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Les resonances psychologiques de la fin destraitements
A. Bouregba
Ligue nationale contre le cancer, 14, rue Corvisart, F-75013 Paris, France
Correspondance : [email protected]
Resume : Cet article presente les
signes specifiques de la depression
post-traumatique qui s’amorce
chez des patients a la suite de leur
traitement contre le cancer. Apres
avoir decrit le sentiment de perte
de sens a l’existence, de la sensibi-
lite a la joie et de la confiance en soi
qui domine dans cet etat depressif,
les manifestations de mauvaise
conscience et d’isolement qui s’y
trouvent parfois sont abordees.
Cette presentation permet de diffe-
rencier l’etat depressif post-trauma-
tique des troubles depressifs
chroniques. Par la suite, les meca-
nismes inconscients a l’origine de
ces signes depressifs sont discutes
dans leur aspect dynamique. Ces
mecanismes correspondent aux
efforts du sujet, a la fin des traite-
ments, pour contenir le retour des
emotions violentes et anxiogenes
qu’il a precedemment refoulees.
Dans une troisieme partie, l’article
evoque comment les repercussions
du cancer sur l’environnement
familial et socioprofessionnel
concourent a renforcer le sentiment
d’isolement et d’incomprehension
des patients. L’information du
patient, relative aux resonances
psychologiques douloureuses
pouvant survenir a la fin des
traitements, attenue ce sentiment
d’isolement et d’incomprehension
et constitue, par la meme, un ins-
trument de prevention. Pour
conclure, les methodes therapeuti-
ques requises pour le traitement de
la depression post-traitement sont
evoquees.
Mots cles : Depression post-trau-
matique – Estime de soi – Inhibi-
tion – Groupe de parole
Psychological repercussions in
post-treatment cancer patients
Abstract: This article explores the
various symptoms characteristic of
post-traumatic depression in cancer
patients following treatment.
Patients in this depressive state
initially describe feelings of a loss of
purpose and meaning to life as well
as a loss of the ability to experience
happiness and self-confidence. Fee-
lings associated with a guilty cons-
cience and with a sense of isolation
are sometimes evoked at a later
stage.Thisarticleallowsadistinction
to be made between post-traumatic
depression and difficulties associa-
ted with chronic depression. The
unconscious mechanisms under-
pinning thesedepressivesymptoms
are subsequently explored from a
dynamic perspective. Thesemecha-
nisms correspond to the subject’s
efforts following treatment to sup-
press the violent and anxiety-pro-
ducing emotions that were
previously repressed. In a third sec-
tion, the article explores how the
repercussions of cancer on the
family and socio-professional envi-
ronments act to reinforce the
patient’s feelings of isolation and
failure to be understood. Raising a
patient’s awareness of the painful
psychological repercussions that
can occur when treatment is
complete acts as a preventive mea-
sure. In conclusion, the article explo-
res therapeutic methods that are
effective in treating post-treatment
depression in cancer patients.
Keywords: Post-traumatic depres-
sion – Self-esteem – Fatigue –
Inhibition – Support group
Depuis plus de 15 ans, au sein de la
Ligue nationale contre le cancer, je
co-anime avec le Dr Francoise May-
Levin des groupes de parole a
l’attention de patients traites pour
un cancer. L’inclusion dans un
groupe de parole repose sur le
desir du patient de mettre en mots
son experience et de rencontrer des
personnes confrontees a une
epreuve analogue. La demande de
groupe de parole est motivee par le
besoin de parler et le desir de
rencontre. S’exprimer et sortir de
son isolement sont les contenus
explicites de la demande de grou-
pes de soutien.
Cette demande manifeste cou-
vre une attente sous-jacente. Parler
n’est pas l’equivalent de dire. Parler,
c’est pour le locuteur un moyen de
transposer son experience dans un
univers, ou il est situe comme le
sujet de ce qui se dit. Parler, c’est se
situer, s’engager et se signifier son
experience. Le cancer n’a pas de
signification pour le patient qui en
est atteint. Aussi cherche-t-il en
l’exprimant a se l’approprier.
Le cancer s’apparente a une
intrusion du reel dans le cours de
l’histoire de celui qui en est affecte.
