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Les principes de la gestion du domaine public maritime PUBLIC MARITIME Mr Or… · et rivières, n’est pas une question anodine car outre que le régime de police administrative

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Les principes de la gestion du domaine public maritimeet contentieux

Mr Philippe Orengo, Commissaire du gouvernement près la Vème ChambreIntroduction.La reconnaissance d’un droit de propriété des personnes publiques sur leur domainepublic – qui comprend leurs biens affectés à l’usage direct du public ou à un servicepublic à condition dans ce dernier cas, d’être par nature ou par des aménagementsparticuliers adaptés exclusivement ou essentiellement au but particulier de ceservice, le tout sous réserve de dispositions législatives contraires – a conduit leConseil d’Etat, surtout depuis les années 1930, à considérer que celui-ci n’est passeulement un objet de police administrative mais aussi « une richesse collective,objet d’exploitation ».La haute juridiction en tira la conséquence que l’administration se devait d’en assurerla meilleure exploitation dans l’intérêt général et pour ce faire, lui reconnut, à côté deses traditionnels pouvoirs de police, des pouvoirs de gestion – lesquels constituentune mission de service public administratif.Si la légalité de l’exercice des pouvoirs de police est étroitement conditionnée parl’intérêt de la circulation ou de la conservation du domaine, celle de l’exercice despouvoirs de gestion attachés à la qualité de la personne publique propriétaire n’aguère d’autres limites que celles du respect de l’intérêt général, y compris l’intérêtfinancier, et de la compatibilité avec l’affectation de la dépendance domaniale.Si sur le domaine public comme ailleurs, il n’est au fond, en matière de la policegénérale qui concerne l’ordre public, jamais question d’autre chose que de trouver unéquilibre entre la faute et la sanction, il en va autrement lorsqu’y est mise en œuvresur certaines de ses dépendances une police spéciale, à forte connotation répressivedestinée à assurer la conservation de ce domaine public. Parallèlement à cettenécessité de conservation de l’intégrité du domaine, la recherche de l’équilibre enmatière de gestion pose des questions souvent délicates. En effet, le régimejuridique de la domanialité publique, distinct et indépendant par rapport à d’autreslégislations, comme par exemple le droit de l’urbanisme ou le droit des sociétés, esttrès protecteur des biens domaniaux et des intérêts des collectivités publiques. Celacontribue à ce qu’il ne se concilie pas aisément avec l’impératif de valorisationéconomique, sociale et humaine du domaine public, qui est par nécessité soumise àla volonté d’autres acteurs que les seuls propriétaires ou gestionnaires du domaine,lesquels réclament évidemment des droits consolidés et protégés pour asseoir leursactivités sur des fondements stables et sécurisés. C’est dans ce cadre à la fois étroit et large que les collectivités publiques tentent detirer toutes les conséquences de leur droit de propriété.Pour essayer de donner un aperçu de la complexité de la matière, nous nousproposons après avoir rappelé la consistance du domaine public maritime, debrosser un tableau du régime juridique autonome auquel il est soumis, permettant devoir comment les règles fondamentales de la domanialité publique tentent deconcilier les deux impératifs parfois contraires qui l’irriguent : celui de sa protection etcelui de son optimisation.

