Les plus anciennes maisons paysannes de l'Alsace

Les plus anciennes maisons paysannes de l'AlsaceAuthor(s): ADOLPHE RIFF and ADOLPH RIFFSource: Le Folklore vivant, T. 1 (1946), pp. 5-15Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40986686 .

Accessed: 15/06/2014 11:21

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to LeFolklore vivant.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.78.108.81 on Sun, 15 Jun 2014 11:21:32 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=puf

http://www.jstor.org/stable/40986686?origin=JSTOR-pdf

http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp


Les plus anciennes maisons paysannes

de l'Alsace PAR ADOLPH RIFF

Conservateur du Musée Alsacien de la Ville de Strasbourg.

XTtu moment où nos architectes s'apprêtent à remplir une tâche lourde et délicate, la reconstruction des nombreux villages d'Alsace, partiellement ou entièrement détruits aü cours des durs combats de l'hiver 1944-45, il est utile de rappeler le rôle important qu'a joué l'artisanat rural des siècles passés dans la formation des ensembles architecturaux de nos villages. Afin d'éviter la construction %de maisons banales, en briques non crépies, à imitation de pierres de taille en ciment et à toits couverts de tuiles mécaniques, il faut étudier la maison paysanne, non seulement dans ses aspects les plus pittoresques, mais en connaître la longue évolution, insuffisamment établie jusqu'ici.

Alors que dans les petites villes et villages du vignoble alsacien nous rencontrons beaucoup de maisons paysannes du xve et xvie siècle, celles-ci sont très rares dans la région agricole de l'Alsace, c'est-à-dire dans la plaine du Rhin, les collines entre Strasbourg et Wissembourg et le Sundgau, cette partie sud de l'Alsace occupant la porte de Bourgogne.

Dans les localités du vignoble, prospère à la fin du Moyen Age et durant la Renaissance, par un florissant commerce du vin, la maison d'habitation a pris un développement plus considérable que dans les villages alors plus pauvres de la région agricole. De plus, dans les petites villes et les bourgs du vignoble, en grande partie fortifiés, les maisons anciennes sont conservées en plus grand nombre que dans les villages de la région agricole, exposés durant des siècles à toutes les destructions des guerres. A la suite de la guerre de Trente- Ans, par exemple, de nombreux villages se trouvaient détruits, d'autres, selon les renseignements des archives, ne se composaient plus que de trois. ou quatre fermes.

Les nombreuses maisons paysannes de la région agricole, dont nous admirons, comme élément essentiel et si pittoresque, le poutrage apparent, appartiennent, par conséquent, presque toutes à des époques postérieures à la guerre de Trente-Ans, la plupart même seulement à la seconde moitié du xvme et au commencement du xixe siècles, lorsque durant une période de paix, sous la protection et l'administration de la France, le paysan alsacien parvint à plus d'aisance.

Le xvme siècle français n'a pas seulement favorisé de la sorte, dans une très large mesure, le déve- loppement de la maison paysanne en Alsace, mais les styles de ce siècle l'ont également, par leur mesure et leurs bonnes proportions, favorablement influencé par maints détails.

Les maisons paysannes sont donc, la plupart, de date récente. L'aspect de celles du Moyen Age nous était inconnu jusqu'ici, aucune maison de cette époque n'ayant été repérée. Les paysages repré- sentés par des tableaux ou des gravures du xve siècle se révèlent, à ce sujet, trop schématiques et fournissent, par conséquent, des données incertaines. Or, j'ai réussi à découvrir durant les dernières années, au cours de mes études sur l'art populaire en Alsace, à Geisposheim et à Weyersheim, deux maisons paysannes, qui, par leur construction, ainsi que nous le verrons, se révèlent coñime le type le plus ancien

5



connu jusqu'ici dans le Bas-Rhin, et appartiennent au plus tard à' la fin du xve siècle. Nous pouvons les désigner, à juste raison, comme maisons paysannes de l'époque gothique.

Pour en mieux comprendre et mettre en lumière la construction particulière, la place qu'elles occupent par rapport aux différents types de maisons paysannes, la fixation de leur date, et, enfin, leur importance pour l'évolution de la maison rurale en Alsace, il est nécessaire que nous examinions briève- ment les maisons paysannes les plus anciennes connues jusqu'ici.