Le reel doit etre differencie de la
realite. La realite, c’est le reel rap-
porte aux connaissances que le
sujet en a. Le suffixe « ite », signifie
qualite ou encore propriete. La per-
ception de la realite suppose une
reconstruction du reel a partir de
ses proprietes. Les proprietes du
reel etablissent les bases de cons-
truction du lexique. Au mot fleur,
correspond une classe d’objets deli-
mitee a partir de caracteres dis-
tincts, morphologiques (calice,
corolle...) ou fonctionnels (organe
Oncologie (2008) 10: 263–267© Springer 2008DOI 10.1007/s10269-008-0842-2
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reproducteur des plantes superieu-
res). La perception de la realite
suppose la capacite a mettre en
mots le reel auquel, pour autant, il
ne se reduit pas : « Tum’appelles la
rose, dit la rose, mais si tu savais
mon vrai nom je m’effeuillerais
aussitot », ecrivait Paul Claudel [2].
Il est parfois difficile d’opposer
une signification a la realite a
laquelle nous sommes confrontes.
Dans ces situations, il convient de
parler d’intrusion du reel dans
l’univers des images et des symbo-
les qui en attenue, en chacun de
nous, l’impact immediat depuis
l’epoque ou, dans l’enfance, nous
avons pris la parole.
Le cancer equivaut a une telle
intrusion des lors qu’il n’a pas de
signification pour le sujet qui y est
confronte. Aussi, l’epreuve de la
maladie s’accompagne-t-elle par-
fois du decollement douloureux de
l’etant – le neant de l’etre reel – de la
conscience de l’etant, c’est-a-dire le
sentiment continue d’exister. Cette
sensation d’inquietante, etrangete
vis-a-vis de soi, explique pourquoi
quelques patients eprouvent le
besoin de se raconter et de mettre
en recit leur experience.
Par ailleurs, la demande de
groupe de soutien est une demande
de rencontre. La maladie isole. Le
patient devenant etranger a lui-
meme se sent facilement incompris
par les autres. La conscience de soi
est un phenomene intersubjectif.
Quand la conscience de soi est
ebranlee, les relations a autrui sont
rendues difficiles. L’incompre-
hension de soi, ou de ce qui nous
arrive, se traduit souvent par la
conviction de ne pas etre compris
par autrui. L’impression d’etre
incompris conduit le sujet confronte
au cancer a rechercher un autre
auquel il puisse s’identifier et qui
puisse l’aider a restaurer son ego.
L’envie de rencontrer d’autres
malades, comme le besoin de par-
ler traduisent comment la confron-
tation a un cancer equivaut
quelquefois a une profonde bles-
sure narcissique.
Au cours des 15 dernieres
annees, nous avons integre entre
15et20patientsparan anosgroupes
de parole. Pour un tiers des patients
rencontres, l’annonce du cancer
remontait a moins de trois mois. Un
autre tiers de ces patients etait
confronte a une phase metastatique
de la maladie. Enfin, un dernier tiers
des patients integrait le groupe a la
fin de leur traitement, a une epoque
ou leur prise en charge medicale se
reduisait a de la surveillance.
Cet article a pour objet de pre-
senter la situation des patients
apres la phase de traitement. Nous
aborderons leur souffrance psy-
chique et les mecanismes incons-
cients sur lesquels elle repose. Par
ailleurs, nous tacherons de rendre
compte des facteurs impliques dans
la survenue des difficultes specifi-
ques a ces patients. Enfin, nous
evoquerons l’impact de ces difficul-
tes sur l’environnement familial et
socioprofessionnel.
Depression post-traitement
Lespatientsqui,en finde traitement,
integrent un groupe de parole expri-
ment leur affaissement dans des
emotions de desespoir. Ces senti-
ments les surprennent d’autant plus
qu’ils sont restes optimistes tout au
long du traitement et, n’ont pas
meme ete sideres par l’annonce de
la maladie. Certes, ils racontent
comment la consultation d’annonce
fut douleur, mais comment ils l’ont
rapidement surmontee. Ils decla-
rent, pour la plupart, n’avoir jamais
doute de leur guerison et avoir
affronte la maladie mieux qu’ils ne
l’auraient imagine. Le glissement
dans un etat de tristesse des la fin
des traitements leur semble en
contradiction avec cet optimisme
initial.Cettecontradictionest incom-
prise par leur entourage.