I. La consistance du domaine public maritime.

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Le domaine public maritime, dont la notion même est une création jurisprudentiellede la seconde moitié du XIXème siècle, est incontestablement la partie la plusétendue du domaine public. Il représente aujourd’hui quelques 100 000 kilomètrescarrés et concerne pour la métropole y compris les îles, 5 533 kilomètres de côtes,outre 700 kilomètres de lais et relais. L’attraction qu’exercent la mer et les zonescôtières en font aussi le domaine public le plus convoité et le plus exploité comme lemontre en particulier la confusion croissante entre les mouvements de concentrationde l’économie touristique prise globalement et ceux de l’urbanisation.De manière apparemment paradoxale, la mer, ou plus exactement les eaux des 3zones que sont la haute mer, la mer territoriale et les eaux intérieures ne font paspartie du domaine public maritime. Cela tient au fait que ces eaux étant une chosecommune, elles ne sont pas susceptibles d’appropriation. L’Etat ni aucune autrepersonne publique ne pouvant exercer sur elles un quelconque droit de propriété,mais seulement des prérogatives de souveraineté et de police administrative, ellesne remplissent pas l’une des conditions sine qua non de l’appartenance au domainepublic qui est celle d’être la propriété d’une personne publique.Ce domaine public maritime se divise en deux grandes catégories : le domainepublic maritime naturel et le domaine public maritime artificiel.A. Le premier, nécessairement de nature contingente, variable au gré de lagéographie physique et donc d’autant plus malaisé à délimiter, se compose de cinqéléments.1- D’abord et avant tout du rivage de la mer, dont la délimitation auparavantdifférente selon qu’il s’agissait de la côté atlantique ou de la côte méditerranéenne, aété unifiée par une œuvre jurisprudentielle, l’arrêt d’assemblée CE, Kreitmann du 12octobre 1973, qui la fixa au point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre,en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles.2- Ensuite, du côté de la mer et depuis un arrêt du CE du 17 janvier 1923, Ministredes travaux publics et Gouvernement Général de l’Algérie c/ Sté Piccioli Frères, dusol et du sous-sol de la mer territoriale, c’est à dire de deux composantes qui, partantdu rivage s’étendent depuis une loi du 21 décembre 1971 jusqu’à une limite dedouze milles nautiques calculée conformément à la loi du 28 novembre 1963 à partirde lignes de base fixées par décret.3- Puis, du côté de la terre, des lais et relais de la mer, qui formés postérieurement àla loi du 28 novembre 1963, s’incorporent d’office au domaine public ainsi que leslais et relais formés antérieurement à cette loi qui appartenaient alors au domaineprivé de l’Etat et pour lesquels une incorporation au domaine public ne peut se faireque par un acte de classement, sous réserve des droits des tiers, de l’intérêt généralet de la réalisation d’une délimitation du côté de la terre. Tous ces espacescorrespondent à des terrains précédemment immergés que la mer ne recouvre plus,soit parce qu’ils procèdent d’un apport d’alluvions, soit parce que leur émersionrésulte d’un retrait de la mer.4- Viennent ensuite, conformément à l’article 538 du Code Civil (mais peut-être encontradiction avec les règles du droit international public, dans la mesure où les eauxde la mer territoriale ne peuvent devenir la propriété de quiconque) : les havres –ports naturels – non aménagés et qui le plus souvent situés à l’embouchure desfleuves, permettent aux navires de s’abriter du gros temps - ; les rades – bassinsnaturels non aménagés en communication avec la mer et permettant le mouillage

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des navires – ainsi que certaines baies – incorporées au domaine public pardécisions de justice comme par exemple la baie de Granville, plus connue commeétant la baie du Mont Saint-Michel, en vertu d’un arrêt de la chambre civile de laCour de cassation du 15 février 1943.5- Enfin, comme le prévoyait déjà l’Ordonnance royale, dite de Colbert, sur la marined’août 1651, les étangs salés à la condition toutefois qu’ils communiquentdirectement et de manière naturelle avec la mer, ce qui exclut les étangs reliés à lamer par l’intermédiaire d’une rivière ou d’un chenal percé artificiellement, comme leveut une jurisprudence constante depuis que leur définition juridique fut adoptée parun arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 23 juin 1842, Fabre, auSirey 1842, 1, p. 887.B. A côté de ces composantes du domaine public maritime naturel, le domaine publicmaritime artificiel se compose pour sa part de trois grandes catégories d’éléments.1- D’une part, celle des ports maritimes, qu’ils soient civils et militaires, relevantnécessairement de l’Etat, de commerce et de pêche, relevant des Départements etpouvant désormais relever des Régions, ou de plaisance qui relèvent des communesdepuis les lois de décentralisation éclairées par la jurisprudence – ces collectivitéspouvant évidemment en déléguer la gestion, comme c’est souvent le cas, auxChambres de commerce et d’industrie, notamment par le biais de sous-traités deconcessions ad hoc. Entrent évidemment dans la catégorie des ports maritimes, lesports autonomes qui sont à la fois des établissements publics administratifs et desétablissements publics industriels et commerciaux.2- D’autre part, celle des ouvrages maritimes établis dans l’intérêt de la navigationmaritime tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des ports, y compris les terrains inclus dansles enceintes des ports.3- Enfin, celle des terrains artificiellement soustraits à l’action des flots, en vertud’une autorisation administrative comme le sont la plupart des zones industriellesportuaires et d’autre part, les terrains conquis sur la mer à la suite d’une concessiond’endigage arrivée à son terme.A la seule énumération des composantes de ce domaine, l’on comprend l’importancedes enjeux qui s’y déroulent ainsi que sur le domaine naturel, la difficulté de rendrecompatibles la nécessité du maintien d’un espace naturel particulièrement riche et lavolonté d’exploiter des activités économiques de plus en plus nombreuses et variées.C’est la raison essentielle pour laquelle l’ensemble de ce domaine estparticulièrement protégé.

