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Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO, N°5- Oct. 2016, Vol. 2 201 LES ‘’WOROSWOROS’’ A COCODY (ABIDJAN-COTE D’IVOIRE): ENTRE REPOSITIONNEMENT DE POUVOIRS PUBLICS ET PÉRENNISATION DU DÉSORDRE URBAIN DINDJI Médé Roger 1 , BROU Emile Koffi 2 et BOHOUSSOU Séraphin 2 1 Université de Korhogo / Labo VST, Côte d’Ivoire, E-mail : [email protected] 2 Université de Bouaké / Labo VST, Côte d’Ivoire, E-mail : [email protected] et [email protected] RESUME Abidjan, 1 er pôle économique de la Côte d’Ivoire, compte plus de trois millions d’habitants. Pour répondre à sa fonction de transport, l’Etat a créé, en 1963, la société des transports abidjanais (SOTRA). Mais, très vite, cette société est débordée, puisque son parc automobile ne peut répondre aux besoins d’une population en perpétuelle croissance. D’où l’émergence et la consolidation des transports sociocollectifs (gbakas et wôrôswôrôs) dans les communes d’Abidjan dont Cocody. Cette commune est desservie par un réseau de 19 lignes de transports socio collectifs. Le fonctionnement d’un wôrôswôrôs exige son identification à la municipalité. À la réalité, les organisations syndicales de chauffeurs et de propriétaires sont les véritables maîtres du jeu, puisqu’elles perçoivent régulièrement des « taxes informelles » dans les gares et points de stationnement. Cependant, en décembre 2014, la municipalité a mis fin à cette hégémonie en supprimant les gares sur son territoire. Elle décide finalement de prendre le jeu en main. Malgré tout, le désordre urbain lié au transport demeure, notamment la transformation de trottoirs en gares et points de stationnement. Les résultats de cet article s’appuient sur une documentation, des observations et des enquêtes de terrain menées depuis 2011. S’appuyant sur la méthode ci-dessus, cette réflexion analyse la politique municipale liée aux wôrôswôrôs en mettant en exergue les rôles assignés à chaque acteur d’une part et, l’impact de cette politique sur l’environnement spatio-économique dans la commune d’autre part. Mots clefs : wôrôswôrôs, municipalité, organisation syndicale, désordre urbain, Cocody.

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LES ‘’WOROSWOROS’’ A COCODY (ABIDJAN-COTE

D’IVOIRE): ENTRE REPOSITIONNEMENT DE

POUVOIRS PUBLICS ET PÉRENNISATION DU

DÉSORDRE URBAIN

DINDJI Médé Roger1, BROU Emile Koffi

2 et BOHOUSSOU Séraphin

2

1Université de Korhogo / Labo VST, Côte d’Ivoire, E-mail : [email protected] 2Université de Bouaké / Labo VST, Côte d’Ivoire, E-mail : [email protected] et

[email protected]

RESUME

Abidjan, 1er pôle économique de la Côte d’Ivoire, compte plus de trois

millions d’habitants. Pour répondre à sa fonction de transport, l’Etat a créé, en 1963,

la société des transports abidjanais (SOTRA). Mais, très vite, cette société est

débordée, puisque son parc automobile ne peut répondre aux besoins d’une

population en perpétuelle croissance. D’où l’émergence et la consolidation des

transports sociocollectifs (gbakas et wôrôswôrôs) dans les communes d’Abidjan

dont Cocody. Cette commune est desservie par un réseau de 19 lignes de transports

socio collectifs. Le fonctionnement d’un wôrôswôrôs exige son identification à la

municipalité. À la réalité, les organisations syndicales de chauffeurs et de

propriétaires sont les véritables maîtres du jeu, puisqu’elles perçoivent régulièrement

des « taxes informelles » dans les gares et points de stationnement. Cependant, en

décembre 2014, la municipalité a mis fin à cette hégémonie en supprimant les gares

sur son territoire. Elle décide finalement de prendre le jeu en main. Malgré tout, le

désordre urbain lié au transport demeure, notamment la transformation de trottoirs

en gares et points de stationnement.

Les résultats de cet article s’appuient sur une documentation, des

observations et des enquêtes de terrain menées depuis 2011. S’appuyant sur la

méthode ci-dessus, cette réflexion analyse la politique municipale liée aux

wôrôswôrôs en mettant en exergue les rôles assignés à chaque acteur d’une part et,

l’impact de cette politique sur l’environnement spatio-économique dans la commune

d’autre part.

Mots clefs : wôrôswôrôs, municipalité, organisation syndicale, désordre urbain,

Cocody.

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ABSTRACT

The worosworos at cocody (abidjan-cote d'ivoire): between repositioning of

public authorities and perennisation of the urban disorder

Abidjan, first economic center of the Ivory Coast, has over three million

inhabitants. To meet its transport function, the state created in 1963, the

Abidjan Transport company (SOTRA). But soon, this company is

overwhelmed, since his fleet can’t meet the needs of a constantly population

growth. Hence the emergence and consolidation of socio collective transport

(gbakas and wôrôswôrôs) in the municipalities of Abidjan Cocody that. This

town is served by a network of 19 lines of collective socio transport. The

work of a wôrôswôrôs requires its identification at the municipality. In

reality, the trade unions of drivers and owners are the real masters of the

game, since they regularly receive "informal taxes" in the stations and

parking points. However, in December 2014, the municipality has ended this

hegemony by removing the stations on its territory. It finally decides to take

the game in hand. However, the urban disorder linked to transport remains,

including the transformation of sidewalks in stations and parking points.

The results of this paper are based on documentation, observations and field

surveys conducted since 2011. Based on the above method, this reflection

analyzes the municipal policy related to wôrôswôrôs highlighting the roles

assigned to each actor on the one hand and the impact of this policy on the

spatial and economic environment in the other town.

Keywords: worosworos, municipality, union, urban disorder, Cocody.

INTRODUCTION

Abidjan, 1er

pôle économique et démographique de la Côte d’Ivoire,

compte au moins 3 millions d’habitants (avant le début des crises socio

politiques en 2002), soit près de 20 % de la population totale de ce pays. La

ville s’est urbanisée avec le temps, suivant un schéma basé sur une répartition

des espaces autours de trois fonctions majeures : administrative, industrielle,

commerciale et résidentielle. En outre, la forte croissance de la population

urbaine (4 % en moyenne par an), le déséquilibre spatial important entre

logements et emplois, l’extension rapide de la ville et la spécialisation de

l’espace urbain, constituent les facteurs traditionnels d’une demande

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soutenue de déplacements. Ils induisent un accroissement des distances de

transport. Pour répondre à la fonction de transport de la ville d’Abidjan,

l’Etat crée en 1963, la société des transports abidjanais (SOTRA). Ainsi, la

convention de concession de service public signé entre l’Etat ivoirien et la

SOTRA accorde à cette entreprise l’exclusivité de transport en commun de

voyageurs dans la ville d’Abidjan. Elle prévoie également la suppression des

fourgonnettes et des autres modes de transport public, à l’exclusion des taxis-

compteurs qui recevaient des compensations sous forme d’autorisation pour

l’exploitation du service de transport public (Aka, 2006). Mais, très vite, cette

société est débordée, puisque son potentiel en bus ne peut répondre aux

besoins d’une population en perpétuelle croissance. D’où l’émergence et la

consolidation des transports socio collectifs à Abidjan dans la décennie 1990,

notamment les wôrôswôrôs. Les wôrôswôrôs1 ou taxis communaux, confinés

au départ dans les quartiers périphériques de cette ville, ont pris de l’ampleur

au fil des ans (Aka, 2006). Ils se sont « imposés » dans d’autres communes

centrales y compris Cocody. Située au Nord-est d’Abidjan (cf. carte 1 ci-

dessous), cette commune est desservie par un grand réseau de 19 lignes de

transports socio collectifs (nos enquêtes, 2013).