Le desespoir dans lequel glis-
sent ces patients est domine par
quelques traits qu’il est important
d’inventorier :
– premierement l’impression
d’un delitement de la significa-
tion : « plus rien n’a de sens » ;
– a cette hemorragie de la signi-
fication se lie l’impression d’etre
inaccessible a la joie : « rien ne
peut plus me rejouir » ;
– la perte de la sensibilite a la
joie a pour corollaire l’immersion
dans des etats de tristesse soudains
et repetes qu’aucun contenu ideatif
ne motive : « Je suis triste et je ne
sais pas pourquoi ».
A ces traits, nous en ajouterons
deux, moins demonstratifs, mais
tout aussi violents :
– la perte de confiance en soi
domine l’etat psychique de certains
patients apres leur traitement. Cette
perte de confiance est distincte de
l’effondrement de l’estime de soi
caracteristique des troubles depres-
sifs. Certes, les deux emotions
sont proches, mais dans la perte
de confiance, la desorientation
est l’emotion qui domine, une
desorientation consecutive a la
perte de repere, alors que dans
l’effondrement de l’estime de soi
domine l’epreuve de la mauvaise
conscience ;
– si la honte et la culpabilite ne
dominent pas les desarrois psychi-
ques des patients traites pour un
cancer, comme elles peuvent le
faire dans le cas d’une pathologie
depressive, ces sentiments n’en
sont pas pour autant exclus. Ainsi,
la mauvaise conscience se fixera-t-
elle sur l’impressiondedecevoir ses
proches, voire de les terroriser des
lors que le patient ne maıtrise pas
les manifestations de sa tristesse.
Dans quelques cas, le sentiment de
culpabilite est deplace sur les
proches. A la crainte latente : « je
suis coupable de rendre la vie
difficile a mes proches » se substi-
tue le reproche manifeste « ils ne
comprennent rien, ils sont impa-
tients, ils manquent d’attention ».
Le sentiment de perte de sa
capacite a donner un sens a son
existence, l’insensibilite a la joie, les
tristesses soudaines et sans motif,
la perte de confiance en soi et
l’essor d’une culpabilite latente ou
manifeste constituent cinq signes
de la depression qui affectent cer-
tains patients a la suite de leur
traitement. Ces traits s’amarrent a
un etat d’epuisement physique et
psychique. Cet epuisement entraıne
une grande fatigabilite [10].
La fatigue fonctionne en diallele.
Le patient fatiguemanque d’entrain.
ON
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Son manque de motivation a agir
doit etre compense, a chacune de
sesmises en action, par une energie
plus importante que celle qui lui
aurait ete necessaire, dans le cas
d’une forte motivation. Le defaut
d’enthousiasme a l’action oblige a
une depense superieure d’energie
dans le deroulement de l’action. Se
mettre en action demande au sujet
fatigue une energie importante qui,
finalement, renforce la sensation
d’epuisement initiale. Ici, l’effet ren-
force la cause ; aussi sommes-nous
autorises a parler de cercle vicieux.
La detresse narcissique et l’epui-
sement de certains patients a la
suite des traitements sont les signes
d’un etat depressif reactionnel. Cet
etat est distinct des troubles depres-
sifs structurels. Il s’en rapproche sur
quelques points : sentiment d’iso-
lement, epuisement et lassitude,
envahissement par la tristesse,
mais s’en differencie par quelques
autres [7].
L’affaissement de l’estime de soi
dans un etat depressif post-trauma-
tique est moins violent qu’il ne l’est
dans les troubles depressifs struc-
turels. Dans le premier cas, il se
reduit a une perte de confiance en
soi. De facon parallele, l’epreuve de
la mauvaise conscience et de la
honte n’a pas dans ces etats depres-
sifs l’importance centrale qu’elle
revet dans la maladie depressive.
Le sentiment de culpabilite pourra
meme chez certains de ces patients
se commuer en reproches adresses
a leurs proches. Dans la maladie
depressive, lamauvaise conscience
fait barrage au delitement du senti-
ment continu d’exister ; aussi
occupe-t-elle une place centrale
dans le processus morbide, incom-
patible avec son deplacement sur
un proche identifie. Quand elle est
projetee, c’est sur un autre imper-
sonnel, comme dans le cas des
violences nihilistes de l’adolescent.
