaginant la

    douceur de ces boucles soyeuses imprgnes de la

    fragrance florale du shampooing quil avait senti dans la

    douche.

    Et, pour la premire fois depuis que sa vie avait

    bascul, douze ans auparavant, il regretta sincrement la

    normalit quil avait perdue et quil ne retrouverait

    jamais plus.

    Il se remmora son unique tentative dtablir une

    relation avec une femme, deux ans aprs tre retourn

    dans la vraie vie. Tout allait bien entre eux jusqu ce

    quil dcide, un beau jour, de lui raconter la vrit sur

    son pass. Elle avait bien ragi sur le coup, et il avait

    espr que son aveu les rapprocherait.

    Puis elle navait plus rpondu ses messages.

  • Il avait compris, et lavait laisse partir.

    Depuis lors, il avait pris ses distances avec les femmes,

    sans toutefois senfermer dans un clibat total. Lorsquil

    lui arrivait davoir besoin de compagnie, il passait la nuit

    avec une amie de rencontre. Et cette vie lui convenait

    parfaitement.

    Mais Madeline Maguire ntait pas une femme de ce

    genre. Elle tait unique. Elle tait belle et intelligente, et

    lhritire dune immense fortune familiale. Mme si elle

    lavait trouv attirant ce qui, lvidence, ntait pas

    le cas , il ny avait aucune chance quune femme

    comme elle dsire tablir des liens srieux avec un

    homme comme lui.

    Un ex-taulard.

    Il se dirigea sans bruit vers le lit de droite et se glissa

    entre les draps. Dordinaire, il dormait nu, et sa chemise

    le gnait. Il seffora de ne pas imaginer les mains douces

    de Madeline sur sa peau, et ny russit

    quimparfaitement. Il arrangea ses oreillers, se tourna

    dun ct puis de lautre, et attendit. Malgr sa fatigue, il

    lui fut impossible de trouver le sommeil.

  • Dix minutes plus tard, il se redressa brusquement dans

    son lit, dboutonna sa chemise et la jeta sur le sol dun

    geste rageur. Alors quil se rallongeait, il entendit un

    petit rire touff dans lautre lit.

    Etait-ce votre chemise ou votre caleon ? Peut-tre

    les deux ?

    Spike se figea. Depuis combien de temps lobservait-

    elle?

    Je croyais que vous pouviez dormir dans un

    ouragan, grogna-t-il.

    Je suppose que je me suis trompe, rpondit-elle

    aprs un instant de silence.

    Il lentendit soupirer doucement et enfoncer sa tte

    dans les oreillers, et ce soupir le brla jusquau fond de

    lme. Il ferma les yeux et essaya de se dtendre. Mais le

    sommeil le fuyait toujours.

    Spike ?

    Il ouvrit brusquement les yeux.

    Oui?

  • Je ne pense pas que vos yeux soient bizarres, dit-elle

    dune voix douce. Ils sont de la couleur du soleil sur la

    houle au petit matin, et ils ont cette mme qualit

    hypnotique.

    Spike ne sut que dire. Il brlait de lui rpondre que si

    elle dsirait tre hypnotise, il tait son homme, mais il

    sen abstint prudemment.

    Merci, rpondit-il simplement, tournant la tte vers

    elle. Je les tiens de mon pre. En tout cas, cest ce que ma

    mre prtendait.

    Il entendit Madeline rouler sur le ct et se tourner vers

    lui.

    De quelle nationalit tait votre pre ?

    Je nen sais rien. Je ne lai pas connu, et ma mre ne

    parlait presque jamais de lui. Probablement un

    Europen.

    Pardonnez-moi, je suis indiscrte.

    Non, ne vous inquitez pas. Daprs ma mre, il nest

    pas rest trs longtemps, mais elle na jamais plus aim

    un autre homme comme elle lavait aim. Aprs ma

    naissance, elle a pous un chic type avec qui elle a refait

  • sa vie et qui lui a donn un second enfant, ma demi-

    sur Jaynie.

    Avez-vous jamais tent de retrouver votre pre

    biologique ?

    Je ne saurais pas par o commencer, et puis ma vie

    me convient trs bien ainsi. Dailleurs, ma mre a habit

    la mme ville toute sa vie. Si ce type avait souhait nous

    retrouver, elle et moi, il aurait pu le faire facilement.

    Quelque peu gn, il se tut. Depuis combien de temps

    navait-il pas voqu sa famille devant un inconnu ?

    Il se dtourna de Madeline et sallongea sur le ventre.

    Leur conversation sarrta l.

    Mais il fallut des heures Spike pour sendormir.

  • 3.

    La premire chose que fit Madeline en se rveillant vers

    6 h 30, ce fut de tourner la tte pour jeter un coup dil

    vers le lit voisin.

    Et elle cessa de respirer.

    Spike tait couch sur le ventre et, dans son sommeil,

    ses couvertures avaient gliss jusquau sol. Il ntait plus

    couvert que du drap enroul autour de ses jambes.

    Elle eut enfin loccasion dadmirer ses tatouages.

    Il en avait deux sur son large dos muscl ; un seul, en

    fait, mais divis en deux parties symtriques, remontant

    le long de la colonne vertbrale avant de se sparer la

    hauteur des omoplates pour faire le tour du cou.

    Ctait une ralisation trs artistique, et leffet produit

    tait dun rotisme saisissant. Ces lignes sombres sur sa

    peau lisse donnaient la jeune femme envie de suivre

    chaque courbe du bout du doigt, dy laisser glisser ses

    lvres...

  • En ralit, elle avait envie dexplorer tout ce corps qui

    soffrait elle sans pudeur aucune.

    A lvidence, Spike sastreignait un entranement

    physique rgulier. Ses larges paules taient tout en

    muscles saillants, tout comme le bras quil avait repli

    au-dessus de sa tte. Une veine bleue bien visible courait

    sur son biceps parfaitement dessin, que la jeune femme

    ne pouvait quitter des yeux, fascine.

    Tout coup, Spike gmit dans son sommeil et changea

    de position.

