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Article ‘Observatoire’ – janvier 08

Les politiques d’emploi

à la lumière de la santé mentale des chômeurs

Ginette Herman et David Bourguignon1

Quels sont les effets du chômage ?

Pas un mois, une semaine, un jour ne passe sans que l’on évoque la question du chômage, son ampleur, ses causes, ses solutions (voir l’article de Georges Liénard dans ce même numéro). Cette question n’a cessé de préoccuper les pouvoirs publics. Depuis plus de 30 ans, ceux-ci ont mis en place de nombreuses mesures destinées à réduire le taux de chômage. Les efforts se sont généralement portés dans deux directions. La première concerne le développement de l’esprit d’entreprise : elle fournit une aide au démarrage et la gestion des entreprises, soutient la création ou le maintien des emplois et abaisse les charges sur le travail… La seconde s’adresse directement aux chômeurs : elle emprunte la voie de l’insertion professionnelle et concentre les efforts dans le domaine de la formation, des plans d’accompagnement, des stages en entreprise, des programmes de transition professionnelle, bref, de « l’activation des chômeurs ».

Tant l’ampleur du chômage que la multiplicité des politiques publiques destinées à y faire face impliquent que soit examinée la manière dont les individus vivent la situation de privation d’emploi. Ceci est d’autant plus crucial que, contrairement à ce qu’on espère, le chômage n’est pas souvent une situation transitoire. En Belgique, un chômeur sur deux (49,4%) est sans emploi depuis plus d’un an et près d’une personne sur six (15,5%) l’est depuis plus de cinq ans2. C’est donc à un phénomène massif, généralisé et fondé sur la longue durée auquel nous sommes confrontés.

A ce jour, de nombreux témoignages existent à propos de l’expérience de la perte d’emploi. La toile fourmille de témoignages désabusés, exposant les démarches parfois kafkaïennes pour trouver son chemin dans le dédale des administrations, dénonçant les employeurs avares du moindre accusé de réception en réponse à une lettre de candidature, révélant les multiples difficultés, désespérances, humiliations qui émaillent la vie de chômeur. Au plan scientifique, les recherches portant sur les liens entre le chômage et les variables psychologiques existent depuis plus de 70 années. Les premières datent de la « grande crise » des années ‘30 (i.e., Jahoda, Lazarsfeld et Zeisel, 1933/1972) mais c’est surtout à partir des années ‘80 qu’elles ont connu un développement significatif. Ces études ont pour ambition majeure de déterminer la direction de la causalité entre le chômage et la santé. Est-ce la situation de chômage qui est à la source de difficultés psychologiques (hypothèse dite d’exposition) ou inversement

1 Les auteurs sont respectivement professeur et chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain. Ils

sont membres du Cerisis-UCL et de l’unité de psychologie sociale et des organisations. 2 Source: IWEPS (2004), Annuaire Statistique de la Wallonie 2004. Module Marché du travail, Namur, p.342.

Tableau 4.V.3. Le nombre total de chômeurs en 2003 est de 538.141.

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est-ce le mal-être des individus qui entrave leur recherche d’emploi (hypothèse dite de sélection) ? Cette question n’est pas de pure forme car, au-delà de la compréhension de certains mécanismes psychosociaux, elle est susceptible de fournir des indications relatives à la mise en place de politiques publiques. Les résultats de ces études, aujourd’hui, ne laissent planer aucun doute (voir la méta-analyse de McKee-Ryan, Song, Wanberg, & Kinicki, 2005). Le chômage a bien un effet délétère sur la santé et l’hypothèse d’exposition est donc confirmée. La chose a été démontrée tant au niveau des variables psychologiques (anxiété, baisse de l’estime de soi, la satisfaction à l’égard de la vie en général ou à l’égard de la vie de famille en particulier …) et physiques (troubles du sommeil, de la sphère gastro-intestinale…) que comportementales (consommation d’alcool, cigarettes…). Bien sûr, existe également la causalité inverse, à savoir que l’accès à l’emploi est freiné par une santé mentale de moindre qualité : une faible estime de soi ou un niveau élevé de dépression constituent en effet des antécédents significatifs au fait de se retrouver chômeur à l’issue des études et ultérieurement de ne pas être engagé (hypothèse de sélection3).