Les maisons paysannes les plus anciennes de la région agricole appartiennent au xvie siècle, et le fait que nous n'en connaissons que sept, prouve leur grande rareté. Nous en connaissons à Oberkutzen- hausen (1531), à Wolfersdorf (1551), à Hindisheim (1597), à Vendenheim (1587), à Obermodern (1594), à Kerzfeld (1597), à Bueswiller (1599), toutes, à l'exception de celle de Woldersdorf, situées dans le département du Bas-Rhin. Une seule appartient à la première moitié, les autres à la seconde moitié, en particulier à la fin du xvie siècle.

Ces maisons présentent les particularités suivantes : Façade en largeur d'un aspect archaïque sur soubassement peu élevé, légère saillie du premier

étage, avec têtes de poutre apparentes, toit à grand abattant, poutrage sobre, uniquement employé aux parties constructives, absence des auvents, une ou deux fenêtres par étage sur la façade, plus larges que hautes. Parfois une galerie ouverte décore le pignon et la lucarne de ce dernier présente un linteau à árcature gothique.

Comme particularité technique importante, il convient de signaler que les poteaux d'angle sont interrompus par les poutres horizontales du plafond du rez-de-chaussée, qu'il y a donc une poutre d'angle pour le rez-de-chaussée et une deuxième pour le premier étage.

'Nous constatons, par conséquent, des différences fondamentales par rapport aux maisons paysannes des xviiie et xixe siècles, qui présentent une façade plutôt étroite et haute sur soubassement élevé, pas de saillie du premier étage, un toit petit, à abattant et des auvents, un poutrage plus abondant et, sur la façade, trois fenêtres par étage, plus hautes que larges (Fig. 5 et 6).

Le développement de la façade en largeur, le poutrage sobre, le toit à grand abattant sont donc les caractéristiques de ces maisons du xvie siècle et que l'on reconnaît à ces détails, même quand elles ne sont pas datées.

La maison d'Oberkutzenhausen de 1531 montre encore une autre particularité très ancienne. Le poutrage horizontal du plafond du rez-de-chaussée présente une poutre d'angle, qui est visible à l'exté- rieur, au-dessus du poteau d'angle. J'ai vu une maison analogue à Lampertheim (près de Strasbourg), non datée, qui appartient à la première moitié du xvie siècle, les maisons de la seconde moitié de ce siècle ne présentant plus cette particularité technique. Dans leur ensemble, ces maisons du xvie siècle présentent déjà une forme constructive assez développée qui ne manque pas, malgré sa simplicité, surtout celui à galerie, d'une certaine beauté architecturale.

Il a donc dû exister des maisons paysannes plus anciennes, plus simples, dont on ne connaissait toutefois, jusqu'ici, aucun exemple.

A titre de comparaison on pouvait seulement citer des maisons du Sundgau, où, en effet, une forme plus ancienne s'est conservée. Dans de nombreux villages de cette région, on trouve des maisons paysannes à rez-de-chaussée et premier étage, dont les poteaux £ angle sont d'une seule pièce et non composés de deux pièces, ainsi que nous le constations tout à l'heure dans Je Bas-Rhin. Ces poteaux d'angle, d'un seul tenant, représentent une forme particulièrement ancienne de la maison paysanne à poutrage apparent. La maison de Wolfersdorf est construite de cette manière ; elle présentait la date de 155 1 sur le linteau de la porte, disparu malheureusement lors d'un « embellissement » qui, par un crépi complet, cache tout le poutrage ; il est fort regrettable que cette maison, la plus ancienne du Haut-Rhin, ait été ainsi défigurée.

Or, c'est à ce type le plus ancien, à poteaux d'angle d'une seule pièce, qu'appartiennent les deux maisons de Geispolsheim et de Weyersheim, forme architecturale qui, de ce fait, est constatée pour la première fois également dans le Bas-Rhin (Fig. 1-4).