Dans la commune, le fonctionnement d’un wôrôswôrôs exige de son

propriétaire le paiement de frais de stationnement à la municipalité. Mais, à la

réalité, l’union des fédérations des syndicats de chauffeurs de Cocody

(UFESC-CO) et le collectif des syndicats des transporteurs de Cocody

(CSTC) sont les véritables maîtres du jeu (Dindji, 2014). Les syndicats

affiliés à ces deux organisations perçoivent régulièrement des « taxes

informelles » dans les gares et points de stationnement de la commune.

Cependant, en décembre 2014, la municipalité a supprimé gares et points de

stationnement sur tout son territoire. Elle décide finalement de prendre le

« jeu » en main. Du coup, les syndicats sont privés de leurs principales

sources de financement. Mais, le désordre dans le transport n’a pas pris fin.

En effet, plusieurs problèmes demeurent, notamment la transformation de

trottoirs en gares et points de stationnement. Dès lors, ces interrogations

trouvent leur raison d’être : Pourquoi malgré la suppression des gares par la

municipalité, le désordre lié à l’activité des wôrôswôrôs persiste dans la

commune ? Quels sont les rôles assignés aux principaux acteurs du transport

socio-collectif par la municipalité ?

1Il convient de préciser qu’il existe deux types de wôrôswôrôs à Abidjan : les (1)

taxis communaux et les (2) taxis inter communaux. Les taxis communaux desservent

à l’intérieur d’une même commune. Tandis que les seconds assurent la mobilité de

personnes d’une commune à une autre. Cet article porte principalement sur le

fonctionnement des taxis communaux dans la commune de Cocody.

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Cette réflexion a donc pour finalité d’analyser la politique municipale

des transports vis-à-vis des wôrôswôrôs à Cocody. Sur le plan

méthodologique, l’étude combine les deux approches : qualitative et

quantitative. Elle s’appuie sur des données d’enquêtes et des observations de

terrain menées depuis 2011. Elle s’articule autour des points suivants. Elle

analyse, d’abord l’organisation fonctionnelle des wôrôswôrôs à Cocody de

1990 à décembre 2014. Ensuite, elle cherche à comprendre la nouvelle vision

du transport municipale vis-à-vis des wôrôswôrôs depuis décembre 2014.

Pour finir, elle évalue l’impact du fonctionnement actuel des wôrôswôrôs sur

l’environnement spatio-économique de Cocody depuis décembre 2014.

Carte 1 : Localisation de la commune de Cocody dans la ville d'Abidjan

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1. ORGANISATION FONCTIONNELLE DES WÔRÔSWÔRÔS À

COCODY DE 1990 À DÉCEMBRE 2014

L’exercice d’un wôrôswôrôs dans la commune de Cocody exige à son

propriétaire une démarche précise. Celle-ci consiste à l’identification de son

véhicule auprès des entités majeures impliquées dans l’organisation et le

fonctionnement des transports socio collectifs à Cocody. Il s’agit de la

mairie, l’Etat (les impôts), le CSTC et l’UFESC-CO. L’identification à la

mairie comporte plusieurs étapes dont l’enregistrement.

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À ce stade, le propriétaire fournit la photocopie de sa carte d’identité

et son registre de commerce. À cela, s’ajoute la présentation des pièces du

véhicule, à savoir la carte grise, l’assurance taxi, la patente et la visite

technique datant de moins de six mois. Il précise également aux autorités la

ligne souhaitée pour son auto. Son véhicule doit être peint en jaune2, la

couleur réservée aux wôrôswôrôs de Cocody. Ensuite, il paie les frais de

stationnement ou frais d’identification dont le coût s’élève à 45 000 FCFA.

En retour, l’autorité municipale lui délivre les documents attestant sont

identification : une carte de stationnement (qui coûte 35 000 FCFA), une

autorisation de transport, une paire de macaron. Les macarons sont collés sur

les deux portières avant du véhicule. Il reçoit également une antenne pour

laquelle il débourse la somme de 25 000 FCFA. Celle-ci est posée sur la

toiture du véhicule. L’identification du propriétaire auprès des services des

impôts revient au paiement de la vignette professionnelle. Son coût oscille

entre 25 000 et 30 000 FCFA, selon la puissance fiscale du véhicule. Le

propriétaire du véhicule y paie également la patente dont le coût s’élève à

135 000 FCFA. Après l’identification à la mairie et aux impôts vient celle du

CSTC.

Le propriétaire y paie un droit d’exploitation de ligne dont le coût

s’élève à 58 000 FCFA (sur les lignes jaunes) et 61 000 FCFA (sur les lignes

« inter3 » et les « sans couleurs

4 »). Le dossier d’identification à l’UFESC-

CO renferme les mêmes documents que celui présenté à la mairie, y compris

une photo et la copie du permis de conduire du chauffeur. Il paie 1 500 FCFA

comme frais de dossier. Après, il lui est établit une carte de membre. Le

propriétaire y paie également d’autres frais dont le macaron de l’UFESC-CO

(500 FCFA) et la « tenue chauffeur » (4 000 FCFA). Il s’agit d’une chemise

que le syndicat fait porter à tous ses adhérents/syndiqués, notamment les

chauffeurs. Elle est faite en vert et blanc, les couleurs de cette organisation.

Le macaron collé sur la poche de la chemise comporte des informations

essentielles du chauffeur (numéro d’immatriculation à l’UFESC-CO) et de

son véhicule (l’immatriculation). Pour cette fédération syndicale ce projet

vise principalement deux objectifs. D’abord, les chauffeurs font

2Une couleur est réservée aux taxis communaux par commune. Les couleurs sont les

suivantes : Port-Bouët (jaune), Koumassi (vert), Marcory (bleu), Cocody (jaune),

Yopougon (vert), Abobo (orange), Adjamé (sans couleurs). 3Une façon pratique de dire ligne de wôrôswôrôs inter communaux. 4L’une de leur caractéristique des wôrôswôrôs intercommunaux, c’est qu’ils n’ont

pas de couleurs précises. Dans le langage des transporteurs, ils sont dits « sans

couleurs ». N’empêche que certains, taxis communaux sont sans couleurs. Très

souvent, il s’agit de nouvelles lignes.