Le poids de l’hypothèse d’exposition est donc plus important que celui de sélection, indiquant par-là que son pouvoir explicatif est supérieur : l’influence du chômage sur la détresse psychologique est considérablement plus puissante que celle de la détresse psychologique sur la persistance du chômage. Autrement dit, la privation d’emploi est associée à une détérioration de la santé mentale et que l’accès à l’emploi est associé à son amélioration. De plus, ces conclusions ne se limitent pas à un groupe particulier : elles concernent tant les hommes que les femmes, les jeunes que leurs aînés, les personnes fortement diplômées que celles qui le sont peu… Elles ne se restreignent pas non plus à l’une ou l’autre région mais concernent de nombreux pays dans le monde industrialisé. Enfin, elles ne se sont pas démenties sur une période de près d’un siècle. La détérioration de la santé mentale sous l’effet du chômage constitue dès lors un phénomène très robuste, généralisable au travers du temps, de l’espace et de divers groupes sociaux.

Quelles explications avancer ?

Pour expliquer ce phénomène, deux théories occupent généralement le devant de la scène dans la littérature scientifique. La première part du principe que le travail constitue, au sein des sociétés occidentales, une dimension centrale pour l’individu et que, par conséquent, la privation d’emploi est une privation absolue (voir la théorie de la privation, Jahoda, 1981). En d’autres mots, outre les aspects financiers, l’individu se trouve démuni de diverses ressources psychologiques qui font son quotidien lorsqu’il occupe un emploi : son temps devient sans structure, ses activités sans objet, ses contacts sociaux sans interlocuteurs, sa vie sans but collectif et son statut social sans assise. Les études qui ont testé cette théorie, sans l’infirmer totalement, ont néanmoins introduit une série de limites. Les aspects financiers que Jahoda avait relégués au second plan semblent jouer un rôle plus important que les ressources psychologiques. De plus, ces dernières n’ont pas toutes la même valeur, le statut paraissant jouer un rôle plus important que les autres. Enfin, cette théorie ne peut pas répondre des différences interindividuelles qui ont été observées entre les chômeurs, considérant ces derniers comme également démunis face à ce qui leur arrive.

3 L’hypothèse de sélection pourrait elle-même être mise en question si on montre que des échecs scolaires ou face

à des épreuves de la vie sociale ont eux-mêmes produit cet état de dépression avant les essais d’entrée sur le marché du travail

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Le second modèle pallie certaines de ces limites. Il se fonde sur le fait que les êtres humains sont mus tant par une motivation intrinsèque visant à donner du sens aux événements qu’ils vivent que par la proactivité leur permettant de faire face aux épreuves qu’ils traversent (voir la théorie de restriction de l’action personnelle, Fryer, 1986). Chez les chômeurs, ces possibilités sont diminuées, en particulier à cause de la précarité qu’ils connaissent sur le plan matériel et de la difficulté à laquelle ils sont confrontés dans l’organisation du futur. Et c’est cette diminution qui est à la source des difficultés qu’ils connaissent.

Dans les deux approches qui viennent d’être présentées, le chômage est vu comme un événement individuel et ses effets sont considérés comme le résultat de la privation de travail ou de la difficulté de mettre en place les formes de résilience adéquates permettant à la personne privée d’emploi de se refaire une santé mentale. Ce type d’analyse néglige toutefois une part importante de la problématique, celle qui concerne la manière dont la société, dans son ensemble, perçoit les chômeurs, juge les raisons de leur privation d’emploi et évalue leurs efforts de réintégration professionnelle. Depuis les travaux de Goffman (1963), on sait combien le regard d’autrui, s’il est négatif, est source de discrédit et entraîne la marginalisation de celui qui en est la victime. Pour qualifier cette situation, Goffman E. a mobilisé le terme de ‘stigmatisation’. Dans cette perspective, les effets du chômage seraient moins le résultat de processus individuels que la conséquence des images que la société s’est construites à propos des chômeurs : ceux-ci, dans la mesure où ils intériorisent la stigmatisation portée à leur égard, risquent d’être amenés à modifier la manière dont ils analysent eux-mêmes le contexte socio-économique, dont ils évaluent la place qu’ils occupent au sein de la société ou dont ils entrevoient des possibilités d’action. Plus précisément, cette stigmatisation entame profondément la confiance qu’un individu peut avoir en lui-même et l’enferme dans une impasse sur le plan personnel, social et professionnel.