6



Figure 1. GEISPOLSHEIM (Bas-Rhin). Maison paysanne à poteau d'angle d'une seule pièce. La plus ancienne maison paysanne connue d Alsace. Fin XVe siècle. 7



La maison de Geispolsheim (i), il s'agit de la maison Zaegel (N° 147), offre déjà une particularité de par sa situation. Elle est située en bordure du village à l'extrémité de la « Rue Etroite », la façade à une certaine distance (environ 10 mètres) de la rue. Cette particularité indique des constructions moins denses, telle que nous la rencontrons encore dans le Sundgau, par exemple à Obermorchwiller, datant d'une époque alors que les maison n'étaient pas encore construites en rangs serrés, dispositions caractéristiques aux xvme et xixe siècles.

La maison Zaegel se compose d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, et montre une certaine ampleur (largeur de la façade, côté pignon : 7 m. 70; côté cour : 12 m. 40). Un observateur attentif y remarquera aussitôt le poutrage sobre et les poteaux d'angle d'une seule pièce (Fig. 1 et 2). Outre les quatre poteaux d'angle, le côté cour et le côté opposé en présentent chacun quatre autres, de sorte que toute la charpente se compose de douze grands poteaux, dont l'un encadre d'une façon caractéristique la porte d'entrée. Tandis que les sablières reposent sur un soubassement peu élevé, dont deux assises de pierre sont visibles au-dessus du sol, le poteau d'angle s'enfonce davantage et s'appuie sur un socle en pierre, disposition qui rappelle les socles cubiques des habitations gallo-romaines en Alsace. Les anciens encadrements des fenêtres sont conservés au rez-de-chaussée, ils sont de dimensions réduites (o m. 76 sur 1 m. 20), l'encadrement de la porte et la porte elle-même ne sont plus anciens, ainsi que cela se rencontre fréquemment aux maisons alsaciennes, mais a été remplacée par une porte moderne. Le toit a été recouvert, il y a quelques années, de tuiles mécaniques, ce qui lui enlève son aspect pittoresque. Au moment de la construction il y avait certainement un toit de chaume, remplacé plus tard par une toiture en tuiles plates. L'auvent de la façade et la cheminée sont également de date plus récente.

Primitivement, beaucoup de maisons paysannes ne possédaient pas de cheminée dépassant la toiture, mais celle-ci se terminait au-dessus du plancher du grenier, ainsi qu'on peut le voir encore aujourd'hui dans la maison de 1551 à Wolfersdorf. Les maisons paysannes représentées sur des gravures du xve siècle, par exemple « Le départ pour le Marché » de Martin Schongauer ou la gravure sur bois « Travaux de la campagne », de 1502, du Virgile de l'imprimeur strasbourgeois Gruninger également, ne montrent pas de cheminées extérieures.

La dispovsition intérieure de la maison de Geispolsheim est encore l'ancienne : corridor, cuisine et chambre d'habitation, cette dernière assez basse, haute de 2 m. 20. Une cave ne se trouve que sous la partie arrière de la maison, elle est accessible par la cuisine. L'exécution du poutrage est fort simple, sans aucun ornement. Il est probable que le linteau de porte présentait une courbe ogivale, .ainsi que cela se rencontre à des maisons des xvie et xvne siècles des environs, par exemple à Fegersheim et à Westhausen. La lucarne du pignon montre parfois également une courbe ogivale, par exemple à Kerz- feld, Oberkutzenhausen et Surbourg, motifs ornementaux des plus simples, qui ont été conservés par tradition, et que nous pouvons aussi supposer à nos maisons paysannes de l'époque gothique.

La maison paysanne de Geispolsheim n'est pas datée ; peut-être une date se trouvait-elle sur le linteau de la porte, ainsi que cela était le cas à Oberkutzenhausen (1531) et à Wolfersdorf (1551). Ce n'est que plus tard que l'usage se répand d'apposer une date sur le poteau d'angle à la hauteur du premier étage (Vendenheim, 1587, et les autres maisons mentionnées du xvie siècle).

Les considérations suivantes nous permettent toutefois de fixer approximativement la date de construction de la maison de Geispolsheim :

Toutes les maisons paysannes du Bas-Rhin du xvie siècle que nous avons mentionnées, même la plus ancienne de 1531, à Oberkutzenhausen, présentent le poteau d'angle interrompu. A cette époque, l'emploi du poteau d'angle d'un seul tenant n'était donc plus en usage.