    Craignant dtre surprise lobserver ainsi, Madeline se

    prpara se retourner et faire semblant de dormir.

    Mais il poussa seulement un soupir et sembla se

    dtendre de nouveau.

    A cet instant, Madeline aurait tout donn pour oser

    traverser lespace infime entre leurs deux lits et aller

    sallonger tout contre lui. Peut-tre le rveiller en

    dposant une pluie de baisers sur son cou ?

    Et aprs ?

    Elle tait vierge, et ne savait rien, ou presque, de ce qui

    se jouait entre deux corps qui se tendaient vers un plaisir

  • partag. Un homme comme lui ne sintresserait jamais

    une femme sans aucune exprience comme elle.

    Spike gmit de nouveau dans son sommeil, et il

    sallongea sur le dos, les bras en croix. Madeline eut

    alors tout le loisir dadmirer sa large poitrine, son ventre

    plat ; pas un gramme de graisse inutile sur son corps

    vigoureux et parfaitement entretenu.

    Elle regrettait son manque dexprience, mais, dans sa

    vie, elle navait connu que deux hommes avec qui elle

    aurait pu devenir aussi intime. Elle avait rencontr le

    premier luniversit, et le second durant lt o elle

    avait fait ses dbuts dans le circuit des rgates

    professionnelles. En chacune de ces occasions, elle avait

    cru aimer et tre aime en retour. Mais au bout du

    compte, lun et lautre lui avaient prfr sa demi-sur.

    Comment les blmer, dailleurs ?

    Peu de temps aprs avoir surpris le second de ses

    prtendants dans le lit dAmelia, elle avait dcid de

    mettre sa vie sentimentale entre parenthses. De toute

    faon, si elle souhaitait tre respecte dans son mtier,

    elle ne pouvait pas se permettre de flirter avec les marins

    de son quipage, ni ceux des quipages concurrents. Et,

  • plus important encore, elle refusait absolument de

    souffrir une nouvelle fois.

    Et sa vie avait continu. Deux annes avaient pass. Et

    elle navait jamais encore fait lamour.

    Cela ne lui tait jamais apparu comme une tare.

    Jusqu cet instant.

    Spike sagita de nouveau dans son sommeil, ondulant

    lentement des hanches, et le drap glissa encore,

    dcouvrant sa nudit.

    Seigneur ! Il avait une...

    Il tait facile de savoir quoi il rvait.

    Il renversa la tte en arrire et murmura quelques mots

    incomprhensibles.

    Madeline ne put sempcher de le boire des yeux,

    admirant sa beaut masculine, et, le temps dun instant,

    elle regretta de navoir pas assez daudace pour le

    rveiller par les caresses sensuelles dont il ne faisait que

    rver. La prendrait-il dans ses bras ? Probablement. Tout

    au moins jusquau moment o il sapercevrait quelle

    ntait pas la femme de son rve.

  • A qui rvait-il cet instant ?

    Soudain il ouvrit les yeux et la fixa. Ses iris dors, sous

    les longs cils noirs, semblaient rayonner dun intense feu

    intrieur, donnant son regard limpression dtre un

    papillon happ par une flamme.

    Je... je suis dsole, bredouilla-t-elle en reculant

    vivement, le cur battant.

    Le son de sa voix sembla le plonger dans un abme de

    perplexit, et elle le vit froncer les sourcils, puis secouer

    lentement la tte. Il marmonna quelques mots

    indistincts, referma les yeux et roula sur le ct, lui

    tournant le dos.

    Elle sortit de la chambre sans perdre une seconde, prit

    une douche rapide, puis descendit dans la cuisine,

    constatant avec soulagement que Sean ntait pas encore

    lev. Son cerveau ne fonctionnait pas encore trs bien, et

    elle navait aucune envie dentamer une conversation

    pour le moment.

    Elle commenait prparer le caf lorsquelle entendit

    un billement derrire elle.

    Bonjour, Mad. Bien dormi ?

  • Sean entra dans la cuisine, uniquement vtu dun

    caleon et dun T-shirt dune quipe de football de la

    Nouvelle-Angleterre. Ses cheveux sombres taient tout

    en dsordre, et une ombre de barbe obscurcissait ses

    joues. Il avait davantage lair dun jeune tudiant de

    vingt ans que du poids lourd de la finance de trente-cinq

    ans quil tait vraiment.

    Madeline dtourna la tte, craignant quil ne remarque

    ses joues un peu trop rouges.

    Trs bien, oui.

    Spike ne ta pas trop empche de dormir ?

    Non, et ne commence pas, daccord ?

    Sean hocha la tte en silence, comprenant quelle ntait

    pas dhumeur jouer.

    Quy a-t-il pour le petit djeuner ? senquit-elle. As-

    tu des fruits frais quelque part ?

    Je nen suis pas sr, avoua-t-il. Je ne prends jamais

    mes repas la maison. Mais le traiteur a travaill tout

    laprs-midi dans ma cuisine, hier aprs-midi, et il doit

    bien rester quelque chose.

  • Le rfrigrateur tait plein craquer de victuailles de

    toutes sortes prpares la veille. Devant une telle

    profusion, il tait presque impossible de choisir.

    Jai une meilleure ide, dclara Sean. Ne bouge pas

    dici. Je reviens dans une seconde.

    Il quitta rapidement la cuisine, pour rapparatre

    quelques instants plus tard, un sourire satisfait aux

    lvres.

    La solution arrive, annona-t-il.

    As-tu command notre petit djeuner au restaurant

    du coin ?

    Mieux que cela. Jai retenu les services du meilleur

    chef de la rgion. Un de nos plus grands spcialistes de

    la cuisine franaise.

    Et o est-il ce grand homme ?

    Juste derrire vous, rpondit Spike.

    Madeline se retourna brusquement et ne put

    sempcher de le dtailler de la tte aux pieds. Il tait

    ras de frais et habill, mais elle le revoyait encore

    endormi sur les draps froisss... Son torse puissant, son

  • ventre aux muscles parfaitement dfinis, ses bras

    vigoureux...