II. La protection du domaine public maritime.Cette protection se traduit essentiellement par trois aspects : le pouvoir unilatéral dela collectivité propriétaire d’en délimiter les contours ; l’existence d’un régimejuridique contraignant et l’obligation de recourir à une police spéciale qui combine àla fois un caractère pénal et un caractère domanial.A. Le pouvoir unilatéral de détermination des contours du domaine public.Contrairement à ce qui se passe en matière de propriété privée qui est déterminéepar une opération amiable à caractère bilatéral entre deux propriétaires voisins et àdéfaut par une action contradictoire en bornage devant les tribunaux judiciaires, le

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contour du domaine public relève toujours d’un acte unilatéral fait sous réserve dudroit des tiers et le cas échéant d’une décision de la justice administrative.1- Pour la partie naturelle du domaine public maritime dont l’assise estnécessairement contingente, elle est définie par un acte administratif de délimitation,au risque d’expropriation indirecte, le tout soumis au contrôle du juge et, le caséchéant, par le juge administratif lui-même.

a) Les différents éléments de ce domaine obéissent à des régimes procédurauxdifférents de délimitation. Ainsi, il existe une procédure de délimitation des laiset relais, une procédure de délimitation du rivage et une procédure dedélimitation des limites transversales de la mer, cette dernière qui concerne lalimite entre les eaux douces et le milieu maritime à l’embouchure des fleuveset rivières, n’est pas une question anodine car outre que le régime de policeadministrative applicable au DP maritime n’est pas le même que celuiapplicable au DP fluvial, cela pose de délicats problèmes de propriété : enaval, les terrains soumis à l’action des marées sont assimilés au rivage et lesatterrissements qui peuvent s’y former constituer des lais ou relais sontincorporés de plein droit, soit incorporables au DPM tandis qu’en amont lesterrains exondés deviennent propriétés des riverains.Chacune de ces procédures en deux phases fort lourdes et coûteuses ontnécessité l’intervention d’une réforme. Si un décret récent du 29 mars 2004 aréussi à les simplifier sans pouvoir les unifier, son apport essentiel est qu’il aintroduit une possibilité pour les riverains à intervenir dans la procédure dedélimitation. Pour le reste, il n’a guère chamboulé ni les principes juridiquesqui commandent les opérations de délimitation ni le mécanisme de cesdernières – de sorte que l’état de fait actuel où seulement 5% du rivagefrançais a été délimité, risque fort de perdurer assez longtemps.

b) Les principes sont simples. Les propriétaires riverains d’éléments du domainepublic maritime naturel peuvent toujours exiger de l’Etat qu’il leur fasseconnaître les limites de leur propriété par rapport au domaine naturel. Demême, l’Etat ne peut refuser de procéder à cette délimitation pour de simplesmotifs d’opportunité. Enfin, l’acte de délimitation est purement déclaratif car ilconstate à un moment donné du temps une simple situation de fait résultantde phénomènes naturels. Il n’a donc pas pour effet d’incorporer par lui-mêmedes parcelles dans le domaine public mais seulement de permettre que la lois’applique au constat auquel il a abouti et permettre alors soit uneincorporation d’office, soit une incorporation par acte de classement selon lescas.

c) La réserve des droits des tiers prend en compte deux situations : l’une, où lepropriétaire ne peut quasiment rien faire sinon placer ses espoirs dans lesforces de la nature, qui est celle où la propriété privée est incorporée dans ledomaine public par simple résultante de phénomènes naturels ; l’autre, où lepropriétaire peut se prévaloir de titres de propriété leur donnant un droit,comme le prétendirent par exemple les moines de l’île de Saint Honorat, desorte que dans le cas où le droit est réellement fondé en titre, l’incorporationau domaine, sous réserve de l’action de la nature, ne pourra se faire que parvoie d’acquisition amiable ou par voie d’expropriation.

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d) L’expropriation indirecte concerne le cas assez rare où des terrains privéssitués au-delà de la limite des plus hautes eaux auraient été à tort incorporésdans le domaine public naturel par suite d’un acte de délimitation.