Il est difficile de préciser exactement quand ce genre de construction plus ancien fut abandonné, mais on peut admettre que de pareils progrès constructifs, ne se produisaient pas en l'espace de quelques années, mais au cours d'une ou de deux générations.

Nous pouvons donc admettre avec certitude que la maison Zaegel appartient au plus tard à la fin du xve siècle, c'est-à-dire à la fin de l'époque gothique. Elle est, en tout cas, plus ancienne que la maison

(1) Important village à 12 km. au sud-ouest de Strasbourg.

8



Figure 2. GEISPOLSHEIM (Bas Rhin). Maison paysanne. Fin XVe siècle.

9



d'Oberkutzenhausen de 1531, qui était considérée jusqu'ici comme la plus ancienne du Bas-Rhin, et elle nous permet de constater le mode de construction à poteau d'angle d'une seule pièce dans cette région.

A l'objection éventuelle que la maison de Geispolsheim représente bien un type très archaïque, mais pas nécessairement du xve siècle, une pareille forme ayant pu être conservée encore un certain temps, ainsi que cela est le cas dans le Sundgau, nous répondrons ceci :

Si dans le Bas-Rhin le poutrage à poteau d'angle d'une seule pièce avait été maintenu, il faudrait y rencontrer des exemples de cette persistance comme dans le Sundgau. Or, cela n'est pas le cas. Au contraire, toutes les maisons paysannes du xvie siècle du Bas-Rhin, que nous avons citées, présentent le poteau d'angle interrompu et prouvent, de ce fait, que dans cette région des progrès constructifs ont été réalisés plus rapidement (poteau d'angle, avancée du premier étage, galerie du pignon, etc.). Pour toutes ces raisons, nous pouvons admettre que la maison Zaegel appartient au plus tard à la fin du XVe siècle.

A Weyersheitn (1), la maison Gremminger (N° 352), située en bordure du village, apparaît par ses dimensions (6 m. 10 : 8 m. 60) plus petite, mais elle présente les mêmes éléments constructifs. Comme la maison Zaegel, à Geisposheim, elle est située très en retrait de la rue du village, ce qui indique une disposition très ancienne, alors que les maisons n'étaient pas encore établies en rangs serrés. La façade du pignon présentait primitivement deux poteaux d'angle d'une seule pièce, dont l'un a été, toutefois, remplacé plus tard dans sa partie inférieure, sans doute à la suite d'une réparation, par un support en

Figure 3. GEISPOLSHEIM (Bas-Rhin). Maison paysanne. Fin XVe siècle.

(1) Village à 10 km. au nord-est de Strasbourg.

10



11

maçonnerie. Le côté cour présente, outre les deux poteaux d'angle, deux autres poteaux dont l'un forme comme à Geispolsheim, l'encadrement de la porte. L'ensemble de la charpente se compose donc de huit grands poteaux. La fenêtre vers la rue est basse et large et comporte trois battants. Il y a lieu de remarquer que cette maison réunit, sous un seul toit, habitation, grange et écurie, offrant ainsi un type très ancien (admis ordinairement en Alsace seulement pour les Vallées des Vosges), dans une région où Ton a coutume de parler uniquement de fermes se composant d'un groupe de bâtiments, au moins dh deux, placés à angle droit.

Il est intéressant de citer les mesures employées lors de la construction de ces maisons, en particulier dans un but de comparaison avec des maisons postérieures. Le pied strasbourgeois (29 cm. 4) = 12 pouces, et son multiple ont été employés. La largeur de la maison de Geispolsheim, de 7 m. 70, correspond à cette mesure, celle de Weyersheim, de 6 m. 10, également.

On ne peut pas prétendre que ces maisons, très anciennes, se rencontrent plus fréquemment dans des villages à l'écart des grandes routes, leur conservation est due au hasard, selon que les dévastations des guerres ont plus ou moins ravagé les villages. Il y a le plus de chance à en rencontrer dans les grands villages, les deux exemples de Geispolsheim et Weyersheim en fournissent la preuve.

