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Pratique médicale et chirurgicale de l’animal de compagnie (2010) 45, 19—25 ARTICLE ORIGINAL Les tumeurs stromales gastro-intestinales du chien : état des connaissances et rôle diagnostique du pathologiste Canine gastrointestinal stromal tumors: Current knowledge and diagnostic role of the pathologist A. Girard-Luc a,, E. Reyes-Gomez a , J.-J. Fontaine a , M. Lagadic b , F. Bernex a,c a Service d’embryologie, d’histologie, et d’anatomo-pathologie, école nationale vétérinaire d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94700 Maisons-Alfort, France b Laboratoire Idexx Alfort, parc d’activités du Val-de-Seine, 17, allée Jean-Baptiste-Preux, 94140 Alfortville, France c UMR 955 INRA/ENVA, école nationale vétérinaire d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94700 Maisons-Alfort, France Rec ¸u le 21 juillet 2009 ; accepté le 21 janvier 2010 Disponible sur Internet le 25 f´ evrier 2010 MOTS CLÉS Chien ; Cancérologie ; Tube digestif ; GIST ; KIT ; Cellules interstitielles de Cajal Résumé Les gastro-intestinal stromal tumors (GIST) sont des tumeurs mésenchymateuses digestives. Ces tumeurs rares en pathologie humaine restent peu diagnostiquées en médecine vétérinaire. Longtemps considérées comme des tumeurs dérivées des fibres musculaires lisses ou des cellules de Schwann, les GIST sont aujourd’hui reconnues comme une entité tumorale à part entière. Elles dériveraient des cellules interstitielles de Cajal, pacemakers du tube diges- tif. Leur diagnostic repose sur des critères histologiques et immunohistochimiques. Elles sont caractérisées par un immunomarquage positif pour la protéine KIT (récepteur à activité tyro- sine kinase) et souvent associées à des mutations du gène Kit. L’implication de KIT a contribué au développement d’approches thérapeutiques basées sur l’utilisation d’inhibiteurs de tyrosine kinase. Chez l’Homme, ils ont révolutionné le traitement des GIST, connues pour être résistantes à la radiothérapie et la chimiothérapie. Leurs propriétés ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques chez l’animal. © 2010 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Girard-Luc). 0758-1882/$ — see front matter © 2010 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anicom.2010.01.003

Les tumeurs stromales gastro-intestinales du chien : état des connaissances et rôle diagnostique du pathologiste

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Pratique médicale et chirurgicale de l’animal de compagnie (2010) 45, 19—25

ARTICLE ORIGINAL

Les tumeurs stromales gastro-intestinales du chien :état des connaissances et rôle diagnostique dupathologiste

Canine gastrointestinal stromal tumors: Current knowledge anddiagnostic role of the pathologist

A. Girard-Luca,∗, E. Reyes-Gomeza, J.-J. Fontainea,M. Lagadicb, F. Bernexa,c

a Service d’embryologie, d’histologie, et d’anatomo-pathologie, école nationale vétérinaired’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94700 Maisons-Alfort, Franceb Laboratoire Idexx Alfort, parc d’activités du Val-de-Seine, 17, allée Jean-Baptiste-Preux,94140 Alfortville, Francec UMR 955 INRA/ENVA, école nationale vétérinaire d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,94700 Maisons-Alfort, France

Recu le 21 juillet 2009 ; accepté le 21 janvier 2010Disponible sur Internet le 25 fevrier 2010

MOTS CLÉSChien ;Cancérologie ;Tube digestif ;GIST ;KIT ;Cellulesinterstitielles deCajal