    Elle sentit quelle rougissait imperceptiblement.

    Il tait grand temps de dire quelque chose.

    Le fameux chef... cest vous ?

    Spike la contempla une seconde en silence, puis,

    esquissant un mince sourire, il alla ouvrir le

    rfrigrateur.

    Vous mimaginiez plutt dans la restauration rapide,

    nest-ce pas ? lana-t-il.

    Non, je...

    Jcoute, Sean, la coupa-t-il. Que veux-tu que je

    prpare ?

    Madeline se maudit de sa maladresse. Elle lavait

    offens, ctait clair. Pourtant, ce ntait pas son

    intention. Elle avait t seulement surprise quun

    homme comme lui ait choisi une profession fonde sur la

    tradition et le respect des rgles.

    Mais Sean rpondit son ami avant quelle ait eu le

    temps de lui faire ses excuses :

  • Surprends-moi, mon vieux. Je men remets tes

    talents magiques. Entre-temps, Mad et moi devons

    parler. Je prends lavion tout lheure pour un sjour au

    Japon, et ce petit entretien ne peut plus attendre.

    Sean..., tenta de rsister Madeline.

    Plus dexcuse. Viens, allons dans la pice ct. Ne

    perdons pas de temps.

    Madeline jeta un coup dil Spike qui lui rendit

    tranquillement son regard.

    Ne vous inquitez pas, je ne vais pas mettre le feu

    la maison, mme si vous ntes plus l pour me

    surveiller, ironisa-t-il.

    Je ne voulais pas vous offenser, tout lheure.

    Nen parlons plus, laissa-t-il tomber schement.

    La jeune femme renona sexpliquer, et suivit Sean

    dans le salon.

    Sean ne perdit pas de temps en vains prambules.

    Mad, tu dois aller parler ton frre, dclara-t-il dun

    ton bref. Et tu dois le faire avant de repartir en mer.

  • Madeline sentit son cur se serrer. Allaient-ils encore

    reparler de cela ?

    Mad?

    Mon demi-frre, corrigea-t-elle. Richard nest que

    mon demi-frre.

    Sean saffala sur le sofa et lui fit signe de venir sasseoir

    prs de lui.

    Ecoute-moi attentivement, ma belle. Je ne te parle

    pas seulement en tant quami. Considre ce que je

    mapprte te dire comme un conseil professionnel. Va

    le voir. Tout de suite.

    Pourquoi ? Tout ce qui lintresse, ce sont mes parts

    dans la socit. Et il a dj une procuration pour voter

    ma place.

    A eux trois, Richard, Amelia et elle dtenaient la

    majorit des actions de la socit Value Shop, une chane

    de supermarchs couvrant tout le territoire national. Les

    actifs de ladite socit reprsentaient une somme

    absurde, et Madeline prfrait ne pas trop y rflchir. De

    telles sommes navaient aucun sens pour elle.

  • Mad, insista Sean dune voix douce, le mandat de

    Richard prend fin dans une semaine et demie, et tu ne

    seras plus tenue de le laisser dcider ta place. Tu vas

    avoir vingt-cinq ans et, selon les stipulations du

    testament de ton pre, cest lge auquel tu es en droit

    dassumer le contrle de tes parts, condition que tu

    prennes certaines mesures spcifiques pour ty prparer.

    Faute de quoi, les dispositions actuelles resteront en

    vigueur. Richard votera ta place pour toutes les

    dcisions du conseil dadministration, et ce durant cinq

    annes supplmentaires.

    Madeline frona les sourcils. Cela faisait des annes

    quelle navait plus song ses parts dans la socit.

    Jusqu ce jour, seules comptaient ses courses au large.

    Pourquoi as-tu lair aussi tendu ? demanda-t-elle,

    dvisageant Sean plus attentivement.

    Pour te parler franchement, du point de vue de

    lthique professionnelle, je suis en terrain dlicat en te

    parlant ainsi.

    Mais tu es un banquier daffaires, lui rappela-t-elle.

    Cest ton travail de nous conseiller sur nos

    investissements.

  • Je suis le banquier de la socit, corrigea Sean, et

    lactionnaire principal de ladite socit, ton demi-frre,

    pourrait facilement en conclure que jaffaiblis sa position

    en te conseillant de prendre le contrle de tes parts.

    Je suis contente que tu maies rappele mes

    responsabilits, mais je ne voudrais pas que tu aies de

    problmes avec Richard. Il sera furieux dapprendre

    quil ne disposera plus de ma procuration, dsormais.

    Tu es de taille lui tenir tte, jen suis convaincu.

    Madeline nen tait pas tout fait aussi sre, mais elle

    se rjouissait que Sean ait voqu les dispositions

    particulires du testament de son pre. Sauf quelle

    ignorait totalement ce quelle allait bien pouvoir faire

    ce sujet.

    Mad, je voudrais que tu ailles voir un de mes amis

    qui est un excellent avocat. Il sappelle Mick Rhodes. Je

    lui ai expliqu la situation et il attend ton feu vert pour

    entreprendre toutes les dmarches ncessaires. Ceci fait,

    tu pourras te prsenter devant Richard, lesprit

    tranquille. Je sais que ton demi-frre compte passer

    quelques jours la proprit de Greenwich. Arrange-toi

    pour le rencontrer l-bas plutt qu son bureau, et ne te

  • fais pas accompagner de Mick Rhodes, ce jour-l.

    Richard verrait la prsence de ton avocat comme une

    provocation. Le mieux, cest de lapprocher comme une

    gentille petite sur. Puis, le jour de ton vingt-cinquime

    anniversaire, 9 heures prcises, Mick fera enregistrer

    les documents, et tout sera termin.

    Mais est-il vraiment ncessaire que je rencontre

    Richard ? Pourquoi ne pas laisser les avocats rgler toute

    laffaire entre eux ?

    Tu vas devoir affronter Richard un moment ou un

    autre. Pourquoi attendre ? Et ne tinquite pas, jai

    entendu dire quAmelia se prlassait quelque part dans

    les les jusqu la mi-juin. Elle ne sera pas prsente

    Greenwich.