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quotidiennement la promotion de leur organisation. Enfin, les

usagers/passagers sont rassurés. Ainsi, devant toutes situations (disputes avec

les forces de l’ordre, plaintes de clients, pertes de bagages, etc.) il est facile

de mettre la main sur le chauffeur. Cependant, de nos enquêtes, il ressort que

les chauffeurs/syndiqués dans leur majorité ne portent pas cette tenue. La

réponse est donnée par Zouhoula Bi (2010). Pour lui contrairement aux

coutumes syndicales, l’adhésion à la corporation des transporteurs n’est pas

volontaire. La qualité de chauffeur confère automatiquement le statut de

syndiqué. Comprenons que sur cette période aucun wôrôswôrôs ne pouvait

exercer à Cocody sans une identification au CSTC et à l’UFESC-CO.

Autrement dit, il ne s’agit pas d’une adhésion (syndicale) forcément voulue.

D’où la négligence de la tenue chauffeur proposé.

Par ailleurs, cette identification/enregistrement signifie que le

propriétaire et son chauffeur acceptent les conditions de cette association.

Devenus donc des syndiqués, ils s’engagent à s’acquitter des différentes taxes

auxquelles ils seront soumis sur le terrain, notamment dans les gares5 de la

commune. Quels commentaires pouvons-nous faire du tableau I ci-dessous ?

De nos enquêtes, nous retenons qu’il n’y a pas d’ordre institutionnel dans

l’identification ou l’obtention d’autorisation auprès des principaux acteurs

impliqués dans le fonctionnement des taxis communaux à Cocody. Du moins,

l’ordre institutionnel n’est pas respecté.

Cependant, avant l’exécution d’un projet d’exploitation d’un véhicule à des

fins commerciales, le propriétaire veille à l’obtention de pièces : carte grise,

patente, assurance, etc. Si donc l’ordre institutionnel est ignoré, c’est que la

municipalité ne vient pas forcément en premier dans l’octroi des autorisations

d’exploitation d’un véhicule comme wôrôswôrôs.

D’ailleurs, sur la période (1990-décembre 2014), la réalité est la suivante.

D’abord, le wôrôswôrôs commence à travailler avant son

identification/enregistrement auprès des autorités institutionnelles (mairie,

impôt). Ensuite, le propriétaire fait le choix de déclarer son véhicule à la

mairie et aux impôts. Enfin, il y a la déclaration sous contrainte. Elle

intervient, lorsque le chauffeur, épinglé par les contrôleurs du service

transport de la mairie, sa voiture est mise en fourrière. D’où la contrainte.

Après régularisation, la voiture sort de fourrière et le chauffeur exerce son

activité librement dans la commune.

5 Dans le milieu des transports socio collectifs, c’est un site d’embarquement de

passagers d’un point de départ vers un point d’arrivée ; sous la supervision de

représentants de syndicats (chauffeurs ou propriétaires). Sur cette période, seule la

gare de l’espace Saint Jean était reconnue comme telle par la municipalité. Ce qui

n’est pas le cas pour les « transporteurs ».

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Aussi, entre les deux fédérations syndicales, le collectif des propriétaires

détient plus d’autorité. En fait, c’est l’entité qui autorise la mise en activité

d’un taxi communal.

Tableau I : synthèse du processus de mise en circulation d’un wôrôswôrôs à

Cocody de 1990 à décembre 2014

Pouvoirs

publics

Documents présentés par

le propriétaire du véhicule

Documents

proposés par la

mairie

Coût de

réalisation

(FCFA)

Indicateurs de

vérification

Mairie

Copie CNI, registre de

commerce, carte grise,

assurance taxi, patente,

visite technique,

proposition de ligne

Paire de

macaron,

antenne

45 000

Carte de

stationnement,

autorisation de

transport, voiture

peinte aux couleurs

de la commune

Etat (impôts)

Copie CNI, Permis de

conduire chauffeur,

assurance taxi

Vignette

professionnelle,

patente

162 500

Macaron, carte

CSTC

Néant Droit de ligne 58 000 ou

61 000

Intégration

d’une ligne

UFESC-CO

Copie CNI, registre de

commerce, carte grise,

assurance taxi, patente,

visite technique,

proposition de ligne,

permis de conduire

(chauffeur)

2 000

Macaron,

tenue-chauffeur

Source : nos enquêtes de terrain, 2014

Ce propos est confirmé par le droit de ligne (58 000 ou 61 000 FCFA)

qu’elle encaisse. Or, le paiement de ce droit est synonyme d’autorisation de

circuler. Dans le tableau I, l’UFESC-CO n’encaisse pas grande chose (2 000

FCFA). Mais, au-delà, elle ne fait que l’enregistrement du chauffeur, puisque

l’essentiel a été accordé par le collectif des propriétaires.

Par ailleurs, l’organisation fonctionnelle ou la régulation de l’activité des

taxis communaux dans les gares relève de la compétence de plusieurs

acteurs : un chef de gare, deux représentants du collectif des transporteurs, un

représentant de l’UFESC-CO et les chauffeurs. Le chef de gare ne joue pas

un rôle particulier, sauf qu’il est reconnu comme le propriétaire du site, c'est-

à-dire la gare. Par conséquent, des taxes (non officielles) lui sont versées par

les chauffeurs de wôrôswôrôs, puisqu’ils exploitent son site6.

6 Généralement, il s’agit de la personne qui découvre l’espace qui devient la gare.

Les frais qu’il perçoit sont une sorte de reconnaissance à son endroit.

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Quant aux représentants du collectif des transporteurs (CSTC), l’organisation

journalière du travail est de leur ressort. Ils organisent les entrées et départs

des véhicules. Le représentant de l’UFESC-CO représente son organisation

syndicale à la gare d’une part et, encaisse la taxe journalière payée par tous

les chauffeurs/syndiqués de son association d’autre part.

En effet, chaque jour, tous les chauffeurs wôrôswôrôs payent 700 FCFA

comme frais (taxes) d’exploitation permanente de ligne. Trois indicateurs

sont pris en compte : UFESC-CO (200f), CSTC (200f) et ticket chauffeur

(300f). Ici, le ticket chauffeur représente une synthèse des frais de

chargement. Dans le fonctionnement des transports socio collectifs, une fois

qu’un véhicule quitte la gare, son chauffeur paie des frais de chargement. Le

coût est de 10% du montant du chargement (Brou, 2008). À Cocody, ces frais

sont pris en compte dans les frais ou taxe d’exploitation journalière.

Cependant, sur les 700f la répartition est la suivante : 250f pour la caisse de

l’UFESC-CO et 450f pour le CSTC.