Résumé Les gastro-intestinal stromal tumors (GIST) sont des tumeurs mésenchymateusesdigestives. Ces tumeurs rares en pathologie humaine restent peu diagnostiquées en médecinevétérinaire. Longtemps considérées comme des tumeurs dérivées des fibres musculaires lissesou des cellules de Schwann, les GIST sont aujourd’hui reconnues comme une entité tumorale àpart entière. Elles dériveraient des cellules interstitielles de Cajal, pacemakers du tube diges-tif. Leur diagnostic repose sur des critères histologiques et immunohistochimiques. Elles sontcaractérisées par un immunomarquage positif pour la protéine KIT (récepteur à activité tyro-sine kinase) et souvent associées à des mutations du gène Kit. L’implication de KIT a contribuéau développement d’approches thérapeutiques basées sur l’utilisation d’inhibiteurs de tyrosine

kinase. Chez l’Homme, ils ont révolutionné le traitement des GIST, connues pour être résistantesà la radiothérapie et la chimiothérapie. Leurs propriétés ouvrent de nouvelles perspectivesthérapeutiques chez l’animal.© 2010 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Girard-Luc).

0758-1882/$ — see front matter © 2010 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anicom.2010.01.003

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KEYWORDSDog;Oncology;Digestive tract;GIST;KIT;Interstitial Cajal cells

zed the treatment of GIST, particularly resistant to radiotherapy and chemotherapy. In animals,tyrosine kinase inhibitors represent an important breakthrough that will allow interesting newtherapeutic treatments.© 2010 AFVAC. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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ntroduction

es tumeurs stromales gastro-intestinales ou gastro-ntestinal stromal tumors (GIST), sont des proliférationsumorales des cellules interstitielles de Cajal, localiséesans la paroi du tube digestif. D’abord décrites chez’Homme, elles sont considérées comme des tumeurs rares,ais leur incidence réelle est probablement sous-estimée

n médecine vétérinaire. L’intérêt actuel porté aux GISTn médecine humaine vient des progrès remarquables réa-isés dans la compréhension de leur oncogenèse et danses implications thérapeutiques découlant de ces décou-ertes.

En médecine vétérinaire, des cas spontanés ont étéécrits chez le chien [1—5], le rat [6], le cheval [7,8], leouquetin [9] et des primates non humains [10,11]. Seulesuelques études rétrospectives ont été réalisées, unique-ent chez le chien [1—5] et le cheval [7] et ce, sur des

ohortes de petite taille (72 animaux au maximum) ou aveces localisations limitées à l’intestin [4]. Chez le chien,’incidence réelle, les caractéristiques histopathologiquest le pronostic demeurant encore mal connus, nous avonshoisi de réaliser une étude de 104 cas de tumeurs mésen-hymateuses d’origine digestive, dans le but d’identifier desIST sur la base de critères phénotypiques.

istorique des gastro-intestinal stromalumors (GIST) : de l’émergence du concepte GIST à l’identification de la protéineIT

hez l’Homme, la première description histopathologiquee tumeurs mésenchymateuses localisées dans le tractusigestif date de 1941 [12]. À l’issue de cette étude et durantlus de deux décennies, jusqu’à l’apparition des techniquese microscopie électronique et d’immunohistochimie (IHC),es tumeurs mésenchymateuses furent classées comme deséoplasmes issus soit des fibres musculaires lisses, soit

es cellules de Schwann. Elles furent, par conséquent,ommées respectivement léiomyomes/léiomyosarcomesu schwannomes. Les autres termes employés étaientléiomyome bizarre » et « léiomyome cellulaire », alors

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ue ceux de « léiomyoblastome » ou « léiomyome épi-hélioïde » étaient réservés aux tumeurs cytologiquementpithélioïdes [13,14]. Quelques auteurs avaient déjà remar-ué des différences morphologiques entre certains de cesléiomyomes/léiomyosarcomes » et leurs équivalents extra-igestifs : ils apparaissaient, en effet, plus cellulaires, aveces cellules moins acidophiles et des noyaux plus fusiformes.l’époque, cela a été attribué à une différenciation cellu-

aire incomplète, plutôt qu’à une histogénèse différente.À la fin des années 1960, des études de microscopie