    Limage de son demi-frre simposa brusquement dans

    la conscience de Madeline. Brillant, raffin, froid,

    ddaigneux. Et lide mme de le revoir lui donna

    presque la nause.

    Dun point de vue lgal, il ne peut pas sopposer ce

    que je prenne possession de mes parts, nest-ce pas ?

    voulut-elle savoir.

  • Je ne le pense pas. Mais il entamera probablement

    une procdure pour bloquer la dcision, en avanant le

    fait que tu nes pas comptente pour grer tes parts.

    Ctait plus que probable, songea Madeline. Richard

    dtestait perdre, et il navait jamais t trs regardant sur

    les moyens, pourvu quil remporte la victoire.

    Mais ne te fais aucun souci ce sujet, Mad. Mick

    saura rgler le problme. Tu peux lui faire confiance.

    Daccord, soupira-t-elle. Jirai voir ton avocat.

    Tout ira bien, tu verras, lui promit Sean en la serrant

    affectueusement dans ses bras. Mick est le meilleur. Il

    dvorera ton frre tout cru sil fait le mchant.

    Mon demi-frre, corrigea-t-elle en grimaant.

    Lorsquils retournrent dans la cuisine, Spike saffairait

    devant les fourneaux, et de dlicieux armes

    schappaient des diverses casseroles. Il ne se retourna

    pas lorsquils allrent sasseoir, mais, quelques minutes

    plus tard, deux assiettes apparurent sur la table, avec des

    omelettes parfaites.

  • Voil ce que jappelle un petit djeuner ! sexclama

    Sean, retrouvant son accent de Boston comme chaque

    fois quil tait en colre ou particulirement satisfait.

    Merci Spike, ajouta Madeline, en lui lanant un coup

    dil furtif.

    Spike se contenta de hocher la tte et concentra de

    nouveau son attention sur les fourneaux pour prparer

    sa propre omelette. Lorsquil sassit enfin table avec

    eux,

    Sean avait dj termin, et Madeline sefforait de ne

    pas manger trop vite.

    Ctait la meilleure omelette que jaie jamais

    dguste, affirma Sean, sessuyant les lvres avec une

    serviette blanche damasse. Si tu tais une femme, Spike,

    je tpouserais sur-le-champ.

    Et encore, tu nas pas encore got mon gigot

    dagneau la menthe.

    Les deux amis commencrent bavarder, et leurs voix

    graves devinrent un agrable bourdonnement de fond

    alors que Madeline se replongeait dans ses propres

    penses.

  • Elle ntait pas certaine dtre de force rsister

    Richard. Son demi-frre avait toujours eu le don de la

    faire se sentir misrable et toute petite. Ctait sa faute,

    bien sr, car elle ne savait pas se dfendre contre lui. En

    prsence de Richard, elle avait toujours limpression

    davoir cinq ans et dtre redevenue son souffre-douleur,

    comme au temps de leur enfance.

    Le temps tait peut-tre venu de tuer le dragon, songea-

    t-elle. Elle tait une adulte aujourdhui, une

    professionnelle respecte dans son mtier. Et ces parts de

    la socit taient le seul cadeau que son pre lui avait

    jamais fait. Mme si Richard avait t le meilleur des

    frres, le temps tait venu dassumer la responsabilit de

    ses propres affaires.

    Sean, tu ne peux pas maccompagner Greenwich,

    nest-ce pas ? demanda-t-elle tout coup.

    La conversation des deux hommes cessa brusquement.

    Non, rpondit Sean. Je suis dsol, mais je crains que

    ce ne soit impossible.

    Madeline hocha la tte.

  • Je men doutais. Cest seulement que... mme sans

    cette affaire dhritage, un week-end entier avec mon

    demi-frre risque dtre une exprience prouvante.

    Ce quil te faudrait, cest une escorte arme.

    Tu as raison, rpondit-elle en riant. Un garde du

    corps grand et costaud.

    Pendant que Madeline et Sean changeaient des

    plaisanteries comme sils navaient pas un souci au

    monde, Spike dgustait son omelette et se laissait aller

    ses penses.

    Ce rve...

    Trs tt ce matin, il avait fait un rve

    extraordinairement raliste o Madeline jouait le

    premier rle. Ils taient dans les bras lun de lautre sur

    une plage de sable blanc, changeant des baisers et des

    caresses, puis ils avaient fait lamour, et la jeune femme

    stait avre la plus merveilleuse des amantes.

    Ce qui ne lavait pas rellement surpris.

    Alors quil tentait de se souvenir de tout ce quils

    avaient fait ensemble durant ces merveilleux moments, il

    eut limpression quon lobservait, et il leva les yeux.

  • Sean le dvisageait dun air songeur.

    Quy a-t-il ? demanda-t-il.

    Sean se tourna vers Madeline, semblant lencourager du

    regard.

    La jeune femme toussota pour sclaircir la voix.

    Euh... Spike, je... Accepteriez-vous de venir passer le

    week-end prochain avec moi dans notre maison

    familiale, Greenwich ? Mon demi-frre y reoit

    quelques amis, et il y aura un dner ou deux. Des

    rjouissances typiques de fin de semaine la campagne.

    Spike frona les sourcils. A lvidence, elle ntajt pas

    trs enthousiaste lide de retrouver sa famille.

    Pourquoi alors choisir dajouter son malaise en

    amenant un tranger avec elle ?

    Puis il se rappela brusquement la faon dont elle lavait

    regard lorsquelle avait appris quil tait un chef rput.

    Mais bien sr ! Quel meilleur moyen de rabattre le

    caquet sa famille snobinarde que de se prsenter chez

    eux en compagnie dune sorte de voyou tatou dans son

    genre ?

    Mais pourquoi cette ide lui faisait-elle aussi mal ?

  • Dsol, rpondit-il, mais ce nest pas ma tasse de th.

    Allons, Spike, intervint Sean, tu feras un cavalier

    parfait, mon vieux.