Quant à la municipalité, elle perçoit une taxe de stationnement. En fait, c’est

la taxe perçue par l’autorité municipale sur toutes les activités liées aux

transports dans la commune. Elle se paie tous les trois mois. Son coût s’élève

à 13 500 FCFA/trimestre, soit 4 500 f/mois et 150 f/jour. Ce mode de

paiement (trimestriel) a été instauré seulement depuis 2009. Il a été adopté

pour plusieurs raisons. La première, c’est que la municipalité accorde un

mois aux contribuables pour le paiement de leurs redevances. La seconde

raison, c’est que les services transports de la mairie disposent de deux mois

pour le contrôle du paiement par les contribuables. Dès lors, le contrôle

devient moins coûteux pour elle. De plus, les situations de détournements

sont plus évitées (mairie de Cocody, 2011). Sur cette période, la création des

gares et des lignes de desserte résultent de la communication de trois entités :

les populations, la municipalité et les transporteurs. Qu’est ce à dire ?

Les populations, en cas de besoin, l’expriment à la municipalité locale

ou aux transporteurs de leur zone d’habitation. À l’issue de leurs plaidoyers,

plusieurs lignes ont été ouvertes : Riviera-Angré, Cocody-Angré et Cocody-

Gobelet. Une fois sollicitée, la municipalité a recours au syndicat des

chauffeurs pour la satisfaction des besoins des populations. Cependant,

l’initiative peut venir de l’UFESC-CO elle-même. Lorsqu’elle constate un

besoin dans le périmètre de la commune, elle prend l’initiative de créer une

ligne pour faciliter la mobilité des personnes et de leurs biens. Lors de nos

enquêtes, nous avons pu recueillir ces données : 12 gares, 27 lignes de

dessertes et 42 points de stationnements. Tous (gares et points de

stationnement) sont greffés aux principales voies de la commune (cf. carte2).

Finalement, ils se confondent aux différents carrefours. Il convient de

préciser que certaines données recueillies sur le terrain ne coïncideraient pas

avec celles recueillies lors de nos entretiens avec les organisations syndicales.

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Nous avons dénombré 27 lignes contre 19 pour les syndicats de transporteurs

de la commune. L’explication nous est donnée par Koffi N. de l’UFESC-CO.

Pour ce faire, il s’est appuyé sur l’exemple de la ligne Cocody centre-Angré.

Cette ligne rallie la gare saint Jean, située à Cocody-centre (départ) au

quartier Angré (destination finale), au Nord de la commune. Le wôrôswôrôs

qui part de saint Jean, une fois à Angré peut prendre trois directions : aller

soit à Angré Mahou/station Mobil à partir du 22ème

arrondissement, soit à

Angré château, soit à Angré terminus des bus 81 et 82. Pour les transporteurs,

il s’agit d’une seule ligne. Ce qui n’a pas été le cas pour nous. La même

situation se présente sur des lignes à la gare Palmeraie. L’important à retenir,

c’est la grande implication des wôrôswôrôs dans le déplacement des

populations locales, à travers un réseau d’au moins 19 lignes de desserte (cf.

carte 2).

En outre, abordant dans le même sens, Kassi (2007) estime plutôt que les

lignes des transports populaires (wôrôswôrôs et gbakas) naissent

généralement de quatre situations. Premièrement, une ligne naît en principe

de l’absence totale de desserte de bus. Ces types de transport, constituent de

ce fait les seuls moyens collectifs disponibles pour les déplacements des

habitants d’une telle zone. Deuxièmement, elle peut naître également d’une

insuffisance des bus à assurer une liaison parfaite entre les quartiers d’une

même commune ou entre des communes. Troisièmement, elle peut naître

aussi pour raccourcir le temps et la distance de parcours d’un itinéraire

d’autobus. Enfin, une ligne peut naître à la demande des travailleurs d’une

zone d’emploi. Insuffisamment desservis par les autobus, certains bassins

d’emploi demeurent difficilement accessibles pour les travailleurs qui

expriment des besoins aux transporteurs privés. Sur ce point, nos assertions

ne sont pas diamétralement opposées. Toutefois, notre classification s’est

basée sur l’implication directe de ces trois acteurs (mairie, transporteurs et

populations) dans la création de gares et de lignes de desserte des

wôrôswôrôs à Cocody.

La gestion d’une gare renferme trois réalités : l’hygiène et la salubrité,

la sécurité, et la programmation des départs des véhicules une fois en gare.

Cette gestion relève de la responsabilité exclusive des « transporteurs7 » eux-

mêmes. Il en est de même pour les tarifs par lignes. Ils donnent les tarifs en

se référant aux indicateurs suivants : le coût des pièces automobiles, le coût

7Pour nous, cette notion se rapporte à tous les acteurs qui pratiquent et vivent du

transport socio collectif à Abidjan. Il s’agit entre autre de chefs de gares, syndicats

de propriétaires et de chauffeurs, chauffeurs et gnambros, etc. Dans le contexte

actuel, ils sont opposés à la municipalité.

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du carburant, le coût des pièces administratives (patentes, vignettes, etc.), la

distance (ou le kilométrage) des points desservis et l’état de la voirie. Sur

cette période, pour le bon fonctionnement du transport communal, la

municipalité a mis sur pied un comité de réflexion multipartite. Il comprend

le maire (ou son représentant), un représentant du district d’Abidjan et deux

membres de chaque syndicat. Ce comité se rencontre en séance

extraordinaire. Il s’agit, en effet, d’un cadre formel de réflexion pour

anticiper sur les crises du transport dans la commune. Pour la conception du

tableau II ci-dessous, nous avons eu recours au schéma8 de Meite (2014). Il y

fait l’inventaire des parties prenantes au transport urbain à Abidjan. Il en a

identifié 15 contre 08 pour nous.

Tableau II : synthèse des acteurs impliqués dans le transport à Cocody de

1990 à décembre 2014

Acteurs

Fondements juridiques

Territoires/zones de

compétences

Commune de Cocody Décrets, lois de la

décentralisation

Territoire communal

Syndicats de

transporteurs

Autorisation de la commune Gares, points de

stationnement

SOTRA Convention de concession de

service public signée avec

l’Etat

Territoire du district

d’Abidjan

Taxis compteurs Autorisation de l’Etat Territoire du district

d’Abidjan

Minibus gbakas Autorisation de transporteurs Village de Cocody,

commues de Yopougon,

Abobo, Anyama et

Bingerville

Wôrôswôrôs Autorisation de la commune et

de transporteurs

Cocody, ville d’Abidjan

Commerçants Autorisation de transporteurs Gares et points de

stationnement

Usagers/populations Décrets et lois de l’Etat Territoires du district

Source : nos enquêtes (2014) inspirées de la thèse de MEITE (2014, p. 105)

Les parties prenantes ou acteurs que nous avons omis sont les

suivantes : Etat, l’agence des transports urbains (AGETU), District

d’Abidjan, bailleurs de fonds, associations d’usagers, forces de l’ordre

(police et gendarmerie) et riverains. Ils sont 07 et ont forcément un impact

sur le transport à Cocody. Toutefois, au niveau local, leurs fortes implications

8Il s’est lui-même appuyé sur la théorie du modèle de Freeman (1984, p .55).