lectronique portant sur ces tumeurs n’ont pas permis deetrouver les caractéristiques ultrastructurales typiques desbres musculaires lisses ou des cellules de Schwann [14].es techniques d’IHC, dans les années 1980, sont appa-ues comme un moyen relativement simple pour tentere différencier les tumeurs mésenchymateuses digestivesntre elles, en se fondant sur le profil d’expression de mar-ueurs de différenciation cellulaire des cellules musculairesisses ou des cellules de Schwann. Malheureusement, cetspoir a été décu, notamment en raison de l’hétérogénéité’expression de ces marqueurs, de leur fréquente co-xpression au sein d’une même tumeur (tumeurs ditesbi-phénotypiques ») ou au contraire de leur absenceomplète (tumeurs dites « de phénotype nul ») [14].

C’est dans ce contexte que le terme de « tumeur stro-ale » a été proposé pour la première fois en 1983,ar Mazur et Clark, pour désigner des tumeurs gastriquesorphologiquement classées comme léiomyomes, mais dehénotype nul à l’examen immunohistochimique ou ultra-tructural [15]. Ce terme s’est progressivement imposé à’ensemble des tumeurs comparables, observées dans leeste du tube digestif.

Par la suite, de nouveaux marqueurs ont été identi-és. Le premier fut le CD34 en 1994 [16]. Son expressionété rapidement reconnue comme peu sensible et peu spé-

ifique [14]. Un second marqueur est quant à lui apparuomme le marqueur diagnostique des GIST : la protéine KITu CD117 [17]. Son expression est détectée dans 95 % desIST humaines [14].

Dans la paroi digestive normale, l’expression de la pro-

A. Girard-Luc et al.

Summary Gastro-intestinal Stromal Tumors (GIST) are digestive mesenchymal tumors. Theserare tumors in Humans remain seldom diagnosed in veterinary medicine. Traditionally regardedas deriving from smooth muscle cells or Schwann cells, GIST are now recognized as a speci-fic tumoral entity. They derive from interstitial cells of Cajal, pacemakers of the digestivetract. Their diagnosis is based on histological and immunohistochemical characteristics. Theyare immunohistochemically KIT-positive (a transmembrane tyrosine kinase receptor) and areoften associated with mutations of the Kit gene. KIT is responsible for the development of newtherapeutic molecules: tyrosine kinase inhibitors. In humans, these molecules have revolutioni-

éine KIT est limitée aux cellules interstitielles de CajalInterstitial Cells of Cajal, ou ICC). Ces cellules pacemaker,ocalisées autour des plexus entériques sont responsablesu péristaltisme digestif [18]. Les analogies phénotypiques

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Les tumeurs stromales gastro-intestinales du chien 21

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pavec le SCF, entraînant une autophosphorylation (activationspontanée), une stimulation des voies de signalisation et uneprolifération cellulaire incontrôlée [14].

Figure 1. Structure de KIT et du récepteur au PDGF de type A (P

suggèrent que les GIST dérivent des ICC ou d’un précurseurcommun aux fibres musculaires lisses et aux ICC [14,19].

Pathogénie des gastro-intestinal stromaltumors (GIST) : rôle central de la protéineKIT

La protéine KIT appartient à la famille des récepteurs à acti-vité tyrosine kinase de type III, qui comporte également lerécepteur du macrophage colony stimulating factor (M-CSF)et les platelet derived growth factor receptor (PDGFR) detype A et B (Fig. 1). La protéine KIT est codée par le gèneKit localisé sur la 13e paire de chromosomes chez le chien.Son ligand est un facteur de croissance, le stem cell fac-tor (SCF) [20]. L’activation de KIT par ce dernier entraînela phosphorylation et l’activation de protéines intracellu-laires effectrices, telles que PI3K/Akt, Ras/MAPK ou STAT,qui assurent la transmission du signal. Les principales consé-quences de l’activation de la protéine KIT sont l’inductionet la régulation de la croissance et de la prolifération cellu-laire, ainsi que le contrôle de la différenciation cellulaire.