    Elle na pas besoin dun cavalier mais dun

    pouvantail, nest-ce pas, Madeline ?

    Ignorant le regard bless de la jeune femme, Spike se

    leva tranquillement pour aller poser son assiette dans

    lvier avant dajouter :

    Je dois avouer que jai le bon look pour le rle, mais

    je pense tout de mme quelle ferait mieux de se chercher

    un autre marginal pour choquer sa famille. Elle pourrait

    mme sen acheter un tout elle sil lui en prenait

    fantaisie. Elle a assez dargent pour cela. Il lui suffirait

    alors de le sortir du placard lorsquelle aurait besoin

    dun peu daction la maison.

    Il crut entendre un gmissement touff derrire lui

    mais nen tint pas compte et se dirigea tout droit vers la

    porte.

    Je te souhaite un bon voyage, Sean ! lana-t-il sans se

    retourner. Je tappellerai. Merci pour ton hospitalit.

  • Il avait travers le hall de limmeuble et venait de sortir

    sur le trottoir de Park Avenue lorsquil entendit

    quelquun crier son nom derrire lui. Il se retourna et vit

    Sean qui courait vers lui, pieds nus et visiblement

    furieux.

    Quest-ce qui ta pris, Moriarty ? gronda-t-il en le

    rejoignant. Pourquoi as-tu fait cela ? Mad ne mrite pas

    quon la traite ainsi !

    Parce que tu trouves normal quelle veuille se servir

    de moi ?

    Jexige que tu lui prsentes tes excuses.

    Pas de problme. Dis-lui que je suis dsol. A plus

    tard, Sean.

    Spike se retournait dj lorsquune main de fer vint se

    poser sur son avant-bras.

    Ecoute, Spike, elle na pas voulu...

    As-tu vu son expression lorsque tu lui as dit que

    jtais le meilleur chef de la rgion ? Il est vident quelle

    me considre comme un infrieur, socialement parlant.

    Et mme si cest vrai, je nai pas besoin que lon vienne

    me le rappeler.

  • Bon sang, pourquoi es-tu aussi susceptible en sa

    prsence ? Cela ne te ressemble gure, mon vieux.

    Spike prit une profonde inspiration et essaya de se

    dtendre. A prsent, une migraine sourde battait ses

    tempes.

    Ecoute, nen parlons plus, daccord ? reprit-il. Mais

    dis-lui que je suis dsol si je lai blesse.

    Je veux que tu laccompagnes l-bas.

    Spike secoua la tte.

    Excuse-moi, Sean, mais jai dit que je nirai pas, et

    jtais srieux.

    Mais tu serais parfait ! insista Sean. Et pas seulement

    pour faire enrager son demi-frre. Je sais que tu ne te

    laisses pas impressionner par toutes ces singeries

    mondaines, et tu ne te sentiras pas offens par tout ce

    que Richard Maguire pourra faire ou dire. Et surtout, si

    tu acceptais de laccompagner, Mad ne serait pas toute

    seule au milieu des fauves.

    Premirement, Madeline Maguire nest pas le genre

    de femme avoir besoin de troupes de choc pour se

    dfendre.

  • Avec sa famille, si.

    Deuximement, pourquoi ne demande-t-elle pas

    lun de ses amis de laccompagner ?

    Parce quelle nen a aucun.

    Spike ouvrait dj la bouche pour noncer sa troisime

    objection lorsquil comprit le sens des paroles de Sean.

    Quoi ?

    Sean carta les bras en un geste dimpuissance.

    Mad vit une existence trs... solitaire, et elle a de trs

    bonnes raisons de ne plus accorder sa confiance

    nimporte qui. Les seules personnes qui lui sont proches

    sont les membres de son quipage, et...

    Pourquoi ne demande-t-elle pas lun deux ?

    Ils sont coincs aux Bahamas, occups rparer des

    avaries sur leur voilier. Ecoute, cette rencontre avec son

    demi-frre risque dtre orageuse, et ta prsence serait

    rassurante pour Mad. Et... qui sait ? Quelque chose

    natra peut-tre entre vous.

    Hum.

    Tu lui plais. Elle me la dit elle-mme.

  • Spike fixa le trottoir, secouant la tte.

    Non, je...

    Sil te plat, Spike. Va avec elle.

    Je ne peux pas...

    Si tu ne le fais pas pour elle, fais-le au moins pour

    me rendre service. Seigneur, Spike ! Jai attendu des

    annes que cette femme pose les yeux sur un homme. Et

    cest toi quelle a remarqu. A la soire dhier, elle a

    pass des heures attendre ton arrive. Elle est

    vraiment...

    Arrte ! protesta Spike, prsent proche de la

    panique. Je ne...

    Toi aussi, elle te plat, je le sais.

    Spike poussa un soupir fendre lme.

    Tu as raison, mon vieux, elle me plat beaucoup,

    murmura-t-il, comme regret. Mad est... spciale.

    Jadorerais laccompagner, mais, mme si elle me

    trouvait attirant, ce que je refuse de croire malgr tout ce

    que tu pourrais en dire, je ne suis pas le genre dhomme

    quelle envisagerait de prsenter sa famille.

  • Ridicule ! rtorqua Sean. Nous ne nous connaissons

    pas depuis trs longtemps, mais tu es lun de mes

    meilleurs amis, et je me vante dtre un excellent juge

    des caractres. Et dailleurs, je te signale que cest aussi le

    cas de Madeline.

    Sean, coute-moi ! Je ne suis pas lhomme quil lui

    faut.

    Pourquoi ? Donne-moi une seule bonne raison. Et ne

    me parle pas de tes tatouages, car je tiens de source sre

    que les femmes les adorent.

    Comme tu dis, tu ne me connais pas depuis trs

    longtemps, fit remarquer Spike, soupirant de nouveau. II

    y a beaucoup de choses que tu ignores mon sujet. Jai

    un pass plutt charg, Sean OBanyon.

    Ah oui ? Et lequel ?