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s’incrustent au travers certains acteurs que nous avons pris en compte. Ainsi,

la commune de Cocody rassemble à elle seule toutes les institutions en

charge de l’organisation et de la régulation du transport. Il s’agit entre autre

de l’Etat, l’AGETU, le district d’Abidjan, les bailleurs de fonds

(internationaux ou nationaux) et les forces de l’ordre (police et gendarmerie).

Dans le tableau II, syndicats de transporteurs, SOTRA, taxis compteurs,

minibus gbakas et wôrôswôrôs renvoient aux opérateurs de transports. Ils

sont de deux ordres. Ceux qui sont reconnus (SOTRA et taxis compteurs) et

ceux qui ne le sont pas (wôrôswôrôs et gbakas). Certains auteurs les ont

nommé transports informels. Pourtant, leur action couvre tout le périmètre du

district d’Abidjan.

Enfin, les commerçants, les usagers/populations peuvent être considérés

comme d’autres acteurs. À ce groupe, nous pouvons joindre les riverains.

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Carte 2 : Le réseau des transports socio collectifs en 2013

Il s’agit des bénéficiaires de l’action des opérateurs et des acteurs

institutionnels. L’analyse du tableau II révèle également que la zone de

compétence de l’autorité communale couvre tout son territoire. Cependant,

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elle n’a pas grande autorité dans le fonctionnement des gares et points de

stationnement, points d’ancrage de l’activité des wôrôswôrôs. Ces espaces

sont plutôt des zones de « compétences » des syndicats de transporteurs.

Du moins, il s’agirait de « territoires » qu’ils contrôlent. En fait, ces

syndicats, se vantant d’ententes communales (autorisation communale),

élaborent une régulation basée sur le paiement de plusieurs droits et opèrent

des installations payantes (Zouhoula Bi, 2010). Le faisant, ils confèrent à ces

lieux un intérêt financier d’une part et, démontre qu’ils en sont les « maîtres »

d’autre part. À l’évidence, l’autorité municipale qui leur accorde

l’autorisation d’existence n’a pas grand effet sur ces espaces.

Pourtant, pour les organisations syndicales (CSTC, UFESC-CO) « la mairie

est l’administrateur réel du transport » dans la commune. Autrement dit, elle

est l’autorité légale habilitée à administrer/réguler (gestion et organisation)

cette activité sur son territoire. Mais, qu’en est-il réellement ? S’agirait-il de

propos de façade ? L’analyse ci-dessus atteste-t-elle cette réalité ?

Nous retenons déjà que sur cette période, l’organisation fonctionnelle des

transports socio collectifs à Cocody repose sur une collaboration municipalité

et syndicats de transporteurs. La municipalité, entité institutionnelle, définie

la politique communale des transports. Quant aux autres, recevant

l’autorisation d’existence de la première entité, leur action contribue à la

satisfaction des besoins en mobilité de la population. Cependant, les

problèmes issus de leur implication dans la gouvernance/gestion des gares et

points de stationnements ont poussé l’autorité locale à revoir sa politique vis-

à-vis des wôrôswôrôs depuis décembre 2014.

2. LA NOUVELLE POLITIQUE MUNICIPALE DES TRANSPORTS

VIS-À-VIS DES WÔRÔSWÔRÔS DEPUIS DÉCEMBRE 2014

La nouvelle vision municipale vis-à-vis des wôrôswôrôs repose sur le

bilan de 24 ans de fonctionnement de ce type de transport dans la commune.

Sur cette période, l’organisation fonctionnelle des wôrôswôrôs a tenu compte

de la « règle 07 ». Cette règle fut initiée par la municipalité. À ce titre, elle a

souhaité que le nombre de syndicats se limite à sept. Elle souhaitait éviter à

cette commune résidentielle, la récurrence de violences liés aux transports

socio collectifs. En fait, la source principale des conflits dans les gares, c’est

lorsqu’on y retrouve plusieurs syndicats. Ce pléthore de syndicats rend

difficile le partage des taxes qu’ils y perçoivent. Comme nous l’avons déjà

souligné, une fois reconnus, ces organisations s’érigent en instance parallèle

de régulation. Elles perçoivent donc des taxes syndicales aux points de

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chargements de véhicules et sur les lignes car si le syndicat te dit que tu ne

charges pas, tu ne va pas charger ! Tu vas monter, tu vas descendre, tu ne

vas pas charger. Tu es obligé de te soumettre9 (Zouhoula Bi, 2010).

Ainsi, avec cette « règle 07 », une journée est consacrée à la gestion d’un

syndicat (de chauffeurs et des propriétaires) sur le « terrain ». Concrètement,

le représentant du syndicat de service recouvre les « taxes d’exploitation

journalière » auprès des chauffeurs dans les gares et points de stationnement

dans la commune. Cette règle a permis la consolidation du déplacement des

populations communales sur le réseau des wôrôswôrôs à Cocody. Dans un tel

contexte, les transports socio collectifs (wôrôswôrôs et gbakas) permettent

ainsi de décloisonner certains compartiments de l’espace urbain (cocodyen)

par le biais des lignes régulières entre les quartiers périphériques et les

quartiers centres10

. Aussi, assiste-t-on à un renforcement du processus

d’étalement de l’agglomération et à une influence grandissante des

prestataires de ces transports populaires, qui profitent de l’essor de leur

activité pour s’imposer progressivement comme des acteurs urbains

incontournables. C’est ce que montre la carte 2, puisque la commune est

couverte dans son entièreté par leur réseau.

Photo 1 : Une vue lointaine de l’ex-gare du carrefour la vie après sa

fermeture

Cliché : DINDJI Roger, 2015

9 Zouhoula Bi rapportant les propos de l’un de ses enquêtés, un syndicaliste et chef

de ligne sur une gare. 10 Kassi Djodjo I. citant Aloko (2002).

L’ex-gare du carrefour la vie

Un wôrôswôrôs de Cocody

Un taxi compteur

Un gbakas

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De ce qui précède, on retient l’apport considérable des wôrôswôrôs

dans la mobilité de la population communale. Cependant, la municipalité a

trouvé des failles dans l’application de cette norme.

Ainsi, pour elle, la « règle 07 » a montré ces limites. Interrogé sur la

question, la réponse du responsable municipale en charge des transports est la

suivante : « dans certaines gares, notamment celle des « Deux-Plateaux

Mobil », les syndicalistes se disputaient fréquemment en fin de journée lors

du partage de leur argent recouvré. Ils ne cessaient de troubler la quiétude

des pauvres riverains. Devant une telle situation, les autorités municipales

ont pris les décisions suivantes : la fermeture des gares (lieu de

regroupement des syndicalistes), les syndicats ne doivent plus prendre de

l’argent aux chauffeurs lorsqu’ils sont en service, leurs cotisations devraient

se faire dans leurs propres locaux, la suppression de lignes de desserte dans

la commune. Tous les chauffeurs ont la liberté de desservir la commune, du

nord au sud et de l’est à l’ouest ». Cette mesure trouve son fondement

juridique principalement dans deux arrêtés municipaux.