Tous nos villages d'Alsace sont très anciens, mais beaucoup d'entre eux n'ont conservé aucune maison antérieure à la guerre de Trente-Ans, tandis que quelques-uns, tels que Vendenheim et Geispolsheim, en offrent plusieurs exemples. D'autres villages, tels que Oberkutzenhausen, Obermodern, Ettendorf, Kerzfeld, en possèdent au moins encore une ou deux.

La distinction entre maison à poteau d'angle d'une seule pièce et à poteau interrompu, n'est pas un détail architectural, mais une différence fondamentale du mode de construction.

Les deux maisons de Geispolsheim et de Weyersheim occupent donc une place importante dans l'évolution de la maison alsacienne, car elles représentent, par rapport aux maisons du xvie siècle d'un type déjà plus évolué, la construction en poutrage la plus élémentaire, qui ne peut guère présenter de forme préliminaire encore plus simplifiée. Dans ce mode de construction on ne peut guère se représenter une évolution. On peut, par conséquent, admettre que, depuis le haut Moyen Age, la maison paysanne en Alsace présentait ce type de la maison de Geispolsheim. Selon les conditions économiques, l'une ou l'autre de ces constructions était de dimensions variables, ainsi que le montre d'ailleurs les exemples de Geispolsheim et de Weyersheim. Mais, dans leur construction générale, elles devaient être toutes à poteau d'angle d'une seule pièce et à poutrage très sobre.

Il serait intéressant de savoir comment ce stade de la maison paysanne se rattache aux édifices



encore plus anciens, aux maisons paysannes gauloises et gallo-romaines. Mais ce problème ne peut être élucidé, que quand l'archéologie aura comblé, dans nos régions, une importante lacune, la connaissance du plan et du mode de construction des habitations rurales au début de notre ère.

Signalons en passant que la maison paysanne, dite alémannique, à assemblage serré de poutres horizontales (genre chalet suisse) ne se rencontre pas en Alsace.

Dans cet ordre d'idées il est important de constater, nous le signalions déjà brièvement, que primitivement la maison paysanne, réunissant sous un toit unique habitation, grange, étable, se trouvait répandue dans l'Alsace entière ; ce n'est qu'assez tardivement, sans doute vers le xvie siècle, que celle-ci a évolué dans la contrée plus riche, précisément la région agricole, vers la ferme se composant de plusieurs bâtiments. Ce type de ferme, que l'on a appelé à tort « ferme franque », ne constitue par consé- quent pas un élément très ancien, mais au contraire relativement récent de notre architecture paysanne.

Seules les maisons alsaciennes, dans leurs exemples les plus beaux et les plus pittoresques, ont attiré l'attention jusqu'à présent, et celles-ci sont, ainsi que nous l'avons constaté, de date assez récente.

Figure 4 GEISPOLSHEIM et WEYERSHEIM. Maisons paysannes. Fin XVe siècle.

Les maisons très anciennes, d'apparence plus modeste, n'ont guère attiré l'attention, de sorte que l'évo- lution de la maison alsacienne est restée jusqu'ici très imprécise et n'a pas encore été formulée. Des diffé- rentes constatations que nous venons de citer, nous pouvons maintenant donner un premier schéma de l'évolution de la maison paysanne en Alsace :

A) Maison paysanne à poteau d'angle d'une seule pièce, poutrage sobrie (Geispolsheim et Weyersheim), fenêtres basses, plus larges que hautes, xve siècle, type de la maison paysanne du Moyen Age. Dans le Sundgau, plus traditionnaliste, ce genre de construction a été maintenu plus longtemps.

B) Maison paysanne à poteau d'angle interrompu : Io Avec poutre d'angle horizontale et tête de poutre visible, légère saillie du premier étage, pou-

trage sobre, toit à grand abattant, fenêtres basses et larges (Oberkutzenhausen, Lampertheim, Ost- hausen), première moitié du xvie siècle.

12



2° Sans poutre d'angle horizontale. Poutrage sobre, pignon à galerie, toit à grand abattant (Ven- denheim, übermodern), deuxième moitié du xvie siècle.

3° Type analogue, poutrage plus riche. Encadrements de fenêtres sculptés, saillie du premier étage. Toit à grand abattant, xvne siècle. Nombreux exemples à Blaesheim, Geispolsheim, Vendenheini, Ettendorf.