    Spike plongea son regard dans le sien et hsita avant de

    rpondre.

    Cinq ans et demi au pnitencier de Comstock pour

    homicide, laissa-t-il tomber. Jai tu un homme de mes

    propres mains.

  • Sean le dvisagea dun air incrdule, et Spike jura entre

    ses dents. Il tenait beaucoup lamiti de Sean, mais il ne

    pouvait pas minimiser la gravit du geste qui lavait

    conduit derrire les barreaux. Il avait pris la vie dun

    autre tre humain, mme sil sagissait dun odieux

    personnage.

    Cest une lourde peine, reprit Sean. Quel ge avais-tu

    lpoque ?

    Vingt-cinq ans.

    Referais-tu la mme chose ?

    Oui, si les circonstances taient les mmes.

    Il y eut un long silence, puis Sean demanda dune voix

    douce :

    Comment est-ce arriv ?

    Ce type tait en train de battre ma sur mort avec

    une batte de base-ball tout en hurlant quil laimait.

    Ctait elle ou lui, et jai prfr la sauver, elle.

    Je suis content que tu men aies parl, dclara Sean

    en se dtendant. Et pas seulement cause de Mad.

  • Comprends-tu prsent pourquoi je ne peux pas

    faire partie de sa vie ? Mme si elle voulait de moi ?

    Pas du tout, rpliqua Sean. Et je suis mme prt

    parier que si tu lui disais...

    Jai dj essay avec une femme. Elle ma quitt

    quelques jours aprs. La plupart dentre elles ne se

    sentent pas trs laise avec un tueur, et je ne peux pas

    leur en vouloir. Moi non plus je ne suis pas trs fier de ce

    que jai fait.

    Mad nest pas une femme comme les autres.

    Spike haussa les paules.

    Peut-tre. Mais je suis sr quelle peut trouver une

    escorte plus prsentable que moi pour la soutenir dans la

    petite escarmouche familiale quelle sapprte

    affronter.

    Je pense que tu la sous-estimes, observa Sean,

    secouant tristement la tte. Mais rassure-toi, je ne lui

    dirai rien.

    Sauf que je suis dsol.

    Oui, je peux lui dire au moins cela.

  • Il y eut un nouveau long silence entre eux.

    Spike sentait que son ami scrutait attentivement son

    visage, rflchissant sans doute aux implications de ce

    quil venait dapprendre. Un personnage tel que lui,

    vritable acteur de la vie financire, ne pouvait se

    permettre dtre vu en compagnie dun repris de justice

    violent dans son genre.

    Cela ne fait rien, Sean, dit-il dune voix douce. Je

    comprends.

    Tu comprends quoi ?

    Je ne ten veux pas, mon vieux. Toi et moi pouvons

    suivre notre propre chemin. Je meffacerai sans faire

    dhistoires.

    Mettons les choses au clair, Moriarty, rtorqua Sean,

    fronant les sourcils. Crois-tu vraiment que je

    renoncerais notre amiti cause de cette histoire ?

    Et pourquoi pas ?

    Mon vieux, tu es tomb sur la tte.

  • Avant que Spike nait le temps de rpondre, Sean

    avana dun pas et le serra dans ses bras de toutes ses

    forces, puis il scarta de lui en riant.

    Jai un scoop pour toi, Spike. Moi aussi jai eu

    quelques dmls avec la justice lorsque jtais

    adolescent, de vieilles histoires heureusement enterres

    dans les archives du tribunal de Boston. Et je fais des

    affaires tous les jours avec des hors-la-loi en col blanc.

    Pas question que je te laisse tomber pour si peu. Pour qui

    me prends-tu ?

    Spike rencontra le regard de Sean, et une vague

    dmotion lui serra la gorge.

    Nous sommes amis et nous le resterons, dclara Sean

    dun ton srieux. Compris ?

    Compris, rpondit Spike, la voix rauque.

    ***

    Dans lappartement de Sean, Madeline rangea la

    vaisselle du petit djeuner, puis se retira dans la

    chambre damis.

    Le lit dans lequel Spike avait dormi tait refait la

    perfection.

  • Il ne restait plus aucune trace de sa prsence.

    La jeune femme alla sasseoir dans le fauteuil et resta

    un long moment perdue dans ses penses.

    Elle ne pouvait pas vraiment en vouloir Spike davoir

    ragi ainsi son invitation. Aprs tout, ils se

    connaissaient peine. Elle regrettait seulement de ne pas

    avoir eu le temps de sexpliquer avec lui avant quil ne

    parte.

    Bien sr, elle aurait apprci quil ait suffisamment

    confiance en elle pour ne pas simaginer quelle voulait

    se servir de lui, ou de qui que ce soit, dans un but

    goste.

    Comment avait-elle pu croire quil envisagerait un seul

    instant de passer un long week-end en sa compagnie ?

    Elle tendit loreille, esprant entendre la porte souvrir.

    Elle esprait que Sean ntait pas en train de se disputer

    avec Spike sur le trottoir. Elle avait bien tent de le

    retenir, mais autant sefforcer darrter un train express

    en marche.

    Elle se sentit soudain puise. Peut-tre devrait-elle

    dormir un peu. Elle jeta un coup dil au lit dans lequel

  • elle avait pass la nuit, et cest alors quelle remarqua

    loreiller sur le sol au pied de lautre lit. Elle se leva et

    traversa la chambre pour aller le ramasser. Elle sentit

    aussitt ce parfum si particulier dafter-shave, comme si

    Spike lavait tenu contre sa joue.

    Elle pressa loreiller sur son visage, simprgnant de ce

    parfum qui fit revivre Spike un instant encore, et le remit

    sa place en soupirant.

    Cet homme ne serait jamais elle.

  • 4.

    Une semaine plus tard, dans son coup sport arrt en

    plein soleil, Madeline songeait que lun des principaux

    avantages de locan, ctait que lon ny affrontait jamais

    les embouteillages. En ce dbut de long week-end,

    lautoroute de New York stait transforme en un vaste

    parking, et il lui semblait quelle attendait depuis des

    heures.