Ainsi, les organisations de transporteurs désignées11

, au nombre de vingt-six

(26), réparties en deux groupes de treize (13) sont autorisées à exercer pour

une durée de trois (03) ans leurs activités sur toute l’étendue du territoire de

la commune (ARTICLE 1, arrêté municipal du 12 décembre 2014). Dans le

second arrêté, de façon tacite, il est marqué ceci : À compter de la signature

du présent arrêté, les activités ci-après des syndicats de transporteurs et de

chauffeurs de la commune de Cocody sont suspendues sur toute l’étendue du

territoire de la commune de Cocody : les encaissements liés à l’activité

syndicale dans les gares et sur la voie publique, toute autre activité syndicale

dans les gares et sur la voie publique (ARTICLE 1, arrêté municipal du 30

avril 2015). Comprenons que pour l’autorité municipale « syndicats de

transporteurs » renvoie à « syndicats de propriétaires ».

Depuis lors, le cadre institutionnel de fonctionnement des wôrôswôrôs à

Cocody connait un changement notable qui mérite d’être étalé. Mais, qu’en

est-il exactement ?

La réponse à la question s’appuiera sur le tableau III. Il en ressort que

les organisations syndicales sont complètement proscrites de la

gouvernance/régulation de l’activité des transports socio collectifs dans la

commune. Autrement dit, plus question de faire enregistrer un wôrôswôrôs à

l’UFESC-CO et au CSTC. Dès lors, pour la mise en service d’un wôrôswôrôs

11Dans cet arrêté, à travers deux tableaux la municipalité fait l’inventaire des

organisations (fédérations, syndicats, groupements, unions, comités) de

transporteurs autorisées sur son territoire.

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à Cocody, son chauffeur se fait enregistrer/identifier uniquement à la mairie

et aux impôts.

Cette nouvelle identification à la mairie n’est différente de la première

qu’en quelques points, notamment l’établissement d’une pré visite technique.

L’identification du propriétaire du véhicule est également prise en compte.

Cependant, cette nouvelle réforme met les chauffeurs en première ligne.

La pré visite technique se fait dans les locaux des services techniques de la

mairie de Cocody, à la Riviera golfe. Cette mesure a été prise en

collaboration avec la société ivoirienne de contrôle technique automobile et

industrielle (SICTA) pour extraire de la circulation les wôrôswôrôs

vieillissants.

Tableau III : Synthèse du processus de mise en circulation d’un wôrôswôrôs

à Cocody depuis décembre 2014

Pouvoirs

publics

Documents

présentés par le

propriétaire du

véhicule

Documents

proposés par la

mairie

Coût de

réalisation

(FCFA)

Indicateurs de

vérification

Mairie

Copie CNI, registre

de commerce, carte

grise, assurance taxi,

patente, visite

technique,

proposition de ligne

Paire de

macaron,

antenne, pré

visite technique

45 000 +

55 000

Idem que tableau 1

+ avis technique et

attestation

d’exploitation

Etat

(impôts)

Copie CNI, Permis

de conduire

chauffeur, assurance

taxi

Vignette

professionnelle,

patente

162 500

Macaron, carte

CSTC Néant Néant Néant Néant

UFESC-CO Néant Néant Néant Néant

Source : nos enquêtes, 2014

Lors de cette pré visite, les indicateurs suivants sont pris en compte :

la carrosserie, la couleur (jaune panama à Cocody), l’état physique du

véhicule, le parallélisme, l’état des sièges, la présence d’instincteurs et de

triangles de signalisation dans le véhicule, le niveau d’émission de fumée par

le véhicule. Elle est payante (55 000 FCFA) et assortie de l’émission d’un

avis technique et la pose d’une antenne sur le wôrôswôrôs (nos enquêtes,

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2015). L’avis émis à l’issue de cette visite, est pris en compte par le service

de visite technique de l’Etat.

Quant à l’identification, elle est assortie par l’octroie au chauffeur

d’une attestation d’exploitation (anciennement droit de ligne). À la date du 02

août 201512

, 3 200 wôrôswôrôs ont été enregistrés par le service technique de

la mairie de Cocody. De ce qui précède, nous faisons un constat. La

municipalité ne reconnaît qu’un seul interlocuteur dans l’activité des taxis

communaux à Cocody : le chauffeur. Du coup, les fédérations de syndicats de

chauffeurs et de propriétaires de véhicules sont écartées (cf. tableau IV).

Tableau IV : synthèse des acteurs impliqués dans le transport à Cocody

depuis décembre 2014

Acteurs

Fondement(s) juridique(s)

Territoires/zones de

compétences

Commune de

Cocody

Décrets, lois de la

décentralisation

Territoire communal

Syndicats de

transporteurs

Inexistant Inexistant

SOTRA Convention de concession

de service public signée

avec l’Etat

Territoire du district

d’Abidjan

Taxis compteurs Autorisation de l’Etat Territoire du district

d’Abidjan

Minibus gbakas

Inexistant

Village de Cocody,

commues de Yopougon,

Abobo, Anyama et

Bingerville

Wôrôswôrôs Autorisation de la commune Cocody, ville d’Abidjan

Commerçants Inexistant Gares et points de

stationnement

Usagers/populations Citoyenneté Territoires du district

Source : nos enquêtes (2014) inspirées de la thèse de MEITE (2014, p. 105)

La réforme de la politique locale des transports est justifiée par le

tableau IV ci-dessus. En effet, ce tableau révèle que l’acteur (commune de

Cocody) s’appuie sur des décrets, des textes de lois, notamment ceux de la

décentralisation. C’est d’ailleurs ce que confirme Meite (2014). Pour lui,

12 Date d’entretien avec le responsable du service transport de la mairie de Cocody.

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dans le cadre de la politique de décentralisation qui vise à rapprocher les

centres décisions aux populations, l’Etat a attribué aux villes et communes de

Côte d’Ivoire certaines compétences en matière d’organisation et de

définition de la politique des transports urbains/communaux. En matière

d’organisation des transports, il nous rappelle ici quelques missions

importantes des villes et communes de Côte d’Ivoire, au terme des différentes

lois de la communalisation depuis 1980 : la délivrance d’autorisation,

l’approbation des tarifs, la création de redevances relatives à l’exploitation

des transports publics ne dépassant pas leurs limites territoriales, la

planification et l’aménagement du territoire, la lutte contre l’insécurité, etc.