Divers travaux empiriques ont mis en évidence le poids de ces mécanismes (Bourguignon, Herman, 2007 ; Bourguignon, Desmette, Yzerbyt et Herman, 2008). Ils ont montré que lorsque l’appartenance au groupe des chômeurs est rendue saillante, elle altère plusieurs aspects du fonctionnement de la personne. Non seulement cette appartenance porte atteinte à ses performances cognitives et à ses apprentissages mais elle freine également sa capacité à prendre des initiatives, à être proactif. En d’autres termes, elle met la personne en difficulté dès lors qu’il s’agit, pour elle, de démontrer ses compétences sur le plan intellectuel. De plus, elle intervient sur la recherche d’emploi en réduisant son intention de s’investir dans différentes démarches (par exemple, en diminuant le nombre d’envois de CV, de rencontres avec des employeurs, de contacts avec les agences d’intérim,…). Enfin, elle amoindrit la qualité des attitudes favorables au travail. C’est donc toute la sphère professionnelle qui se trouve atteinte.

Quel rôle jouent les politiques d’emploi ?

Différentes recherches présentées dans l’ouvrage de G. Herman (2007), dont les conclusions de certaines d’entr’elles viennent d’être brièvement résumées, soulignent en particulier deux éléments. Le premier indique que l’influence du chômage sur la détresse psychologique est importante et considérablement plus puissante que celle de la détresse psychologique sur la persistance du chômage. Autrement dit, le chômage entraîne la détérioration de la santé mentale bien plus qu’une faible santé mentale n’entrave l’insertion professionnelle. À ce titre, il peut être considéré comme un véritable problème de santé publique et ne peut être traité par une action essentiellement centrée sur les individus. Le second élément met en évidence que le fait de se voir attribuer une étiquette négative entraîne des attitudes et des conduites qui ne font qu’accentuer l’état de difficulté dans lequel se trouve la personne

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sans d’emploi. Loin de considérer l’absence de dynamisme dont on qualifie parfois le chômeur comme la cause de son non-emploi, elle en est en fait une de ses conséquences, en particulier lorsque de manière répétée, les efforts de recherche d’emploi se sont soldés par des fins de non-recevoir ou par des refus explicites.

Ces éléments conduisent à estimer que la part de la responsabilité individuelle dans la situation de chômage est particulièrement limitée. D’autres arguments plaident en faveur de cette thèse (Liénard, 2007). En particulier, l’analyse du contexte socio-économique actuel qui a été proposée dans le cadre de l’ouvrage de Herman (2007) a montré que l’augmentation de la compétitivité internationale avait accru le déficit d’emploi dans nombre de nos régions. Ce déficit est aujourd’hui tel que même dans l’hypothèse où toutes les fonctions critiques seraient remplies, c’est-à-dire tous les postes disponibles occupés, le volume d’emplois convenables4 offerts serait largement insuffisant en regard du nombre de personnes en demande d’emploi. Et ce phénomène prendrait des proportions nettement plus importantes si on prenait également en considération la qualité de l’emploi offert sur le plan des conditions de travail (contrats temporaires, travail à temps partiel, rémunération faible…). Cette situation s’inscrit à l’intérieur d’un mode de production des rapports sociaux dont les processus de régulation basés notamment sur des conventions collectivement négociées se sont progressivement affaiblis et ont peu à peu fait place à des mécanismes davantage marqués par la flexibilité, la fragilisation de la relation contractuelle ou encore le renforcement de la logique de rentabilité financière. Ces transformations ont elles-mêmes modifié le fonctionnement du marché de l’emploi. En particulier, les rapports sociaux entre employeurs et travailleurs sont soumis, aujourd’hui bien plus qu’hier, à des mécanismes régis par des principes de sélectivité drastique, qu’il s’agisse d’appariement sélectif, de déqualification en cascade ou de sur-sélection. Ceci rend particulièrement difficile l’accès à l’emploi de certains groupes. Parmi ceux-ci, on trouve les groupes marqués par un niveau d’instruction ou de qualification faible mais également ceux qui font l’objet d’une forme de stigmatisation comme les travailleurs âgés, les personnes d’origine étrangère, les femmes ou les chômeurs.