    A bout de patience, elle consulta sa montre. Il tait 18 h

    30, ce qui signifiait qu lautre bout de ce ruban

    dasphalte surchauff, la rsidence familiale des

    Maguire, son demi-frre avait dj donn le signal pour

    que les hors-duvre soient servis. Les desserts seraient

    expdis ds 20 heures. Caf, cognac et cigares pour les

    hommes seraient offerts sur la terrasse tout de suite

    aprs, et tous les invits auraient quitt la maison 21

    heures prcises. Cela avait toujours t le programme de

    son pre, et elle tait certaine que Richard lavait adopt

    sans rien y changer depuis quil lui avait succd la

    tte de la famille. Les rceptions chez les Maguire taient

    rgles avec un ordre quasi militaire.

  • Elle songea au week-end qui lattendait.

    Lheure tait venue pour elle de mettre les choses au

    clair avec son demi-frre, et elle devait se concentrer sur

    lpreuve qui sannonait comme un dangereux parcours

    dobstacles o se jouerait son avenir.

    Une athlte accomplie comme elle, qui nhsitait pas

    se mesurer aux caprices des ocans, ne devait pas se

    sentir aussi nerveuse lide de dfendre ses intrts

    face sa famille. Ctait idiot. Cependant une sourde

    inquitude lui nouait la gorge. Bien sr, elle navait pas

    eu se confronter eux depuis longtemps. Sa carrire

    sur locan lui avait permis de tourner le dos tous ses

    vieux problmes et, en lui vitant tout contact avec

    Richard et Amelia, lavait berce du sentiment trompeur

    que tout allait pour le mieux dans le meilleur des

    mondes...

    De toute faon, sa philosophie avait toujours t de fuir

    toute forme de conflit.

    Peut-tre devait-elle se rjouir que cette histoire

    dhritage la force enfin regarder les choses en face ? Il

    tait parfois salutaire dtre oblig daffronter son

    dragon personnel.

  • Et elle nallait pas au combat sans allis, mme si elle

    tait seule dans la voiture. Elle avait retenu les services

    de lavocat que lui avait conseill Sean. Mick Rhodes

    stait montr trs professionnel lorsquelle stait

    entretenue avec lui dans son cabinet. Il avait pris

    connaissance des documents quelle avait apports avec

    elle, lui avait expliqu la procdure quil comptait suivre

    et la raction probable de Richard, une raction quil ne

    semblait pas craindre outre mesure.

    Rhodes tait un avocat connu, respect et craint, et

    Madeline savait quil ne lavait accepte comme cliente

    que pour faire plaisir Sean. Avec un tel atout dans sa

    manche, elle savait quelle navait rien craindre des

    manuvres de son demi-frre.

    Sauf que, bien sr, cet pisode ntait quune partie de

    leur histoire. Richard et elle avaient t runis contre

    leur gr par le remariage de leur pre. Aujourdhui, le

    vieil homme ntait plus, mais le lien familial se

    poursuivait travers lentreprise quil avait cre, ainsi

    qu travers les rancurs quil avait, hlas, aussi laisses

    en hritage ses enfants.

  • Quarante-cinq minutes plus tard, Madeline aperut le

    panneau de signalisation indiquant la bretelle de

    Greenwich. En sortant de lautoroute, elle tenta de se

    rappeler quand remontait sa dernire visite la

    rsidence familiale. Elle ny tait plus retourne depuis

    le dcs de son pre.

    Presque cinq ans.

    Richard avait hrit de la proprit, et la jeune femme

    tait prte parier que rien ny avait chang depuis quil

    sy tait install ; son demi-frre admirait leur pre

    jusqu lobsession et ne rvait que de prendre sa place

    et de lui ressembler.

    Elle traversa le centre de la petite ville, reconnaissant

    avec plaisir certaines boutiques dont elle se souvenait,

    remarquant que beaucoup dautres avaient pouss

    comme des champignons. Ici, elle avait achet du papier

    lettres. L-bas, elle avait dgust les meilleures glaces

    de sa vie. Lors de ces visites en ville, elle avait t

    accompagne de divers chaperons : la nounou, la

    gouvernante, la cuisinire, et ce quelle aimait le mieux,

    dans ces excursions, ctait quelles lui donnaient

  • loccasion de passer un peu de temps avec des personnes

    dont elle aimait la compagnie.

    A quelques rues de l, elle reconnut les grands piliers

    de pierre de lentre de la proprit, avec la plaque de

    bronze o se dtachait le nom des Maguire en lettres

    lgantes. Reprise soudain dune sourde angoisse, elle

    sengagea dans lalle ombrage qui conduisait jusqu

    la maison.

    Dtends-toi, murmura-t-elle. Tout ira bien. Tout ira

    bien parce que tu feras ce quil faut pour que tout aille

    bien.

    Elle respira bien fond et seffora de se concentrer sur

    la splendeur de la nature tout autour delle. Au-del des

    grands rables qui formaient un tunnel de verdure,

    limmense pelouse soigneusement entretenue ondoyait

    linfini comme une mer dun vert tendre. La lumire

    dclinante de cette fin daprs-midi filtrait travers les

    hautes frondaisons, claboussant lalle dune lumire

    dore. On aurait dit un tapis de pices dor tombes du

    ciel.

    Elle songea malgr elle aux yeux de Spike comme cela

    lui arrivait de plus en plus frquemment, et ce, aux

  • moments les moins opportuns. Comme cet instant. Ou

    lorsquelle tentait de sendormir.

    Dcidment, Spike et elle taient partis du mauvais

    pied. Leurs deux uniques rencontres avaient t trop

    brves. Si seulement ils avaient eu plus de temps

    ensemble...

    Mais quelle diffrence cela aurait-il fait ? Il prfrait les

    blondes vapores, comme ces potiches jumelles, et elle

    ne leur ressemblerait jamais.

    Pourtant, mme si ctait une folie, elle esprait le

    revoir. Peut-tre au mariage dAlex et Cassandra, si le

    calendrier de sa saison de courses lui permettait dy

    assister.