2- Pour la partie artificielle du domaine maritime, les choses se présententdifféremment car il s’agit là au moins d’une délimitation domaniale contingente qued’une délimitation du champ d’application géographique d’un régime juridiquespécifique à une propriété de l’Etat, que cette propriété ait ou non été mise àdisposition d’une autre personne publique, voire d’une personne privée chargéed’une mission de service public. Les problèmes de limite de propriété sont moindresd’une part, car ils ne concernent pas des biens essentiellement soumis aux capricesde la nature ; d’autre part, car ils ont trait à des situations juridiques en théoriesécurisées et enfin, car la domanialité des biens artificiels correspond normalement àun périmètre assez aisément déterminable au sein duquel le bien doit être affecté àl’utilité publique et avoir fait l’objet d’un aménagement spécial.B. Le régime juridique régissant le domaine public est contraignant.La pierre angulaire des règles de la domanialité publique qui remonte au principeposé par l’Edit de Moulins de février 1566 pour les biens du Domaine de laCouronne, est désormais posé à l’article L.52 du Code du domaine de l’Etat, selonlequel : « les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles ».1- Au sein de ce principe, l’inaliénabilité est la clef de voûte du système,l’imprescriptibilité n’en étant que le corollaire direct.La signification du principe est simple : d’une part, est prohibée la vente desdépendances du domaine public, d’autre part est impossible leur acquisition par lavoie de la prescription civile.Il comporte un effet direct et des effets indirects.

a) L’effet direct de ce principe dont le but est de protéger la collectivitépropriétaire mais aussi et surtout l’affectation du bien à l’intérêt général estque l’inaliénabilité interdit toutes les formes d’aliénations, de sorte que lorsqu’ils’en rencontre une, elle est frappée de nullité absolue et son acquéreur,quand bien même il aurait été de bonne foi, est soumis à une obligation derestitution. Une telle aliénation est donc inopposable aux tiers, ce qui signifieque le cessionaire ne peut exercer à leur égard les droits du propriétaire.

b) Les effets indirects se classent en deux catégories de règles contraignantes :d’abord, celles qui proscrivent un transfert du droit de propriété ; ensuite cellesqui interdisent un simple démembrement de la propriété.

*Se rangent dans la première catégorie de règles, l’imprescriptibilité du domaine,consacrée tant par la jurisprudence civile que par la jurisprudence administrative,par divers textes particuliers et surtout maintenant par l’article L.52 du code dudomaine de l’Etat, ainsi que par la règle interdisant d’exproprier le domaine public– encore que cette règle soit délicate à manier en présence de mutationsdomaniales, comme en donna un exemple pour une parcelle relevant du domainepublic communal, la déclaration d’utilité publique du tramway de Nice.Cette imprescriptibilité signifie que les tiers ne peuvent en aucun cas acquérir undroit sur les biens domaniaux par voie de prescription, c'est-à-dire par unepossession prolongée. Cette règle est valable tant pour l’acquisition de la

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propriété elle-même – l’usucapion bien connue des civilistes – qu’en matière dedémembrement du droit de propriété que constituent les droits réels, dont enparticulier les servitudes. A cet égard, si l’existence du domaine public peut créerdes charges de voisinage à ses riverains comme par exemple l’interdiction deconstruire dans des zones réservées sur les propriétés privées riveraines de lamer pour préserver les besoins d’intérêt public d’ordre maritime, touristique oubalnéaire, ou encore les servitudes de passage longitudinale et transversalemises à la charge des propriétés riveraines ou proches de la mer, l’inverse n’estpas vrai car, en principe, toute servitude de droit privé est exclue à la charge dudomaine public.Il en résulte que l’administration propriétaire peut à tout moment revendiquer lebien et que l’action en réparation des dommages causés aux biens estimprescriptible alors qu’à l’inverse sont irrecevables les actions possessoiresdirigées contre les personnes publiques propriétaires ou affectataires du domainepublic et que les personnes convaincues d’avoir endommagé le domaine nepeuvent échapper aux poursuites engagées au titre de l’action domaniale. C’estle champ de la police de la contravention de la grande voirie, sur lequel nousdirons seulement quelques mots in fine de notre exposé, bien qu’il donne lieu àun contentieux assez abondant.*Se rangent dans la seconde catégorie de règles, la question très délicate de laconstruction de droits réels sur le domaine public qu’il s’agisse de l’hypothèque,de l’usufruit, des servitudes réelles, de l’emphytéose ou du bail à constructionpour ne citer que les plus courants. En la matière, le principe veut que soitprohibé tout démembrement du droit de propriété des personnes publiques surles biens de leur domaine public, du fait même de son inaliénabilité. Il est en effetapparu évident que la protection du domaine public passait par l’exclusionabsolue de tout droit susceptible de porter un jour atteinte à l’affectation de cesdépendances ou même simplement à la mutualité de ces dépendances. Dans cecadre, le juge administratif, agissant en qualité de juge du contrat, tranchehabituellement comme nulle toute clause contractuelle conférant un droit réel surune dépendance du domaine public.2- Mais le principe d’inaliénabilité est en voie de désacralisation.Il s’est trouvé fortement relativisé non pas seulement par les exceptionsanciennes qu’il comportait ou par la relative facilité de déclasser un bienappartenant au domaine public mais encore et surtout parce que c’est le contenumême du principe qui est désormais remis en cause.En effet, malgré les apparences, il n’est ni n’a jamais été absolu.a) Sa relativité tient d’abord du fait qu’en cas de conflit entre ce principe et