Cocody est une commune de plein exercice depuis 1980. Pourquoi la

municipalité n’a-t-elle pas fait preuve d’autorité absolue depuis lors ? Selon

la loi, elle est l’autorité locale qui a aussi pour mission l’amélioration des

conditions et cadres de vie de toutes les populations du territoire qui lui est

reconnu. À ce titre, elle est tenue de concilier des intérêts et des attentes

variées et contradictoires de divers opérateurs dont les transporteurs.

Lesquels répondent à la demande en mobilité d’une frange importante de la

population. Raison pour laquelle, avant décembre 2014, la municipalité a

formalisé sa collaboration avec les syndicats de transporteurs (cf. tableau I).

Ces derniers abusant du laisser-faire des autorités locales ont fini par

déranger la quiétude des populations locales.

Quel est cependant l’effet de cette nouvelle vision municipale du transport

vis-à-vis des wôrôswôrôs dans la commune ? Quelle est la réaction de

l’UFESC-CO et du CSTC vis-à-vis de cette politique municipale ? Que reste-

t-il de leurs activités dans la commune ?

3. L’IMPACT DE L’ORGANISATION FONCTIONNELLE DES

WÔRÔSWÔRÔS SUR L’ENVIRONNEMENT SPATIO-

ÉCONOMIQUE DE LA COMMUNE DEPUIS DÉCEMBRE 2014

Cette étude d’impact se fera avec plusieurs indicateurs dont l’analyse

de la réaction des transporteurs dès la mise en application de la politique

municipale en rapport avec les transports socio collectifs. De toute évidence,

cette initiative n’a pas eu l’assentiment des syndicats affiliés à l’UFESC-CO

et au CSTC. Ce désintérêt/mécontentement a influé négativement sur

l’activité des wôrôswôrôs à Cocody. En conséquence, ces derniers ont exigé

la grève des taxis communaux. À ce propos, par moment ils ont eu recours à

la violence pour obliger les chauffeurs à suivre leur mot d’ordre. En fait, ils

furent contrariés par deux réalités. D’abord, il eut l’opposition de certains

chauffeurs qui approuvaient d’une certaine façon les nouvelles décisions

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municipales. Enfin, il eut l’opposition de nouveaux syndicats de chauffeurs

nouvellement constitués et exerçant dans la commune.

De ce fait, les déplacements des populations « cocodyennes » furent

perturbés sur une bonne période. L’UFESC-CO et le CSTC n’apprécient pas

le traitement dont ils sont l’objet de la part de la municipalité, leur ancien

allié. À cela, s’ajoute les problèmes fonctionnels et organisationnels auxquels

ils doivent faire face. À l’UFESC-CO par exemple une grande partie des

activités a été suspendue. Ainsi, selon ses responsables interviewés lors de

nos enquêtes, l’association ne perçoit plus de droits syndicaux ; lesquels

provenaient des taxes perçues dans les gares et points de stationnements par

leurs agents. Ainsi, au siège de cette organisation, seul le service minimum

est assuré. Le volet social est donc proscrit, puisqu’il exige des ressources

financières. Quant au collectif de propriétaires (CSTC), il a dû quitter le local

qui lui servait de siège. Certains membres de son bureau dont Ralph D. ont

repris le volant. Ils cumulent donc les fonctions de propriétaires et

chauffeurs.

En somme, l’UFESC-CO et le CSTC sont en train d’être mis « hors jeu » par

les autorités municipales dans l’organisation et le fonctionnement des

wôrôswôrôs à Cocody.

Toutefois, devant la vive opposition des transporteurs face au projet de

réforme du transport par la municipalité, une question mérite d’être posée. En

effet, plus haut nous rapportions que ces derniers reconnaissaient la

compétence des autorités municipales locales en la matière. Alors, quelles

explications données à leur mouvement de contestation/rébellion des mesures

de « l’autorité » ? Leur première réponse nous semble relative et

circonstancielle. Autrement dit, ils adhèrent à la légalité/légitimité tant

qu’elle préserve leurs intérêts.

Photo 2 : Une vue lointaine de l’ex-gare saint Jean en 2013

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Cliché : DINDJI Roger, 2013

Pour montrer sa volonté, la municipalité a fermé la gare du carrefour

la vie (nos enquêtes, 2015). Comme le démontre la photo 1. Or, elle fut créée

(en janvier 2014) en lieu et place de celle de saint Jean, précédemment

principal point d’ancrage de la mobilité des populations abidjanaises (cf.

photos 2 et 3). Celle de saint Jean fut fermée un an plus tôt, précisément en

novembre 2013. Cependant, après la fermeture de la nouvelle (gare du

carrefour la vie), les autorités locales n’ont pas proposé à la communauté un

équipement approprié. Comme solution/réponse alternative, les chauffeurs

ont eu recours au trottoir (en face de la gare fermée) comme gare et point de

stationnement. Comprenez que la gare qui a été fermée possédait une

profondeur, à l’image de la photo 2 (ex-gare saint Jean).

À cause de la mauvaise planification municipale, on est passé d’une

gare avec profondeur à une gare-rue ou une gare-étalement. C’est ce que

montre la photo 3 (ci-dessous). Sur son extrémité gauche, sont alignés

plusieurs véhicules. Il s’agit là de warrens13

inter communaux.

Photo 3 : Un aperçu du désordre créé après la fermeture de la gare du

« carrefour la vie »

13Autre appellation des jeunes ivoiriens des wôrôswôrôs.

Activités commerciales Wôrôswôrôs banalisés

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Cliché : DINDJI Roger, 2015

Ces warrens ou wôrôswôrôs « banalisés »14

assurent la mobilité des

populations de Cocody en directions des autres communes (Port-Bouët,

Koumassi, Marcory, Treichville, Plateau, Yopougon, Abobo) de la ville

d’Abidjan.

Ce même espace sert de lieu de débarquement de passagers en provenance de

certains quartiers de la commune dont Angré et les-deux-Plateaux (nos

enquêtes, 2015). En conséquence, cet espace est régulièrement embouteillé.

Pourtant, en face il y avait une gare dont la morphologie et la localisation

paraissaient meilleures (cf. photo 1). Zouhoula Bi (2010) perçoit cela à

travers deux types de structures : une gare-rue, étalée le long de la rue et une

gare-accotement de voirie. La municipalité n’a donc pas pris la pleine mesure

de la situation avant de lancer sa nouvelle politique de restructuration de

l’activité des wôrôswôrôs dans la commune. Dès lors, on est passé du

« désordre au désordre ».

Par ailleurs, sur tout le territoire communal, les gares et points de

stationnements n’ont pas disparu (cf. carte2). Dans l’ensemble, ces espaces

demeurent. Il en est de même pour l’action des syndicats. En fait, les

14 Autre appellation de wôrôswôrôs sans couleurs. Les chauffeurs de ces lignes (inter

communales) paient à la municipalité locale une « carte de stationnement » et une

« taxe de stationnement ». Cette taxe est payée en deux tranches. Cependant,

l’organisation et le fonctionnement des taxis inter communaux, des taxis compteurs

(taxis avec compteurs holométriques) et bâchés relèvent de la compétence du

District d’Abidjan (nos enquêtes, 2014).