    Ou peut-tre... jamais plus.

    A cette pense, elle se sentit envahie dun grand vide et

    dune grande tristesse.

    Assez ! Elle sapprtait affronter la colre de Richard,

    et elle ne devait pas gaspiller son nergie avec un sujet

    aussi pathtique que son attirance pour un homme

    inaccessible.

  • Au dtour du dernier virage de lalle, elle ralentit

    malgr elle.

    La maison o elle avait pass son enfance se dressait

    prsent devant elle, impressionnante faade de briques

    rouges rehausse de grandes colonnes blanches. Vingt et

    une pices sur trois hectares de parc en plein centre de

    Greenwich.

    Leur pre avait acquis cette proprit lpoque o

    Value Shop avait fait son entre en bourse, dans les

    annes soixante-dix. Ctait exactement le genre de

    rsidence qui convenait un magnat des affaires : la

    maison la plus chre dans le quartier le plus hupp.

    Mais ctait la grande pelouse que Madeline prfrait.

    Ctait un terrain idal pour attraper des libellules ou

    faire la roue. Quant au reste de la maison, la faade

    classique, les pices somptueusement meubles et

    dcores, elle ny avait jamais fait vritablement

    attention, hormis sa chambre, vritable le de bonheur o

    elle se rfugiait souvent, loin des mchancets de

    Richard et dAmelia.

    Plusieurs voitures taient gares dans lalle circulaire.

    Elle rangea son coup entre deux grosses berlines de

  • luxe, mit pied terre et rcupra son sac de marin sur le

    sige arrire.

    Elle lana au ciel une prire silencieuse, puis redressa

    les paules et se dirigea crnement vers le perron.

    Le majordome qui vint lui ouvrir la porte tait un

    inconnu, mais il tait en livre. Richard Maguire senior

    avait toujours exig que les gens de maison portent un

    uniforme et, lvidence, Richard avait perptu la

    tradition.

    Oui ? fit lhomme dun ton guind.

    Je suis Madeline Maguire, la demi-sur de Richard.

    Mademoiselle est attendue. Puis-je me charger des

    bagages de mademoiselle et les porter dans sa chambre ?

    Oui, je vous remercie. Sont-ils dj tous installs ?

    En effet, mademoiselle. Mademoiselle dsire-t-elle se

    changer pour dner ?

    Non. Cest inutile. Je ne suis dj que trop en retard.

    Elle le remercia encore, puis, prenant une profonde

    inspiration, sapprta entrer dans la fosse aux lions. A

    en juger par le brouhaha de voix qui lui parvenait de la

  • salle manger, il y avait bien une vingtaine de convives,

    ce soir. Cela non plus ntait pas une surprise. Son pre

    avait toujours soutenu que ctait un nombre idal ;

    suffisamment intime pour pouvoir mener une

    conversation deux, et suffisamment public pour

    dsamorcer dventuelles rivalits.

    Prsidant comme il se doit en bout de table, Richard

    leva les yeux vers elle linstant o elle apparut sous

    larche de lentre. Ce fut un choc de le revoir. Pourtant il

    tait rest le mme : une image de mode avec ses

    cheveux blonds soigneusement coiffs, son bronzage

    impeccable, son corps soigneusement entretenu... et ses

    yeux froids comme des camras de surveillance.

    Les conversations cessrent aussitt, et Richard dtailla

    le pantalon dt kaki et le polo quelle portait avec une

    dsapprobation vidente. Rsistant lenvie de faire

    demi-tour et de senfuir en courant jusqu sa voiture,

    Madeline jeta un coup dil rapide aux convives assis

    autour de la table dans une alternance parfaite, un

    homme, une femme, tous en tenue de soire. Un groupe

    compass des plus grosses fortunes de la ville, mais

  • aucun deux navait lair de stre laiss aller rire

    depuis des dcennies.

    Je suis dsole dtre en retard, sexcusa-t-elle sans

    sadresser personne en particulier.

    La circulation devait tre pouvantable, fit

    remarquer Richard dun ton uni.

    Puis, indiquant la place sa droite dun geste du

    menton :

    Installe-toi ici.

    Sefforant dignorer les murmures et les regards,

    Madeline fit le tour de la longue table pour sinstaller

    ct de son demi-frre, un sourire de circonstance aux

    lvres, comme une candidate un concours de beaut

    sur le point de se faire liminer par un jury hostile.

    Richard ne perdit pas de temps pour lui dvoiler le

    fond de sa pense :

    Tu aurais pu tlphoner, chuchota-t-il dun ton

    furieux ds quelle fut assise prs de lui.

    Je nai pas de mobile.

  • Tu dois tre la dernire personne du pays ne pas en

    possder un.

    L-dessus, il lui tourna le dos et, sadressant sa

    voisine de gauche, se mit parler de chevaux comme sil

    reprenait une conversation aprs avoir t grossirement

    interrompu.

    Madeline sirota une gorge deau et attendit

    patiemment que lon vienne lui prsenter le plat de hors-

    duvre, piant discrtement son frre du coin de lil.

    A mieux y regarder, Richard avait chang. A prsent, il

    ne ressemblait plus seulement leur pre : il tait

    devenu une vritable copie conforme du vieil homme,

    trnant devant ses riches convives au bout de la grande

    table somptueusement dresse. Il portait mme la

    chevalire de leur pre son doigt.

    Ctait une ressemblance hallucinante, comme si le

    patriarche tout-puissant stait rincarn en lui. Ctait

    sans doute la raison pour laquelle elle stait toujours

    sentie aussi faible face Richard, plus encore qu cause

    des perscutions quil lui avait fait subir lorsquils

    taient enfants.

  • Nai-je pas raison, Madeline ? lana brusquement

    Richard.

    Euh... pardon ?

    Pnlope commentait lexposition Rubens au

    Metropolitan

    Museum, et je lui expliquais que tu ne lavais

    probablement pas vue, car ce genre dvnement ne

    tintresse pas du tout.

    Oh, j