certains autres principes, ce sont ces derniers qui l‘emportent : par exemple,le principe de la confirmation des aliénations antérieures à l’Edit de Moulins ;le principe de l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux réalisées sous laRévolution ; le principe du respect des décisions de justice passées en forcede chose jugée.

b) Elle tient ensuite au fait, de manière plus générale et plus intéressante, à cequ’est le fondement même de l’inaliénabilité : l’affectation – c'est-à-dire lepouvoir dont dispose la collectivité propriétaire d’affecter une dépendance àune utilisation déterminée.

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L’on notera à ce propos que si seul l’Etat dispose de la prérogative régalienne dechanger l’affectation de toutes les dépendances du domaine, qu’elles luiappartiennent ou non et le cas échéant, d’en transférer la gestion à une autrepersonne publique, l’exercice de ce pouvoir, reconnu en matière jurisprudentiellepar ce qui s’appelle la « théorie des mutations domaniales » et consacré par la loidans le mécanisme des « transferts de gestion », est lui-même une amputationdu droit de propriété des biens des personnes publiques autres que l’Etat. Pourdonner un exemple, voyez CE 20 février 1980, Association pour la protection dusite du Vieux Pornichet où une association fut jugée comme n’étant pas fondée àsoutenir qu’une décision préfectorale autorisant le transfert à la commune de lagestion d’une partie du domaine public maritime en vue de la création d’un viaducde 220 mètres de long destiné à assurer la desserte du port de plaisance, n’auraitlégalement pu intervenir que si les dépendances de ce domaine nécessaires à laconstruction de cet ouvrage avaient été mises à la disposition de la commune parla voie d’une concession d’outillage public ou une concession de port deplaisance.c) L’importance de la notion d’affectation tient au constat simple que ce n’est pas

la nature des choses qui fait obstacle à l’aliénabilité du domaine public, maisbien l’affectation du domaine public à l’utilité publique qui fait obstacle à savente ou à l’usucapion. Que cette affectation prenne fin et alors ce qui étaitdomaine public devient du domaine privé et se retrouve soustrait au principed’inaliénabilité. L’on peut donc dire que le domaine public n’est inaliénable quepour autant que persiste l’affectation ou pour autant que n’est pas remplie lacondition formelle de sa désaffectation, par la prise d’une décision dedéclassement.

d) Elle tient ensuite au fait que des servitudes de droit privé peuvent grever ledomaine public pour autant qu’elles aient été instituées avant l’incorporationde la dépendance dans ce domaine et qu’elles soient compatibles avec sonaffectation.