La structure et la séquence en acides aminés de cetteprotéine sont hautement conservées dans les différentesespèces et montrent une très grande homologie entrel’homme et le chien [2].

L’expression de KIT dans l’organisme n’est pas restreinteaux ICC ; elle est également démontrable dans les cellulessouches hématopoïétiques, les mastocytes, les cellules ger-minales primordiales, les mélanocytes et certaines cellulesépithéliales [21]. La protéine KIT joue un rôle d’oncogènemajeur dans certaines tumeurs correspondantes.

Chez l’Homme, la très grande majorité des GIST (plusde 80 %) résulte d’une mutation somatique de Kit [14].Quelques cas de GIST familiales associées à des mutations

germinales de Kit ont été identifiés [14]. Le séquencagecomplet de Kit a permis de mettre en évidence des muta-tions sur les exons 9, 11, 13 et 7 (Fig. 2). Ce sont cellesde l’exon 11 qui sont les plus fréquentes. Elles seraientrencontrées principalement dans les tumeurs malignes de

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A) [25].

rande taille, avec un index mitotique élevé [22]. Cellesur les exons 9 et 13 concernent moins de 20 % des GIST. Lautation de l’exon 9 est observée surtout dans des tumeurse l’intestin grêle de haut grade. Les mutations de l’exon7, caractéristiques des mastocytomes, des leucémies myé-oïdes chroniques et des séminomes, sont rares dans les GIST< 5 %) [22]. Chez le chien, le séquencage de quatre tumeurspermis de mettre en évidence chez deux d’entre elles desutations de l’exon 11, similaires à celles retrouvées chez

’Homme [2].Cependant, 15 % des tumeurs humaines ne présentent pas

e mutation de Kit. Certaines d’entre elles sont en effetssociées à des mutations du Pdgfra, essentiellement loca-isées dans les exons 12 et 18 [14].

Les mutations sur Kit de type « gain de fonction », ontour effet l’activation de KIT indépendamment de sa liaison

igure 2. Localisation des mutations de Kit, fréquence chez’Homme et corrélation avec le chien [2,20,25].

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pidémiologie et caractéristiquesliniques des gastro-intestinal stromalumors (GIST) chez l’Homme et le chien

ien qu’il s’agisse des tumeurs mésenchymateuses les plusréquentes du tube digestif chez l’Homme, les GIST restentares, et leur incidence est évaluée entre 7,8 à 22,2 cas parillion d’habitant. Il n’existe pas de prédominance nette’un sexe par rapport à l’autre. L’âge moyen de découvertest de 55 à 65 ans selon les séries, les GIST étant très raresvant l’âge de 40 ans. Les GIST pédiatriques sont possiblesais exceptionnelles, de même que les formes congénitales

u familiales [14]. Dans toutes les études publiées, la loca-isation la plus fréquente est l’estomac, où logent 60 à 70 %es tumeurs ; les autres localisations sont, par ordre de fré-uence décroissante : l’intestin grêle (20 à 30 %), le côlon ete rectum (environ 5 %), l’œsophage (moins de 5 %), et lesocalisations extradigestives, principalement dans le mésen-ère (moins de 5 %). Les métastases, qui surviennent dansnviron 30 % des cas, sont très majoritairement localiséesans le foie (plus de 45 % des localisations), le péritoine (pluse 45 %) ; les autres sièges étant les os, les poumons ou leancréas [14,23].