Trottoir transformé en gare

Ex-gare fermée

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chauffeurs ne paient plus de frais d’embarquement dans les gares et points de

stationnements encore existant.

Toutefois, certains espaces résistent au nouveau modèle proposé. En

fait, en ces points dont le « carrefour la vie », la gare « Mobil » au deux-

Plateaux, des frais sont payés à des syndicats (nos enquêtes, 2015). Sur la

carte 2, les principales gares sont visibles. À l’exception des gares de saint

Jean et du carrefour la vie, toutes les gares créées avant décembre 2014 sont

fonctionnelles. Elle nous montre bien les gares des quartiers suivants :

Riviera 2, Riviera Palmeraie et celles qui desservent les villages de la

commune. Sur ce point (de suppression de gares) également, la municipalité

n’a pas fait un bon diagnostic de la situation avant de rentrer dans

l’opérationnalité de sa nouvelle vision du transport municipal en rapport avec

les wôrôswôrôs.

À cela, s’ajoute certaines réalités propres à la prolifération de ces ouvrages

informels. En fait, les ouvrages informels de transport public sont de

puissants facteurs de désordre spatiaux (Zouhoula Bi, 2010). Ce désordre qui

se spatialise se rapporte aux activités commerciales informelles ou activités

de « débrouillardise » (cf. photo 1). Il s’agit entre autre de la tenue de

kiosques à journaux et à café, vente de cigarettes, vente de banane braisé,

vente de galette, vente d’eau, le cirage de chaussure, vente de fruits (oranges,

mangues, etc.), etc.

Concernant les tarifications, elles ne sont pas maîtrisées par les autorités

municipales. Les tarifs pratiqués en ce moment s’appuient plutôt sur les tarifs

initiaux. Le tableau V ci-dessous confirme nos propos. En d’autres termes,

sur ce pan important du transport par wôrôswôrôs, l’action municipale n’a

pas encore grand effet.

Carte 3 : Le réseau des transports socio collectifs en 2015

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REPOSITIONNEMENT DE POUVOIRS PUBLICS ET PÉRENNISATION DU

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Au regard de la configuration du réseau actuel de transport, la

mobilité actuelle de la population communale repose toujours sur le réseau de

desserte des transports socio collectifs d’avant décembre 2014 (cf. cartes 2 et

3).

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Autrement dit, la mesure municipale souhaitant la suppression des lignes de

dessertes n’est pas entièrement prise en compte. De plus, lorsqu’elle

s’applique, elle s’appuie sur la tarification du modèle de lignes de dessertes

(cf. tableau V).

Par exemple : pour se rendre du quartier Plateau Dokoui à celui de la Riviera

Palmeraie, l’un des trajets est le suivant : il fallait emprunter deux

wôrôswôrôs.

Tableau V : évolution des tarifs des wôrôswôrôs communaux sur les

principales lignes à Cocody

N° LIGNES Longueu

r

en Km

Tarif/trajet

en 2006

(FCFA)

Tarif/trajet

en 2010

(FCFA)

Tarif/trajet

en 2015

(FCFA) 1 Cocody– Campus 2 125 100 100

2 Cocody– Blockhaus 2 125 100 100

3 Palmeraie – Rosiers 3 150 150 150

4 Bonoumin– Lauriers 3 150 150 150

5 Akouédo - Riviera 2 4 200 200 200

6 Riviera 2 - Riviera 3 4 200 200 200

7 Attoban - Vallon/Zoo 4 200 200 200

8 Angré-Palmeraie 5 250 300 300

9 Cocody– Vallon 5 250 250 250

10 Carrefour 9 km -M’Badon 5 250 200 200

11 Agban– Vallon 6 200 200 200

12 Cocody - Riviera 2 6 250 250 250

13 Cocody - M’Pouto 6 250 250 250

14 Riviera - Attoban-Angré 6 300 300 300

15 Cocody– Palmeraie 7,5 350 350 350

16 Cocody - Riviera 3 8 300 300 300

17 Cocody–Angré 10 425 300 500

Sources : KASSY D. I. (2006), nos enquêtes 2015

Le passager dépensait 500 FCFA : 200 f du (1) Plateau Dokoui à la

gare de la Riviera Palmeraie (située à Angré terminus des bus 81 et 82),

ensuite, 300 f de cette (2) gare à la Riviera Palmeraie (sa destination finale/cf.

ligne n°8 dans le tableau V et carte 3 ci-dessus). Aujourd’hui, le trajet peut

être direct. Toutefois, le client dépensera 500 FCFA (nos enquêtes, 2015). Le

changement, c’est qu’il se déplace suivant un trajet direct (cf. carte 3 ci-

dessus). Sinon en termes de coût, il n’y a pas de gain. Par ailleurs, pour

Kassy (2007) la stratégie de maintien ou de sectionnement de trajets en lignes

par les chauffeurs vise l’accroissement de leurs gains journaliers.

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REPOSITIONNEMENT DE POUVOIRS PUBLICS ET PÉRENNISATION DU

DÉSORDRE URBAIN

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Poursuivant, Kassy (2007) donne quelques facteurs explicatifs de la hausse

des prix au fil des ans, notamment à Cocody. Ainsi, le carburant reste une

dépense élevée qui pèse de toute son importance sur la tarification. À celui-ci

s’ajoutent d’autres facteurs liés aux caractéristiques des réseaux, notamment,

la longueur des lignes, leur densité, aussi les conditions de concurrence et le

racket policier.

CONCLUSION

À la réalité, cette contribution fait le bilan de l’existence de

wôrôswôrôs dans la cité résidentielle de Cocody depuis 1990. Il en ressort

que ce type de transport joue un rôle important dans la mobilité (intérieure et

extérieure) des populations de la commune. À ce jour, 3 200 wôrôswôrôs

communaux sont enregistrés aux services techniques de la mairie. Cependant,

dans leur organisation fonctionnelle à Cocody deux grandes périodes ont été

dégagées. La première (de 1990 à décembre 2014) marque une gestion

intégrée municipalité-corporations syndicales. Quant à la seconde (depuis

décembre 2014), elle est marquée par les décisions municipales suivantes :

fermeture de gares dans la commune, suppression des lignes de dessertes et

réduction du pouvoir des syndicats dans les gares. Cependant, dans la

commune plusieurs dysfonctionnements liés aux transports socio collectifs

demeurent, notamment la persistance de gares et points de stationnement

censés disparaître. La mobilité des populations se fait toujours suivant le

réseau des lignes de dessertes d’avant décembre 2014. En somme, la

municipalité n’a pas fait un bon diagnostic de l’existant avant d’exécuter sa

réforme liée à l’organisation et au fonctionnement des wôrôswôrôs dans la

commune.

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