Ce bref rappel du rôle joué par les facteurs macrosociaux montre combien le chômage est le résultat de mécanismes socio-économiques globaux, en regard desquels la part de responsabilité qu’y prennent les individus occupe une place particulièrement faible. En effet, comment un chômeur, marqué par de faibles ressources sociales, financières ou psychologiques, souvent frappé du sceau de mépris par son environnement peut-il faire face à la situation ? Cette approche conduit à proposer une brève analyse des politiques publiques en matière d’insertion.

On l’a évoqué dans l’introduction de cet article, les pouvoirs publics mettent en œuvre des politiques destinées à faciliter la (ré)insertion professionnelle des chômeurs. Ces mesures sont basées sur la mise à disposition de formations professionnelles, d’ateliers de recherche d’emploi, de stages,… Depuis quelques années, les politiques publiques mises en place par les États ont de plus en plus souvent pris la forme de mesures dites actives. L’une des dernières en date, appelée Plan d'Accompagnement et de Suivi

4 En Belgique, l’emploi convenable est défini par « un certain nombre de critères (liés notamment à la

rémunération, à l’aptitude à exercer l’emploi, à la durée des déplacements…) qui permettent de déterminer si l’emploi est convenable ou non (ONEM, 2007 : site web ; Arrêté ministériel, 1991). Au niveau international, le Bureau International du Travail (B.I.T.) a défini la notion et les critères du travail décent par référence aux aspects suivants : la qualité de l’emploi formel mais aussi informel (rémunération appropriée, sécurité et conditions de travail salubres) ; sécurité sociale et sécurité du revenu ; droits fondamentaux (liberté syndicale et non-discrimination) ; dialogue social structuré. (Ghai D., 2003)

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actif des chômeurs (PAC) et mise en place en 2004 (Accord de coopération, 2004) associe les encouragements aux menaces de sanctions. D’une part, elle vise à renforcer l'aide à la recherche d'emploi, l'offre de formations et d'autres politiques actives. D’autre part, elle contrôle l'effort de recherche des chômeurs et prévoit des sanctions si cet effort est jugé insuffisant. Une étude récente, réalisée auprès d’un échantillon de jeunes âgés de 25 à 29 ans, montre que le plan a des effets complexes (Cockx B., Defourny A., Dejemeppe M. et Van der Linden B., 2007). Ceux-ci sont significatifs pour les personnes de Flandre et de Wallonie, dont les caractéristiques sur le plan de l’embauche sont les plus favorables (niveau d’instruction, expérience professionnelle, habitant d’une sous-région dont le taux de chômage est faible). De manière concomitante, le plan n’a pas eu d’effet positif sur l’embauche des autres catégories de personnes, de même que pour l’ensemble des jeunes habitant la région de Bruxelles-Capitale.

Comme le PAC, à la différence de certaines autres mesures, inclut à la fois des aspects de soutien et de coercition, il est utile d’en analyser ses effets sur d’autres dimensions que l’embauche. Une question centrale réside dans les effets que peuvent induire le soutien et /ou la sanction dans le cadre de l’insertion socioprofessionnelle sur des dimensions psychosociales. En d’autres termes, le PAC éveille-t-il un surplus de motivation pour s’investir davantage dans le monde du travail ou au contraire, devant la peur de la sanction, paralyse-t-il les chômeurs dans leurs démarches ?

Une étude de type expérimental, réalisée tout récemment auprès d’un échantillon de personnes qui participaient au PAC (Lekoeuche, 2008) dans la province du Hainaut, a tenté de répondre à cette question. Les résultats font apparaître deux tendances. D’une part, l’activation du PAC semble redonner au domaine professionnel une importance accrue et accroître l’envie de retrouver du travail. Mais d’autre part, elle éveille de la honte chez les participants. En d’autres mots, elle active une émotion d’humiliation, émotion caractérisée par la volonté de garder secrète et cachée la situation qui en est à l’origine. Ce résultat peut être considéré comme problématique sur le plan de l’insertion socioprofessionnelle dans la mesure où il a été démontré, dans d’autres travaux empiriques, que les individus honteux se tournent vers des comportements passifs de désengagement et d’isolement pour éviter les situations stressantes. Dans le cas des chômeurs, il pourrait donc se produire une forme d’évitement des situations liées à l’insertion professionnelle. Cette étude a aussi mis en évidence le fait que le PAC entraîne une perception fermée le monde du travail. Autrement dit, les personnes ont alors le sentiment que trouver un emploi est une opération plus difficile que prévu. Or, d’autres recherches ont montré qu’avoir une vision fermée du monde du travail réduit le niveau de bien-être. Enfin, les résultats indiquent également que le PAC entraîne une diminution du niveau d’estime de soi, indiquant par-là que l’auto-évaluation des chômeurs s’en trouvait affectée.