Parce que le domaine public est très protégé, il parut un temps aisément valorisable.La réalité s’avéra beaucoup plus nuancée car si sa valorisation a bien eu lieu, elles’est révélée délicate à concilier avec les textes et la jurisprudence.C. Le domaine optimisé.Puisque l’affectation commande le régime des utilisations du domaine public, ellerégit bien évidemment les rapports qui existent entre les pouvoirs de l’administrationet les droits des administrés.Le problème que posent ces rapports se manifeste avec acuité lorsqu’est en causel’occupation d’un bien affecté à l’usage direct du public alors qu’il n’en va pas demême lorsque l’occupation domaniale concerne un bien affecté à un service public.En effet, dans le premier cas, l’administré a un titre direct à l’utilisation du domaine etce titre est d’autant mieux protégé qu’il s’agit souvent pour cet administré du droitd’exercer une liberté publique, alors que dans le second cas, les administrés n’ontpas la pleine disposition du bien et n’ont pas de droit direct à son utilisation.Si l’administration est pour sa part tenue d’assurer le respect de l’utilisation conformeà l’affectation, de n’apporter à celle-ci aucune autre limitation que celle justifiée pardes préoccupations dans le cadre de la police administrative et de n’admettre

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aucune utilisation qui étant anormale, serait incompatible avec l’affectation du bien,le régime des occupations domaniales varie selon qu’il s’agit d’une occupationcommune ou d’une occupation privative.1- A l’usage commun conforme à l’affectation, s’appliquent trois principes qui sontautant de garanties pour l’administré.

a) Le premier est la liberté d’utilisation, c'est-à-dire qu’elle n’est pas en principesoumise à autorisation. Mais cette liberté n’est pas absolue : par exemple,chacun est libre d’aller et de venir le long du rivage mais non pas de s’yinstaller fut-ce pour y pique-niquer. De même, chacun n’est pas libre demouiller son navire n’importe où et n’importe comment.

b) Le deuxième est l’égalité des usagers du domaine public pour autant qu’ilssoient placés dans la même situation – formule qui n’exclue donc pas lesdiscriminations, par exemple, entre la situation des baigneurs et desplaisanciers, par exemple.

c) Le troisième est la gratuité : par exemple, l’utilisation de la servitude depassage le long du rivage ne donne pas lieu à péage.

Ces principes sont toujours très relatifs, car il va de soi que l’acte qui a affecté unbien à tel ou tel type d’usage confère par lui-même à l’autorité chargée de veiller à laréalisation de cette destination la compétence de prendre toutes les mesures quecommande la gestion de la chose conformément à sa destination.Si les atteintes à ces principes peuvent se justifier, il faut qu’elles demeurentexceptionnelles et c’est là tout le champ du contentieux de la police administrativegénérale et, le cas échéant, de la police spéciale qui recouvre de très nombreux casde figure (police des épaves, police de la navigation, police des compétitionsnautiques en mer, police des exploitations aquacoles par exemple), contentieux quiprésente essentiellement des difficultés liées à la juxtaposition et à la superpositiondes pouvoirs dont disposent diverses autorités publiques (préfet maritime, préfet dedépartement, président de conseil général, président de conseil régional, maire,Chambre de commerce et d’industrie, établissements publics divers, etc…).2- C’est surtout en matière d’utilisation privative du domaine public que serencontrent les corollaires contraignants du principe d’inaliénabilité, car une telleutilisation obéit à un régime particulier.Traditionnellement, les utilisations privatives du domaine public font l’objet d’uneclassification fondée sur la nature du titre auquel elles donnent lieu en application del’article L.28 du Code du Domaine de l’Etat voulant que : « nul ne puisse, sansautorisation, occuper le domaine public national ».L’on y distingue les utilisations fondées sur un acte juridique unilatéral donné par lemaître du domaine et celles fondées sur un contrat conclu entre le maître dudomaine et l’occupant. Cette classification est importante en raison de la différencede régime juridique attaché à chaque catégorie, notamment au regard de l’étenduedes droits conférés aux occupants.

a) La caractéristique essentielle de l’occupation domaniale est ici, d’être soumised’une part à la détention d’une autorisation explicite et jamais tacited’occupation, que celle-ci procède d’un acte unilatéral accordé de manièrefortement discrétionnaire comme c’est le cas des autorisations d’occupation

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temporaires, qui ne sont rien d’autre que des permis de stationnement, ouqu’elle procède d’un contrat administratif qui comporte occupation du domainepublic comme c’est le cas du contrat de concession de lot de plage ou ducontrat de concession d’outillage, et d’être soumise, d’une part, au versementd’une redevance qui étant une recette non fiscale, génère un contentieuxrelevant de la compétence du juge administratif.

b) Ces autorisations, qui obéissent à un régime particulier d’octroi, de maintien etd’exécution sont, en principe, toujours strictement personnelles et par suiteincessibles et intransmissibles, précaires et révocables.