Enfin, nous noterons que dans le
cas d’une depression post-trauma-
tique, il n’existe pas d’indice de
perte de contact a la realite analo-
gue a ceux reperes dans les trou-
bles maniacodepressifs.
Dans quelques situations, l’etat
depressif post-traitement reactive
un trouble structurel silencieux
depuis de nombreuses annees.
Dans ce cas, l’etat depressif n’est
qu’un element declencheur d’une
maladie depressive independante
de la confrontation au cancer. Ces
situations seront donc ecartees de
l’analyse des etats depressifs speci-
fiques a la confrontation au cancer
et qui apparaissent a la fin des
traitements. Notre objet d’analyse
ainsi centre, nous pouvons rendre
compte des mecanismes in-
conscients sous-jacents a la depres-
sion post-traitement.
Mecanismes inconscientssous-jacents
L’etat depressif est induit par un
mecanisme inconscient de conti-
nence psychique. Le sujet depressif
reagit a une pression interieure a
laquelle il veut echapper. Aussi, la
depression correspond-t-elle, d’un
point de vue dynamique, a une
tentative de mise a distance de
l’interiorite. Sous la pression de
pulsions et d’angoisses refoulees,
le sujet depressif bloque en lui la
capacite d’elaboration psychique.
Le mecanisme depressif inhibe des
emotions dont le sujet craint qu’el-
les ne le submergent. Certaines
emotions sont irrepresentables et,
dans ce sens, elles mettent a mal
l’organisation psychique interieure.
Cette organisation nous reflechit de
facon continue et ordonnee l’expe-
rience immediate, morcelee et dis-
continue du reel. L’organisation
psychique a un pouvoir reflechis-
sant du monde et de soi. Certaines
pressions interieures ne peuvent
etre reflechies, elles sont alors inhi-
bees. L’inhibition d’emotion trop
violente pour que le sujet puisse
se les representer amorce l’etat
depressif.
Cet etat se fixe dans quelques
attitudes caracteristiques. Le repli
sur soi et l’evitement du contact
sont des attitudes dominantes dans
l’etat depressif. Elles reduisent la
conscience de soi et mettent, en
consequence, le sujet a distance de
son interiorite. La conscience de soi
releve d’un processus intersubjec-
tif, elle prend son essor dans la
relation a autrui. L’isolement reduit
la conscience d’exister, c’est pour-
quoi, dans l’etat depressif, il est
recherche. Dans certaines depres-
sions, la faiblesse de la conscience
d’exister menace l’identite. Afin
d’eviter un delitement de sa per-
sonnalite, le sujet a recourt a la
mauvaise conscience. Le sentiment
de culpabilite endogene, c’est-a-
dire non cause par une faute effec-
tive, pour reprendre la terminologie
d’Hesnard [6], fait barrage dans les
depressions severes au risque de
delitement de la conscience de soi.
Le sentiment d’etre mauvais ou
coupable evite au sujet depressif
les angoisses de neantisation.
Outre le repli sur soi, le ralentis-
sement du cours de la pensee est
l’un des traits qui domine le tableau
de la depression. La continence
psychique a l’origine de l’etat
depressif entraıne ce ralentisse-
ment. La pensee a l’inverse de la
reflexion est involontaire. « C’est
faux de dire : Je pense : on devrait
dire : Onme pense, – Pardon du jeu
de mots –. » Arthur Rimbaud Char-
leville [9].