L’étude de Lekoeuche soulève donc un paradoxe : d’un côté, l’activation du PAC semble avoir un effet sur l’insertion professionnelle en augmentant l’envie de retrouver du travail et en amenant les chômeurs à accorder de plus en plus d’importance au domaine du travail ; d’autre part, elle développe une vision fermée du monde du travail, de même qu’elle éveille des sentiments de menace, de honte et baisse l’estime de soi des personnes. Cette ambivalence, in fine, est sans doute le reflet de l’état de tension dans lequel se trouvent les chômeurs confrontés au PAC. Si elle peut revivifier la norme sociale relative à la recherche d’emploi, cette norme risque toutefois de se trouver abandonnée en cas d’absence d’opportunités réelles de travail ou d’échec rencontré à la suite d’un acte de candidature, étant donnés les sentiments de honte qui avaient été activés.

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Les résultats qui viennent d’être mentionnés sont à prendre avec une certaine précaution. Bien que confirmés dans d’autres situations sociales, ils n’ont été mis en évidence, dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle, qu’au travers de cette seule étude, réalisée dans une sous-région où l’emploi est déficitaire. Néanmoins, ils attirent l’attention sur le fait qu’un dispositif mobilisant des possibilités de sanction, alors que l’offre d’emploi est insuffisante, semble non seulement entraîner des effets sur la santé mentale des chômeurs mais limite également leur marge d’action et d’initiative dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle.

Conclusion

Que le chômage détériore de manière significative la santé des individus, la chose n’est plus à démontrer. De nombreux travaux réalisés tant en Belgique que dans de nombreux pays industrialisés ont mis en évidence ses effets délétères tant sur les aspects physiques que psychologiques du fonctionnement humain. Cette détérioration s’opère au travers de la vision largement négative que la société dans son ensemble porte sur les chômeurs. Par un phénomène qu’on peut qualifier d’auto-handicapant, les chômeurs craignent les conséquences de cette vision négative, la reprennent à leur propre compte et activent des processus psychosociaux qui induisent une altération de leur fonctionnement cognitif et social. Et ceci n’est pas sans effet sur leur insertion professionnelle.

Pour faciliter et encourager la reprise d’emploi des chômeurs, les pouvoirs publics ont mis en place diverses mesures dont l’un des plus récentes – le plan d’accompagnement et de suivi actifs des chômeurs – associe le soutien à la sanction. Sur le plan de l’embauche, cette mesure semble porter des fruits uniquement pour des personnes dont les caractéristiques socio-démographiques sont les plus favorables. Pour les autres, aucun effet positif n’a été observé (Cockx et al. 2007). Sur le plan de la santé mentale et du dynamisme dans le domaine de la recherche d’emploi, cette mesure semble être contre-productive. Confrontés à une politique qui comprend à la fois des aspects d’aide ou de sanction potentielle, les chômeurs éprouvent un sentiment de honte qui s’accompagne de l’impression que le monde du travail ne leur est pas vraiment accessible, que trouver un emploi est une opération particulièrement difficile.

Devant ce type de résultats (qui demande toutefois plus ample confirmation), on ne peut que s’interroger devant les politiques d’emploi qu’on appelle aujourd’hui actives. Si leurs objectifs sont louables, il n’en reste pas moins que sur le terrain, elles ne semblent pas conduire aux effets attendus et contribuent, en partie au moins, à rendre le monde du travail encore plus inaccessible pour certains chômeurs qu’il ne l’est autrement. A notre avis, si les solutions existent, au-delà bien sûr de la création nette d’emplois, c’est notamment dans une démarche qui implique que les organismes d’insertion socio-professionnelle aient une fonction de « placeurs » en ayant la possibilité de mettre en relation directe offre et demande d’emploi dans un rapport social qui puisse prendre en considération tant les exigences réelles liées au poste de travail que la notion d’emploi convenable. Cette façon de procéder délimiterait de façon plus juste et adéquate pour les employeurs, les organismes d’insertion et de placement, les personnes à la recherche d’un emploi, les responsabilités sociales des uns et des autres. Ces pistes ont été récemment développées par Herman et Liénard (2007).

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Bibliographie

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