La prévalence des tumeurs de l’estomac et de l’intestinst faible chez le chien (3 % de l’ensemble des tumeurs).armi celles-ci, les tumeurs mésenchymateuses repré-entent 10 à 30 %. Selon les études, les GIST représentent9,4 [1], 42 [2], 58,3 [4], 62,5 (Girard-Luc et al., donnéeson publiées) ou 66,6 % [5] des tumeurs mésenchymateusesigestives. Comme chez l’Homme, il n’existe pas de pré-isposition sexuelle [2]. L’âge de survenue varie de 9,1 à0,7 ans [2,4,5] (Girard-Luc et al., données non publiées).es golden retrievers, les bergers allemands, les labradors,es bassets hounds, les cockers paniels, les caniches, lesoxers, les épagneuls bretons, les teckels, les Yorkshire ter-iers et les Jack Russel terriers sont surreprésentés dans troistudes rétrospectives, sans qu’une prédisposition racialeoit statistiquement prouvée [4,5] (Girard-Luc et al., don-

ées non publiées). Chez le chien, la répartition des tumeursst différente de celle observée chez l’Homme. Moins de0 % d’entre elles sont localisées dans l’estomac. La loca-isation principale varie selon les études : le gros intestincæcum et côlon : 48 et 57 %) [2,5] ou l’intestin grêle (52 %)

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igure 3. A et B. Chien : GIST de type histologique fusiforme (A) (coloraES, × 400).

A. Girard-Luc et al.

Girard-Luc et al., données non publiées). Les autres sitesont le mésentère, et le rectum. Il apparaît que la majo-ité des tumeurs mésenchymateuses du gros intestin (25/27 :2,6 %) et de l’intestin grêle (34/58 tumeurs : 58,6 %) sontes GIST (Girard-Luc et al., données non publiées). Lesétastases, rencontrées dans 7 à 28 % des cas [2,5] sont pour

a plupart hépatiques, plus rarement spléniques (Girard-Luct al., données non publiées).

Les signes cliniques associés, chez l’Homme comme cheze chien, ne sont pas spécifiques. Il s’agit principalement’anorexie, de douleurs abdominales, de vomissements, deiarrhée et de péritonite aigüe ou chronique.

aractéristiques macroscopiques,istopathologiques et

mmunohistochimiques desastro-intestinal stromal tumors (GIST)

uelle que soit l’espèce, il s’agit de lésions nodulaires déve-oppées dans l’épaisseur de la paroi digestive, s’étendantu côté séreux lorsqu’elles sont volumineuses. Les tumeursont bien délimitées, non encapsulées, de consistance fermet de couleur blanchâtre. Les lésions les plus volumi-euses présentent souvent des remaniements nécrotiquesu hémorragiques visibles.

L’aspect microscopique le plus typique est l’aspect fusi-orme, observé dans plus de 70 % des cas humains [14]t 80 % des cas canins (Girard-Luc et al., données nonubliées). Il est caractérisé par une prolifération relative-ent dense de cellules fusiformes formant des faisceaux

nchevêtrés (Fig. 3A), pouvant parfois adopter une dispo-ition pseudo-palissadique. Les cellules sont caractériséesar un cytoplasme peu abondant, éosinophile pâle à ampho-hile et par un noyau régulier, rond à ovale, à chromatineense. Le cytoplasme peut contenir une vacuole juxtanu-léaire, (plus fréquemment observée dans les localisationsastriques chez l’Homme). Le stroma collagène est habi-

uellement peu abondant ; les vaisseaux intratumoraux sontombreux.

Le deuxième aspect microscopique typique est épithé-ioïde. Correspondant à l’ancien « léiomyoblastome », il estbservé dans 20 % des cas humains [14] et dans moins de

tion HES, × 100) et de type histologique épithélioïde (B) (coloration

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Les tumeurs stromales gastro-intestinales du chien

5 % des tumeurs canines (Girard-Luc, et al., données nonpubliées). Les cellules tumorales sont organisées en mas-sifs relativement volumineux. Elles sont caractérisées parun cytoplasme abondant, parfois vacuolisé, souvent clair, etun noyau en position centrale à chromatine dense (Fig. 3B).Cet aspect est parfois associé à des zones fusiformes : cesformes dites mixtes représentent environ 5 % des cas chezl’Homme et 15 % chez le chien.