La pensee s’impose en nous par
associations libres et spontanees
sans que nous puissions en maı-
triser le deroulement a l’inverse de
la reflexion. Les libres associations,
dans lesquelles se repand notre
pensee, nous mettent en contact
avec notre monde interieur. Aussi
sont-elles vecues comme une
menace par le sujet depressif. Le
depressif cherche a interrompre en
lui le cours des pensees. Cette
recherche a pour effet de focaliser
ses idees sur quelques contenus
ressasses de facon compulsive. Le
sentiment de disqualification
constitue un de ces contenus des
lors qu’il se deploie en boucle dans
un raisonnement tautologique. « Je
ne vaux rien » (predicat initial)
« Il est vain de tenter quelque
chose, je ne fais donc rien » (conse-
quence) « Puisque, je ne fais rien
c’est donc bien que je n’etais bon arien » (la consequence est donnee
comme justification du predicat
initial). Le cercle vicieux, des idees
chargees d’un sentiment de disqua-
lification, enraye le deroulement de
la pensee et des libres associations
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que ce deroulement suppose. Dans
d’autres situations, le sujet depres-
sif tente demaıtriser en lui le flux de
la pensee, en fixant son attention
sur de la reflexion et des idees
abstraites. Comme l’a montre
Anna Freud [4], l’intellectualisation
et la pensee rationnelle sont quel-
quefois investies comme unmoyen
d’evitement ducontact auxpulsions
et aux angoisses qui leur sont liees.
Enfin,nousnoteronscomment la
mise a distancepar le sujet depressif
de son monde interieur a pour effet
de suspendre son imaginaire. Cette
suspension des fantasmes et de la
fantaisie agit sur l’humeur. Dans
notre langue, fantaisie designe tout
a la fois une production de notre
imaginaire, un objet de satisfaction
et un contenu joyeux. L’effacement
de l’imaginaire et le serieux precipi-
tent dans la tristesse.
Le repli sur soi, la mauvaise
conscience, l’effondrement de
l’estime de soi et la tristesse sont
autant de manifestations qui temoi-
gnent des efforts de continence que
le sujet depressif oppose a son
monde interieur.
Quelles sont les pulsions, lesangoisses et les emotionsdont le patient, confrontea un cancer, se preserve ?
La peur de mourir constitue l’une
des emotions que le malade doit
contenir. Cette peur insoutenable,
les patients y opposent quelquefois
un refoulement massif. « J’ai
toujours eu confiance » declarent
certains patients. Cette affirmation
illustre le refoulement de la peur de
mourir et des angoisses demort qui
lui sont liees.
L’angoisse de mort n’equivaut
pas a la peur de mourir. L’angoisse
de mort est reactive a la pulsion de
mort ou encore au desir de mourir.
Vivre suppose une volonte, une
energie qui s’exprime dans le desir
devivre, a l’oppose de ce desir, celui
de s’abandonner.
L’abandon de soi et le relache-
ment exercent une attraction des
lors qu’ils liberent de l’energie
necessaire a la vie, mais des que
cette attraction est eprouvee, elle
entraıne une angoisse qu’il convient
de nommer angoisse de mort.
L’angoisse de mort nous protege
du desir de mourir, elle est inde-
pendante de la peur de mourir
meme si cette derniere l’enclenche
systematiquement.
La peur de mourir et les angois-
ses de morts sont refoulees par de
nombreux patients traites pour un
cancer. A la fin des traitements,
quand le risque letal s’eloigne, ces
contenus enfouis dans l’inconscient
remontent comme en temoignent
certaines idees suicidaires [11].
Aussitot le moi oppose a ce retour
du refoule un effort de continence
a l’origine de l’etat depressif.
Autres difficultesde l’apres-traitement
Le cancer a des retentissements sur
le groupe familial. L’annonce de la
fin des traitements est ressentie par
les proches du patient comme une
liberation. Pour eux, il est essentiel
que les habitudes anciennes soient
rapidement restaurees. Ils ont
meme l’impression d’agir efficace-
ment en incitant le patient a
tourner rapidement la page de la
maladie. Cette injonction implicite a
l’omission est ressentie douloureu-
sement par le patient qui l’assimile a
de la negligence. Ce ressentiment
renforce son sentiment d’incompre-
hension, d’incommunicabilite et
d’isolement. Les relations aux pro-
ches peuvent, en cette occasion,
devenir difficiles et les equilibres
sur lesquels ces relations reposaient
compromis.
L’impact sur la dynamique fami-
liale de la confrontation au cancer
est un theme recemment etudie, et
un grand nombre de recits cliniques
montrent comment il serait impru-
dent de le negliger [3,8]. L’impact de
la maladie dans la dynamique rela-
tionnelle qui lie l’enfant a son parent
se manifeste souvent avec retard.