* Le régime de leur octroi et de leur maintien obéit à deux principes : d’une partl’administration est seule compétente pour fixer, dans l’intérêt du domaine et de sonaffectation, comme dans l’intérêt général, les conditions auxquelles sontsubordonnées les autorisations ; d’autre part, l’administration est désormais tenued’examiner les demandes au regard du principe de la liberté du commerce et del’industrie et des règles de la concurrence.* Si malgré cela les données de l’intuitus personae (qui permet d’accorder lesautorisations en considération des qualités par exemple professionnelles reconnuesà la personne), de la précarité et de la révocabilité demeurent absolumentintangibles, le principe de l’incessibilité est plus fluctuant, car il révèle la difficulté qu’ily a à concilier les règles générales de la domanialité publique avec la valorisation,notamment économique, du domaine.Certes, ce principe n’a, lui non plus, jamais été absolu, puisque de nombreux textesl’ont expressément écarté, à l’image de ce qui se passe pour les autorisations destationnement délivrées aux exploitants de taxi, pouvant présenter un successeur àtitre onéreux ou encore dans le domaine des télécommunications, la possibilité definancer des investissements publics par crédit-bail et que même une jurisprudence,il est vrai atypique, CE 4 juin 1958, Tossounian, a pu s’inscrire dans cette ligne.Mais si le principe demeure qu’un titre d’occupation n’est pas un bien meublecessible et qu’un transfert justifie le retrait pour faute de l’autorisation cédée, sousréserve que son titulaire ait été invité à présenter ses moyens de défense, il est enpasse de devenir de plus en plus relatif.Il est en effet au cœur du problème de la constitution de droits réels sur le domainepublic, source actuellement presque inépuisable de contentieux en raison depratiques qui s’étant développées en marge des textes et de la jurisprudence,procèdent au demeurant d’une méconnaissance patente des modalités d’exercicedroits réels.Cette relativité, quoique fortement encadrée par l’exigence d’une cascaded’approbations préalables, a été soulignée par trois mesures :- d’abord, par la loi du 5 janvier 1988 qui autorise les collectivités locales et leursétablissements publics à consentir sur leur domaine public des baux emphytéotiquesde 18 ans au moins et de 99 ans au plus dans le seul cadre d’une mission de servicepublic ou d’une opération d’intérêt général. Toutefois, si l’article 13 de cette loipermet la création de droits réels, ces derniers, qui ne portent au surplus que sur desbiens immobiliers et non pas sur l’assise même du domaine public, ne peuventjamais être cédés sans l’agrément de la personne publique et la constitution d’une

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hypothèque sur ce bien ne peut jamais intervenir sans l’approbation de la mêmepersonne publique.- ensuite, par la loi du 25 juillet 1994 et son décret complémentaire du 5 mai 1995 quiétend à l’Etat et à ses établissements le droit de concéder pour une durée maximalede 70 ans des droits réels sur le seul domaine public artificiel et, au sein de cedomaine, sur les seuls biens immobiliers – un décret du 2 décembre 1996 ayant parailleurs autorisé les ports autonomes à délivrer des titres d’occupation sur le domainede l’Etat dont ils assurent la gestion. Disons à ce propos que la loi de 1994 n’est passi novatrice que cela car la cessibilité des titres d’occupation du domaine publicmaritime artificiel a été prévue par les cahiers des charges applicables auxconcessions en général, sous réserve évidemment d’une approbation préalable del’autorité concédante, cette approbation ne valant d’ailleurs que dans le cadre del’intuitus personae et pour des ayants droits dans des conditions fortementréglementées.- enfin, par la loi du 2 décembre 2003 dont l’article 34 habilite le Gouvernement àmodifier et à compléter par ordonnance rien moins que, nous citons « lesdispositions relatives à la définition, à l’administration, à la protection et aucontentieux du domaine public et du domaine privé, mobilier comme immobilier del’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics, à l’authentificationdes actes passés par ces personnes publiques, au régime des redevances et desproduits domaniaux, tant en ce qui concerne leur institution que leur recouvrement,ainsi que celles relatives à la réalisation et au contrôle des opérations immobilièrespoursuivies par ces collectivités, afin de les simplifier, de les préciser, de lesharmoniser, d’améliorer la gestion domaniale et de les codifier ». Vaste chantier !c) Toutes les autorisations domaniales, dont aucune ne peut jamais procéder de – nidonner lieu au – bénéfice de droits acquis, sont également soumises à un régime deretrait et d’abrogation particulier.La cessation de l’autorisation par arrivée à son échéance normale ne donne jamaislieu à indemnisation. En revanche, le retrait ou l’abrogation avant terme peut donnerlieu à indemnisation, étant précisé que les droits des cocontractants d’une collectivitépublique sont nettement plus étendus que ceux des titulaires d’une simpleautorisation unilatérale. Cela tient au fait qu’il est logique, lorsque la résiliation ducontrat ne procède pas d’une inexécution de ses clauses et de ses conditions, que lepréjudice né de l’éviction anticipée donne lieu à indemnisation alors qu’en matièred’actes unilatéraux, l’indemnisation ne sera ouverte, et dans ce cas proportionnée,que si l’éviction ne procède pas d’une autre cause que celle de l’intérêt justifié etétabli de la conservation ou de l’utilisation normale du domaine conforme à sonaffectation.Mentionnons enfin, que pour surveiller les atteintes portées au domaine public, ilexiste en dehors même de la police générale de l’ordre public, un régime répressiforiginal qui est celui de la police dite des contraventions de grande voirie,uniquement applicable, en matière maritime, aux atteintes au domaine public naturellorsqu’elle repose sur l’Ordonnance royale sur la marine d’août 1681. Disonssimplement que son originalité réside en ceci qu’il comporte un aspect pénalconduisant le cas échéant à l’infliction d’une amende et un aspect domanial,conduisant à la restitution du domaine public dans son état initial à la charge del’occupant indélicat. Soumis à un régime procédural très particulier et obéissant àdes règles de fond draconiennes puisque seules sont exonératoires de