Chez l’Homme et le chien, des variantes histologiquesrares existent et sont parfois trompeuses. Le type pléo-morphe est caractérisé par des cellules tumorales de grandetaille, à noyau très volumineux, et de forme irrégulière,parfois multinucléées. La forme à stroma myxoïde est carac-térisée par un stroma extrêmement abondant, bleuté, oùsont dispersés des faisceaux de cellules fusiformes. Lesformes dites de type paragangliome (ou carcinoïde) sontformées par une prolifération de cellules épithélioïdes orga-nisées en massifs d’aspect endocrinoïde, séparés par unstroma collagène abondant [14].

Chez l’Homme, l’aspect histologique peut varier avec lesiège de la tumeur. Les tumeurs œsophagiennes, coliqueset rectales sont habituellement de type fusiforme. Lestumeurs de siège gastrique ont un aspect histologique plusvariable, souvent fusiforme, parfois pseudo-palissadique(pouvant évoquer un schwannome), assez fréquemment épi-thélioïde [14]. Cette variation n’a pas été constatée enpathologie vétérinaire [2,4] (Girard-Luc et al., données nonpubliées).

Cependant, même si la morphologie de la tumeur est trèsfortement évocatrice, un diagnostic de GIST ne peut êtreeffectué qu’après une confirmation par immunohistochi-mie. La détection de la protéine KIT constitue actuellementle marqueur diagnostique fondamental des GIST, quelleque soit l’espèce. Le consensus international recommandeexpressément chez l’Homme, de ne considérer comme

GIST que les tumeurs KIT-positives, sauf cas exceptionnels[24].

La réaction positive à l’anticorps dirigé contre KITest intense, disséminée dans l’ensemble de la tumeur et

Figure 4. Chien, GIST : marquage KIT positif à localisa-tion cytoplasmique (immunohistochimie : révélation peroxidasique,chromogène diaminobenzidine et contrecoloration hématoxy-line, × 400).

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pparaît comme un marquage cytoplasmique et membra-aire avec parfois des renforcements périnucléaires etonctiformes, correspondant à des accumulations de la pro-éine dans l’appareil de Golgi (Fig. 4) [14,24].

Les tumeurs des fibres musculaires lisses gastro-ntestinales (léiomyomes et léiomyosarcomes) constituente principal diagnostic différentiel chez l’Homme et le chien.lles concernent des individus âgés (10,5 ans chez le chien etlus de 60 ans chez l’Homme), et majoritairement des sujetse sexe mâle [2,14]. Chez le chien, leur proportion parmi lesumeurs mésenchymateuses digestives est variable selon lestudes, de 15 [4] à 58 % [2] ; elle est de moins de 10 % chez’Homme [14].

Qu’elles soient bénignes ou malignes, ces tumeursontiennent une population de fibres musculaires lisses bienifférenciées (noyaux allongés, cytoplasme abondant etntensément acidophile). Elles présentent une forte réac-ion positive diffuse vis-à-vis des anticorps anti-desmine etnti-actine du muscle lisse et ne montrent pas de réactionis-à-vis des anticorps anti-KIT ou anti-CD34 [14].

acteurs pronostiques, évolution eterspectives thérapeutiques

’évolution des GIST est difficile à prévoir. En effet, il estouvent difficile de préciser formellement leur caractèreénin ou malin selon les critères histologiques convention-els. Par ailleurs, un petit nombre de GIST humains donnentes métastases malgré une apparence histologique bénigne.’est pourquoi, chez l’Homme, une conférence de consen-us en 2001 a élaboré une classification histopronostiquees tumeurs humaines en terme de « risque de malignité »t non en malin ou bénin [24]. Elle tient compte de laocalisation anatomique (la grande majorité des tumeursastriques sont d’évolution bénigne, alors que la plupart desumeurs coliques et œsophagiennes se comportent commees tumeurs malignes), de la taille de la tumeur (les tumeurse petite taille ont généralement un comportement bénin,lors que celles de plus de 5 cm de diamètre sont généra-ement plus agressives) et de l’index mitotique (un indexaible, soit inférieur ou égal à 5 mitoses sur 50 champs aurandissement 400, est généralement associé à un compor-ement bénin).