L’adolescence represente l’epilogue
d’un long processus de separation,
les ruptures de l’enfance peuvent y
ressurgir de faconbrusque [1,5]. Les
atteintes aux bases de securite inte-
rieure que constituent les figures
parentales peuvent etre inapparen-
tes dans l’enfance et ressurgir vio-
lemment a l’adolescence.
Aux differentes resonances psy-
chologiques du cancer, aux cours
desmoisqui suivent les traitements,
s’ajoutent les repercussions socio-
professionnelles. Il nous suffira
d’evoquer au titre de ces difficultes
la situationdecespatientsqui, ayant
cesse leur activite durant lamaladie,
ne la retrouvent pas a la fin des
traitements ou encore la difficulte
pour d’autres patients d’obtenir un
pret bancaire malgre les ameliora-
tions apportees par la « Convention
Berlorgey ». Il n’est pas dans cet
article question de detailler ces
repercussions, mais de noter
comment elles accroissent les senti-
ments de disqualification et, ce
faisant, alimentent les effets depres-
sifs de la maladie.
Conclusion : conduites a tenirpour attenuer la depressionpost-traitement et lesdispositifs de prise en charge
Les difficultes psychosociales des
patients traites pour un cancer sont
durables, la maladie agit sur le
rapport asoiautantquesur lerapport
a autrui. Les bouleversements psy-
chologiques et sociaux se melent et
se renforcent. Comment prevenir et
traiter ces bouleversements ?
L’information attenue la sensa-
tion d’isolement et de perte de
confiance en soi inherente a l’etat
depressif post-traitement. A l’arret
des traitements, le praticien peut
evoquer la frequence des etats
depressifs et des sentiments
d’abandon qui surviennent apres
les traitements, s’il prend soin de
preciser que ces etats sont transi-
toires. Il expliquera par ailleurs
comment les traitements ont mobi-
lise de la vigilance et une energie
importante afin de « garder le
moral », et que leur arret provoque,
de facon mecanique, un relache-
ment propice a la remontee des
peurs enfouies. Enfin, le praticien
indiquera qu’il est possible, dans les
ON
CO
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266
situations ou ce relachement
entraıne une baisse de moral dou-
loureuse, de se faire aider par un
psychologueouunpsychiatre.Cette
information aura pour effet de
desactiver le sentiment d’etrangete
qui saisit le patient a la survenue
de l’etat depressif et qui l’amplifie.
La depression est renforcee par la
crainte d’anormalite qu’elle suscite
chez le sujet qui en est affecte.
Aussi en evoquer la possibilite en
attenue-t-il la portee.
Si l’information contribue a pre-
venir les troubles depressifs post-
traitement, il faut bien envisager de
les traiter quand ils sont installes.
Nous evoquerons pour conclure
deux types d’interventions indi-
quees dans ces situations. Les grou-
pes support ou de parole sont une
bonne indication dans les cas de
depression post-traitement des lors
qu’ils permettent aux patients de
rompre leur isolement et de suspen-
dre son sentiment d’incompre-
hension. Ces groupes ne doivent
cependant pas devenir des refuges
et, par la meme, des aires de repli,
au risque alors d’entraıner une
reduction identitaire au statut
d’ancien malade. Pour eviter de tels
effets pervers, l’animation de ces
groupes doit etre confiee a des
specialistes.
La pratique des groupes de
parole a l’attention de malades
s’est repandue en France depuis
quelques annees. Mais ce dispositif
gagnerait a etre complete de prati-
ques inspirees des dispositifs de
centre de convalescence en Allema-
gne, ou il est possible de sejourner
apres un cancer. Dans ces cliniques
despsychologues,des relaxologues
et des specialistes en art therapie
proposent un ensemble d’activite
dont le but est d’aider a la reparation
de l’image de soi. Les sejours
dans ces etablissements sont
pris en charge par les assurances
sociales.
Les progres de lamedecine sont
considerables, un nombre toujours
plus important de personnes trai-
tees pour un cancer y survivront.
Aussi, lamanieredont lepatient sort
de lamaladiedeviendra-t-il unenjeu
de sante publique. Les outils de
traitement des effets depressifs de
laconfrontationaucancer,dememe
que de prise en compte des conse-
quences socioprofessionnelles
representeront un defi important
dans les annees a venir.
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