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condamnations soit l’absence de matérialité des faits, soit le cas de la force majeureou encore des faits de l’administration ou de tiers qui serait assimilables à un cas deforce majeure, il donne lieu à un contentieux varié, souvent fort intéressant et créatifde jurisprudence – comme l’est d’ailleurs aussi de manière plus indirecte, lecontentieux des dommages de travaux publics dont le lien avec la domanialité estévident.Au regard de ce que nous venons de dire, il se comprend que le contentieux directou indirect que génère le domaine public maritime est d’une telle ampleur qu’il estimpossible d’en donner un aperçu complet dans le cadre de cette manifestationd’aujourd’hui, puisqu’il inclut non seulement pour le juge administratif des pouvoirsd’administrateur dans la délimitation du domaine public naturel mais aussi l’exercicedes pouvoirs répressifs en passant par la gamme de ses pouvoirs juridictionnelshabituels de juge de l’excès de pouvoir, de juge du plein contentieux et de juge ducontrat.Cette ampleur du contentieux est d’autant plus certaine que si la version initiale duCode du domaine de l’Etat, pierre angulaire du régime de la domanialité publique, futélaborée en 1957 sur le fondement d’une loi autorisant le gouvernement à« assouplir, simplifier et uniformiser les règles de gestion et d’aliénation des biensmobiliers et immobiliers appartenant à l’Etat et aux établissements publicsnationaux », le simple fait que cinquante ans plus tard, l’un des nombreux chantiersde réforme ouvert par la loi du 2 juillet 2003 se soit donné un but similaire quoiqueplus vaste encore, montre bien que la matière complexe de la domanialité publiquen’a pas été simplifiée.Au contraire même. Alors que le domaine public souffre d’une double hypertrophie :organique d’abord, depuis que les établissements publics administratifs mais aussiindustriels et commerciaux, qu’ils disposent ou non d’une base territoriale, se sontvus reconnaître le droit d’avoir un domaine public – comme c’est le cas par exemple,pour le Conservatoire du littoral et des rivages lacustres - ; matérielle, ensuite, caraux dérives du contenu peu exigeant du critère d’aménagement spécial, donttémoigna la jurisprudence Dame Gozzoli, posant en réalité comme étant constitutifd’un aménagement spécial le simple entretien d’une plage par réagrégage du sable,force est de constater que les théories de la domanialité globale, de l’accessoire etmême de la domanialité publique virtuelle se sont conjuguées pour étendre demanière manifestement démesurée le champ de la domanialité publique et, par voiede conséquence, les possibilités de contentieux.Néanmoins, la séance des questions-réponses placée sous la direction de Monsieurle Président du Tribunal de Nice devrait permettre, du moins nous l’espérons, delever les zones d’ombre que laisserait subsister notre propos et de répondre à lacuriosité de l’auditoire que je remercie de son attention.