Ces critères semblent difficilement transposables cheze chien du fait de la localisation différente des tumeurs.éanmoins, trois études ont tenté de mettre en évi-ence des facteurs pronostiques. Dans la première, quatreariables cliniques (perte de poids, douleur abdominale,non-castration » des animaux et taille élevée de la tumeur)nt une influence négative, statistiquement significative,ur le pronostic [4]. Dans la deuxième, les marqueurs derolifération (Ki67, AgNOR), ainsi que l’index mitotique (sur0 champs) et la nécrose ont été évalués ; cependant, du faite durée insuffisante de suivi des cas, l’intérêt de ces cri-ères n’a pu être démontré [3]. Dans la troisième étude, ilpparaît que la médiane de survie est statistiquement cor-

élée à un grade histologique incluant le pourcentage deécrose, l’index mitotique, et la différenciation cellulaireGirard-Luc et al., données non publiées).

Chez l’Homme, le taux de survie globale à cinq ans n’estue de 45 % malgré une exérèse complète. Moins de 30 %

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es patients présentant des GIST avec métastase sont en vieprès un an [25]. Chez le chien, la médiane de survie variee 24 (Girard-Luc, données non publiées) à 37 mois [5].

Les GIST humaines sont des tumeurs extrêmementhimio- et radiorésistantes [25,26]. Au cours de cesernières années, beaucoup d’efforts ont été consacrésu développement de molécules thérapeutiques capables’inhiber sélectivement les protéines kinases qui participentu processus néoplasique : on les appelle inhibiteurs deyrosine kinase ou ITK. Le chef de file de cette classeharmacologique est l’imatinib (Glivec®, Novartis, Bâle,uisse), qui a été validé chez l’Homme par la Food andrug Administration pour le traitement de la leucémie myé-

oïde chronique en mai 2001 et pour le traitement desIST en février 2002. Cette molécule, associée à une exé-

èse chirurgicale, montre une remarquable efficacité danse traitement des patients humains atteints de GIST avecétastases. Plus de 80 % d’entre eux répondent très posi-

ivement à l’imatinib, soit par une régression tumoraleendant quelques années, soit par une stabilisation clinique25,26].

Ces inhibiteurs n’ont pas encore été utilisés en méde-ine vétérinaire pour le traitement des GIST. Néanmoins, unTK, le masitinib, (en phase III d’essais cliniques sur les GISTumaines) vient de recevoir une autorisation européennee mise sur le marché pour le traitement des mastocytomesutanés canins de grade 2 et 3, non opérables et présen-ant une mutation du gène Kit (Masivet®, Ab Sciences, Paris,rance) [27]. Une chimiothérapie ciblée des GIST caninesourrait donc être envisageable dans un futur proche.

onclusion

es GIST sont maintenant reconnues comme des entitésumorales distinctes, de première importance, parmi lesumeurs mésenchymateuses digestives de l’Homme et duhien. Il faut souligner les progrès considérables dans laompréhension des mécanismes biologiques et génétiquese ces tumeurs, même si l’évolution des tumeurs canineseste mal connue. L’activation du récepteur KIT constituen événement majeur dans la pathogénie de la majorité desIST. En médecine humaine, les tumeurs malignes inopé-

ables et/ou avec métastases peuvent désormais bénéficier’une thérapie ciblée, grâce à des molécules inhibitricesélectives de KIT, les ITK, dont l’utilisation pourrait êtretendue à la médecine vétérinaire. Les pathologistes commees cliniciens vétérinaires se doivent donc de connaître cettentité, pour une prise en charge mieux adaptée des animauxtteints.

emerciements

es auteurs remercient Sophie Grellet-Aumont pour son aiderécieuse pour la traduction.

onflit d’intérêt

ucun.[

A. Girard-Luc et al.

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