4° Sans saillie du premier étage. Toit à petit abattant, pignon à galerie plus riche. Porte cochère en bois ou en pierre, xvnie siècle.

5° Type analogue. Grande porte cochère en poutrage ou en pierre. Fenêtres plus hautes que larges. Nombreux exemples à Blaesheim, Vendenheim, Eckwersheim, Berstett, Waltenheim, Mommenheim, Obermodern, Zutzendorf, etc., xixe siècle jusque vers 1840.

Cette classification sommaire ne peut donner qu'un cadre général, il existe naturellement, outre ces différences chronologiques, des différences régionales, qui expliquent la grande variété des détails, donnant aux maisons un cachet si pittoresque. La maison paysanne des environs de Wissembourg est

Figure 5. BERSTETT (Bas-Rhin). Maison paysanne. Fin XVIIIe siècle

13



Figure 6. ZUTZENDORF (Bas-Rhin). Maison paysanne. Fin XVIIIe siècle.

différentes de celle du Comté de Hanau ou du Kochersberg, et celles-ci sont de nouveau différentes de In maison de la plaine des environs de Sélestat ou de Colmar.

L'entourage de ces maisons du Moyen Age nous est illustré par la gravure de Schongauer « Le départ pour le marché ». La fenile y est entourée d'une palissade avec une porte charretière en poutrage, surmontée d'un petit toit à double pente, analogue aux portes des fermes des xvme et xixe siccles. Un puits carré, à encadrement de madriers et à porte-seau en forme de perche basculante, se trouve à proximité. De pareils puits, très anciens, se trouvent encore en quelques rares exemplaires, par exemple à Kerzfeld. Une représentation toute analogue, palissade, porte en bois, puits carré à perche basculante, se rencontre également sur la gravure sur bois « Travaux des champs » dans le Virgile de l'imprimeur Grüninger (1502) et montre que cette disposition était typique à l'époque.

La découverte de ces deux maisons à poteau d'angle d'une seule pièce fait supposer qu'il en existe encore d'autres de ce genre dans le Bas-Rhin, restées inaperçues à cause de leur apparence si modeste. Il serait souhaitable de les dépister, afin de réunir des matériaux d'études plus nombreux sur ce sujet. Il serait utile de les classer comme monuments historiques, de les entretenir, de les conserver dans leur état original, afin qu'elles ne subissent pas le sort de la maison de Wolfersdorf de 155 1 .

Les maisons paysannes les plus anciennes de notre région représentent des monuments importants de l'histoire de l'architecture et de la civilisation de notre pays, elles méritent d'être protégées d'une disparition totale f

14



Les deux maisons paysannes de Geispolsheim et de Weyersheim nous permettent, pour la première fois, de nous faire une idée de l'aspect de l'habitation rurale au Moyen Age dans nos régions. Elles nous montrent que le paysan alsacien n'habitait pas à cette époque une pauvre hutte, ainsi que l'on a coutume de se le représenter, mais déjà une maison à solide poutrage, présentant les dispositions extérieures et intérieures que nous verrons se développer dans la suite. Elles nous permettent de suivre l'importante évolution que la maison paysanne de notre région a prise, depuis ces maisons du Moyen Age, jusqu'aux grandes et si pittoresques fermes du xvme et du xixe siècle.

Nous assistons en effet, pendant plusieurs siècles, à une évolution constante, adoptant des progrès techniques, et réalisant des types de maisons paysannes d'une plus grande beauté, d'un plus grand confort, évolution qui démontre d'une façon éclatante que l'art populaire ne constitue pas une copie, le plus souvent maladroite, de l'art des villes, mais qui atteste clairement les forces créatrices de l'artisanat rural des siècles passés. Que les architectes et les artisans d'aujourd'hui y puisent un enseignement et enrichissent nos campagnes de France de nouveau de constructions d'un esprit moderne, tout en sauvegardant les beautés architecturales traditionnelles.

ADOLPHE RIFF

Conservateur du Musée Alsacien de la Ville de Strasbourg.

15



Documents

Les plus anciennes maisons paysannes de l'Alsace